Séance du 10 décembre 1999






SÉCURITÉ

M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant la sécurité.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. André Vallet, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la partie du budget du ministère de l'intérieur et de la décentralisation que je suis chargé de vous rapporter concerne les dépenses relatives à la sécurité publique et civile, d'une part, aux administrations centrales et territoriales, d'autre part.
Si la police mobilise à elle seule plus de la moitié de ce budget, celui-ci finance aussi les actions de sécurité civile et les dépenses de l'administration du ministère de l'intérieur tant au niveau central qu'à celui des préfectures.
Le montant des crédits prévus pour l'an 2000 est de 54,7 milliards de francs contre 53,2 en 1999, soit une augmentation de 1,5 milliard, c'est-à-dire environ 3 %.
Vous trouverez dans mon rapport écrit la description des grandes masses de ce budget qui, par ordre d'importance, seront les suivantes en l'an 2000 : 30 milliards pour la police ; 17 milliards pour l'administration générale - dont 13,9 milliards pour les pensions et allocations servies à l'ensemble des personnels du ministère ; 6,5 milliards pour l'administration territoriale et, enfin, 1,3 milliard au titre de la sécurité civile.
Les dépenses de personnel représentent 80 % de ce projet de budget, mais moins de 30 % pour la sécurité civile, qui fait ainsi figure d'exception, l'équipement et la maintenance des moyens aériens de lutte contre les incendies y occupant une place importante.
Le pourcentage d'augmentation de ce projet de budget est trois fois supérieur à celui du projet de budget général et il permet, grâce à une bonne maîtrise de ses dépenses de reconduction, de consacrer 600 millions de francs au financement de mesures nouvelles.
La progression des crédits s'accompagne, en effet, d'efforts de gestion et d'économies, et demeure relativement modérée en comparaison d'autres dotations privilégiées, telles que celles des ministères de l'environnement et de l'emploi qui augmentent, respectivement, de 8,6 % et 4,3 %.
En consacrant plus de la moitié de ses dépenses et de ses mesures nouvelles à la police, ce projet de budget vise à répondre aux attentes des Français, dont l'une des préoccupations majeures est, avec le chômage, la sécurité. Je vous en donne acte, monsieur le ministre.
Je souhaite que soit poursuivie, au-delà du projet de budget actuel, l'oeuvre de rénovation de la police qui consiste à adapter cette dernière aux changements auxquels elle est confrontée : évolution de la délinquance, de sa localisation, de ses formes et de ses auteurs, avec une concentration dans des zones particulières, l'apparition de nombreux délits informatiques, le développement des infractions commises par des mineurs.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de m'attarder quelques instants sur ce douloureux problème.
En 1999, la justice a été saisie de 126 700 procédures pénales, soit une augmentation de 33 % depuis 1995. Le moins que l'on puisse dire, monsieur le ministre, est que le Gouvernement ne suit pas toutes vos demandes... En effet, vous aviez réclamé 50 centres de placement immédiat, nous en sommes à 2 ! Vous aviez demandé l'ouverture de 100 centres éducatifs renforcés ; 19 seulement sont en activité ! La réhabilitation des quartiers de mineurs dans les prisons tarde à voir le jour, alors que le nombre des jeunes détenus a quasiment doublé en cinq ans ; 4 030 en 1998 contre 2 247 en 1993.
Monsieur le ministre, l'impunité des mineurs provoque, chez les policiers que j'ai longuement entendus, chez les victimes et la population un profond désarroi. Permettez-moi de souhaiter que le Gouvernement y attache une attention prioritaire. Je tenais à vous dire que nous sommes nombreux à avoir apprécié vos propos sévères à l'encontre des « sauvageons » qui empoisonnent la vie quotidienne de nos concitoyens. Je souhaite que vos collègues du Gouvernement en prennent conscience et transforment quelques sourires railleurs en volonté d'extirper ce phénomène, hélas ! grandissant. La question des effectifs est d'autant plus délicate à régler que les forces de l'ordre vont être confrontées à un véritable choc démographique, dans les cinq ans à venir, avec le départ à la retraite des générations Marcellin : 24 000 policiers, soit un quart des effectifs, sont concernés.
Pour parer à cette situation, vous avez prévu plusieurs types de mesures.
Des recrutements de gardiens de la paix, tout d'abord, ont été effectués ; ils ont concerné 6 131 personnes en 1999, dont un surnombre transitoire de 1 664 agents.
Il est procédé à des repyramidages qui consistent en une déflation des corps de niveau hiérarchique supérieur au profit d'un étoffement des effectifs à la base : 469 emplois de gardiens de la paix seront ainsi créés en l'an 2000.
Des incitations indemnitaires appropriées, dont vous trouverez le détail dans mon rapport écrit, tendent par ailleurs à freiner les départs anticipés à la retraite.
A ce propos, monsieur le ministre, on l'a évoqué tout à l'heure pour les pompiers, vous paraît-il sage de laisser partir en retraite des fonctionnaires, policiers, aujourd'hui et, si j'en crois la presse, pompiers demain, s'ils occupent après leur départ en retraite une fonction de sécurité dans le secteur privé ?
Des redéploiements d'effectifs sont permis par une meilleure coordination des forces de police et de gendarmerie, et par la suppression de tâches indues, administratives ou autres, imposées aux policiers. De ce point de vue, je regrette, monsieur le ministre - et je suis persuadé que vous le regrettez avec moi -, alors que la loi de janvier 1995 avait prévu la création de 5 000 emplois administratifs pour soulager de ces tâches les policiers, que 1 130 emplois seulement aient été créés. Vous n'avez pas atteint l'objectif qui était fixé par cette loi et nous sommes donc loin du compte ! Des unités mobiles sont « fidélisées », c'est-à-dire cantonnées dans des zones sensibles.
Enfin, des aménagements d'horaires, ou la rémunération des repos compensateurs, peuvent permettre d'améliorer la disponibilité des forces de l'ordre.
Par ailleurs, pour aider les agents titulaires dans l'accomplissement de certaines tâches, réduire le sentiment d'insécurité et remédier à la suppression progressive des auxiliaires appelés du contingent, par suite de la professionnalisation des armées, il sera procédé au recrutement de 4 150 adjoints de sécurité en 2000, ce qui devrait porter leur effectif total à 20 000.
Je suis loin d'approuver la politique générale du Gouvernement, mais comment ne pas être d'accord avec M. Jospin lorsqu'il dit : « la sécurité est un droit, l'insécurité est une inégalité sociale » ?
Ces mesures, qui ne prêtent guère à contestation, s'inscrivent dans la continuité des politiques menées les années précédentes, en conformité notamment avec les lignes tracées par la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995.
Le concept de police de proximité tend, toutefois, non seulement à mieux faire correspondre les implantations des forces de l'ordre à la carte de la délinquance, mais aussi à rapprocher la police de la population. La proximité recherchée est donc à la fois géographique, sociologique et relationnelle.
Ce budget prévoit donc un renforcement des effectifs, d'une part, et une modernisation des méthodes et des moyens, d'autre part, avec un effort particulier de formation, le développement de la police scientifique - qui bénéficiera, nous venons d'en prendre conscience à la lecture de votre budget, de 100 nouveaux emplois en 2000 - et l'amélioration des transmissions et de l'équipement informatique.
A ce propos, je souhaiterais évoquer le programme d'automatisation des communications radioélectriques opérationnelles de la police nationale, ACROPOL. Tant le déploiement du réseau que l'informatisation des mains courantes des commissariats s'effectuent à un rythme qui nous semble bien lent. En effet, on annonce une couverture totale du territoire pour l'année 2008 seulement. Il est vrai que la consommation annuelle des crédits de paiement qui y sont affectés est limitée à 400 millions de francs, ce qui paraît insuffisant.
La sécurité des Français, c'est aussi la sécurité civile.
Ce budget permet tout d'abord de poursuivre dans d'assez bonnes conditions, mais le travail est immense, la modernisation du déminage. Dois-je rappeler que, lors de la construction du TGV Nord, on a extrait une tonne de munitions par kilomètre ? Si j'en crois les spécialistes de la sécurité civile, il faudrait, au rythme actuel, plus de deux siècles pour régler le problème des mines dans notre pays !
Vous vous êtes efforcé de faire face aux conséquences de la professionnalisation des unités d'intervention et d'instruction, et de la disparition progressive des appelés au sein des brigades de sapeurs-pompiers de Paris et de Marseille. Je dois noter comme une avancée forte le fait que vous vouliez vous occuper de la situation particulière des marins-pompiers de Marseille. Mais je ne reviens pas sur le débat que vous avez eu tout à l'heure avec le maire de cette ville.
Concernant, enfin, les moyens aériens, le régime indemnitaire des pilotes d'avion et d'hélicoptère a été revalorisé, à la suite des conflits sociaux exceptionnels de l'été dernier, et le contrat de location d'un avion Hercules C 130 pourra être prolongé.
Après l'amélioration de la sécurité, surtout policière, la modernisation des services centraux et territoriaux du ministère constitue la deuxième priorité de ce budget.
Il s'agit notamment de la gestion des crédits, tout d'abord, avec une expérience de globalisation de la gestion de la dotation budgétaire déconcentrée de quatre préfectures qui donne lieu à la création d'un nouveau chapitre.
Sur le plan informatique, par ailleurs, les crédits obtenus devraient permettre de finir de câbler toutes les préfectures et de les mettre en réseau avec l'administration centrale et les autres services déconcentrés de l'Etat. Le développement des téléprocédures permettant de faciliter l'accomplissement de certaines formalités - comme l'obtention de cartes grises - par les usagers des services publics sera poursuivi.
Les conditions d'accueil du public dans les préfectures devraient, enfin, être améliorées, grâce, notamment, à un certain nombre de travaux immobiliers.
J'en viens, maintenant, à mes principales observations.
La mise en oeuvre d'une police de proximité, qui correspond à un concept nouveau, constitue la principale orientation de la politique gouvernementale en matière de sécurité pour les prochaines années. Elle semble d'autant plus nécessaire que les statistiques publiées par votre ministère nous laissent de plus en plus sceptiques, statistiques qui sont parfois en contradiction avec d'autres études menées par d'autres ministères.
Les enquêtes internes du ministère de l'éducation nationale témoignent d'une très nette aggravation du sentiment d'insécurité chez les professeurs. Il en va de même en ce qui concerne les usagers des transports publics, tant à Paris qu'en province, selon des données du ministère des transports.
Les actes de violence urbaine, recensés par vos services, augmentent de façon très inquiétante, s'agissant notamment de bagarres entre bandes rivales.
Selon une récente enquête de l'INSEE, beaucoup de cambriolages, beaucoup de vols, une majorité d'actes de vandalisme et, surtout, d'atteintes aux personnes, notamment sous la forme d'insultes, ne sont même pas déclarés à la police ni enregistrés par elle.
La police de proximité est une police territorialisée, responsabilisée et partenariale, dont les maîtres mots, outre le terme « proximité », sont « anticipation » - des troubles à l'ordre public - et « dialogue » - avec la population et les élus. C'est aussi, je l'ai dit, une police qui est davantage à l'image de la population par son recrutement, pour être plus à son écoute.
Le passage du concept à la réalité de la police de proximité repose sur un certain nombre de mesures d'accompagnement et sur deux instruments qui sont les contrats locaux de sécurité et les adjoints de sécurité.
S'agissant des premiers, je souhaite qu'ils aboutissent, en se généralisant, à une meilleure concertation avec les élus et à une amélioration de l'accueil du public, et que les diagnostics de sécurité et les plans d'action prévus soient perfectionnés.
Concernant les adjoints de sécurité, je souhaite qu'une attention particulière soit accordée à la sélection, à la formation et à l'encadrement de ces nouvelles recrues, d'autant qu'elles sont parfois dotées d'armes de service, et que seulement celles qui le méritent soient intégrées dans la police nationale.
Avec l'instauration d'une police de proximité, votre principale préoccupation, monsieur le ministre, tient, bien sûr, au départ à la retraite des « générations Marcellin », au sujet duquel nous souhaiterions être rassurés. Les remplacements ont-ils été programmés et lissés ? La qualité des recrutements sera-t-elle maintenue et leur nombre suffisant ?
Je constate, par ailleurs, la nécessité d'une meilleure coordination entre la police et la justice, dont témoignent les problèmes de reconduite aux frontières d'immigrés en situation illégale et d'impunité de délinquants mineurs. On pourrait également évoquer les insuffisances de la coopération entre la police et la gendarmerie, notamment, bien entendu, en Corse.
Les réponses de vos services à mon questionnaire budgétaire font état, en outre, de diverses insuffisances concernant l'efficacité des SGAP - secrétariats généraux pour l'administration de la police -, l'informatique de contrôle de la police de l'air et des frontières, la coopération en matière de sécurité avec les pays du Maghreb ou le déficit structurel des capacités de logement des CRS.
S'agissant, ensuite, des services de l'administration centrale et territoriale, le poids des dépenses informatiques est particulièrement lourd : plus de 600 millions de francs. Il n'existe pas encore de plan d'ensemble de localisation des implantations du ministère et l'audit, qui paraît nécessaire, du patrimoine immobilier préfectoral tarde à être réalisé.
Concernant, enfin, la sécurité civile, les revendications des pompiers professionnels, le coût des services d'incendie et de secours, les difficultés de leur départementalisation - elle sera améliorée par l'amendement que nous avons voté tout à l'heure -, l'indisponibilité pour formation professionnelle des agents concernés sont des problèmes auxquels se heurtent tous les élus locaux.
Je pense que vous reviendrez dans ce débat, monsieur le ministre, sur votre suggestion de mise à l'étude de l'attribution d'une dotation d'équipement spécifique ; nous aimerions en connaître le détail et les conditions d'attribution aux départements.
Mais le problème des conséquences financières pour les collectivités territoriales de la satisfaction éventuelle des revendications des sapeurs-pompiers professionnels, en matière d'indemnité, de déroulement de carrière et de retraite, demeure, en tout état de cause, préoccupant si ces revendications sont prises exclusivement en charge par les collectivités locales.
La maintenance et le renouvellement des moyens aériens de lutte contre les incendies rencontrent aussi parfois quelques difficultés. Je pense notamment aux retards de livraison de nouveaux hélicoptères ou à la remotorisation, différée, du dernier Tracker.
Les inondations tragiques du mois de novembre dernier, dans le sud de la France, ont démontré, par ailleurs, à la fois l'efficacité des secours et l'insuffisance de la prévention.
Cette dernière, qui met en jeu la responsabilité et l'autorité de l'Etat, peut nécessiter des investissements lourds de sa part et suppose, vous en conviendrez, un dialogue avec les élus. Je me demande, de ce point de vue, s'il est judicieux d'avoir chargé le ministère de l'environnement de la prévention des inondations - celle des incendies relevant du ministère de l'agriculture - et si la répartition des tâches entre les différents services de l'Etat est la meilleure possible. En tout état de cause, les déclarations de Mme Voynet à l'encontre des élus locaux étaient, pour le moins, inopportunes et ont été mal ressenties dans cette assemblée.
Un autre grave problème, outre celui du nombre insuffisant de plans de prévention des risques naturels prévisibles, est lié à l'urbanisation anarchique qui a précédé, dans les zones exposées, l'élaboration de la politique actuelle de prévention.
Concernant enfin les risques technologiques et le nucléaire, je note, dans l'une des réponses à mon questionnaire budgétaire, qu'une réflexion est en cours sur les dispositifs d'alerte et d'information des populations, qui, c'est votre ministère qui l'écrit, « ne paraissent plus adaptés ». Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Même si ce budget correspond, pour partie, à la forte demande des Français d'amélioration des problèmes de sécurité, certaines questions - je pense à la délinquance des mineurs, aux moyens modernes à affecter à la police, aux insuffisances de la sécurité civile - paraissent ne pas être traitées comme nous le souhaiterions.
En conclusion, la commission des finances a décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat quant au vote des crédits de votre ministère. Pour ma part, cette sagesse sera bienveillante.
M. le président. Mes chers collègues, à la demande de M. le ministre, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à dix-neuf heures dix.)