Séance du 2 décembre 1999







M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'emploi et la solidarité : III. - Ville.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. « Il faut reconstruire les villes », c'est ce qu'a affirmé le Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, c'est ce que vous avez affirmé vous-même - je vous ai entendu le dire - et nous sommes d'accord. En avez-vous les moyens ? Le Gouvernement vous en donne-t-il les moyens ? Ce projet de budget est-il à la hauteur des enjeux ? N'est-il pas un budget de façade ? Telles sont les questions que nous nous posons.
Les crédits spécifiquement consacrés à la ville ne s'élèvent qu'à 1,7 milliard de francs sur un total annoncé de 35 milliards de francs, la plupart d'entre eux étant, en fait, issus d'autres ministères et de la Caisse des dépôts et consignations. Votre ministère apparaît, dès lors, assez dépourvu et ses marges de manoeuvre sont limitées. Si on le compare aux autres budgets du présent projet de loi de finances, en tenant compte des réaffectations de crédits dont il bénéficie, le budget de la ville n'est que l'avant-dernier budget civil.
L'effort financier consacré à la politique de la ville et du développement social urbain est annoncé à 35 milliards de francs, mais l'effort financier de l'Etat stricto sensu ne s'élève, en réalité, qu'à 18,2 milliards de francs. Et je ne m'attarde pas sur les évaluations des contributions des différents ministères, qui sont particulièrement hasardeuses. Il suffit, pour s'en convaincre, d'examiner les chiffres constatés en exécution et de les comparer avec vos annonces.
Sur le fond de l'organisation même de la politique de la ville, il nous semble que le caractère interministériel limite considérablement « l'effet levier » que vous revendiquez, monsieur le ministre. On peut même parfois se demander si vous disposez d'une simple capacité d'inflexion, tant les initiatives législatives sur la ville sont nombreuses et extérieures à votre ministère. Pour mémoire, je citerai la loi sur l'aménagement du territoire, sous la tutelle de Mme Voynet ; la loi sur la coopération intercommunale, sous l'autorité de M. Chevènement ; la loi sur l'habitat et l'urbanisme, sous la direction de M. Gayssot. Or les enjeux pour la ville sont considérables.
Que dire de la faible consommation des crédits d'investissement ? A tel point que votre ministère a mené une enquête à ce sujet : celle-ci a constaté qu'un délai de deux ans peut s'écouler entre l'engagement comptable d'une autorisation de programme et le démarrage effectif des travaux correspondants, et, surtout, que de nombreuses opérations n'ont jamais fait l'objet d'une déclaration d'achèvement, bloquant ainsi inutilement une partie des autorisations de programme engagées sur plusieurs années.
Nous touchons là, monsieur le ministre, au coeur du problème : les programmes d'investissement indispensables à la reconstruction des villes ne démarrent pas.
En revanche, les moyens de fonctionnement de la Délégation interministérielle à la ville et au développement social urbain, la DIV, progressent de 16,1 % dans le projet de budget pour 2000, essentiellement en ce qui concerne les dépenses de communication et les crédits en gestion, au détriment de la DIV elle-même.
S'agissant des dépenses de communication, non seulement le budget de la communication est reconduit à 5 millions de francs, mais, de surcroît, un nouvel article doté de 4 millions de francs est créé pour financer les expertises et les colloques.
Cette croissance des dépenses liées à la communication est regrettable, d'autant que les colloques organisés au cours de l'année 1999, pour un coût de 7 millions de francs, devaient être justifiés par la relance de la politique de la ville et la préparation des nouveaux contrats de ville. Or votre projet de budget, monsieur le ministre, confirme cette progression exceptionnelle en inscrivant des crédits supplémentaires pour développer votre politique de communication, alors que, dans le même temps, il n'y a pas ou il y a peu d'investissements.
Si l'on entre dans le détail, l'exécution du budget de la ville en 1999 est marquée par des mouvements de crédits de gestion de 6,17 millions de francs au détriment du fonctionnement de la DIV, afin de financer les nombreuses manifestations dont j'ai parlé. Ces mouvements de crédits nous conduisent également à nous interroger sur la croissance des crédits de fonctionnement de la DIV. S'agit-il là, monsieur le ministre, d'une réserve budgétaire visant à vous permettre de prendre en charge des dépenses imprévues en cours d'exercice ? C'est en tout cas la question que nous nous posons. Il semble que la commission de finances ne se soit pas trompée en proposant une réduction de 5 % des crédits du titre III l'année dernière, puisque des dépassements de crédits assez considérables sur un chapitre peuvent aisément être absorbés par un autre.
Cela rend encore plus opaque la présentation des chiffres et laisse à penser que la politique de la ville est une nébuleuse dont la visibilité relève essentiellement de la communication et de l'animation. Nous souhaitons donc une réévaluation à la baisse de ces dépenses, souvent inutiles. Que penser, en outre, des diagnostics et études préalables à la mise en oeuvre des procédures contractuelles, études qui se limitent trop souvent à des compilations de statistiques sans valeur ajoutée pour la définition des actions à mener ?
Nous prenons acte, cependant, de la simplification de la nomenclature engagée autour du Fonds d'intervention pour la ville pour limiter les transferts de crédits de gestion et pour regrouper les crédits de fonctionnement et les subventions d'investissement. Ces dispositions vont dans le bon sens, monsieur le ministre, puisqu'elles amélioreront la disponibilité et la fongibilité des crédits. Mais les problèmes demeureront importants tant que la conception interministérielle de la politique de la ville impliquera, pour financer chaque action, de solliciter des crédits auprès de plusieurs ministères. Ce fonctionnement entraîne des retards inacceptables dans la mise en oeuvre des projets et contribue à une inertie de la politique de la ville, qui est en contradiction totale avec l'urgence des enjeux actuels.
Il faut donc regrouper les moyens et simplifier considérablement le processus de leur mise en oeuvre.
La refonte totale de la structure de financement de la politique de la ville nous semble absolument indispensable pour une mise en oeuvre rapide des programmes de reconstruction de nos villes.
J'en viens à vos orientations, monsieur le ministre.
Vous souhaitez organiser la politique de la ville autour des nouveaux contrats de ville, qui devraient prochainement être signés, et autour des grands projets de ville, les GPV. Vous voulez concilier la mobilisation des crédits de droit commun et ceux qui sont spécifiques à la ville. L'idée est bonne. Vous êtes là, monsieur le ministre, un peu dans la même recherche que nous : comment mobiliser vite et globalement ce qui, aujourd'hui, est dispersé et très difficile à mettre en oeuvre ?
Nous regrettons donc que le programme de renouvellement urbain annoncé par le Gouvernement et les actions en matière économique ne soient détaillés que prochainement, ce qui nous prive d'éléments importants pour débattre de la politique de la ville. Vous annoncez que les quatorze grands projets urbains seront intégrés dans cinquante grands projets de ville à compter de l'année 2000. Nous n'en savons pas beaucoup plus ! C'est regrettable, car c'est maintenant qu'a lieu le débat parlementaire. Sans doute communiquerez-vous ces informations plus tard !
En revanche, vous remettez en question les zones franches urbaines, en tout cas dans vos discours, et nous pensons que c'est une erreur !
Dans le rapport du Gouvernement sur le bilan des zones franches urbaines et des zones de redynamisation urbaine sont mis en valeur les effets d'aubaine et de fraude, et sont proposées des modifications législatives pour moraliser, dites-vous, le dispositif. Les effets d'aubaine sont le propre de tout dispositif d'incitation fiscale, et les cas de fraude, qui demeurent marginaux, sont, en général, rapidement identifiés.
L'évaluation du Gouvernement tend à remettre en cause les zones franches du fait de leur coût élevé au regard des créations nettes d'emplois. Or ce seul critère ne permet pas de porter un jugement négatif sur le dispositif, car les zones franches ne constituent pas prioritairement un outil au service de la création d'emplois, mais visent à un rééquilibrage de l'activité économique en faveur des quartiers défavorisés.
Les zones franches urbaines constituent un moyen performant pour développer l'activité économique dans ces quartiers, dès lors qu'elles s'inscrivent dans une ambition de redynamisation et de requalification de l'environnement.
Le rapporteur spécial que je suis a constaté sur pièces et sur place, monsieur le ministre, l'effet des zones franches urbaines. Dans tout le dispositif complexe de la politique de la ville, c'est sans doute l'élément qui permet, sur le terrain, de constater des résultats concrets.
Je me suis rendu, par exemple, à Garges-lès-Gonesse - dont je salue le maire ici présent, Mme Olin - et à Roubaix, et je peux dire que les résultats sont spectaculaires. Non seulement il convient de mener cette expérience jusqu'à son terme, mais il faut d'ores et déjà envisager la poursuite du dispositif, sans doute en l'amendant. Je puis vous l'assurer, nous avons rencontré sur le terrain des partenaires qui se sont engagés sur la base de ce dispositif et les résultats sont très concrets. Les témoignages que nous avons recueillis montrent que, de toute évidence, sans ce dispositif, il n'aurait pas été possible d'obtenir les résultats spectaculaires que nous avons pu constater dans les deux villes que j'ai citées à l'instant.
Aussi, nous comptons sur vous pour nous en dire un peu plus sur la sortie du dispositif en 2002, dispositif que nous ne souhaitons pas voir s'arrêter complètement. Certes, les dispositions ne peuvent sans doute pas demeurer en l'état éternellement. En tout cas, il faut rapidement dire ce qui se passera après 2002.
Tous ceux qui se sont investis dans ces dispositifs l'ont fait, j'insiste sur ce point, sur du long terme. On ne peut donc pas leur dire aujourd'hui qu'après 2002 ce sera la fin du processus ! Il est urgent de nous dire ce qui se passera au terme de ce premier contrat.
Pour terminer, j'évoquerai deux points : la formation des intervenants de la politique de la ville et les programmes de construction-démolition.
S'agissant de la formation des acteurs de la politique de la ville, votre ministère reconnaît, par exemple, que le public visé par le dispositif « Ville Vie Vacances » nécessite un niveau de formation que ne détient pas la majorité des encadrants.
Cette remarque est particulièrement juste lorsqu'il s'agit de la formation des emplois-jeunes affectés dans les quartiers de la politique de la ville, puisque les adjoints de sécurité bénéficient d'une formation de deux mois, dont seules soixante heures sont consacrées aux techniques professionnelles, tandis que la formation des agents locaux de médiation sociale ne fait l'objet d'aucun programme défini. Ces dispositions nous semblent très largement insuffisantes, compte tenu du caractère délicat des missions que ces jeunes sont amenés à remplir.
Nous dénonçons l'inflation des crédits de fonctionnement consacrés aux études, aux colloques, à la communication. A nos yeux, il serait sans doute judicieux de redéployer tout ou partie de ces crédits sur la formation des différents intervenants. En la matière, les frais de fonctionnement engagés pour les actions de formation représentent, selon nous, un véritable investissement pour l'avenir.
Enfin, les opérations de construction-démolition, qui devraient être la base du dispositif de ce que vous appelez la reconstruction des villes, ne fonctionnent pas. Or les besoins sont considérables, puisque les villes doivent faire face à la déqualification rapide d'une partie du parc immobilier de logements sociaux. Nous l'avons constaté sur place. Tant que les bailleurs sociaux, les offices d'HLM notamment, nous diront qu'ils ne peuvent pas se priver de tours immenses, vétustes mais amorties et rentables, pour les remplacer par des logements sociaux d'un nouveau type, peut-être un peu plus horizontaux et un peu moins verticaux mais qui sont, eux, neufs mais déficitaires pendant plusieurs années, cela ne fonctionnera pas. Au cours des différentes auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons entendu à plusieurs reprises les bailleurs sociaux dire qu'ils ne s'engageaient pas davantage essentiellement en raison de problèmes de rentabilité. Je ne dirai pas que nous sommes en plein dans le capitalisme social, mais nous n'en sommes pas très loin.
Pour conclure, monsieur le ministre, si nous voulons ensemble reconstruire nos villes, il faut changer complètement de politique.
Nous faisons un certain nombre de propositions.
D'abord, il faut reconcentrer sur votre ministère les crédits nécessaires afin que les annonces soient suivies d'actions. Ainsi, c'est vous qui pourrez décider.
Ensuite, il faut arrêter le déluge d'études, de colloques, de campagnes de communication et redéployer tout ou partie de ces crédits sur la formation des acteurs de terrain.
En outre, il faut préserver les dispositifs qui ont fait leurs preuves, et plus particulièrement les zones franches urbaines.
Enfin, et c'est là peut-être le plus important, il faut reconstruire au sens propre nos villes en donnant aux bailleurs sociaux les moyens financiers nécessaires à un grand programme de requalification de l'habitat urbain. J'ajoute qu'un grand programme national de requalification aurait bien d'autres avantages que de requalifier les villes. En effet, cela permettrait de relancer en même temps, si besoin est, l'activité du bâtiment. Ce serait un moyen supplémentaire pour lutter contre le chômage.
Sans doute me répondrez-vous que votre budget est un bon budget puisqu'il augmente beaucoup par rapport aux autres budgets et par rapport à l'exercice précédent. C'est vrai, mais nous n'en sommes plus là ; ce budget est si petit !
L'ampleur de la tâche est telle qu'il faut changer l'organisation budgétaire, administrative et décisionnelle de votre politique pour en améliorer l'efficacité. C'est pour vous aider, monsieur le ministre, à obtenir cette indispensable refonte en profondeur que la commission des finances du Sénat propose à la Haute Assemblée de rejeter ce budget, qui ne correspond plus, à ses yeux, aux enjeux de l'avenir. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Braye, rapporteur pour avis.
M. Dominique Braye, en remplacement de M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Gérard Larcher étant empêché, il me revient de vous présenter les conclusions de son rapport sur le budget de la ville.
Ce projet de budget repose pour l'essentiel sur des évaluations bien peu précises des dépenses fiscales, puisque certaines estimations, pour la seule année 1998, varient du simple au triple.
Comme le rappelait à l'instant M. Joyandet, rapporteur spécial, le Gouvernement multiplie les rapports et opérations médiatiques sur la politique de la ville, mais je doute que leur nombre et leur thématique suffisent à en garantir la qualité.
Alors que, voilà deux ans, Mme Aubry nous affirmait sa volonté de « repenser la politique de la ville », le journal Le Monde notait, en juillet 1999, que « le travail gouvernemental se perd dans un fouillis d'initiatives ministérielles ... prises en ordre dispersé ». On ne saurait mieux dire ! Mais de quoi aurions-nous été taxés si nous nous étions enhardis à porter nous-mêmes un tel jugement ?
J'en viens au bilan d'application du pacte de relance pour la ville.
Selon l'association des villes en ZFU, ou zones franches urbaines, le nombre d'entreprises y aurait crû de 70 % en trente mois entre 1996 et 1999, et 33 % des installations d'entreprises y résulteraient de créations. A Roubaix, la création de la ZFU a permis d'enrayer l'hémorragie chronique des emplois. En outre, la clause d'embauche d'habitants des quartiers par les entreprises situées en ZFU est toujours respectée, et même très souvent largement dépassée.
Un autre exemple, que je connais particulièrement bien - la zone franche du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie - fait apparaître que plus de 50 % des emplois créés sont occupés par des habitants du quartier. En trois ans, le dispositif de la zone franche a créé 450 emplois nouveaux dans ce quartier défavorisé, qui n'en comptait jusqu'alors que 800, dont 400 relevant du secteur public.
Dans la mesure où l'on peut légitimement parler d'un véritable succès économique et social des ZFU, il apparaît urgent, monsieur le ministre, de conforter ce succès plutôt que de le mettre insidieusement en péril.
Comment, dans ces conditions, quiconque, averti comme moi de la réalité de ces quartiers en 1995-1996, pourrait-il prendre les appréciations du rapport d'inspection faisant état d'un dynamisme antérieur aux mesures d'incitation autrement que pour une provocation ?
Bien évidemment, Bercy juge le coût budgétaire total des ZRU et des ZFU trop élevé. Mais nos technocrates auraient-ils évalué le coût de l'aggravation de la dégradation de ces quartiers si rien n'avait été entrepris ?
La vraie question concerne le devenir des ZFU. Je constate que, bien qu'il les critique, le Gouvernement n'envisage pas de les supprimer. Les maires concernés, quelle que soit leur sensibilité politique, savent d'ailleurs combien elles sont utiles à leur commune. Pourtant, le doute qui s'est installé aujourd'hui a des effets très néfastes sur leur développement.
Je dois en effet, monsieur le ministre, attirer votre attention sur l'incertitude qui règne quant à la poursuite de la totalité des mesures d'incitation financières et fiscales destinées aux entreprises qui veulent s'installer dans ces ZFU. Plusieurs entreprises, qui avaient prévu de s'intaller dans la zone franche du Val-Fourré, y renoncent aujourd'hui faute d'être suivies par les banques, dissuadées par cette incertitude.
La clé du succès de ces ZFU, c'est pourtant la confiance dans la pérennité du dispositif. Il convient donc, monsieur le ministre, de lever très rapidement les doutes subsistant à cet égard.
N'est-il pas contradictoire de constater et de regretter que la reprise économique et la diminution du chômage ne profitent pas aux populations des quartiers défavorisés, tout en remettant en question le seul dispositif qui leur offre concrètement des emplois ?
J'en viens maintenant à la création d'une « PAT ville ». Celle-ci pose plusieurs problèmes.
Nous savons que la PAT, ou prime d'aménagement du territoite, telle qu'elle est conçue, concerne principalement de gros établissements plutôt que ce fourmillement d'entreprises individuelles et de PME émanant des habitants eux-mêmes. Dès lors, est-il réaliste de vouloir créer de grandes structures industrielles dans les quartiers en difficulté ? Est-il raisonnable d'imaginer l'implantation d'usines à la place de la « barre Lénine » à Gennevilliers, par exemple, quand celle-ci sera détruite ?
De plus, le Gouvernement n'a pas mis en oeuvre, monsieur le ministre, certaines dispositions essentielles du pacte de relance pour la ville. M. Sueur et l'inspection des finances, pourtant peu suspects d'être des partisans forcenés des ZFU, recommandaient un renforcement de la sécurité dans les quartiers en difficulté.
Où en est la réforme de la carte des effectifs de police ? Pourquoi ne pas avoir renforcé massivement ces effectifs, comme nous le réclamons depuis quatre ans ? L'exemple de Mantes-la Jolie démontre qu'il ne suffit pas de signer un contrat local de sécurité ! Encore faut-il que le Gouvernement respecte les engagements qu'il a souscrits.
Chez nous, le nombre de policiers est toujours très nettement insuffisant. Et, au-delà des données quantitatives, il faut aussi considérer le profil des policiers, leur formation et, donc, leur efficacité sur le terrain. Chacun imaginera aisément l'efficacité d'un effectif de police, constitué à 40 % d'auxiliaires de sécurité !
De façon plus générale, pourquoi le Premier ministre a-t-il attendu trois ans avant d'annoncer un accroissement des effectifs de police qui était pourtant prévu dans le pacte de relance ?
Autre exemple d'une gestion curieuse des problèmes de sécurité, où en est le Gouvernement quant à l'application de la loi du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux ? Au quartier de la Grande-Borne, à Grigny, on dénombre près de 300 chiens de type molossoïde pour 12 000 habitants, soit un chien molossoïde pour 40 habitants ! Inutile d'épiloguer sur les problèmes de cohabitation induits par cette situation !
Rapporteur de la loi sur les chiens dangereux, j'avais annoncé qu'elle serait inapplicable. Aujourd'hui, nous constatons que ni les chiens dangereux ni leurs propriétaires ne sont inquiétés. Faut-il en déduire que, pour le Gouvernement, tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes ?
Après avoir affiché, à grand renfort d'interventions médiatiques, sa volonté de résoudre en urgence le problème des pitbulls, il n'a pourtant publié à ce jour, presque un an après, aucun des textes d'application.
Autre sujet d'étonnement, bien qu'assez éloigné du précédent, le Gouvernement n'a en rien favorisé le développement de l'EPARECA, l'établissement public d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux, créé en 1996.
Après l'éléphant, dont - je vous le rappelle en bon vétérinaire que je suis - la gestation approche les deux ans, cet EPARECA est le mammifère dont la gésine est la plus longue ! Trois ans pour n'accoucher de rien, ou de si peu ! Encore conviendrait-il de rendre compatible l'action de l'EPARECA avec l'éligibilité au fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce !
Je regrette aussi que l'Etat n'ait plus de politique foncière et que la budgétisation du FARIF, le Fonds d'aménagement de la région d'Ile-de-France, n'ait pour seul intérêt que d'abondement des comptes du Trésor.
Certes, le Gouvernement a maintenu le cap sur certains points tels que la carte des zones d'éducation prioritaire ou la nécessité de sanctionner la violence des mineurs, mais la politique de la ville se caractérise encore trop par des opérations médiatiques et la publication de rapports stériles au détriment des actions de terrain qui, seules, peuvent améliorer la situation de ces quartiers difficiles.
Pour ces raisons principales et pour bien d'autres raisons, que je n'ai pas le temps de développer, la commission des affaires économiques vous propose elle aussi, mes chers collègues, d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la ville inscrits dans le projet de loi de finances pour 2000. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Blanc, rapporteur pour avis.
M. Paul Blanc, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. La commission des affaires sociales a examiné avec beaucoup d'attention le deuxième budget que vous nous présentez, car la création, l'année dernière, du ministère, monsieur le ministre, avait suscité beaucoup d'espoirs.
Certes, nous avons observé avec satisfaction le renforcement du Fonds d'intervention pour la ville, qui avait été créé sous l'impulsion de Mme Veil, puis de M. Raoult. C'est un instrument très utile pour financer, de manière souple, les opérations sur le terrain.
Cela étant, la commission a émis deux réserves. Tout d'abord, la stagnation des crédits relatifs aux opérations « Ville Vie Vacances », qui n'est pas en rapport avec les objectifs annoncés pour la campagne 2000.
Certes, la commission souhaite, tout comme vous, que les opérations soient étendues aux moins de treize ans, que les dotations des départements soient revalorisées et que la formation des personnels d'encadrement soit nettement renforcée.
Mais il est clair que l'accomplissement de ces objectifs supposerait un effort accru de l'Etat, sauf à considérer que les communes touristiques d'accueil prendront l'an prochain à leur charge dans des proportions plus importantes les dépenses nécessaires pour assurer la présence et la surveillance indispensables au bon déroulement de la période estivale.
Ensuite, la commission s'est étonnée de la progression des dépenses que le ministère utilise pour développer le « faire-savoir » plutôt que le « savoir-faire ». Loin de nous l'idée de nier l'utilité de toute communication, mais le soudain afflux de crédits dans ce domaine nous inquiète, compte tenu d'une tendance fort répandue à dépenser l'enveloppe budgétaire attribuée même sans être sûr des résultats.
Au-delà du budget, c'est surtout la politique de la ville suivie depuis l'année dernière qui nous a déçus, dans la mesure où elle ne répond pas à l'impatience ressentie sur le terrain.
Les multiples colloques et rencontres organisés à l'échelon national sous l'égide du ministère de la ville donnent encore à penser que le Gouvernement tâtonne, à la recherche d'une ligne claire.
Certes, depuis le 26 septembre dernier, on nous explique que la politique de la ville s'articulera autour du grand programme de rénovation urbaine et de solidarité. Mais le contenu de celui-ci reste encore flou. Si les cinquante grands projets de ville forment un projet ambitieux, ce n'est toutefois qu'au vu de la liste des sites retenus et des financements qui leur seront finalement alloués que l'on saura si les réalisations sont à la hauteur des objectifs affichés. En attendant, la représentation nationale est invitée, au cours de cette discussion budgétaire, à patienter encore pour connaître les décisions du prochain conseil des villes et les annonces des journées de Vaulx-en-Velin.
Par ailleurs, dans les deux domaines les plus importants pour les habitants des quartiers, les résultats tangibles n'apparaissent pas encore.
Le premier domaine est celui de la sécurité. La commission avait insisté l'année dernière sur l'erreur qui consisterait à se reposer seulement sur des mesures de prévention dans les quartiers. D'une certaine manière, nous avons été entendus puisque le conseil de sécurité intérieure du 26 janvier dernier s'est penché sur la question de la délinquance des mineurs et a pris plusieurs engagements non négligeables.
Pourtant, le rapprochement entre les annonces d'un programme triennal et leur mise en application partielle à la fin de cette année ne peut qu'alimenter de nouvelles déceptions. Par exemple, le déploiement de 1 900 policiers et gendarmes est loin de l'objectif des 7 000 agents supplémentaires d'ici à 2001.
En ce domaine, un effort d'anticipation aurait pourtant été le bienvenu.
Citons encore les quinze centres de placement immédiat pour mineurs récidivistes, à comparer avec les cinquante centres annoncés, programmés pour la fin de l'année mais qui ne sont pas encore ouverts à notre connaissance.
Aujourd'hui, l'aspect le plus visible d'une présence renforcée sur le terrain est constitué par les adjoints de sécurité déployés dans le cadre des contrats locaux de sécurité, qui supposent un effort conjoint des collectivités locales et de leurs partenaires pour l'embauche d'agents locaux de médiation sociale et de correspondants de nuit.
Les emplois-jeunes font un travail assurément utile, mais ils ne rempliront cependant pas le rôle que pourraient jouer des fonctionnaires de police expérimentés pour lutter contre la diffusion de la violence depuis les banlieues vers les espaces périurbains et les villes moyennes limitrophes, contre la montée de la délinquance des mineurs, contre la constitution de bandes qui font entrer certains quartiers dans une dérive mafieuse, contre la prolifération non maîtrisée des armes et contre les agressions envers les agents des services publics et les professions en contact avec le public. Et les manifestations qui se sont déroulées aujourd'hui même à Vénissieux ne sont malheureusement qu'un exemple qui vient nous rappeler cette réalité.
Le second domaine dans lequel nous attendons plus de la part du Gouvernement est le développement économique. Nous n'avons pas été étonnés, monsieur le ministre, que le Gouvernement confirme ses réticences à l'égard du dispositif des zones de redynamisation et des zones franches urbaines voulues par le pacte de relance pour la ville. Ce qui nous a étonnés, en revanche, c'est que vous ayez pris d'ores et déjà la décision d'annoncer la non-reconduction du dispositif d'exonération sur la base du rapport d'évaluation qui portait sur la première année d'application du dispositif. Le rapport lui-même souligne que les effets en terme d'emplois vont se renforcer dans l'avenir, de nombreuses collectivités locales ayant réalisé des aménagements qui permettent d'attendre de nouvelles activités et de nouveaux emplois. Depuis l'annonce de la fin du pacte de relance pour la ville, nous n'avons pas eu le sentiment que le Gouvernement, même après la lecture du rapport de Mme Robin et de M. Rodrigo, ait esquissé les lignes d'une autre solution en vue du développement économique des quartiers.
Impatiente de voir des résultats plus significatifs en matière de sécurité et des options plus claires en matière de développement économique, la commission des affaires sociales a émis un avis défavorable à l'adoption du projet de budget relatif à la ville tel que transmis par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 22 minutes ;
Groupe socialiste, 17 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 11 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 5 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget de la ville pour 2000 est l'un des plus volumineux : avec une augmentation de plus de 10 % de ses crédits par rapport à 1999, il semble en effet se situer parmi les budgets prioritaires du Gouvernement. Ces moyens sont certes importants, mais ils sont marqués par des transferts de crédits en provenance d'autres ministères.
Ces transferts permettent d'alléger les difficultés soulevées par le financement des actions de la politique de la ville. En effet, la conception interministérielle de cette politique implique des financements croisés, qui imposent la mise en place de structures regroupant les diverses contributions ministérielles. Pourtant, l'effet d'annonce des augmentations du budget de la ville n'a de sens que si les dotations correspondantes sont correctement utilisées et effectivement consommées.
Ces augmentations, mes chers collègues, portent surtout sur la politique d'animation et de communication. Elles ne doivent pas pour autant occulter l'impérieuse nécessité d'assurer une meilleure formation des personnels urbains. C'est pourquoi je me permettrai de faire une double proposition.
En premier lieu, le Gouvernement doit assurer sans tarder une meilleure formation du personnel d'encadrement des dispositifs d'animation. Sur le terrain social des quartiers les plus défavorisés, cette formation est indispensable. Les défaillances de l'encadrement décrédibilisent ceux qui ont à coeur d'apaiser le sentiment de frustration et d'abandon ressenti par les jeunes des quartiers populaires.
En second lieu, les emplois-jeunes doivent bénéficier d'une formation exceptionnelle, ce qui ne semble pas être le cas à ce jour. Monsieur le ministre, le caractère délicat des missions de médiation sociale exige des mesures fermes dans ce domaine.
Enfin, j'attirerai votre attention sur l'état de délabrement de bon nombre de quartiers. La restructuration de ces derniers doit être au centre des politiques d'action sociale, afin de remettre à neuf des habitations trop souvent dégradées. Je vous rappellerai, mes chers collègues, qu'une partie non négligeable de logements sociaux atteint un tel degré d'obsolescence que seules de profondes transformations faisant table rase d'une partie du parc immobilier actuel pourront contribuer à une recomposition du tissu urbain.
Démolir, puis reconstruire, là se situeront les futurs enjeux d'une politique de la ville ambitieuse, fondée sur la réhabilitation et sur la rénovation.
Pour ce faire, ne soyons pas frileux et n'ayons pas peur d'associer à la démarche gouvernementale tous les acteurs de la vie sociale citadine. Là où les conditions d'habitat sont au plus bas, la reprise du dialogue social est à ce prix. En dépit de quoi, il serait vain d'espérer l'épanouissement culturel des populations issues des quartiers les plus pauvres, ainsi que le développement économique et la reprise du fonctionnement des services publics dans les zones franches urbaines.
Sachez, monsieur le ministre, que les membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen et moi-même demeurerons attentifs aux réponses que le Gouvernement tentera d'apporter tout au long de l'année au mal-être de nos villes. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà un an, nous nous réjouissions tous de la nomination d'un ministre délégué à la ville et de la très forte progression des crédits de ce ministère : 32 % d'augmentation. Mais certains de nos collègues restaient dubitatifs : cette progression durerait-elle, ou ne s'agissait-il que d'un effet d'annonce ? Ils devraient trouver, monsieur le ministre, dans le projet de budget que vous présentez pour 2000, des réponses à leurs attentes.
Votre projet de budget sera à nouveau celui qui affichera la plus forte augmentation, avec une hausse de 10 %. De plus, il regroupera plus de 300 millions de francs de crédits qui étaient auparavant dispersés dans d'autres ministères, ce qui va dans le sens de l'indispensable simplification des procédures d'instruction desdossiers.
Il faut ajouter, pour dresser le tableau des moyens financiers, que la Caisse des dépôts et consignations sera un partenaire important, que les fonds structurels européens profiteront davantage aux quartiers en difficultés et que les régions et les départements s'investiront beaucoup plus qu'ils ne l'ont fait jusqu'à présent.
Il faut souligner également l'effort qui est fait par le Gouvernement pour donner aux villes ayant le plus de difficultés les moyens de s'investir davantage, en augmentant sensiblement la dotation de solidarité urbaine. La DSU a augmenté de 45 % en 1999 : elle augmentera encore de 14 % en 2000. C'est bien, très bien même, mais la question des dotations de l'Etat reste néanmoins posée. Peut-on considérer que la DSU a atteint son maximum alors qu'elle ne représente que 2 % environ des concours financiers de l'Etat et 1 % - guère plus -, du budget de la commune qui la perçoit ? Au moment où l'on parle de réforme de la fiscalité locale, ne faut-il pas poser d'une façon toute particulière le problème des communes pauvres et d'une meilleure péréquation des dotations ?
Il est important de noter que, dans le projet de loi de finances pour 2000, la politique de la ville est une priorité de tout le gouvernement : chaque ministère y participe en effet activement. Il y a ainsi la création d'emplois-jeunes dans les quartiers, la mise en oeuvre de la loi contre les exclusions, le programme TRACE, ou trajet d'accès à l'emploi ; il y a la mise en place de la police de proximité, les réseaux d'éducation prioritaires, les contrats éducatifs locaux et les opérations de reconstruction-démolition de logements sociaux. On peut également évoquer le projet de loi en cours de préparation, qui permettra d'aborder de façon globale et cohérente les problèmes de la ville, l'urbanisme, l'habitat, les transports, la politique de la ville. Je souhaite que soit bien pris en compte dans cette future loi le problème des quartiers excentrés et de leur desserte par les transports en commun. Ces quartiers ne peuvent pas et ne doivent pas faire l'objet de discrimination. De même, tous les services publics doivent y être accessibles sans contrainte particulière : je pense, par exemple, à La Poste et à ses horaires d'ouverture.
Ainsi, l'effort global en faveur de la politique de la ville dépassera, dès 2000, les 35 milliards de francs auxquels faisait référence le rapport Sueur. Cet effort est incontestable, et les considérations du rapporteur de la commission des affaires sociales, notre collègue Paul blanc, n'y changeront rien. On ne peut pas se focaliser sur les crédits des opérations « Ville Vie Vacances » qui sont simplement reconduits pour chercher à « nuancer » ou à relativiser le budget global de la politique de la ville : il s'agit bien de 35 milliards de francs.
Ces crédits sont importants, mais la tâche est immense. Nous savons tous que la croissance n'a pas pénétré dans les quartiers en difficulté, que le taux de chômage y demeure très élevé - plus de 30 % - et qu'il est souvent aggravé par la discrimination à l'embauche en raison de l'origine ethnique ou simplement de l'adresse. Ces quartiers concentrent non seulement le chômage mais aussi l'insécurité et les difficultés sociales de toutes sortes. Comment éviter qu'ils ne se transforment en ghetto et que la situation ne dégénère ?
La question se pose avec d'autant plus d'acuité que nous vivons dans une société qui a renoué depuis deux ans avec une croissance forte, dans une société qui étale ses richesses et se complaît dans le bonheur de la consommation.
Parce que nul ne doit être condamné à vivre dans un quartier défavorisé, relégué aux marges de la société, il faut redonner de l'espoir là où il n'y a que misère ou malaise, et tout mettre en oeuvre pour que la vie normale, tout simplement normale, n'existe pas qu'à l'extérieur de ces quartiers.
Les mesures que vous proposez, monsieur le ministre, et qui visent à un profond renouvellement urbain et à l'intégration des quartiers à la ville vont dans ce sens.
Le comité interministériel des villes, qui se réunira dans quelques jours, devrait mieux prendre en compte les aspects économiques de la politique de la ville. Les zones de redynamisation urbaine et les zones franches ont montré leurs limites : elles délocalisent plus qu'elles ne créent et coûtent très cher - un peu plus de 3,3 milliards de francs en exonérations fiscales et sociales - pour un nombre très faible de créations d'emplois. Il faut d'autres mesures plus efficaces pour implanter des entreprises et des services dans les quartiers en difficulté ou à proximité. Ce doit être une véritable priorité.
Il faut aussi pouvoir proposer à des adultes des emplois, calqués sur les emplois-jeunes, dans les quartiers. Cette mesure permettrait de redonner une fonction à des personnes qui pourraient jouer un rôle de relais, de médiation sociale et qui assureraient une certaine représentativité là où il n'en existe aucune. Il faut savoir reconnaître les métiers, les professions de la politique de la ville et leur donner un véritable statut.
Vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à ne signer aucun contrat de ville si les conditions effectives de participation des habitants ne sont pas précisément définies. Et il est vrai que l'on ne peut pas définir l'avenir d'un quartier sans ses habitants.
Le thème de la démocratie participative, de la démocratie de proximité, est devenu l'un des enjeux majeurs de la politique de la ville. Toutes les initiatives qui sont prises dans ce domaine méritent d'être reconnues, encouragées et soutenues. C'est en agissant ainsi que l'on pourra aussi faire reculer l'intolérance et les idées extrémistes.
Il faut également mobiliser les associations qui agissent au plus près de la réalité des quartiers. L'instauration du dossier unique et l'accélération du versement des subventions devraient être de nature à les encourager.
Je voudrais insister aussi sur la place qu'il faut donner à la politique de la ville dans les contrats d'agglomération et les contrats de plan Etat-région qui sont en cours d'élaboration.
Le Premier ministre a annoncé voilà quelques jours le montant de la seconde enveloppe, à savoir 25 milliards de francs, ce qui porte l'engagement total de l'Etat dans la prochaine génération de contrats de plan à 120 milliards de francs. Les crédits destinés à la politique de la ville dépassent les 8 milliards de francs, soit près de deux fois et demie le montant des crédits du précédent contrat de plan.
L'effort est considérable ; il reste à utiliser ces crédits avec le maximum d'efficacité et, pour cela, à rechercher une bonne articulation entre les contrats de plan Etat-région, les contrats de ville et les contrats d'agglomération. Il est indispensable que les agglomérations soient des interlocuteurs à part entière dans l'élaboration des contrats de plan Etat-région.
Contrats de ville et contrats d'agglomération doivent, pour leur part, faire l'objet d'une clarification et être considérés comme faisant partie d'une seule et même démarche, en s'emboîtant, en quelque sorte, l'un dans l'autre, en intégrant « politique de la ville » et « politique urbaine de l'agglomération ». Il faut sortir du périmètre des quartiers, de la politique de la ville et des stigmatisations qui ont trop souvent marqué ces quartiers, pour engager, comme vous voulez le faire, monsieur le ministre, d'ambitieuses politiques de « renouvellement urbain » au niveau d'une agglomération tout entière. Nous savons bien, par exemple, qu'en matière de logement on ne pourra atteindre la mixité sociale que si l'on raisonne au niveau de toute l'agglomération.
Mes chers collègues, il ne s'agit pas d'opposer les villes aux campagnes. Nous devons rechercher un meilleur équilibre entre le monde urbain et le monde rural, et nous savons bien que nous ne pourrons y parvenir que si l'image et le concept de la ville sont réhabilités. La ville n'est pas le réceptacle de tous les maux de la société, elle peut être, elle doit être un lieu d'échanges, de solidarité et de bien-vivre.
Monsieur le ministre, le groupe socialiste partage votre ambition ; il vous apportera tout son soutien pour que vous puissiez mettre en oeuvre cette politique et donner une nouvelle ambition aux villes. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Franchis.
M. Serge Franchis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce qu'il est convenu d'appeler la politique de la ville, dont la mise en oeuvre fait l'objet de contrats de ville, consiste à agir sur le développement social, éducatif, urbain et économique, afin de répondre essentiellement à la situation de précarité qui affecte une partie importante de la population.
Cette politique, précédemment qualifiée de « développement social des quartiers », allie des interventions de proximité et des actions plus globales conduites sur l'ensemble de l'agglomération.
Les préoccupations de l'Etat comme celles des collectivités territoriales portent principalement sur des secteurs, désignés « quartiers sensibles » ou « sites dégradés », où se concentrent les difficultés les plus graves.
Par rapport à l'agglomération concernée aussi bien qu'en comparaison avec la moyenne nationale, les habitants, surtout les jeunes de ces quartiers, sont davantage en situation d'exclusion qu'ailleurs. Le poids de l'aide sociale dans les revenus y est plus lourd et l'habitat, parfois en mauvais état d'entretien, y est fréquemment plus dense.
Cependant, une enquête de l'INSEE montre bien que l'exclusion est d'abord un phénomène social avant d'être un phénomène urbain.
Ce phénomène est rarement résolu par la réhabilitation du bâti, même si cette réhabilitation contribue à maintenir un confort de vie, à préserver quelques atouts de cohésion et à retarder l'émergence de conflits.
Parmi les périls qui guettent ces quartiers, le danger du communautarisme n'est pas le moindre. L'économie souterraine et le trafic de drogue sont les caractéristiques de maintes activités délinquantes.
Les habitants ressentent comme important, voire essentiel, d'améliorer tant la sécurité - 95 % - que l'emploi - 92 %. Ce sont deux domaines où peu de progrès sont enregistrés.
La violence urbaine persiste. L'existence de zones de non-droit en est l'expression permanente. Elle tend à se diffuser dans les espaces périurbains et jusque dans des bourgs ruraux. Le comportement médiatisé de bandes qui s'organisent à partir des grands ensembles constitue un modèle de société pour de trop nombreux jeunes en difficulté. Ce comportement est reproduit ici ou là, quand des circonstances favorisent la manifestation d'actes agressifs.
En matière d'emploi, les effets de la croissance ne pénètrent que difficilement les quartiers sensibles. A hauteur de 25 % à 35 % pour les jeunes de quinze à vingt-quatre ans, le taux de chômage ne baisse pas, sauf dans les zones franches. Il est un ferment de toutes les déviances.
Face à ce constat, comment évaluer la portée des contrats de ville dont une nouvelle génération est en cours de préparation pour la période 2000-2006 ?
Ce qui est perceptible, c'est la pérennisation de procédures complexes, une institutionnalisation de services nouveaux - par exemple, les opérations de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale, les MOUS - et un concept de guichet qui pourrait dériver vers une forme d'assistanat.
Certes, je ne saurais minimiser les avancées de la politique de la ville, notamment les effets attendus des mesures nouvelles incluses dans le présent projet de loi de finances, à savoir une plus grande fongibilité des crédits et un allégement des procédures d'instruction des dossiers, une augmentation de la dotation de solidarité urbaine, l'éligibilité des villes aux fonds structurels européens, le doublement des moyens des contrats de ville au cours des sept prochaines années et l'annonce du lancement d'un grand programme de renouvellement urbain concernant une cinquantaine de projets.
Il n'en demeure pas moins qu'après des années de partenariat et d'efforts ni l'Etat ni les acteurs locaux ne sont parvenus à obtenir des progrès significatifs.
La situation ne cesse de se dégrader. Par exemple, on estime que, en 1993, 485 quartiers étaient touchés par les violences urbaines et que ce nombre est passé à 818 en 1998, dont 172 sont considérés comme très durs.
Je partage votre analyse, monsieur le ministre, au sujet des opérations spectaculaires et coûteuses de constrution-démolition, trop souvent présentées par les services de l'Etat dans les départements comme la panacée ou, tout au moins, comme une mesure préalable et prioritaire. Non, comme vous le dites, il ne s'agit pas de « démolir... pour déplacer les problèmes » ! Il y a d'autres mesures d'accompagnement à mettre en place.
Je verrais plutôt, en quelques orientations simples, bien ciblées, l'esquisse d'une démarche pragmatique que chaque ville aurait à traduire et à adapter selon la situation qui lui est propre, car les situations ne sont pas toutes identiques : premièrement, réduire ou prévenir les effets de ghetto par une politique volontariste de mixité sociale et urbaine ; deuxièmement, assurer, avec de réels moyens pour la police et la justice, la sécurité urbaine, ainsi que l'ont demandé les orateurs précédents ; troisièmement, privilégier des actions globales en direction de la famille, de l'enfance, de la jeunesse, toujours dans un esprit de mixité sociale ; quatrièmement, bien évidemment, maintenir les zones franches.
Nous le savons, ce sont les effets du chômage qui sont les plus ravageurs. Si l'embellie en matière d'emploi mérite d'être saluée, un taux moyen de chômage de 11 % de la population active - de 25 % à 35 % dans les zones sensibles - reste insupportable. Or rien dans ce projet de budget n'est réellement novateur ni susceptible d'offrir une alternative aux populations paupérisées.
En conclusion, j'ai le regret de devoir vous dire, monsieur le ministre, que le groupe de l'Union centriste ne votera pas les crédits affectés à la ville, car ils ne sauraient constituer les moyens solides, ambitieux, de longue durée, suffisants, qui pourraient changer la société à laquelle ils sont destinés. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin. Monsieur le ministre, vous avez déclaré, et nous en étions ravis, que faire de la ville une priorité serait votre combat. C'était donc avec une certaine impatience que nous attendions la présentation du projet de budget de la ville.
Le projet de loi de finances prévoit une augmentation des crédits de 10 % qui se révèle être, malheureusement, toute relative et qui ne correspond pas à ce qui avait été annoncé lors des journées de Nantes au sujet de la nécessaire mobilisation de l'Etat en faveur du développement économique des quartiers.
En fait, l'augmentation des crédits correspond à la première année de mise en oeuvre des nouveaux contrats de plan Etat-régions et il est dommage que les structures existantes ne bénéficient pas de nouveaux moyens.
Je ne vous cache pas mon étonnement, monsieur le ministre, de constater l'augmentation des dépenses consacrées à la communication : cela a déjà été dit. Il me semble pourtant que l'heure n'est plus aux colloques, qui ne cessent de se succéder - comme d'ailleurs les rapports - mais qui, hélas ! n'apportent que très rarement des réponses ou, quand ils en apportent, ne sont guère suivis par le Gouvernement.
Nos efforts doivent aujourd'hui se porter sur le terrain. La réussite de la politique de la ville dépend, avant toute chose, de la mobilisation des acteurs de terrain autour des maires, avec l'aide renforcée et sans faille de l'Etat.
La République doit revenir dans nos quartiers par le biais du renforcement de la présence des services publics. Nous devons éviter toute ghettoïsation pour que l'image de ces quartiers change et que les mots violence, délinquance, dégradation et, plus hypocritement, incivilité ne soient plus le seul vocabulaire utilisé pour parler des banlieues. Nous devons apporter aux habitants des quartiers l'assurance de leur citoyenneté et de leur implication dans la vie locale.
Il est aujourd'hui évident, et je le regrette, que nous n'avons pas encore atteint le niveau nécessaire pour mener à bien la politique de la ville. Comme je le disais, il ne sert à rien d'inventer de nouvelles structures ; mieux vaut donner aux structures existantes les moyens de réussir. C'est un propos que j'avais tenu l'année dernière, mais je n'ai pas été entendue, je le regrette.
Monsieur le ministre, nos quartiers ont besoin non pas de nouvelles structures, mais de moyens supplémentaires pour mener à bien leurs missions. S'agissant de la police, des écoles, de la justice, de la santé, des HLM, le constat est des plus alarmants. C'est le Gouvernement tout entier qui doit s'impliquer dans cette politique !
Vous comprendrez, j'en suis sûre, que je veuille parler des zones franches, et je vais m'y attarder.
Vous les avez critiquées dans un premier temps en invoquant leur coût élevé en matière d'exonération de taxes professionnelles et de charges sociales et en affirmant, au travers d'un rapport, qu'un emploi en zone franche coûtait environ 150 000 francs alors qu'un emploi-jeune revenait à 80 000 francs.
Peut-on comparer ce qui n'est pas comparable ?
Dois-je vous rappeler, monsieur le ministre, qu'autour des emplois en zones franches la vie économique a repris dans les quartiers, dans les entreprises, que les commerces sont revenus et parfois, trop rarement, hélas ! encore, dans les services publics ?
Dois-je vous rappeler qu'il aurait fallu, en annonçant ces chiffres, prendre en compte le coût social du chômage par rapport aux emplois créés ?
Vous avez parlé des failles du dispositif en soulignant les abus constatés. Je peux être d'accord avec vous, car les effets d'aubaine existent. Mais, là aussi - dois-je vous le rappeler ? - il existe des contrôles du fisc et de l'URSSAF, il existe des comités d'orientation et de surveillance présidés par les préfets.
Pouvez-vous admettre, monsieur le ministre, que les maires concernés par les zones franches aient fait et fassent leur travail pour n'accueillir que des gens sérieux et qu'ils fassent la chasse aux tricheurs ? Pouvez-vous admettre aussi que les commerçants, les artisans et les entrepreneurs ne sont pas tous des fraudeurs ?
Non, les zones franches ne sont pas qu'un dispositif d'incitation au développement économique, elles sont aussi un outil pour une nouvelle vie, pleine d'espoir pour les habitants des quartiers. Et j'ose espérer, monsieur le ministre, que, au travers de tous les arguments développés par plusieurs de mes collègues et par moi-même, vous aurez à coeur de laisser les zones franches vivre jusqu'à leur terme sur les bases fixées par le pacte de relance pour la ville mis en place par Alain Juppé.
Comme on l'a rappelé, grâce à la zone franche urbaine, Garges-lès-Gonesse, la ville dont je suis le maire, connaît aujourd'hui un renouveau économique. Des emplois y sont créés au profit des habitants : 178 entreprises sont aujourd'hui installées, dont 61 % sont des créations ou des reprises, et 1 020 emplois ont été créés sur le territoire communal, 290 revenant à des habitants de la zone franche. C'est ainsi, même si cela semble peu, que 290 familles ont retrouvé l'espoir dans leur ville.
En dehors des zones franches, nous attendons plus de concret. Il serait bon que nous répondions vite au problème de la sortie du dispositif, l'heure n'étant plus au débat. J'espère que cette question sera évoquée lors du prochain comité interministériel des villes.
Je déplore que la mise en oeuvre des dispositions prévues par le pacte de relance pour la ville pour la création de l'EPARECA, l'établissement public d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux, ait pris autant de retard. Cet établissement répond à un réel besoin des communes, et il est plus qu'urgent de passer à la vitesse supérieure.
Si je suis quelque peu rassurée quant à son installation, qui démarre, je regrette qu'il ait fallu autant de temps pour qu'il soit mis en place. Le retard pris à ce jour sur certains dossiers est dramatique, et les restructurations prévues sont retardées d'autant, avec parfois des conséquences irréversibles.
L'exemple de Garges-lès-Gonesse reflète bien la complexité du dispositif. Pour restructurer son centre commercial, la commune se retrouve aujourd'hui toute seule pour procéder aux acquisitions et mobiliser les financements. L'arrivée de l'EPARECA a seulement permis de démarrer le processus et de commencer à mobiliser les investisseurs potentiels. Les obstacles à franchir demeurent énormes en matière de financement et les lenteurs dans la mise en oeuvre du dispositif risquent d'entraîner l'abandon de certains investisseurs. Dans ce cas, c'est vers l'échec que nous nous dirigeons.
En effet, lorsque l'EPARECA intervient, le fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités, le FISAC, n'intervient plus, ce qui signifie que l'Etat reprend d'une main ce qu'il donne de l'autre. L'EPARECA intervient comme un investisseur privé, à charge pour les collectivités de trouver les subventions publiques. Or c'est à ce moment précis que le FISAC devrait intervenir.
De plus, il faut bien le dire, le maniement des fonds du FISAC est d'une extrême complexité et leur gestion est concentrée au niveau du ministère, ce qui rend extrêmement difficile toute négociation.
Il convient de mettre en oeuvre une vraie déconcentration du FISAC au niveau des préfets afin que les difficultés inévitables en matière de restructuration commerciale puissent être traitées au plus près des réalités.
Les opérations relevant de la politique de la ville nécessitent, au-delà des moyens budgétaires - qui sont insuffisants, et nous le regrettons - une très grande souplesse. Pourtant, nous constatons plutôt l'inverse, à savoir une grande complexité.
En ce qui concerne le logement, je l'avais souligné en commission des affaires sociales, une réforme de la législation sur les copropriétés se révèle nécessaire. Bon nombre de propriétaires n'ont actuellement pas les moyens d'assumer l'entretien des parties communes et les dégradations des immeubles en copropriété deviennent un phénomène plus qu'inquiétant.
Nous attendons avec impatience le projet de loi sur l'urbanisme, l'habitat et les déplacements, qui devrait proposer des solutions à ce problème car là aussi il est urgent d'agir. Si tel n'était pas le cas, le déséquilibre dans certains quartiers s'accentuerait et il serait ensuite bien difficile, voire impossible, de redresser les situations.
Je veux vous dire également, monsieur le ministre, combien il est dommage de devoir attendre différents projets de loi ou le comité interministériel à la ville pour découvrir les orientations du Gouvernement en matière de politique de la ville. Etudier votre projet de budget sans réellement connaître les intentions du Gouvernement ne relève pas d'un fonctionnement cohérent. Or nous sommes en droit d'attendre une cohérence gouvernementale.
Je suis loin d'être la seule à le souligner, il faut un pilote, et un seul, qui soit responsable de la mise en oeuvre et de la coordination des actions. Nous ne devrions pas avoir à nous interroger pour savoir à quel ministère nous devons nous adresser pour obtenir des crédits en faveur de nos villes.
Ce projet de budget ne répond ni aux attentes fortes ni aux besoins exprimés. Au-delà des effets d'annonce, nous, les élus, mais surtout les habitants de ces villes et de ces quartiers fragilisés depuis tant d'années par tant d'erreurs, nous attendons de vrais moyens. Demain, il sera trop tard, trop tard de trop espérer, mais surtout trop tard d'avoir attendu. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Près de vingt ans après la mise en oeuvre de la politique de la ville, quel bilan peut-on tirer ?
D'abord, d'importants moyens ont été déployés et leur rôle d'amortisseurs sociaux a certainement contribué à atténuer la crise urbaine. Malheureusement, bien souvent, le manque de coordination dans la mise en oeuvre des mesures n'a pas permis d'en optimiser les effets.
Force est de constater que la ségrégation spatiale s'est accentuée, que les déséquilibres interrégionaux se sont aggravés. Cela est vrai également dans la région parisienne, où les inégalités, tant économiques que sociales, continuent de s'accroître entre l'ouest et le nord-est.
La responsabilité de l'Etat est complètement engagée en matière d'aménagement du territoire et de développement équilibré des régions.
Les déséquilibres sont aussi présents au sein de nos villes, de nos quartiers. La mixité sociale est battue en brèche et nombre de quartiers dits « sensibles » se paupérisent encore un peu plus. On assiste aujourd'hui au départ de familles populaires, y compris, depuis peu, de familles engagées dans la vie associative et sociale de la cité. Le taux de logements vacants atteint, par exemple, 15 % sur l'ensemble des Minguettes - territoire que je connais bien - pour grimper jusqu'à 25 % dans certains quartiers.
Force est également de constater que la ségrégation sociale augmente. Six millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le nombre de RMIstes a doublé en sept ans, le chômage des jeunes persiste cruellement. Ce constat réaliste ne peut que nous convaincre de construire une perspective d'avenir et de nous opposer aux comportements violents et incivils qui confortent un sentiment d'insécurité.
Tous les outils de la politique de la ville ont montré leurs limites, sûrement par manque de cohésion dans les moyens mis en oeuvre mais aussi par manque d'ambition.
Aussi, nous ne pouvons que nous féliciter de la volonté du Gouvernement de placer la politique de la ville au coeur de l'action gouvernementale.
Cette priorité forte du Gouvernement se traduit depuis trois ans par des augmentations sans précédent du budget de la ville. Depuis votre nomination, monsieur le ministre, votre budget s'est considérablement renforcé. Il représente 35 milliards de francs. Du jamais vu !
Cette année, à base constante, le budget croît de 10 %. Par ailleurs, le budget de la ville regroupera plus de 300 millions de francs de crédits auparavant dispersés dans d'autres ministères.
Je voudrais me féliciter de cette consolidation de crédits, qui répond certes à l'engagement du Gouvernement de simplifier la mise en oeuvre de la politique de la ville, mais qui devrait avant tout faciliter la cohérence, sur le terrain, des projets.
Cette volonté se retrouvera au plan local, puisque vous avez annoncé, monsieur le ministre que, désormais, 80 % à 90 % des crédits seraient délégués aux préfets de département.
Il reste cependant à conforter les mesures financières en faveur des collectivités locales.
La faiblesse des dotations et les difficultés financières des communes concernées n'ont pas permis de consommer l'ensemble des crédits prévus pour les grands projets urbains. Les difficultés des communes qui comptent parmi les plus pauvres, mais qui étaient censées participer aux dépenses d'investissement à concurrence de 20 % à 30 %, ont ralenti les opérations, ce qui doit susciter notre réflexion.
Je ne suis pas sans savoir que le projet de loi de finances pour 2000, notamment après son examen récent par l'Assemblée nationale, prévoit des moyens accrus pour les collectivités locales. Mais nul d'entre nous ne peut s'en satisfaire au regard des besoins.
La politique de la ville bénéficie non pas uniquement de crédits en augmentation, mais d'une réelle ambition politique. En témoignent de nombreux progrès et projets.
Ainsi, les quartiers en difficulté seront, pour la première fois, inscrits en tant que tels dans la prochaine génération des fonds structurels européens pour la période 2000-2006.
Les contrats de ville, principaux outils de mise en oeuvre de la politique de la ville, bénéficieront, pour les sept prochaines années, de moyens doublés. Les contrats de ville recouvrent des domaines divers, tels que l'éducation et le périscolaire avec le contrat éducatif local, la sécurité avec le contrat local de sécurité et le programme, sur dix ans, de rénovation urbaine qui comprend un volet de revitalisation économique et un autre relatif aux réhabilitations et à la restructuration des quartiers.
Cette phase est nécessaire. A Vénissieux, ce sont quinze tours qui ont été détruites en seize ans. Et ce n'est qu'avec la destruction de la dernière tour, en novembre dernier, qu'émerge, enfin, un véritable projet de reconstruction qui est un pari pour l'avenir, un pari en faveur de l'humanisation indispensable des quartiers. Le grand projet de ville devrait donner un nouvel élan.
Un effort particulier doit être accompli en faveur de la présence de services publics modernes et rénovés. C'est en partie l'objet du texte relatif à l'amélioration des droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, présenté par M. Zuccarelli.
Un autre projet de loi est fortement attendu par les parlementaires communistes et par les acteurs de la vie locale : il s'agit du texte relatif à l'urbanisme, à l'habitat et aux déplacements qui doit prendre en compte la majeure partie des problématiques de la ville.
Pour l'heure, vous l'avez compris, monsieur le ministre, les membres du groupe communiste républicain et citoyen voteront votre projet de budget, en espérant toutefois que sa concrétisation sera, pour les habitants, à la hauteur de son ambition. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz Pour la deuxième année consécutive, le projet de budget de la ville est celui qui connaît la plus forte progression : l'an dernier, il franchissait le cap symbolique du milliard de francs et augmentait de 30 %. Cette année, il enregistre une augmentation de 10 %, voire de 40 % si l'on intègre les crédits qui y sont rattachés. En fait, l'effort global en faveur de la politique de la ville, qui s'exprime aussi au travers des budgets des ministères de l' emploi et de la solidarité, de l'intérieur, de l'éducation nationale et du logement atteindra pratiquement les 35 milliards de francs auxquels faisait référence M. Jean-Pierre Sueur dans son rapport « Demain la ville ».
Cette augmentation particulièrement significative consacre la volonté du Gouvernement de mener une action durable et ambitieuse en faveur de l'ensemble des citadins. Elle se traduira par une action concrète rénovée, qui corrigera les insuffisances des expérimentations précédemment menées, des expérimentations trop souvent limitées aux frontières du seul quartier.
Ainsi, un grand programme de renouvellement urbain sera lancé sur dix ans. Il sera destiné à réparer, mais aussi à avancer et à tracer un cadre de vie qui n'exclut personne. Les contrats de ville et les grands projets de ville seront les piliers de ce programme cohérent, en phase avec les réalités du terrain, et ils s'inscriront dans une optique d'intégration des quartiers à la ville.
Chacun connaît, en effet, les difficultés liées aux quartiers urbains. Ceux-ci concentrent une population à très bas niveau de revenus, durement touchée par le chômage et la délinquance, pratiquement privée de services publics de proximité et d'activités économiques. La reprise de la croissance et la baisse du chômage ne signifient rien pour cette population en marge des grandes villes et, de plus en plus, en marge de la société. Seule une approche globale pourra permettre de s'attaquer à ces difficultés.
La priorité du Gouvernement pour une politique de la ville durable et efficace s'exprime aussi au travers des réformes en cours qui accompagneront ce grand programme de renouvellement urbain. Nous attendons beaucoup de la loi « Urbanisme, habitat, déplacements ». Le comité interministériel des villes et du développement social urbain qui se déroulera en décembre sous la présidence du Premier ministre nous apportera très certainement des éléments de réponse quant à ces réformes.
Nous attendons aussi beaucoup des différentes mesures que le ministre de la fonction publique annoncera pour renforcer la présence et la qualité des services publics. Je l'avais déjà souligné l'an dernier, mais je souhaite à nouveau insister sur ce point tant il me semble important. La présence massive de services publics respectueux de l'usager est une condition nécessaire au développement des quartiers.
En fait, d'une politique appliquée à des sites prioritaires nous passons, aujourd'hui, à une politique d'intégration des quartiers dans la ville tout entière. Il s'agit, en quelque sorte, d'une logique de solidarité d'agglomération qui renforcera la cohésion sociale en favorisant la participation des habitants à la gestion urbaine de proximité et en responsabilisant les acteurs locaux autour de projets collectifs.
Du point de vue des acteurs locaux que j'ai eu l'occasion de rencontrer, ce budget est globalement positif et les projets à venir répondent tout à fait à leurs attentes. Il est vrai que, depuis deux ans, ils ont eu l'occasion de ressentir l'implication budgétaire du Gouvernement. Cette implication a notamment permis de monter des projets qui étaient figés depuis plus de vingt ans. La traduction la plus visible est la création des clubs de prévention.
Dans mon département, par exemple, il n'y a jamais eu autant de créations de clubs de prévention que ces dernières années, et il est question d'en créer huit en 2000 dans des endroits où rien n'avait été fait auparavant, faute de moyens.
Cet exemple illustre le rôle d'impulsion de la politique de la ville sur les collectivités locales. Dorénavant, ces dernières souhaitent s'impliquer davantage, au même titre que les bailleurs sociaux, pour combattre l'exclusion urbaine. Sur le terrain, les acteurs locaux n'ont jamais été à court d'idées ; ce sont toujours les moyens qui ont manqué. Aujourd'hui, ils trouvent plus facilement une écoute pour financer leurs projets.
La désignation du préfet comme interlocuteur unique, la déconcentration du budget et l'allégement des procédures d'instruction des dossiers sont des avancées qui permettront sans doute une meilleure efficacité des dispositifs. Mais, concernant le financement des projets, il est toutefois à craindre que la gestion ne soit encore trop rigide et éloignée du terrain.
Vous savez, monsieur le ministre, que les crédits de fonctionnement débloqués en début d'année et destinés à financer des projets présentés par les associations doivent être consommés avant la fin de cette même année. Parfois, pour ne pas perdre ces crédits, les associations doivent réfléchir dans l'urgence à un projet d'intégration qui nécessiterait un travail de fond prenant plusieurs mois.
En réalité, il serait souhaitable que ces crédits puissent être reportés d'une année sur l'autre, afin que les associations aient le temps nécessaire à une réflexion de fond. Ce point pourrait peut-être faire l'objet d'une réflexion avec le ministère des finances.
Concernant, toujours, le financement des projets, certaines réserves ont été émises au sujet du fonds de participation des habitants. Ce fonds autonome géré au sein des quartiers par un collectif d'habitants permet aux petites associations bénévoles de s'impliquer davantage dans l'animation de proximité en mettant en place de nouveaux projets. Beaucoup craignent que la rigidité de l'administration ne nuise au financement ainsi qu'à la mise en oeuvre des projets, qui d'ores et déjà fleurissent d'un bout à l'autre des quartiers. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous donner des informations quant au déblocage de ces fonds de participation ?
A l'échelon supérieur, d'autres craintes résident dans le transfert des enveloppes du PACT urbain vers les contrats de ville. Monsieur le ministre, les communes concernées auront-elles la garantie de récupérer la totalité des crédits qui leur étaient impartis dans le cadre du PACT urbain si elles signent un contrat de ville, et pourront-elles bénéficier d'une augmentation de ces crédits si elles en ont besoin ?
Enfin, monsieur le ministre, je souhaite souligner que la politique de la ville menée par le Gouvernement depuis deux ans porte ses fruits. Les résultats à l'échelon local sont pour nous tout à fait perceptibles, car nous côtoyons chaque jour, dans nos départements, les acteurs qui appliquent cette politique au quotidien. Malheureusement, il est regrettable que les statistiques officielles ne soient pas plus précises et mieux adaptées aux actions de proximité. En effet, les évaluations d'une politique de la ville sont faites à certaines périodes de l'année par les ministères, les préfectures, les sous préfectures et, parfois, à des niveaux inférieurs de façon ponctuelle. Pourquoi ne pas évaluer les actions entreprises dans le cadre d'un contrat de ville de façon permanente, dans des domaines et des secteurs encore plus ciblés ?
Il serait, par exemple, intéressant de connaître toute l'année l'évolution du taux de chômage dans un quartier pour une catégorie de population très ciblée : familles monoparentales, jeunes de moins de vingt-cinq ans issus de l'immigration, femmes de plus de cinquante ans, etc.
Je pense que les associations et tous les acteurs impliqués au niveau local seraient ravis d'avoir à leur disposition ces indicateurs, qui pourraient être une source de motivation supplémentaire si les résultats sont positifs. Mais aussi, et surtout, ces indicateurs pourraient être un formidable outil d'ajustement rapide et de recadrage des actions entreprises, dans le cas où celles-ci n'auraient pas immédiatement les effets escomptés.
De plus, monsieur le ministre, une évaluation permanente afficherait tout au long de l'année l'impact de la politique ambitieuse et dynamique que vous menez au nom du Gouvernement, et dont certains hésitent encore à reconnaître les bienfaits. Cette proposition, qui m'a été faite récemment, m'a semblé fort intéressante, et je tenais à vous la soumettre. Peut-être pourra-t-elle faire l'objet d'une étude de la part de votre ministère ?
Pour conclure, monsieur le ministre, je dirai que la politique de la ville est un enjeu majeur des années à venir. Elle doit avoir pour objectif essentiel de permettre à tous les citadins d'accéder à une pleine citoyenneté et de s'intégrer véritablement dans la société française.
Votre budget respecte tout à fait cet objectif et s'annonce comme un véritable levier des politiques publiques, indicateur et mobilisateur de l'ensemble des acteurs concernés. Il affiche une véritable ambition pour la ville. Nous le voterons sans hésiter. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a deux ans, à cette tribune, je disais notre étonnement et notre regret de ne pas voir, au sein du Gouvernement, un ministre chargé très spécifiquement des problèmes de la ville.
L'année dernière, cette lacune était comblée, et l'on nous annonçait qu'il convenait, avant de passer à l'action, de mener une très large réflexion, en particulier dans un nombre restreint de sites pilotes particulièrement sensibles.
Cette année, nous pouvons considérer comme relativement positives la croissance en valeur absolue des crédits consacrés à la politique de la ville, la concentration de certains crédits récupérés sur d'autres ministères, la volonté affirmée - mais elle n'a cessé de l'être par les gouvernements successifs - d'aller vers plus de simplicité, de réactivité et de souplesse.
Positive également l'orientation qui consiste, dans certains secteurs particulièrement dégradés, à procéder à des interventions très lourdes, tant il est vrai - de nombreux exemples à travers le pays le démontrent - qu'unerestructuration profonde du site urbain est souvent la condition indispensable d'une amélioration pérenne.
On constate une augmentation sensible des moyens consacrés à la communication, mais on aimerait que cette communication serve surtout à souligner certains aspects positifs de la vie urbaine.
Nos concitoyens y connaissent une diversité de situations qui est extrême - très souvent, le pire côtoie le meilleur -, et l'on devrait parler également, et davantage sans doute, du meilleur : de la richesse humaine qui s'exprime dans les villes, du foisonnement d'initiatives qui s'y développent, du travail extraordinaire qu'y accomplissent ces réseaux d'hommes et de femmes admirables qui combattent, pied à pied, pour la reconquête de la paix publique et de la citoyenneté. On devrait parler aussi des réussites, car il y en a. On devrait évoquer plus souvent les villes et les quartiers pacifiés, évoquer également le travail extraordinaire qu'accomplissent des centaines de milliers de bénévoles pour développer et faire vivre nos associations sportives, culturelles, sociales et autres, véritables creusets où se forme le lien social.
Mais ces réussites-là, qui restent fragiles et constamment menacées, sont toujours le résultat d'une détermination et d'un engagement exceptionnels des élus locaux et des acteurs de terrain. Ils ne sont jamais au premier chef la conséquence des initiatives de l'Etat. Il ne peut pas en être autrement. Et c'est bien là que le bât blesse.
Depuis votre nomination, monsieur le ministre, nous avons connu une inflation de colloques, de réunions, de séminaires, des avalanches de diagnostics, d'études, de statistiques, des montagnes de documents.
Il serait intéressant de chiffrer les centaines de milliers d'heures passées en réunions par les uns et par les autres, les centaines de milliers de kilomètres cumulés pour rallier tel ou tel lieu de réunion.
Et, pendant ce temps, la violence perdurait et s'amplifiait, sur la voie publique, dans les établissements scolaires, autour des stades, dans les transports collectifs.
A cela s'ajoute la stratification des dispositifs divers : contrats de plan Etat-région, contrats de pays, contrats d'agglomération, contrats de villes, schémas de services collectifs, grands projets urbains, zones de redynamisation urbaine, zones franches urbaines, à quoi s'ajoutent les contrats éducatifs locaux, les contrats locaux de sécurité, les programmes locaux de l'habitat, les conférences du logement, les programmes locaux d'insertion par l'économique, et bien d'autres encore.
Ce foisonnement et la technicité que les services ont inévitablement voulu y introduire auront, en définitive, fait le bonheur d'une multitude d'organismes de consultants, ce qui, hormis leur coût, n'eût pas été très gênant si cela n'avait pas eu pour conséquence d'éloigner progressivement les élus locaux d'une construction dont ils étaient pourtant les mieux à même d'apprécier les tenants et les aboutissants.
Mme Nelly Olin. C'est vrai !
M. Daniel Eckenspieller. La politique de la ville est devenue une affaire de techniciens, il n'y a plus de place pour la géniale improvisation qui, parfois, engendre des miracles.
On ne peut pas ne pas avoir le sentiment qu'une fois de plus la logique administrative doit l'emporter sur celle du terrain, portée par les élus locaux et les acteurs associatifs.
Un exemple, tout récent, illustrera mon propos.
Vous avez dit à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, que « le Gouvernement a décidé une mobilisation exceptionnelle pour que chaque chômeur des quartiers puisse se voir proposer une solution de formation ou d'insertion professionnelle ».
Dans le même temps, un préfet, invoquant le code des marchés publics, a déféré un maire devant le tribunal administratif parce qu'il avait confié à une régie de quartier, au titre du « mieux disant social » -, pourtant explicitement mentionné dans l'appel d'offres -, le nettoyage de l'aire d'accueil des gens du voyage de sa commune. Le commissaire du Gouvernement a expliqué que le « mieux disant social » heurtait les principes d'égalité et de liberté d'entreprendre, et leur corollaire, la libre concurrence.
Le tribunal a annulé, mardi dernier, le marché concerné.
N'est-ce pas remettre en cause le principe même d'une politique de la ville ? Et comment, dès lors, les élus locaux garderaient-ils la foi pour se battre contre l'exclusion ?
En première ligne sur le front de la reconquête urbaine, ils ont trop souvent le sentiment qu'il n'y a ni véritable partenariat, ni subsidiarité, ni parfois même confiance suffisante.
Pour des subventions modestes par rapport au financement apporté par leur collectivité elle-même pour telle ou telle action, il leur faut élaborer un projet détaillé des mois, voire des années, à l'avance, comme si le quotidien ne bousculait pas les urgences.
Puis vient la procédure tatillonne de l'évaluation. Cette procédure est normale, bien entendu, et correspond à une indispensable exigence de rigueur et de transparence. Mais qui procède à l'évaluation des actions conduites par l'Etat dans les quartiers en matière d'éducation nationale, de police, de justice, de santé ?
Sans doute faut-il voir dans la complexité et l'inadaptation des procédures imposées aux collectivités locales et aux associations l'explication de l'utilisation incomplète de certaines dotations budgétaires.
Les maires demandent à être davantage considérés comme les maîtres d'oeuvre de la politique de la ville, l'Etat apportant son accompagnement, à la mesure de la situation.
Les associations connaissent, elles aussi, des états d'âme dues à des raisons analogues.
Aux énormes difficultés inhérentes aux problèmes posés par leur mission, aux procédures complexes, aux difficultés de trésorerie viennent s'ajouter aujourd'hui une insécurité juridique croissante et des menaces de fiscalisation qui n'ont pas encore été clairement levées.
Le centenaire de la loi sur les associations devrait nous donner l'occasion, avant 2001, de légiférer sur la reconnaissance économique et sociale de la vie associative à but non lucratif, notamment dans le champ de l'éducation populaire, et de supprimer la taxe sur les salaires qui pèse sur l'emploi associatif. En fait, les sommes versées à l'Etat au titre des fiscalités diverses dépassent très souvent le montant des subventions perçues, une main reprenant très vite ce que l'autre a donné.
Les acteurs locaux jouent dans la politique de la ville un rôle majeur. Il appartient à l'Etat de les soutenir, de les accompagner, et de le faire à la hauteur des enjeux en cause.
Mais il ne doit pas vouloir conduire cette politique dans une logique stéréotypée et administrative. Tel ne nous semble pas être, monsieur le ministre, l'axe fort de la démarche dans laquelle vous vous êtes engagé.
C'est pour cette raison et pour celles que mes collègues ont évoquées tout à l'heure que les sénateurs du groupe du Rassemblement pour la République ne voteront pas le projet de budget que vous avez soumis à leur examen. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux de vous présenter, à travers l'examen des crédits de mon département ministériel, une politique de la ville en ordre de marche, avec des outils rénovés et des moyens renforcés, dont l'ambition, à l'aube du xxie siècle, est de réduire la fracture territoriale dans notre pays. Elle constitue désormais une priorité durable et sera au coeur de la deuxième étape de l'action gouvernementale, comme le confirmera le Premier ministre lors du comité interministériel de la ville qui se tiendra le 14 décembre prochain.
Nous présentons donc notre politique avec des outils rénovés et des moyens renforcés, au service d'une nouvelle ambition.
Le dernier recensement vient de confirmer l'évolution urbaine de notre pays. Il révèle que 80 % des Français habitent désormais en ville. Il confirme aussi une évolution favorable, le renforcement des grandes agglomérations de province, et une autre moins heureuse, l'affaiblissement du coeur de l'agglomération parisienne au profit d'un étalement urbain continu.
Dans le même temps, à l'occasion des élections européennes, un courant ruraliste s'est affirmé, traduisant une inquiétude que l'on retrouve à intervalles réguliers, par exemple devant l'évolution des services publics en milieu rural face à la montée des violences urbaines dans les villes moyennes.
Le Gouvernement a pris en compte ces deux phénomènes dans une politique équilibrée d'aménagement du territoire, illustrée par un discours reposant sur la nécessaire solidarité entre les territoires urbains et ruraux et dépassant l'opposition désuète entre villes et campagnes. Cette approche équilibrée justifie d'autant mieux la nécessité d'une politique de la ville ambitieuse et d'une mobilisation accrue des financements nationaux et européens.
Les outils de cette politique sont désormais en place : lois sur l'intercommunalité et sur le développement du territoire, loi relative à la lutte contre les exclusions. Il convient maintenant d'en assurer l'animation territoriale afin que des projets de développement solidaire permettent de traduire notre ambition d'assurer tout à la fois une évolution équilibrée des espaces et une meilleure intégration des populations les plus défavorisées.
L'élaboration de ces projets territoriaux nécessite un approfondissement de la décentralisation, de la déconcentration et de la démocratie locale.
Avec un cadre rénové et des moyens accrus, la prochaine génération de contrats de ville ambitionne précisément de porter ces projets de développement solidaire dans les agglomérations concernées par la crise urbaine.
Ces contrats de ville, principaux outils de mise en oeuvre de la politique de la ville, bénéficieront pour les sept prochaines années de moyens en hausse de 70 %, avec 17,7 milliards de francs de crédits, dont 8,9 milliards de francs pour le seul ministère de la ville.
Le budget du ministère de la ville sera de nouveau celui qui augmentera le plus en 2000. Après 32 % d'augmentation en 1999, le projet de loi de finances vous propose une augmentation de près de 10 % à base constante, qui servira pour l'essentiel, en dehors du partenariat national et des opérations Ville Vie Vacances, à alimenter les programmes des contrats de ville.
Les moyens de fonctionnement de la délégation interministérielle à la ville sont en effet stables, tandis que les crédits d'études diminuent et que les crédits de communication destinés à l'animation nationale ou régionale sont désormais mieux identifiés.
C'est certainement cette meilleure identification qui a amené les rapporteurs à formuler des remarques sur l'augmentation du budget de la communication, alors qu'il est en baisse par rapport à l'année dernière. Cette ligne identifiée permettra d'ailleurs de prévenir des critiques de l'ordre de celles que vous avez eu l'occasion d'émettre sur les corrections qui ont eu lieu au cours du précédent budget. Les choses seront claires. En tout cas, messieurs, je vous conseille de revoir vos chiffres : je le répète, les crédits destinés à la communication sont en baisse.
Outre l'augmentation nette qu'il connaîtra l'an prochain, il convient de noter que le budget de la ville regroupera, à partir de 2000, plus de 300 millions de francs de crédits auparavant dispersés et provenant de l'aménagement du territoire, de l'environnement, de la jeunesse et des sports, de la justice, de l'emploi et de la solidarité, de la santé ou du FARIF - le fonds pour l'aménagement de la région d'Ile-de-France.
Cette volonté de simplification se retrouvera également à l'échelon local : 90 % des crédits seront délégués aux préfets de départements, et les procédures d'instruction des dossiers, notamment pour les petites associations, qui agissent au plus près de la réalité des quartiers et qui ne sont pas toujours reconnues pour ce qu'elles sont comme pour ce qu'elles font, seront allégées. C'est la raison pour laquelle je souhaite établir des relations plus confiantes mais aussi plus exigeantes que par le passé entre l'Etat et le monde associatif, au moment où celui-ci s'apprête à fêter le centenaire de sa loi fondatrice.
Les associations seront donc les premières bénéficiaires des simplifications radicales que j'ai introduites dans les procédures de la politique de la ville, qui visent notamment à instaurer un dossier unique simplifié, à accélérer le versement des subventions et à mutualiser les fonds publics dans un « pot commun ».
Le budget du ministère délégué à la ville s'élèvera donc à plus de 1,4 milliard de francs en 2000, contre 1 milliard de francs en 1999.
Cette priorité forte du Gouvernement pour la politique de la ville, qui se traduit depuis deux ans par des augmentations sans précédent du budget du ministère, se retrouve également dans les crédits de droit commun que les différents ministères consacrent à la politique de la ville.
Cette mobilisation des ministères concernés est fondamentale car la politique de la ville doit non pas être une politique sectorielle supplémentaire mais, au contraire, servir à mobiliser et à infléchir les leviers traditionnels de l'action publique.
Voilà, messieurs les rapporteurs, une première opposition forte. Je ne souhaite pas que le ministère de la ville regroupe l'ensemble des crédits que vous avez évoqués. Si nous souhaitons que l'ensemble des ministères se rendent compte de la priorité que représente cette révolution urbaine, il faut que chacun d'entre eux, financièrement mais aussi culturellement, se sente propriétaire d'une partie de l'enjeu de la politique de la ville.
La Caisse des dépôts et consignations sera également un partenaire important de la nouvelle étape de la politique de la ville.
Une enveloppe additionnelle de 3 milliards de francs sera ainsi mobilisée sur les fonds propres de la Caisse, en appui du programme de renouvellement urbain. Elle permettra notamment de soutenir les opérateurs publics en préfinançant le démarrage d'opérations d'aménagement, d'assurer la capitalisation d'opérateurs urbains et de contribuer à la mise en place de fonds de garantie.
Un volet consacré à la revitalisation économique des quartiers concernés sera également identifié au sein du programme, intitulé « développement économique et emploi », de l'établissement public.
Ce changement d'échelle de la politique de la ville s'accompagnera d'une participation financière plus importante des collectivités locales, parce que les régions et les départements souhaitent s'investir davantage et parce que les communes les plus pauvres ont bénéficié d'une augmentation de 45 % de la DSU dès 1999.
Comme l'a annoncé le Premier ministre à Strasbourg, le Gouvernement a prévu pour 2000 une nouvelle augmentation de 500 millions de francs, comme je l'avais demandé, en plus de la dotation de 200 millions de francs destinée à tenir compte des résultats du recensement.
Ce sera également le cas pour les fonds structurels européens, qui, malgré leur diminution globale annoncée à partir de 2000, profiteront davantage à la politique de la ville, notamment dans la région d'Ile-de-France et la région Rhône-Alpes. Les quartiers en difficulté seront même, pour la première fois, inscrits en tant que tels dans la prochaine génération de fonds structurels 2000-2006.
C'est un témoignage très important de la prise en compte nouvelle des problématiques urbaines par l'Europe.
Au total, comme vous avez pu le constater à la lecture du « jaune » qui vient de paraître, l'effort global en faveur de la politique de la ville atteindra, dès 2000, 34,9 milliards de francs, soit, approximativement, le montant auquel faisait référence le rapport Sueur au moment de sa publication.
Les moyens nouveaux accordés à la politique de la ville en changent profondément le sens. D'une politique d'amortisseur social, certes nécessaire en temps de crise, l'enjeu est d'en faire un outil de développement social et d'intégration des quartiers à la ville.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la politique de la ville est au coeur du projet de société du Gouvernement.
Voulons-nous encore vivre ensemble ? Telle est la question à laquelle répond la priorité accordée à la politique de la ville dans la deuxième étape de l'action gouvernementale.
Le Premier ministre a en effet décidé que le lancement des nouveaux contrats de ville s'inscrira dans la perspective d'un ambitieux programme de rénovation urbaine et de solidarité qu'il souhaite engager pour les dix prochaines années et qu'il présentera lors d'un comité interministériel le 14 décembre prochain, le troisième qu'il présidera personnellement. Permettez-moi de vous en présenter les grands axes : le renouvellement urbain, l'emploi et les services publics.
Une action résolue pour réintroduire de la mixité sociale dans les agglomérations s'impose tout d'abord, avec le lancement d'un grand programme de renouvellement urbain et de revitalisation économique.
Quarante ans après le début de la vague massive de construction de logements sociaux, vingt ans après le début du grand programme de réhabilitation lancé en 1981, de nombreux ensembles monofonctionnels sont devenus largement obsolètes. Ils ne correspondent plus aux attentes de la population et concentrent ceux qui n'ont plus le choix de leur lieu d'habitation : les « assignés à résidence ». Ils constituent les premiers signes d'une ghettoïsation de nos villes, y compris au sens ethnique du terme. Pour les réinscrire dans la normalité, un engagement exceptionnel de l'Etat est indispensable.
Ces opérations de renouvellement urbain seront, bien entendu, d'importance variable suivant les sites. Une cinquantaine d'entre elles, de très grande ampleur, pourront être qualifiées de « grands projets de ville », en référence aux grands projets urbains lancés en 1992.
Mais, sur ces sites exceptionnels, une nouvelle manière de préparer et de mettre en oeuvre le projet devra être engagée.
Grâce à l'expérience des grands projets urbains, nous savons désormais ce qui est indispensable à la réussite de projets de requalification aussi complexes et aussi ambitieux : l'engagement fort des élus locaux, la simplification des procédures, l'équilibre entre le court terme et le long terme, entre le budget de fonctionnement et le budget d'investissement. Les 9 et 10 décembre, à Vaulx-en-Velin - l'un des GPU qui fonctionnent le mieux -, j'organiserai deux journées consacrées spécifiquement à ces questions pour élaborer en commun la charte de qualité de ces grands projets.
Outre sa dimension financière, que l'on retrouvera dans la loi de finances pour 2001, ce grand programme de renouvellement urbain nécessitera de nouveaux outils législatifs. Ceux-ci seront inscrits dans le projet de loi sur l'urbanisme, l'habitat, les transports et la politique de la ville. Ce texte contiendra notamment une réforme de la loi d'orientation sur la ville visant à mieux répartir les logements sociaux sur l'ensemble de l'agglomération et une réforme de la législation sur les copropriétés dégradées.
Le programme de renouvellement urbain, destiné à recomposer les quartiers d'habitat social et à les intégrer au reste de la ville, comprendra différentes mesures en faveur de l'implantation d'entreprises et de services dans les quartiers en difficulté ou à proximité de ceux-ci. Si l'on veut faire de ces quartiers, souvent stigmatisés, des quartiers normaux, il ne suffit pas de repeindre les façades. Il faudra, dans certains cas, détruire des logements dont plus personne ne veut et réorganiser, avec les habitants, l'ensemble du quartier pour le rendre attractif et vivant.
Dans ce cadre, il conviendra notamment d'identifier les espaces qui pourraient un jour accueillir des entreprises et des services. Un programme d'aménagement foncier et d'investissements publics sera alors mis en oeuvre avec tous les partenaires pour améliorer les dessertes, les services et la sécurité de ces espaces. Ce programme mobilisera également les moyens de la Caisse des dépôts et ceux des collectivités locales, regroupés dans le cadre d'un fonds pour le renouvellement urbain.
Des aides à l'investissement pourront être accordées aux entreprises qui acceptent de s'implanter dans ces nouveaux espaces, sur la base d'un véritable projet partagé. D'un côté, les partenaires publics s'engagent à entreprendre des actions pour faire de ce quartier un quartier « normal » ; de l'autre, les entreprises s'engagent à s'implanter et à créer des emplois. Les aides accordées aux entreprises, sur la base de ce projet, scellent l'accord.
D'autres mesures destinées à soutenir et à dynamiser le commerce de proximité seront également annoncées, tant pour éviter des processus difficilement réversibles de désertification commerciale que pour développer son rôle essentiel de service de proximité et de lien social pour la population.
Tous ces outils devront être utilisés et complétés, à partir d'une stratégie collective de développement solidaire pour nos villes.
Au-delà des premières mesures qui seront annoncées lors du conseil interministériel de la ville de décembre, je souhaite profiter de l'année 2000, avant-dernière année d'entrée dans les dispositifs des zones franches et des zones de redynamisation urbaine, pour associer à la réflexion les élus et le secteur privé, dans la foulée du rapport parlementaire Bourguignon-Rodrigo.
J'insiste sur le secteur privé parce que c'est le retour des investisseurs privés, sans logique de chasseur de prime, qui consacrera le retour à la normale des quartiers que nous souhaitons intégrer.
Les investissements publics massifs que nous nous apprêtons à consentir doivent correspondre à une stratégie pensée en fonction de cet objectif : faire en sorte que les habitants et ceux qui entreprennent parient sur l'avenir de ces quartiers.
C'est cette stratégie collective et adaptée à la réalité de chaque site qui a le plus manqué aux acteurs des zones franches urbaines, dont le bilan, je le confirme, a été jugé inégal et décevant par les différentes inspections générales mandatées pour informer le Gouvernement et le Parlement. Je rapelle qu'il s'agit là d'un rapport qui avait été demandé par le Sénat lui-même.
Négligeant les diagnostics fins des territoires, le dispositif des zones franches urbaines a été conçu comme une réponse uniforme, fondée sur les seules vertus du libéralisme. Il ne concernait qu'un nombre restreint de territoires, pas toujours les plus difficiles. Malgré son coût élevé, il n'a pas fait la preuve de son efficacité ni de son équité, ce qui nous fait encourir les reproches de la Commission européenne.
C'est la raison pour laquelle, comme je l'avais annoncé, le Gouvernement a décidé, lors d'un comité interministériel qui s'est tenu le 2 septembre dernier, de prendre un certain nombre de mesures pour moraliser le dispositif dès 2000. La partie législative de cet ensemble de mesures sera examinée prochainement dans le cadre du projet de loi de finances rectificative.
Il s'agit, premièrement, de lutter contre le phénomène des entreprises fantômes, qui usent de la domiciliation dans le quartier sans créer aucune activité. Nous allons préciser la notion d'emploi exclusif en zone franche urbaine.
Il s'agit, deuxièmement, d'éviter le nomadisme des entreprises qui « surfent », les élus eux-mêmes me l'ont confirmé, d'une zone franche urbaine à l'autre pour continuer à bénéficier du dispositif. Les exonérations seront supprimées pour les entreprises qui se livrent à de telles pratiques.
Il s'agit, troisièmement, de renforcer la création nette d'emplois en divisant par deux le taux d'exonération en cas de simple transfert et en interdisant le bénéfice de ces mesures aux entreprises ayant licencié dans l'année précédant le transfert.
Il s'agit, quatrièmement, d'améliorer l'effet du dispositif en termes d'emplois pour les habitants de ces quartiers en fixant un nombre d'heures minimum de travail pour comptabiliser les embauches. Autrement dit, il ne suffira plus de présenter comme une création d'emploi les trois heures attribuées à une femme de ménage pour l'entretien des locaux de l'entreprise.
Il s'agit enfin, cinquièmement, de créer un système de suivi statistique régulier des résultats de ce dispositif, dont l'évaluation n'avait pas été prévue initialement.
Ces différentes mesures, dont l'utilité, je le crois, ne prêtera pas à discussion, témoignent du souhait du Gouvernement de ne pas systématiquement défaire ce qu'une précédente majorité a expérimenté et de conduire le dispositif des zones franches urbaines à son terme, tel qu'il est prévu par la loi.
L'emploi reste la priorité numéro un. Or le retour de la croissance profite d'abord à ceux qui étaient les plus proches de l'emploi. Il y a donc un risque important de voir les habitants des quartiers en difficulté, moins qualifiés et écartés depuis longtemps du marché du travail, être les derniers à bénéficier de l'embellie économique. Le sentiment d'injustice que pourraient éprouver ces habitants en voyant repartir le train de la croissance sans eux serait la pire des choses pour tous.
En lien avec Martine Aubry, le Gouvernement a donc décidé une mobilisation exceptionnelle, annoncée lors d'une réunion extraordinaire de l'ANPE, pour que chaque chômeur dans ces quartiers puisse se voir proposer une solution de formation ou d'insertion professionnelle.
Un programme de lutte contre les discriminations à l'embauche, dont nombre des habitants de ces quartiers sont encore victimes en raison de la couleur de leur peau, de la consonance de leur nom ou de leur adresse, sera mis en oeuvre à tous les niveaux.
A la lumière de la réussite des emplois-jeunes, qui ont profité à près de 30 000 jeunes des quartiers, rendant l'espoir à autant de familles, le Gouvernement lancera un programme d'adultes-relais pour conforter la fonction parentale et le rôle de médiation des adultes.
L'accès à l'emploi et la restauration du pacte républicain passeront également par un rôle accru des services publics. Le Premier ministre, Lionel Jospin, a souhaité à cette fin que le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation prépare différentes mesures pour renforcer la présence et la qualité des services publics : c'est le dernier axe du programme de renouvellement urbain et de solidarité dont le Gouvernement va engager la mise en oeuvre.
J'ai, pour ma part, formulé un certain nombre de propositions, en particulier pour relancer la politique d'implantation de services publics sur la base d'un diagnostic réalisé cette année dans les départements les plus concernés, et qui fait apparaître des carences et des besoins nouveaux. J'ai également souhaité que l'Etat transforme ses pratiques, en sachant travailler dans la proximité et la transversalité. Des délégués de l'Etat, à l'exemple de ce qui se fait dans le Rhône, seront ainsi nommés en 2000 dans les quartiers concernés par la politique de la ville pour animer des projets de services publics locaux.
De la même manière, en accord avec Bernard Stasi, médiateur de la République, je pense nécessaire de développer les formes de médiation entre les citoyens et les services publics en définissant un nouvel échelon de proximité pour les délégués du médiateur.
Emile Zuccarelli prépare, quant à lui, des propositions pour améliorer la motivation et la qualification des agents publics qui oeuvrent dans le cadre de la politique de la ville, ainsi que pour élargir le recrutement dans les services publics, à de nouvelles compétences issues des quartiers. Le Premier ministre est particulièrement attaché à ce que le service public soit à l'image de toute la population. Les efforts réalisés par le ministère de l'intérieur ou par des entreprises publiques comme La Poste nous montrent clairement la voie à emprunter.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous voyons bien qu'à travers cet imposant chantier c'est à la construction d'un monde urbain fait pour l'homme que nous aspirons collectivement. Car, si nous sommes entrés de plain-pied, et depuis longtemps, dans la civilisation urbaine, la ville est encore trop souvent perçue comme le lieu de tous les désordres. De fait, la réelle insécurité ressentie par les habitants des quartiers témoigne d'une profonde remise en cause affectant nos valeurs républicaines et nos repères sociaux.
La politique d'ensemble qui est menée par le Gouvernement pour répondre de manière globale à l'aspiration à la tranquillité de nos concitoyens commence à porter ses fruits. Les décisions du Gouvernement à cet égard sont aujourd'hui mises en oeuvre, comme le sera dans les jours prochains la loi du 6 janvier 1999 sur les chiens dangereux.
M. Dominique Braye, rapporteur pour avis. C'est une bonne nouvelle !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Il en est de même pour les mesures des conseils de sécurité intérieure en matière de délinquance des mineurs. Celles-ci avaient trois objectifs que je souhaite vous rappeler.
Premier objectif : assurer une présence effective dans les zones les plus sensibles, avec le redéploiement, dès 1999, de 1 900 policiers et gendarmes, la mise en place de la police de proximité dans soixante-quatre sites et le développement des maisons de la justice et du droit.
Deuxième objectif : agir sur l'environnement des jeunes, en luttant contre les discriminations dont ils sont fréquemment l'objet et en confortant les familles, souvent déstabilisées par la crise.
Troisième objectif : répondre enfin de manière adaptée aux actes de délinquance, en développant les actions de prévention du ministère de la ville et en renforçant les moyens de réinsertion, qu'il s'agisse des brigades de prévention de la délinquance juvénile dans la gendarmerie, des unités éducatives renforcées et des centres de placement immédiat, du recrutement de personnels spécifiques pour les mineurs en détention, de l'ouverture de nouvelles classes relais ou de la formation des personnels chargés de la prévention et de la prise en charge des mineurs délinquants.
Ces différentes mesures, auxquelles s'ajoute le développement des processus de médiation sociale et de participation des habitants, seront coordonnées sur le plan local dans le cadre des contrats de ville, qui engloberont les contrats locaux de sécurité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il faut que le monde urbain sache s'organiser, à la fois pour mobiliser les moyens permettant de soigner les parties malades de la ville et pour faire prendre conscience à nos concitoyens que notre avenir urbain, si nous en faisons un enjeu du débat politique, peut représenter le meilleur pour notre société.
A cet égard, je veux saluer l'initiative de trois asssociations d'élus représentant les villes moyennes et grandes ainsi que les villes de banlieue qui ont décidé de tenir une première conférence des villes au mois de mars. Je me félicite également de voir les départements prendre une part nouvelle et fondamentale, compte tenu de leurs compétences, dans la politique de la ville.
L'année 2000 sera décisive pour réconcilier notre pays avec son avenir urbain. La nouvelle étape de la décentralisation envisagée par le Premier ministre doit permettre de relégitimer l'action publique auprès de nos concitoyens, notamment les plus jeunes et les plus fragiles, de leur redonner confiance dans nos institutions et notre pacte républicain.
En refusant les ghettos urbains, en accentuant les mécanismes de solidarité, c'est le projet d'une société ouverte et juste que nous poursuivons. Nul doute qu'il sera partagé par le plus grand nombre ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant la ville.

ÉTAT B