Séance du 16 novembre 1999






CONVENTIONS RELATIVES AUX DÉCISIONS
EN MATIÈRE MATRIMONIALE

Adoption de deux projets de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion :
- du projet de loi (n° 384, 1998-1999) autorisant la ratification de la convention établie sur la base de l'article K3 du traité sur l'Union européenne, concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale. [Rapport n° 12 (1999-2000).]
- du projet de loi (n° 385, 1998-1999) autorisant la ratification du protocole, établi sur la base de l'article K3 du traité de l'Union européenne, relatif à l'interprétation, par la Cour de justice des Communautés européennes, de la convention concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale. [Rapport n° 12 (1999-2000).]
La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l'objet d'une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui au vote de votre assemblée un projet de loi destiné à autoriser la ratification de la convention établie sur la base de l'article K3 du traité sur l'Union européenne, concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et du protocole concernant son interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes.
Cette convention est l'aboutissement de quatre ans de négociations difficiles et de compromis délicats. Elle répond à une nécessité impérieuse, compte tenu de l'internationalisation de plus en plus fréquente des conflits familiaux et de l'extrême diversité du droit de la famille entre les Etats membres de l'Union.
L'absence de coordination de règles de compétence concurrentes, l'existence de privilèges de juridiction au profit des nationaux, l'étendue du contrôle de la régularité internationale de la décision étrangère, tout cela conduit à des situations préjudiciables qui ne font qu'exacerber davantage les conflits familiaux.
On observe ainsi une multiplication des déplacements illicites d'enfants à travers les frontières, source de nombreuses souffrances. Les conventions multilatérales conclues en matière de divorce et de garde d'enfants n'ont pas permis de répondre à l'ensemble de ces questions qui touchent aux préoccupations concrètes des citoyens en Europe.
Voilà les raisons pour lesquelles le 28 mai 1998 les quinze ministres de la justice de l'Union européenne ont adopté la présente convention, qui étend à la dissolution du mariage les mécanismes de la convention de Bruxelles de septembre 1968 concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.
Cette convention reprend les principes de base dégagés afin d'uniformiser les règles de compétence judiciaire internationale dès l'instance d'origine et de faciliter la reconnaissance et l'exécution des décisions.
Cette convention s'applique au contentieux relatif et consécutif à la désunion de la famille légitime, c'est-à-dire à l'annulation du mariage, à la séparation de corps et au divorce.
Elle ne couvre pas, en revanche, les effets patrimoniaux de la séparation et les autres mesures accessoires concernant les époux ainsi que le contentieux de l'autorité parentale dit de « l'après-divorce ».
Les règles concernant la compétence directe des juridictions s'inspirent du principe de proximité territoriale ou procédurale. Ces règles instituent des chefs de compétence alternatifs et non hiérarchisés. Les critères considérés comme exorbitants sont écartés, notamment celui qui est fondé sur la seule nationalité d'un époux.
La convention distingue la compétence pour statuer sur le lien matrimonial de celle qui concerne l'exercice de l'autorité parentale.
Ces règles de compétence sont exclusives pour les litiges s'inscrivant dans le cadre de l'Union européenne. Par conséquent, les privilèges exclusifs de juridiction au profit des nationaux, tels qu'ils sont consacrés par les articles 14 et 15 du code civil français, pourront être invoqués par un résident français seulement pour les litiges extracommunautaires.
Cette disposition est fondamentale. Je vous rappelle en effet que ces articles du code civil empêchent, dès lors qu'un membre du couple est français, de reconnaître en France une décision étrangère de divorce au seul motif de l'incompétence du juge étranger.
Cela empêche également d'accueillir l'exception de litispendance internationale au profit d'un juge étranger déjà saisi.
Les règles sur la reconnaissance et l'exécution des décisions contribuent sensiblement à faciliter la circulation et l'effectivité des décisions en matière familiale.
Désormais, les décisions définitives de divorce et celles qui sont relatives à l'autorité parentale seront reconnues de plein droit dans tous les Etats de l'Union européenne. Ainsi, le remariage et les mentions de mise à jour des actes de naissance et de mariage pourront être réalisés à l'étranger sans procédure d' exequatur.
L'entrée en vigueur de la convention est subordonnée à la ratification de celle-ci par les quinze Etats membres, sauf application anticipée entre les Etats qui en font la déclaration.
La France et l'Allemagne envisagent de faire une déclaration en ce sens, ce qui permettra de conférer un effet immédiat aux dispositions de la convention, sans attendre sa reprise sous la forme d'un règlement suite à la communautarisation de la matière par le traité d'Amsterdam.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales dispositions de la convention établie sur la base de l'article K3 du traité sur l'Union européenne, concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et du protocole concernant son interprétation, tels qu'ils ont été signés à Bruxelles le 28 mai 1998, et que le Gouvernement a l'honneur de soumettre à votre approbation.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. André Boyer, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le premier texte qui nous est soumis, au demeurant le plus important, s'inscrit dans la suite logique de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 qui vient d'être évoquée, et il étend son champ d'application aux questions matrimoniales. Cette extension est importante à l'heure où la libre circulation des personnes au sein de l'Union européenne se traduit, entre autres, par l'accroissement des mariages entre ressortissants d'Etats membres.
Le domaine couvert par la convention de Bruxelles II est essentiel pour la vie quotidienne de bon nombre de nos concitoyens mariés à des ressortissants d'autres Etats membres. Les procédures judiciaires nationales liées au divorce, à la séparation de corps, à l'annulation des mariages ou à l'exercice de l'autorité parentale engendrent aujourd'hui des difficultés, souvent douloureuses, du fait de décisions judiciaires contradictoires entre les juridictions d'Etats membres et de l'absence de procédure uniforme de reconnaissance et d'exécution des jugements rendus en ces matières sensibles.
L'importance de la convention de Bruxelles II justifie donc un débat devant notre assemblée. Pourtant, la saisine du Parlement n'allait pas de soi.
En effet, l'entrée en vigueur, depuis le 1er mai 1999, du traité d'Amsterdam,...
M. Emmanuel Hamel. Hélas ! Trois fois hélas !
M. André Boyer, rapporteur. ... a abouti à transférer ces questions de coopération judiciaire civile du domaine intergouvernemental, sur la base duquel la convention de Bruxelles II a été conclue, au domaine communautaire. De ce fait, l'élaboration de normes communes dans ce domaine ne relève plus de la même procédure. Un projet de règlement communautaire, portant sur les mêmes questions que celles qui sont couvertes par Bruxelles II, est en cours de négociation, à Bruxelles, depuis quelques semaines.
Je me trouve donc placé dans une position singulière, où il me revient de présenter un texte appelé à être, à plus ou moins brève échéance, remplacé par un règlement européen. Je ne crois cependant pas opportun de renoncer à examiner les deux projets qui nous sont soumis, et cela pour les deux raisons suivantes.
Tout d'abord, le caractère désormais communautaire du domaine couvert par les conventions de Bruxelles II et la procédure qui s'y rattache ne garantissent pas automatiquement une adoption rapide du règlement actuellement en cours de négociation. Il faut rappeler que le paragraphe 1 de l'article 67 du traité d'Amsterdam exige que le Conseil soit unanime pour adopter ledit règlement, ce qui peut, sur certains points, provoquer des retards.
La convention de Bruxelles II, qui est soumise aujourd'hui à notre examen, n'encourt pas ce risque. Adoptée par les quinze ministres de la justice de l'Union, il lui reste, certes, à passer le cap des ratifications parlementaires. Toutefois, une de ses dispositions prévoit que deux pays qui auront ratifié la convention pourront, par déclaration, décider de l'appliquer entre eux par anticipation. Cette faculté sera utilisée, les ministres compétents l'ont déjà indiqué, tant par la France que par l'Allemagne, pays avec lequel nous rencontrons, sur ces questions matrimoniales couvertes par la convention, les problèmes les plus fréquents et les plus complexes.
A cette première raison s'ajoute un second motif qui me paraît aussi important : la procédure de la convention permet un débat parlementaire. Or, sur un sujet aussi sensible, l'occasion qui nous est ainsi offerte d'analyser et de débattre des dispositions proposées doit être saisie.
Cela étant, pour que notre démarche garde une quelconque signification, juridique et même politique, il est indispensable que l'Assemblée nationale, saisie après notre Haute Assemblée, procède à l'examen des textes dans un délai rapproché. A défaut, cette procédure de ratification que le Gouvernement lui-même entend conduire à son terme, si elle ne devait aboutir qu'après l'adoption du règlement européen, perdrait tout son sens.
M. le ministre a explicité les principales dispositions juridiques d'un traité qui se propose de répondre à des situations souvent délicates.
La facilitation de la circulation et de l'établissement des personnes dans l'espace communautaire a entraîné une augmentation considérable des mariages entre ressortissants communautaires de nationalités différentes. Lorsque ces unions en viennent à se distendre ou à se rompre, les personnes concernées se trouvent trop souvent confrontées à des décisions judiciaires contradictoires, du fait des différences entre les législations.
Aux complexités juridiques et administratives qui en découlent s'ajoutent très souvent les problèmes liés à la séparation ou au divorce des époux en ce qui concerne l'exercice de l'autorité parentale, ce qui conduit parfois à l'enlèvement du ou des enfants par l'un des deux parents, soit dans l'attente d'une décision judiciaire sur le droit de garde, soit après qu'a été prise, à cet égard, une décision que l'un des deux parents n'accepte pas.
L'actualité récente a mis en lumière, à travers de nombreux cas concrets, les difficultés qu'a pu subir tel ou tel parent français - notamment dans le cas de couples franco-allemands - confronté à ce type de situation.
M. Emmanuel Hamel. Eh oui, hélas !
M. André Boyer, rapporteur. Il est évident que ces agissements se nourrissent des disparités législatives et des décisions contradictoires rendues par les juridications des Etats concernés.
Les règles de détermination de la compétence judiciaire exclusive que pose la convention, de même que celles qui sont relatives aux modalités de reconnaissance et d'exécution de ses décisions, sont donc particulièrement positives. Je ne reviendrai pas ici sur leur économie générale, que M. le ministre a rappelée et que j'ai précisée dans le rapport écrit.
J'aborderai brièvement le texte qui concerne le protocole sur la compétence de la Cour de justice des Communautés européennes pour l'interprétation de la convention de Bruxelles II.
La Cour de justice des Communautés européennes peut être saisie d'une question d'interprétation de la convention dans deux hypothèses : lorsque, en cours d'examen d'une affaire, une juridiction nationale est confrontée à un problème d'interprétation, et c'est le recours préjudiciel ; lorsqu'une autorité judiciaire souhaite consulter la Cour de justice sur l'interprétation qu'elle fait de telle ou telle disposition de la convention, et c'est le recours consultatif en interprétation.
Sur le fond, il me semble clair que le texte qui nous est soumis constituera un réel progrès, dans un domaine où les contradictions entre tribunaux entaînent souvent des situations de détresse, en particulier pour les enfants communs du couple. Au surplus, dans l'Europe qui se construit, de telles frontières judiciaires n'ont plus lieu d'être et la convention, à cet égard, permet de réaliser une avancée significative.
Sur la forme, force est de constater le caractère très particulier d'une démarche qui consiste à demander au Parlement de légiférer sur une convention vouée à se trouver prochainement remplacée par un règlement communautaire.
Compte tenu, cependant, de l'importance politique et juridique des dispositions qui nous sont soumises et des cas humains très douloureux qu'elles visent à régler, j'invite le Sénat, sous réserve des conditions de calendrier parlementaire que j'ai évoquées en introduction, à voter les deux textes qui nous sont soumis.
M. le président. Personne ne demande la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.

CONVENTION RELATIVE AUX DÉCISIONS
EN MATIÈRE MATRIMONIALE

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi autorisant la ratification de la convention concernant les décisions en matière matrimoniale.
« Article unique. - Est autorisée la ratification de la convention établie sur la base de l'article K 3 du traité sur l'Union européenne concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale faite à Bruxelles le 28 mai 1998, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

PROTOCOLE RELATIF AUX DÉCISIONS
EN MATIÈRE MATRIMONIALE

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi autorisant la ratification du protocle relatif à l'interprétation de la convention concernant les décisions en matière matrimoniale.
« Article unique. - Est autorisée la ratification du protocole, établi sur la base de l'article K 3 du traité sur l'Union européenne, relatif à l'interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes, de la convention concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale, signé à Bruxelles le 28 mai 1998, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

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