Séance du 20 décembre 1999







M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 67, le Gouvernement propose d'insérer, avant l'article 20, un article additionnel ainsi rédigé :
« Aux I et II de l'article 21 de la loi de finances pour 1999 (n° 98-1266 du 30 décembre 1998), l'année "2000" est remplacée par l'année "2001". »
Par amendement n° 74, M. Marini, au nom de la commission, propose d'insérer, avant l'article 20, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Aux I et II de l'article 21 de la loi de finances pour 1999 (n° 98-1266 du 30 décembre 1998), l'année : "2000" est remplacée par l'année : "2001".
« II. - Les pertes de recettes résultant pour l'Etat des dispositions du paragraphe I ci-dessus sont compensées à due concurrence par une hausse des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. le ministre, pour présenter l'amendement n° 67.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Voilà un an, la représentation nationale avait souhaité que l'application des arrêtés Miot relatifs aux droits de succession en Corse donne lieu à une expertise et à un dialogue avec les élus.
Conformément à sa promesse, le Gouvernement a mis en place une commission mixte composée pour moitié de représentants de la collectivité territoriale de Corse et pour moitié de représentants de l'Etat. Cette commission mixte présidée par M. Barilari, inspecteur général des finances, a bien travaillé. Elle s'est réunie à plusieurs reprises et elle a remis le 18 octobre dernier à l'Assemblée nationale et au Sénat un rapport qui, je le crois, est d'une très grande qualité.
Cela étant, les travaux de la commission mixte n'ont pas permis de dégager une solution consensuelle tant sur la question délicate des droits de succession en Corse que sur celle, liée à la précédente, des sorties d'indivision.
L'Assemblée de Corse a été consultée. Elle a souhaité à l'unanimité, dans sa délibération du 2 décembre dernier, que la mesure abrogeant les arrêtés Miot n'entre pas en vigueur dans l'immédiat. Elle a souligné, et je reprends ici ses termes, « l'initiative courageuse du Premier ministre d'ouvrir un dialogue sincère et sans exclusive entre le Gouvernement et les représentants des élus de l'Assemblée de Corse ».
En effet, comme vous le savez, le Premier ministre, accompagné de certains membres du Gouvernement, dont moi-même, a reçu, le 13 décembre dernier, les élus de la Corse. Cette réunion a suscité, je le pense, des réactions positives de la part de ces derniers, et le dialogue ainsi engagé constitue une étape fondamentale. Il sera approfondi dans les mois qui viennent, notamment dans le domaine de la fiscalité, et c'est pourquoi le Gouvernement souhaite reporter d'une année l'application de l'article 21 de la loi de finances de 1999 relatif aux arrêtés Miot. Tel est l'objet de l'amendement qui vous est présenté, mesdames, messieurs les sénateurs.
Il me semble que cet amendement recoupe largement l'amendement n° 74 qui va être défendu dans un instant par la commission des finances. Peut-être M. le rapporteur général pourrait-il retirer celui-ci pour se rallier à l'amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, pour présenter l'amendement n° 74 et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 67.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je me prononcerai d'abord en quelques mots sur la forme, avant de consacrer l'essentiel de mon propos au fond.
S'agissant de la forme, nous avons pu lire dans la presse, le 15 décembre dernier, le compte rendu de la réunion qui s'est tenue à Matignon. Il y était indiqué textuellement que le Gouvernement mettra en place un dispositif permettant aux contribuables corses de ne pas être soumis au régime de droit commun. Or, monsieur le ministre, c'est non pas le Gouvernement, mais le Parlement qui peut mettre en place un tel dispositif. Le raccourci qui a été emprunté est quelque peu condamnable, me semble-t-il, au moins du point de vue de l'équilibre des pouvoirs constitutionnels.
Au demeurant, quelle que soit la désinvolture dont ce procédé témoigne vis-à-vis du Parlement, il faut examiner le fond des choses.
A cet égard, le Sénat, je voudrais le rappeler ici, s'est révélé, lors des débats que nous avons eus sur la loi de finances de 1999, au moins aussi soucieux que l'est le Gouvernement aujourd'hui, c'est-à-dire finalement de façon assez tardive, de tenir compte d'une situation spécifique et quelque peu exceptionnelle liée au contexte insulaire, aux mentalités et aux traditions de la Corse.
En ce qui nous concerne, nous avions, voilà un an, spontanément reporté l'entrée en vigueur de la nouvelle mesure au 1er janvier 2001. Nous étions conscients de la sensibilité du sujet, et c'est le Sénat qui a en quelque sorte « réactivé » la commission mixte chargée de formuler des propositions relatives au régime fiscal de la Corse. Ainsi, l'idée d'avoir recours à cette commission mixte est née au sein de la commission des finances du Sénat, à la suite d'une suggestion des sénateurs de la Corse, Louis-Ferdinand de Rocca Serra et Paul Natali. C'est à eux que revient l'initiative d'avoir réclamé la poursuite de la concertation au sein d'une structure appropriée, à savoir la commission mixte en question.
Il faut donc, puisque ce débat s'inscrit dans le monde méditerranéen, « rendre à César ce qui est à César » (sourires), pour ce qui concerne tant la commission mixte et la poursuite de la concertation que l'entrée en vigueur au 1er janvier 2001 de la mesure évoquée.
Mais l'Assemblée nationale, dans un assaut de vertu égalitariste et jacobine, a durci la disposition déjà rigoureuse qui avait été adoptée par le Sénat. Et un an plus tard, à la suite d'un grand forum, on vient nous demander de refaire ce que nous avions déjà fait. Il aurait mieux valu, sur ce sujet comme sur bien d'autres d'ailleurs, suivre les avis formulés avec calme et pondération, sans impatience en l'occurrence, monsieur le ministre, par la Haute Assemblée.
Par conséquent, l'adoption de l'article 21 de la loi de finances de 1999, qui, pour les successions ouvertes en Corse à compter du 1er janvier 2000, prévoyait des sanctions en cas de défaut de déclaration et fixait les règles d'évaluation des biens immobiliers situés en Corse, allait dans le bon sens, celui d'une prise de conscience, par les Corses, du fait que leur régime ne peut pas rester éternellement en l'état. Ce vote a également permis de relancer la réflexion sur la question de la fiscalité applicable à la Corse.
L'Assemblée de Corse s'est fortement impliquée dans ce débat, puisqu'elle s'est engagée à présenter au Gouvernement, d'ici au 30 juin, des propositions constructives visant à bâtir un statut fiscal de l'île répondant aux aspirations à la justice fiscale et à l'efficacité économique. En contrepartie, dans l'attente de la réforme d'ensemble du statut fiscal de la Corse, elle a demandé la suppression des effets de l'abrogation des arrêtés Miot.
Monsieur le ministre, telles sont les raisons pour lesquelles nous avons souhaité déposer cet amendement au nom de la commission des finances.
J'ajoute que, s'agissant d'une disposition nouvelle qui apparaît dans le cours de la discussion d'un projet de loi de finances, après que la première lecture de celui-ci a eu lieu à l'Assemblée nationale, il est peut-être plus sûr, constitutionnellement parlant, de voter un texte d'origine parlementaire, lequel est au demeurant strictement identique à la proposition que formule le Gouvernement. Je le répète, nous n'avons pas, dans cette maison, d'amour-propre d'auteurs, même si nous aimons que, de temps à autre, on reconnaisse l'antériorité de nos travaux.
Il n'existe donc sur le fond aucun désaccord entre nous. Bien au contraire, nous nous félicitons de voir que vous vous êtes rallié à notre vision des choses mais, sur les plans formel et constitutionnel, peut-être serait-il préférable de retenir l'amendement de la commission plutôt que celui du Gouvernement. Mais après tout, monsieur le ministre, il vous revient d'apprécier cet aspect des choses.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 74 ?
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, je n'ai pas de préférence entre l'amendement du Gouvernement et celui de la commission. Ce qui me paraît important, c'est de déboucher ensemble sur une solution qui soit conforme à la qualité du dialogue que le Gouvernement a noué avec les élus de Corse le 13 décembre dernier.
M. François Trucy. Très bien !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je lève donc le gage de l'amendement n° 74.
M. le président. Il s'agit, en conséquence, de l'amendement n° 74 rectifié, qui est maintenant identique à l'amendement n° 67.
Je vais mettre aux voix les amendements n°s 67 et 74 rectifié.
M. Paul Loridant. Je demande la parole contre les amendements.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Ma conception élevée de la République et la nécessité du respect du principe strict d'égalité m'amènent, quand bien même je serais le seul à agir ainsi dans cet hémicycle, à voter contre ces amendements. Ces textes, en effet, en dépit de la complexité des problèmes corses, portent atteinte à la République et au principe d'égalité. Je voterai donc contre, et je le revendique.
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Rocca Serra.
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis qu'un accord ait pu être trouvé entre la commission des finances et le Gouvernement. Je voterai donc ces amendements, qui se situent dans le droit-fil de ce que le Premier ministre et le Gouvernement ont voulu engager avec les élus de la Corse.
M. le rapporteur général a rappelé très justement que, l'année dernière, nous avions tous deux défendu un amendement visant au report des dispositions jusqu'en 2001. Je ne peux donc que me réjouir que nous parvenions aujourd'hui à un consensus, avec le report d'un an du délai.
M. le Premier ministre a demandé aux Corses de faire preuve de responsabilité. Il en ira ainsi puisque la délibération de l'Assemblée de Corse qui vous a été lue tout à l'heure montre bien que les Corses sont maintenant conscients des problèmes qui se posent à eux et que, dans le cadre du statut fiscal qui sera proposé, les problèmes liés aux droits de succession auront toute leur place.
Je voterai donc ces amendements, qui constituent un geste de sagesse et qui seront unanimement appréciés en Corse. Ils vont dans le sens de la concertation que le Gouvernement a voulu engager et que nous tous, ici, avons, depuis l'année dernière, essayé de mettre en oeuvre.
M. Yves Fréville. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Mon intervention a surtout pour objet d'interroger M. le ministre.
L'année dernière, j'étais de ceux, comme notre collègue Loridant, qui défendaient le principe de l'égalité de tous les citoyens. Je comprends très bien que des nécessités politiques obligent à reporter le délai d'un an ; je le regrette, mais je le comprends.
Je voudrais simplement être certain que le report des obligations déclaratives ne porte que sur les biens immobiliers en Corse ; en d'autres termes, si un contribuable corse a des biens en Corse et en France continentale, reste-t-il soumis à la déclaration pour ses biens situés sur le continent ?
La réponse à cette question déterminera mon vote.
M. Paul Natali. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Natali.
M. Paul Natali. Comme l'ont dit mon collègue Louis-Ferdinand de Rocca Serra, M. le ministre et M. le rapporteur général, la Corse pense aujourd'hui avoir trouvé une voie d'espoir avec M. le Premier ministre.
Je tiens, à titre personnel, à remercier M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui, lors d'une réunion à Bercy et de la table ronde du 13 décembre dernier, a très bien compris le désir des élus corses de revenir à la paix civile, à la non-violence, et de trouver pour la Corse un développement économique, social et culturel.
Nous avons les ingrédients. Lors de la réunion du 13 décembre à Matignon, nous avons bien indiqué à M. le Premier ministre que nous ne venions pas demander de l'argent. Les élus représentants les différentes composantes politiques ont bien compris le message de cette table ronde. A partir de là, il était nécessaire de retarder l'application des droits de succession pour permettre à l'Assemblée de Corse de présenter un projet fiscal qui prendra tout en compte et qui nous permettra peut-être tous ensemble, d'un commun accord, de pouvoir partir du bon pied pour l'avenir de la Corse.
M. Paul Loridant. Dans cinq ans, on en parlera encore !
M. Yann Gaillard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. Je n'irai pas, comme notre collègue M. Loridant, jusqu'à troubler ce concert. Je m'abstiendrai par lassitude.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je tiens à remercier M. le ministre de la grande élégance dont il a fait preuve en levant le gage sur l'amendement n° 74 de la commission, et à inciter bien entendu nos collègues à voter les deux amendements devenus identiques.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'ai été interpellé courtoisement par M. Fréville, qui m'a demandé si les déclarations de succession sur des biens immobiliers présents sur le continent étaient concernés ou pas. En principe, ces derniers doivent être frappés de droits de succession ; mais il n'y aura pas de sanction pour non-dépôt de déclaration entre le 1er janvier 2000 et le 1er janvier 2001.
M. Yves Fréville. Ce n'est pas possible !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous vouliez des précisions, je vous les apporte, monsieur le sénateur.
M. Yves Fréville. Mais c'est impossible !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 67 et 74 rectifié.

(Les amendement sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances rectificative, avant l'article 20.

Article 20