Séance du 8 décembre 1999







M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant l'outre-mer.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Henri Torre, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de budget sur lequel nous sommes aujourd'hui appelés à nous prononcer intervient dans un contexte particulier, celui de la perspective de la future loi d'orientation pour l'outre-mer.
A l'heure à laquelle nous parlons, le projet de loi n'a pas encore été rendu public. En tout cas, la commission des finances du Sénat n'en a pas été destinataire. Pourtant, nous sentons bien que, si le budget qui nous est soumis se contente de reconduire l'existant et, si le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne comportent aucune disposition spécifique à l'outre-mer, c'est parce que le Gouvernement semble se réserver pour le projet de loi d'orientation.
Cette loi d'orientation, nous sommes impatients d'en connaître le contenu, d'autant plus que le silence du Gouvernement tranche avec l'agitation sociale qui a secoué récemment certains départements d'outre-mer.
Alors, ce budget, qui s'élève à 6,3 milliards de francs, que contient-il ? Il n'est pas très différent de celui de l'année dernière. Il augmente d'un peu moins de 1,8 % à structure constante, contre 7 % l'année dernière.
Il tire les conséquences des évolutions institutionnelles, en particulier du nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie, qui bénéficiera désormais d'une dotation globale de compensation et d'une dotation globale de fonctionnement, qui sont naturellement les contreparties des compétences nouvelles qui lui ont été transférées.
Ces deux dotations seront alimentées, pour partie, par des crédits qui figuraient déjà au budget de l'outre-mer et, pour partie, par des crédits qui étaient auparavant inscrits au budget d'autres ministères. Ces transferts expliquent en grande partie le taux de progression de 13 % des crédits du secrétariat d'Etat à l'outre-mer, taux qui est donc artificiel, monsieur le secrétaire d'Etat, et qui se situe en réalité à 1,8 %, comme je l'indiquais.
Ce taux de progression est également dû au regroupement des crédits de la politique de l'emploi outre-mer dans le budget du secrétariat d'Etat. Jusqu'à l'année dernière, ces sommes étaient réparties entre le budget de l'outre-mer et celui de l'emploi et de la solidarité. La lisibilité des documents budgétaires s'en trouvera, pour une fois, améliorée.
Pour le reste, votre administration, monsieur le secrétaire d'Etat, n'échappe pas aux conséquences des orientations budgétaires du Gouvernement. Les rémunérations des personnels progressent de 3,4 % du fait des conséquences de l'accord salarial dans la fonction publique de 1998, tandis que les moyens de fonctionnement des services diminuent.
Les dépenses d'investissement, quant à elles, diminuent aussi. Je souligne cependant d'emblée que cette baisse doit être relativisée. Elle s'explique, en effet, par l'incorporation, dans la nouvelle dotation globale de fonctionnement de la Nouvelle-Calédonie, de crédits qui figuraient jusqu'ici dans les dépenses en capital du secrétariat d'Etat.
Mon collègue Jean-Louis Lorrain parlera sans doute de la politique du logement. Je voudrais, pour ma part m'inquiéter pour les fonds d'investissement créés par la loi Perben, c'est-à-dire le fonds d'investissement des départements d'outre-mer le FIDOM, et le fonds d'investissement pour la développement économique et social des territoires d'outre-mer, le FIDES.
Certes, leurs crédits progressent dans la loi de finances pour 2000, pour s'établir à environ 360 millions de francs. Cependant, ils sont peu consommés, et le stock des reports s'accroît.
Monsieur le secrétaire d'Etat, à l'heure où la manne des fonds structurels européens - plus de 21 milliards de francs et des nouveaux contrats de plan - plus de 5 milliards de francs dans les départements d'outre-mer - va devenir accessible, il est fondamental d'améliorer la programmation des dépenses d'investissement outre-mer.
Cela dit, les montants que je viens de citer valent pour sept ans et sont à mettre en parallèle avec les flux des investissements drainés vers l'outre-mer par le dispositif de la loi Pons, qui s'élèvent à plus de 17 milliards de francs pour la période 1996-1998. La loi Pons reste donc bel et bien un instrument très important de la politique d'investissement outre-mer.
Cependant, le « gros morceau » du budget de l'outre-mer n'est malheureusement pas, et n'a jamais été, l'investissement : ce sont les crédits de l'emploi et des politiques d'insertion qui représentent cette année encore, monsieur le secrétaire d'Etat, la moitié de votre budget.
Ils comprennent les crédits de la créance de proratisation du RMI et ceux de l'action sociale et culturelle, l'action culturelle ayant connu, cette année, une sensible augmentation de ses crédits.
Les crédits de l'action sociale, ce sont surtout ceux du fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer, le FEDOM. Ils se caractérisent cette année par un mouvement significatif. Les actions traditionnelles, comme les contrats emploi consolidé ou les contrats d'accès à l'emploi voient leur place réduite au profit des emplois-jeunes, qui bénéficient, il faut le dire, de la principale mesure nouvelle de votre budget, avec 170 millions de francs supplémentaires.
Les crédits destinés aux emplois-jeunes ont déjà triplé en trois ans. Pourtant, en 1998 comme en 1999, les deux tiers seulement des sommes disponibles ont été consommés. Alors je m'interroge : auriez-vous du mal à trouver des candidats dans les départements d'outre-mer, monsieur le secrétaire d'Etat ?
En tout état de cause, l'accent que vous mettez sur les emplois aidés dans le secteur public illustre la différence entre l'approche qui est la vôtre et celle de vos prédécesseurs, qui insistaient plutôt sur la création d'emplois salariés liés à l'activité économique.
Je pense évidemment à la loi Perben de 1994. Cette loi avait deux volets : un volet « politique de l'emploi », en direction des publics en difficulté, concrétisé par la création du FEDOM, et un volet « création d'emplois marchands », avec la mise en place d'une politique d'amélioration de la compétitivité des entreprises par la réduction des charges patronales.
Cette politique a été un succès puisque, selon le bilan de la mise en oeuvre de la loi établi par vos services, les effectifs de salariés exonérés ont crû fortement.
Il est donc indispensable, monsieur le secrétaire d'Etat, que la future loi d'orientation conserve un dispositif de ce type. A cet égard, l'article 72 du projet de loi de finances, sur lequel nous aurons à nous prononcer tout à l'heure, est de bon augure, puisqu'il prolonge d'un an la durée de vie des exonérations de la loi Perben.
Mais j'insiste plus largement sur la nécessité de mettre les entreprises et la création d'emplois marchands au coeur de votre future loi d'orientation, car l'outre-mer est potentiellement créateur d'activités et donc d'emplois. J'observe, d'ailleurs, que les taux de croissance de certains DOM sont supérieurs à celui de la métropole et que c'est la croissance démographique qui est l'un des principaux obstacles à la réduction du chômage.
Lors de sa mission à la Réunion, au nom de notre commission des finances, notre collègue M. Roger Besse, rapporteur des crédits de l'aménagement du territoire, a d'ailleurs pu constater que les créations de TPE, les très petites entreprises, représentaient environ 10 % des créations d'emploi dans l'île.
Il faut encourager ce potentiel, comme vous y invite aussi, d'ailleurs, l'excellent rapport remis à M. le Premier ministre par MM. Lise et Tamaya.
Il faut également encourager le retour à l'activité des RMIstes. A cet égard, nous suivrons de près le sort que vous réserverez à la proposition du rapport Fragonard, qui préconise le remplacement du RMI par une allocation de retour à l'activité dont bénéficieraient les RMIstes prenant le statut de travailleur occasionnel ou, éventuellement, de créateur d'entreprise. Cette idée intéresse beaucoup la commission des finances, car elle rejoint dans une certaine mesure les propositions de M. le rapporteur général relatives au RMA, le revenu minimum d'activité.
Encourager l'emploi marchand, c'est également limiter l'avantage dont bénéficie l'emploi public outre-mer. Je fais bien entendu allusion à la question des surrémunérations dans la fonction publique. Je dois le dire, nous avons été un peu déçus d'entendre M. le Premier ministre, en déplacement outre-mer, fermer la porte à une évolution de ce régime, dont les inconvénients ont été bien mis en évidence par le rapport Fragonard et dont le coût annuel pour l'Etat est de l'ordre de 4 milliards de francs.
Pour donner un ordre de grandeur, je dirai simplement que cela représente les deux tiers du budget de votre département ministériel et plus de trois fois le coût de la loi Pons en 1998.
Avant de conclure, monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais m'arrêter un instant sur un tout autre sujet : la modernisation du droit applicable outre-mer.
Une loi d'habilitation a été récemment votée dans cette assemblée. Vous avez engagé un très vaste chantier et nous vous en félicitons. Cependant, j'attire votre attention sur un point : le recours à la procédure des ordonnances doit rester exceptionnel, car il n'est pas sain que le législateur se dessaisisse trop souvent de ses prérogatives au profit de l'exécutif.
C'est pourquoi nous vous engageons à inciter vos collègues à toujours mieux prévoir les modalités d'application à l'outre-mer des textes qu'ils soumettent au Parlement.
J'en arrive au terme de mon propos, et il est temps pour moi de me prononcer sur le budget que vous nous soumettez.
Vous l'avez compris, monsieur le secrétaire d'Etat, la commission des finances ne partage pas toutes vos orientations. En particulier, elle ne pense pas que le développement des emplois-jeunes doive constituer la principale mesure d'un budget en faveur de l'outre-mer.
Cependant, voulant rester optimiste, j'interpréterai ce budget comme un simple budget de transition, qui reconduit les dispositifs en place pour mieux les réviser et - pourquoi pas ? - pour les améliorer dans la loi d'orientation.
Alors, monsieur le secrétaire d'Etat, je vais me livrer à des hypothèses.
En prorogeant les exonérations de la loi Perben, vous laissez présager la reconduction de ce dispositif dans la loi d'orientation. Vous avez aussi inscrit à l'ordre du jour du Parlement les projets de loi de ratification d'ordonnances, comme vous vous y étiez d'ailleurs engagé. Il y a donc bon espoir, me semble-t-il, que nous puissions débattre du projet de loi d'orientation dès cette session. Cette discussion, nous l'attendons vivement et, comme d'habitude au Sénat, nous l'aborderons avec détermination et dans un esprit constructif.
Dans l'attente de cette discussion, et pensant que mes hypothèses correspondent, monsieur le secrétaire d'Etat, à vos intentions pour l'an 2000 concernant le projet de loi d'orientation, je propose à mes collègues, au nom de la commission des finances, d'adopter les crédits de l'outre-mer inscrits dans le projet de loi de finances pour 2000. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste. - M. Robert Bret applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Désiré, rapporteur pour avis.
M. Rodolphe Désiré, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'aborderai la présentation des crédits destinés à l'outre-mer en soulignant, une fois encore, toute la difficulté de l'exercice qui consiste à faire la synthèse entre des situations politiques et économiques d'autant plus diverses que certaines collectivités territoriales, comme la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française, connaissent des évolutions institutionnelles majeures et spécifiques sans comparaison avec les autres territoires.
S'agissant des départements d'outre-mer, force est de constater que leur situation économique et sociale se dégrade. La production locale reste faible et l'indice de confiance des entreprises est en baisse, notamment à cause de l'effet des multiples conflits sociaux, longs et souvent durs, qui ont terni l'image de marque des départements d'outre-mer, particulièrement aux Antilles.
En ce qui concerne les territoires d'outre-mer et Mayotte, les évolutions institutionnelles intervenues en 1998 concernant la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont contribué au rétablissement d'un certain climat d'optimisme chez les chefs d'entreprise qui ont cherché à investir, et la progression de l'activité touristique est restée soutenue. Néanmoins, la situation de l'emploi est toujours préoccupante.
Dans le projet de loi de finances pour 2000, le budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer s'élève à 6,36 milliards de francs, soit une progression de 13,5 %, qui résulte pour une large part du regroupement de dépenses antérieurement gérées par d'autres ministères. A structure constante, les crédits pour 2000 progressent de 1,8 % et atteignent 5,7 milliards de francs.
Ainsi, en ce qui concerne l'action en faveur des collectivités locales, la forte progression des crédits résulte exclusivement du regroupement de crédits en provenance d'autres ministères pour financer le transfert progressif de certaines compétences en faveur de la Nouvelle-Calédonie, en application de la loi organique du 19 mars 1999.
Les aides à l'emploi et pour l'insertion sociale s'élèvent à 3,14 milliards de francs, soit une hausse de 13,5 %, mais, là encore, à structure constante, l'augmentation se limite à 1,5 %, si l'on neutralise le transfert des crédits finançant les contrats emplois consolidés relevant jusqu'à présent du ministère de l'emploi et de la solidarité.
Il faut, de plus, se féliciter de ce que l'article 72 du projet de loi de finances proroge, jusqu'au 31 décembre 2000, le dispositif d'exonérations patronales prévu par la loi Perben. On peut espérer qu'à cette date les nouveaux mécanismes, visant le même objectif et prévus dans la future loi d'orientation de l'outre-mer promise par M. le Premier ministre, seront opérationnels.
Outre les crédits de la ligne budgétaire unique finançant les aides à la pierre pour l'outre-mer, qui progressent grâce à l'augmentation de la part « logement » de la créance de proratisation du RMI, il faut souligner l'effet positif des mesures fiscales prises en matière de logement, notamment l'application du taux réduit de TVA sur la rénovation et l'entretien, qui permet de faire passer ce taux de 9,5 % à 2,1 %. Néanmoins, il semblerait que la répercussion de la baisse du taux du livret A sur le taux des prêts consentis aux organismes d'HLM ne soit pas totale pour l'outre-mer, ce qui me paraît très regrettable compte tenu des besoins encore considérables en matière de réhabilitation et de rénovation de l'habitat.
S'agissant des interventions de l'Etat pour soutenir l'investissement, on constate qu'un effort important est consenti dans le cadre des nouveaux contrats de plan. Pour les départements d'outre-mer, la première enveloppe globale arrêtée en juillet 1999 porte sur 4,52 milliards de francs, dont 1,34 milliard de francs à la charge du budget de l'outre-mer.
Les crédits de paiement inscrits au fonds d'investissement pour les départements d'outre-mer s'élèvent à 217,5 millions de francs, soit une augmentation de 9,5 %, et ceux du fonds d'investissement pour le développement économique et social consacrés aux territoires d'outre-mer progressent de 13,01 %.
De plus, il faut rappeler que, à l'échelon européen, la réforme des fonds structurels, finalisée en juin 1999, est très favorable aux départements d'outre-mer, qui relèvent toujours de l'objectif 1, lequel concerne les pays dont le produit intérieur brut est inférieur à 70 % du produit intérieur brut moyen des régions européennes. L'enveloppe qui leur est allouée a été fixée à 21,34 milliards de francs pour 2000-2006, soit une augmentation de 64 % par rapport à la période précédente.
En marge de ce budget, on peut regretter de ne pas trouver de dispositif réellement incitatif à l'investissement productif outre-mer, car force est de constater que le mécanisme de déduction fiscale prévu par la loi Pons, maintes fois modifié depuis 1986, ne joue plus son rôle d'effet de levier pour l'investissement privé. Sur la base des statistiques transmises par l'administration, le montant des investissements réalisés et déduits est passé de 5,5 milliards de francs à 3,6 milliards de francs en 1998. La diminution semble également très forte en 1999. Cela résulte des restrictions apportées au dispositif par la loi de finances pour 1998 et de l'augmentation du volume des investissements refusés par Bercy, où une véritable guerre semble être menée contre la défiscalisation. Or, ce serait un mauvais calcul pour l'outre-mer de laisser péricliter ce dispositif jusqu'à 2002 pour décider alors de ne rien faire de plus. En effet, l'outre-mer a besoin d'investissements publics et privés considérables pour effectuer son véritable décollage économique.
Par conséquent, il est urgent que la loi d'orientation de l'outre-mer promise par le Premier ministre soit soumise au vote du Parlement et qu'elle prévoit un ensemble de mesures réellement innovantes et pérennes afin de doper et de viabiliser l'économie des départements d'outre-mer sur le long terme.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la commission des affaires économiques considère que, pour l'immédiat, les crédits inscrits au budget de l'outre-mer répondent aux besoins recensés et que ce budget est, en définitive, un budget d'attente. Aussi, elle émet un avis favorable à son adoption. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR. - M. Robert Bret applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour les aspects sociaux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, sur le plan social, 1998 restera une année noire pour l'outre-mer, en dépit d'une relative amélioration de la conjoncture économique. L'année 1999 n'est, hélas ! que le prolongement de cette dégradation de la situation sociale.
Le climat social s'est détérioré dans la plupart des départements d'outre-mer, avec une hausse significative du nombre de journées de grève. Parallèlement, le nombre de demandeurs d'emploi a augmenté de 2 % dans ces départements, alors qu'il diminuait de 5 % en métropole en 1998.
L'exclusion progresse également. En juin dernier, on dénombrait 124 000 allocataires du RMI, soit 15 % de la population active - la proportion n'est que de 3 % environ en métropole.
C'est cette situation, que l'on peut qualifier d'urgence sociale, qu'une partie de votre commission a pu vérifier sur le terrain cet été, lors d'une mission d'information effectuée en Guyane.
Or, le projet de budget que vous nous présentez, monsieur le secrétaire d'Etat, ne semble pas à la hauteur de cette urgence sociale.
Au-delà des chiffres rappelés par M. le rapporteur spécial de la commission des finances, c'est l'orientation générale de la politique budgétaire du Gouvernement pour l'outre-mer qui me paraît préoccupante. Je prendrai seulement deux exemples : l'emploi et la solidarité, mais ils représentent tout de même 50 % des crédits du secrétariat d'Etat à l'outre-mer.
Compte tenu du temps de parole qui m'est imparti, je me permets de vous renvoyer à mon rapport écrit, plus particulièrement à la page 28 s'agissant de l'habitat dégradé.
En ce qui concerne l'emploi, les crédits du FEDOM ne progressent que très modestement en 2000, à structure constante, mais la nature de ce fonds évolue rapidement.
Ainsi, les crédits consacrés au contrat d'accès à l'emploi, seul dispositif orienté vers le secteur concurrentiel financé par le FEDOM, diminuent de 28 %. En revanche, ceux qui sont alloués aux emplois-jeunes s'accroissent de 38 %. Désormais, 83 % des crédits du FEDOM sont affectés aux aides à la création d'emplois dans le secteur non concurrentiel.
La commission des affaires sociales ne peut que s'inquiéter de cette réorientation de la politique de l'emploi vers le secteur non marchand.
J'observe d'abord que, dans les départements d'outre-mer, 42 % des salariés travaillent déjà dans le secteur public.
En outre, contrairement à certaines idées reçues, l'emploi peut être développé dans le secteur privé. Ainsi, en 1998, les effectifs salariés de celui-ci ont augmenté de 5,5 %. Il existe donc des gisements d'emplois productifs.
Je note encore que, lors de votre audition par la commission des affaires sociales, vous avez, monsieur le secrétaire d'Etat, reconnu l'efficacité des aides à l'emploi dans le secteur privé. Il est vrai que la croissance de l'emploi a été quatre fois plus rapide dans les secteurs bénéficiant de l'exonération de charges sociales prévue par la loi Perben de 1994 que dans les autres secteurs.
Dès lors, la priorité donnée aux emplois-jeunes me semble tout particulièrement inadaptée aux spécificités de l'outre-mer.
Cette analyse est d'ailleurs partagée par M. Bertrand Fragonard, qui, dans son récent rapport sur la politique de l'emploi dans les DOM, constate, à propos des emplois-jeunes, qu'« il semble que l'on ait atteint aujourd'hui certaines limites budgétaires ». La situation est en effet assez paradoxale : le Gouvernement a réduit le nombre des contrats d'accès à l'emploi, au prétexte de leur coût budgétaire, pour créer de nouveaux emplois-jeunes, qui pourtant engendrent des dépenses plus importantes.
En outre, Mme Eliane Mossé constate, dans un rapport sur le développement économique des départements d'outre-mer remis au Gouvernement, que l'« on peut s'interroger sur la sortie du dispositif, dans la mesure où les emplois créés n'entraînent pas le plus souvent une formation utilisable dans le secteur marchand ».
Dans ces conditions, il nous semble plus pertinent de favoriser les contrats d'accès à l'emploi. M. Fragonard le reconnaît d'ailleurs implicitement quand il propose de viser un objectif de 10 000 contrats d'accès à l'emploi, contre seulement 7 000 actuellement. Le Gouvernement, quant à lui, le reconnaît explicitement quand il écrit, dans un rapport sur l'application de la loi Perben, que « le contrat d'accès à l'emploi répond, pour l'ensemble des secteurs de l'économie des départements d'outre-mer, à la réalité du marché du travail, tant du point de vue des employeurs que des demandeurs d'emploi. Il s'avère être un outil efficace de lutte contre le chômage. »
Il serait également préférable de favoriser les actions de formation professionnelle des jeunes, notamment par la voie de l'alternance. C'est un problème crucial, car il engage l'avenir. En 1998, seulement 3 700 jeunes ont bénéficié d'un contrat d'apprentissage, soit 1 000 de moins qu'en 1996. Le rapport Fragonard estime qu'il serait souhaitable de chercher à atteindre un objectif de 8 000, voire 10 000 apprentis d'ici à trois ans. La commission des affaires sociales ne peut qu'appuyer cette analyse, tout en observant que cela impose de rendre les formations en alternance plus attractives pour les employeurs locaux. On pourrait, par exemple, relever de 12 000 à 20 000 francs par contrat le montant de l'aide de l'Etat à la formation des apprentis.
Il semble également nécessaire d'amplifier les effets des exonérations sectorielles de charges sociales, en levant les verrous qui en limitent l'efficacité.
Sur ces questions, nous attendons bien sûr avec impatience le dépôt d'un prochain projet de loi d'orientation, mais nous ne pouvons pas, pour l'instant, approuver la politique de l'emploi qui nous est proposée au travers de ce projet de budget.
S'agissant de la solidarité, la commission des affaires sociales regrette que la politique d'égalité sociale soit au point mort depuis 1996. Or le débat se cristallise aujourd'hui sur la question de l'alignement du montant du RMI, qui est, je vous le rappelle, inférieur de 20 % dans les départements d'outre-mer à ce qu'il est en métropole.
La commission des affaires sociales estime qu'il faut progresser avec prudence dans cette voie, même si cela répond à un souci d'approfondissement de la politique d'égalité sociale, à laquelle elle est tout particulièrement attachée.
En effet, procéder à un tel alignement soulève deux inconvénients majeurs.
D'une part, cela signifierait la disparition de la créance de proratisation du RMI, censée justement compenser l'écart entre le RMI des départements d'outre-mer et le RMI métropolitain. Il faudrait alors dégager l'équivalent de 862 millions de francs, soit plus de 13 % du budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer, pour pouvoir maintenir au même niveau le financement des actions d'insertion et de la politique du logement.
D'autre part, en rapprochant le montant du RMI de celui du SMIC, une telle mesure risquerait de décourager les allocataires de chercher du travail et d'amener un développement du travail illégal. Une étude menée à la Réunion en 1995 a évalué à 27 000 le nombre de personnes concernées par le travail illégal, pour une population active de 175 000 personnes. D'autres enquêtes laissent supposer que l'emploi illégal est plus développé encore aux Antilles et en Guyane.
Ces arguments sont en partie fondés, mais ne peuvent justifier à eux seuls le refus d'un alignement. Celui-ci doit intervenir pour des raisons d'équité, j'y insiste, mais il doit être progressif, afin d'éviter de possibles effets pervers.
Aussi la commission des affaires sociales estime-t-elle qu'il importe de réorienter le RMI dans les départements d'outre-mer et d'accroître son efficacité en matière d'insertion avant d'aligner son montant sur celui du RMI métropolitain. Le rapport Fragonard relève ainsi qu'« un alignement prématuré, sans que le RMI ait été au préalable maîtrisé et recentré sur des politiques d'insertion plus effectives, serait une erreur économique et sociale, dont les effets pervers seraient lourds et durables sur l'économie, aggravant les phénomènes d'assistance et de travail informel ». Ce risque ne doit pas être surévalué, mais ne doit pas non plus être négligé.
Au total, la commission des affaires sociales considère qu'il s'agit ici d'un budget d'attente. Or, la situation de l'outre-mer est actuellement si préoccupante qu'elle ne peut supporter une année d'inaction avant l'adoption de la future loi d'orientation.
La commission des affaires sociales estime en outre que l'orientation de la politique de l'emploi est particulièrement inquiétante.
Pour toutes ces raisons, elle a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits du volet social de budget de l'outre-mer. Elle a en revanche émis un avis favorable à l'adoption de l'article 72 du projet de loi de finances, rattaché aux crédits de l'outre-mer. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Balarello, rapporteur pour avis.
M. José Balarello, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour les départements d'outre-mer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'avis que j'ai l'honneur de vous présenter au nom de la commission des lois porte sur les crédits prévus par le projet de loi de finances pour l'an 2000 au titre des départements d'outre-mer et des deux collectivités territoriales à statut particulier, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Dans notre rapport pour avis, après avoir exposé l'évolution des crédits, notamment de ceux du ministère de l'intérieur, du ministère de la justice et du secrétariat d'Etat à l'outre-mer, nous avons examiné plus particulièrement les crédits afférents à la sécurité, à la justice, à la maîtrise de l'immigration et à la fonction publique.
Nous avons également évoqué la place des départements d'outre-mer dans l'Union européenne et, enfin, les perspectives d'évolution institutionnelle, objet du futur projet de loi d'orientation, évolution institutionnelle dont la commission des lois sera saisie au fond et qui a été à l'origine du déplacement de plusieurs membres de la commission des lois en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe.
Nous avons aussi examiné l'évolution des crédits, notamment la forte progression des crédits européens d'investissement. Vous trouverez en outre dans le rapport, mes chers collègues, deux tableaux retraçant l'évolution des crédits inscrits au projet de budget pour l'an 2000 par rapport à 1999.
La commission des lois s'est surtout attachée à l'étude des crédits du ministère de la justice, qui sont en progression de 15 % s'agissant des moyens de paiement et de 140 % en ce qui concerne les autorisations de programme.
Lors de notre déplacement outre-mer, nous avons entendu les chefs de cour et de nombreux magistrats. Nous avons pu nous rendre compte de l'urgence des besoins, et Mme le garde des sceaux, lors de son audition par la commission des lois dans l'optique de l'examen des crédits de la justice, nous a précisé que des travaux allaient être entrepris aux palais de justice de Basse-Terre et de Fort-de-France et au service de l'état civil de Mayotte. Après nous être rendus sur place, nous sommes amenés à souhaiter que le palais de justice de Cayenne soit également rénové.
Ces crédits sont d'autant plus nécessaires que l'activité des juridictions se développe très rapidement : le volume des affaires en instance s'est en effet accru en cinq ans de 26,8 % à la cour d'appel de Fort-de-France et de 38,2 % à celle de Saint-Denis-de-la-Réunion.
De même, la surpopulation carcérale pose problème, malgré la mise en service, en 1996, de trois nouveaux établissements pénitentiaires, dont deux sont situés aux Antilles et un en Guyane, et la promesse de Mme la ministre de la justice d'en créer rapidement un autre de 600 places à la Réunion.
La délinquance trouvant souvent ses racines dans les difficultés liées à l'emploi des jeunes et à l'immigration, notre rapport a également porté sur ces deux problèmes. Les emplois-jeunes, les contrats emploi-solidarité, les crédits du FEDOM, ont ainsi été analysés. A cet égard, il faut regretter, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'on ne crée pas davantage d'emplois durables par une politique touristique et industrielle plus cohérente et plus dynamique.
L'immigration clandestine, quant à elle, est difficilement maîtrisable, compte tenu des contraintes géographiques, en Guyane surtout, et des différences considérables qui existent entre les produits intérieurs bruts annuels par habitant. Celui-ci est par exemple de 15 882 dollars dans le département de Guyane, contre 4 809 dollars au Surinam voisin ou 664 dollars à Haïti !
La maîtrise de l'immigration est donc un enjeu majeur dans les départements d'outre-mer, pour le développement économique mais aussi pour la préservation de l'ordre public et des équilibres sociaux.
La commission des lois a par ailleurs évoqué à nouveau la question de la surrémunération des fonctionnaires, presque tous les élus locaux des DOM ayant soulevé ce problème devant nous.
Deux chapitres de notre rapport sont en outre consacrés aux aides de l'Union européenne, dans le cadre notamment du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité des départements d'outre-mer, le POSEIDOM, et des fonds structurels, pour lesquels les DOM sont éligibles à l'objectif I, qui concerne, pour la période 2000-2006, les régions dans lesquelles le produit intérieur brut par habitant est inférieur à 76 % à la moyenne communautaire, ce qui est le cas dans les départements d'outre-mer.
L'enveloppe européenne pour la période 2000-2006 dépassera les 21 milliards de francs. C'est une augmentation très importante, puisque, pour la période 1994-1999, elle atteignait 12 milliards de francs.
Monsieur le secrétaire d'Etat, dans mon rapport, je vous ai demandé de veiller à la bonne consommation de ces crédits européens, qui n'est pas actuellement satisfaisante. Chaque préfet de département devrait vous remettre un rapport sur ce sujet tous les deux mois - c'est une suggestion que j'ai formulée lors de votre audition par la commission des lois - car cette non-consommation des crédits est peu admissible, et inciter les collectivités locales, les chambres de commerce et les universités à affecter en priorité ces crédits au financement de projets porteurs d'emplois dans le secteur privé, commercial, industriel et touristique. Je pense notamment ici à la création de ports pouvant recevoir les grands paquebots de croisière. Un tel équipement est en cours de réalisation à Saint-Martin, mais il est situé dans la partie néerlandaise de l'île.
Enfin, le dernier chapitre de notre rapport a été consacré brièvement aux perspectives d'évolution institutionnelle ou statutaire des DOM. Il nous est apparu, en nous rendant sur place, que chaque département d'outre-mer a ses caractéristiques propres et qu'il nous faudra faire du « cousu main », département par département, l'un des dénominateurs communs des départements d'outre-mer étant cependant la volonté d'entretenir des relations directes, sur les plans culturel, économique et touristique - cette énumération n'étant pas exhaustive - sans passer par Paris, avec leurs voisins de la Caraïbe ou le Brésil.
Sous réserve de ces observations, la commission des lois, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, a donné un avis favorable à l'adoption du projet de budget des départements d'outre-mer et de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Hyest, rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour les territoires d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme chaque année, l'examen du projet de budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer donne à la commission des lois du Sénat l'occasion de dresser un bilan et d'évoquer les perspectives offertes en matière d'évolution institutionnelle et normative pour quatre de nos collectivités d'outre-mer : la Nouvelle-Calédonie, devenue une collectivité sui generis depuis la réforme constitutionnelle du 20 juillet 1998 suivie de l'adoption du nouveau statut du 19 mars 1999 ; la Polynésie française, appelée à devenir un pays d'outre-mer en janvier prochain ; les îles Wallis-et-Futuna et les Terres australes et antarctiques françaises, dernières collectivités continuant à appartenir à la catégorie des territoires d'outre-mer visée par l'article 74 de notre Constitution.
Je n'insisterai pas sur les aspects proprement financiers, brillamment présentés par le rapporteur spécial de la commission des finances.
Les crédits réservés à la Nouvelle-Calédonie sont, certes, en forte augmentation dans votre budget, monsieur le secrétaire d'Etat, mais nous savons bien que c'est parce que les transferts de compétence vers la Nouvelle-Calédonie, à compter du 1er janvier prochain, prennent la forme de deux dotations globales. C'est donc la traduction des évolutions institutionnelles.
La commission des lois se félicite que les évolutions statutaires en cours permettent de prendre en considération la grande diversité des situations. Comme l'ont dit un certain nombre de collègues, dont M. Balarello, cette démarche pourra sans doute inspirer les orientations qui seront retenues pour les départements d'outre-mer.
Dans le respect de cette diversité et compte tenu des cinq minutes qui me sont imparties, j'évoquerai simplement quelques points saillants dont on voudra bien excuser l'allure d'inventaire.
S'agissant, tout d'abord de la Nouvelle-Calédonie, les élections au congrès et aux assemblées de province ont eu lieu au début du mois de mai dernier. Le fort taux de participation, 75 %, a marqué l'intérêt des Calédoniens pour le nouveau statut.
Après une période de rodage apparemment quelque peu difficile, le gouvernement collégial élu fin mai semble désormais fonctionner puisqu'il est à l'origine de la première loi du pays, adoptée à l'unanimité du congrès le 19 octobre et annexée au rapport pour avis de la commission des lois. Le Sénat ayant innové en ce domaine, il y avait lieu, en effet, de marquer cet événement.
Le Sénat coutumier a été mis en place à la fin du mois d'août dernier.
Du point de vue de la politique contractuelle de soutien au développement, j'insisterai, bien entendu, monsieur le secrétaire d'Etat, sur la nécessité de veiller à une répartition des sommes allouées permettant de poursuivre le rééquilibrage entre les provinces, rééquilibrage dont la nécessité doit être affirmée dans les contrats Etat - Nouvelle-Calédonie et Etat - provinces. Les maires de Nouvelle-Calédonie que M. Jacques Larché, président de la commission des lois, a reçus récemment nous ont fait part de leurs inquiétudes à ce sujet.
Concernant la Polynésie française, nous souhaitons, bien entendu, que son nouveau statut soit élaboré avec autant de célérité et d'efficacité que cela a été le cas pour la Nouvelle-Calédonie. Notre collègue Lucien Lanier est prêt à rapporter ce texte.
Je me permets également de réitérer la demande de la commission des lois tendant à ce que la proposition de loi organique procédant à un rééquilibrage de la répartition des sièges au sein de l'assemblée de la Polynésie française soit rapidement inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale eu égard à la proximité de la prochaine échéance électorale.
Pour le bilan relatif à la mise en oeuvre des dispositifs novateurs du statut actuel, qui date d'avril 1996, je vous renvoie au rapport de la commission des lois. Je regretterai seulement que la commission paritaire de concertation entre l'Etat, le territoire et les communes, créée sur l'initiative du Sénat, semble fonctionner au ralenti - et c'est un euphémisme !
Outre les aspects budgétaires et statutaires, la commission des lois a également dressé un bilan de l'activité juridictionnelle en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Si des informations complémentaires m'ont été transmises, je tiens à faire part de mon étonnement d'avoir vu figurer sur les fiches de réponse aux questionnaires budgétaires les dernières statistiques de 1995. Il semblerait que l'appareil statistique du ministère de la justice, sans doute un peu partout en métropole mais plus encore dans les territoires d'outre-mer, soit quelque peu obsolète ou ne fonctionne pas très bien !
Je rappelle que la justice demeure une compétence régalienne que l'Etat doit continuer d'exercer dans sa plénitude !
Concernant les îles Wallis-et-Futuna, j'insisterai de nouveau sur la nécessité d'engager dans les meilleurs délais les négociations devant conduire à la conclusion d'un accord avec la Nouvelle-Calédonie. L'échéance, je le rappelle, est fixée par la loi organique du 19 mars 1999 au 31 mars 2000.
Pour ce qui est du territoire des Terres australes et antarctiques françaises, nous nous réjouissons de la naissance d'un Journal officiel.
Je mentionnerai également l'installation prochaine, à la Réunion, de l'administration des Terres australes et antarctiques françaises.
Je signale toutefois que la vétusté des bases scientifiques, qui contribuent au rayonnement de la France, est pour nous source d'inquiétude. Les crédits affectés à leur rénovation sont, de notre point de vue, insuffisants.
M. le rapporteur spécial a déjà évoqué les évolutions normatives. L'actualisation du droit outre-mer est notre préoccupation. La procédure des ordonnances facilite les choses, c'est vrai, dans la mesure où chaque ministère n'est pas toujours en mesure de prévoir l'application de ses textes outre-mer. Mais encore faudrait-il qu'il y ait un recueil clair et précis, faute de quoi, c'est un véritable maquis, surtout quand, les ordonnances étant ratifiées, nous modifions les textes ou lorsque d'autres textes interviennent entre deux, comme je l'ai déjà dit lors de notre débat sur la ratification des ordonnances.
Enfin, dernier point, le régime d'association des pays et territoires d'outre-mer, les PTOM, à l'Union européenne vient à expiration le 28 février 2000. Nous demandons au Gouvernement de veiller à ce que la spécificité des PTOM français soit reconnue et, en particulier, que les conséquences des évolutions institutionnelles de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française liées à l'avènement d'une nouvelle citoyenneté locale soient prises en considération.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois est favorable à l'adoption des crédits consacrés aux territoires d'outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie dans le projet de budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer pour 2000. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 36 minutes.
Groupe socialiste, 31 minutes.
Groupe de l'Union centriste, 24 minutes.
Groupe des Républicains et Indépendants, 22 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 16 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 14 minutes.
La parole est à Mme Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour l'outre-mer fait apparaître une augmentation de crédits de 13,5 % par rapport à 1999. Ce taux de progression est spectaculaire et résonne bien, mais, en réalité, il est artificiel. La vérité est tout autre puisque l'augmentation de crédits pour l'an 2000 s'articule autour de 1,8 %.
Je note de nouveau que l'archipel guadeloupéen, compte tenu de sa situation géographique, avec ses six îles, est victime d'une inégalité insupportable, car la dotation de décentralisation et les crédits intéressant le transport sont parfois même inférieurs à ceux de 1999.
Je pourrais également citer comme exemple, à ce titre, la dotation de la santé, celle de l'enseignement supérieur, celle de l'emploi.
En 1999, la dotation et les crédits de paiement s'élevaient à 10 milliards de francs pour la Martinique et à 8 milliards de francs pour la Guadeloupe ; en 2000, ils atteignent 11,140 milliards de francs pour la Martinique et 8,425 milliards de francs pour la Guadeloupe. Cette inégalité de traitement ne peut se comprendre dans la mesure où nous avons à gérer six îles.
Monsieur le secrétaire d'Etat, après la visite du Premier ministre sur le terrain, qui s'est rendu compte de ce que représentaient les déplacements entre Pointe-à-Pitre et la Désirade, ou Saint-Martin, ou encore Saint-Barthélémy, j'étais en droit d'espérer, surtout dans le domaine de la santé, autre chose que des dotations aussi faibles.
Je dirai même que la Guadeloupe avait besoin d'un effort particulier.
Nous étions ensemble à Bruxelles, monsieur le secrétaire d'Etat. Vous avez pu constater à la lecture du tableau comparatif qui a été notifié par les instances communautaires, que la Guadeloupe est la région la plus pauvre, avec un PIB égal à de 40 % de la moyenne communautaire par habitant, et un taux de chômage officiel de 30 %. C'est insupportable !
Les cyclones successifs qui viennent de frapper l'archipel guadeloupéen démontrent avec force, s'il en était besoin, les risques liés à notre environnement, la fragilité de nos économies et l'incidence des intempéries sur les coûts de construction.
En effet, la répétition des phénomènes cycloniques nous conduit à intégrer davantage qu'ailleurs les facteurs de risque dans l'élaboration des aménagements urbains, la construction des logements, la protection des berges des rivières et du littoral.
Cela pose aussi avec acuité le problème de la maîtrise de l'aménagement des cinquante pas géométriques.
Enfin, un autre facteur, humain celui-là, est en train de déstabiliser notre région ; je veux parler du chômage, dû à la faiblesse chronique et structurelle de nos entreprises de production, et qui entraîne la détérioration du climat social.
Pourtant, les moyens de la Communauté économique européenne, ceux de l'Etat et même ceux ces collectivités sont, dans ma région, parfaitement consommés.
Le projet ne tient pas compte du fait que la Guadeloupe est un archipel, d'où la nécessité d'une dotation de transport. Je n'y vois pas non plus la moindre trace d'un fonds de calamité.
Les deux lycées les plus importants ont été construits à l'époque coloniale, monsieur le secrétaire d'Etat.
Au-delà des efforts régionaux, il est indispensable, pour des raisons de sécurité, d'apporter une réponse - je le dis ici pour la deuxième fois - au problème de la cité scolaire de Baimbridge, qui, tel un château de cartes, peut s'effondrer à la moindre secousse. Or, les secousses telluriques sont nombreuses en Guadeloupe, ne perdons pas de vue que nous sommes dans une zone à la fois cyclonique et sismique.
Les constructions scolaires ont été bâties à la hâte lors des événements du volcan de la Soufrière, en 1976.
Nous avons été reçus très aimablement par le ministre de l'éducation, M. Allègre, qui connaît bien le volcan de la Soufrière. Il nous a fait des promesses, notamment celle de nous accorder un prêt sans intérêt pour financer la construction d'un nouveau lycée sur Baimbridge et réparer le lycée du Lamentin. Depuis quatre mois, nous attendons la confirmation. Il semblerait que la dotation des collèges ait été versée. Mais les élèves qui sont au collège seront, demain, des lycéens !
Je le dis devant la Haute Assemblée, le contenu des rapports de la SOCOTEC, la société de contrôle technique à la construction, et du BRGM, le bureau de recherches géologiques et minières, sur la cité de Baimbridge et le lycée du Lamentin est très préoccupant. Nul ne doit l'ignorer.
La cité de Baimbridge, sur laquelle nous avons déjà fait l'effort de construire un lycée, représente un risque permanent pour une population de plus de 3 000 étudiants.
Il faut savoir, en outre, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'une construction aux Antilles coûte 40 % plus cher qu'en métropole, parce qu'il faut respecter les règles imposées en matière sismique et cyclonique, règles que Mme le ministre de l'environnement nous a invités à respecter. Elle ignore sans doute que la dotation de l'Etat représente peu de choses dans le coût de la construction des établissements scolaires !
S'agissant de la santé, des efforts vont être faits, au niveau des dotations, pour le centre hospitalier de Pointe-à-Pitre, de même que pour les cliniques, je le reconnais.
Je tiens toutefois à faire état ici de la préoccupation de la population de la Guadeloupe. Voilà déjà deux ans, un incident grave a entraîné la mort de patients dans l'hôpital de Pointe-à-Pitre. Très récemment, un éminent professeur guadeloupéen s'est suicidé, et il n'était pas fou ! Il y a, sur cet hôpital, un rapport de l'inspection générale des affaires sociales. Mais tout cela se fait dans le silence. Or, la population a le droit d'être informée, a le droit d'être rassurée sur le projet qu'on entend mettre en place pour que le CHU de Pointe-à-Pitre redevienne ce qu'il devrait être : un véritable CHU.
En ce qui concerne l'emploi, je réjoindrai les conclusions de M. le rapporteur spécial : le RMI conduit la population à l'assistanat. Je l'avais déjà dit alors que je siégeais sur les bancs de l'Assemblée nationale, en 1990.
Le RMI, c'est la rémunération sans le travail, c'est la perte de toute volonté, de toute créativité, créativité qu'engendre, au contraire, l'activité. Le RMI, c'est la pratique des jeux : les plus gros joueurs, chez nous, sont des RMIstes. Le RMI, c'est le rêve et la drogue !
Monsieur le secrétaire d'Etat, dans ce budget sont encore passés sous silence l'aménagement du territoire et la zone des cinquante pas géométriques. Des commissions seraient installées... elles travailleraient... Nous n'en savons pas plus ! En tout cas, en tant que président de région, je ne suis pas informée.
Ainsi, les rivières, depuis la loi coloniale, relèvent de la responsabilité de l'Etat. Or qu'est-ce qui a débordé sinon les rivières ? L'arrêté qui a été pris est pour le moins surprenant : après quatre jours d'ouragan, vous avez classifié en zones inondées, risques coulées de boue et coups de boutoir des houles ! L'hôtel de région a été endommagé à un point tel que la paierie générale a dû déménager à cause non pas d'une inondation, mais d'une coulée de boue entraînée par les rivières sortant de leur lit.
Cette question m'interpelle. Avec ce classement de Basse-Terre en zone d'inondation, sans retenir les coulées de boue, l'assurance va-t-elle jouer ? Je n'ai pas encore compris pourquoi on a cloisonné. J'ai vu des coulées de boue au Moule : il n'y a eu aucun dégât dans cette commune... Comment tout cela a-t-il été fait ? Nous n'en savons rien !
Nous constatons simplement que les berges des rivières sont en état d'abandon, et ce sont les communes et les collectivités qui doivent prendre en charge leur remise en état.
Nous constatons aussi que le littoral, pourtant propriété de l'Etat, ne fait l'objet d'aucune attention particulière.
Et l'application de la loi sur le littoral traîne, et les étrangers continuent à s'installer quasiment légalement sur les terres de l'Etat sans qu'aucune décision vienne les sanctionner.
Les lenteurs administratives nous déroutent, nous épuisent et tuent parfois nos énergies.
Je voudrais maintenant vous signaler quelques anomalies. La concession aéroportuaire du Raizet est prolongée d'année en année depuis 1996 sans qu'un règlement intervienne. La procédure d'utilité publique engagée sur cette zone depuis 1993 n'a pas encore abouti dans la légalité. La plus grande fantaisie a régné dans la procédure de basculement de l'aéroport du sud vers la nouvelle aérogare.
Le budget qui nous est soumis aujourd'hui est un budget de transition. Nous attendons la loi d'orientation, à l'occasion de laquelle nous allons formuler des propositions pour que les choses bougent vraiment et qu'il y ait outre-mer un véritable projet de développement bâti avec la population, dans l'intérêt de la population, parce que, maintenant, je ne peux pas retourner dans ma région en annonçant que j'ai voté un budget de transition.
Mme Hélène Luc. Dommage que vous n'ayez pas fait bouger les choses avant, quand vous étiez au Gouvernement !
Mme Lucette Michaux-Chevry. Je vous en prie, madame ! J'ai toujours fait bouger les choses car je n'ai jamais été un croupion, ni à droite, ni à gauche ! Je ne ne serais pas un élu comme je le suis si j'étais un croupion. Je suis une femme de décision, de combat et de vérité !
Mme Hélène Luc. Moi aussi !
Mme Lucette Michaux-Chevry. Alors, acceptez de venir faire un débat chez moi ! Je vous en ferai la démonstration !
Je dis que c'est un budget de transition, tout le monde le reconnaît ici et les rapporteurs l'ont dit. Croyez-vous que nous pouvons attendre la future loi d'orientation et demander à nouveau à notre jeunesse de patienter encore un an en acceptant ce budget de transition alors que la Guadeloupe subit des inégalités et est en proie aux difficultés que nous connaissons ?
Nous attendons, nous, plus que des chiffres : une véritable dynamique qui nous redonne de l'espoir. La loi Pons a lancé cette dynamique ; elle était peut-être insignifiante et incompétente, mais elle a donné de l'espoir. Quant à la loi Perben, elle est prolongée jusqu'à l'an 2000. Mais qui va investir dans une région où les lois sont simplement prorogées d'année en année, sans aucune garantie de leur pérennité ? Pour investir, il faut une visibilité à long terme.
Notre jeunesse a besoin de se mobiliser, et elle ne va pas le faire uniquement sur les emplois-jeunes, qui ne durent que cinq années et auxquels les collectivités doivent apporter leur part, alors que l'on connaît leurs difficultés.
Tout à l'heure, j'entendais M. Balarello, rapporteur pour avis, dire qu'il faudrait, tous les ans ou tous les deux ans, que le préfet fasse un rapport sur la consommation des fonds européens, et il a sans doute raison.
M. José Balarello, rapporteur pour avis. J'ai dit deux mois !
Mme Lucette Michaux-Chevry. Il faut savoir que nombreuses sont les collectivités qui sont dans l'incapacité de mettre sur la table leur part de participation aux programmes européens. Il faut savoir également que c'est dix-huit mois après que l'on rembourse aux collectivités les sommes déjà perçues par Bercy en provenance des fonds européens.
Ce n'est pas vous qui me contredirez, monsieur le secrétaire d'Etat, nous en avons suffisamment parlé ensemble. (M. le secrétaire d'Etat approuve.)
La région Guadeloupe bénéficie de 140 millions de francs de fonds européens ; nous attendons dix-huit mois avant qu'ils nous soient reversés, et nous devons donc emprunter et payer des intérêts. Comment relancer quoi que ce soit dans de telles conditions ?
Sachez que la collectivité régionale a déjà mis sur la table 50 millions de francs pour faire face aux dégâts du dernier cyclone : la solidarité n'est pas d'un seul côté, elle est aussi locale.
Reconnaissez que notre jeunesse, compte tenu de sa formation, compte tenu du fait qu'elle a besoin, et c'est légitime, de participer davantage à l'élaboration de projets pour son pays, ne peut pas se contenter de l'assistanat, d'un RMI que délivre le facteur, de CES, de contrats emplois-jeunes à durée déterminée. Elle a besoin, cette jeunesse, de se mobiliser. Elle a besoin qu'on lui donne les moyens de s'exprimer, de créer, d'investir dans son environnement géographique.
Et là, nous avons tout tenté. Mais la coopération régionale est en train de devenir un leurre. Nous aurons très bientôt au Panama une réunion avec l'ensemble des Etats de la Caraïbe. Nous en sommes quasiment exclus ! Et je n'évoquerai pas les difficultés qu'ont connues mes collègues de la Réunion et de la Martinique lors de la conférence qui s'est tenue à Saint-Domingue, où des fonctionnaires du Quai d'Orsay ont littéralement empêché des élus de prendre position !
C'est ce climat conflictuel, entretenu de façon permanente, qui ne favorise pas chez les Guadeloupéens la volonté de travailler. C'est ce qui explique ces espèces de grèves, qui sont l'expression du sentiment qu'outre-mer il faut, hélas ! descendre dans la rue pour se faire entendre, le sentiment qu'il faut arracher les moyens de régler des problèmes qui normalement pourraient être traités dans la sérénité, autour d'une table.
Il faut redonner à nos populations la dignité par le travail, leur permettre de retrouver ces valeurs fondamentales qui leur ont été léguées par leurs ancêtres. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Vergès.
M. Paul Vergès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'examen du budget des départements d'outre-mer s'inscrit, M. le rapporteur vous l'a dit, dans un contexte particulier : l'élaboration de la loi d'orientation pour les départements d'outre-mer, la signature des contrats de plan pour la période 2000-2006, la signature des documents de programmation en matière de fonds structurels européens et la définition des mesures découlant de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, suite à la demande du sommet de Cologne à la Commission, et ce pour le 31 décembre au plus tard.
Ces échéances relativement proches vont conditionner largement l'avenir des départements d'outre-mer au cours de la prochaine décennie. Je voudrais dire qu'à mes yeux cette décennie est celle de tous les espoirs comme celle de tous les dangers pour les départements d'outre-mer.
Bien que la différenciation soit de plus en plus grande entre les quatre départements d'outre-mer - ou les quatre régions ultra-périphériques, comme vous voulez - on peut encore signaler certaines analogies dans leur situation du fait de la politique commune qui leur a été appliquée jusqu'à maintenant.
C'est la décennie de tous les dangers si, dans les choix définis dans ces documents à venir, se perpétue une politique d'immobilisme. Depuis des années, en effet, le simple accompagnement d'une évolution a mené les sociétés d'outre-mer vers de multiples impasses : impasse économique, impasse sociale, impasse culturelle.
Mais cette décennie peut être, au contraire, celle de tous les espoirs, si la loi d'orientation comme l'élaboration des documents de programmation et du contenu de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam traduisent une réelle volonté de changement et de mise en oeuvre de réformes audacieuses.
Cela nécessite une véritable révolution d'ordre conceptuel. Il s'agit d'être convaincu des atouts importants des régions d'outre-mer et de se donner, par conséquent, les moyens suffisants pour transformer chacune de ces impasses actuelles en autant de défis à surmonter pour inscrire des succès significatifs demain.
C'est dans ce contexte et dans ces perspectives que doit s'apprécier le budget de l'outre-mer : c'est moins l'augmentation indéniable du budget qui est décisive que la politique que l'on veut mener.
Ce budget s'élève à 6,3 milliards de francs. Il est en augmentation, dit-on, de 13,6 %, du fait des transferts opérés des autres ministères vers celui de l'outre-mer. Mais, même après déduction de ces transferts, ce budget conserve un taux d'augmentation supérieur à celui du budget général.
L'emploi et le logement en constituent les deux priorités.
L'emploi représente 40 % de ce budget global. Il prévoit le financement de 58 000 nouvelles solutions d'insertion auxquelles il faut ajouter les contrats emplois consolidés.
L'augmentation des crédits pour le logement est due essentiellement à la croissance des crédits de la créance de proratisation prélevés sur ceux du RMI outre-mer.
Pour souligner notre remarque liminaire, les efforts réalisés dans le domaine de l'emploi pour répondre à la situation d'urgence sociale ont montré leurs limites dans le passé.
Rappelons cette donnée fondamentale : pour 5 % de croissance annuelle, taux largement supérieur à tout ce que l'on a connu en métropole, il a été créé pendant des décennies 3 500 emplois nets par an ! Or, chaque année, 10 000 jeunes arrivent sur le marché du travail. Là est tout le problème.
Mme Hélène Luc. C'est la grande question !
M. Paul Vergès. Cela explique la progression constante du nombre d'inscrits à l'ANPE : 125 000 voilà quelques semaines, près de 40 % de la population active, avec une proportion croissante de jeunes de plus en plus diplômés. Il en sera ainsi pour les vingt ans à venir.
Pour être efficaces, les solutions préconisées, telles que les mesures incitatrices à la création d'emplois dans le secteur marchand, doivent s'inscrire dans une stratégie globale de développement. Le débat budgétaire annuel se focalisant sur le bilan de l'année passée pour envisager l'année à venir, il ne nous permet jamais de voir à dix, vingt ou vingt-cinq ans d'avance. Or c'est pourtant la condition pour élaborer une véritable stratégie de développement.
L'outre-mer a connu par le passé des tentatives gouvernementales pour relancer le développement et l'emploi, on en a parlé à cette tribune. Mais quel qu'ait pu être l'impact de ces mesures sur certains secteurs de l'économie, elles n'ont pas permis le renversement de tendance.
C'est à la lumière de ces expériences que doivent être élaborées les nouvelles mesures en faveur de l'emploi et du développement. Mais elles ne trouveront toute leur efficacité que si elles s'inscrivent dans la durée, d'une part, et dans le cadre d'une stratégie globale de développement d'autre part, stratégie globale où l'exportation de marchandises et surtout de services doit jouer un rôle essentiel.
C'est bien la prise en compte de cette vision globale qui conduit l'opinion réunionnaise à ne pas dissocier la question de l'organisation des pouvoirs publics de celle du développement.
Il ne peut y avoir de développement sans aménagement équilibré du territoire. Compte tenu des mutations considérables qui sont intervenues depuis cinquante ans dans l'économie et les structures de la Réunion, un schéma d'aménagement régional, approuvé au Conseil d'Etat, a posé la nécessité absolue de corriger d'urgence les déséquilibres entre les quatre micro-régions de l'île, entre le littoral, d'une part, et la zone d'altitude, moyenne et plus élevée de l'île, d'autre part.
De plus, il faut prévoir, dans les vingt-cinq ans à venir, l'installation d'une population représentant 40 % de la population actuelle - 710 000 habitants en 1999 - soit l'équivalent de toute la population de l'île dans les années soixante.
C'est pourquoi, pour la Réunion, la volonté d'un aménagement harmonieux du territoire et d'un développement équilibré de l'île se concrétise dans une revendication : la création de nouvelles communes, de nouveaux cantons et d'un deuxième département, en un mot une réforme administrative générale.
Le Gouvernement étudie, nous le savons, cette réforme générale que le Président de la République vient de définir, à l'île de la Réunion, comme une mesure de sagesse pour se préparer à accueillir un million d'habitants dans un quart de siècle.
Cette réforme administrative générale doit accompagner la réalisation des mesures prévues au contrat de plan, au plan de développement régional établi par la Commission européenne et à la prochaine loi d'orientation relative à l'outre-mer.
Le temps est venu d'apporter des solutions ambitieuses et durables. Nous ne bénéficierons d'aucun sursis. Il y a 125 000 chômeurs inscrits à l'ANPE, c'est-à-dire 40 % de la population active. Plus de 50 000 personnes sont affiliées aux ASSEDIC et 60 000 foyers sont allocataires du RMI. Force est de constater également l'aggravation générale de la déliquance, surtout chez les jeunes.
Tous ces chiffres augmentent d'année en année. Ce sont autant de clignotants qui s'allument.
Au nombre des changements à venir, il faut prendre en compte les étudiants dans les schémas de services collectifs. Aujourd'hui, ils sont près de 10 000 à l'université, et ils seront près de 40 000 dans vingt ans. Tout est à l'avenant !
C'est pourquoi nous nous devons d'ouvrir de nouvelles voies de développement. Le pari du développement doit être relevé.
Il faut créer des conditions favorables à cette réussite et, parmi elles, il faut à tout prix réaliser l'égalité sociale.
Il faut rattraper les retards en matière d'équipement en prenant en compte l'évolution démographique. Il faut harmoniser les revenus, tous les revenus, dans le secteur public tout comme dans le secteur privé. Il sera alors possible de revaloriser tous les atouts de la Réunion, de reconquérir des parts d'un marché intérieur dynamique qui est appelé à augmenter de près de 50 % dans les décennies à venir.
Il est indispensable d'ouvrir la Réunion sur son environnement régional et de répondre aux possibilités et aux demandes de codéveloppement avec nos voisins. Nos voisins de la Commission de l'océan Indien, des cinq îles de l'archipel, représentent 17 millions d'habitants aujourd'hui, mais ils en représenteront 32 millions en 2025. Nos voisins des quatorze pays regroupés dans la Communauté des Etats de l'Afrique australe, qui représentent 180 millions d'habitants aujourd'hui en représenteront 300 millions en 2025, ils appartiennent à une zone qui sera demain une zone de développement régional d'importance planétaire. Nos voisins des pays riverains de l'océan Indien, enfin, qui sont regroupés dans l' Indian ocean rim, appartiennent à des pays dits « émergents » et regroupent plus de 2,5 milliards d'habitants aujourd'hui.
Tel est le constat que nous devons avoir en tête, il faut tenir compte de l'espace et du temps.
Nous sommes au coeur du dispositif d'échanges entre l'Afrique et l'Asie du sud-est, une zone en pleine croissance. Nous avons des possibilités dans des domaines à forte valeur ajoutée, comme l'agroalimentaire et les nouvelles technologies. Par ailleurs, si nous traversons une crise grave, nous avons, dans le domaine de la formation, une avance considérable par rapport à tous les pays voisins.
A la Réunion, 6 000 bacheliers ont été reçus en 1999 et nous aurons 35 000 diplômés de l'enseignement supérieur à l'horizon 2020. La jeunesse réunionnaise est l'une des mieux formée de l'océan Indien. Elle a un rôle à jouer dans tous ces pays, notamment dans les pays francophones de son voisinage.
Il faut faire de la Réunion un pôle d'excellence, de développement et de rayonnement du transfert du savoir, du savoir-faire technique, du savoir dans tous les domaines. C'est le but que nous devons chercher à atteindre.
Nous avons d'autres atouts.
Avec le satellite géostationnaire, avec le câble sous-marin, nous avons en effet aujourd'hui la possibilité de nous insérer dans le système mondial de communication moderne.
Mais la réussite de cette politique suppose que les conditions d'une meilleure insertion de la Réunion dans son environnement régional soient créées.
Sous une forme ou sous une autre, nous devons participer, nous sommes condamnés à participer aux travaux des blocs régionaux, que ce soit la COI ou de la SADC.
Si nous y parvenons, nous aurons une chance de résoudre l'ensemble des problèmes qui nous paraissaient ne pas pouvoir trouver de solution.
Comment intégrer la Réunion, région ultrapériphérique située à 10 000 kilomètres de la France, dans l'Europe, tout en respectant ses spécificités et en la faisant bénéficier de tous les avantages ? L'article 299-2 du traité d'Amsterdam nous donne cette possibilité, c'est à nous, avec le Gouvernement et la Commission de Bruxelles, d'avancer.
Comment intégrer cette région ultrapériphérique de l'Europe aux blocs régionaux en formation actuellement, qui sont l'avenir pour les siècles et les siècles à venir ?
La Réunion peut être un véritable laboratoire des solutions à apporter à tous les problèmes qui se posent tant dans les pays du tiers monde que dans les pays développés : urbanisation rapide, assainissement de l'eau, transports et surtout énergie.
A la Réunion, nous avons l'eau, le soleil et les alizés. Il y a aussi la biomasse, le charbon et la bagasse. Avec la géothermie, l'énergie marine, les énergies nouvelles, nous pouvons être un exemple pour le monde et pour le siècle à venir en matière d'utilisation d'énergies renouvelables ; nous pourrons en effet nous dispenser des combustibles fossiles.
Sur le plan de la culture, nous constituons, avec Madagascar, l'île Maurice, les Seychelles, les Comores, une communauté forte de ses diversités culturelles. Nous sommes un exemple vivant de la nécessité de la diversité culturelle pour sauver le monde contre l'uniformité, de l'ouverture à l'universel.
Tels sont, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les problèmes que l'on peut évoquer à l'occasion de l'examen de ce budget. Mais regardons vers l'avenir, ouvrons l'espace et replaçons notre pays dans la perspective du xxie siècle ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes. - M. Braun applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Payet.
M. Lylian Payet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne vous le cacherai pas : le premier budget du prochain millénaire pour l'outre-mer me paraît bien décevant, tant par son manque d'ambition que par une orientation de ses crédits inadaptée à la réalité socio-économique des départements d'outre-mer.
L'augmentation annoncée de 13,6 % de la masse budgétaire par rapport à l'an dernier n'est qu'apparente, car, si l'on retranche les transferts de crédits, la progression à structure constante ne s'élève qu'à 1,8 %, soit bien moins que les années précédentes.
Pourtant, la situation sociale et économique de nos départements d'outre-mer est toujours aussi gravement préoccupante : le nombre de demandeurs d'emploi, qui est évalué à 32 % de la population active pour la moyenne des quatre départements, a augmenté de 2 % alors qu'il a baissé de 5 % en métropole, et 15 % de la population vit du RMI dans ces départements contre 3 % en métropole.
En ce qui concerne plus particulièrement la Réunion, les chiffres sont encore plus alarmants, puisque mon département compte 37 % de chômeurs et 20 % de RMIstes.
Chaque année, les parlementaires des départements d'outre-mer interviennent à cette même tribune pour dénoncer cette situation intolérable et réclamer qu'au nom de la solidarité nationale les efforts nécessaires soient entrepris pour sortir les départements d'outre-mer de leur marasme, ou, comme on dit chez nous, de leur « fénoir ».
Certes, on annonce, depuis maintenant un an, une vaste loi d'orientation, dont, à ce jour, on ne connaît toujours pas les grandes lignes, si ce n'est des pistes de réflexion, au travers de trois rapports rédigés à la demande du Gouvernement et qui ont suscité des réactions pour le moins contrastées.
Il en est ainsi de la bidépartementalisation, qui vient d'être évoquée par mon collègue M. Vergès et qui est considérée comme une chose acquise alors que ce n'est pas, que ce ne doit pas être une priorité pour la Réunion, compte tenu des grands défis économiques qui doivent être relevés pour un véritable développement.
Mais peut-être, monsieur le secrétaire d'Etat, allez-vous satisfaire notre impatience en dévoilant tout à l'heure les bases de ce futur projet de loi d'orientation. Il commence à ressembler à l'Arlésienne : on en entend parler mais on ne voit rien venir ! (Sourires.)
En attendant, ce n'est pas le projet de budget aujourd'hui soumis à notre appréciation qui permettra de répondre à nos espérances. J'en prends pour exemple les crédits consacrés à l'emploi et au logement, même s'ils représentent 60 % de ce projet de budget.
S'agissant de l'emploi tout d'abord, le FEDOM, le fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer, augmente artificiellement par le rapatriement des sommes affectées aux contrats emplois consolidés, jusque-là gérés par le ministère des affaires sociales.
Quant aux solutions d'insertion prévues, elles sont prioritairement tournées vers le secteur non marchand, au détriment du secteur concurrentiel, pourtant très créateur d'emplois. Ce travers que j'avais déjà relevé l'an dernier perdure cette année en s'amplifiant, puisque les crédits consacrés aux contrats d'accès à l'emploi diminuent de près de 30 % alors que ceux qui sont affectés aux emplois-jeunes progressent de près de 40 %.
Cette mauvaise répartition se heurte à deux constats :
D'une part, le secteur marchand est beaucoup plus productif en termes de postes salariés, et vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, avez reconnu, lors de votre audition par notre commission des affaires sociales, que la croissance de l'emploi avait été quatre fois plus forte dans les secteurs bénéficiant des exonérations de charges sociales que dans les autres secteurs. La preuve en est que l'article 72 du présent projet de loi de finances prolonge d'un an ce dispositif d'exonérations né de la loi « Perben ».
D'autre part, les emplois-jeunes ne sont qu'un pis-aller et les rapports de Mme Mossé et de M. Fragonard en ont dénoncé les inconvénients, liés à leur coût budgétaire élevé et aux incertitudes sur la sortie de ce dispositif.
La question de l'emploi et du développement économique doit être traitée prioritairement, avec la plus grande énergie, en tenant compte de la localisation et de l'environnement des départements d'outre-mer éloignés de 10 000 kilomètres de la métropole.
A ce sujet, la récente tenue, à la Réunion, de la Commission de l'océan Indien a rappelé la nécessité de renforcer la coopération régionale en matière économique et commerciale. Or la Réunion n'est pas avantagée dans ce contexte géographique. En effet, département français et région européenne, elle n'a pas les moyens de conclure des accords avec les pays environnants sans passer par Paris et Bruxelles. Les autres membres de la Commission de l'océan Indien en revanche font partie des blocs régionaux - tels que la SADC, communauté des Etats de l'Afrique australe, la COMESA, marché commun des Etats de l'Afrique de l'Est et du Sud, ou encore l' Indian Ocean Rim -, tous beaucoup plus importants et actifs que la Commission de l'océan Indien en termes de marchés potentiels.
Les exportateurs réunionnais se plaignent souvent des barrières douanières élevées dans les pays de la Commission de l'océan Indien alors que ces derniers, en raison de leur statut d'Etats ACP, bénéficient d'un accès préférentiel au marché réunionnais. En outre, un rapport de notre Conseil économique et social régional a révélé que les produits fabriqués par les PME et les PMI réunionnaises « ne sont pas complémentaires aux productions de la zone » et souffrent du faible pouvoir d'achat des pays environnants où le salaire minimum est de dix à soixante fois moins élevé.
J'en viens maintenant aux crédits du logement pour constater que la ligne budgétaire unique ne permettra, l'an prochain, que de reconduire le volume des programmes réalisés en 1999, ce qui s'avère nettement insuffisant face à l'ampleur des besoins en ce domaine.
Il y a plus de dix ans, l'INSEE estimait qu'il fallait construire 12 000 logements par an pour combler le retard en matière de logement social à la Réunion. Or ce sont à peine 4 000 logements en moyenne qui sont édifiés chaque année. Le déficit s'accumule donc d'année en année et l'accroissement démographique attesté par le dernier recensement ne permettra pas d'inverser la tendance. Comme l'indiquait le numéro de novembre de la Lettre de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer, « la crise du logement est toujours d'actualité, et pour de nombreuses années encore, à la Réunion ».
A cet aspect quantitatif s'ajoute une considération d'ordre qualitatif avec une inadaptation de l'offre et de la demande : le système actuel d'allocations logements excluent les faibles revenus de l'accession à la propriété.
La lecture détaillée des crédits nous apprend que, l'an prochain, la ligne budgétaire unique sera encore abondée par la créance de proratisation du RMI, ce qui témoigne - à mon grand regret - de la volonté du Gouvernement de ne pas procéder sans plus attendre à l'alignement du RMI sur son niveau métropolitain : c'eût été pourtant un geste fort à l'égard des populations ultramarines, qui, cinquante ans après la départementalisation, attendent toujours de bénéficier des mêmes prestations qu'en métropole. En effet, aucun argument ne s'oppose plus désormais à ce rattrapage, au nom des principes d'équité et d'égalité.
Si la différence de niveau entre les DOM et la métropole s'expliquait à l'origine par le niveau moins élevé du SMIC dans les DOM, je vous rappelle, mes chers collègues, que depuis 1996, le montant du SMIC est le même, qu'il soit versé dans un département d'outre-mer ou dans un département de métropole.
Certes, tout le monde est d'accord pour estimer que les moyens destinés à l'insertion des RMIstes doivent être renforcés et rendus plus efficaces, mais cela n'est en aucun cas incompatible avec un alignement immédiat de cette allocation !
Je dirai même plus, m'opposant ainsi clairement à la position de M. Fragonard et du rapporteur de notre commission des affaires sociales malgré toute l'estime que je lui porte : le renforcement du dispositif d'insertion ne doit pas être un préalable à l'alignement du RMI ; au contraire, l'alignement du RMI doit être un préalable, au nom du principe intangible de l'équité.
Dès lors, si l'on ajoute que d'autres prestations, telles que l'allocation de parent isolé et le complément familial, restent inférieures dans les DOM, vous comprendrez, mes chers collègues, mon amertume à voir ce siècle s'achever sans que soit assurée une parfaite égalité sociale entre tous les Français, alors que nous sommes encore, à bien des égards, des Français à part.
Ce budget a pour les Réunionnais le goût amer de l'inégalité.
Je ne pourrai donc suivre l'avis de mes collègues Torre et Désiré, qui voient dans ce budget un budget d'attente, donc acceptable. Voilà cinquante ans que nous attendons ! C'est trop !
Je ne pourrai davantage suivre l'avis de mon collègue Lorrain sur la créance de proratisation. En effet, cette créance est alimentée par des économies, à mon sens sordides, faites sur le dos des plus démunis.
Je ne pourrai vous suivre pour ce budget, monsieur le secrétaire d'Etat, même si de bonnes dispositions ont été prises dans certains secteurs.
M. le président. La parole est à M. Lise.
M. Claude Lise. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette année, bien plus que les précédentes, j'ai la conviction que nous ne pouvons nous enfermer dans le cadre strict d'un débat budgétaire.
Nous sommes en effet à quelques jours de l'ouverture d'une large consultation, dans les quatre départements d'outre-mer, sur un texte contenant les lignes directrices d'un projet très attendu : votre projet de loi d'orientation, monsieur le secrétaire d'Etat.
Il s'agit là, de toute évidence, d'une phase décisive de l'élaboration de ce texte, à propos duquel, il faut bien l'avouer, il a été jusqu'ici très difficile d'engager un débat sérieux avec bien des responsables politiques.
Il importe donc, je le crois vraiment, de profiter de l'occasion qui nous est donnée aujourd'hui pour rappeler le sens de la démarche que vous avez choisi d'adopter et les raisons qui ont amené certains élus - dont je suis - à s'y rallier, sans nullement renier pour autant les idées qu'ils ont toujours défendues en matière institutionnelle.
C'est, vous l'avez compris, ce à quoi je veux essentiellement m'employer au cours de mon intervention.
Je vais toutefois commencer par évoquer votre budget, monsieur le secrétaire d'Etat.
A l'évidence, c'est un bon budget. J'ai même noté que certains de vos détracteurs les plus virulents l'avaient voté à l'Assemblée nationale !
Je laisse bien entendu à d'autres le soin de chicaner sur le chiffre de 13,6 % d'augmentation. En effet, même si l'on ne retient que celui de 1,76 % à structure constante, il faut avouer qu'il n'y a pas de quoi se plaindre, une année où le budget de l'Etat ne croît que de 0,9 %.
En ce qui concerne la répartition des crédits, je ne peux qu'approuver le choix qui a été fait d'afficher très nettement une priorité : celle de l'emploi et de l'insertion.
Ainsi, le FEDOM passe de 1,8 milliard à 2,1 milliards de francs, soit une hausse de 16,2 %.
Je tiens d'ailleurs à souligner que le regroupement, opéré au sein de ce budget, de l'ensemble des crédits consacrés à l'insertion est une excellente chose, tant sur le plan de la lisibilité que sur celui de la cohérence des politiques à mener dans ce domaine.
Je constate également avec satisfaction une progression de 2,3 % de la ligne budgétaire unique.
Enfin, je me félicite de voir le FIDOM général recommencer à progresser de 9,5 % après une baisse régulière depuis 1995.
En revanche, je déplore, cette année encore, le fait que le FIDOM décentralisé n'ait pas été rétabli.
Je regrette également la stagnation du budget de l'agence nationale pour l'insertion et la promotion des travailleurs d'outre-mer, l'ANT, qui fait suite, il est vrai, à une baisse continue depuis plusieurs années.
Voilà ce qu'il me paraît essentiel de relever dans ce budget, où l'emportent donc largement les motifs de satisfaction.
Ce budget doit s'apprécier dans le contexte plus général dans lequel il s'inscrit : celui de l'effort global de l'Etat en direction de l'outre-mer, avec des crédits qui progressent de 2,85 % pour atteindre près de 58 milliards de francs ; celui des contrats de plan 2000-2006, dans le cadre desquels l'Etat engagera 5,6 milliards de francs, et du document unique de programmation, le DOCUP, qui prévoit qu'en 2000-2006 l'Europe engagera plus de 21 milliards de francs ; celui enfin de la future loi d'orientation dont les mesures de soutien à l'économie devraient se traduire par plusieurs milliards de francs supplémentaires.
J'en viens précisément maintenant à cette loi d'orientation que vous avez annoncée il y a un an, monsieur le sectétaire d'Etat, et pour laquelle le Premier ministre et vous-même avez tenu à engager, dès le départ, la plus large concertation.
Je ne connais pas de dispositif législatif d'ordre institutionnel ou économique concernant les départements d'outre-mer qui ait fait l'objet de tant de consultations dans ces quatre départements !
Je ne connais pas de dispositif législatif concernant les DOM à propos duquel on ait ouvert un espace de dialogue aussi vaste et cherché à ce point à entendre ceux qui sont les premiers intéressés !
Je ne connais pas de dispositif législatif concernant les DOM pour la préparation duquel un Premier ministre ait eu l'idée de demander, au préalable, à un, voire à deux parlementaires d'outre-mer, mis en mission à cet effet, de lui remettre un rapport !
Si quelqu'un ici a en mémoire un autre exemple, qu'il me le cite !
En réalité, ce à quoi nous étions habitués, nous le savons tous, c'était à être mis devant le fait accompli.
Nous entendions dire qu'un projet était en préparation. Cela se passait toujours dans le secret de quelque cabinet ministériel. Nous apprenions que des experts avaient procédé à des études et remis des rapports, souvent confidentiels, que certains représentants de milieux économiques, et parfois sociaux, avaient été auditionnés.
Et puis, brusquement, nous assistions à un semblant de consultation des assemblées locales, dans des conditions interdisant tout examen sérieux et, bien entendu, toute possibilité réelle d'amendements ou de contre-propositions.
Je pensais donc très naïvement que les responsables politiques de nos départements seraient, dans leur ensemble, au moins d'accord pour saluer la nouvelle méthode mise en oeuvre : une méthode qui témoigne déjà, à elle seule, d'une nouvelle conception des rapports entre l'Etat et nos départements.
Hélas ! Ce n'a pas été le cas.
Je passe sur ceux qui, dès le départ, ont prétendu que le projet de loi était déjà rédigé et que le reste n'était qu'une véritable mise en scène du Gouvernement.
Ils ont choisi, de toute évidence, l'alibi le plus facile et, j'ai envie de dire, le plus débile, pour refuser de participer à un débat démocratique et pour se dispenser en fait de tout travail constructif.
Mais que dire de ceux qui, après avoir paru accepter d'apporter leur contribution, ont assez rapidement versé dans les prises de positions purement partisanes, les procès d'intention et parfois les manoeuvres politiciennes ?
Le résultat, c'est que beaucoup de temps a été perdu qui aurait pu être utilement consacré à essayer de tirer tout le parti possible de la démarche initiée par le Gouvernement.
Car enfin, qui peut sérieusement me dire qu'une avancée dans la responsabilité locale ne présente pas d'intérêt pour nos départements, que nous n'avons aucun bénéfice à tirer de la délégation de nouvelles compétences aux élus locaux, que nous n'avons rien à faire d'une plus grande capacité d'initiative en matière de coopération régionale, que cela ne servira à rien d'obtenir l'adaptation à nos réalités locales d'un certain nombre de textes législatifs dont nous connaissons les difficultés d'application et parfois même le caractère nocif ? J'ai entendu parlé, tout à l'heure, des lois sur le littoral, sur les cinquante pas géométriques, sur les transports, toutes lois qui posent problème...
Qui, par ailleurs, peut sérieusement me dire que nos départements ne gagneront rien à disposer d'un ensemble de mesures destinées à soutenir et stimuler notre tissu économique et, par conséquent, à favoriser la création d'emplois, qu'ils ne tireront aucun parti d'un assainissement de la situation financière des collectivités locales, qu'ils ne trouveront aucun intérêt dans l'instauration d'un meilleur cadre relationnel avec la Communauté économique européenne, prenant mieux en compte nos réalités, nos handicaps structurels mais aussi nos atouts ?
Ce sont pourtant là les objectifs assignés à la loi d'orientation, qui, faut-il le rappeler, n'a pas l'ambition d'être la panacée pour un futur indéfini mais a celle d'être une réponse concrète, rapide à une situation que tous qualifient de « situation d'urgence ».
Je sais bien que certains s'interrogent sur les possibilités offertes par l'article 73. Jamais, disent-ils, il ne permettra d'atteindre tous ces objectifs.
Cela a été longtemps, je l'avoue, ma propre position compte tenu de l'interprétation toujours restrictive du Conseil constitutionnel.
Mais il faut reconnaître que s'amorce depuis quelque temps un certain infléchissement de la jurisprudence du Conseil, que ne peut que favoriser encore l'existence de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam.
Il faut également reconnaître que la classe politique elle-même a beaucoup évolué sur ce point. Les prises de positions publiques du Président de la République en témoignent très clairement et elles sont, a priori, très rassurantes quant aux risques de saisine du juge constitutionnel.
On semble, en somme, en revenir à l'esprit du texte de 1958, qui permettait au général de Gaulle d'évoquer devant Aimé Césaire, à propos de l'article 73, la nécessité pour les départements d'outre-mer de disposer de ce qu'il appelait des « franchises locales ».
Oui, mais nous disent certains, même avec la plus large interprétation, cet article ne permet pas d'aller assez loin ; il ne permet pas de mettre en place une assemblée unique. C'est vrai, et je suis le premier à le déplorer, car je suis partisan depuis longtemps d'une certaine forme d'assemblée unique, en tout cas pour la Martinique. Je parle bien d'« une certaine forme », car il existe de multiples formes d'assemblées uniques. C'est là le paradoxe !
Oui, mais, nous disent-ils encore, cet article ne nous permet pas non plus d'obtenir le pouvoir de légiférer localement sur certaines matières que nous aimerions bien maîtriser. C'est vrai, et ce n'est pas d'aujourd'hui que j'apprécie, comme d'autres, certains aspects institutionnels des Canaries, de Madères ou des Açores, sans toutefois prétendre en tirer des conclusions hâtives.
A tous ces arguments, on peut, en réalité, répondre très simplement que la loi d'orientation n'est certainement pas la fin de l'histoire dans les départements d'outre-mer. A aucun moment, je n'ai entendu dire qu'il y aurait une volonté du Gouvernement actuel de fermer la porte à un débat institutionnel, pour peu qu'il s'inscrive dans une procédure parfaitement démocratique.
C'est d'ailleurs pourquoi nous avons, Michel Tamaya et moi, proposé dans notre rapport une disposition permettant aux élus locaux, réunis en congrès, de poser le problème d'une évolution statutaire là où, à un moment donné, une telle évolution pourrait paraître souhaitée par la population et d'enclencher ainsi une procédure permettant la libre expression de la population à ce sujet.
Ce dispositif peut évidemment être amendé ou remplacé par un autre.
Ce qui importe - et vous me permettrez de reprendre les propos que j'ai tenus en recevant le Premier ministre en Martinique - c'est d'« éviter tout ce qui pourrait s'apparenter à une marche forcée, à une marche précipitée effectuée sous l'injonction de minorités agissantes s'octroyant le droit de parler, de négocier et de décider à la place du peuple. L'histoire nous a suffisamment démontré ce que cela pouvait comporter de périls ! ».
Aujourd'hui, aucun élu des départements d'outre-mer n'a, à ma connaissance, reçu mandat du peuple pour négocier quelque évolution statutaire que ce soit ; j'en suis en tout cas absolument certain s'agissant de la Martinique.
Mais chacun peut encore, en participant à la nouvelle phase du débat qui va s'engager, contribuer par des propositions concrètes et constructives, à enrichir la future loi d'orientation, à faire en sorte qu'elle aille le plus loin possible dans le renforcement de la responsabilité locale.
En même temps, elle doit répondre, le mieux possible, à l'attente des acteurs économiques qui ont besoin de mesures fortes, lisibles et pérennes, notamment en matière de financement de l'investissement, pour redynamiser le tissus économique de nos départements et pour créer de l'emploi.
L'engagement dans cette démarche, qui prend en compte la nécessité d'agir efficacement aujourd'hui même, sans attendre, ne contredit en rien la poursuite d'objectifs plus ambitieux, voire plus radicaux.
Ce qui compte en définitive, c'est que, dans la nouvelle logique adoptée par le Gouvernement à l'égard des départements d'outre-mer, et qui rompt définitivement avec la vieille logique assimilationniste, sur cette voie de la responsabilité que nous sommes enfin conviés à emprunter, nous sachions tous, en permanence, nous montrer effectivement responsables.
C'est ce qu'attendent de nous ceux qui nous ont donné mandat de les représenter et de dégager pour eux les plus sûres perspectives d'avenir. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Henry.
M. Marcel Henry. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de budget pour 2000 du secrétariat d'Etat à l'outre-mer est en augmentation sensible si l'on tient compte des transferts venant d'autres ministères. A structure budgétaire constante, la croissance des crédits est beaucoup plus limitée : de l'ordre de 1,76 %.
Les priorités qui y sont affichées, à savoir la lutte pour l'emploi, le logement et l'action sociale et culturelle, appellent à l'évidence l'approbation de tous, tant il est vrai que la dégradation continue de l'emploi outre-mer impose des mesures énergétiques, et ce dans tous les secteurs d'activités.
Cependant, vous en conviendrez sans doute avec moi, monsieur le secrétaire d'Etat, il s'agit non pas tant de dépenser plus que d'améliorer l'efficacité des politiques de développement dans chacune de nos collectivités d'outre-mer.
En effet, devant la situation, si souvent décriée, de trop grande dépendance économique et d'assistance financière par rapport à la métropole, apparaît de plus en plus la nécessité d'une conception « plus dynamique et plus responsable » du développement local. Les principaux dispositifs d'action doivent être mieux adaptés aux réalités et efficacement coordonnés, afin de mobiliser toutes les énergies et de remédier à la crise politique, économique et sociale qui agite nos différents départements, territoires, collectivités territoriales et pays d'outre-mer.
Or le présent projet de loi de finances est examiné avant l'élaboration du fameux projet de loi d'orientation pour les DOM et alors que n'est pas encore clairement définie l'évolution statutaire attendue à Mayotte, qui doit notamment tenir compte de la longue attente et des aspirations profondes de la population mahoraise. On peut donc légitimement se demander dans quelle mesure il répond à la situation particulière de notre « collectivité territoriale ».
Pour Mayotte, en tout cas, le projet de budget du secrétariat d'Etat chargé de l'outre-mer se caractérise par un effort de présentation des crédits affectés sous diverses rubriques à l'emploi et à la formation professionnelle, mais aussi par une large incertitude sur les moyens d'équipement de l'île.
La création d'une ligne budgétaire spécifique regroupant l'ensemble des mesures de lutte pour l'emploi dans une dotation intitulée « emploi, formation et insertion à Mayotte » présente l'intérêt de faciliter l'appréciation à l'avenir des efforts consentis dans ce secteur.
A cet égard, je ne peux que me réjouir de l'inscription nouvelle de 2,5 millions de francs prévue au chapitre 46-94 et destinée en particulier à faciliter l'ouverture du centre de formation des adultes, programmée à Sada.
De même, je note avec intérêt la reconduction des crédits consacrés au fonds de chantiers de développement local et l'augmentation sensible du nombre des contrats emploi-solidarité et des contrats emploi consolidé.
Toutefois, je m'inquiète, au regard des données enregistrées l'année dernière, de la baisse sensible du nombre des contrats emploi-jeunes dans une île où les moins de trente ans représentent environ 60 % de la population.
Quant à la diminution du nombre des contrats de retour à l'emploi et des stages d'insertion et de formation à l'emploi, elle signifie que le Gouvernement privilégie, à Mayotte, le développement des emplois aidés dans le secteur non marchand au détriment du secteur marchand. Or c'est au contraire celui-ci qui doit être encouragé. J'espère donc que, pour l'année prochaine, les réorientations nécessaires seront opérées afin de mettre l'accent sur les dispositifs d'insertion par l'économique et les mesures d'exonération des charges des entreprises créatrices d'emplois.
La nouvelle dotation globalisée pour l'emploi ne nous permet pas de renoncer à notre demande ancienne d'extension du FEDOM pour lutter efficacement contre la recrudescence du chômage, qui représente maintenant plus de 41 % de la population active à Mayotte.
Nous sommes également favorables à l'adaptation du RMI en revenu minimum d'activité, et j'appuie par avance les efforts déployés dans cette direction par notre excellent collègue Alain Lambert, président de la commission des finances du Sénat.
Quant aux autres actions pour l'emploi, il ne faudrait pas que la diminution des crédits de fonctionnement du SMA, le service militaire adapté, en raison de la professionnalisation de l'armée, constitue une menace pour la survie et les progrès de l'unité du SMA de Combani, au moment même où ses performances en matière de formation et surtout d'insertion professionnelles suscitent un véritable engouement chez les jeunes Mahorais.
Le simple maintien à leur niveau de l'année dernière des crédits affectés à l'Agence nationale pour l'insertion et la promotion des travailleurs d'outre-mer, l'ANT, alors que les originaires de Mayotte seront, à compter de l'année prochaine, éligibles aux formations prises en charge par cet organisme, requiert également notre vigilance.
Le blocage, depuis plusieurs années, du montant de la bourse allouée aux étudiants mahorais, tandis que le nombre de bacheliers poursuivant des études supérieures en métropole ne cesse d'augmenter, m'amène à vous suggérer la création dans l'île des établissements d'enseignement supérieur nécessaires en vue de limiter les coûts de formation universitaire.
S'agissant, enfin, de votre politique d'investissement à Mayotte, je crois pouvoir affirmer, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'elle demeure marquée par de nombreuses incertitudes.
Certes, la dotation exceptionnelle annoncée permettra de débloquer la situation financière de notre « collectivité territoriale » mais, dans le domaine du logement, il est urgent que la généralisation du FRAFU, le fonds régional d'aménagement foncier et urbain, soit aussi étendue à Mayotte, où il n'est guère envisageable, notamment pour la Société immobilière de Mayotte, de construire sans aménagement préalable des terrains à bâtir.
Les appréhensions sont encore plus sérieuses s'agissant du financement des opérations pluriannuelles d'investissement. Contrairement à ce qui se passe pour les DOM, le futur plan Etat-Mayotte portera sur une programmation quinquennale étalée sur la période 2000-2004 ; il est censé de substituer au contrat de plan 1994-1999, mais aussi à la convention de développement économique et social pour 1995-1999. Mayotte risque de perdre ainsi le bénéfice de cet instrument indispensable de rattrapage de ses nombreux retards. Je souhaite que, sur ce point, vous puissiez apporter aux élus mahorais tous les apaisements nécessaires.
C'est dire que, pour maintenir le rythme de nos avancées, le nouveau contrat de plan Etat-Mayotte devrait prévoir, au moins, l'engagement de projets aussi importants que ceux qui ont été précédemment financés par les deux contrats échus.
Or les enveloppes financières des contrats de plan pour les collectivités autres que les DOM ne sont toujours pas arrêtées et les indications données par le document préparatoire relatif à la stratégie de l'Etat à Mayotte s'avèrent nettement en deçà des attentes de nos élus.
Pourtant, je le reconnais volontiers, le Gouvernement, qui tergiverse pour répondre à la volonté mahoraise d'accession au statut de département d'outre-mer, a souvent manifesté sa volonté d'accélérer le développement économique et social de Mayotte. Il est donc grand temps de passer du stade des déclarations incantatoires à celui de la concrétisation des intentions affichées.
Vous le comprendrez, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne saurais terminer sans évoquer la crise politique et institutionnelle que nous connaissons à Mayotte.
La consultation populaire sur l'avenir institutionnel de Mayotte, prévue par la loi statutaire du 24 décembre 1976, modifiée par celle du 22 décembre 1979, puis rappelée dans le préambule de la convention de développement économique et social du 5 avril 1995 pour la période 1995-1999, et qui a été formellement promise par les plus hautes autorités de l'Etat, n'est toujours pas organisée.
Le projet de « document sur l'avenir de Mayotte », élaboré par une mission interministérielle et diverses personnalités politiques de l'île, n'a pas abouti au consensus escompté puisque les parlementaires mahorais - à commencer par moi-même - ont refusé de l'approuver dans la mesure où il ne répond manifestement pas aux attentes de la population ni aux engagements qui ont été pris.
Face à un tel blocage, il est urgent de relancer le dialogue institutionnel engagé en tenant compte, notamment, de l'avis rendu par la mission de la commission des lois de l'Assemblée nationale qui a séjourné récemment dans l'île.
En tout état de cause, il serait extrêmement fâcheux que la loi, le contrat et les engagements solennels du Président de la République et du Premier ministre puissent rester lettre morte. Il y va de la crédibilité des autorités de l'Etat à Mayotte comme de nos chances de progrès dans la République.
La gravité de la crise politique, économique et sociale que traverse Mayotte ne me semble pas suffisamment prise en compte par ce projet de loi de finances pour 2000 du secrétariat d'Etat à l'outre-mer. Le vote du groupe de l'Union centriste sera fonction, monsieur le secrétaire d'Etat, de votre réponse à nos préoccupations budgétaires et de vos initiatives sur l'évolution statutaire de Mayotte. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Lauret.
M. Edmond Lauret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ainsi donc, en l'an 2000, l'outre-mer redeviendrait une priorité gouvernementale, avec un budget en hausse de 13,5 %...
Hélas ! quand on y regarde de plus près, les rêves s'estompent et la désillusion est de mise, car votre budget, monsieur le secrétaire d'Etat, est en réalité un budget de régression et ne contient aucune mesure nouvelle de nature à montrer votre volonté de commencer à traiter, trente mois après votre installation, les difficultés de l'outre-mer en général et de la Réunion en particulier.
Je m'appuie sur le rapport de notre excellent collègue M. Henri Torre pour vous rappeler que la hausse dont vous vous enorgueillissez est virtuelle ; elle cache en fait une diminution des moyens mis à la disposition de l'outre-mer l'an prochain.
Que dit, en effet, ce rapport ? « Ce taux de progression est artificiel : 660 millions - sur 760 - de francs correspondent à des dépenses prises en charge par d'autres ministères, et qui sont transférées (...) A structure constante, le montant des actions en faveur des collectivités locales diminue à nouveau, en 2000, de 20,6 %. »
Sur les dotations destinées à la Nouvelle-Calédonie, voici ce qu'explique notre rapporteur spécial : « Ces crédits ne doivent pas être considérés comme un effort supplémentaire de l'Etat en faveur de l'outre-mer. »
Concernant l'emploi, M. Torre indique encore que la hausse des crédits du FEDOM est « artificielle », car elle résulte du transfert au ministère de l'outre-mer des crédits des contrats emploi consolidé auparavant inscrits au budget du ministère de l'emploi et de la solidarité.
Notons ici que les crédits relatifs aux contrats d'accès à l'emploi baissent en l'an 2000 de 28 %. Or chacun sait que ces crédits, qui ont déjà baissé de 35 % dans le budget précédent, constituent actuellement la seule véritable insertion dans la mesure où ils permettent aux jeunes chômeurs d'apprendre un métier, sous l'autorité des employeurs privés.
En matière de logement, si les crédits de paiement de la ligne budgétaire unique progressent légèrement, de 2 %, il faut souligner que les autorisations de programme sont stables, restant au niveau de 1998 et de 1999. Or le secteur du logement social est prioritaire, compte tenu, d'une part, des retards accumulés en la matière, d'autre part, des créations potentielles d'emplois qu'une relance du bâtiment pourrait provoquer immédiatement.
Je passe sur l'investissement, qui diminue lui aussi de 1,2 %, pour vous rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, que, sur le plan social, ce budget n'apporte aucune mesure nouvelle susceptible de parfaire l'action en faveur de l'égalité sociale entreprise par le gouvernement Juppé en 1995 et 1996, sous l'impulsion du Président de la République.
Cet immobilisme gouvernemental a d'ailleurs fort logiquement entraîné un vote négatif de la commission des affaires sociales de la Haute Assemblée.
Comment expliquer, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, que, dans un département qui connaît le triste record de France du chômage, où le chômage des jeunes progresse, comment expliquer donc le gel, sur le budget 1999, de 180 millions de francs destinés à l'emploi ?
Comment admettre qu'à l'aube du troisième millénaire, dans un département français, on puisse exiger des RMIstes qu'ils financent les dépenses du logement social par prélèvement sur leurs aides mensuelles, quand on sait qu'ils n'en profitent pas, les logements concernés étant trop chers pour eux ?
Y a-t-il une définition plus claire du détournement de fonds publics ? J'en doute.
Si nous tenons compte de ces 180 millions de francs de crédits d'emploi gelés en 1999, nous arrivons arithmétiquement à une baisse du volume des crédits de l'an 2000 par rapport à l'année 1999. Cela me paraît inacceptable, et je ne voterai pas votre budget, monsieur le secrétaire d'Etat.
Mes chers collègues, la situation dans mon département est difficile. Elle est difficile, mais elle n'est pas désespérée, car, chez nous, la croissance est forte et crée des emplois à un niveau tel que, transposé à l'échelle de la France métropolitaine, cela permettrait de résoudre le problème du chômage dont vous souffrez ici.
En fait, une forte démographie met chaque année 10 000 jeunes sur le marché de l'emploi et tendra encore la situation sociale jusqu'au moment où la transition démographique sera réalisée, d'ici quinze à vingt ans, selon les experts. D'ici là, nous devons, comme on dit, « gérer la situation » et faire preuve d'imagination pour éviter l'explosion sociale tant redoutée.
Cela ne passe pas, à mon sens, par la modification du statut, l'article 73 de la Constitution et l'article 299-2 du traité d'Amsterdam me paraissant suffisants pour adapter notre spécificité au contexte économique, en particulier en ce qui concerne l'abaissement des charges sociales, l'aide à l'emploi et la protection de nos productions.
La solution est à chercher, en tout cas pour le département que je représente, dans d'autres directions.
Premièrement, un plan spécifique contre le chômage, en particulier contre le chômage des jeunes, devrait être mis en place. Le dispositif des emplois-jeunes ayant exclu les jeunes non diplômés, très nombreux outre-mer, c'est à ce public particulier qu'il faudrait d'urgence s'intéresser.
Deuxièmement, les charges patronales doivent diminuer afin que les PME embauchent davantage. Seraient ainsi créés de vrais emplois dans le secteur marchand.
Troisièmement, la mise en place d'un véritable plan « export » s'impose : l'extension du dispositif des emplois-jeunes à ce secteur serait un moyen de rendre nos produits compétitifs et de donner à nos jeunes une véritable formation.
Quatrièmement, la restauration intégrale du dispositif prévu par la loi Pons et la reconduction pour cinq ans de la loi Perben sont indispensables, car ce sont les deux seuls outils de développement mis à notre disposition. Or le Gouvernement réduit leur efficacité !
A toutes fins utiles, j'indique que les Réunionnais payent plus de « TVA Perben » qu'ils ne profitent d'exonérations de charges sociales : le différentiel est de 119 millions de francs pour les trois derniers exercices.
Cinquièmement, l'égalité sociale passe par l'alignement du RMI, dont le niveau actuel n'est plus justifié, car le SMIC outre-mer est aujourd'hui égal au SMIC métropolitain, alors que les prix sont plus élevés qu'en France continentale.
Bien entendu, cet alignement devrait être corrélé avec une véritable insertion, pour restaurer la dignité des bénéficiaires, les former et éviter le travail au noir.
Quand on sait que la dépense publique est de 40 % plus faible à la Réunion qu'en métropole - je dis bien 40 % - on mesure l'injustice que subissent les populations d'outre-mer du fait des choix du gouvernement français.
Monsieur le secrétaire d'Etat, l'an passé à la même époque, vous nous avez annoncé une loi d'orientation pour cet automne. Dans quelques jours, nous serons, de ce côté-ci de l'équateur, en hiver, mais nous ne connaissons toujours rien des intentions du Gouvernement.
Comme soeur Anne, nous attendons ! (Sourires.)
Je vous réitère mes inquiétudes de l'an passé : cette loi et ses textes d'application risquent d'arriver trop tard et, comme on dit chez nous, pendant ce temps-là, cabris i mang' salades ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne vais pas, dans les quelques minutes qui me sont imparties, me livrer à une analyse de ce projet de budget. Mon collègue et ami Paul Vergès a démontré que nous étions à la croisée des chemins et il a insisté sur la nécessité de définir une stratégie d'avenir pour relever les défis.
Notre appréciation sur le projet de budget est positive et nous considérons que le Gouvernement prend bien, mais en partie, la mesure de ce qu'il faut entreprendre, en partie seulement, car la France doit, à terme, dégager encore plus d'énergie pour éviter le pire.
Il est nécessaire de conjuguer énergie et fermeté. La modernisation des échanges pousse à ce que les départements et territoires d'outre-mer soient constamment présents dans nos préoccupations, dans les négociations, dans nos prises de position. Sachant que la situation sociale est aujourd'hui particulièrement sensible, les négociations commerciales internationales menées ces temps derniers revêtent une importance cruciale.
Il est patent que les Etats-Unis tentent de remettre en question les liens qui unissent nos départements antillais avec l'Union européenne, en particulier, et il nous semble donc déterminant que la France ne cède pas aux injonctions qui lui sont faites.
Une bonne vision d'avenir induit aussi un souci exceptionnel de concertation. Nous pensons, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous vous inscrivez dans cette voie.
Nous prenons acte de la volonté gouvernementale de faciliter, autant que faire se peut, la concertation avec l'ensemble des élus et des forces vives de l'outre-mer. Cette concertation doit conduire à l'adoption d'une loi d'orientation permettant de favoriser l'émergence et l'expression des potentiels de nos compatriotes d'outre-mer.
La France a une responsabilité exceptionnelle. « Aujourd'hui, à l'aune du marché mondial n'est jugé recevable que ce qui se vend beaucoup et rapidement. Réduites à des marchandises, les expressions multiples de la créativité humaine sont annulées. » Cette dernière phrase est extraite de la déclaration que mon collègue Paul Vergès a cosignée avec Marie-Claude Tjibaou sur la question de la diversité culturelle au moment où allaient s'ouvrir les négociations de la conférence de Seattle.
Que nous disent ces deux fortes personnalités ? S'appuyant sur les atouts de leur territoire et sur les expériences de leurs peuples, elles concluent en ces termes : « A la veille du sommet de Seattle, nous lançons donc un appel : pour la sauvegarde de la diversité culturelle et contre l'uniformité appauvrissante, pour la reconnaissance et l'expression des cultures dites minoritaires, pour que la mondialisation du marché n'étouffe pas la dimension universelle de toute culture humaine. La culture unique est la mort de toute culture. Oui à l'universel, non à l'uniformité. »
Leur message interpelle l'ensemble des élus de la nation. Une partie de la réponse nous appartient. (M. le secrétaire d'Etat opine.) Nous pouvons beaucoup aider à ce que ce message universel soit entendu. Notre groupe voulait, à l'occasion de ce débat budgétaire, insister sur cet appel et sur l'importance qu'il revêt. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Il faut bien le reconnaître, et vous en conviendrez avec moi, monsieur le secrétaire d'Etat, la tâche du Parlement est peu aisée, puisque l'on attend pour l'an 2000 une loi d'orientation sur l'outre-mer. Le calendrier ne rend donc pas commode notre exercice.
Nous sommes en effet aujourd'hui appelés à nous prononcer sur le crédits inscrits dans le fascicule budgétaire de l'outre-mer. Les moyens consacrés aux départements s'élèvent à un peu plus de 6 milliards de francs.
Quant à l'effort budgétaire global de l'Etat consacré aux départements, il s'élève à 45 milliards de francs, beaucoup de crédits ne transitant pas par le budget du secrétariat d'Etat, objet de notre débat.
Alors que le niveau du produit national brut dans les départements d'outre-mer est partout supérieur à celui des Etats voisins, les informations brutes que je viens de vous citer tendent, de prime abord, à une approbation du budget qui nous est proposé.
Ce budget m'inspire toutefois plusieurs remarques.
Tout d'abord, il est en augmentation de 13,5 %. On ne peut que s'en féliciter, mais, comme l'a d'ailleurs rappelé notre rapporteur spécial, notre excellent collègue Henri Torre, cette hausse est purement artificielle, puisque ce sont, en fait et pour l'essentiel, des dépenses antérieurement prises en charge par d'autres ministères qui ont été transférées au budget de l'outre-mer. En réalité, si l'on considère le budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer, il apparaît peu élevé par rapport à celui des autres départements ministériels.
Néanmoins, comme vous me le rappellerez sans doute, monsieur le secrétaire d'Etat, on doit ajouter à ce montant l'aide de l'Etat inscrite au sein des budgets des autres ministères consacrée aux départements d'outre-mer. Si l'on se rapporte aux chiffres contenus dans le rapport sénatorial, on doit arriver à environ 50 milliards de francs. Au demeurant, ce montant est-il suffisant pour permettre à la France d'outre-mer de combler le retard qui est le sien ? La réponse est non, et ce non est sans appel.
Tout d'abord, le Gouvernement, vous nous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat, tient à marquer son principal soutien à la croissance de l'emploi et de la solidarité, en accompagnant l'outre-mer dans son développement. L'emploi représente donc plus de 39 % du budget que vous nous proposez. En ce sens, la dotation du FEDOM marque une augmentation de 16 %.
Si l'on ne peut que s'en féliciter, il faut toutefois regretter que ce procédé traduise un simple système d'assistance, et non un système entraînant une participation active de la population outre-mer. Ce sont, en effet, seulement de nouvelles solutions d'insertion qui sont proposées, des aides du secteur public, mais non des formules permettant à la population de se sentir réellement concernée. Or, dès votre arrivée à la tête du secrétariat d'Etat à l'outre-mer, votre premier mot a été celui de la responsabilité.
Certes, le nombre des bénéficiaires du RMI augmente, mais c'est le symbole du système d'assistanat, gangrène des départements d'outre-mer. Chaque citoyen vivant outre-mer devrait se sentir concerné et, surtout, associé aux procédés proposés, comme le rappellent depuis longtemps les représentants des départements d'outre-mer.
Les fonds relatifs au logement, quant à eux, connaissent une augmentation relativement faible, d'autres intervenants l'ont déjà souligné. Pourtant, la situation du logement dans les DOM est particulièrement préoccupante. A cet égard, la Guyane ne fait pas exception.
Quant au domaine culturel, c'est un fait, le Gouvernement désire favoriser les échanges entre l'outre-mer et la métropole. On ne peut que saluer la création du fonds d'aide aux échanges artistiques et culturels. C'est d'ailleurs le domaine qui connaît la plus forte augmentation. Un fonds similaire serait nécessaire pour les disciplines sportives. En effet, monsieur le secrétaire d'Etat, l'outre-mer, ce n'est pas seulement le muscle, celui qui permet à la Marseillaise de retentir sur les terrains de sport (Sourires), c'est aussi le cerveau, et la culture est un élément fondamental de notre développement. C'est pourquoi j'applaudis à votre initiative. Quant à l'utilisation concrète qui sera faite de ce fonds, laissez-moi dire, comme les Anglais, wait and see ! (Nouveaux sourires.)
En définitive, il est difficile d'être résolument contre ce projet de budget ; on ne peut pas non plus être résolument pour, puisqu'il ne prévoit pas un changement notable dans la politique gouvernementale.
Toutefois, monsieur le secrétaire d'Etat, laissez-moi vous interroger sur le projet sucrier guyanais.
Pourquoi l'Etat tarde-t-il à approuver ce projet, d'autant qu'il ne prend aucun risque ? En effet, si l'on veut développer le secteur agricole de la Guyane, il est de toute façon nécessaire de réaliser un aménagement foncier des savanes, quel que soit le type de culture qui y sera développé. Les terres aménagées restent toujours propriété de l'Etat.
L'attribution de quotas au niveau initial des 45 000 à 50 000 tonnes actuellement libres d'attribution est un acte purement formel qui ne deviendra effectif que lors de la mise en marche de l'usine et, dans le cas contraire, ces quotas restent disponibles. Alors, je ne comprends plus, et je ne suis pas le seul à ne pas comprendre !
Monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il me soit permis de vous rappeler la situation originale de chacun des départements d'outre-mer et de la Guyane en particulier. En effet, chaque département connaissant une situation unique, il doit se voir proposer des réponses différentes lui permettant d'évoluer en fonction de ses particularismes historiques et économiques.
Je voudrais appeler votre attention sur quelques urgences anciennes et déclarées qui s'imposent en Guyane. Monsieur le secrétaire d'Etat, une relation sincère doit en ce sens être établie entre l'Etat et la Guyane et se traduire par un pacte de développement, concrétisant le cadre des évolutions souhaitées et définissant les moyens publics et privés.
Après les soulèvements populaires de novembre 1996, le corps social et politique guyanais s'est réuni en états généraux. Le rapport final de janvier 1998, qui comporte tous les éléments permettant d'envisager un avenir plus stable pour notre région, a été réalisé. Les assemblées départementale et régionale se sont constituées en congrès et ont adopté un document appelé « pacte de développement ».
Ce pacte de développement, monsieur le secrétaire d'Etat, doit être et peut constituer la base de négocation. Les Guyanais ne souhaitent pas être invités au dialogue avec le Gouvernement à la manière corse !
Je m'apprête aussi, comme m'y autorise la Constitution de la République, à déposer une proposition de loi d'orientation, inspirée par ces doléances, dont les éléments pourront nourrir le débat qui aura lieu lors de la discussion de votre projet de loi d'orientation, ainsi qu'une proposition de loi sur le statut de la Guyane.
Si certains n'ont pas vu d'un bon oeil la déclaration de Basse-Terre des présidents des régions Guadeloupe, Guyane et Martinique, pour ma part, j'y souscris, car je l'ai écrite avec des députés de votre majorité qui aujourd'hui, peut-être, ne sont plus en vie. La réalité guyanaise nécessite, selon moi, une prise en compte sérieuse.
Parallèlement, j'ai déposé un texte portant diverses mesures spécifiques à la forêt guyanaise. Celle-ci constitue en effet un bien exceptionnel et remarquable tant pour la Guyane que pour la France, et ce à de nombreux titres, qu'il s'agisse de sa nature, de son état et de sa dimension. Or ce bien n'est pas protégé convenablement car aucune législation forestière ne s'y applique. Il n'y a aucun contrôle des défrichements qui entraînent des empiètements patents sur ladite forêt, en méconnaissance de tous les principes de défense de l'environnement. Il apparaît nécessaire d'offrir rapidement en Guyane une législation adéquate permettant de mettre en oeuvre une gestion durable.
J'espère que cette initiative trouvera un écho auprès du Gouvernement, encore que le ministre compétent en la matière, auquel ma courtoisie républicaine m'avait conduit à présenter ce texte, m'a indiqué, pour toute réponse, qu'il présenterait dans trois ans un projet de loi sur la forêt guyanaise.
S'agissant de la justice, tous les élus, les magistrats, les citoyens réclament une cour d'appel de plein exercice, une chambre détachée du tribunal de grande instance de Cayenne à Saint-Laurent. Si vous lisez les réponses du cabinet du ministre compétent, vous constatez que, là encore, les décisions sont renvoyées aux calendes grecques, me donnant ainsi le sentiment du plus grand mépris à l'endroit de la représentation nationale. Aujourd'hui, je suis, pour ma part, habitué à cette manoeuvre. Toutefois, j'ai encore l'espoir de voir aboutir ces revendications, et nous ne saurons, vous et moi, faire mentir ce dolo guyanais : ce qui est là pour vous, l'eau ne peut le charrier, c'est-à-dire, en créole, ça ki la pou dlo pa ka chariel.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il y a urgence.
Le taux de chômage est particulièrement inquiétant, notamment celui des jeunes, puisqu'il représente 27 % de la population en Guyane.
Elu de la Guyane, je suis préoccupé, voire choqué, de constater que, dans notre pays, tous les mouvements de rue trouvent des solutions alors que la voix de l'outre-mer, par l'intermédiaire des députés et des sénateurs, est peu écoutée par les gouvernements. Pourquoi applique-t-on la démocratie directe outre-mer et la démocratie représentative en France métropolitaine ? Pourquoi doit-on attendre les crises et les situations inextricables pour voir le Gouvernement intervenir et accepter les doléances de la rue ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, dans le domaine qui relève de votre département ministériel, comme dans tous les autres postes budgétaires, la prospective est indispensable ; elle s'impose outre-mer alors que la population est sans espoir.
L'évolution économique de la Guyane est marquée par des échecs répétés. L'acuité de la crise est telle que les pouvoirs publics ne semblent pas avoir de réponse. Les besoins collectifs croissants ne sont pas convenablement satisfaits dans un environnement économique peu favorable. Il faut, pour la Guyane, un véritable projet de société qui prévoie une transformation en profondeur de l'organisation économique et sociale, ainsi qu'une modification des règles politiques et administratives de gestion du territoire. C'est cela le pacte de développement.
Me permettrez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous faire remarquer la position particulière de la Guyane, le rôle stratégique qu'elle peut jouer pour la France, permettant à l'Europe d'établir un contact direct avec d'autres continents. Je peux encore dialoguer avec vous, nos enfants peuvent encore dialoguer avec vous, mais ne le demandez pas à nos petits-enfants ! C'est maintenant que cela se décide pour l'outre-mer !
Le développement doit se traduire par la volonté de la société guyanaise de créer de la richesse. Il faut une véritable réorientation dans la durée, mettant en exergue les éléments de dynanisme économique et social qui existent dans notre région.
Sous l'Ancien Régime, à l'exception de quelques ministres comme Richelieu, les responsables considéraient la France d'outre-mer, les colonies, comme des dépendances, des possessions qui devaient rapporter à la métropole. Les choses ont bien changé depuis !
La loi de départementalisation, sous la IVe République, a permis la naissance des conditions juridiques du développement économique et social. L'article 73 de notre Constitution a corroboré ce mouvement. L'outre-mer a beaucoup évolué depuis 1958. Alors que l'Europe connaît des entités dont l'économie est florissante, les départements français, notamment la Guyane, désirent obtenir aujourd'hui plus d'autonomie.
La dimension mondiale de la France passe par l'outre-mer. Monsieur le secrétaire d'Etat, même si, je le sais, votre bonne volonté est évidente, je crois qu'elle ne sera jamais à la hauteur des difficultés auxquelles sont confrontés les départements d'outre-mer. Tant mieux pour vous, mais, hélas ! tant pis pour nous.
Après trois cent soixante-cinq ans pendant lesquels les princes qui nous gouvernent n'ont pas su, ou voulu, développer leurs possessions, monsieur le secrétaire d'Etat, si vous le voulez, relevez le défi de l'écoute et faites droit aux demandes exprimées par la majorité des élus des régions antillaises de la Caraïbe et du continent sud-américain.
Afin de ne pas vous effaroucher, je voterai le projet de budget que vous présentez à la Haute Assemblée. Mais, rappelez-vous ! ça ki la pou dlo pa ka chariel. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Larifla.
M. Dominique Larifla. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à la fin novembre, l'ouragan Lenny s'est abattu sur l'ensemble des îles de notre archipel, causant au passage des dégâts considérables aux personnes, aux habitations et aux outils de production.
La solidarité nationale, alliée aux actions des collectivités locales et de la caisse d'allocations familiales, la CAF, s'est spontanément mobilisée pour venir en aide aux sinistrés. C'est dans ce contexte que nous sommes amenés à délibérer sur votre projet de budget, monsieur le secrétaire d'Etat.
La Guadeloupe, département d'outre-mer et, comme tel, en situation de mal-développement, se caractérise notamment par des handicaps structurels : l'éloignement, la situation d'archipel, l'étroitesse du marché et un environnement géographique qui, dans le contexte actuel, est peu propice aux échanges porteurs de devises et de richesse.
La gravité de la situation économique et sociale de l'outre-mer en général, et de la Guadeloupe en particulier, constitue un défi que le Gouvernement de Lionel Jospin a décidé de relever.
Dans cet environnement économique et social dégradé, votre projet de budget ouvre la voie à un développement qui s'inscrit dans la durée. Le développement suppose la justice sociale ainsi que la responsabilité économique et politique. Vous souhaitez que cette responsabilité soit davantage assumée dans chaque département d'outre-mer.
Les mesures qui ont été prises traduisent une ambition politique, véritable porte ouverte vers un dynamisme qui doit s'optimiser dans le long terme avec une évolution statutaire de nos régions.
N'oublions pas que, de 1994 à 1997, a été votée, ici même, une baisse importante du FIDOM et du FIDES. Le gouvernement de la gauche plurielle a remis ces indicateurs à la hausse.
Ainsi, l'effort global de l'Etat pour l'outre-mer, tous ministères confondus, progresse de 2,85 %, passant de 56,2 milliards de francs à 57,8 milliards de francs. Cette progression est plus de trois fois supérieure à la moyenne nationale.
Le budget de votre département ministériel affiche donc une croissance de 13,6 % par rapport à la loi de finance initiale précédente, avec un total de 6,36 milliards de francs, ce qui porte, depuis 1997, la progression des crédits pour l'outre-mer à environ 31 %.
Les crédits inscrits pour l'an 2000 permettent d'afficher des objectifs ambitieux et de dégager véritablement, dans nos départements et territoires, des priorités en termes d'emploi, d'aide au logement et de promotion de l'action sociale et culturelle. On n'avait jamais connu une telle augmentation depuis le transfert, sous le gouvernement précédent, de la ligne budgétaire unique et du fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer, le FEDOM. En effet, les crédits du FEDOM progressent cette année de 16 %, ceux qui sont relatifs au logement de 3,7 % et ceux qui sont destinés à l'action sociale et culturelle de 30 %.
Même si on ne tient pas compte de ces transferts, votre budget augmente en valeur réelle de 2 %, soit plus du double de la progression du budget de l'Etat.
L'emploi bénéficie de l'inscription de moyens importants pour financer les contrats emploi consolidé, les CIA, contrats d'insertion par l'activité, les CAE, contrats d'accès à l'emploi, les CES et les emplois-jeunes. Il s'agit d'une attitude énergique pour inverser la courbe du chômage qui, contrairement à ce qui se passe en métropole, ne cesse d'augmenter. Ce mal endémique atteint en effet en Guadeloupe le taux insupportable de 30 %.
Le nombre élevé d'allocataires du RMI dans les départements d'outre-mer révèle la détérioration de la situation économique et sociale. C'est le signe d'une société duale qui distingue, d'une part, les personnes incluses dans le système productif et, d'autre part, celles qui relèvent du dispositif d'assistance.
En Guadeloupe, on dénombre 28 000 RMIstes, soit 14 % de la population active.
Ces chiffres sont insupportables !
Les besoins en logements très sociaux sont immenses. Or la ligne budgétaire unique stagne. Le Gouvernement doit à tout prix maintenir, voire amplifier les dotations en faveur du logement social. L'égalité sociale passe par l'égalité devant le droit au logement.
Les actions de l'Agence nationale pour l'insertion et la promotion des travailleurs d'outre-mer, l'ANT, continueront à être financées à hauteur de 43,7 millions de francs, ainsi que la formation individualisée-mobilité, la FIM, pour 28,9 millions de francs. Cette formation concernera environ 500 jeunes. Enfin, l'AFPA, l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, offrira 1 500 places. Je note cependant que le budget de l'ANT reste faible au regard de l'étendue des problèmes auxquels sont confrontées les personnes originaires des départements d'outre-mer qui vivent en métropole.
S'agissant du service militaire adapté, le SMA, la professionnalisation, commencée en 1999, sera poursuivie en 2000, par la substitution des volontaires aux appelés. Compte tenu du rapide recrutement des 500 volontaires prévus, 600 nouveaux postes seront offerts l'an prochain.
Abondés par le Fonds social européen, le budget du SMA sera porté à 507 millions de francs.
Vous l'avez montré, monsieur le secrétaire d'Etat, l'emploi outre-mer est votre priorité. Cependant, prenons garde, car un danger guette aujourd'hui nos sociétés : la tentation de « salarier » l'exclusion. Il faut que les DOM sortent de cette certitude fataliste, car ce consentement tacite mène à une dissociation croissante entre l'économique et le social. Il est donc temps d'élaborer un plan de développement économique porteur d'emplois durables et créateur de richesse.
Pour cela, il faut fortifier notre tissu de PME et de PMI et renforcer les activités de services.
Le développement de nos entreprises passe, évidemment, par un accès plus facile au crédit. L'évolution des taux pratiqués outre-mer ne suit pas la même courbe qu'en métropole, et ceux-ci restent vraiment trop élevés. Ainsi, nos entreprises ont de plus en plus de mal à être compétitives, du fait de la frilosité des banques.
Face à ce constat, le Gouvernement a décidé opportunément de substituer au système de garantie géré par la Société française pour l'assurance du capital-risque, la SOFARIS, le « Fonds DOM ». Le nouveau mécanisme, en place depuis le 1er octobre, anticipe la fin du réescompte.
La contrainte européenne a également imposé la transformation du statut de l'IEDOM, l'Institut d'émission des départements d'outre-mer. Il faudrait que soient explicitement accordés aux personnels de celui-ci un statut à part entière ainsi que la faculté de rejoindre l'AFD, l'Agence française de développement, dans un délai raisonnable. Il faut également redéfinir dans la clarté les missions nouvelles de l'IEDOM, qui a vocation à être l'intermédiaire entre le monde économique et le système bancaire.
La loi Pons a engendré des effets positifs indiscutables ; mais elle a aussi été « polluée » par de nombreux effets pervers. En effet, dans certains cas, la défiscalisation a favorisé l'apparition d'une structure déséquilibrée de la production, au profit du seul capital et au détriment du travail.
A l'échéance du 31 décembre 2002, un nouveau dispositif devra être trouvé, qui avantagera l'exploitant tout en étant moins favorable à la défiscalisation et aux intermédiaires. Nous pensons que chacun doit rester dans son rôle : aux entrepreneurs d'évaluer les marchés et d'assurer la production et la commercialisation, bref de prendre les risques sans lesquels il ne peut y avoir d'entreprise ni de profit, et à l'Etat de fixer les règles générales de concurrence et de moralité des affaires.
Dans ces conditions, pour moraliser la loi de défiscalisation, on devrait créer des fonds communs de placement à risques, qui seront un support à la collecte de l'épargne publique. Le capital pourrait être défiscalisé en partenariat avec l'Agence française des banques, qui sélectionnerait les dossiers.
Je voudrais, maintenant, mettre l'accent sur quelques sujets particuliers qui intéressent notre quotidien.
La Guyane, la Guadeloupe et la Martinique sont des viviers de sportifs de haut niveau, cela n'est plus à démontrer. Il est indispensable de doter le centre régional d'éducation populaire et de sport, le CREPS, Antilles-Guyane de moyens suffisants lui permettant de remplir correctement sa mission. Il est en particulier urgent d'y installer un centre médico-sportif. Il faudrait, de manière concomitante, aider à l'implantation de structures de proximité, qui permettront à de jeunes talents de se révéler.
Monsieur le secrétaire d'Etat, l'an dernier, depuis la même tribune, je vous avais alerté sur la nécessité, du fait de l'insularité de la Guadeloupe, d'y maintenir un établissement de transfusion sanguine de plein exercice. Depuis plusieurs années, je plaide pour que soient donnés au centre hospitalier et universitaire de Pointe-à-Pitre - Abymes les moyens financiers qui lui ont manqué dès sa création. Le Gouvernement a été sensible à nos appels, puisqu'une décision positive a été prise en ce qui concerne le maintien de l'établissement de transfusion sanguine et le redressement financier du CHU, en faveur duquel un effort financier exceptionnel sera consenti. Nous nous en félicitons.
Pour conclure, je relève que le gouvernement issu de la gauche plurielle a montré sa capacité à sortir des sentiers battus. Nous l'invitons à persister dans cette voie, qui doit conduire nos peuples à la responsabilité et à une révolution des mentalités.
Le déséquilibre des échanges avec la métropole, qui tend à s'aggraver, montre à quel point les DOM sont amenés à réfléchir sur un modèle de développement tourné aussi vers leur propre environnement géographique.
Les secteurs traditionnels doivent continuer d'assurer une part de la richesse de nos économies, mais il nous faudra, pour cela, utiliser à fond les nouvelles technologies, dont dépendent les emplois de demain.
Nos territoires sont riches d'une jeunesse nombreuse, dynamique, formée ou en quête de formation diplômante. Cette jeunesse constitue un atout majeur, une chance pour les DOM et pour la nation. La Guadeloupe reste attentive et ouverte à toute initiative allant dans le sens du progrès. Vous vous êtes engagé à poursuivre dans cette voie, monsieur le secrétaire d'Etat, et je voterai donc votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Reux.
M. Victor Reux. « Des priorités fortes pour le budget de l'outre-mer » : c'est ainsi, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous insistez sur l'accent mis, dans le projet de loi de finances pour l'an 2000, sur les choix effectués en faveur du logement, dont les crédits augmentent de 3,7 %, de l'emploi, avec le FEDOM, dont la dotation s'accroît de 16,2 %, et, enfin, de l'action culturelle et sociale, dont les crédits progressent de 30 %.
Le projet de loi de finances pour 2000 est marqué par une croissance des crédits inscrits à la ligne budgétaire unique, qui atteignent 918 millions de francs pour les quatre départements d'outre-mer et Saint-Pierre-et-Miquelon, qui, comme à l'ordinaire, en bénéficie.
Le FEDOM, dont les crédits sont destinés aux quatre départements d'outre-mer et à l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, permettra de financer un plus grand nombre de solutions d'insertion, qui seront 58 000 au total. De la sorte, 3 000 emplois-jeunes supplémentaires et 7 000 contrats emploi consolidé devraient être créés.
Dans la collectivité que je représente, ce genre de mesures a pour effet de stabiliser à peu près le chômage des jeunes. On note une baisse sensible de l'effectif des RMIstes, mais une nette progression, notamment au sein de l'éducation nationale, du nombre des emplois-jeunes, qui double.
Par ailleurs, dix-huit conventions d'appui-conseil ont été signées, tandis qu'une douzaine d'entreprises ont entamé des négociations en vue de conclure des accords sur la réduction du temps de travail.
S'agissant du passage aux 35 heures, l'OCDE souligne, dans son dernier rapport, combien « il est hasardeux d'en estimer les effets potentiels à court terme comme à moyen terme ». On peut prévoir que cette réduction du temps de travail augmentera les coûts unitaires de main-d'oeuvre, comme en métropole, entraînant ainsi des effets négatifs sur la compétitivité des entreprises, qui, outre-mer, connaissent déjà bien des difficultés.
En ce qui concerne le bâtiment et les travaux publics, secteur d'une importance majeure pour l'emploi, j'attire l'attention du Gouvernement sur le fait que l'application de la loi sur les 35 heures à Saint-Pierre-et-Miquelon nécessite des adaptations, afin que soient prises en compte nos spécificités géographiques, météorologiques et techniques.
Le caractère obligatoirement saisonnier du travail à l'extérieur, limité au mieux à huit mois de l'année, l'absence de mobilité des entreprises, la nécessité de disposer d'un contingent d'heures supplémentaires, sans parler des faibles effectifs des entreprises locales, sont autant de données qui interdisent d'appliquer cette loi sans prévoir des aménagements préalables.
Pour le moment, la précarité de notre santé économique, et donc de celle de l'emploi, exige que soient préservés, au profit des entreprises locales, les avantages de la loi du 25 juillet 1994 relative aux exonérations sectorielles de charges patronales, et ce au-delà même du 31 décembre 2000, prorogation prévue par l'article 72 du projet de loi de finances pour 2000, auquel je suis favorable.
Quant à la prime à la création d'emplois, il faudrait prévoir une modification de ce dispositif, afin que puissent en bénéficier les entreprises nouvelles orientées vers l'exportation avant qu'elles ne soient en mesure d'exporter 75 % de leur production.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre projet de budget vise particulièrement la culture et l'action sociale, affichant une hausse de 30 % de l'enveloppe correspondante, qui atteint 185,6 millions de francs. L'objectif est de « favoriser les échanges entre l'outre-mer et la métropole ainsi que dans l'environnement régional ». Je m'en réjouis, en notant que votre secrétariat d'Etat double ses crédits de participation au nouveau fonds d'aide aux échanges artistiques et culturels pour l'outre-mer.
Mais, en ce qui concerne Saint-Pierre-et-Miquelon, j'éprouve de vives inquiétudes, compte tenu du changement de politique décidé, ou à tout le moins envisagé par Air France, qui semble prête à dénoncer l'accord de tarification jusqu'ici en vigueur sur la ligne Paris-Montréal. Pour les passagers empruntant celle-ci pour aller à Saint-Pierre-et-Miquelon ou en revenir, il en résulterait une augmentation du prix du billet de l'ordre de 8 000 francs, soit un doublement en classe économique.
Or la compagnie nationale a toujours, me semble-t-il, une mission de service public à remplir, du moins partiellement. Mes compatriotes qui vivent à des milliers de kilomètres de la métropole ou sont établis dans l'hexagone ne me paraissent pas dépasser les bornes en demandant à bénéficier, dans une certaine mesure, du principe de la continuité territoriale. Nous ne sommes plus en 1960, quand quelques personnes seulement effectuaient le trajet, essentiellement pour venir en congé. Les temps ont bien changé ! Durant les dernières décennies, très nombreux sont les jeunes de l'archipel à être demeurés en métropole après leurs études et à y avoir fait souche.
Afin que soient maintenues la solidité et la vitalité du lien traditionnel et des liens « nouveaux » ainsi tissés avec la métropole, je souhaiterais savoir si le Gouvernement soutiendra notre démarche d'élus visant à trouver une solution acceptable à ce problème.
S'agissant du FIDOM, dont les crédits sont en augmentation de 9,5 %, passant à 217,5 millions de francs, je constate, puisque le FIDOM « général » est essentiellement consacré aux contrats de plan, que la ventilation est établie pour les départements et territoires d'outre-mer, mais que pour les autres collectivités, dont nous faisons partie, ces contrats feront l'objet d'une programmation spécifique échelonnée de 2000 à 2004. Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que, dans cette optique, nos difficultés économiques soient prises en compte d'une manière très attentive.
Au nombre des questions qui posent problème figurent notamment l'application de la décision 91/492 du Conseil de l'Union européenne et le coup d'arrêt porté par Bruxelles à nos opérations de libre pratique, qui nous avaient permis, au cours des tout derniers exercices budgétaires, d'encaisser des rentrées fiscales très appréciables, d'une trentaine de millions de francs à l'année, ce qui correspond, en gros, à 16 % du budget de fonctionnement de la collectivité territoriale. Nous avons ensuite investi ces crédits dans des actions de développement économique, conformément aux directives européennes.
Vous nous avez tenus informés des démarches que vous aviez entreprises à la suite du démarrage de l'enquête de l'OLAF, l'Office de lutte anti-fraude, monsieur le secrétaire d'Etat.
J'aimerais que vous nous disiez aujourd'hui si le Gouvernement peut nous aider à faire le point sur cette affaire, qui pour nous compte beaucoup.
En ce qui concerne le FIDOM « départemental », est-il raisonnable de nourrir encore quelque espoir de voir renaître ce fonds, qui a été supprimé en 1996 mais qui était très apprécié de nos collectivités locales ?
Je reviens maintenant rapidement sur les foudres de Bruxelles, pour évoquer la seconde intervention de la Commission européenne, qui a trait à l'exploitation du paquebot de croisière Le Levant, dont les premières escales à Saint-Pierre-et-Miquelon se sont déroulées au cours de l'été dernier.
Ce petit paquebot de luxe battant pavillon français et naviguant avec un équipage français, ce qui est rare aujourd'hui, est basé en Guyane, sauf durant l'été dans notre hémisphère. Les croisiéristes, américains pour la plupart, sont alors attirés par les périples nordiques en direction du Labrador, de la baie d'Hudson, du nord de Terre-Neuve, voire du Saint-Laurent et des Grands Lacs canadiens, dans une ambiance totalement française.
Les activités naissantes du navire ne sont pas du goût de la Commission européenne, du fait que l'Etat a contribué à la construction du Le Levant, faussant ainsi, selon Bruxelles, les règles de la libre concurrence. En outre, les escales à Saint-Pierre de ce navire ne seraient pas assez nombreuses pour permettre de renflouer l'économie locale.
De tels arguments ne portent pas la marque de l'objectivité, car ni les élus de l'archipel ni l'armateur, président de la Compagnie des îles du Ponant, n'ont vu dans l'activité de ce navire la solution à nos problèmes économiques, et surtout pas en l'espace d'une seule saison. Mais Le Levant est sans conteste l'un des arguments forts du développement touristique de notre archipel, doublé d'un vecteur de rayonnement de la croisière française dans nos régions.
Il s'agit donc, monsieur le secrétaire d'Etat, au travers de ce cas d'espèce, d'une demande forte qui vous est adressée, pour que vous nous assuriez du soutien gouvernemental vis-à-vis de Bruxelles dans ces affaires, notamment eu égard aux dispositions de l'Union européenne relatives aux pays et territoires d'outre-mer les moins favorisés, au rang desquels nous figurons depuis deux ans.
Je mentionnerai enfin d'autres sujets à prendre en considération concernant la vie de mes compatriotes insulaires.
Tout d'abord, s'agissant des améliorations de la desserte maritime, que l'Etat subventionne, une attention particulière devra être portée aux conséquences de l'ouverture prochaine d'une nouvelle ligne locale de transport entre Terre-Neuve et Saint-Pierre-et-Miquelon. Il s'agit là d'une nouvelle donne.
Ensuite, il existe des dysfonctionnements en matière de sécurité sociale affectant les fonctionnaires, magistrats et militaires de Saint-Pierre-et-Miquelon.
En effet, le décret 99-631 et l'arrêté subséquent du 22 juillet 1999 du ministère de l'emploi et de la solidarité sont en porte-à-faux avec le statut des personnels que je viens de mentionner, et l'absence de consultation préalable du Conseil supérieur de la fonction publique avant fixation des taux de cotisations n'est pas admissible. Je ne procéderai pas ici à l'énumération fastidieuse des entorses à la réglementation qui sont pratiquées depuis des années, en contradiction avec l'ordonnance 77-1102 du 26 septembre 1977.
Pour en finir avec cette situation, sur laquelle votre ministère a été largement informé, je souhaite vivement que vous favorisiez la venue sur place d'une mission, afin que soit réglées une fois pour toutes les anomalies dont il s'agit.
Cette mission pourrait se préoccuper également de la pertinence de l'application dans l'archipel de la loi de 1975 sur les personnes handicapées.
Par ailleurs, il conviendrait éventuellement d'alléger certaines contraintes réglementaires systématiquement appliquées aux petites entreprises de pêche artisanale qui se servent de navires de construction traditionnelle canadienne, parfaitement adaptés aux conditions de la navigation dans la partie de l'Atlantique où nous nous trouvons. Des arrangements dérogatoires devraient pouvoir être trouvés en ce domaine.
Enfin, dans l'optique d'une marche en avant rationnelle et rigoureuse dans l'effort de diversification de pêche que nous avons entrepris, une identification aussi exacte que possible de la ressource - il s'agit, notamment, du crabe des neiges - en vue d'en assurer la bonne gestion s'impose. Il est donc indispensable de favoriser les actions de l'IFREMER vers l'archipel, en coopération avec les acteurs locaux. C'est là une des conclusions et suggestions du groupe sénatorial de la mer, réuni au mois d'octobre dernier.
La question de la réforme du pavillon français est d'actualité. Il faut freiner la dégradation avancée de sa compétitivité, qui a relégué notre flotte au vingt-huitième rang mondial, tandis que nos concurrents européens vont de l'avant.
Puisque le Gouvernement semble maintenant s'en préoccuper, je pense, monsieur le secrétaire d'Etat, que le moment est venu d'appuyer auprès de votre collègue ministre des transport le projet de loi visant à créer un registre d'immatriculation à Saint-Pierre-et-Miquelon, élaboré par mon collègue député de l'archipel. Le comité interministériel de la mer, que notre groupe de la mer a demandé au Premier ministre de réunir au printemps 2000, sera peut-être l'occasion choisie pour ce faire.
Je dirai quelques mots de la recherche pétrolière. En ce moment, se déroulent à Saint-Pierre des conversations et des travaux entre, d'une part, des industriels Nord-Américains du pétrole et du gaz offshore, qui mènent des travaux d'exploration dans la zone depuis deux ans, et, d'autre part, les acteurs locaux du monde économique, qui réalisent qu'il est temps de commencer à se préparer, bien en amont, en vue des découvertes que l'on peut estimer probables soit dans notre zone économique exclusive, soit en zone maritime canadienne, où la proximité de l'archipel peut constituer un atout de poids avec son port et son aéroport moderne.
Les représentants de quinze compagnies canadiennes sont présents, avec leur savoir-faire et leur expérience en la matière.
Vous savez la part prise par le représentant de l'Etat dans ces contacts avec des interlocuteurs investisseurs qui ne sont aucunement philanthropes et dont les équipes, rompues à la négociation à l'anglo-saxonne, sont bien étoffées. Je rappelle qu'ils ont déjà investi environ 160 millions de francs uniquement dans la recherche.
Il importe qu'en face nous soyons à la hauteur, d'autant plus que nous n'avons pas à traiter avec des compagnies françaises. Là aussi, le soutien logistique du Gouvernement ne doit pas nous faire défaut puisque nous devons nous développer dans notre environnement régional.
Cette évocation est pour moi l'occasion de vous redemander, comme l'an passé, où en est l'établissement du cahier des charges quant au transfert de compétences visant à modifier l'article 27 de notre loi statutaire de juin 1985, compte tenu de la modification du code minier intervenue l'an passé pour la redevance prévue au bénéfice de la collectivité territoriale.
Monsieur le secrétaire d'Etat, depuis le début de la décennie, nous ne sommes pas parvenus, pour des raisons objectives dont nous n'avons pas la maîtrise, à redresser notre économie locale, en dépit des avancées indéniables obtenues grâce aux initiatives de l'Etat. Nos exportations sont sept fois plus faibles que voilà dix ans et le trafic portuaire est toujours aussi moribond.
Nous vivons en quelque sorte sous perfusion, et le fait que nous ne soyons pas les seuls dans ce cas n'est pas une consolation.
Nous avons besoin, comme ailleurs en outre-mer, pour assurer l'avenir, d'attirer des investisseurs.
Or, qu'ils soient locaux ou « importés », les fonds que les projets ultramarins sont susceptibles d'attirer doivent trouver des conditions avantageuses. Dans le projet de loi de finances pour 2000, il n'est pas prévu de modifier le dispositif de défiscalisation en vigueur, la loi Pons, qui doit perdurer jusqu'en 2002, mais le texte initial a été modifié à deux reprises.
Il importe donc que de nouvelles mesures fiscales voient le jour - peut être dans le cadre de la loi d'orientation ! - pour prendre en compte les attentes des investisseurs potentiels en vue de la mise sur pied de projets nouveaux, industriels ou artisanaux, générateurs d'emplois si nous voulons construire notre avenir sur le long terme, bien au-delà de 2002.
Ainsi serait pris le relais du traitement social du chômage, en contrepoids du renforcement du secteur public et parapublic, déjà largement pourvu à Saint-Pierre-et-Miquelon, comme ailleurs en outre-mer.
Le budget annuel est important, mais, nous le savons, ce n'est qu'un élément qui s'ajoute aux nombreuses autres actions économiques financées par l'Etat en outre-mer. Je ne suis donc pas contre votre budget, monsieur le secrétaire d'Etat. C'est, en fait, votre réflexion à la suite de nos interventions qui guidera mon choix final. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Jacques Valade au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

M. le président. La parole est à M. Désiré.
M. Rodolphe Désiré. Monsieur le secrétaire d'Etat, votre budget pour 2000 est en croissance de 13,6 % par rapport à celui de l'an dernier, ce qui représente une augmentation de 31 % en trois ans.
Bien que résultant pour une large part de transferts venant d'autres ministères, ces nouveaux moyens ont le mérite de vous permettre de mieux exercer vos fonctions de coordination, d'impulsion et d'entraînement de l'action globale du Gouvernement.
Cependant, ces crédits ne représentent que 10 % de l'ensemble des interventions de l'Etat - 57,8 milliards de francs, cette année - et, une fois encore, je regretterai le peu de lisibilité des sommes votées en faveur de l'outre-mer.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne m'étendrai pas plus longtemps sur ce budget, que, bien évidemment, je voterai, m'étant déjà exprimé dans le rapport pour avis de la commission des affaires économiques.
Je voudrais, toutefois, concernant l'action du Gouvernement en faveur des départements français d'Amérique, exprimer ma satisfaction, après le voyage de M. le Premier ministre aux Antilles, à la fois pour les avances à l'aide compensatoire apportée aux producteurs de bananes, qui ont connu de très grosses difficultés cette année du fait de la concurrence des bananes « dollars » sur le marché européen et qui attendent du Gouvernement le renforcement de mesures d'accompagnement, et pour le sauvetage du Crédit martiniquais par le fonds de garantie des dépôts du ministère des finances, permettant ainsi la reprise par la BRED de cette banque locale constituée de nombreux petits porteurs.
Je veux par ailleurs attirer votre attention sur la nécessité de venir en aide aux communes d'outre-mer en matière de financement, de la construction des écoles primaires et des écoles maternelles, en faisant en sorte qu'elles puissent bénéficier de fonds européens, au même titre que les départements pour les collèges et les régions pour les lycées. En effet, le parc des établissements primaires étant fort délabré au moment du transfert de compétences lors de la décentralisation, en 1983, les moyens des collectivités communales ne leur permettent pas de faire face toutes seules à leurs responsabilités dans ce domaine.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'en viens maintenant à des observations plus générales concernant la situation politique, économique et sociale des DOM, et plus particulièrement de la Martinique.
En effet, notre discussion, aujourd'hui, se déroule dans le cadre de la préparation de la loi d'orientation promise par M. le Premier ministre pour bientôt et qui devrait répondre à l'essentiel de nos préoccupations dans ces domaines.
Dans l'optique d'une évaluation des politiques menées par l'Etat en faveur des DOM, trois rapports viennent d'être rédigés, à la demande de M. le Premier ministre, qui devraient permettre d'élaborer de manière constructive cette loi d'orientation. Il s'agit des rapports rédigés par Mme Eliane Mossé, économiste, par M. Bertrand Fragonard, conseiller maître à la Cour des comptes, et par nos collègues Claude Lise et Michel Tamaya.
Ces rapports contiennent de nombreuses propositions, une fois résumé le mal-développement que connaissent aujourd'hui les départements d'outre-mer, maldéveloppement accompagné d'un malaise social et d'une instabilité politique de plus en plus préoccupante. Les conditions dans lesquelles s'est déroulé le récent voyage de M. le Premier ministre en Martinique et en Guadeloupe en témoignent.
On peut définir brièvement ce mal-développement par les caractéristiques suivantes.
Un PIB équivalent à la moitié du PIB moyen des régions européennes, bien que ce PIB soit parmi les plus élevés des pays de la Caraïbe.
Un chômage sans cesse croissant, dépassant généralement les 30 % de la population active et touchant surtout les jeunes.
Une arrivée massive de jeunes diplômés, ces dix prochaines années, sur le marché du travail : ce que M. Fragonard appelle « le choc démographique », mais que j'appellerai, pour ma part, « la bombe démographique à retardement ».
Un taux de couverture des importations de l'ordre de 10 %, ce qui signifie que le pouvoir d'achat de ces pays ne repose pratiquement que sur les transferts, la demande publique et la consommation des ménages, et très peu ou trop peu sur le secteur productif ;
Un commerce extérieur essentiellement orienté sur l'Europe et négligeable en direction de la Caraïbe et du reste du continent américain.
Une crise de confiance des investisseurs, depuis les restrictions apportées à la défiscalisation.
Enfin, une société à quatre vitesses qui se décompose ainsi : d'abord, en bas de l'échelle, 30 % de sans-emploi, souvent chômeurs de longue durée, dépendant du RMI, de l'allocation chômage et de multiples aides, et dont le revenu est, généralement inférieur au SMIC ; puis, les personnes travaillant dans le secteur privé, payées pour la plupart, au SPIC, qui est un SMIC local égal au SMIC métropolitain depuis 1995 ; ensuite, les fonctionnaires autochtones, qui bénéficient de la rémunération brute majorée de 40 % aux Antilles et de 53 % à la Réunion ; enfin, les fonctionnaires d'origine métropolitaine, qui perçoivent en plus une indemnité d'éloignement correspondant à douze mois de traitement brut pour quatre années de service, ainsi que de nombreux autres avantages.
On voit bien qu'il s'agit là d'une structure sociale extrêmement perverse, qui ne peut permettre un véritable développement économique et dont, tôt ou tard, il faudra bien se préoccuper si l'on veut trouver des solutions durables.
Cette situation est malheureusement l'aboutissement de cinquante années d'efforts de l'Etat, avec des interventions financières de plus en plus massives. Et force est de constater que, loin de s'améliorer, elle s'aggrave.
Depuis 1960, les gouvernements successifs de la France ont cherché des réponses aux problèmes que pose l'intégration économique et sociale des DOM à la métropole, écartant toute adaptation institutionnelle.
Aujourd'hui encore, on tergiverse, bien que l'on soit arrivé, en 1982, avec l'adoption de la loi de décentralisation, au comble du ridicule avec la mise en place sur un même territoire de deux exécutifs : un conseil régional et un conseil général. Il est évident que jamais le législateur n'avait prévu un tel cas de figure. Il s'agit bien d'un accident législatif, mais nous sommes, aujourd'hui encore, incapables de le corriger.
Pourrait-on imaginer une réforme des collectivités locales qui aboutirait à créer des communes avec deux maires, l'un pour l'investissement et l'autre pour le social, ou encore une réforme de l'Etat avec deux Premiers ministres, l'un s'occupant de l'économie et l'autre des affaires courantes ? Pourtant, c'est à peu près ce que l'on a mis en place, à force de jacobinisme, en 1982, dans les DOM !
Je crois que le moment est venu de mettre un terme à ce genre d'aberration, d'autant que ce double exécutif ne peut qu'avoir des effets négatifs et pervers sur notre économie.
J'en veux pour preuve le conflit actuel entre la région et le département de la Martinique. La région Martinique est en train de mettre en péril le compte administratif du département en refusant d'honorer 35 millions de francs de dettes contractées lors de la construction d'un échangeur à l'entrée de l'autoroute conduisant à Fort-de-France, alors qu'une convention avait été signée entre les deux collectivités pour cet ouvrage au moment où la région connaissait des difficultés financières.
En réalité, la situation actuelle, extrêmement compliquée sur le plan administratif, est l'aboutissement d'une application trop stricte du droit commun aux départements d'outre-mer, sans prise en compte de leurs handicaps structurels : éloignement, insularité, étroitesse du marché, cadre géographique de pays sous-développé, en retard ou en mal-développement, séquelles d'un passé colonial.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d'Etat, j'attire votre attention sur la grave erreur qui consisterait à continuer d'ignorer la nécessité d'adapter les institutions des DOM aux exigences modernes.
A ce propos, je veux vous signaler le danger qu'il y a à interpréter de manière abusive l'enquête auprès des habitants d'outre-mer qu'a réalisée IPSOS pour votre compte. Les conclusions peuvent être diamétralement opposées selon la philosophie que l'on se fait de la notion de responsabilité.
C'est ainsi que, à la page 4, à la question : « Quel type de statut vous paraît le mieux adapté : le statut actuel mais avec plus de responsabilités données aux assemblées locales ? », une majorité de Martiniquais - 58 % -, de Guadeloupéens - 52 % - et de Guyanais - 51 % - répondent favorablement. Cela réponse me semble vouloir dire qu'ils veulent plus d'autonomie, ce que confirme la réponse à l'autre question : « Voulez-vous du statut actuel sans changement ? ». La réponse est en effet négative pour 21 % des Martiniquais, 18 % des Guadeloupéens et 20 % des Guyanais.
En revanche, à la question : « Voulez-vous un statut d'autonomie où la plupart des lois métropolitaines ne s'appliqueraient plus, des lois spécifiques étant alors décidées par les assemblées locales ? », ce qui, à mon sens, veut dire : « Voulez-vous l'indépendance ? », 14 % de Martiniquais, 21 % de Guadeloupéens et 16 % de Guyanais répondent « non ».
A la page 12, encore, à l'affirmation : « Les assemblées locales n'ont pas assez de pouvoirs par rapport à l'Etat », souscrivent 60 % des Martiniquais, 58 % des Guadeloupéens et 54 % des Guyanais. Ou encore, « Les Assemblées locales ont trop de pouvoir par rapport à l'Etat » : 10 % de Martiniquais, 11 % de Guadeloupéens et 13 % de Guyanais disent non.
En tout état de cause, la lecture de cette enquête montre bien, contrairement à ce que j'ai lu dans la presse, qu'on ne peut éluder plus longtemps la question d'une évolution institutionnelle aux Antilles et en Guyane vers plus d'autonomie.
C'est ce qui m'amène à penser que le rapport Lise-Tamaya, bien que remarquable par l'analyse qu'il fait de la situation institutionnelle des DOM, ne va pas assez loin, même si la proposition d'un congrès réunissant les deux assemblées territoriales laisse une porte entrouverte à une possible évolution du statut.
L'ambiance actuelle me fait penser à l'histoire du poisson de Tagore ; ce grand poète indien racontait qu'il ne faut pas faire comme le poisson qui, placé dans un bocal de verre, se met à faire le tour de la paroi, et qui continue à faire des cercles alors qu'il est remis en liberté dans la mer.
Dans le cas qui nous concerne, « les deux poissons missionnaires du Gouvernement » se sont mis à faire des cercles dans le bocal de verre du jacobinisme français - article 73 de la Constitution - mais n'ont pas eu la chance d'être remis en liberté dans la mer pour faire de plus grands cercles. (Sourires.)
C'est la raison pour laquelle j'approuve sans hésitation la démarche de ceux qui ont décidé de briser ce bocal. Je veux parler des trois présidents des régions françaises d'Amérique, c'est-à-dire Mme Michaux-Chevry pour la Guadeloupe, M. Karam pour la Guyane et M. Marie-Jeanne pour la Martinique, qui, dans leur déclaration de Basse-Terre du 1er décembre 1999, réclament une modification législative, voire institutionnelle, « visant à créer un statut nouveau de région d'outre-mer, dotée d'un régime fiscal et social spécifique dans le cadre de la République française d'une part, et de l'Union Européenne - article 299-2 du traité d'Amsterdam - d'autre part : « Projet visant à rompre avec le cycle infernal de "l'emploi assisté" pour favoriser la création et le développement d'entreprises, orienter les jeunes vers les métiers à forte plus-value, réaménager les formations vers les secteurs à fortes potentialités ».
Ces trois présidents de région réclament un statut comparable à celui des autres régions ultrapériphériques de l'Europe, c'est-à-dire les Açores et Madère pour le Portugal et les Canaries pour l'Espagne. Il s'agit d'une proposition que j'ai déjà faite moi-même, il y a quatre ans, dans un mémoire que j'avais transmis à tous les responsables politiques de nos régions.
Je souhaite que le Gouvernement tienne compte de ces propositions, qui, selon moi, représentent un événement majeur de l'histoire contemporaine des Antilles et de la Guyane françaises. Je considère donc que c'est dans cette direction qu'il faut tendre.
Alexis de Tocqueville disait : « Les Français, incapables de faire de vraies réformes sont amenés à faire des révolutions ». Parlant des Français d'Amérique, je ne veux pas croire que cette phrase soit encore d'actualité.
Je terminerai mon intervention, monsieur le secrétaire d'Etat, par cette pensée de Pierre Mendès-France que je répète chaque année : « L'immobilisme ne protège point des périls ; il n'y a de salut que dans la marche en avant. » (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Mme Michaux-Chevry applaudit également.)
M. Georges Othily. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Laufoaulu.
M. Robert Laufoaulu. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'année 2000 sera pour l'outre-mer celle des grandes mutations : la Nouvelle-Calédonie commencera à exercer ses compétences transférées de l'Etat ; la Polynésie française accédera au nouveau statut de pays d'outre-mer ; la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion seront dotées d'une loi qui prendra mieux en compte leurs spécificités ; enfin, Mayotte se prononcera par référendum sur son évolution institutionnelle. C'est un formidable bouillonnement de vie et de belle santé démocratique, qui nous réjouit tous et qui augure un avenir plein d'espérances. Nous en sommes fiers également, car c'est celle-là, la France que nous aimons, ouverte et généreuse.
Aussi, pour l'année 2000, je souhaite à l'outre-mer dans son ensemble le plus franc succès dans cette grande entreprise de rénovation et de refondation, pour le bien-être et le bonheur de toutes nos populations.
Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna ne sont pas et ne doivent pas être absents ou à l'écart de cette grande effervescence ultramarine.
Le premier semble avoir déjà commencé depuis plusieurs années - et j'espère que mon collègue et amiVictor Reux ne me démentira pas - sa lente mais certaine mutation en adoptant successivement différents statuts.
Pour ce qui concerne Wallis-et-Futuna, nombre d'observateurs de la vie de nos îles parlent d'immobilisme, voire de conservatisme. Certains vont même plus loin encore dans leur analyse pessimiste. A y regarder de plus près, je pense que le mot qui convient le mieux pour qualifier la situation de notre territoire, c'est le mot « stabilité », sachant que l'évolution peut tout à fait se réaliser dans la stabilité.
Le statut de territoire d'outre-mer régissant nos îles depuis 1961, et qui a reconnu et maintenu leurs spécificités, est à l'origine de cette stabilité. Son article 3 est plein de respect et de sagesse insoupçonnables. Aussi oserai-je l'assimiler, toutes proportions gardées, au préambule de l'accord de Nouméa. Et pour cela, une fois de plus, je redis combien je suis fier, et combien les Wallisiens et les Futuniens sont fiers d'être français dans le Pacifique.
La mise en place et l'exécution de ce statut n'ont pas toujours été à la hauteur de sa grande ambition. Le texte aurait-il été en avance sur le hommes ou les moyens ont-ils fait défaut ? Les deux peut-être ! En tout cas, aujourd'hui, bien qu'il paraisse correspondre au moment et aux hommes, il est nécessaire de l'aménager sur certains points pour l'adapter à notre époque et aux évolutions qui en découlent. L'avenir du territoire de Wallis-et-Futuna semble donc devoir se préciser à la fois dans une meilleure application et dans une indispensable adaptation de son statut actuel.
Pour reprendre la métaphore du bouillonnement, qui, si elle n'est guère littéraire, a tout du moins le mérite de la clarté, je dirai que la marmite bout également à Wallis-et-Futuna, non de révolte ou d'amertume, mais bien de désirs et de volonté de progrès et d'évolution. La stabilité n'y est pas l'immobilisme, elle est l'âtre de la rénovation.
En matière de meilleure application du statut de 1961, le conseil du territoire, qui n'avait jusqu'à présent jamais véritablement joué son rôle, en prend conscience et souhaite se structurer ; l'assemblée territoriale, qui n'a pas toujours fonctionné comme elle aurait dû le faire, a entamé une réflexion qui semble vouloir aboutir sur le statut de l'élu. Je vois dans ces deux chantiers une volonté claire de nos élus et dirigeants d'assumer leurs responsabilités.
D'autres chantiers de réflexion et d'études dans plusieurs secteurs de la vie du territoire semblent répondre à cette même et profonde aspiration à avancer, à évoluer, à rénover et à assumer les responsabilités.
C'est le cas de l'élaboration du statut de la fonction publique territoriale, qui avance bien, grâce au travail approfondi d'une commission composée des services de l'administration, des représentants des personnels et des élus. Sa mise en place contribuera à assainir le fonctionnement des services de l'administration et à responsabiliser encore davantage ceux qui bénéficient de la garantie de l'emploi pour le service du public.
C'est aussi le cas de la mise en place de l'agence de santé, qui contribuera, mieux encore, à l'assainissement et à l'amélioration de la situation sanitaire et sociale de la population.
C'est sans doute aussi le cas des difficiles négociations sur la convention de l'enseignement primaire.
Enfin, et pour ne pas trop allonger la liste, j'évoquerai la réflexion sérieuse qui s'est instaurée dans le cadre de la préparation de l'accord particulier entre la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et l'Etat. C'est un chantier qui est capital, d'abord parce que, au-delà de l'objet propre de cet accord, la réflexion ne peut qu'aboutir à un questionnement global sur l'avenir propre du territoire ; ensuite parce que c'est l'occasion unique et rêvée de mobiliser les forces vives du territoire afin qu'il accomplisse son devoir de préparation de l'avenir. Il serait opportun que les moyens soient alloués à cette opération. Aussi, à la suite du préfet et du député, je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, de la facilier.
Comme vous le constatez, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon petit territoire est bien en piste pour le départ de la grande course du troisième millénaire. Mais si plusieurs facteurs de la réussite sont présents, comme on vient de l'évoquer - la stabilité, la volonté, le souci de l'avenir et le désir d'assumer des responsabilités - son retard est important et il lui manque donc beaucoup de moyens.
Je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'Etat est déjà présent à ses côtés, mais je souhaite qu'il le soutienne et l'accompagne encore davantage, comme il le fait pour les autres collectivités d'outre-mer. Il doit lui apporter l'aide et les moyens lui permettant de clarifier le mieux possible les objectifs qui correspondent à ses besoins et de les atteindre dans la rigueur et la responsabilité.
L'Etat a consenti des efforts ces mois derniers en poursuivant l'apurement de la dette du service de santé, en augmentant de 500 000 francs l'enveloppe des crédits affectés en 1999 aux « chantiers de développement local », en revalorisant l'aide aux personnes âgées et handicapées, qui, il est vrai, était anormalement insuffisante et est encore loin de correspondre aux besoins de ces femmes et de ces hommes à qui seule la solidarité familiale permet de vivre.
Pour tout cela, je tiens à vous remercier très sincèrement, monsieur le secrétaire d'Etat. Mais je regrette vivement que ces efforts ne soient ni poursuivis ni amplifiés dans le projet de loi de finances pour l'an 2000, comme je regrette que la subvention dite d'équilibre accordée au territoire ait été maintenue à son niveau de 1999.
J'espère beaucoup qu'à la faveur du contrat de plan 2000-2004 qui doit être signé entre l'Etat et le territoire, un effort substantiel sera consenti, surtout dans les domaines de l'emploi, de la formation et de l'habitat social. Le Premier ministre a annoncé le 15 avril dernier que la répartition des crédits destinés au contrat de plan serait effectuée sur la base des priorités que sont l'emploi, la cohésion sociale et territoriale et le développement durable, avec la volonté de porter l'effort sur les régions pour lesquelles un rééquilibrage s'impose.
J'estime que Wallis-et-Futuna fait partie de ces régions pour lesquelles un effort d'équilibrage de l'Etat est nécessaire. Il faudrait envisager dans ce cadre de renforcer sur place les effectifs de fonctionnaires métropolitains pour accélérer la réalisation des opérations retenues.
Pour ce qui concerne l'emploi, le seul dispositif existant, bien qu'inadéquat, demeure les « chantiers de développement ». L'Etat et le territoire doivent réfléchir et mener ensemble une action plus volontariste pour améliorer cette situation et la compléter par un système d'aide à l'insertion des jeunes diplômés, car nous ne pouvons nous dédouaner en augmentant ponctuellement les crédits au gré des revendications qui se font jour.
Qu'en est-il du rapport de la mission de l'ANPE de 1998 ? Une telle étude fera très certainement avancer la réflexion sur l'emploi.
En matière de formation, il est indispensable que l'Etat et le territoire réfléchissent et mettent en place un programme de formation de cadres locaux, car le territoire a de plus en plus besoin de responsables préparés et compétents. Si d'aucuns appellent de leurs voeux l'acte II de la décentralisation en métropole, j'ai peur que Wallis-et-Futuna n'ait pas encore connu l'acte premier...
D'autres dossiers, pourtant essentiels, ont été un peu laissés en suspens. Je n'en citerai pour mémoire que quelques-uns : renforcement de la politique de résorption de l'habitat insalubre, réhabilitation des bâtiments des écoles primaires, dont beaucoup sont dans un état de délabrement avancé, amélioration des collèges, surtout à Futuna, où il faut reconstruire tout un complexe, ou encore création d'une chambre interprofessionnelle, que réclament les acteurs économiques du territoire.
Oui, le secteur privé aussi donne des signes nets et volontaires pour assumer ses responsabilités, et cela donne de l'espoir. L'Etat et le territoire ont, là également, un rôle majeur à jouer pour que le développement se fasse et s'intensifie enfin.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je termine en vous disant que je suis foncièrement convaincu que le territoire est mûr pour affronter sans complexe le millénaire qui commence. Je suis tout aussi convaincu qu'il réussira, parce que le concours et le soutien de l'Etat ne lui feront pas défaut. (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, M. le secrétaire d'Etat nous a habitués, y compris lorsqu'il assurait l'intérim de M. le ministre de l'intérieur, à répondre très précisément à tous les orateurs, ce qui témoigne d'une grande correction à l'égard du Sénat. Je souhaiterais que nous fassions preuve de la même courtoisie à son égard.
Monsieur le secrétaire d'Etat, si je vous donne la parole maintenant, vous serez nécessairement conduit à répondre trop brièvement aux intervenants. Je vous propose donc d'intervenir à quinze heures ; vous disposerez ainsi de plus de temps. (M. le secrétaire d'Etat fait un signe d'assentiment.)
Nous allons donc interrompre maintenant nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures.)