Séance du 21 octobre 1999







M. le président. Par amendement n° 1, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, dans la première phrase du premier alinéa du texte présenté par l'article 1er pour l'article 30 du code de procédure pénale, de remplacer le mot : « directives » par le mot : « orientations ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il s'agit d'un amendement de forme, qui tend à revenir à la rédaction initiale, aux termes de laquelle le ministre de la justice définit les orientations générales de la politique pénale destinées aux magistrats du ministère public. Rappelons que nous sommes dans le domaine de la politique pénale. Je précise au passage, madame la ministre, que nous n'avons pas sous-estimé l'intérêt de cette partie du projet de loi. J'ai d'ailleurs dit, lors de mon intervention à la tribune, qu'elle était très importante.
L'Assemblée nationale a remplacé le mot « orientations » par le mot « directives ». Or, il nous paraît fâcheux d'employer ici le mot « directives », qui crée une équivoque sur le point de savoir dans quel domaine on se situe au juste.
Il faut être clair quand on traite des normes. Il y a trois niveaux : la loi, le règlement et les circulaires.
M. Michel Charasse. ... qui ne sont pas une norme !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Bien sûr ! Mais la directive en est une !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous sommes bien d'accord, monsieur Charasse ! Les circulaires sont impératives. Mais il est important de ne pas donner à penser que l'on a créé une sorte de catégorie intermédiaire qui, sous le nom de « directives » est quelque peu équivoque. En effet, dans la langue française, la notion de directive est tout de même assez contraignante. De surcroît, la question se trouve encore quelque peu « polluée » par l'usage courant en droit européen du terme « directive », ce dernier ayant alors un certain effet contraignant. Bref, tout cela crée une équivoque.
Interrogée sur ce point lors de son audition devant la commission des lois, Mme le garde des sceaux nous a réaffirmé qu'il s'agissait bien de circulaires. Ce sont donc des orientations, conformément au terme figurant dans le projet de loi initial.
Il nous paraît, en conséquence, important, dans le souci de ne pas ouvrir une discussion et un contentieux, de rétablir le terme « orientations ». Telle est la raison d'être de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Comme l'a rappelé M. le rapporteur, c'est le terme « orientations » et non « directives » qui figurait dans le projet de loi initial. Le terme « directives » résulte d'un amendement de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Dans ces conditions, on pourrait penser que je ne suis pas opposée à ce que le Sénat revienne à la formulation initiale.
La question est, cependant, à mon avis, plus complexe.
S'il s'agissait d'un simple problème de terminologie et que les deux expressions étaient exactement équivalentes, je m'en remettrais évidemment à la sagesse de la Haute Assemblée. Mais, si j'ai bien compris le rapport de la commission des lois et les propos tenus à l'instant par M. Fauchon, la modification proposée semble répondre au souci d'atténuer le caractère contraignant des directives élaborées par le garde des sceaux.
Je ne peux partager cet objectif qui, au demeurant, me semble paradoxal, la commission semblant s'inquiéter par ailleurs de ce que le ministre de la justice se désengagerait de ses responsabilités puisqu'elle propose de prévoir des exceptions à la prohibition des instructions individuelles et d'instituer un procureur général de la République.
Les circulaires de politique pénale du garde des sceaux - je ne parle pas des circulaires qui ne font que commenter de nouveaux textes - n'ont bien entendu pas de caractère réglementaire. Elles ne se substituent pas non plus à la loi. Elles entraînent toutefois des conséquences juridiques que traduit bien, à la réflexion, le terme « directives » : elles doivent, en effet, être appliquées par les magistrats du parquet, auxquels elles sont d'ailleurs adressées pour application, sous réserve de la possibilité pour ces derniers de les adapter aux circonstances locales et aux situations particulières.
La commission des lois s'est interrogée sur la difficulté de sanctionner un procureur qui ne respecterait pas de telles circulaires. C'est vrai qu'il s'agit d'une question importante, d'ailleurs complexe, et que les situations peuvent être plus ou moins claires. Mais si un procureur refusait totalement d'appliquer telle ou telle directive, par exemple sur les sectes, sur la consommation de produits stupéfiants ou simplement sur la poursuite des infractions routières, le procureur général interviendrait.
Et si ce travail de rappel et d'explication professionnelle, voire d'instruction individuelle par le procureur général, proche du terrain évidemment, ne suffisait pas, le garde des sceaux pourrait alors utiliser la voie disciplinaire.
Pour ces raisons, le terme « directives », avec le cap qu'il trace et les adaptations qu'il permet, me semble approprié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bien sûr !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Madame le garde des sceaux, je suis quelque peu étonné. J'en arrive d'ailleurs à me demander si, finalement, le recours à l'expression « directives » ne cache pas quelque chose que l'on ne veut pas dire complètement.
Dans ce cas-là, allons au fond du problème ! Je rappellerai d'abord et avant tout que nous sommes en matière pénale et que nous nous situons donc dans le strict domaine de compétence du législateur. C'est ce dernier, en effet, qui fixe le droit pénal. Il détient dans ce domaine, depuis la Révolution française, une compétence en quelque sorte exclusive, le reste ne pouvant être qu'interprétatif.
Ce rappel me paraît important, car, vous écoutant, madame le garde des sceaux, j'ai eu l'impression qu'il y avait, selon vous, la loi pénale et, ensuite, les directives qui, ici ou là, ...
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Non !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Excusez-moi, madame le garde des sceaux, mais indiquer des priorités aboutit aussi à indiquer des non-priorités, ce qui peut être interprété comme signifiant que telle ou telle partie du code pénal n'a pas besoin d'être respectée. Il faut donc manipuler tout cela avec beaucoup de précautions, ne pas introduire d'obscurité, ne pas créer de casus belli , de problèmes d'interprétation.
Encore une fois, il y a trois niveaux dans les normes : la loi, le règlement et la circulaire. Nous sommes bien dans le domaine de la circulaire et, dans ce cas-là, je continue de penser que le terme « directives » est équivoque, qu'il ne correspond pas à ce que nous voulons faire, apparemment tout de même d'un commun accord sur le fond, et qu'il faut en revenir à votre pensée initiale, qui, à mon étonnement, a quelque peu dérivé. Le terme « orientations » est donc celui qui convient au domaine des circulaires. Nous nous situons en effet dans ce domaine, et il ne faut pas donner à penser aux uns ou aux autres que nous essayons d'en sortir.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
Mme Dinah Derycke. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Le groupe socialiste votera contre l'amendement n° 1, car le terme « orientations » est vague, flou, et sans définition juridique précise, à la différence du terme « circulaires ».
Nous nous plaçons dans le contexte de la réforme que souhaite Mme la garde des sceaux. Selon cette dernière, il incombe au garde des sceaux de conduire et de définir la politique pénale par des orientations, terme figurant dans le projet de loi initial, ou des directives qui s'imposent aux magistrats sinon de façon strictement disciplinaire, du moins moralement.
Le groupe socialiste a déposé des amendements visant à donner un caractère contraignant aux orientations. Il est bien entendu hors de question que des orientations, des directives ou des circulaires - peu importe le nom qu'on leur donne - dérogent à la loi ou modifient cette dernière, comme l'a rappelé notre collègue M. Bret. Là n'est pas du tout notre sujet.
Nous considérons cependant que cette réforme doit prévoir une politique pénale conduite de façon contraignante en direction du parquet. Nous avons donc construit autour de cette idée toute une architecture, souhaitant même que les adaptations soient soumises à l'accord du garde des sceaux.
C'est pourquoi, à l'instar de nos collègues de l'Assemblée nationale et de Mme la garde des sceaux, nous préférons le terme « directives », qui marquera mieux, y compris dans l'esprit de l'opinion publique, le caractère impératif de ces orientations.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je trouve cette discussion un peu étrange, même si le terme dont nous discutons est finalement plus important qu'il n'y paraît.
Mes chers collègues, la politique pénale, ce n'est pas n'importe quoi ! Elle est définie par le Gouvernement et par le Parlement, et par personne d'autre !
M. Jacques Larché, président de la commission. Dans un autre ordre !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Elle est définie par la loi !
M. Michel Charasse. L'essentiel est effectivement défini par la loi, même si une partie est réglementaire ! Monsieur Fauchon, je n'ai jamais dit le contraire et je l'affirme d'autant plus fort que, souvent, beaucoup pensent l'inverse, à savoir que la politique pénale, au fond, serait laissée à la liberté des magistrats du parquet, qui pourraient donner aux termes « opportunité des poursuites » un sens extrêmement large.
La politique pénale est définie par des autorités qui expriment la souveraineté nationale, ce qui n'est pas le cas des fonctionnaires, fussent-ils magistrats. Il me paraît normal, dans ces conditions, de rappeler aux parquets comment et en vertu de quoi ils doivent appliquer la loi.
Mes chers collègues, le droit pénal est permanent, jusqu'à ce qu'on le change, alors que l'actualité pénale est quotidienne : aujourd'hui, ce sera les vols à la tire, demain, les agressions dans la rue, après-demain, autre chose. Or, l'opportunité des poursuites fait que les procureurs généraux pourraient méconnaître les exigences de la société face à l'actualité pénale. C'est là qu'intervient le garde des sceaux. C'est à lui et à lui seul - il est ministre de la justice, et je ne vois donc pas à qui d'autre cette tâche pourrait revenir - de leur dire où doit porter l'effort, selon quelle intensité, etc., et comment interpréter un texte un peu compliqué qui a pu être voté rapidement par les assemblées.
Entre « directives » et « orientations », je ne sais malheureusement pas très bien quel terme choisir ; mais ma tendance naturelle à l'autorité me conduit plutôt à préférer le terme « directives ». (Sourires.)
J'ajoute qu'en tout état de cause nous risquons de commettre une erreur collective en disant qu'il s'agit de circulaires. C'est en effet tout autre chose ! (M. le rapporteur s'exclame.) Lorsque le ministre du budget ou celui de l'agriculture adresse une circulaire à ses services, il vise l'application d'un texte : il précise comment doit être interprété l'article 4, par exemple, qui a été voté dans telle ou telle circonstance, et ce jusqu'à ce que la justice décide que cette interprétation n'est pas la bonne.
Là, le garde des sceaux va, me semble-t-il, beaucoup plus loin. Il demandera par exemple aux magistrats du parquet de requérir avec une certaine sévérité, compte tenu du vote d'un texte sévère par le Parlement, ce dernier ayant estimé que, dans ce domaine, la répression devait être sévère. Cela va bien au-delà de la circulaire ! (M. le président de la commission et M. le rapporteur s'exclament.) C'est la raison pour laquelle je ne suis pas certain, monsieur le président de la commission des lois, que cela corresponde à la circulaire classique au sens de la jurisprudence du Conseil d'Etat. Cela va en effet beaucoup plus loin !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cela devient un règlement !
M. Michel Charasse. Non, ce n'est pas un règlement !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est une quatrième catégorie !
M. Michel Charasse. Il s'agit non pas d'un règlement, mais d'un acte dans lequel le garde des sceaux donne à ses services un ordre de poursuivre d'une certaine manière dans un certain domaine. C'est exactement comme la directive annuelle de contrôle fiscal, document dans lequel le ministre du budget donne à ses services fiscaux l'ordre de s'intéresser plus particulièrement, cette année, à tel secteur dans le cadre du contrôle fiscal.
Le terme « circulaire », qui n'est pas proposé dans le projet de loi, est trop faible. La directive va beaucoup plus loin. Elle comporte à la fois une part d'interprétation de la loi - c'est l'aspect « circulaire » - et l'ordre par lequel le garde des sceaux demande à l'administration de la justice, constituée par les parquets, de poursuivre plus ou moins sévèrement dans tel et tel domaine, compte tenu de la loi. C'est pourquoi il ne peut s'agir que de directives et non d'orientations.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Michel Charasse. Sinon, cela signifie que les autorités qui représentent la souveraineté nationale renoncent à exercer leurs prérogatives ; elles se contentent d'indiquer comment la loi doit être interprétée, laissant à l'appréciation des parquets la plus ou moins grande sévérité. Or, en dehors des instruction individuelles, cela s'est toujours fait ainsi !
Lorsqu'il est décidé de mettre l'accent sur la sécurité routière, de poursuivre les personnes qui n'ont pas attaché leur ceinture de sécurité ou celles qui brûlent les feux, etc., monsieur le président Larché, ce n'est pas une circulaire, cela va au-delà. Cela signifie que l'Etat, qui exprime la souveraineté nationale, a décidé que, désormais, les excès de vitesse seront réprimés sévèrement.
Monsieur le président, j'ai déjà été trop long, et je vous prie de m'en excuser. Je préfère de beaucoup, comme mon amie Mme Derycke, le terme « directives » au terme « orientations ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Guy Cabanel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. J'avoue que je suis un peu perplexe : j'ai l'impression que nous nous enfonçons dans une discussion byzantine entre directives et orientations.
Selon moi, le terme « directives » présente plusieurs défauts. Utilisé dès l'article 1er du projet de loi, il en restreint un peu l'esprit car il ressuscite, en quelque sorte, une capacité d'intervention du garde des sceaux.
Peut-être la première formule était-elle meilleure, encore que le terme « orientations » présente lui aussi une grande faiblesse, car c'est quasiment une innovation dans la terminologie des actes que peut accomplir le ministre.
Quoi qu'il en soit, si l'on veut en rester à une définition classique, c'est bien la loi, émanation du vote du Parlement, qui détermine la politique pénale - certes sur proposition du Gouvernement - les règlements et les circulaires, de la responsabilité du ministre, permettant d'en définir les conditions d'application.
Si l'expression « circulaires d'application » est tout à fait classique, parler de « circulaires d'orientation » permettrait de connaître l'état d'esprit du garde des sceaux et de la chancellerie sur des problèmes qui, ainsi que l'évoquait à l'instant notre collègue M. Charasse, peuvent surgir à tout moment et constituer une difficulté dans le fonctionnement de la justice en France.
Pour ma part, après mûre réflexion, je voterai donc l'amendement n° 1 tel qu'il est proposé par la commission des lois, car je crains que la directive n'altère l'esprit du projet de loi, tout en étant source de confusion avec les directives européennes. En la matière, la novation de la commission des lois de l'Assemblée nationale ne me paraît pas forcément la meilleure solution.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Cette discussion n'est pas byzantine puisqu'elle concerne un problème extrêmement important.
Je remercie notre ami M. Charasse de nous avoir parfaitement éclairés, mais, bien évidemment, il admettra que de son propos je tire une conclusion quelque peu différente de la sienne.
De quoi s'agit-il ? Nous parlons là de normes juridiques. Nous vivons - de manière peut-être sclérosée mais je ne sais pas si nous avons intérêt à changer en la matière - dans un ordre juridique qui comporte trois étages : la loi, le règlement et la circulaire.
Chacun sait que la circulaire ne peut être en aucune manière normative. Si elle l'était, en effet, la sanction du Conseil d'Etat interviendrait. Mais ce serait au bout de trois ou quatre ans, c'est-à-dire que l'on aurait eu largement le temps, dans l'intervalle, d'appliquer la circulaire. Il en est ainsi, par exemple, en matière fiscale...
M. Michel Charasse. Pas seulement !
M. Jacques Larché, président de la commission. Mais surtout en matière fiscale, vous le savez très bien ! En matière d'impôts, vous ne pouvez l'ignorer, les circulaires aboutissement à dénaturer la loi dans un certain nombre de cas.
Quoi qu'il en soit, telle que vous l'avez définie, monsieur Charasse, la directive est une entorse à la loi. Vous reconnaissez au garde des sceaux le droit de dire : « Ne poursuivez pas » ? Très bien ! Sous forme contraignante ? Parfait ! Mais alors qu'en est-il du respect de la loi pénale ?
Et si, dans certaines circonstances, le garde des sceaux demande, au contraire, de poursuivre avec le maximum de sévérité telle ou telle infraction parce qu'elle est effectivement scandaleuse, qu'en est-il, là encore, de la loi et de la liberté du juge ?
Le terme « orientation » a une signification précise dans notre esprit, et c'est la raison pour laquelle nous le préférons au terme « directive ».
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par le Gouvernement.
M. Christian Bonnet. Je m'abstiens, monsieur le président.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 2, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, après le premier alinéa du texte présenté par l'article 1er pour l'article 30 du code de procédure pénale, d'insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le ministre de la justice peut dénoncer aux procureurs généraux près les cours d'appel les infractions visées aux titres Ier et II du livre IV du code pénal dont il a connaissance et leur enjoindre, par des instructions écrites et motivées qui sont versées au dossier, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente des réquisitions écrites qu'il juge opportunes. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement, n° 74, présenté par M. Charasse, et tendant :
I. - Dans le texte proposé par l'amendement n° 2 pour l'alinéa nouveau inséré à l'article 30 du code de procédure pénale, à supprimer les mots : « et motivées ».
II. - A compléter in fine ledit texte par la phrase suivante : « Les instructions du ministre sont motivées sous réserve des exigences propres au secret de la défense nationale, des affaires étrangères et de la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 2.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous arrivons là à un point important du projet de loi : il s'agit de la fameuse question des instructions écrites, motivées et versées au dossier.
J'ai indiqué, hier, dans mon propos introductif, que nous avions souscrit à l'idée - même si ce n'était pas d'un coeur léger, nous avons accepté les raisons que vous avez avancées, madame le garde des sceaux, et que d'autres, en particulier M. Méhaignerie, avaient également exposées antérieurement - nous avons souscrit, dis-je, à l'idée qu'il fallait franchir ce pas.
Cela étant, je me permets tout de même de dire qu'il ne faut pas caricaturer les choses : les instructions écrites et versées au dossier sont fort rares. Pourquoi dire alors qu'elles sont scandaleuses s'il y en a si peu ? En outre, si quelques-unes peuvent être considérées comme abusives, il y en a probablement un certain nombre d'autres - et c'est, je crois, la majorité - qui ont tout simplement été très raisonnables.
Permettez-moi au passage de vous demander, madame le garde des sceaux, si des instructions ont été données par la chancellerie lorsque M. Papon a demandé sa mise en liberté devant la cour d'assises. Je suppose en effet que des réquisitions ont été prises par le parquet et que vos services, par instruction éventuellement, ont peut-être demandé au parquet de prendre telle ou telle mesure ! Je ne sais pas comment cela s'est passé, mais je serais heureux de connaître les indications que vous pourrez nous donner sur ce point.
Quoi qu'il en soit, d'une manière générale, il est excessif de caricaturer ces instructions. Quant à l'exemple que vous avez cité, madame le garde des sceaux, il n'est pas probant. Au demeurant, citer comme cela un exemple ne suffit pas, nous devons avoir connaissance du dossier de ce maire. Les uns ont considéré que, probablement, il n'y avait pas lieu de poursuivre ; le ministre, à l'époque, a considéré qu'il y avait lieu de poursuivre ; après cela, le tribunal a prononcé une relaxe, c'est une affaire entendue. Mais je n'aurai personnellement d'avis sur le fond de la question que lorsque j'aurai connaissance du dossier et que je saurai exactement ce qui y figure. En attendant, tout ce que l'on peut dire, c'est qu'il y a eu désaccord entre différentes personnes et que, finalement, la justice a tranché dans un certain sens.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Toubon et Benmakhlouf étaient d'accord !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Vous êtes avocat, monsieur Dreyfus-Schmidt, et vous devriez être beaucoup plus prudent dans vos exclamations, qui ne sont que des exclamations et qui ne sont pas dignes de quelqu'un qui a pratiqué le droit toute sa vie, qui en connaît les tours, les détours et les mystères.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oh, je vous en prie !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Soyons donc prudents quand nous condamnons ces instructions et demandons, en tout cas, à connaître le dossier.
Quoi qu'il en soit, même si nous entrons dans votre conception, il demeure cependant un domaine dans lequel une exception doit être faite, nous sommes d'accord avec notre collègue Christian Bonnet sur ce point : il s'agit des titres Ier et II du livre IV du code pénal.
Je les parcours, je ne cite que la table des matières : Titre Ier : « Des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation » ; chapitre Ier : « De la trahison et de l'espionnage » ; chapitre II : « Des autres atteintes aux institutions de la République ou à l'intégrité du territoire national » ; section I : « De l'attentat et du complot » ; section II : « Du mouvement insurrectionnel » ; chapitre III : « Des autres atteintes à la défense nationale » ; section I : « Des atteintes à la sécurité des forces armées et aux zones protégées intéressant la défense nationale » ; section II : « Des atteintes au secret de la défense nationale ». Quant au titre II- « Du terrorisme » - point n'est besoin de développer : nous savons tous, hélas ! ce qu'il en est.
Il me semble que cette simple énumération et, même, la simple mention du terrorisme démontrent qu'il n'est pas intellectuellement pensable que le ministre de la justice dégage sa responsabilité. La première raison d'être, ou presque, d'une société, et donc la première des responsabilités gouvernementales, c'est d'assurer la sécurité des citoyens. Le ministre de la justice peut-il se décharger de cette responsabilité en disant aux procureurs généraux : « Faites pour le mieux, moi, je ne vous donne pas d'instructions » ?
Pour le terrorisme, est-ce concevable concrètement alors que nous savons que les terroristes peuvent se procurer des explosifs dans le ressort d'une cour d'appel sur les instructions de complices se trouvant dans le ressort d'une autre cour d'appel, voire dans un autre Etat de l'Union européenne - ou du reste du monde, d'ailleurs -, pour des opérations qui se dérouleront on ne sait où, mais probablement dans le ressort d'une troisième cour d'appel et peut-être même dans un Etat voisin ?
Comment imaginer que, dans ce domaine, la gestion de l'action publique, le choix des mesures à prendre ou à ne pas prendre, voire à différer, ne soient pas coordonnées par le ministre ? En effet, quelquefois, il est plus prudent d'attendre d'avoir décelé tout un réseau plutôt que de laisser quelqu'un qui n'a pas d'instructions procéder dans son coin à une arrestation dont il sera très fier mais qui servira d'avertissement pour l'ensemble du réseau. Mieux vaut avoir, alors, une stratégie d'ensemble !
Il suffit d'évoquer ces situations pour se rendre compte, me semble-t-il, que le ministre ne peut pas se dégager de sa responsabilité ! En tout cas, si vous voulez vous en dégager, madame le garde des sceaux, je crois qu'il serait important, et je me permets de vous le demander assez solennellement, que vous le disiez clairement devant cette assemblée, afin que chacun prenne ses responsabilités.
C'est dans cet esprit que nous vous proposons d'adopter le présent amendement, qui prévoit, je le rappelle, les dispositions suivantes : « Le ministre de la justice peut dénoncer aux procureurs généraux près les cours d'appel les infractions visées aux titres Ier et II du livre IV du code pénal dont il a connaissance et leur enjoindre, par des instructions écrites et motivées qui sont versées au dossier, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente des réquisitions écrites qu'il juge opportunes. »
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour défendre le sous-amendement n° 74.
M. Michel Charasse. Je suis de ceux qui considèrent qu'en étant insuffisamment précis le projet de loi qui nous est soumis ne préserve pas l'autorité de l'Etat et des pouvoirs publics, qui expriment la souveraineté nationale, et risque, ce faisant, d'être très fragilisé si le Conseil constitutionnel est appelé à se prononcer sur ce texte.
Pour ma part, j'aurais préféré, monsieur le président, que mon amendement n° 48 rectifié, tendant à insérer un article additionnel après l'article 1er, vienne en discussion avec l'amendement n° 2 qui vient de nous être présenté. Mais il est vrai que j'ai choisi une solution qui permettra à l'article additionnel que je propose de survivre en tout état de cause devant l'Assemblé nationale - qui en fera ce qu'elle voudra - alors que, si l'article 30 du code de procédure pénale est modifié, tout le dispositif proposé par la commission des lois risque de disparaître au Palais-Bourbon. Mais c'est un autre problème !
J'en viens à mon sous-amendement n° 74, étant entendu qu'il n'est pas question, naturellement, de revenir sur l'affaire de l'Himalaya.
M. Jacques Larché, président de la commission. N'en faites pas une montagne ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. A ce sujet, je dois d'ailleurs dire que je ne partage pas toujours les opinions qui se sont exprimées : l'affaire de l'Himalaya est surtout une incroyable manifestation d'incompétence. Plutôt que d'avoir recours à un hélicoptère, on aurait mieux fait, si l'on voulait faire l'opération, de demander au procureur général de se faire communiquer le dossier ! Il le gardait quinze jours, puis le procureur Davenas rentrait, on le lui rendait, et l'affaire était réglée. C'était moins cher, et plus expéditif. M. Toubon a donc sans doute été très mal conseillé, ou il a été trompé, je n'en sais rien. Mais passons...
J'en reviens donc à mon sous-amendement n° 74.
M. le rapporteur vient de nous exposer l'amendement n° 2 en nous citant les cas dans lesquels, s'agissant de l'intérêt national supérieur de la nation, le Gouvernement devait conserver la haute main sur la conduite de l'action publique : les affaires de terrorisme, les affaires d'enlèvement, les affaires délicates, les affaires de défense nationale, et j'en passe.
Je voudrais toutefois appeler votre attention sur la motivation des instructions écrites, parce que cela m'inquiète beaucoup.
Que, d'une manière générale, les instructions soient écrites, cela va de soi ; mais, en présence de sujets à caractère secret, touchant à la défense nationale, à la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat, aux affaires étrangères, on ne peut demander au garde des sceaux d'écrire un certain nombre d'éléments de motivation qui en viendraient, parce que les procédures sont toujours publiques à un moment ou à un autre, à révéler des secrets assimilables aux secrets de défense nationale.
C'est la raison pour laquelle le sous-amendement n° 74 a pour objet de supprimer, dans le texte présenté par M. Fauchon il y un instant, les mots : « et motivées », et de compléter le même texte par un paragraphe ainsi rédigé : « Les instructions du ministre sont motivées sous réserve des exigences propres au secret de la défense nationale, des affaires étrangères et de la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat. »
Je crois que, si l'on ne prend pas cette précaution, on risque d'avoir ensuite devant la chambre d'accusation, si la chambre d'accusation devait juger des instructions insuffisamment motivées, des pépins qu'il vaut mieux éviter, surtout dans ce genre de sujet.
Prenons toutes les précautions dans ce domaine, c'est ce que je vous propose. Et je précise une nouvelle fois que ce n'est pas la position de mon groupe que j'exprime en cet instant : comme vous le savez, j'interviens à titre personnel.
Vous voulez préserver l'Etat dans ses prérogatives ? Vous avez raison, mais préservez aussi, je vous en supplie, ce qui est nécessaire pour permettre à l'Etat d'exercer sa mission. Certains éléments ne peuvent pas être livrés sur la place publique !
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 74 ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission n'a pas émis d'avis sur ce sous-amendement, qui a été déposé trop tard pour qu'elle puisse en délibérer.
Cela étant, il est évident que ce sous-amendement va dans le sens de l'amendement n° 2 de la commission. Il apporte une précision à laquelle nous ne saurions nous opposer.
Je dois dire à M. Charasse que, pour avoir exercé, certes il y a bien longtemps, les fonctions dont nous parlons aujourd'hui, je sais bien ce qu'est une motivation. Dans mon esprit, la motivation englobe toutes les considérations, notamment celles qui sont relatives à la sûreté intérieure de l'Etat. Pour moi, tout cela est compris dans le terme « motivés ».
Si vous souhaitez toutefois que cela figure en toutes lettres, je n'y vois pas d'inconvénient, mais je n'exprime qu'une opinion personnelle.
Mais j'aimerais connaître l'avis de Mme la garde des sceaux sur cette question.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 2 et sur le sous-amendement n° 74 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je ne vais pas surprendre votre honorable assemblée en lui indiquant que je suis défavorable à cet amendement.
Rétablir le système traditionnel des instructions du garde des sceaux, même en le cantonnant aux domaines particuliers des titres Ier et II du livre IV du code pénal, en l'occurrence les atteintes aux intérêts fondamentaux de l'Etat, dont les infractions terroristes, est contraire, à mes yeux, à l'objectif et à l'esprit mêmes du projet de loi, qui consistent à permettre une mise en mouvement et un exercice de l'action publique dégagés de toute suspicion d'intervention d'origine politique.
En matière de terrorisme comme d'atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, le garde des sceaux fait connaître aux membres du ministère public la politique pénale du Gouvernement par voie de directives générales.
Par ailleurs, il peut, comme il l'a déjà fait, leur communiquer des éléments de contexte, des analyses juridiques sur l'application de telle ou telle disposition, des éléments de droit comparé ou des renseignements sur la situation internationale. Croyez bien que des demandes en ce sens m'ont été adressées et que j'y ai répondu avec la plus grande précision.
Si, par extraordinaire, l'action publique n'était pas mise en mouvement par le parquet dans le cadre d'affaires de cette nature, le garde des sceaux ferait alors usage, sous le contrôle du Parlement et de l'opinion publique, de son droit d'action propre.
Depuis deux ans et demi, l'absence d'instruction individuelle n'a pas engendré de difficulté dans la lutte anti-terroriste. Cela ne nous a pas empêchés de traiter des affaires de terrorisme, y compris celles qui comportent souvent des ramifications européennes ou internationales. Le dispositif proposé par le Gouvernement ne souffrant d'aucune lacune, je ne vois pas de raison d'instituer une exception à la prohibition des instructions individuelles.
Quant au cas de M. Papon, le parquet général deBordeaux a pris seul ses réquisitions. Je vous ai indiqué qu'il n'y avait pas eu en l'espèce d'exception à l'absence d'instruction individuelle. Le parquet de Bordeaux s'est opposé à la mise en liberté de M. Papon et il a fait appel de la décision de la cour.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Mme le garde des sceaux, j'ai bien entendu votre réponse mais je souhaite ajouter une question plus précise concernant le terrorisme.
Je n'ai pas les textes complètement présents à l'esprit mais, autant que je sache, il existe, en matière de terrorisme, une concurrence de compétence entre le parquet de Paris et les autres parquets.
Bien entendu, dans le cadre de cette concurrence de compétence, les parquets, qui se concertent, se mettent généralement d'accord. Mais supposons qu'ils se concertent et qu'ils ne parviennent pas à se mettre d'accord. Dans cette hypothèse, il me semble que la question ne peut être tranchée que par le ministre.
Je souhaiterais savoir comment ce problème peut être résolu dans ce cas précis de désaccord sur l'attribution d'affaires de terrorisme entre le parquet de Paris et les parquets locaux.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Madame le garde des sceaux, je tiens à appeler votre attention sur l'importance que revêt à mes yeux ce projet de loi. Vous avez parfaitement conscience que nous comprenons le sens général de votre réforme. Nous en discutons et nous l'abordons véritablement sans préjugé défavorable.
Mais, sur ce point, je vous demande de bien vouloir admettre que ce que nous souhaitons et que vous appelez « exception » est véritablement inspiré par le souci de vous voir assurer, dans le cadre de votre responsabilité, la sauvegarde des intérêts supérieurs de l'Etat. C'est trop grave ! Vous avez là une série de circonstances dont nous ignorons la forme qu'elles peuvent revêtir et la portée qu'elles peuvent avoir.
Comme notre rapporteur l'a parfaitement souligné, l'attitude du parquet de Paris est une chose. Mais est-on assuré que tous les autres parquets adopteront la même attitude ?
Dans l'objectif de sauvegarder l'unité de l'Etat, nous vous proposons de conserver ce pouvoir, au-delà de la simple directive - que nous avons appelée « orientation ».
Comprenez bien que c'est un hommage que nous rendons, non pas à vous seule, mais à tous les gardes des sceaux qui assument cette responsabilité essentielle dans le cadre du bon fonctionnement de l'Etat.
Même si les choses se calment un peu, vous savez très bien que nous avons vécu des circonstances tragiques qui imposaient, à l'époque, qu'une impulsion vienne du sommet de l'Etat. Ce pouvoir, c'est vous qui l'incarnez et nous vous demandons de le conserver.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je ne peux pas, monsieur le président, laisser dire que le garde des sceaux esquive ses responsabilités dans ces matières. Simplement, nous organisons la prise de responsabilité autrement.
M. Fauchon s'interrogeait tout à l'heure : que se passe-t-il si un parquet ne transfère pas à Paris la compétence dans une affaire de terrorisme ? Je n'en ai pas vu un seul exemple en deux ans et demi. S'agissant de la Corse, un dialogue permanent s'est même noué entre le parquet de Paris et le parquet général de Corse.
M. Michel Charasse. Et le juge Bruguière les libère !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En outre, nous avons un moyen juridique si, par extraordinaire, un procureur général et un procureur d'un parquet de France se mettaient tout d'un coup à ne pas appliquer la loi, qui centralise le traitement des affaires terroristes à Paris.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Evidemment !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En effet, si plusieurs procureurs généraux avaient une appréciation différente d'une affaire, les procédures de règlement en cas de conflit positif de compétence et les procédures spécifiques prévues en matière de terrorisme en cas de conflit négatif trouveraient évidemment à s'appliquer, la Cour de cassation désignant la juridiction compétente pour connaître de l'affaire.
En vérité, tout cela procède évidemment d'une façon de voir les choses qui fait d'abord peser systématiquement sur les magistrats le soupçon d'incompétence ou leur prête les intentions les plus noires.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Non !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Mais enfin ! Tout de même !
Pour rencontrer très régulièrement depuis deux ans et demi tous les procureurs généraux, je peux vous dire que j'ai affaire à des gens qui ont une conception élevée de l'Etat. Je vous concède que les procureurs peuvent avoir une vue plus restreinte des choses mais, sur des affaires aussi délicates, la question du conflit, de la rétention, ou même de l'absence d'interrogations de la Chancellerie ne s'est jamais posée.
Je crois que nous sommes en présence d'une question quasi philosophique puisqu'il s'agit de savoir si nous faisons confiance au système judiciaire, en prévoyant, certes, des procédures de rappel si des déviations intervenaient. Ces procédures existent, je viens d'en citer une. Et je rappelle le droit d'action propre du garde des sceaux.
Alors oui, c'est une question philosophique ! Dans mon projet de loi, je fais confiance au système judiciaire ; je prévois des garanties, le droit d'action propre du garde des sceaux et, surtout, j'institue des procédures de travail permanentes, qui sont la meilleure des garanties.
Mais dans quel monde sommes-nous ?
M. Christian Bonnet. Dans un monde dangereux !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Dans un monde dépassé, dans lequel il n'y aurait que la fonction d'autorité ? Et alors ? Si le procureur décide de ne pas obéir, le système ancien ne fournit pas la réponse, y compris en matière de terrorisme !
M. Jacques Larché, président de la commission. Il faut le révoquer !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Un procureur qui n'applique pas la loi est toujours soumis à la sanction disciplinaire.
M. Jean-Pierre Schosteck. Oui, mais dans quel délai !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En réalité, vous n'apportez pas la réponse. Et je prétends que mon système, y compris pour les affaires qui touchent de très près à la sureté de l'Etat, donne plus de garanties.
M. Christian Bonnet. Oh !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je ne dis pas qu'il est complètement étanche, mais l'ancien système ne l'était certainement pas. En tout cas, me conformant à une philosophie de notre démocratie, je parie sur la responsabilité de tous les acteurs. Force m'est de constater que nous avons en effet une philosophie différente ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est un pari dangereux !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Madame le garde des scaux, tout d'abord, je ne peux pas vous laisser dire, ou donner à entendre que je sous-estime la valeur des procureurs généraux ou leur capacité à faire pleinement leur devoir dans des circonstances du type de celles dont nous parlions tout à l'heure.
Cependant, comme vous l'avez dit vous-même, leur champ d'action est malheureusement restreint et circonscrit. C'est là que se pose le problème ; c'est sur ce terrain-là que, selon moi, l'action a absolument besoin d'être coordonnée.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Elle l'est !
M. Pierre Fauchon, rapporteur, Non, madame le garde des sceaux, c'est par des instructions qu'on coordonne !
Vous avez dit tout à l'heure qu'en vous réservant - ce qui contribue là encore à l'ambiguïté du projet de loi - la possibilité d'agir de temps à autre, vous pouvez éventuellement corriger des défaillances.
Mais vous ne les corrigez qu'au départ, parce qu'une fois que vous avez enclenché l''action publique, elle vous échappe et vous êtes privée de la possibilité du suivi, assuré par les procureurs de terrain qui, par définition, n'ont pas jugé à l'origine cette poursuite opportune. Je ne vois pas très bien comment - ni avec quel zèle ! - ils la suivront.
Un certain nombre d'entre nous sont assez âgés pour avoir connu l'OAS. J'ai vécu cette période. Je sais avec certitude que je figurais sur la liste de ceux que l'OAS mettait en péril.
M. Michel Charasse. Moi aussi !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Pour cette raison, j'ai beaucoup déménagé, plusieurs fois la nuit. Je vous assure qu'à ce moment-là nous étions assez contents de savoir qu'une centralisation des moyens d'action avait été mise en place pour nous protéger de cet immense danger. Ces affaires exigent une grande capacité d'action, une grande rapidité d'initiative, toutes choses qui sont incompatibles avec l'idée de circulaire générale.
Vous avez parlé de philosophie. Je vous rétorque, madame le ministre, qu'on ne répond pas au terrorisme par la philosophie ! Ne tirez pas prétexte de l'époque que nous vivons. Le terrorisme peut revenir ! Il est l'une des formes les plus modernes de la délinquance. Il tourne dans le monde. Nous n'en sommes pas trop victimes actuellement mais rien ne dit que nous ne le serons pas l'année prochaine. Nous n'en savons absolument rien ! C'est une des formes très modernes de la criminalité.
Vous avez dit que c'était une question de philosophie. Non, c'est une question d'état de guerre et, dans un état de guerre, il faut un général qui assume ses responsabilités !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et qui choisit d'appliquer l'article 16 !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je n'ai jamais dit que le terrorisme était une question de philosophie. Je m'étonne vraiment qu'on puisse travestir à ce point mes propos ! J'ai simplement dit que nous étions en désaccord et que la question de savoir comment, dans notre société, on fait appliquer une politique me paraît revêtir un aspect philosophique.
Je prétends pour ma part que c'est en responsabilisant les acteurs plutôt qu'en appliquant un système d'autorité, dont le passé a d'ailleurs démontré les failles, qu'on offrira plus de garanties.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. J'aurais voulu vous voir à l'époque de l'O.A.S. !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'ai effectivement dit que les temps ont changé. Je n'ai pas dit que le terrorisme n'existe pas !
Contre quoi nous battons-nous en Corse ?
M. Patrice Gélard. Très mal !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Contre quoi nous battons-nous vis-à-vis du terrorisme islamiste et d'autres formes de terrorisme ? Nous ne sommes pas démunis !
M. Jacques Larché, président de la commission. Vous avez vos pouvoirs !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. De surcroît, il existe une centralisation puisque c'est le parquet de Paris qui est chargé de traiter toutes les affaires terroristes de France.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Et tous les procureurs et procureurs généraux sur le territoire national sont tenus de respecter cette centralisation, parce qu'elle découle de la loi.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 74.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole contre le sous-amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je suis évidemment d'autant plus opposé à ce sous-amendement que je suis contre l'amendement auquel il se rapporte. Mais les explications sur cet amendement interviendront après le vote sur le sous-amendement.
Il n'y a pas, d'un côté, les républicains, ceux qui ont le sens de l'Etat, qui se soucient des intérêts supérieurs de la nation, et les autres. Je vous demande, aux uns et aux autres, de bien vouloir considérer que, à cet égard, nous sommes tous animés des mêmes sentiments. Nous ne devons faire le procès de personne, ni du Gouvernement, ni des autres représentants de la nation.
Si nous voulons l'indépendance des parquets, pour autant nous ne voulons pas qu'ils puissent faire n'importe quoi. Et si, vous voulez qu'ils puissent faire n'importe quoi en toutes matières, sauf dans celles que vous énumérez dans votre amendement, nous, nous nous demandons si vous ne voulez pas rendre inconstitutionnel le projet de loi dont nous débattons.
En effet, il revient au Gouvernement de déterminer la politique pénale. Entendons-nous bien : de déterminer ce que doivent être les poursuites par les parquets, qui, encore une fois, n'agissent pas selon leur bon plaisir. Il semblerait que ce soit cela que vous souhaitez ! N'oubliez pas que ce sont les magistrats qui jugent en toute indépendance. Certes, vous l'avez parfois oublié : lorsque M. Gordji a été libéré par le juge d'instruction, on a eu l'impression qu'il n'avait pas agi d'une manière totalement indépendante !
M. Patrice Gélard. Qu'en savez-vous ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Lorsque le président Pompidou, rentrant de Roumanie, a déclaré à la radio qu'il avait fait libérer les manifestants arrêtés - il s'agissait des personnes qui avaient été arrêtées à la Sorbonne en 1968 - il ne parlait pas du parquet mais bien des magistrats du siège.
Si vous voulez aller jusqu'au bout de votre logique, demandez aussi que le Gouvernement puisse donner des ordres aux magistrats du siège ! Mais vous n'allez tout de même pas jusque-là.
J'avoue que je demeure interdit quand je vous vois proposer dans votre amendement que le ministre de la justice puisse donner des instructions aux magistrats « d'engager ou de faire engager des poursuites » dans le cas d'atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation : trahison, espionnage, intelligence avec l'ennemi. Comment pouvez-vous faire l'injure à quelque procureur que ce soit de penser que, dans de tels cas, il ne pousuivrait pas ? Franchement, ce n'est pas possible ! C'est tout à fait inutile de le préciser, cela va de soi.
De plus, cela vous a été dit, si, par impossible, il se trouvait un procureur qui ne veuille pas poursuivre un terroriste, un comploteur, un traître, évidemment sa responsabilité serait mise en cause, justement parce que, procureur, il se doit de suivre les directives, ou les orientations, qui sont données par le garde des sceaux. Et comme nous l'a dit Mme le garde des sceaux, elle aurait, dans ce cas-là, un droit propre d'agir. Vous arguez que le procureur ferait ce qu'il veut après. Non ! Même s'il prononçait des réquisitions contraires, c'est le tribunal ou la juridiction saisie qui jugerait.
Enfin, je suis étonné que, dans votre amendement, vous ne proposiez pas aussi - mais peut-être est-ce sous-entendu - que le ministre de la justice puisse donner des instructions écrites et motivées de ne pas engager ou de ne pas faire engager des poursuites. En effet, peut-être existe-t-il des cas - par exemple une insurrection de pêcheurs, qui mettent le feu au palais de justice de Rennes... - où vous considérez pour votre part qu'il serait peut-être nécessaire de ne pas poursuivre. C'est peut-être ce que vous voulez dire, mais ce n'est pas ce que vous écrivez. En d'autres termes, si votre amendement était adopté, cela ne serait pas possible. (Murmures sur les travées du RPR.)
M. Pierre Fauchon. C'est merveilleux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est pourquoi, excusez-moi de vous le dire, cet amendement est non seulement inutile mais tend, au contraire, dans une certaine mesure, à rendre ce projet de loi anticonstitutionnel, ce qu'il n'est nullement en l'état.
Mme la garde des sceaux vous a parfaitement répondu. Vous ne vous engagez pas pas dans le monde moderne dans lequel nous essayons de vous emmener avec nous. Il nous a été dit tout à l'heure que ce débat peut être utile : j'espère que vous avez écouté Mme la garde des sceaux et nous-mêmes avec toute l'attention voulue - je n'en doute pas - et je vous demande donc de vous interroger si, véritablement, l'amendement n° 2 et le sous-amendement n° 74 sont acceptables ou non. Pour ma part, je le répète, je considère qu'ils ne le sont pas.
M. Christian Bonnet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Madame la ministre, je voudrais évoquer un cas concret et récent. A la suite d'un devoir d'hospitalité dévoyé, un certain nombre de Bretons ont prêté la main au terrorisme basque, celui-ci étant lui-même en relation étroite avec les Basques de notre voisin espagnol.
Ne croyez-vous pas que c'est seulement à travers des directives de caractère général, à travers des réponses à des questions qui pourraient être posées à tel ou tel de vos services, à travers des analyses de droit comparé - je reprends vos propres termes - que l'on peut faire face à des situations de troubles majeurs ?
Il se trouve que je connais, pour avoir apprécié son action lorsqu'il était procureur de la République à Lorient, le procureur général que vous venez d'installer à Rennes, et je connais sa qualité. Mais qu'il s'agisse du procureur général de Rennes, qu'il s'agisse du procureur général de Pau, qu'il s'agisse du procureur général de Bastia,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ou de Lyon !
M. Christian Bonnet. ... qu'il s'agisse du procureur général de l'un de ces départements d'outre-mer où couve l'explosion, croyez-vous que l'on peut s'en remettre à un homme qui, au demeurant, peut, à un moment donné, être souffrant, prendre des vacances - pas nécessairement dans l'Himalaya... ?
Je sais, madame le ministre, que je heurte vos convictions, disons philosophiques, pour vous être agréable et sans tomber dans l'erreur d'interprétation qui a pu être commise.
Madame le ministre, un mot terrible - terrible ! - vous a échappé. Vous avez dit : « C'est un pari. » Eh bien, on ne parie pas dans le domaine des atteintes à la sécurité de l'Etat !. C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants votera et l'amendement et le sous-amendement. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR).
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, à l'instar de mon collègue Michel Dreyfus-Schmidt, je m'expliquerai sur l'amendement et sur le sous-amendement, comme ça, ce sera réglé !
Personnellement, quand Mme le garde des sceaux dit qu'il n'y a pas d'esquive de sa part, je la crois. Evitons de nous jeter, les uns et les autres, l'anathème.
Mme le garde des sceaux nous dit : « La question est simple, on fait confiance ou pas aux magistrats ». Pardonnez-moi, mais je ne me place pas du tout sur ce plan. Le problème, c'est que, sur les affaires graves et vitales pour la nation qui sont visées par ces textes, les magistrats ne peuvent pas avoir compétence puisque ce sont des sujets qui relèvent de la souveraineté nationale.
Lorsque Mme le garde des sceaux nous dit : « C'est une philosophie différente », c'est vrai, et c'est tout à fait respectable d'ailleurs ! Ce n'est pas la première fois que j'en discute avec elle, ici ou ailleurs, dans les couloirs ou dans cet hémicycle. Ces deux philosophies ont chacune, peut-être, leurs avantages et leurs inconvénients.
Mais je dirai que nous nous trouvons dans ce domaine, qui ne préserve pas les intérêts nationaux supérieurs de la nation - je parle du texte à l'origine - dans une situation où l'exercice de la souveraineté nationale, qui ne relève que des pouvoirs élus, se trouve exercée par des agents publics qui n'ont pas compétence pour cela. On est dans un domaine qui est autre chose que la République telle qu'elle existe en France depuis les origines.
Dans ce cas-là, je le dis, on peut « changer de République », on peut en discuter en tout cas. Mais si on reste dans le cadre actuel de la République française, la souveraineté n'appartient à aucune oligarchie, mais seulement, uniquement, au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum, dit la Constitution. Aucune autorité aucune section du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice, fût-elle une section d'agents publics, même désignés par les pouvoirs publics constitutionnels.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dites « magistats », ce serait plus simple !
M. Michel Charasse. Mes chers collègues, les articles 20 et 21 de la Constitution font du Gouvernement la seule autorité qui puisse diriger la politique pénale, d'une façon générale, on l'a vu, par des circulaires, instructions, orientations, directives... - peu importe ! Mais, sur ces sujets-là, avec de surcroît le concours du Président de la République, qui est le garant de l'indépendance et de l'intégrité du territoire, aucune autre autorité non élue ne peut agir !
Alors, madame le garde des sceaux, je vais parler de choses simples, toutes issues de mon expérience : quatorze années passées tout près du sommet de l'exécutif.
Lorsqu'une affaire grave se déclenche à trois heures du matin - madame le garde des sceaux, vous avez sans doute été, comme moi, de permanence, la nuit, à l'Elysée - quand cela arrive, immédiatement on alerte le Président de la République, Matignon, le ministère des affaires étrangères et sa cellule de crise. Si, à la même heure, vous ne trouvez qu'un substitut de permanence au parquet de Paris, quelles que soient ses qualités - quelquefois, il s'agit d'un jeune magistrat qui vient à peine d'arriver - si le procureur général est difficile à joindre, s'il y a des négociations internationales qui se déroulent, par exemple sur des affaires de prise d'otages... lorsque vous avez, à trois ou quatre heures du matin, la cellule de crise en réunion, des contacts intenses avec les ambassadeurs et les chargés d'affaires qui sont convoqués au quai d'Orsay... vous allez laisser le soin, quelles que soient, je le répète, ses qualités, quelles que soient ses convictions républicaines, qui sont sûrement très grandes, à un malheureux substitut du tribunal de Paris, parce qu'il est de permanence, qu'il n'arrive pas à joindre son procureur, vous allez lui laisser le soin de conduire l'action publique ? Mais, madame la garde des sceaux, chère amie, c'est impossible !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est du roman, de la fiction !
M. Michel Charasse. Dans la conception qui est celle de l'Etat dans la République française, c'est impossible !
Il faut bien que quelqu'un puisse donner un certain nombre de directives, ne serait-ce qu'au cas où il y a au même moment une négociation internationale délicate. L'affaire Gordji - M. Dreyfus-Schmidt a eu raison de la rappeler - en est un exemple lamentable. Le drame, dans cette affaire, a été de ne pouvoir éviter la saisine du juge d'instruction. Car, ensuite, il a fallu, peu glorieusement pour la justice, mais pour des raisons d'intérêt national supérieur - oui, je l'affirme - porter atteinte à l'indépendance d'un magistrat du siège en lui faisant comprendre et admettre que l'intérêt national supposait qu'il libérât Gordji. Ce ne fut glorieux pour personne ! Si l'action publique avait été dirigée plus fermement au stade du parquet, on n'en serait peut-être pas arrivé là.
Et qu'en est-il des affaires d'espionnage, puisque l'article 410-1 couvre tous ces domaines ? Quand on attrape des espions dans notre pays, il y a souvent une négociation avec l'Etat concerné. C'est du genre : je t'en expulse trois, tu m'en expulses trois ! Et vous allez avoir un parquetier, de bonne foi un peu naïf, innocent, qui va entrer dans ce système à partir des rapports qui lui seront fournis ou non par la DST ou autre, et qui flanquera une pagaille monstre dans une négociation internationale touchant à la sûreté de l'Etat, sûreté intérieure ou sûreté extérieure !
Alors, madame le garde des sceaux, la solution proposée par la commission des lois n'est peut-être pas la meilleure. Je n'en sais rien ; mon sous-amendement ne porte que sur un point particulier. Sur le fond, je préférerais, je le dis, la rédaction de mon amendement n° 48 rectifié, qui, si je comprends bien, si l'amendement de M. le rapporteur est adopté, tombera, parce qu'il prévoit que l'on doit donner des directives et des instructions précises ; là, ce sont des instructions. Pour le reste, l'opportunité des poursuites... on fait comme on veut. Mais là, il faut guider la main de la poursuite parce que la souveraineté et la protection des intérêts supérieurs de l'Etat sont en jeu.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le président, en m'excusant d'avoir été trop long, je voterai bien entendu mon sous-amendement, qui se veut une sage précaution, et, me distinguant de mes amis politiques, je voterai aussi l'amendement de la commission, sans être certain que l'on fait le meilleur choix pour le meilleur texte mais parce que le législateur donnera ainsi une orientation claire.
Madame le garde des sceaux, sachez que votre texte est fragile et « annulable » par le Conseil constitutionnel si vous ne préservez pas l'exercice des articles 20 et 21 de la Constitution en matière d'action publique à un moment ou à un autre.
Personnellement, je ne souhaite pas, en votant les dispositions venues de l'Assemblée nationale, tant soit peu maladroites - je le redis sans suspecter personne, et je suis prêt à discuter sur la philosophie du garde des sceaux dans ce domaine, qui n'est pas la même que la mienne mais qui est parfaitement respectable - que le Conseil constitutionnel, dans une telle affaire, fasse au Parlement la leçon en ce qui concerne la souveraineté nationale et les grands intérêts de l'Etat. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et le procureur général de la République !
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Mon explication de vote concerne à la fois l'amendement n° 2 et le sous-amendement n° 74.
Avec cet amendement n° 2, vous visez, cher rapporteur, ni plus ni moins qu'à maintenir le système existant.
Combinées avec l'amendement n° 8, que nous examinerons plus tard, les dispositions qu'il prévoit autorisent purement et simplement les instructions écrites dans les affaires individuelles.
Pire encore, une double tutelle s'exercera désormais sur les magistrats du parquet : celle du ministre de la justice et celle du « procureur général de la République », son double.
A l'heure où les citoyens réclament plus de moralité dans la gestion des affaires publiques, vous affichez au contraire une volonté de soumission de la justice au politique.
La référence aux « infractions visées aux titres Ier et II du livre IV du code pénal » nous semble par ailleurs instituer une discrimination discutable entre les infractions.
Il y aurait dès lors deux poids deux mesures selon que les infractions relèveraient...
M. Jean-Pierre Schosteck. De la farce !
M. Robert Bret. ... du droit commun ou de la sécurité nationale.
M. Jean-Pierre Schosteck. Heureusement !
M. Robert Bret. Outre son caractère choquant, la distinction n'est pas opératoire.
Prenons l'exemple de la Corse : les infractions constatées, telles que l'incendie de paillotes, relèvent-elles de la sécurité nationale ou du droit commun ? Qui appréciera ? (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et des Indépendants et de l'Union centriste.)
Que se passera-t-il en cas de divergence d'interprétation, le procureur général donnant des instructions dans un sens et le ministre de la justice dans l'autre ? Est-ce bien ce que vous voulez ? La restauration des instructions, l'instauration d'une double tutelle potentiellement conflictuelle, voilà ce que vous nous proposez !
Au vu de ces observations, les sénateurs communistes voteront contre l'amendement n° 2 de la commission des lois et contre les amendements qui en découlent.
Pour des raisons identiques, nous nous opposerons également au sous-amendement n° 74 de M. Charasse. En effet, mon cher collègue, vous ne semblez pas avoir bien entendu Mme le garde des sceaux : elle n'a pas parlé de confiance concernant les magistrats, elle a dit qu'il fallait les responsabiliser. Il me semble qu'il y a une différence de taille ! (Applaudissement sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Ce dont nous parlons est trop grave pour que nous n'allions pas, les uns et les autres, jusqu'au bout de nos réflexions et de l'analyse des faits.
Tout d'abord, sur le problème de la compétence particulière du tribunal de grande instance de Paris, ou du procureur de la République de Paris en matière de terrorisme, le choix n'est pas automatique : il s'agit d'une compétence concurrente à celle des tribunaux ou parquets locaux.
Permettez-moi à ce propos de vous rappeler les termes de l'article 706-17 du code de procédure pénale : « Pour la poursuite, l'instruction et le jugement des infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-16, le procureur de la République, le juge d'instruction, le tribunal correctionnel et la cour d'assises de Paris exercent une compétence concurrente à celle qui résulte de l'application des articles 43, 52, 382 et du second alinéa de l'article 663. »
Il est possible que cette situation se règle à l'amiable ; il est possible aussi qu'elle ne se règle pas à l'amiable.
Vous m'avez répondu : il y a la procédure administrative de règlement de juges. Il vient de se produire un attentat ; pour faire face à cette situation, on met en route la procédure de règlement de juges ! Je souhaiterais d'ailleurs savoir combien de temps dure cette procédure, ne serait-ce que pour information !
Vous ne m'avez donc pas apporté la bonne réponse à la vraie question à laquelle vous êtes confrontée du fait des compétences concurrentes.
Il a été question de la confiance dans les juges, ou de la responsabilisation des juges. Nous sommes tout à fait d'accord pour faire confiance aux juges et pour les responsabiliser ; mais telle n'est pas la question. La question est plus élevée.
La question est d'importance au niveau du droit fondamental. A cet égard, M. Charasse a rappelé des faits que je comprends parfaitement et sur lesquels je n'ai pas besoin de revenir.
La question est d'importance au niveau de la gestion pratique également. Comme M. Charasse l'a dit tout à l'heure, dans certains cas, une coordination s'impose absolument. J'ai déjà cité un exemple, et M. Bonnet l'a repris, je n'y reviens donc pas.
Je me suis peut-être trompé tout à l'heure en disant que c'était une question non pas de philosophie, mais de guerre. Ce que je veux dire, c'est qu'en matière de guerre - car le terrorisme, c'est la guerre, chacun l'admettra - il convient de bien faire la distinction entre la tactique et la stratégie.
Face à des affaires de type terroriste et à d'autres affaires du même genre - c'est ce qui est visé dans notre amendement - on ne peut pas se contenter d'actions tactiques sur le terrain, si bien menées soient-elles. Selon la définition de Clausewitz, il faut choisir la stratégie. Or seul - je dis bien « seul » - l'Etat, le ministère en charge de ces responsabilités, peut assumer ce rôle, cette gestion quasi quotidienne de l'horreur.
J'étais à la Chancellerie, du temps de Jean Lecanuet, quand les prisonniers étaient sur les toits ; j'effectuais moi aussi ma permanence. Et je me souviens d'un procureur général qui m'a téléphoné angoissé, à trois heures du matin, en me demandant ce qu'il devait faire. On ne pouvait pas lui répondre : « Monsieur, vous recevrez une circulaire. » Ce n'est pas possible dans ces cas-là !
Dans ces moments-là, il faut rapidement trouver les solutions. Il faut faire face à une situation qui appelle une intervention immédiate, il faut opter pour une stratégie.
Mon dernier mot sera pour vous dire, madame le garde des sceaux, et vous le savez très bien par de nombreuses expériences, que le pouvoir dont vous vous déchargez ne fera que renforcer, dans ce genre d'affaires, celui du ministère de l'intérieur ! (« Très bien ! » sur les travées du RPR.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Décidément, nous ne sommes pas sur la même longueur d'ondes !
Le texte que je propose ne désarme, en aucun cas et dans aucun domaine, l'Etat. (Marques d'approbation sur les travées socialistes.)
Certes, l'Etat ne tient pas la main du procureur. Il ne lui dit pas s'il faut poursuivre ou, à plus forte raison, s'il ne faut pas poursuivre M. X ou M. Y.
M. Guy Allouche. Il ne veut pas comprendre !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Cependant, dans toutes les situations de crise, il peut y avoir des réunions de crise. Qui m'empêche de réveiller un procureur général la nuit pour lui donner des informations, pour organiser une réunion entre le garde des sceaux et tous ses substituts à propos d'une situation donnée ?
Mais ce que je ne ferai pas, c'est dire à un procureur : vous poursuivez M. Untel, ou vous relâchez M. Untel.
M. Michel Charasse. Des fois, il faut le faire !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. C'est votre point de vue ! J'y reviendrai dans un instant.
M. Michel Charasse. On l'a fait !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Vous l'avez fait ! Maintenant, on ne le fait plus, et on ne s'en porte pas plus mal ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Patrice Gélard. Cela reste à voir !
M. Michel Charasse. On l'a fait pour un chef d'Etat !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je vais vous citer un exemple qui tient à une situation de guerre ; je vais vous parler de la mise en cause de M. Milosevic par le procureur général auprès du tribunal pénal de La Haye, au beau milieu des négociations qui étaient menées sur le Kosovo.
Evidemment, la question pouvait être posée - elle l'a d'ailleurs été - de savoir s'il ne fallait pas, pour préserver toutes ses chances à la discussion diplomatique qui était engagée, mettre un frein à la mise en cause publique, repousser le mandat d'arrêt lancé par le procureur général contre M. Milosevic. Et les autorités françaises - toutes les autorités françaises ! - ont choisi de dire et de revendiquer face au pays que l'on ne faisait pas obstacle à l'action de la justice dans ce domaine, parce que les Etats avaient d'abord à coeur de respecter leur propre parole et qu'une résolution des Nations unies avait donné un mandat à ce tribunal. C'était une donnée.
M. Jacques Larché, président de la commission. Et c'est très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il s'agissait bien d'une situation de guerre ! Peut-il y avoir une situation plus grave que celle-là ? La justice a suivi son cours, et cela n'a pas empêché M. Milosevic de renoncer finalement à ses actions.
Dans les situations de crise, que nous avons connues - je ne vais pas entrer dans le détail ni donner des informations que je n'ai pas à donner sur les dispositions que nous avons prises face à des menaces terroristes qui étaient bien réelles avant la Coupe du monde de football -, croyez-vous que je sois restée les bras ballants ? Avec mon collègue ministre de l'intérieur, nous avons travaillé ensemble, ainsi qu'avec les magistrats et les policiers qui étaient en charge de ce dossier et nulle part je n'ai vu qui que ce soit avoir envie de se délester de ses responsabilités !
M. Michel Charasse. Ce sont des quasi-instructions dans ce cas-là !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ce ne sont pas des instructions, il ne s'agit pas de M. X ou de M. Y, c'est l'expression de la volonté du Gouvernement, de la politique pénale menée par le Gouvernement : ne pas permettre qu'il y ait le moindre problème.
Des circulaires extrêmement précises sont parues. Elles ont été respectées, et nous avons réussi à gérer ces situations.
Evidemment, cela demande de l'organisation, un peu d'anticipation, une méthode de travail différente. Il ne s'agit pas d'attendre, assis derrière son bureau, et de ne réagir qu'en cas de crise et dans l'instant par des décisions individuelles, avec tous les risques d'erreur que cela comporte, comme le prouvent les exemples que vous avez cités tout à l'heure.
Il s'agit d'un travail qui anticipe, d'un travail qui est fondé sur des contacts réguliers, d'un travail qui implique en effet la confiance à l'égard des magistrats. Je ne peux absolument pas laisser dire qu'en situation de crise on serait condamné à ne pas trouver un procureur de la République ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Michel Charasse. Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 74.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Madame le garde dess sceaux, je vous ai écoutée avec attention : puisque vous estimez que ces éléments de la souveraineté nationale peuvent être exercés par des agents publics, quels que soient leur talent, leur vertu, leur capacité, pouvez-vous m'expliquer pourquoi vous ne modifiez pas les textes sur l'extradition. Pourquoi, s'agissant de l'extradition d'un horrible assassin, l'avis favorable de la cour d'appel - de la justice indépendante - ne lie-t-il pas le Gouvernement ? Pourquoi, au final, est-ce le Gouvernement qui décide ?
N'y aurait-il pas, dans ce domaine, des éléments de souveraineté et de politique extérieure ?
En posant cette question, je ne fais pas référence au souci de savoir si l'on extrade en direction d'un pays qui respecte les droits de l'homme ! Je pense, par exemple, aux affaires du Pays basque, à une certaine époque. Mais il y en a eu d'autres.
Suivez donc votre logique jusqu'au bout, madame le garde des sceaux : privez le Gouvernement de son droit en matière d'extradition.
A l'article 30 du code de procédure pénale, il s'agit non pas de décisions d'une juridiction indépendante, mais du parquet, un magistrat du parquet n'ayant pas, à mon sens, la même indépendance qu'un magistrat du siège. En matière d'extradition, en revanche, puisque c'est la cour d'appel, c'est une autorité judiciaire indépendante qui donne un avis ; pourtant, le Gouvernement fait ce qu'il veut, en fonction de l'intérêt national, des problèmes qui peuvent se poser en matière de politique extérieure. Dès lors, soyez logique, madame le garde des sceaux, proposez-nous aussi un texte réformant le système de l'extradition !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On ne vous le propose pas,...
M. Michel Charasse. Et pourquoi ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... cela devrait rassurer !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 2, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 45, M. Charasse propose d'insérer, après le premier alinéa du texte présenté par l'article 1er pour l'article 30 du code de procédure pénale, un alinéa nouveau ainsi rédigé :
« Les réquisitions écrites des magistrats du parquet doivent être conformes aux directives générales de la politique pénale. »
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je voudrais signaler qu'un amendement n° 58 rectifié, déposé à l'article 3, porte sur le même sujet. Pourrait-on soit décider la priorité pour cet amendement, soit réserver l'examen de l'amendement n° 45 ?
M. le président. Il s'agit plutôt de l'amendement n° 53 rectifié.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Peut-être les deux amendement sont-ils concernés !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Mieux vaut en finir avec l'article 1er !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et les amendements n°s 53 rectifié et 58 rectifié ?
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour présenter l'amendement n° 45.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas possible !
M. Michel Charasse. Monsieur le président, je précise tout d'abord que je retire l'amendement n° 48 rectifié tendant à insérer un article additionnel après l'article 1er, compte tenu du vote qui vient d'intervenir.
En ce qui concerne l'amendement n° 45, si l'on veut quand même préserver les prérogatives de l'exécutif - articles 20 et 21 de la Constitution - dans la conduite et l'application de la politique pénale qui ne relève de personne d'autre que des autorités désignées par la souveraineté nationale, il faut que les magistrats du parquet se conforment dans leurs réquisitions écrites aux orientations de la politique pénale. C'est très simple.
On maintient donc intact le principe actuel, vieux comme le parquet, selon lequel « la plume est serve, mais la parole est libre ».
Cela veut dire que les réquisitions écrites doivent être conformes aux directives. Quant aux observations orales, le parquet fait comme il veut, comme il l'a toujours fait.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission, pour les raisons que nous avons déjà longuement développées s'agissant des « orientations », ne peut pas être favorable à cet amendement n° 45 rectifié, qui poserait à la fois un problème juridique et un problème pratique.
Selon le Gouvernement, il n'y a plus d'instructions écrites et versées au dossier. Or le principe traditionnel selon lequel les réquisitions des parquets sont conformes entraîne qu'il s'agit d'instructions écrites et versées au dossier. Il y a là une obligation disciplinaire et hiérarchique.
Au contraire, lorsqu'il n'y a plus que des orientations - dont nous avons rappelé qu'elles étaient des circulaires - il ne faut pas les ériger en normes et exiger que les réquisitions soient conformes parce que, sur le plan juridique, ce serait de nouveau transformer les circulaires en variantes, en quelque sorte, de règlements ou de normes presque législatives, ou d'instructions, que l'on souhaite, par ailleurs, supprimer. Il ne faut donc pas exiger cette conformité.
J'ajouterai un problème pratique : comment vérifier sérieusement la conformité des réquisitions avec des circulaires qui, par définition, sont générales ? C'est insaisissable. On mélange les genres ! On mélange la notion de conformité, qui ne peut être qu'une conformité à des normes ou à des instructions précises, et la notion de circulaire, qui ne peut être qu'une indication générale. Je me souviens d'ailleurs que nous avons interrogé le garde des sceaux sur le point de savoir quel était le caractère juridique des circulaires. Elle nous a répondu - je pense qu'elle le confirmera - que ce n'est pas réglementaire. D'ailleurs comment savoir si la circulaire est respectée ou non ? C'est un peu insaisissable ! Il faudrait une insistance de la part d'un magistrat à ne pas respecter des circulaires, insistance qui se manifesterait à travers une série de décisions, pour que, alors, il y ait lieu, et nous l'avons parfaitement compris, de mettre en oeuvre le processus disciplinaire.
Il n'est pas du tout non plus dans notre idée de priver ces circulaires de tout effet. Mais, encore une fois, nous voulons éviter de confondre les circulaires, les règlements et les lois. C'est pourquoi nous ne pouvons qu'être défavorables à cet amendement dans la logique de notre vote précédent.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je voudrais demander à M. Charasse de bien vouloir retirer son amendement n° 45 rectifié. J'en comprends l'esprit, qui tend à préciser utilement les conséquences juridiques des directives de politique pénale du garde des sceaux sur les réquisitions écrites des magistrats du parquet.
Toutefois, je note aussi que cette question fait l'objet de deux amendements n°s 53 rectifié et 58 rectifié de Mme Derycke, qui ont le même objet mais qui concernent respectivement les articles 36 et 39-1 du code de procédure pénale. Je crois qu'il est plus logique de préciser les obligations des procureurs généraux et des procureurs de la République dans les articles qui les concernent plutôt que dans un article relatif au garde des sceaux. Voilà pourquoi je souhaite que M. Charasse retire son amendement.
Nous discuterons ensuite du fond du problème lors de l'examen des amendements de Mme Derycke, dont, par ailleurs, je préfère la rédaction.
Si cet amendement n° 45 rectifié n'était pas retiré, j'indique que j'y suis défavorable parce que la rédaction me paraît trop large. Il est en effet difficile d'exiger que des réquisitions écrites, qui concernent nécessairement des affaires individuelles, soient conformes à des directives générales qui, par nature, n'excluent pas une adaptation au cas par cas. Les directives du garde des sceaux ont effectivement un caractère contraignant, mais la constatation de leur non-respect ne peut découler que de l'examen de la politique pénale d'un parquet et non de l'examen d'une seule affaire.
Par conséquent, seuls les développements qui peuvent figurer dans des réquisitions écrites sont susceptibles de contredire des directives générales et d'être, à ce titre, prohibés.
Les amendements de Mme Derycke apportent cette précision, contrairement à celui de M. Charasse, sur lequel je ne puis donc émettre un avis favorable.
M. Robert Bret. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, les quelques remarques que je développe ici valent également pour les amendements n°s 53 rectifié, 58 rectifié et 60 de Mme Derycke et du groupe socialiste, dont l'objet est le même.
Ces amendements me laissent pour le moins perplexe. En effet, de deux choses l'une : soit ils n'ont pour objet que de rappeler le caractère contraignant des directives - auquel cas ils sont superflus - soit ils tendent à renforcer les liens de subordination des magistrats du parquet au ministre de la justice, ce qui serait contraire à l'objectif de renforcement de l'impartialité de la justice.
Si risque il y a de voir un procureur jouer au cow-boy solitaire, comme certains le craignent, l'assurance de voir engagée sa responsabilité sur le plan disciplinaire nous semble suffisante pour enrayer les dérives, et ce d'autant qu'il doit rendre compte, chaque année, de l'application des directives de la politique pénale.
Telles sont les raisons pour lesquelles je suis contre l'amendement n° 45 rectifié.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. J'ai bien entendu l'appel du garde des sceaux et je connais bien aussi les amendements de Mme Derycke, dont je suis cosignataire au cas particulier.
Je voulais simplement dire que cet amendement n° 45 rectifié bien entendu s'appliquait - j'aurais pu le préciser - sous réserve de l'opportunité des poursuites.
Mais si un « parquetier » - ce mot n'est pas péjoratif dans ma bouche - pour des problèmes de conscience personnelle n'est pas d'accord pour engager des poursuites sévères - dans le cas, par exemple, d'une Eglise de scientologie, d'une histoire d'avortement ou d'autres cas semblables - alors que la loi est sévère et que les orientations le seront également, il me paraît tout de même anormal que le magistrat puisse décider de ne pas poursuivre et, ce faisant, de ne pas respecter les orientations, c'est-à-dire la loi telle qu'elle est commentée par le garde des sceaux. En effet, le garde des sceaux dit que de tels faits sont très graves et doivent donner lieu à une grande sévérité de la part du parquet. C'est ce que l'on fait, étant donné que l'on ne peut pas mettre tous les jours tous les moyens de la justice sur tous les sujets. On colle donc un peu à l'évolution de la société au quotidien, comme je le disais tout à l'heure.
Madame le garde des sceaux, ce que je souhaite, c'est un système dans lequel le parquet ne puisse pas échapper aux décisions de la souveraineté nationale et que la rédaction soit telle que le fait de ne pas obéir ou de ne pas respecter les orientations entraîne des poursuites disciplinaires, et non pas après quatre ou cinq manquements, mais dès le premier !
Si les amendements qui viendront en discussion tout à l'heure et qui ont été déposés par Mme Derycke et les membres du groupe socialiste vous paraissent plus satisfaisants, cela me laisse penser que vous allez les accepter. Dans ce cas-là, nous nous réservons éventuellement de les sous-amender, et je retire l'amendement n° 45 rectifié.
M. le président. L'amendement n° 45 rectifié est retiré.
Par amendement n° 3, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, au début du second alinéa du texte présenté par l'article 1er pour l'article 30 du code de procédure pénale, d'ajouter les mots : « Sous réserve des dispositions de l'alinéa précédent, ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est un amendement de conséquence.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 46, M. Charasse propose de compléter in fine le second alinéa du texte présenté par l'article 1er pour l'article 30 du code de procédure pénale par les mots suivants : « sauf pour rappeler, publiquement, aux magistrats du ministère public l'obligation visée à l'alinéa précédent ».
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Si, dans les affaires individuelles, sous réserve de ce qui a été voté par le Sénat, on peut en effet interdire les instructions du garde des sceaux sur la manière de conduire l'action publique - lesquelles instructions du garde des sceaux d'ailleurs, je le rappelle, sont aujourd'hui autorisées par la loi pour tout ce qu'on voudra, sauf pour ralentir ou pour classer ; mais l'article 36 a été beaucoup détourné de son objet - si je veux donc bien admettre qu'il n'y ait plus d'instructions, il me semble que, dans une affaire particulière - qu'elle ait ou non un grand retentissement, mais à plus forte raison si elle en a un - si le parquet franchit ouvertement la bande blanche en ne respectant pas les orientations, c'est-à-dire en fait la loi, la moindre des choses est que le garde des sceaux puisse le rappeler à l'ordre, étant entendu qu'un tel rappel à l'ordre signifierait que le parquet doit obéir dans ses réquisitions écrites ; verbalement, il développera, je l'ai déjà dit, tout ce qu'il voudra.
L'objet de l'amendement n° 46 est donc simplement de donner au garde des sceaux le droit de faire publiquement, c'est-à-dire par un document qui ne soit pas secret, un rappel à l'ordre à un magistrat du ministère public en ce qui concerne l'obligation.
Mais cet amendement étant lié à l'amendement n° 45 rectifié, nous retrouverons le problème tout à l'heure à l'occasion de l'examen des amendements de Mme Derycke. Je retire donc l'amendement n° 46.
M. le président. L'amendement n° 46 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 30 du code de procédure pénale.

(Ce texte est adopté.)

Demande de priorité