Séance du 26 octobre 1999







M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 14, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer la seconde phrase du second alinéa du texte présenté par l'article 2 pour l'article 37 du code de procédure pénale.
Par amendement n° 54, Mme Derycke et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans la seconde phrase du second alinéa du texte présenté par l'article 2 pour l'article 37 du code de procédure pénale, de remplacer les mots : « à la mise mouvement » par les mots : « à l'exercice ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 14.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cet amendement concerne les instructions susceptibles d'être données par les procureurs généraux aux procureurs de la République dans les affaires individuelles.
Je rappelle que la première phrase du texte proposé pour l'article 37 du code de procédure pénale, s'inspirant de l'ancien texte, était ainsi rédigée : « Le procureur général peut dénoncer aux procureurs de la République de son ressort les infractions à la loi pénale dont il a connaissance, leur enjoindre, par des instructions écrites et motivées qui sont versées au dossier de la procédure, d'engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente des réquisitions écrites qu'il juge opportunes. »
Il est évident que le procureur général est autorisé à procéder d'une manière positive, et tout le monde l'a toujours interprété ainsi et comme signifiant qu'il ne pouvait pas faire obstacle à la poursuite.
L'Assemblée nationale a complété la seconde phrase du texte proposé pour l'article 37 du code de procédure pénale, en ajoutant : « Il ne peut donner aucune instruction faisant obstacle à la mise en mouvement de l'action publique dans les affaires individuelles. » Cela nous paraît superflu ; il nous paraît préférable d'en rester à la première phrase.
M. le président. La parole est à Mme Derycke, pour défendre l'amendement n° 54.
Mme Dinah Derycke. Le deuxième alinéa de l'article 37 du code de procédure pénale prévoit que le procureur général peut enjoindre aux procureurs de la République, « par des instructions écrites et motivées qui sont versées au dossier, d'engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente des réquisitions écrites qu'il juge opportunes ».
Par ailleurs, il est précisé qu'« il ne peut donner aucune instruction faisant obstacle à la mise en mouvement de l'action publique dans les affaires individuelles ». Il ne peut donc s'opposer à ce que l'action soit portée devant une juridiction répressive.
Ainsi, le cours de la justice ne pourra plus être bloqué. Toutefois, une lecture littérale de cet article laisse penser que le procureur général pourrait faire obstacle à l'exercice de l'action publique, par exemple par des manoeuvres dilatoires ou en en ralentissant le cours.
Nous proposons donc, par l'amendement n° 54, de préciser que le procureur général ne peut pas faire obstacle à la mise en mouvement et à l'exercice de l'action publique.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 54 ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cet amendement vise à modifier une phrase dont je viens de demander la suppression, au nom de la commission. Cette dernière ne peut donc être que défavorable à ce raffinement, dont elle ne voit d'ailleurs pas l'intérêt.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 14 et 54 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n° 14, qui vise à supprimer l'interdiction des instructions de classement.
Je précise que, depuis très longtemps, l'article 36 du code de procédure pénale a donné lieu à des divergences d'interprétation : certains soutenaient que, parce qu'il n'interdisait pas expressément des instructions de classement, ces dernières étaient possibles du fait de l'autorité hiérarchique générale du garde des sceaux sur les magistrats du parquet ou encore du procureur général sur les procureurs de la République ; d'autres soutenaient que ces instructions étaient implicitement prohibées puisque l'article 36 ne faisait référence qu'à des instructions de poursuite. Cette seconde interprétation est aujourd'hui la plus répandue, mais ce n'est qu'une interprétation.
Pour lever toute équivoque, le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter propose d'interdire purement et simplement les instructions de classement. Je ne vois pas l'intérêt de maintenir l'équivoque, ou du moins la possibilité d'une équivoque, sur un sujet aussi essentiel. Mieux vaut, à mon avis, que la loi dise les choses clairement, sous peine de voir les soupçons et les procès d'intention perdurer.
Je vous demande donc avec fermeté, mesdames, messieurs les sénateurs, de rejeter cet amendement.
En revanche, le Gouvernement émet un avis favorable sur l'amendement n° 54, qui vise à préciser que sont interdites non seulement les instructions qui font obstacle à la mise en mouvement de l'action publique, mais également celles qui font obstacle à l'exercice de l'action publique.
M. Michel Charasse. Oui ! C'est plus large !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ainsi, des instuctions qui tendraient, par exemple, à laisser prescrire une procédure en n'audiençant pas devant le tribunal correctionnel une affaire renvoyée par le juge d'instruction doivent être expressément prohibées.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 14.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je m'exprime contre cet amendement, qui vise précisément à supprimer la phrase que nous voulions améliorer. En effet, les instructions peuvent faire obstacle non seulement à la mise en mouvement de l'action publique mais aussi au développement de l'action publique. Or, j'avais cru comprendre que c'était ce que nous ne voulions ni les uns ni les autres.
Il existe trente-six moyens de paralyser une action : par exemple, mettre le dossier en dessous de la pile, le mettre dans le tiroir ou poser le coude par dessus ! Il en existe bien d'autres - n'est-il pas vrai ? - tout au long de la procédure : prendre son temps afin de ne pas faire des réquisitions, etc.
J'avoue que je ne comprends pas !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il ne comprend jamais !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Du moins, je crains de comprendre pourquoi la commission s'oppose au contraire à cette phrase, qui permettrait d'affirmer encore une fois que le parquet ne peut pas stopper une affaire. Mes chers collègues, vous savez bien que c'est absolument ce que nos concitoyens demandent !
C'est pourquoi je vous invite à rejeter l'amendement n° 14 et à adopter l'amendement n° 54.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je trouve les explications de M. le rapporteur un peu courtes, ce qui n'est pas son habitude. Selon lui, l'amendement n° 14 vise à supprimer la seconde phrase du second alinéa dans la mesure où, au fond, elle ne sert à rien. Mais elle ne sert à rien avec l'expression : « mise en mouvement ».
Je voudrais savoir si M. le rapporteur pense qu'avec le mot « exercice » au lieu des mots « mise en mouvement » cette phrase ne sert toujours à rien. Tel n'est pas mon avis ! A la limite, je veux bien admettre, compte tenu des votes précédents, que la question de l'utilité de l'amendement n° 14 sans l'amendement n° 54 puisse se poser. Cependant, à mon avis, avec l'amendement n° 54, le dernier alinéa en question, que l'amendement n° 14 tend à supprimer, est utile.
Par conséquent, je n'accepte pas, pas plus que mes amis, l'amendement n° 14, et j'en tiens pour l'amendement n° 54 !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 14, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 54 n'a plus d'objet.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, le texte proposé pour l'article 37 du code de procédure pénale.

(Ce texte est adopté.)

ARTICLE 37-1 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE