Séance du 30 mars 2000







M. le président. « Art. 18 ter. - I. - Le premier alinéa de l'article 187-1 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le président de la chambre d'accusation ou le magistrat qui le remplace peut ordonner la comparution de la personne au cours de cette audience de cabinet. »
« II. - Au troisième alinéa de l'article 194 du même code, les mots : "dans les quinze jours de l'appel prévu par l'article 186" sont remplacés par les mots : "dans les dix jours de l'appel lorsqu'il s'agit d'une ordonnance de placement en détention et dans les quinze jours dans les autres cas". »
Par amendement n° 40, M. Jolibois, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit le I de cet article :
« I. - L'article 187-1 du même code est ainsi rédigé :
« Art. 187-1 . - En cas d'appel d'une ordonnance de placement en détention provisoire, la personne mise en examen ou le procureur de la République peut, si l'appel est interjeté le jour même de la décision de placement en détention provisoire, demander à la chambre de l'instruction d'examiner par priorité son appel. La personne mise en examen, son avocat ou le procureur de la République peut joindre toutes observations écrites à l'appui de la demande.
« La chambre de l'instruction statue au plus tard le quatrième jour ouvrable suivant la demande, au vu des éléments du dossier de la procédure.
« Dans l'attente de la décision de la chambre de l'instruction, le juge des libertés peut, au moyen d'une ordonnance non susceptible d'appel, prescrire l'incarcération de la personne pour une durée qui ne peut excéder quatre jours. A sa demande, l'avocat de la personne mise en examen présente oralement des observations devant la chambre de l'instruction, lors d'une audience dont est avisé le ministère public pour qu'il y prenne, le cas échéant, ses réquisitions ; l'avocat y a la parole en dernier. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Il s'agit de rétablir le texte adopté par le Sénat en première lecture, qui supprime le référé-liberté et prévoit à la place un appel dans de très brefs délais - quatre jours - devant la chambre de l'instruction.
Ce texte résultait d'un amendement qui avait été déposé en commission par notre collègue M. Fauchon, il explicitait l'ensemble du système que nous souhaitions créer, système auquel la commission des lois souhaite revenir en deuxième lecture.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je suis réservée sur cet amendement, qui soulève une question importante et complexe.
En première lecture, le Gouvernement s'en était remis à la sagesse du Sénat sur l'amendement de M. Fauchon, qui remplaçait la procédure de référé-liberté par un examen prioritaire par la chambre d'accusation d'un appel d'une ordonnance de placement en détention provisoire.
A la réflexion, il est apparu que cette disposition risquait de soulever de très importants problèmes pratiques.
Par ailleurs, il était dommage de ne pas conserver, en l'améliorant, la procédure de référé-liberté tout en améliorant également la procédure d'appel par la réduction des délais d'audiencement. Tel est le principe du dispositif adopté par l'Assemblée nationale.
L'amendement n° 40 présente l'avantage, tout en maintenant la réduction des délais d'examen des appels, de permettre l'étude du dossier par une formation collégiale. Mais il a l'inconvénient de supprimer la procédure de référé-liberté alors qu'elle a montré, dans des cas certes rares mais certains, son utilité.
Par ailleurs, si ces recours devenaient systématiques, les chambres d'accusation ne seraient pas en mesure d'y faire face. Le délai de quatre jours ouvrables peut, pour certains dossiers et dans certains ressorts, être impossible à respecter.
Enfin, cette procédure, qui est possible si l'appel est fait le jour même, oblige le juge de la détention, qui a déjà ordonné la détention, à revoir le mis en examen pour ordonner son incarcération provisoire. Si la personne a été écrouée dans la matinée et qu'elle fait appel en fin de journée, elle doit donc être extraite de la maison d'arrêt avant zéro heure pour comparaître de nouveau devant le juge avant d'être à nouveau incarcérée. Imaginez que cette procédure soit appliquée aux trafiquants de stupéfiants ou aux terroristes ! On ne voit pas pourquoi ils n'essaieraient pas de profiter de façon systématique de la complexité du mécanisme pour obtenir des nullités de procédure.
Telles sont les raisons pour lesquelles je ne suis pas favorable à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 40.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Etant, en quelque sorte, à l'origine de cet amendement, je voudrais en rappeler l'importance.
Nous sommes un certain nombre, à la suite de M. Jacques Larché qui avait ouvert la voie dans cette direction, à penser qu'il s'agit d'un dispositif essentiel.
En effet, il est de règle, en matière judiciaire, que toute discussion importante soit prise par une collégialité. C'est une règle fondamentale dont on ne s'écarte qu'en raison de la dureté des temps.
Existe-t-il une question plus importante que celle de la mise en détention préventive ? Il n'y en a en tout cas pas beaucoup.
Pourquoi faut-il que cette décision échappe à une pluralité de juges ? Tout simplement, parce que nous n'avons pas les moyens d'assurer une telle pluralité.
L'idée qui sous-tend cet amendement est donc de tenir compte de la double exigence de la pluralité des juges et du manque de moyens en prévoyant que, dans les hypothèses, qui sont assez rares, dans lesquelles la mise en détention provisoire pose réellement un grave problème, celle-ci soit soumise à une pluralité de juges dans des conditions telles que la détention n'ait pas encore commencé. Il y a eu rétention de l'individu, mais celui-ci n'est pas non plus dans la situation d'un détenu. C'est tout l'esprit du système. Il n'est pas simple à mettre en oeuvre mais, dès lors que l'on veut préserver cet aspect essentiel des droits de l'homme, il faut accepter des mécanismes compliqués.
Comme on n'a pas le moyen de se payer de mécanisme complet, on se paie un mécanisme adapté.
On ne peut pas tirer argument du fait que peu de cas sont concernés. Lorsque l'on interroge les magistrats - et M. Casorla, qui a publié l'année dernière un article présentant les statistiques d'un certain nombre de cours d'appel me l'a confirmé - ils disent qu'en réalité la plupart des mis en détention provisoire savent parfaitement qu'ils ne peuvent y échapper et la supportent avec une certaine philosophie. C'est particulièrement vrai des récidivistes, qui sont parmi les plus philosophes des hommes ! (Sourires.)
Lorsque, au contraire, la détention patraîtra vraiment insupportable et posera des problèmes, il existera ce mécanisme qui, je crois, est essentiel, je me permets de vous le dire, madame le garde des sceaux.
Je n'ai pas voulu monter de nouveau à la tribune pour présenter un commentaire d'ensemble sur ce texte, je l'ai fait en première lecture.
En fait, je suis réservé sur le juge des libertés. On va ainsi d'un juge à un autre juge, on va de l'avis d'un homme à l'avis d'un autre homme, à supposer que ces deux hommes aient des avis différents, ce qui n'est pas garanti car je crois que, le plus souvent, ils se concerteront et qu'en réalité on n'aura pas changé grand-chose. Enfin, il faut vivre d'espoir, monsieur le rapporteur, bien entendu, mais, je le répète, on n'ira jamais que d'un homme à un autre homme, donc de la faillibilité d'un homme à la faillibilité d'un autre homme.
Il est admis, et je crois que cela reste une grande sagesse des mécanismes judiciaires, que la pluralité préserve des plus grandes erreurs. Il faut donc garantir la pluralité dans les cas les plus graves. C'est la raison d'être de cet amendement. Je regrette que l'Assemblée nationale ne l'ait pas compris. Peut-être ne lui a-t-il pas été bien expliqué. Il faut donc que nous le confirmions, et ce avec force parce que c'est l'un des éléments essentiels de la protection des droits de l'homme.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Je voudrais ajouter quelques explications à celles, très précises, qui viennent d'être données par M. Fauchon.
Le système qui va être introduit dans notre droit est d'une grande complexité. Nous allons nous trouver dans une situation dans laquelle le procureur de la République demandera le placement en détention ; les réquisitions seront soumises au juge d'instruction et celui-ci rendra une ordonnance motivée saisissant un autre juge.
Je me suis beaucoup interrogé, et je continue à le faire, sur la conformité de cette disposition à la convention européenne des droits de l'homme. En rendant une ordonnance motivée, saisissant un autre juge du siège pour lui demander de prendre une décision contre la personne mise en examen et placée sous son imperium, le juge d'instruction n'est pas dessaisi comme c'est le cas lorsqu'une décision d'un juge d'instruction frappée d'appel est soumise à la chambre d'accusation. Il se trouverait donc dans une situation paradoxale. Il est juge du siège. Il exerce un imperium à l'encontre d'un justiciable et il demande contre ce justiciable une mesure de placement en détention spécialement motivée. C'est une requête. Peut-il être à la fois juge et demander à l'encontre d'un justiciable qui est sous son autorité une mesure qui se traduira par une ordonnance juridictionnelle ? A ce moment-là, il devient partie.
Ce problème n'a cessé de me préoccuper au cours des dernières semaines. Je n'ai pas voulu déposer d'amendement sur ce point, mais je me suis demandé s'il n'aurait pas été plus simple de dire : le procureur demande au juge de la détention de placer sous mandat. Dès lors, le juge d'instruction ne serait pas partie. Il n'existerait plus qu'un rapport entre le parquet et le juge de la détention provisoire. Il y aurait débat devant le juge de la détention provisoire et là, le référé-liberté prendrait tout son sens.
En revanche, conserver un premier juge qui, par ordonnance motivée, demande à un second juge de placer en détention le justiciable contre lequel il va continuer d'instruire, avant que n'intervienne éventuellement le référé-liberté, cela n'est pas satisfaisant. En effet, dès lors que deux juges se seront déjà prononcés sur la détention, à quoi bon le référé-liberté ? Comme le disait M. Fauchon - et comme, pour ma part, je n'ai jamais cessé de le penser - il n'y a, à ce niveau-là, de véritable garantie que dans la collégialité.
Allons donc vers la collégialité et, puisque deux juges auront été amenés à se prononcer successivement, allons-y le plus vite possible.
Encore une fois, je pense qu'il aurait été plus simple de prévoir le débat contradictoire organisé devant le juge de la détention provisoire à la demande du ministère public.
Laissons le juge d'instruction poursuivre son oeuvre de magistrat instructeur, sans faire de lui le requérant d'une demande qui concerne la liberté d'un justiciable placé sous son imperium .
Mais ce sont-là des questions extraordinairement complexes, qui méritent qu'on s'interroge, notamment en songeant à ce qui paraît se profiler pour l'avenir, à savoir le modèle européen de procédure pénale, où ce système du juge qui demande à un autre juge une mesure contre un justiciable placé sous son imperium ne me paraît pas devoir trouver sa place.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Pour avoir déjà eu le privilège de l'entendre, je connaissais cette théorie extrêmement intéressante de notre collègue M. Badinter. Il est vrai que, intellectuellement, et en se situant à un haut niveau de doctrine judiciaire, un problème peut se poser. Mais l'option que nous avons retenue est claire : nous avons voulu conserver le juge d'instruction dans sa spécificité française. Dès lors, nous étions amenés à proposer un certain système, que vous avez déjà accepté partiellement, monsieur Badinter. Cela étant, je comprends très bien que vous fassiez part de vos doutes quant à son fonctionnement.
Nous, nous pensons au contraire que ce système fonctionnera sans qu'il soit nécessaire de toucher en quoi que ce soit à cette spécificité française du juge d'instruction, qui nous est d'ailleurs enviée.
Lors d'un voyage que je dois à la commission des lois d'avoir fait avec notre collègue M. Dreyfus-Schmidt, dont je regrette l'absence aujourd'hui, nous avions eu l'occasion d'étudier le système italien. En Italie, on a voulu pousser si loin la coupure entre les juges qui préparent et les juges qui jugent, c'est-à-dire les juges de l'audience, que le dossier de l'instruction qui est transmis est quasiment vidé de sa substance. Quand nous avons demandé au procureur de Rome quel était son souhait, il nous a répondu : « Revenir au système du juge d'instruction français ! ». Car c'est une perte formidable que de ne pas profiter du travail qui a été effectué par le magistrat instructeur.
En France, que faisait autrefois le juge d'instruction ? Il mettait lui-même en détention provisoire ! C'est donc un pas considérable que nous accomplissons - et vous le reconnaissez, monsieur Badinter - en décidant que c'est à un autre juge que sera confiée cette décision.
Surtout, dans le système français actuel, le juge d'instruction établit une ordonnance de renvoi au tribunal correctionnel. Cette ordonnance de renvoi est motivée, et cela ne choque personne. En tout cas, cela ne me choque pas. Le juge de l'audience bénéficie tout simplement de la motivation. Or il est très utile que les juges bénéficient, dans leur liberté d'appréciation, des motivations d'un autre juge.
Par conséquent, monsieur Badinter, les observations que vous faites sur le système ne me semblent pas totalement déterminantes. L'avenir nous dira ce qu'il faut en penser.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je souhaite donner mon sentiment sur cette question à la fois parce que je l'ai fait longuement à l'Assemblée nationale en deuxième lecture et que M. le président de la commission des lois l'a évoquée au cours de la discussion générale.
Ce n'est évidemment pas par hasard, ni par crainte de procéder à une réforme qui serait trop ambitieuse, que le Gouvernement a choisi de conserver les juges d'instruction. C'est simplement parce que, à condition que le système fonctionne comme il est prescrit qu'il fonctionne, il est le plus satisfaisant. En effet, c'est un magistrat du siège, indépendant, qui conduit l'instruction et qui doit instruire à charge et à décharge.
Je note d'ailleurs que ce système est aujourd'hui perçu de manière très positive dans beaucoup de pays étrangers. Vous venez, monsieur le rapporteur, de rappeler l'expérience italienne : les Italiens se mordent aujourd'hui les doigts d'avoir dévié vers un autre système, et j'en ai eu de multiples confirmations. Même en Angleterre, où il n'y a pas de juge d'instruction, où existe cette dissociation, on a commencé par créer le Crown prosecutor service et, maintenant, on entend s'élever de nombreuses voix pour réclamer un juge d'instruction à la française.
Pour que ce juge d'instruction à la française puisse instruire à charge et à décharge, il faut susciter de nouvelles occasions de débat contradictoire : c'est ce que nous faisons ; lorsqu'il aura à prendre des décisions pour la détention provisoire, par exemple, il y aura aussi un débat contradictoire avec un autre juge, et c'est l'objet de la création du juge de la détention provisoire.
Ces améliorations me paraissent indispensables pour qu'il y ait les contre-pouvoirs nécessaires. Dans une démocratie, il faut toujours qu'à un pouvoir corresponde au moins un contre-pouvoir.
Par conséquent, si notre système fonctionne bien, beaucoup de pays pourront s'y rallier.
Car, ne nous voilons pas la face, nous avons tendance à grossir les défauts du système qui est le nôtre parce que nous l'expérimentons tous les jours : surtout les avocats qui, en tant qu'auxiliaires de justice, sont constamment confrontés aux difficultés qui y sont inhérentes.
M. Pierre Fauchon. Tout à fait !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Nous grossissons les inconvénients de notre système sans voir ceux des autres. J'invite chacun à examiner de près les inconvénients du système accusatoire à l'anglo-saxonne, à constater la latitude très importante - j'allais dire : effrayante - qu'il laisse à la police, ce qui ne serait certainement pas accepté chez nous, à voir combien il met les justiciables dans une situation parfois difficile, en sacrifiant quelque peu le principe d'égalité puisqu'il faut démontrer à l'audience que l'accusation n'est pas fondée.
Le système britannique est aussi un système à deux vitesses dans la mesure où les « vrais » magistrats, ceux qui sont désignés après un processus de sélection rigoureux, puisqu'ils doivent avoir préalablement exercé le métier d'avocat, sont finalement très peu nombreux. De ce fait, le tout-venant des décisions de justice est rendu par des magistrats qui sont désignés par les citoyens et qui, en fait, ne sont pas des magistrats professionnels.
M. Pierre Fauchon. Les magistrates courts !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Certes, tout système a ses inconvénients - s'il y avait un système idéal, ça se saurait, et il serait adopté par tout le monde ! - mais aussi ses avantages. Je pense que notre système, amélioré par ce projet de loi, sera infiniment plus satisfaisant.
J'ajoute, m'adressant plus spécifiquement à Robert Badinter, qui souhaite comme moi un rapprochement des procédures pénales en Europe, que nous devons bien entendu nous efforcer, dans les travaux que nous menons et dans les évolutions que nous décidons, de prendre ce qui est satisfaisant dans les autres systèmes ; c'est ce que nous faisons avec ce texte.
Au demeurant, parallèlement, d'autres se sont avisés que le système français comportait, par rapport au leur, des éléments plus satisfaisants. Par exemple, dans le traité sur la Cour pénale internationale, nous lisons que « le procureur instruit à charge et à décharge ». Cela me rappelle quelque chose...
Quant au tribunal pénal international de La Haye - et Robert Badinter, qui a été à l'origine de sa création, sait à quel point il joue un rôle important - il a d'abord fonctionné selon une procédure accusatoire à l'anglo-saxonne, mais on a bien été obligé de se rendre compte qu'il fallait le faire évoluer vers notre système, ne serait-ce que pour qu'il ne soit pas asphyxié sous le nombre des témoins, qui étaient de plus entendus lors d'auditions à la fois très longues et très médiatisées. Nous devons beaucoup à M. Jorda, l'actuel président de ce tribunal, qui est par ailleurs un compatriote, d'avoir su convaincre la présidente américaine, Mme Mac Donald, et la procureur, Mme Arbour, dont toute la pratique avait été celle des systèmes anglo-saxons, de faire évoluer la procédure en vigueur dans ce tribunal.
Dans cette volonté européenne que nous avons de faire converger les systèmes les uns vers les autres, nous ne devons nourrir aucun complexe. Je ne vois pas pourquoi nous considérerions que la volonté européenne doit conduire à se calquer sur des systèmes anglo-saxons qui ne présentent pas que des avantages. Efforçons-nous donc d'évoluer vers nos voisins en ce qu'ils ont de bien, mais aussi de les amener à évoluer vers nous en ce que nous avons de bien.
Ce qui est vrai, c'est qu'il faudra, dans la pratique,...
M. Charles Jolibois, rapporteur. De la bonne volonté !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... oui, de la bonne volonté, et de la part de tous les acteurs. Mais cela vaut pour tous les textes de lois. Car le destin de tous les textes que vous votez dépend étroitement de la volonté qu'auront tous les acteurs - je dis bien : tous les acteurs - de les faire vivre dans le sens qui a été voulu.
Il y a en fait là une chance extraordinaire à la fois pour notre propre système et pour une convergence des procédures pénales européennes dans un sens qui tienne compte des expériences des uns et des autres, en reconnaissant modestement qu'il n'existe pas de procédure pénale idéale. Une procédure pénale résulte toujours de la recherche d'un équilibre, évidemment extrêmement délicat, entre les nécessités de l'enquête et de la répression, d'une part, et la protection des droits et des libertés individuelles, d'autre part.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. J'ai écouté attentivement Mme la garde des sceaux dans sa longue réponse argumentée, mais j'ai tout de même été « accroché » par une observation de notre collègue M. Badinter. Il s'agit, non de l'amendement n° 40 proprement dit, mais des dispositions dont découle cet amendement et qui figurent à l'article 10 ter du projet : c'est la question de savoir - et, à mon avis, la commission mixte paritaire devra bien examiner ce point - si le juge d'instruction ne devient pas également partie à partir du moment où le juge de la détention - ou de la liberté, comme on voudra - rend sa décision sur la base d'une ordonnance motivée du juge d'instruction.
Il me paraît, en effet, y avoir là une confusion de fonctions contraire aux règles posées par la convention européenne et aux principes du droit français.
Cela veut dire, dans l'esprit de notre collègue Robert Badinter comme dans le mien, puisque je partage son opinion, qu'une fois que le juge d'instruction a terminé son travail il transmet sans commentaire son dossier au procureur, et c'est le parquet qui est seul habilité à présenter des réquisitions à un magistrat du siège - le juge de la liberté ou de la détention, comme vous voudrez - sans que soit connue l'opinion du juge d'instruction à qui il reviendra, de toute façon, de poursuivre la procédure d'instruction une fois prise la décision de mettre ou de ne pas mettre en détention.
Non seulement cette confusion des fonctions paraît inconstitutionnelle et pourrait être sanctionnée, le Conseil constitutionnel « flanquant en l'air », s'il est saisi, la totalité ou presque de l'un des articles, tant et si bien que l'on ne pourrait pas mettre la loi en application sans revenir devant le Parlement, mais je me permets d'attirer en outre votre attention, mes chers collègues, sur ce qui restera ensuite de l'autorité du juge d'instruction si, ayant lui-même demandé à son collègue du bureau d'à côté de prononcer la détention, il est désavoué. (M. le rapporteur lève les bras au ciel.)
Eh oui ! Et il continuera l'instruction !
Par conséquent, cette disposition me paraît constitutionnellement condamnable, et même si elle n'a pas d'incidence sur l'opinion que M. Badinter et moi-même avons sur l'amendement n° 40, je me permets d'insister pour que la commission mixte paritaire examine ce point de près, parce qu'il vaudrait mieux éviter la confusion des genres dans un domaine qui touche à la liberté individuelle.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je pense que nous avons beaucoup travaillé aujourd'hui et que nous pouvons peut-être nous accorder un instant de réflexion sur des problèmes dont l'importance a été soulignée, madame le ministre, par l'excellence de votre propos.
Je crois que nous sommes confrontés à une dernière expérience. D'ailleurs - comme vous l'avez noté, je l'avais dit dans mon propos introductif - ce que nous faisons doit réussir, parce que nous ne sommes pas persuadés que les autres systèmes soient meilleurs. Si le système proposé échouait, il faudrait inventer autre chose, et l'invention à laquelle nous devrions nous livrer présenterait peut-être des inconvénients.
Si nous devons réussir, c'est aussi - je rejoins ici l'opinion de M. Robert Badinter - parce qu'un modèle européen va se bâtir. C'est déjà le cas dans de très nombreux domaines. Nous avons noté avec quelque regret que, dans les instances judiciaires européennes notamment, le modèle de rédaction, qui était celui du tribunal administratif ou du Conseil d'Etat à la française, avait été remplacé - mais nous n'y pouvons rien - assez progressivement par un modèle de rédaction du jugement infiniment plus marqué par la technique d'élaboration des jugements britanniques, c'est-à-dire l'énumération des faits, puis des conséquences que l'on en tire. Quand on a la pratique de ces choses, on s'en rend très vite compte.
Il faudrait, en effet, réussir cette dernière expérience, mais - c'est peut-être l'un des éléments de la réussite - sans oublier une obligation du juge. Le juge d'instruction, dans la perception qu'il a de sa mission, oublie trop souvent qu'il doit instruire à charge et à décharge. C'est un danger dans le rôle qui est le sien, car il apparaît, dans un certain nombre de cas, comme marqué d'une certaine partialité et peut-être obnubilé par le légitime souci qu'il a de parvenir à un résultat.
C'est pourquoi je m'étais permis d'exprimer mon étonnement - je le redis maintenant dans la confidentialité de ce débat - en entendant M. François Hollande affirmer, à propos de M. Strauss-Kahn : « Dominique n'aura aucun mal à prouver son innocence. » Eh bien non ! Ce n'est pas à M. Strauss-Kahn de prouver son innoncence, c'est au juge de prouver, le cas échéant - je ne souhaite pas que ce soit le cas - sa culpabilité.
Tel est le système démocratique. En effet, qu'est-ce qu'un système totalitaire ? C'est un système dans lequel on dit à quelqu'un qu'il est un ennemi du peuple. Le malheureux nie, et bien évidemment on lui demande d'apporter des preuves. C'est cela, la justice totalitaire. Dans la mesure où le juge d'instruction oublie d'instruire à décharge, il y a risque non pas de dérapage, mais d'un certain glissement vers un autre modèle de justice qui, fort heureusement, n'a jamais été le nôtre et auquel nous n'avons aucune envie d'aboutir progressivement.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Il est bien difficile pour moi d'intervenir dans un débat aussi technique, à la suite de parlementaires qui sont d'éminents spécialistes du sujet, mais je me permettrai cependant de formuler une ou deux considérations.
M. Pierre Fauchon. Fishing for compliments ! (Sourires.)
M. Alain Vasselle. Tout d'abord, je fais mienne la conclusion des propos que vient de tenir M. le président de la commission des lois. Certes, il est sans doute bon de vanter les mérites de la spécificité française que constitue le juge d'instruction et de faire valoir que les Italiens ou les Britanniques observent peut-être aujourd'hui d'un oeil tout à fait intéressé l'organisation de la justice française, mais j'attends de voir quelle sera l'évolution des systèmes juridiques de ces pays et de quelle manière sera réalisée l'harmonisation européenne.
Cela étant, si l'on veut aller jusqu'au bout de cette logique, il faudra sans doute revoir l'une des dispositions du code pénal visant les délits non intentionnels, qui stipule qu'il appartient à l'accusé d'apporter la preuve de son innocence, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Instaurer l'instruction à charge et à décharge imposerait certainement des aménagements de la loi en ce qui concerne les délits non intentionnels.
Enfin, madame le garde des sceaux, lors de la discussion générale, lorsque j'ai poussé une exclamation à propos de la responsabilité des magistrats, vous m'avez indiqué que vous me répondriez.
Certes, vous avez fait état de l'ensemble du dispositif que vous envisagiez de mettre en place s'agissant de la réforme de la justice, mais je n'ai pas entendu de votre bouche qu'un texte traitant de la responsabilité des magistrats serait soumis au Parlement.
Il est bien de proposer certaines avancées dans l'optique du présent texte visant à apporter des améliorations en ce qui concerne les conditions dans lesquelles les juges d'instruction travaillent, mais ne serait-il pas utile, pour que l'ensemble de la réforme que nous voulons conduire soit menée à son terme, d'examiner toutes les dispositions, notamment le volet relatif à la responsabilité des magistrats ?
En effet, j'ai cru comprendre que l'une des raisons qui avaient motivé le refus du Sénat de se rendre à Versailles pour entériner la réforme du Conseil supérieur de la magistrature était que nous étions d'accord pour réformer la justice, mais à la condition que tous les aspects du problème soient examinés au préalable. Or il manque le volet concernant la responsabilité des magistrats, et l'on ne pourra, à mon avis, se satisfaire de cette réforme que dans la mesure où elle sera complète, auquel cas nous pourrons peut-être vanter avec encore un peu plus de conviction la spécificité française du juge d'instruction.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 40, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 18 ter , ainsi modifié.

(L'article 18 ter est adopté.)

Article 18 quater