Séance du 10 décembre 1999







M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant la décentralisation.
La parole est à M. le rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Michel Mercier, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons déjà largement abordé, cet après-midi, l'examen des crédits que l'Etat réserve aux collectivités territoriales, ce qui me permettra de limiter mon propos à quelques observations avant de formuler un avis sur ces crédits.
Dans une république décentralisée, les collectivités locales doivent, par essence, pouvoir s'appuyer à la fois sur le dynamisme économique pour pouvoir répondre à la demande sociale et sur les arbitrages que leurs élus dispensent au nom de leur responsabilité politique.
Or l'étude, même superficielle, des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales amène à s'interroger sur des phénomènes certes anciens et récurrents mais qui semblent prendre de plus en plus d'amplitude.
Il apparaît en effet que les ressources des collectivités locales ont de plus en plus tendance à perdre leurs liens avec l'économie. Cette observation nous amènera à nous demander quel est l'avenir de la fiscalité locale et de son corollaire, l'autonomie des collectivités locales, avant de considérer la discussion de cette loi de finances pour proposer à notre assemblée un avis sur les crédits que M. le ministre de l'intérieur soumet à notre délibération.
Les ressources des collectivités locales ont de plus en plus tendance à perdre tout lien avec la réalité de la vie économique. Cela se remarque, tout d'abord, dans les concours ; j'emploie ce terme consacré, même si M. Paul Girod nous a doctement expliqué qu'il fallait en trouver un autre, mais, pour que l'on se comprenne, il vaut mieux, quelquefois, utiliser les mots habituels. Ces concours, donc, sont, me semble-t-il, de plus en plus « administrés », au sens que l'on donne au mot « administré » lorsque l'on parle des « taux administrés » pour les caisses d'épargne, signifiant par là qu'ils n'ont pas de lien avec la réalité économique. Ainsi, au gré des dégrèvements et des compensations législatives diverses, les liens de ces concours avec l'impôt auxquels ils se rapportent se sont de plus en plus distendus.
Je formulerai quelques observations à ce propos.
S'agissant des concours administrés, le Gouvernement dispose de deux méthodes pour les dispenser aux collectivités locales.
La première méthode, c'est l'enveloppe normée, à l'intérieur de laquelle les diverses dotations vivent leur vie administrative normale, si je puis dire, dans le cadre d'une limite calculée de façon administrative, comme nous le verrons.
A l'intérieur de cette enveloppe, la dotation globale de fonctionnement joue un rôle essentiel. C'est le plus important des concours que l'Etat accorde aux collectivités locales : son montant global s'élève à plus de 111 milliards de francs, représentant la contrepartie d'impôts supprimés, tout en étant loin de les compenser.
Il est convenu, aujourd'hui, de distinguer trois taux de croissance de la DGF.
Le premier de ces taux est celui de l'indexation qui ressort des dispositions législatives ; ce taux serait de 2,05 %.
Le deuxième taux est obtenu après recalage et régularisation ; je n'entrerai pas dans le détail de ces deux opérations, je dirai simplement qu'elles aboutissent à un taux d'environ 0,8 %. C'est ce taux que l'Etat va retenir à la fois pour la progression de la DGF, mais aussi comme taux d'indexation de toutes les compensations qui évoluent en même temps que la DGF.
Enfin, le troisième taux prend en compte les abondements hors enveloppe que l'Etat est conduit à accorder chaque année parce que le système de l'enveloppe dite « normée » et du calcul de la DGF a ses limites. Or ces limites sont atteintes et, comme il faut tout de même que les choses fonctionnent, l'Etat abonde.
Trois abondements étaient prévus dans la loi de finances initiale : 500 millions de francs pour la DSU, la dotation de solidarité urbaine, à la suite des engagements pris dans la loi de finances de 1999 ; 500 millions de francs au titre de la loi du 12 juillet 1999 sur le développement de l'intercommunalité et 200 millions de francs au titre de la prise en compte du recensement, ce qui fait au total 1,2 milliard de francs. Nous voyons donc par là les limites mêmes de la DGF.
L'enveloppe normée est-elle encore un bon système ?
Il est permis de se poser la question, même si notre collègue M. Peyronnet nous a expliqué tout à l'heure que c'était bien mieux qu'avant. Ne sera-ce pas moins bien demain ? C'est bien cette question que se posent les élus et les responsables des collectivités locales. En effet, l'histoire n'a pas grand sens en matière fiscale.
Cette année, l'enveloppe normée prend en compte 25 % de la réalité économique, puisque son indexation comprend 25 % de la croissance du PIB. On peut dire que c'est bien, que c'est mieux qu'avant, mais on peut aussi relever que les trois quarts de la croissance du PIB ne sont pas pris en compte pour le calcul de cette enveloppe normée.
Dans la démonstration que j'essaie de faire sur l'éloignement des dotations de l'Etat de la réalité économique, c'est le dernier point que je voudrais rappeler ; même si le taux de progression de 1,475 % de cette enveloppe normée est meilleur que le taux de progression de 0,8 % de la DGF, il n'est pas satisfaisant. Le Gouvernement en a pleinement conscience puisqu'il a de lui-même décidé de nombreux abondements.
On en arrive petit à petit à l'apparition de deux régimes : on a d'abord un régime très administré, qui se traduit par la DGF et l'enveloppe normée, puis, comme ce régime a des limites, s'ensuit tout un système d'abondements. L'Etat abonde en lois de finances initiales ; il abonde au cours de la discussion parlementaire et c'est ainsi qu'apparaît un second régime de financement des collectivités locales. Nous souhaiterions, monsieur le ministre, que vous nous donniez quelques explications sur ce second régime.
Envisagez-vous une pérennisation des abondements ? Auront-ils lieu l'année prochaine ? Si vous instaurez la pérennisation, dites-le-nous ce soir ! Ce sera une avancée très importante qui nous réjouira tous !
Pour ce qui est des compensations et des dégrèvements, leurs liens se distendent de plus en plus avec l'impôt auquel ils se rapportent.
Il faut d'abord noter une réalité : la dépense fiscale de l'Etat en faveur des collectivités locales, compte tenu de la dotation de compensation de la taxe professionnelle, la DCTP, qui en fait partie, représente plus de 100 milliards de francs. C'est donc une masse énorme. La seule taxe professionnelle totalise plus de 61 milliards de francs.
Aujourd'hui, l'Etat paie l'équivalent de 40 % de la taxe professionnelle et de 30 % des quatre taxes locales.
Voilà une observation qui nous amènera dans quelques instants à nous interroger.
Pour l'instant, restons-en aux compensations et aux dégrévements : sont-ils aussi dynamiques que l'impôt auquel ils sont attachés ?
Pour la taxe professionnelle, les bases salaires ont augmenté de 1998 à 1999 de 3 %. La compensation prévue en loi de finances initiale était, comme celle de la DGF, de 0,8 %. Après la discussion budgétaire à l'Assemblée nationale elle atteignait 2,05 %. Bien sûr, 2 %, c'est mieux que 0,8 %, mais si l'on avait vraiment voulu compenser la perte supportée par les collectivités locales, c'est 3 % qu'il aurait fallu prévoir !
Si le Gouvernement a admis une progression de l'indexation pour la part salaire de la taxe professionnelle, pourquoi, monsieur le ministre, ne pas reprendre la même règle pour la compensation du plafonnement des taux des droits de mutation ? Il n'est pas normal que l'indexation de la compensation de la part salaires de la taxe professionnelle soit fixée à 2,05 % et que celle de la compensation des droits de mutation à titre onéreux sur la base 1998 soit fixée à 0,8 % sans que soit pris en compte l'essor économique constaté en 1999.
Vous admettrez que je suis le plus honnête possible puisque je constate que, sous votre Gouvernement, les droits de mutation ont produit en 1999 bien plus qu'en 1998 et que l'indexation de 0,8 % que le Gouvernement prévoit est ridicule à côté de la réalité de l'essor que connaît actuellement l'immobilier.
Si ces compensations ont des liens de plus en plus ténus avec la réalité, il n'en est pas de même pour les dépenses, qui, elles, sont en prise totale avec le réel.
Mme Luc a abordé le délicat problème des sapeurs-pompiers, problème auquel nous sommes tous confrontés. Pour satisfaire les revendications des sapeurs-pompiers professionnel, ce qui engendrera des dépenses, allez-vous mettre sur le dos des collectivités locales une charge nouvelle ou adopterez-vous une autre solution ?
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité vient de décider, sans aucune concertation avec les collectivités locales, d'augmenter les minima sociaux. Sur le fond, il n'y a rien à dire : il n'y a pas de raison que ces minima sociaux n'augmentent pas. Il faut simplement constater que l'augmentation de 2 % du RMI se traduit par une augmentation de 2 % des participations des collectivités locales à cet effort. Il s'agit là d'un réel problème pour les collectivités locales. Mais je n'entrerai pas plus avant dans le détail.
Je voudrais maintenant aborder la question de l'avenir réel de notre fiscalité locale et de son corollaire, l'autonomie des collectivités locales.
Traditionnellement, dans notre pays - et c'est une de ses particularités - le fait de pouvoir voter l'impôt est le signe de l'autonomie des collectivités locales. Mais, après tout, cette autonomie locale ne peut-elle pas trouver à se réaliser ailleurs que dans le vote de l'impôt ?
Nous sommes, en tout cas, confrontés à une réalité : la mise en cause de la fiscalité locale traditionnelle. L'an dernier, ce fut la taxe professionnelle. L'an dernier et cette année encore, ce furent les droits de mutation à titre onéreux. L'année prochaine - M. le ministre des finances l'a annoncé cette semaine à l'Assemblée nationale - ce sera au tour de la taxe d'habitation de faire l'objet d'une réforme.
Il est bien vrai que ces impôts ne sont pas, à proprement parler, des impôts modernes, et qu'ils méritent donc d'être remis en cause ; cela, nous ne le contestons pas.
Cela dit, l'idée selon laquelle il n'est pas possible de remplacer un impôt local est de moins en moins vraie quand c'est l'Etat qui paie en fait 30 % de ce que devrait normalement produire cette fiscalité locale. Car on a bien remplacé une partie de la taxe professionnelle, une partie de la taxe d'habitation et une partie des droits de mutation par de la TVA, de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés.
Dans ces conditions, il faut probablement renouveler le concept de l'autonomie des collectivités locales en matière fiscale. Dès lors que l'on arrive fort bien, chaque année, à remplacer une part de plus en plus grande de la fiscalité locale traditionnelle par une partie du produit d'impôts d'Etat, faut-il véritablement passer par une dotation budgétaire qui n'a pas de lien réel avec le produit constaté de ces impôts ? N'est-il pas temps, monsieur le ministre, de réfléchir à un partage réel de ces impôts d'Etat, modernes ceux-là, acceptés - la TVA, l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés - entre l'Etat et les collectivités locales ?
C'est une question que nous devons nous poser, car la mise en oeuvre de la responsabilité locale suppose que soit maintenu le lien avec l'économie. Autrement dit, lorsque l'économie produit des ressources, les collectivités locales doivent pouvoir en bénéficier, mais, à l'inverse, lorsque l'économie traverse des difficultés, les collectivités locales doivent aussi en subir les conséquences, sans être trop à l'abri de dotations strictement administrées.
Les collectivités locales sont-elles aujourd'hui, comme on le dit parfois, les oubliées de la croissance ? Et d'abord, pourquoi une telle idée est-elle émise ? Probablement parce que le Gouvernement semble vouloir, depuis quelque temps, masquer la réalité des plus-values fiscales encaissées par l'Etat, et aussi parce qu'on a organisé une sorte de concours d'idées pour savoir ce que l'on pourrait bien faire de ces plus-values.
On note, par ailleurs, que les taux de croissance des concours que l'Etat prévoit pour les collectivités locales sont très inférieurs à la réalité de la croissance économique. C'est notamment le cas de la DGF. Honnêtement, cette année le problème de la régularisation négative de la DGF est posé.
Une amélioration très significative a pu cependant être enregistrée à cet égard au cours de la discussion du projet de loi de finances. Force nous est de reconnaître que le Gouvernement, depuis le dépôt de ce projet de loi, a fait des efforts. Vous me permettrez, toutefois, monsieur le ministre, de regretter au passage que les efforts en question aient été répartis de manière quelque peu inégale entre les deux chambres du Parlement.
M. le président. Il vous faut conclure, monsieur le rapporteur spécial.
M. Emmanuel Hamel. Un si remarquable exposé sur des sujets si graves exige un peu de temps, monsieur le président !
M. Jean Chérioux. La solidarité rhodanienne s'exprime ! (Sourires.)
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. Vous m'accorderez certainement quelques secondes de plus, monsieur le président, pour défendre le Sénat.
Devant l'Assemblée nationale, donc, le Gouvernement a accordé 500 millions de francs d'abondements pour la dotation de solidarité urbaine, 250 millions de francs pour la dotation de solidarité rurale, à quoi s'ajoutent - car je tiens à être à la fois honnête et exhaustif - les 400 millions de francs que le Gouvernement prévoit au titre de l'exonération de la taxe d'habitation pour certains contribuables.
Heureusement, monsieur le ministre, vous avez bien voulu rétablir un certain équilibre en accordant tout à l'heure au Sénat 350 millions de francs pour les services départementaux d'incendie et de secours.
Ces abondements sont tout à fait significatifs, mais se pose la question de leur pérennisation.
L'autre problème qui doit être soulevé est celui de l'apparition de deux régimes concernant les transferts financiers de l'Etat vers les collectivités locales. Nous serons heureux de vous entendre sur ce point.
En conclusion, j'indiquerai que cette amélioration très sensible des crédits que votre ministère consacrera aux collectivités locales nous amène à proposer au Sénat de les voter. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a examiné le volet « décentralisation » du projet de loi de finances sous le triple aspect de l'administration territoriale de l'Etat, des finances locales et des enjeux majeurs pour la décentralisation et la démocratie locale.
L'avis approuvé par notre commission évoque en détail les dispositions qui s'y rapportent. Je n'y reviendrai donc pas et me bornerai à évoquer plus particulièrement trois problèmes : le contrat de croissance et de solidarité, les conditions d'exercice des mandats locaux, l'intercommunalité.
L'an 2000 sera la deuxième année d'application du contrat de croissance et de solidarité, qui représente incontestablement un progrès par rapport au pacte de stabilité parce qu'il prend en compte, contrairement à ce dernier, une fraction du taux du PIB : 20 % en 1999, 25 % en 2000.
En fonction d'une enveloppe ainsi normée, notre collègue Michel Mercier vient de le rappeler, une progression de 1,475 % est enregistrée pour l'ensemble des concours de l'Etat. Au sein de cette enveloppe, la DGF connaît cependant une progression de 2,04 % parce que plusieurs abondements extérieurs exceptionnels, hors enveloppe normée, s'y ajoutent, au titre de la DSU, des bourgs-centre, de l'intercommunalité et du recencement.
Ces abondements extérieurs mettent en évidence l'insuffisance de l'indexation actuelle, alors que les collectivités locales, sur lesquelles reposent 75 % des investissements publics, sont en droit d'attendre un juste retour et donc un partage plus équitable des fruits de la croissance. Cela apparaît d'autant plus indispensable qu'elles doivent subir des charges en augmentation dont elles n'ont pas la maîtrise et que la part croissante que prennent les concours de l'Etat par rapport à la fiscalité locale met en péril le principe de la libre administration des collectivités locales et l'avenir - cela vient d'être rappelé - du financement local.
Ma deuxième observation concerne les conditions d'exercice des mandats locaux.
L'action publique locale est de plus en plus entravée et rendue difficile par une complexité excessive, par une inflation normative, par l'imprécision et la prolifération de certains textes, par une technicité accrue, par un environnement juridique incertain.
Ce constat conduit les élus à souhaiter avec insistance une clarification de la responsabilité pénale des élus locaux - vous le savez, monsieur le ministre - et des conditions d'exercice des mandats locaux, de nature à enrayer le découragement de trop d'élus et à susciter des vocations dans tous les milieux professionnels.
M. Emmanuel Hamel. Et dans toutes les classes d'âge !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur pour avis. Toutes les consultations entreprises, toutes les réunions d'élus, le récent congrès de l'Association des maires de France ont démontré qu'il s'agit, en l'occurrence, d'un problème prioritaire et qu'il est urgent d'y trouver une réponse concrète.
Le Sénat sera amené à débattre de la responsabilité pénale dès le mois de janvier, sur la base d'une proposition de loi de M. Fauchon.
Je me bornerai à conclure sur ce point en rappelant que la clarification recherchée ne saurait ressembler ni à la quête d'un privilège ni à celle d'une immunité, les élus responsables de leurs collectivités cherchant simplement à être considérés de la même façon que tous ceux qui, dans d'autres secteurs de la société, excercent des responsabilités.
Ma dernière observation a trait à l'intercommunalité.
La loi du 12 juillet 1999 a été votée au terme d'un long débat. Elle est le fruit d'une large concertation et d'un accord entre les deux assemblées et vous-même, monsieur le ministre. Elle réussit, pour l'essentiel, à concilier les deux principes fondamentaux du libre choix des communes, d'une part, et de la solidarité, notamment financière, d'autre part.
Beaucoup d'initiatives tendant à créer, dans le cadre de la nouvelle loi, de nouvelles communautés d'agglomération et de communes ont déjà été prises. Cependant, quelques questions d'ordre pratique restent posées.
Un certain nombre de décrets d'application n'ont pas encore été publiés. Le seront-ils rapidement ? En effet, des interprétations divergentes sont faites actuellement, selon les préfectures ; il est urgent qu'elles soient harmonisées, et cela en tenant compte au moins autant des réalités du terrain que de considérations théoriques.
Par ailleurs, l'annonce dans la loi de montants de la DGF majorés de 175 francs pour les communautés de communes et de 250 francs pour les communautés d'agglomération ne doit pas induire en erreur. Sont-elles toujours considérées comme des moyens tributaires, en particulier, du coefficient d'intégration fiscale ou comme des minima ? La réponse à cette question est d'autant plus urgente que les services du ministère de finances ne sont pas en mesure de réaliser des simulations précises, que divers organismes, notamment privés, présentent des simulations inexactes et que les nouvelles communautés entrent dans la phase de préparation budgétaire.
Telles sont quelques-unes des observations et questions qui se dégagent de l'avis de la commission des lois. Celle-ci a décidé de s'en remettre, en ce qui concerne la partie « décentralisation » du budget du ministère de l'intérieur, à la sagesse du Sénat, une sagesse, monsieur le ministre, à laquelle je donne, pour ma part, une tonalité résolument positive. (Applaudissements.)
M. Emmanuel Hamel. Sagesse que votre lumière éclaire !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 16 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 14 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'ordre du jour des travaux du Sénat, en ce vendredi 10 décembre, contient des textes très importants pour les collectivités locales : le budget de la décentralisation et le projet de loi relatif aux conséquences du dernier recensement sur les dotations financières des collectivités locales, que nous avons adopté cet après-midi.
Pour ce qui est du budget de la décentralisation, il met en lumière la confusion qui règne dans les décisions du Gouvernement en révélant au grand jour les contradictions entre son discours et ses actes, même si ces derniers sont, pour l'instant, peu probants.
Le discours, c'est celui du Premier ministre, lors des journées parlementaires socialistes à Strasbourg, ou, devant les élus eux-mêmes, au congrès de l'Association des départements de France ou encore au congrès de l'Association des maires de France. Nous sommes sensibles à ce que, dans le droit-fil des lois Defferre, le Premier ministre semble ainsi découvrir la question de la décentralisation tant il ne paraît pas avoir jugé ce dossier prioritaire jusqu'à présent.
Mais que fait, concrètement, le Gouvernement ? Il crée une commission. Une commission de plus, oserais-je dire, au pluralisme de façade. C'est d'ailleurs ce qu'il est désormais convenu d'appeler la « méthode Jospin ». Comme toute commission, celle-ci doit d'abord réfléchir et, ensuite, éventuellement, formuler des propositions.
Pour notre part, nous pensons qu'il est toujours préférable d'être actif, plutôt que de penser trop intensément. D'ailleurs, à combien de bilans ou d'états des lieux de la décentralisation en sommes-nous ? Le Sénat, dans sa vocation à être le représentant des collectivités territoriales, a, quant à lui, anticipé l'action du Gouvernement.
Il a engagé, le premier, la réflexion dans le cadre d'une mission d'information pluraliste sur la décentralisation et le président Poncelet anime les états généraux des élus locaux, dans le souci de proximité des élus et du contact sur le terrain qui a toujours été notre préoccupation première.
M. Jean-Claude Peyronnet. Oh là là !
M. Jean-Claude Carle. Malheureusement, il n'est pas tenu compte de ces démarches. Le Gouvernement n'a pas confiance dans les inititatives des élus de la nation. Serait-ce pour des raisons politiciennes ? (Murmures sur les travées socialistes.) Nous n'oserions le croire, monsieur le ministre. En tout état de cause, la mise en place de cette nouvelle commission fait fi non seulement des travaux du Sénat, dans son ensemble, mais aussi de ceux des associations d'élus telles que l'Association des maires de France, l'Association des départements de France et l'Association des régions de France, qui se sont toujours fortement mobilisées sur ce dossier.
Monsieur le ministre, nous doutons de votre volonté d'engager véritablement la deuxième étape de la décentralisation par des actes concrets.
La commission présidée par Pierre Mauroy devrait rendre ses conclusions au printemps prochain. Le calendrier électoral vous permettra-t-il, alors, de présenter des textes substantiels au Parlement ? Permettez-moi de m'interroger d'autant que, jusqu'à maintenant, le Gouvernement n'a pas manqué de « grignoter », chaque fois qu'il en avait l'occasion, un peu plus du pouvoir concédé aux collectivités locales.
J'en veux pour preuve autant les textes de loi adoptés par votre majorité que l'absence de certaines réformes.
Plusieurs lois, présentées par le Gouvernement depuis deux ans, traduisent, dans les faits, le retour de l'Etat jacobin et vident nos collectivités de leur substance. Je prendrai deux séries d'exemples.
Premièrement, les collectivités territoriales sont de plus en plus privées de leur capacité à percevoir et à définir l'impôt pour être mises en situation de plus grande dépendance de l'Etat, pour les dotations comme pour les compensations. J'en veux pour preuve, d'une part, la réforme de la taxe professionnelle, qui s'est traduite par un mécanisme de compensation de l'Etat aux collectivités territoriales, dans une logique centralisatrice ; d'autre part, la suppression des parts régionales et départementales des droits de mutation, qui limite l'autonomie des départements et des régions.
Deuxièmement, le Gouvernement se livre à une recentralisation de la politique de proximité.
Par exemple, la loi sur la CMU, la couverture maladie universelle, a supprimé les contingents communaux d'aide sociale et la compétence de gestion de l'aide médicale des départements. Concrètement, ce qui a été supprimé, c'est l'action de proximité assurée par les élus et adaptée aux besoins.
Par ailleurs, il est clair que l'absence de réformes dans certains domaines ne répond pas aux attentes des collectivités territoriales.
Quand sera présenté au Parlement le projet de loi relatif aux interventions économiques des collectivités territoriales ? Ce texte permettrait d'aborder le problème du développement économique, et donc de l'emploi, d'une autre façon que les mesures uniformes, autoritaires, complexes de Mme Aubry. Le partenariat et la proximité décupleraient, en effet, l'efficacité de ces mesures.
Au sujet de la responsabilité pénale, il a fallu toute la mobilisation des élus et la multiplication des procédures judiciaires pour que le Gouvernement prenne conscience des réalités. Ce ne sont pas seulement les statistiques qui importent, mais leur perception : le malaise est profond chez les élus du fait des conséquences psychologiques et politiques d'une mise en cause, qu'elle soit ou non suivie d'une condamnation. C'est d'ailleurs à l'initiative du Sénat que sera débattu un texte sur cette question, en janvier prochain.
A cette occasion, monsieur le ministre, accepterez-vous la possibilité de mettre en cause la personne morale de la collectivité locale, et non l'élu, lorsqu'il n'y a pas faute intentionnelle, comme le souhaitent la plupart des maires ? Car, sans vouloir une justice d'exception, il faut réconforter nos élus et nos concitoyens pour qu'ils s'engagent davantage dans la vie politique, M. Hoeffel l'a très bien rappelé il y a quelques instants.
De même, allez-vous établir un véritable statut de l'élu qui ne se limite pas à quelques dispositions ponctuelles au détour d'un texte, mais qui traite des problèmes matériels, de formation, de retour à l'emploi ; car, monsieur le ministre, c'est la représentation même de notre démocratie qui est en cause ? Nous devons permettre l'égal accès de tous les citoyens à la vie publique. Or ce n'est pas le cas actuellement, car nos assemblées sont majoritairement composées de femmes et d'hommes de qualité, certes, mais issus de la fonction publique, car ils sont mieux protégés que d'autres si leur mandat prend fin prématurément.
Par ailleurs, comment s'étonner que, du fait de la composition même du Parlement, des distorsions existent entre les textes et la réalité ? Comment s'étonner des dysfonctionnements qui en découlent et des difficultés à régler certains problèmes, d'ordre économique en particulier ?
Au risque de choquer, monsieur le ministre, sommes-nous encore aujourd'hui dans une démocratie représentative ? Je pose la question. Il convient, au-delà de nos différences politiques, d'y apporter remède sinon, demain, seuls les fonctionnaires, les retraités et les rentiers auront accès à la vie publique. C'est tout aussi urgent et important que la parité.
Nous assistons donc, touche par touche, texte par texte, à une recentralisation et à un renforcement des prérogatives de l'Etat, au détriment de la libre administration des collectivités locales : la décentralisation est progressivement transformée en un vain mot.
A l'opposé, la logique de la décentralisation doit être une logique de subsidiarité, de la base vers le haut, reflétant la participation active de tous à la « chose publique » et à la prise de décision - l'Etat n'intervenant que pour garantir un équilibre, global et juste. La décentralisation n'est pas un état figé où les collectivités locales dépendent du bon vouloir de l'Etat. Cette logique comporte deux conséquences majeures.
D'une part, il n'y a pas de décentralisation sans réforme de l'Etat. Monsieur le ministre, je suis un ferme partisan de la décentralisation, non pas pour des raisons idéologiques, mais par réalisme. L'effet de levier est évident, et je vous en donne un exemple : sur 17 milliards de francs consacrés aux lycées rhône-alpins, la région a engagé 11 milliards de francs sur ses fonds propres. Sans ces politiques particulières contractualisées, jamais l'Etat n'aurait, seul, fourni un tel effort.
D'autre part, la décentralisation doit instaurer la coopération entre les élus et les représentants de l'Etat, tout en préservant l'indépendance de chacun.
Ainsi, si la décentralisation signifie le partenariat et la proximité, elle implique aussi un Etat fort ; ce n'est pas contradictoire, parce qu'il doit s'agir d'un Etat qui assume ses responsabilités et qui, au lieu de se mêler de tout, sache aussi déléguer à d'autres, mieux placés que lui, des tâches que, du fait de l'évolution de notre société, il ne peut plus assurer.
Notre société a, en effet, évolué très rapidement. L'instantanéité de l'information oblige à la réactivité et à la souplesse. Les entreprises l'ont bien compris. Celles qui ne l'ont pas intégré ne sont plus là. Seul, le tandem administration-politique se refuse à voir les choses en face. Il nous faut passer d'une démocratie descendante à une démocratie ascendante : ce serait la grande force de la France.
Mais nous nous rendons compte, aujourd'hui, que la logique du Gouvernement est tout autre. Elle se résume en deux formules : pas de réforme de l'Etat et diviser pour régner, c'est-à-dire favoriser une compétition inutile entre les collectivités territoriales au détriment de l'affirmation de leur responsabilité et de la coopération. Il est, à ce titre, remarquable de revenir sur les conditions de négociation des futurs contrats de plan.
Plus encore que les moyens, c'est le contenu même des contrats de plan dont il convient de débattre. Sont-ils encore des éléments structurants des territoires ou sont-ils un catalogue à la Prévert ? Ainsi, en multipliant les intervenants dans le cadre de ces contrats, vous avez multiplié les rivalités en une course aux subventions qui ne fait que renforcer les pouvoirs du préfet de région.
Ces incohérences entre les paroles et les actes, que je viens de dénoncer, et le démarrage, plus que poussif, de la deuxième étape de la décentralisation se révèlent pleinement dans le budget qui nous est soumis.
Je ne retiendrai que deux points pour illustrer ces propos.
Tout d'abord, l'amélioration des dotations initialement prévues par le Gouvernement, grâce aux amendements votés par le Sénat en première partie de la loi de finances, n'est qu'un sursaut du Gouvernement face à la détermination des élus pour assurer un meilleur partage des fruits de la croissance. Mais il ne s'agit là que de hausses ponctuelles pour l'an 2000, sans aucune garantie de reconduction pour l'avenir.
Ensuite, la question de l'autonomie fiscale se pose aujourd'hui avec acuité. Les rapporteurs de l'Assemblée nationale issus de votre majorité, MM. Dosière et Saumade, en ont d'ailleurs fait ouvertement état dans leurs rapports. Je suis, à ce sujet, convaincu qu'il faut arrêter l'intégration des finances locales et garantir aux collectivités territoriales leur capacité à lever l'impôt : c'est le gage de leur indépendance et du respect du principe de libre administration.
Dans ces conditions, et je rejoins là ce que j'ai dit précédemment, nous devons passer d'une démocratie centralisée à une démocratie plus proche des hommes, qui se fonde sur les valeurs de partenariat et de proximité, d'une démocratie descendante à une démocratie ascendante ; l'évolution de notre société l'exige.
La politique menée par le Gouvernement ne répond pas à ces objectifs, pas plus que votre projet de budget, monsieur le ministre. C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants ne le votera pas.
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, entre le rapport de l'observatoire des finances locales et les nombreuses prises de position des élus locaux s'alarmant de la situation de leurs collectivités, il y a un fossé important.
Certes, le constat dressé dans le rapport est juste. Le contexte a été amélioré, en partie grâce aux lois de finances de 1998 et de 1999, et également parce que les collectivités ont pu bénéficier, compte tenu de la conjoncture, d'un réaménagement de leurs dettes et de conditions favorables pour les emprunts récents.
La loi de finances pour 1999 a permis aux collectivités locales, avec l'instauration du pacte de croissance et de solidarité, de bénéficier plus fortement des fruits de la croissance.
L'Association des maires de France note que, si nous en étions restés à l'ancien pacte de stabilité, les budgets des collectivités auraient encore été amputés de 3,7 milliards de francs.
Il y a donc un mieux, mais il ne résout pas pour autant les problèmes financiers des collectivités.
Le chômage, la précarité, la violence sont autant de difficultés supplémentaires à gérer pour les collectivités locales, qui voient également monter en puissance un certain nombre de contraintes auxquelles elles devront se plier au prix souvent de lourds investissements, comme pour les travaux d'eau et d'assainissement, l'élimination des déchets ou la protection de l'environnement.
Il nous faut aussi tenir compte des conditions dans lesquelles se réaliseront la souhaitable pérennisation des emplois-jeunes et l'application des 35 heures dans la fonction publique qui ne peuvent, ni l'une ni l'autre, reposer sur les seules épaules communales.
Ces deux derniers défis relèvent d'une priorité : l'emploi. Cette priorité a d'ailleurs motivé l'une des réformes principales de la loi de finances pour 1999, à savoir la suppression progressive de la part salaires dans l'assiette de la taxe professionnelle.
Nous avons, à la mi-octobre, pris connaissance, dans le rapport remis au Parlement par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, des répercussions de la réforme sur l'emploi. Mais le rapport est muet sur le parallèle que nous aurions souhaité voir mis en avant entre le coût de la réforme et l'utilisation qu'en font les entreprises.
En effet, la simple suppression progressive de la part salaires peut produire des effets contraires à ceux qui sont recherchés, le surplus de profits induit par cette suppression pouvant être affecté à des placements financiers au détriment des actifs physiques et matériels.
C'est la raison pour laquelle, tout en soutenant la réforme, les parlementaires communistes auraient souhaité élargir l'assiette de la taxe professionnelle aux actifs financiers.
La question de la pérennité de la taxe professionnelle et de l'autonomie fiscale des collectivités locales reste, par conséquent, en suspens, et nous le regrettons.
Si les lois de décentralisation en ont posé fortement le principe, force est de constater que l'autonomie des collectivités territoriales n'est pas effective, eu égard aux moyens financiers dont elles disposent et à leur provenance.
Plus de 50 % des recettes des collectivités proviennent de l'Etat, et il ne se profile pas, dans les différentes réformes, de changement en la matière.
Globalement, la part des impôts locaux est en baisse, alors que les dotations d'Etat ne recouvrent qu'une partie de ce qu'elles devraient compenser.
J'en veux pour exemple la dotation de compensation de la taxe professionnelle, la DCTP, qui devrait compenser aux collectivités locales l'abattement généralisé de 16 %, la compensation du plafonnement des taux de la taxe professionnelle et, depuis l'an dernier, de celle qui est liée à la suppression progressive de la part salaires.
Aujourd'hui, on est loin du compte. Cette année encore, la DCTP aurait dû être réduite de 700 millions de francs, si l'examen du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale n'avait pas permis d'améliorer le dispositif de compensation de la suppression de la base salaires de la taxe professionnelle, en modifiant le taux d'évolution de la dotation globale de fonctionnement.
Le projet de loi de finances pour 2000 intègre les majorations exceptionnelles prévues pour trois ans en loi de finances initiale de 1999, tant pour la dotation de solidarité urbaine que pour la dotation de solidarité rurale.
Un effort supplémentaire est réalisé pour favoriser la mise en place de coopérations intercommunales.
En outre, l'examen du texte par les deux chambres du Parlement a permis l'adoption d'autres mesures favorables aux finances locales.
Au total, les majorations votées en 1999 ajoutées à celles qui sont contenues dans le présent projet de loi de finances s'élèvent à deux milliards de francs. Ces majorations doivent cependant être relativisées, eu égard au montant global des dotations qui avoisinent les 160 milliards de francs, hors fiscalité transférée, et à la baisse de plus de 7 milliards de francs du montant global de l'enveloppe normée.
Cette baisse résulte essentiellement de l'application des mesures votées dans le cadre de la couverture maladie universelle - 8 milliards de francs sur la dotation générale de décentralisation - due aux transferts des contingents d'aide sociale des communes vers les départements.
Ce transfert nécessitera d'être étudié de plus près du point de vue financier, car certaines communes vont, une fois de plus, être, hélas ! les grandes perdantes de cette avancée sociale pour nos compatriotes, ce qui reste primordial.
Nous attendons également une réforme d'ampleur de la taxe d'habitation, qui reste une charge importante pour nos compatriotes, alors qu'elle est l'un des impôts les plus injustes qui soit.
Cela dit, nous nous félicitons de la mise en place de la mission commune d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer les améliorations de nature à faciliter l'exercice des compétences locales. Nous espérons vivement qu'elle aboutira à des réformes ambitieuses, en ce qui concerne tant le niveau financier que les compétences et attributions des collectivités.
La décentralisation doit être rénovée et modernisée. Le Gouvernement a mis cet objectif au coeur de ses préoccupations, comme en témoignent de nombreux projets de loi.
Nous apprécions, monsieur le ministre, l'effort consacré cette année par l'Etat aux collectivités, et donc la prise en compte d'une partie non négligeable des demandes des élus locaux. Nous nous en félicitons et nous approuvons donc ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans revenir sur l'architecture générale du plan budgétaire relatif à la décentralisation, je souhaiterais aborder trois points : d'abord, l'oubli, certes relatif, des collectivités par le Gouvernement ; ensuite, les insuffisances du système de financement local ; enfin, les diverses tentatives de remise en cause du processus de décentralisation, remise en cause qu'il nous est, bien sûr, difficile d'accepter.
Après bientôt vingt ans d'application, les responsables locaux tiennent toujours - et peut-être de plus en plus, car tous ne les avaient pas acceptés en 1982 - aux principes adoptés à ce moment-là et regrettent tous le manque de moyens dont souffrent les collectivités.
Le budget que vous nous présentez, monsieur le ministre, constitue effectivement un effort de la part du Gouvernement à l'égard des collectivités. En effet, les dotations aux collectivités locales prévues dans le projet initial élaboré par votre ministère s'élèvent, hors fiscalité transférée, à 291,14 milliards de francs, soit une progression de 2,67 %. La DGF augmentera de 0,82 %. Je voudrais faire remarquer - et peut-être cela n'est-il pas assez dit - que les collectivités territoriales représentent 70 % de l'investissement public civil de notre pays, contre 30 % pour l'Etat. Or, le moins que l'on puisse dire, c'est que les concours de l'Etat qu'elles reçoivent en retour ne sont pas proportionnels. D'ailleurs, notre collègue Hoeffel, dans son rapport sur la décentralisation, a écrit que « les collectivités locales sont les oubliées du partage des fruits de la croissance ». Cette phrase est toujours d'actualité en 1999.
Le processus de décentralisation se traduit par le transfert de compétences de l'Etat à des institutions juridiquement distinctes de lui, bénéficiant de l'autonomie de gestion. En fait, la décentralisation ne peut être effective - je me reporte au manuel de référence de droit administratif - que si trois conditions existent : d'abord, la personnalité juridique de l'institution décentralisée, exigence satisfaite depuis 1982 ; ensuite, l'indépendance des autorités décentralisées entraînant l'élection des équipes locales, cette condition est également satisfaite ; enfin - et j'attire votre attention sur ce point - « la disposition de moyens suffisants », c'est-à-dire le fait que les autorités disposent des moyens techniques et financiers leur permettant d'exercer, selon leurs vues, les pouvoirs dont elles sont investies. On peut en ce sens regretter que le budget pour 2000 ne marque pas un effort assez important en faveur des collectivités, alors que la situation de la France - tout au moins, c'est ce que l'on nous dit constamment ; on parle même d'une cagnotte cachée - est sous le signe de la croissance.
On peut également déplorer, même si votre budget n'est pas le seul en cause, que les moyens transférés à l'échelon local ne soient pas toujours à la hauteur des compétences transférées. Si, pour les transferts de compétence classiques, des règles claires sont établies pour les transferts financiers, pour d'autres secteurs, le moins que l'on puisse dire c'est qu'une clarification importante s'impose, qu'il s'agisse, entre autres domaines, des établissements scolaires et des routes. Il est donc indispensable de clarifier les relations entre l'Etat et les collectivités.
Parallèlement et d'une manière plus générale - l'actuel Gouvernement n'est pas le seul responsable - la part croissante des dotations dans l'ensemble des ressources des collectivités doit être critiquée.
D'abord, le système est complexe. Certes, il trouve sa justification dans la volonté d'opérer une péréquation, à savoir un rééquilibrage entre les collectivités, la décentralisation, monsieur le ministre, étant surtout synonyme de liberté, et nous devons nous en souvenir. Toutefois, une rénovation du système existant s'impose.
Comme vous l'avez dit vous-même à plusieurs reprises, le système fiscal actuel, pour sa part, est totalement inadapté. J'ajouterai qu'il est obsolète, rigide, et ne rend pas compte de la réalité des collectivités. Pourtant, la fiscalité locale est le fondement du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales : elle doit être préservée. M. le rapporteur a longuement évoqué ce point tout à l'heure ; je souscris à son propos.
Le bilan du système des ressources locales est donc négatif, alors que les responsables locaux, pour leur part, ont des responsabilités de plus en plus grandes, qu'ils ne peuvent refuser d'assumer. Nous avons, sur le plan municipal, des responsabilités de plus en plus importantes dans les domaines de la santé, de l'enseignement supérieur, des routes, de la sécurité.
On est donc tenté de souhaiter une remise à plat du système de financement local. Le Gouvernement a d'ailleurs conscience du problème ; mais, alors que l'Etat a tendance à prendre de plus en plus en charge le financement des collectivités, notamment la fiscalité locale, par des procédés divers, comme le dégrèvement ou les compensations, on doit en tout état de cause éviter de remplacer la fiscalité locale par une généralisation des dotations, car cela représente, sans le dire, une étatisation au mépris des principes décentralisateurs de 1982. En vérité, l'accomplissement de la décentralisation est subordonné à la détention de moyens propres de financements suffisants, c'est-à-dire, je le répète, à une réforme adéquate de la fiscalité locale.
Certains élus sont tentés de solliciter, dans le cadre de leur activité, l'aval du représentant de l'Etat pour les actes administratifs qu'ils soumettent au vote de leurs collègues.
Un certain nombre d'initiatives prises ici ou là tendent à remettre en cause le système de contrôle actuel des actes des collectivités locales. Si nombre de responsables locaux se trouvent dans une situation inconfortable en voyant certains de leurs actes attaqués devant le juge, il paraît peu opportun, à mes yeux, de modifier le contrôle existant, en faisant intervenir notamment, comme cela est parfois proposé, le préfet, symbole du processus de déconcentration.
Depuis 1982, les collectivités territoriales peuvent s'administrer librement dans le cadre des lois. C'est un changement notable par rapport à l'époque antérieure, qui était celle du contrôle a priori et du contrôle d'opportunité. Certes, la décentralisation a entraîné des dérives, les juridictions sanctionnant d'ailleurs un certain nombre d'actes illégaux.
Pourtant, c'est la simple conséquence de l'exercice de la liberté de gestion. On peut naturellement comprendre aisément que les responsables locaux confrontés à une législation de plus en plus complexe, à une multiplication des recours juridictionnels, demandent au législateur une meilleure protection légale. Néanmoins, les représentants de la nation doivent se souvenir des efforts qui ont été faits en 1982 pour donner aux collectivités cette liberté, inhérente à l'efficacité.
Aussi, alors que le Parlement doit permettre aux élus locaux d'être placés dans une position moins dangereuse, en évitant la mise en cause de leur responsabilité pénale d'une manière trop générale, il ne doit en aucun cas leur lier de nouveau les mains, liens que la loi a rompu en 1982.
Il est au demeurant possible de proposer en ce sens un système d'assistance juridique aux responsables locaux.
J'en viens à un sujet dont on parle souvent et que je tiens à évoquer : le fonctionnement des chambres régionales des comptes. Celles-ci devraient pouvoir donner des avis aux collectivités. Or, vous le savez, ce n'est pas le cas de toutes les chambres régionales des comptes.
Je me permettrai de vous citer ce qui m'est arrivé lorsque j'ai été élu maire. Il était de tradition dans ma commune d'offrir aux retraités une prime par l'intermédiaire du comité d'action sociale du personnel. J'ai demandé au président de la chambre régionale des comptes si cela était légal. Il m'a répondu : ce n'est pas à moi de vous le dire ; vous agissez comme vous l'entendez, je suis là pour vous contrôler. Quelques années après, le président a changé et lui m'a indiqué que c'était illégal et qu'il était préférable de l'inclure dans les salaires. Il s'agit de deux attitudes différentes. Il n'est pas normal que les chambres régionales des comptes ne puissent, à la demande des maires qui sollicitent leur point de vue sur une délibération, exprimer un conseil...
M. Lucien Lanier. Très juste !
M. André Vallet. ... car un maire, un élu, ne peut pas tout connaître. Je ne comprends pas que l'on puisse répondre : agissez et après nous sanctionnerons.
Ainsi, et pour conclure, le principe de la décentralisation entraîne de facto une responsabilité réelle des élus locaux : le contrôle de leurs actes ne peut être qu'un contrôle de légalité, a posteriori, juridictionnel.
Si, après vingt ans, le processus de la décentralisation s'essouffle, on ne doit en aucun cas le stopper. Il faut plutôt poursuivre dans cette voie, en évitant les dérives.
Pour ces différentes raisons, je tiens, en rendant hommage aux parlementaires qui ont rédigé des rapports tendant à faire un bilan du processus de la décentralisation, à mettre l'accent sur l'utilité de ces travaux, qui permettent au Sénat d'être réellement la voix des collectivités locales et de compléter l'action du Gouvernement.
Le chantier reste ouvert, et nous serons très attentifs aux travaux de la commission de décentralisation que vous avez mise en place, monsieur le ministre. J'ose espérer qu'un large débat sera organisé dans cette assemblée lorsqu'elle aura remis ses conclusions. (Applaudissements sur les travées du RPR. - MM. les rapporteurs applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget de la décentralisation sera, comme celui de la sécurité civile, voté sans difficulté par le groupe socialiste. Ce disant, j'ai évidemment conscience que le suspense n'était pas insoutenable !
Je crois qu'une bonne progression des concours de l'Etat est, comme MM. les rapporteurs l'ont souligné, la preuve de l'efficacité du contrat de croissance et de solidarité, en tout cas de sa supériorité par rapport au pacte de stabilité du gouvernement précédent, qui ne tenait pas compte des fruits de la croissance.
Cela étant, on peut toujours se plaindre... On peut aussi affirmer, comme l'ont fait certains orateurs, que les collectivités sont les grandes oubliées de la croissance. Cela est pourtant moins vrai aujourd'hui que cela ne l'était avant 1997. Il est vrai également que l'enveloppe dite « normée » ne progresse que d'un peu plus de 1,5 %, mais ce pourcentage est tout de même deux fois supérieur au taux de l'inflation. En outre, des concours complémentaires ont été prévus, notamment à la suite de l'examen par l'Assemblée nationale de ce projet de budget.
On peut donc critiquer cette politique des « petites boîtes », il reste que, au total, la DGF progresse de plus de 2 %, et c'est tout de même ce qui compte. Je sais bien que, comme l'indiquent les rapporteurs, en tout cas dans leurs écrits, nous subissons sans maîtrise la progression de masses salariales déjà souvent élevées, et que le pire est à venir avec le passage aux 35 heures et la pérennisation des emplois-jeunes. Je sais aussi que l'Etat nous impose, de fait, un certain nombre de charges que, c'est le moins que l'on puisse dire, nous n'avons pas souhaitées. Il n'en demeure pas moins que l'effort du Gouvernement en faveur des collectivités locales est appréciable.
Je n'entrerai pas dans le détail d'un projet de budget qui a été parfaitement analysé par nos excellents rapporteurs, dont je ne partage pas toutes les conclusions, même si j'approuve nombre d'entre elles, notamment celles qui ont trait aux droits de mutation et à l'absence de prise en compte, dans la compensation, de la croissance très forte enregistrée en 1999. Je me bornerai donc à aborder des questions qui me semblent d'importance.
Mon propos, qui se limitera à quelques brèves remarques, portera ainsi essentiellement sur la fiscalité locale et sur sa nécessaire évolution.
Je voudrais d'abord dire que c'est par un véritable abus de langage que l'on parle encore de poursuite de la réforme de la fiscalité locale. De quelle réforme s'agit-il ? Même les bases de calcul de ces impôts n'ont pas été revues.
La dernière ébauche de réforme fut, à la fin de 1992, la tentative, avortée, de lier la part départementale de la taxe d'habitation au revenu. Pour le reste, nous avons assisté à de simples suppressions ou allégements, que l'on ne peut pas contester : il est en effet normal que l'Etat essaie de jouer sur des leviers économiques puissants, comme le sont certains impôts, par exemple la taxe professionnelle - cela est sans doute moins vrai pour les droits de mutation. Mais il demeure que ces allégements sont compensés par des dotations de l'Etat. Ce n'est donc pas une réforme, c'est un retour de la tutelle.
C'est en tout cas ce que je pensais dire avant que M. Carle n'intervienne d'une façon tellement excessive que j'ai envie de retirer cette formule. Disons donc que c'est un risque de retour de la tutelle.
On m'objectera que, dans d'autres pays européens, les collectivités locales ne lèvent pas d'impôt local. Cependant, il arrive qu'elles perçoivent l'impôt national. En tout état de cause, on ne peut comparer la France à ses voisins européens. L'histoire de notre pays fait que toute réduction de la capacité de fixation de l'impôt par les collectivités locales ne peut être perçue que comme une recentralisation.
Pourtant, nous arrivons à un stade où le poids des dotations de l'Etat dans le financement des collectivités amène à poser réellement le problème de l'avenir des finances locales, moins d'ailleurs en termes de volume qu'en termes de bases. Sur quelles bases les futures ressources fiscales locales seront-elles assises ? C'est une question de fond, la première à se poser si l'on veut réaliser une vraie réforme. A cet égard, je pense que la commission présidée par Pierre Mauroy pourra peut-être, quoi qu'en pense M. Carle, faire progresser la réflexion sur ce problème.
La solution du partage, qui a été évoquée par M. Mercier, est sans doute acceptable, pour autant qu'elle soit négociée et que l'évolution soit parallèle à celle de la ressource d'Etat, avec d'ailleurs tous les risques que cela comporte. Il demeure malgré tout que le métier de président d'exécutif local serait très différent de ce qu'il est actuellement s'il consistait à gérer une enveloppe sur laquelle cet exécutif n'aurait plus la moindre prise. Si telle doit être la solution retenue, je me félicite d'arriver au terme de ma carrière ! (Sourires.)
En complément à cette remarque, je formulerai maintenant quelques observations sur des points auxquels il me semble que nous ne sommes pas assez attentifs.
Tout d'abord, pourquoi le Parlement continue-t-il impertubablement à réactualiser les bases ? Puisque nous sommes dans le fictif, dans le virtuel, assumons cette situation. Certes, je comprends que l'on infléchisse l'évolution de ces bases selon celle de la richesse nationale, mais, en appliquant de façon uniforme une réactualisation dite « légale », on aboutit à des effets pervers. En effet, on reproduit à l'infini un système qui restera toujours complètement déconnecté de la réalité tant qu'il n'y aura pas eu de réactualisation effective - et j'ai cru comprendre que ce n'était pas pour demain !
Par ailleurs, ce faisant, on réactualise seulement les bases de la fiscalité des ménages. Par conséquent, toute évolution uniforme des taux dans telle ou telle collectivité - et la liaison des taux incite à une évolution uniforme - se traduit mécaniquement par une pression fiscale plus forte sur les ménages qu'elle ne l'est sur les entreprises.
Enfin, a-t-on mesuré le fait que, en compensant automatiquement les allégements décidés par l'Etat sans tenir compte des différences de taux, on pénalise de fait les collectivités les plus vertueuses pratiquant les taux les plus bas ?
Par exemple, supposons que, dans mon département, le taux sur le foncier non bâti soit de 19 %, tandis que, dans un département voisin, il est de 40 %, la suppression de la part départementale de la taxe sur le foncier non bâti s'est faite sur ces bases. Instruit par l'expérience, et si j'en avais l'audace, ma collectivité pratiquant un taux de taxe d'habitation peu élevé, je devrais, en bonne logique, ayant entendu parler d'une suppression partielle de la taxe d'habitation l'année prochaine, en augmenter cette année le taux de 50 %, quitte à compenser l'augmentation de recettes correspondante par une baisse du prix de la vignette automobile ou du taux d'un autre impôt, la taxe sur le foncier bâti par exemple. Ainsi, l'Etat m'attribuerait 50 % de plus que ce que je perçois actuellement, et je rétablirais l'équilibre actuel dans un an ou deux. C'est un bon raisonnement, n'est-ce pas ? Toute réforme à venir devra s'attacher à résoudre ce problème.
Revenant à mon point de départ et abandonnant les perspectives de réformes que j'évoquais, je vous confirme, monsieur le ministre, que mon groupe votera à l'unanimité les crédits de la décentralisation. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Haut.
M. Claude Haut. Après mon collègue et ami Jean-Claude Peyronnet, je souhaite, monsieur le ministre, vous faire part de quelques réflexions personnelles, mais aussi de celles du groupe socialiste du Sénat, à propos, tout à la fois, de votre projet de budget et de notre conception de la décentralisation.
Votre projet de budget, monsieur le ministre, est plutôt satisfaisant pour les collectivités locales, n'en déplaise à certains.
Tout d'abord, l'application mécanique du contrat de croissance et de solidarité mis en place par le gouvernement de Lionel Jospin conduit à une augmentation globale de 2,67 % des ressources attribuées par l'Etat aux collectivités locales, ce qui est largement supérieur au taux d'inflation prévu et nous change donc agréablement du pacte de stabilité qui entraînait une stagnation du montant des aides de l'Etat à nos collectivités. Cela a déjà été dit à plusieurs reprises mais mérite, malgré tout, d'être répété. Par ailleurs, nous avons, ici même, suffisamment milité pour que soit prise en compte dans le calcul du montant de ces aides tout ou partie de la croissance économique pour ne pas nous féliciter de ce changement, qui se confirmera dans les années à venir.
A ce stade, il faut rappeler que, avec 800 milliards de francs d'investissements par an, les collectivités locales participent elles aussi très largement à la dynamisation de notre croissance économique et donc aux bons résultats dont le Gouvernement peut légitimement se targuer en matière de lutte contre le chômage.
Pour en revenir aux dotations, si la DGF progresse de façon limitée, nous avons noté avec satisfaction que, par rapport au projet de loi de finances initial, la discussion budgétaire à l'Assemblée nationale a permis une majoration des crédits dévolus à la dotation de solidarité urbaine et à la dotation de solidarité rurale.
Par ailleurs, la loi du 12 juillet 1999 prévoit la création d'un fonds de 500 millions de francs destiné à financer les nouvelles communautés d'agglomération.
Enfin, je traiterai d'un sujet majeur et récurrent de préoccupation pour les élus locaux : je veux parler de l'avenir de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL. Nous notons avec intérêt que le Gouvernement a décidé de prévoir un effort équitable et partagé entre l'Etat et les collectivités locales, avec l'objectif louable de rétablir l'équilibre de la CNRACL en deux ans.
Certes, le taux de cotisation des employeurs augmentera de 0,5 % en 2000 et en 2001, mais l'Etat apportera, pour sa part, 3 milliards de francs en deux ans, abaissant de huit points sur la même durée le taux d'appel de la surcompensation imposée à la CNRACL, le taux de cotisation des salariés demeurant pour sa part constant.
Dans ce domaine, j'ai le sentiment que la période des expédients aux effets temporaires est, enfin, terminée. Sur ce point, nous attendons de l'Etat qu'il trouve un moyen de financer les régimes de retraites déficitaires sans avoir recours en permanence à la capacité de financement de la CNRACL et sans en faire peser la charge sur le budget des collectivités locales et des hôpitaux. C'est du moins dans cette voie qu'il faudra essayer de s'engager.
Mais, au-delà des statistiques et des précisions chiffrées, je souhaite vous faire part, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours de cette discussion budgétaire, de notre conception de la décentralisation et de la façon dont nous nous devons d'en aborder la deuxième phase, tant attendue depuis les grandes lois de 1982 et de 1983.
L'occasion nous en est donnée par la mise en place par le Premier ministre d'une commission de réflexion sur l'avenir de la décentralisation que présidera notre collègue Pierre Mauroy. Elle regroupe l'ensemble des associations d'élus et sera chargée de formuler des propositions novatrices en matière d'amélioration et de simplification de notre système d'administration territoriale.
Qu'il me soit donc permis de résumer rapidement ce que nous sommes légitimement en droit d'attendre de cette deuxième phase de décentralisation pour notre pays : il faudra, clarifier, simplifier, démocratiser.
Clarifier, cela signifie mettre un peu d'ordre dans cet imbroglio et ce dédale que constituent pour un maire - et je ne parlerai même pas ici du citoyen - nos blocs de compétences dans les différents niveaux de collectivités. Il s'agit de mettre fin à certaines aberrations et aussi, probablement, de dégager un chef de file pour chaque grand projet, afin de mettre un terme à ce que je qualifierai de « syndrome du labyrinthe ».
Il faut simplifier : là encore, il est inutile d'aborder le faux débat du trop grand nombre de niveaux de notre administration territoriale, car c'est le meilleur moyen de figer les choses en l'état. En revanche, la coopération intercommunale, que nous souhaitons volontaire et sans contraintes inutiles, en un mot telle qu'elle est conçue dans votre loi du 12 juillet 1999, monsieur le ministre, me paraît être le moyen le plus adéquat pour aller vers plus de rationalité et donc d'efficacité en matière de gestion locale. N'en doutons pas, j'ai le sentiment que cette loi peut provoquer une véritable révolution dans notre paysage institutionnel.
Il faut démocratiser. Je rappelle à cet égard que la loi du 2 mars 1982 faisait explicitement référence aux droits et libertés des collectivités locales. Il faut donc rapprocher partout les lieux de décision du citoyen. Démocratiser, cela signifie aussi permettre à tous d'exercer un mandat local. A cet égard, force est de constater que nous sommes encore loin du compte et qu'il s'agit donc de mettre fin à une situation ni juste ni acceptable, en mettant en oeuvre sans tarder la nécessaire modernisation des conditions d'exercice du mandat local ; l'attente des élus, tout particulièrement des maires, est forte à cet égard, monsieur le ministre, comme l'ont montré tour à tour les assises de l'association des petites villes de France et, plus récemment, le congrès de l'association des maires de France.
Enfin, monsieur le ministre, comment n'aborderai-je pas, même si cela a déjà été excellemment développé par mon ami Jean-Claude Peyronnet, le système de fiscalité locale et la difficulté extrême de le réformer ? On note tout d'abord l'importance du prélèvement que l'Etat opère en matière de fiscalité locale : le quart de la fiscalité locale - 120 milliards de francs - est actuellement pris en charge par l'Etat, et il semble que l'on s'oriente, à brève échéance, vers le tiers. Cela pose légitimement problème. Pour autant, j'admets qu'il sera très difficile de contrarier cette tendance sans mettre un coup d'arrêt aux dispositifs de solidarité et de péréquation, car il ne faut pas que la décentralisation réintroduise un système de féodalité. La décentralisation que nous voulons repose tout à la fois sur l'efficacité et la solidarité. Nous y veillerons.
Voilà, monsieur le ministre, quelques réflexions que je voulais esquisser rapidement devant vous en matière d'avenir de la décentralisation. Vous nous trouverez toujours avec vous pour contribuer à la nécessaire modernisation de notre pays et de notre système d'administration locale.
Si nous ne souhaitons pas nous enliser dans la confusion des missions et des compétences, ni dans des dépenses publiques injustifiées, la nouvelle décentralisation peut constituer une chance formidable qui, avec la croissance retrouvée, permettra l'exercice de responsabilités nouvelles au niveau local. C'est là un enjeu majeur de la décennie à venir. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à l'heure tardive, ou plutôt matinale, qu'il est déjà, je m'efforcerai d'aller à l'essentiel.
Avant de parler de ce grand sujet qu'est la décentralisation, j'aimerais vous dire quelques mots de la réforme de l'Etat qui est au coeur de l'action du ministère de l'intérieur.
Comme vous le savez, le Gouvernement a décidé de donner un nouvel élan à la coordination des services déconcentrés de l'Etat. J'ai entendu M. Carle déplorer que les contrats de plan Etat-région se soient présentés comme une sorte de catalogue. Je lui rappellerai quand même que ces contrats de plan Etat-région, pour une enveloppe de 120 milliards de francs, vont permettre de programmer le développement du pays, certes très largement sur la lancée d'un certain nombre d'orientations antérieures, mais aussi avec des inflexions notables en faveur, par exemple, des transports, notamment ferroviaires, de l'enseignement supérieur, de la ville, de l'environnement. On peut bien sûr regretter qu'ils aient été négociés avant même l'adoption des schémas de service. Mais nous en tiendrons compte. Et j'ajoute que, au-delà, de l'enveloppe des contrats de plan Etat-région, il y a les projets hors contrats de plan qui sont eux-même structurants.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. C'est un comité interministériel du 13 juillet 1999 qui a donné sa marque définitive à la réforme de l'Etat. Deux décrets en date du 20 octobre dernier en ont acté les conséquences ; un projet territorial de l'Etat, qui sera à la fois un outil de gestion et un document de référence, traduira les politiques nationales et l'interministérialité sur le terrain. Il sera un cadre de référence commun pour l'ensemble des services et conférera ainsi une meilleure lisibilité, une plus grande cohérence dans le temps à la conduite de l'action administrative.
Après diverses expériences menées dans le Doubs, l'Indre-et-Loire, le Cantal, un guide méthodologique de nos préfets est le repère nécessaire pour engager cette démarche qui sera généralisée dans le courant de l'année 2000.
Parallèlement - mais cela va de pair avec le projet territorial - le ministère de l'intérieur s'est engagé dans la voie d'une contractualisation avec le ministère du budget. Moyennant une réduction très modérée des moyens de fonctionnement, le ministère du budget a accepté de ne procéder à aucun gel de crédits ni d'emplois, ni à aucune annulation.
En même temps, la globalisation des crédits pour trois ans a été testée dans quatre préfectures : celles du Doubs, du Finistère, de l'Isère et de la Seine-Maritime. Les préfectures recevront une délégation globale de l'ensemble de leurs moyens de personnels et de fonctionnement sur un nouveau chapitre 37-20. Il s'agit là d'une étape capitale dans le processus de déconcentration de l'Etat, qui conduira les préfectures à réaliser des réformes de structure et de procédure indispensables. Je considère que les préfectures sont véritablement la colonne vertébrale de l'Etat. Leur modernisation doit être menée, avec, notamment, l'introduction de nouvelles technologies et le développement de téléprocédures, par exemple pour les cartes grises des véhicules neufs. Cela ne va naturellement pas sans l'association des personnels, pour lesquels des mesures indemnitaires ont été prévues à hauteur de 15 millions de francs.
L'informatique autorise le développement des échanges et le partage des données entre les services de l'Etat au sein de systèmes d'information territoriaux qui existent déjà dans vingt départements et qui seront également généralisés avant la fin de l'année 2000.
Le programme de câblage de toutes les préfectures s'achèvera avant la fin de l'an prochain ; la priorité se portera ensuite sur les sous-préfectures.
Les moyens réservés à l'investissement immobilier croissent de 20 %. Les projets retenus correspondent aux priorités du ministère : amélioration de l'accueil du public, renforcement de la sécurité, adaptation du réseau des sous-préfectures d'Ile-de-France aux évolutions démographiques, désimbrication des services préfectoraux et des services des départements lorsque cela reste à accomplir. Il s'agit donc de forger un outil resserré mais cohérent, déconcentré, avec des services agissant à l'unisson dans le cadre de collèges de services présidés par les préfets.
Nous célébrerons l'an prochain le bicentenaire du corps préfectoral. Je tiens à dire que cette institution montre tous les jours sa capacité d'adaptation, son esprit à la fois résolu et pragmatique, et je tiens à rendre hommage à l'ensemble des personnels des préfectures qui sont sollicités, comme vous le savez, pour des tâches extrêmement diverses : je n'évoquerai pas la régularisation des étrangers et la gratuité de la carte nationale d'identité ; bien d'autres tâches encore leur incombent, tâches qui les placent au coeur de la vie de nos départements.
Mais j'en reviens au grand sujet que vous avez abordé, mesdames, messieurs les sénateurs : je parle évidemment de la décentralisation et des dotations aux collectivités.
Le Gouvernement a manifesté depuis plus de deux ans sa volonté d'offrir aux collectivités locales des moyens financiers à la hauteur des défis qu'elles doivent relever.
La loi sur l'intercommunalité du 10 juillet 1999 leur offre des outils qui font à mon avis la preuve de leur caractère performant, puisque plus de trente communautés d'agglomération se seront constituées à l'horizon du 1er janvier prochain sur la base de projets solides et structurés. Evidemment, il reste beaucoup à faire pour que les projets d'agglomération prennent une forme définitive. Mais le préalable était à mon sens la constitution d'un pouvoir d'agglomération. Il faut naturellement le faire dans les conditions que j'évoquais tout à l'heure en répondant à Mme Luc, c'est-à-dire avec le souci de la négociation, d'une mise en oeuvre concertée, empreinte de tact et du sens de l'intérêt général.
M. Hoeffel a posé le problème des décrets d'application de la loi sur l'intercommunalité. Il y en a treize, dont deux vont être publiés dans les tout prochains jours : le premier sur les délégations de signature des directeurs d'établissement public de coopération intercommunale, le second sur les commissions départementales de coopération intercommunale permettant notamment des formations restreintes.
Actuellement en cours d'examen au Conseil d'Etat, les autres décrets devraient être publiés entre la fin de l'année et le début de l'année prochaine, à l'exception du décret qui concerne la suppression des ordonnateurs secondaires du Centre national de la fonction publique territoriale et qui fait l'objet d'une discussion avec cet établissement.
Les collectivités territoriales bénéficient désormais d'une part de la croissance qui va en augmentant. Je ne reviendrai pas sur ce que vous avez dit abondamment : le contrat de croissance et de solidarité augmentera au total, en l'an 2000, non seulement de 2,4 milliards de francs, c'est-à-dire conformément à l'inflation prévue, mais aussi sur la base d'une part de 25 % de la croissance.
Mais, comme vous le savez, le Gouvernement entend aller au-delà de la stricte application de ces accords pour tirer les conséquences du résultat du recensement quant à la dotation globale de fonctionnement. Le Parlement a donc été saisi d'un projet de loi que le Sénat a voté cet après-midi, non sans adopter, parallèlement, des amendements, dont certains - d'ailleurs en nombre assez important - ont recueilli l'accord du Gouvernement.
Comme vous le savez aussi, d'autres mesures sont intervenues : la dotation d'aménagement a été abondée de 200 millions de francs et la DSU, outre la consolidation de 500 millions de francs, a été encore augmentée de 500 millions de francs.
J'ajoute que la dotation de solidarité rurale pour les bourgs-centres a elle aussi été renforcée. La compensation de la part salariale de la taxe professionnelle a été indexée sur le taux de DGF avant régularisation négative, soit 2,05 % au lieu de 0,82 %, ce qui représente un effort global d'un peu plus de 4 milliards de francs allant au-delà des promesses et des engagements de l'Etat.
On peut dire, comme M. Hoeffel, que ces mesures ne sont ni très lisibles ni prévisibles. Mais ne vaut-il pas mieux qu'il en soit ainsi et qu'il s'agisse de mesures favorables aux collectivités locales ? Le débat aurait d'ailleurs été moins consensuel dans le cas inverse ! (Sourires.)
Le Gouvernement a également décidé de remédier à la dégradation des comptes de la CNRACL, conformément au voeu émis en juillet par le comité des finances locales.
La cotisation de surcompensation sera réduite de quatre points au 1er janvier, ce qui aboutit à mettre à la charge de l'Etat un milliard de francs supplémentaires ; l'opération sera renouvelée en 2001.
Parallèlement, les cotisations employeurs des collectivités locales et des établissements hospitaliers seront majorées au 1er janvier de 0,5 point, ce qui représente pour les collectivités locales un effort de 550 millions de francs.
Je tiens à souligner, mesdames, messieurs les sénateurs, que c'est la première fois qu'un Gouvernement, en diminuant le taux de la surcompensation de 38 % à 30 %, renverse aussi fondamentalement la tendance de ces dernières années.
Plusieurs d'entre vous - vos excellents rapporteurs MM. Michel Mercier et Daniel Hoeffel notamment, ainsi que d'autres intervenants - ont soulevé un certain nombre de problèmes qui sont réels.
Il est vrai que notre système a sûrement un peu vieilli. Peut-être faut-il imaginer de grandes réformes ? M. Michel Mercier a esquissé un certain nombre d'orientations, et je pense que la commission de décentralisation, dans laquelle de nombreux sénateurs siègent - MM. Daniel Hoeffel, Michel Mercier, Jean-Claude Peyronnet et d'autres encore - pourra réaliser un travail important pour que la décentralisation soit plus légitime, plus efficace et plus solidaire, comme l'a souhaité M. le Premier ministre.
La décentralisation doit être plus légitime, car il nous faut des élus qui soient représentatifs de la population. Elle doit être plus efficace, car notre système financier local est devenu très complexe dans la mesure où il poursuit trop d'objectifs à la fois. Elle doit enfin être plus solidaire, la péréquation et la correction des inégalités devant occuper plus de place.
Or sur un montant total de transferts de 291 milliards de francs, 15 milliards de francs seulement sont consacrés à la péréquation. Il y a là sûrement du pain sur la planche ! Je ne doute pas que, à travers ses représentants au sein de la commission de décentralisation, le Sénat nous permettra d'avancer et de dégager les grandes lignes de ce qu'il faudra faire dans les prochaines années.
Je tiens à remercier tous les orateurs qui ont apporté leur soutien au projet de budget du ministère de l'intérieur - MM. Peyronnet, Duffour et Haut - ainsi que les membres des commissions qui ont émis un avis de sagesse, une sagesse à connotation positive. J'ai bien retenu les propos de M. Hoeffel. Je tiens à souligner la qualité des rapports du Sénat qui sont tous très instructifs, y compris pour le ministre que je suis. (Sourires.) Le souhait de voir le Sénat se prononcer en fonction de cette sagesse prouve que la Haute Assemblée est sensible aux avancées que le projet comporte.
Nous pourrons mettre en oeuvre la politique de réforme et de modernisation dans laquelle nous sommes engagés pour l'administration territoriale et pour les relations avec les collectivités locales. Bien entendu, je n'oublie pas l'autre domaine que nous avons évoqué tout à l'heure et qui a trait à la sécurité de proximité notamment, et à la sécurité civile.
Pour conclure, je voudrais dire à Mme Luc que j'avais proposé au début de cette année, à travers un rapport confié à M. Gosselin, conseiller d'Etat, que le régime de travail des sapeurs-pompiers puisse être harmonisé.
La charge de travail est d'ailleurs très variable, même au sein d'un même département : dans les Yvelines, par exemple, le nombre de jours de travail est de 100 à Versailles et de 140 à Rambouillet. Il faut donc aborder ces problèmes avec un esprit de responsabilité.
Le rapport Gosselin ayant été rejeté par le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, je m'en suis remis au principe de libre administration des collectivités territoriales. Si un accord se dessine entre les présidents de CASDIS et les syndicats, le Gouvernement ne manquera pas de l'entériner. Mais il faut que cette discussion ait lieu et se poursuive sur ce problème, comme sur d'autres que vous avez évoqués.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je crois pouvoir dire que ces budgets tiennent très largement compte des soucis que vous avez exprimés à maintes reprises. Je vous demande, si vous le voulez bien, de le manifester en l'approuvant. (Applaudissements.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant l'intérieur et la décentralisation et figurant aux états B et C.
Je rappelle au Sénat que les crédits affectés à la sécurité ont été examinés cet après-midi.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 603 694 841 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.

(Les crédits sont adoptés.)
M. le président. « Titre IV : moins 3 582 304 140 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.

(Les crédits sont adoptés.)

ÉTAT C

M. le président. « Titre V. - Autorisations de programme : 1 698 000 000 francs ;
« Crédits de paiement : 422 100 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre V.

(Les crédits sont adoptés.)
M. le président. « Titre VI. - Autorisations de programme : 11 302 681 000 francs ;
« Crédits de paiement : 6 504 489 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre VI.

(Les crédits sont adoptés.)
M. le président. Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant l'intérieur et la décentralisation.

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