Séance du 26 octobre 1999







M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 55, Mme Derycke et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 2 pour l'article 37-1 du code de procédure pénale :
« Art. 37-1. - Le procureur général expose en audience publique et au moins une fois par an lors de l'audience solennelle de rentrée, les conditions de mise en oeuvre des directives générales du ministre de la justice éventuellement adaptées dans les conditions prévues à l'article 36. »
Par amendement n° 15, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, à la fin du premier alinéa du texte présenté par l'article 2 pour l'article 37-1 du code de procédure pénale, de remplacer les mots : « directives générales du ministre de la justice » par les mots : « orientations générales de la politique pénale ».
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 55.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le texte proposé pour l'article 37-1 du code de procédure pénale par le projet de loi initial était ainsi rédigé : « Le procureur général informe, au moins une fois par an, au cours d'une assemblée générale les magistrats de la cour d'appel des conditions de mise en oeuvre dans le ressort des orientations générales de la politique pénale.
« Cette information peut, en tout ou partie, être rendue publique. »
La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale est la suivante : « Le procureur général informe, au moins une fois par an, l'assemblée des magistrats de la cour d'appel des conditions de mise en oeuvre, dans le ressort, des directives générales du ministre de la justice.
« Cette information est rendue publique. »
Le système prévoit donc que le procureur général - c'est vrai également du procureur - s'adresse à l'assemblée des magistrats de la cour d'appel - du tribunal, s'agissant du procureur - pour faire connaître les orientations de la politique pénale.
L'Assemblée nationale - et la commission partage son point de vue - considère que tout doit être rendu public.
Nous ne voyons pas pourquoi, dans ce cas, il faudrait en passer par le truchement d'une assemblée générale des magistrats, c'est-à-dire non seulement les magistrats du parquet, mais aussi ceux du siège, et nous ne voyons pas pourquoi il faudrait que les procureurs, qu'ils soient généraux ou non, s'adressent en particulier aux magistrats du siège en même temps qu'à ceux du parquet pour dire ce que doit être la politique pénale. Pourquoi ne le diraient-ils pas directement publiquement, c'est-à-dire - et c'est ce à quoi tend notre amendement - lors de l'audience solennelle de rentrée, qui paraît faite pour cela dans la mesure où l'ensemble des magistrats, les autorités, ainsi que la presse, sont présents ? On pourrait alors rendre compte de ce que doivent être « les orientations générales de la politique pénale », et non « les directives générales du ministre de la justice », comme cela figure dans l'amendement n° 55, que je rectifie sur ce point.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 55 rectifié, présenté par Mme Derycke et les membres du groupe socialiste et apparentés, et tendant à rédiger comme suit le texte proposé par l'article 2 pour l'article 37-1 du code de procédure pénale :
« Art. 37-1. - Le procureur général expose en audience publique et au moins une fois par an lors de l'audience solennelle de rentrée, les conditions de mise en oeuvre des orientations générales de la politique pénale éventuellement adaptées dans les conditions prévues à l'article 36. »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 15 et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 55 rectifié.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. L'amendement n° 15 vise simplement à remplacer les mots « directives générales du ministre de la justice » par les mots « orientations générales de la politique pénale ».
S'agissant de l'amendement n° 55 rectifié, la commission n'est pas défavorable. Elle aurait certes souhaité entendre d'abord Mme le garde des sceaux. D'une manière générale, la commission trouve que l'un des aspects tout à fait positifs du système de définition de la politique pénale est son caractère public à tous les niveaux puisqu'il est prévu, d'une part, un débat devant le Parlement et, d'autre part, des communications sur le plan local.
Ces communications sur le plan local trouveraient-elles mieux leur place lors d'audiences publiques telles que l'audience solennelle de rentrée, ou au cours d'assemblées générales des magistrats ? J'avoue que nous nous en rapportons à la sagesse du Sénat, en souhaitant toutefois connaître l'avis de Mme le garde de sceaux sur cette modalité.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 55 rectifié et 15 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. L'amendement n° 55 rectifié me semble viser deux objectifs.
Le premier, qui me paraît être le plus important, est de prévoir que l'information donnée par le procureur général aux magistrats de la cour d'appel sur les conditions de mise en oeuvre des directives générales devra préciser les éventuelles adaptations apportées à ces directives.
Sur ce point, je suis tout à fait favorable. Il convient en effet que la nature de ces adaptations soit précisément connue parce que, d'une part, il convient de vérifier qu'il s'agit bien de simples adaptations et non d'une remise en cause des directives et, d'autre part, si ces adaptations sont justifiées par des circonstances locales, qu'elles présentent donc localement une importance particulière, ce qui justifie qu'il en soit fait état et que les magistrats en soient pleinement informés.
En revanche, la seconde conséquence de cet amendement - mais je la crois secondaire - est d'exiger que cette information se fasse en audience publique ou en audience solennelle de rentrée, et donc qu'elle soit donnée en même temps aux magistrats et au public.
Cette conséquence me paraît soulever plus de problèmes. En effet, je considère que les magistrats doivent être pleinement informés de la mise en oeuvre des directives et de leurs adaptations. En revanche, il peut y avoir des cas dans lesquels l'information du public n'a pas, sur certains points au moins, à être aussi complète.
Permettez-moi de vous donner un exemple. S'il est prévu de faire procéder à des opérations de contrôle d'identité sur instruction du parquet dans tel ou tel quartier de la ville pour constater certains trafics,...
M. Jean-Jacques Hyest. Evidemment !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... il n'est pas opportun, c'est évident, que le public en soit précisément informé, alors qu'il est souhaitable que les magistrats le soient.
C'est la raison pour laquelle il me semble préférable que l'amendement n° 55 rectifié se borne à compléter le premier alinéa du texte proposé pour l'article 37-2 du code de procédure pénale, qui vise l'information des magistrats, par les mots : « éventuellement adaptées dans les conditions prévues à l'article 36 » et que le deuxième alinéa, en revanche, relatif à la diffusion de l'information au public, information qui comportera donc les précisions sur les adaptations, soit complété pour préciser que l'information du public peut se faire « le cas échéant au cours de l'audience solennelle de rentrée », car c'est évidemment le moment le plus adéquat.
S'il était ainsi rectifié, votre amendement recueillerait le plein accord du Gouvernement, monsieur Dreyfus-Schmidt.
Je précise par ailleurs que le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n° 15, qui est un texte de coordination.
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, acceptez-vous la rectification de Mme le garde des sceaux ?
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n'est pas une rectification, c'est un autre amendement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En l'état, non, et je vais m'en expliquer.
Il me semble que Mme le garde des sceaux vient d'expliquer pourquoi, dans le texte du projet de loi, il était dit : « Cette information peut en tout ou partie être rendue publique » ; mais l'Assemblée nationale a transformé cette phrase de la façon suivante : « Cette information est rendue publique », rédaction sur laquelle la commission des lois du Sénat est d'accord.
Comment fera-t-on si des choses ne doivent pas être dites ? Le procureur général, lui, pourra toujours prendre son téléphone.
Mais les orientations générales sont publiques puisque, de toute façon, elles sont débattues. Je ne pense pas qu'il faille entrer dans le détail d'une vérification d'identité qui peut toujours être ordonnée à tout moment par quelque procureur que ce soit.
Permettez-moi de vous dire, madame le garde des sceaux, que votre exemple ne m'a pas convaincu. L'Assemblée nationale, la commission des lois du Sénat et le groupe socialiste veulent que les orientations générales soient publiques, qu'il n'y ait pas de rétention d'information. On ne peut pas dire une chose aux magistrats et une autre au public puisque, les mots « en tout ou en partie » ayant été supprimés, les orientations générales doivent être intégralement diffusées.
Je me demande pourquoi les magistrats du parquet devraient s'adresser spécialement aux magistrats du siège. Si une vérification d'identité doit être opérée, c'est l'affaire des procureurs et non des magistrats du siège. Ces derniers sont indépendants. Ils entendront avec le reste du public les orientations générales. Ils en auront donc connaissance et en feront ce qu'ils voudront. Il n'en est pas de même pour les magistrats du parquet. C'est pourquoi, en l'état, nous ne modifierons pas l'amendement n° 55 rectifié.
M. le président. Quel est, dans ces conditions, l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 55 rectifié ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Puisque M. Dreyfus-Schmidt n'accepte pas de rectifier son amendement, j'y suis défavorable.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien ! C'est plus simple !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Oui : c'est du harcèlement textuel !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 55 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Tel qu'il a été amendé par la commission et par l'Assemblée nationale, le texte nous convient très bien. Les assemblées de magistrats existent ! Il ne s'y déroule quand même pas un dialogue singulier et les magistrats peuvent, eux aussi, poser des questions.
Cela étant, s'il peut y avoir dialogue dans une assemblée générale de magistrats, ce n'est pas le cas lors d'une audience publique : tous les ans, le président du tribunal ou de la cour, le procureur général ou le procureur s'expriment dans une telle audience pour dire qu'ils manquent de moyens - n'est-ce pas, Madame le garde des sceaux ? - et ils font le bilan de leur juridiction.
En revanche, l'assemblée générale me paraît être le lieu qui convient pour informer de la politique pénale et de ses adaptations : l'article 30 du code de procédure pénale est explicite à cet égard.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non !
M. Jean-Jacques Hyest. Vous voulez toujours tout répéter ! Nous devons simplifier, et cet amendement me paraît complètement inutile. Mieux vaut garder le texte tel qu'il nous est proposé par le Gouvernement, même avec des orientations générales.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je suis assez séduit par la proposition de Mme le garde des sceaux, même après avoir entendu mon ami M. Dreyfus-Schmidt.
On nous dit que cette information sera rendue publique et, si j'ai bien compris, Mme le garde des sceaux nous propose de dire que ce sera, le cas échéant, au cours de l'audience solennelle de rentrée. La situation est simple !
Cela étant, le procureur général, pour rendre publique l'information, fera ce qu'il voudra puisque, a priori, il n'y a pas de sanction pénale s'il oublie certains éléments d'information, ni de contentieux administratif. M. Dreyfus-Schmidt a donc raison : si l'on ne précise pas ce point et si le procureur général oublie volontairement, pour les raisons que Mme le garde des sceaux a indiquées et qui sont très compréhensibles, de citer un point parce que cela peut nuire à l'efficacité de l'action publique, tel syndicat de magistrats pourra pousser des hurlements en disant que le procureur n'a pas tout dit, tel groupe d'avocats fera pareil, après quoi le garde se trouvera saisi d'un problème quasiment disciplinaire.
C'est la raison pour laquelle, pour éviter toute conséquence disciplinaire, il me paraît de sage précaution de compléter le dispositif en écrivant : « le cas échéant au cours de l'audience solennelle de rentrée ».
M. le président. Monsieur Charasse, vous expliquez votre vote sur l'amendement n° 55 rectifié, vous ne pouvez pas déposer de sous-amendement !
M. Michel Charasse. Le garde des sceaux a bien proposé un sous-amendement ?
M. le président. Non, et M. Dreyfus-Schmidt a refusé de rectifier son amendement dans le sens souhaité par Mme le garde des sceaux.
M. Michel Charasse. Pardonnez-moi, monsieur le président : je m'en tenais au sous-amendement de Mme le garde des sceaux. Mais, s'il n'existe plus, tant pis ! J'aurai tout de même dit ce que j'avais à dire ! (Sourires.)
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Je veux exprimer mon soutien à l'amendement du groupe socialiste, car il va dans le sens d'un renforcement de la transparence.
Néanmoins, je voudrais exprimer, à mon tour, une préoccupation sur les conséquences d'un tel dispositif. Il ne faudrait pas que cette audience publique et la couverture médiatique qui ne manquera pas d'en résulter aboutissent à écarter la représentation nationale du débat. L'application de la politique pénale risque en effet de n'être abordée qu'en dernier lieu, alors que la question aura été, en fait, préalablement épuisée par la présentation publique des rapports des parquets et des parquets généraux.
Je crois qu'il s'agit d'une vraie question !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 55 rectifié, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 15, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, le texte proposé pour l'article 37-1 du code de procédure pénale.

(Ce texte est adopté.)

ARTICLE 37-2 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE