Séance du 26 mai 1999







M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Gerbaud pour explication de vote.
M. François Gerbaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà au terme d'un voyage qui fut trop court et que l'urgence a raccourci.
A la suite de l'échec de la commission mixte paritaire, la Haute Assemblée a donc procédé à une nouvelle lecture de ce projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.
M'exprimant au nom du groupe du RPR, je regrette que le refus de dialogue des députés de la majorité plurielle ait, dans un comportement singulier, conduit à l'échec de la commission mixte paritaire. Les membres de la commission spéciale souhaitaient, en effet, aborder dans un esprit constructif - ils l'ont démontré - les différents points de désaccord entre les deux assemblées et sur lesquels la majorité sénatoriale avait fondé son approche du texte lors de la première lecture : équilibre, innovation et péréquation sont les trois notions autour desquelles la commission spéciale, sous l'impulsion de son éminent rapporteur, notre collègue Gérard Larcher, a souhaité dégager les lignes de force d'une véritable politique d'aménagement du territoire.
Cette approche était nécessaire devant un texte significatif d'une politique de bouleversement du territoire mise en oeuvre par le Gouvernement et dont les contours et les fondements sont irréalistes et, naturellement, inacceptables.
En effet, la France dessinée par le Gouvernement est une France du déséquilibre où, sous l'argument d'une priorité donnée à la politique des villes, s'organise, hélas ! l'abandon de la France des bourgs et de la France rurale, celle dont je viens et qui attend, comme une sorte de compensation, que soit vérifié ce que des journaux du soir hier nous ont promis en matière de nouvelle politique d'aménagement du territoire.
C'est ensuite la France du sous-équipement, où un discours généreux sur le développement des services tente de masquer le renoncement à une politique volontariste de développement des infrastructures de transports et de communications.
C'est, en outre, une France de la recentralisation et de la restriction de la liberté d'administration des collectivités locales, que ce soit au travers des mesures financières et fiscales ou encore par les modalités de relance de l'intercommunalité.
C'est enfin une France du tout environnement, qui laisse un peu de côté ce qui constitue un aspect essentiel de toute politique d'aménagement et de développement du territoire : le développement économique, dont nous avons été, avec M. Raffarin, des avocats ardents. Malheureusement, nous sommes aujourd'hui amèrement déçus et tout naturellement inquiets...
Cette vision très manichéenne et idéologique du territoire, qui consiste à opposer l'espace urbain, réputé créateur de toutes les richesses, à l'espace rural, perçu comme une aire à simplement protéger, est fausse et naturellement dangereuse.
Elle est fausse, car la véritable richesse de la France a toujours reposé non sur l'opposition, mais sur la complémentarité de ses territoires, appuyée sur le maillage et l'interconnexion de villes grandes, moyennes et petites. C'était l'esprit essentiel de la loi de 1995.
Elle est dangereuse, car elle organise l'isolement et le repli de la France au moment où se structure l'espace européen qui portera le développement de demain. Tandis qu'à Bruxelles se déterminent de grands schémas européens d'infrastructures, la France, elle, socialiste, verte et communiste, renonce à planifier les siens.
C'est la raison pour laquelle le groupe du Rassemblement pour la République votera ce texte tel qu'il vient d'être amendé hier et aujourd'hui par la Haute Assemblée, et je félicite Gérard Larcher de la manière dont il a conduit le débat.
Ainsi amendé, ce texte porte la marque d'une authentique politique d'aménagement du territoire dont j'ai déjà dit, voilà quelques années, au moment où nous abordions pour la première fois ce sujet en 1995 - les premiers résultats du recensement nous y invitent encore davantage - qu'il s'agissait d'un véritable débat national, devrait exprimer une très grande solidarité, afin de cesser d'opposer la France verte à la France béton.
Madame le ministre, en retirant de l'affiche les grands mouvements de la symphonie pastorale, vous nous invitez à l'écoute d'une symphonie inachevée. Dommage pour la France ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Le Cam pour explication de vote.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, arrivés au terme de nos débats, il apparaît clairement que le texte sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer en nouvelle lecture est sensiblement identique à celui qui a été adopté le 6 avril dernier par le Sénat.
J'avoue, à cet égard, m'étonner de l'entêtement de la commission spéciale et de son rapporteur qui, tout en regrettant la procédure d'urgence déclarée sur ce projet de loi n'ont, par ailleurs, pas suffisamment fait les gestes pour en améliorer conjointement le contenu.
A terme, mes chers collègues, que restera-t-il des propositions du Sénat dans ce projet de loi ?
J'ai eu l'occasion de rappeler à plusieurs reprises que, sur les quelques points d'accord que nous aurions pu avoir, notamment s'agissant de la place du département et du rôle du Parlement dans l'élaboration des schémas de services collectifs, les propositions de la commission manquaient de cohérence et de logique par rapport au contenu du texte d'ensemble modifié par le Sénat.
Qu'il s'agisse du refus de la démocratie participative, de la conception des services publics, de la politique des transports ou des mesures en matière fiscale, la majorité sénatoriale reste fidèle à une approche hiérarchique de la politique d'aménagement qui laisse peu de place à l'expression des besoins réels des citoyens de notre pays.
Se profile ensuite une tendance toujours plus poussée chez nos collègues de la majorité à faire de la région l'interlocuteur privilégié et peut-être unique des instances européennes avec pour objectif de redessiner la géographie politique de l'Europe sur des bases fédéralistes.
Pour conclure, je rappellerai notre satisfaction générale des modifications apportées au texte initial avec l'accord, le plus souvent, de Mme la ministre, ce qui dénote l'intérêt du travail parlementaire et le pragmatisme du Gouvernement sur des sujets d'importance.
J'ajouterai toutefois quelques bémols à cette appréciation positive en regrettant que les questions de la directive postale, d'une part, et des télécommunications, d'autre part, aient été abordées dans un cadre de toute évidence inadapté. Cela aboutira, je le crains, à de nouveaux reculs pour le service public, les usagers et les salariés de France Télécom et de La Poste.
Pour l'heure, le groupe communiste républicain et citoyen renouvelle sa position du 6 avril en votant contre le texte remanié par le Sénat.
M. le président. La parole est à M. Bellanger pour explication de vote.
M. Jacques Bellanger. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous considérons que le Sénat n'a pas fait preuve de logique en mêlant et en laissant travailler ensemble les agglomérations et la ruralité. Tout son raisonnement est fondé sur une différenciation de ces autorités, de leurs dynamiques, ce qui aboutit à les opposer alors que le texte du Gouvernement mise sur un maillage complémentaire.
Cela, me semble-t-il, explique les difficultés à dialoguer entre la majorité de l'Assemblée nationale et la majorité du Sénat sur ce texte.
Bien entendu, nous partageons la position de la majorité de l'Assemblée nationale et nous ne pourrons donc pas voter le texte issu des travaux du Sénat, et ce pour les mêmes raisons qu'en première lecture, puisque le texte est quasiment le même.
Nous pensons que toute la dynamique qui était insufflée par le projet de loi sur le pays est cassée par la rédaction sénatoriale.
Nous pensons en particulier que le rejet des conseils de développement supprime toute référence à un projet partagé par les acteurs socio-économiques du pays, et que le pays ainsi défini n'a plus gand sens.
Nous pensons que la volonté de maintenir les services publics dans l'ensemble de la France n'est, dans le projet sénatorial, qu'un effet d'annonce, sans que soient prévus les moyens nécessaires. En effet, je lis très clairement, dans cette rédaction, la volonté de ne pas se pencher sur le statut de La Poste, ce qui est pourtant nécessaire - il faudra présenter un texte par la suite - la volonté de ne pas maintenir l'équilibre du secteur des télécommunications, la volonté d'ouvrir les réseaux ferrés, c'est-à-dire le service public, à d'autres acteurs économiques.
M. Gérard Larcher, rapporteur. C'est nécessaire !
M. Jacques Bellanger. Tout cela ne va pas dans le sens du maintien des services publics sur l'ensemble du territoire.
Je lis aussi dans cette rédaction une volonté insuffisante d'instaurer la démocratie. L'établissement de deux collèges, la suppression des conseils de développement, le recours à ce que nous avions appelé, si mes souvenirs sont exacts, une « démocratie coca-cola », en faisant adopter les schémas dans un rapport annexé sans valeur normative, sont autant d'éléments qui ne nous paraissent pas favorables à la consultation la plus large en matière d'aménagement du territoire.
Enfin, s'agissant des schémas directeurs, la majorité du Sénat s'est sans cesse référée à la notion d'équipement, ayant cependant le plus grand mal, bien qu'elle s'est gardée de le dire, à la remplacer par la notion de service.
Telles sont les principales critiques que nous portons sur l'ensemble des articles qui viennent d'être adoptés par le Sénat.
Incontestablement, nous sommes beaucoup plus proches du texte qui a été adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture : nous ne pourrons donc pas voter le texte modifié par la majorité du Sénat.
M. le président. La parole est à M. Hoeffel pour explication de vote.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le débat qui vient d'avoir lieu en nouvelle lecture sur ce texte a fait apparaître - ce n'est pas une surprise - des approches différentes entre le Gouvernement et la majorité du Sénat quant à la manière de concevoir une véritable politique d'aménagement du territoire.
Le débat n'en a pas moins été approfondi, et je tiens à remercier le rapporteur, M. Gérard Larcher, qui, avec une énergie toujours renouvelée, a défendu une fois de plus ses convictions tout au long de ce débat.
J'ai retenu de ce débat quatre points sur lesquels il y a peut-être divergence, mais sur lesquels une réflexion a été engagée qui devra nous servir dans la phase de mise en oeuvre de la politique d'aménagement du territoire.
Je pense au problème des infrastructures. Je ne crois pas, et je reviens là sur les propos de notre collègue M. Jacques Bellanger, qu'il est de la volonté de la majorité sénatoriale de concevoir une politique d'aménagement du territoire sous le seul angle des équipements des infrastructures de transport.
Les infrastructures constituent certes un volet important, mais le volet économique l'est aussi, de même que le volet environnement dont nous ne nions pas, bien au contraire, l'importance car, je le rappelle, une politique d'aménagement du territoire est fondée sur un équilibre entre la nécessité de poursuivre une politique de développement de l'emploi et de l'équipement et celle de mener aussi une politique de l'environnement. Oubliez l'un en ne pensant qu'à l'autre, ce serait passer à côté d'une politique durable d'aménagement du territoire.
Le deuxième débat - c'est un débat éternel - portait sur l'équilibre entre le rural et l'urbain.
Nous devrons veiller à éviter toute opposition entre les agglomérations, telles qu'elles découlent du projet de loi relatif à l'intercommunalité, et les pays, tels qu'ils se dégagent de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.
Il existe une interdépendance. Il doit y avoir une étroite complémentarité et une solidarité car l'aménagement du territoire a besoin que les zones rurales et les zones urbaines coopèrent, ne soient pas séparées les unes des autres ou divisées les unes contre les autres.
Pour ce qui est du troisième grand thème, les services publics, je serai moins pessimiste.
Comme nous le savons, les services publics constituent un des éléments qui contribuent à irriguer notamment les zones rurales et les zones urbaines en difficulté. D'ores et déjà, sur ce plan, des coopérations sont engagées entre l'Etat, les sociétés de services publics mais aussi les collectivités territoriales, qui apportent souvent une contribution non seulement morale mais aussi très concrète sur le plan financier.
Une fois ce texte adopté - et notre groupe votera naturellement le texte proposé par la commission spéciale - au-delà de nos sensibilités et de nos convictions, nous devrons veiller à la mise en place sur le terrain d'une politique d'aménagement du territoire équilibrée. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Emmanuel Hamel. C'est la voix de l'éloquence, de la sagesse et de l'Alsace réunies !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de remercier M. Jean François-Poncet pour la manière dont il a dirigé et organisé les travaux de la commission spéciale.
Avec MM. Claude Belot et Charles Revet, qui se sont joints à nous pour cette traversée, nous naviguons ensemble depuis un certain temps ; nous estimons en effet que l'aménagement et le développement du territoire sont un enjeu essentiel pour notre pays, pour son insertion dans l'Europe et pour la vie quotidienne de chacun de nos concitoyens, pour lesquels nous aspirons à plus d'égalité et à plus d'équilibre.
Dans notre esprit, nous n'avons jamais séparé territoire urbain et territoire rural. Dès 1994, nous avons considéré que les difficultés de certains territoires ruraux et urbains se rejoignaient.
N'oublions pas ce texte dont nous avons débattu en décembre 1994, la loi du 4 février 1995 ; elle reste pour nous le socle de la réflexion conduite au cours de la décennie précédente, elle a d'ailleurs débouché sur le pacte de relance pour la ville.
Nous avions en effet une vision globale du territoire et nous avions réussi à la faire partager, naturellement, par le Gouvernement, cher Daniel Hoeffel, mais aussi par nos collègues de l'Assemblée nationale.
Mais la météo de ce printemps 1999 est quelque peu différente de celle de l'hiver 1994, les vents sont moins puissants et nous avons dû tirer des bords pour tenter d'avancer.
Nous avons abordé la discussion de ce projet de loi non pas avec la volonté de nous opposer, de ne pas prendre en compte un certain nombre de réalités, certaines difficultés d'application de la loi du 4 février 1995 ou de nouvelles nécessités, mais avec le désir d'aboutir à tel point, d'ailleurs, que certains de nos amis politiques craignaient quelques problèmes. Pour nous, il n'y avait pas de problème politique, seule notre volonté d'aboutir comptait.
Je voudrais maintenant remercier l'ensemble des membres de la commission spéciale et de la Haute Assemblée, car nous avons, je crois, dialogué, discuté, débattu. Si nous nous sommes parfois opposés, nous avons toujours respecté les convictions des uns et des autres.
Je remercie également nos collaborateurs de l'esprit d'équipe dont ils ont su faire preuve et de l'aide technique qu'ils nous ont apportée, ainsi que la présidence et tous les services du Sénat.
Notre travail prolonge la loi du 4 février 1995. Quelque soit son destin, il servira de référence pour nos réflexions de demain.
Selon nous, le conservatisme est plutôt du côté de l'Assemblée nationale et la modernité du côté du Sénat.
En effet, qu'on le veuille ou non, la loi ne permettra pas de transcender l'opposition entre espace rural et espace urbain, entre pays et agglomération. Nous avons voulu faire une « suture » entre des éléments du territoire qu'il ne convient pas d'opposer. Mais nous avons raté d'une manière quasi caricaturale le volet économique, indispensable levier de l'aménagement du territoire.
C'était déjà une des faiblesses de la loi du 4 février 1995. Je l'assume seul car, à l'époque, nous ne lui avions pas donné des moyens économiques suffisants.
Selon M. Bellanger, il faut, préserver à tout prix l'entreprise nationale SNCF. Il faut se cramponner au service public selon les schémas d'hier. Selon moi, ce n'est pas cela défendre le service public.
Le territoire a besoin du service public. Nous avons besoin d'entreprises publiques. Mais il faut leur donner les moyens d'être performantes.
Par ailleurs, l'expérience de la régionalisation des transports ferroviaires à laquelle vous étiez hostiles, messieurs de l'oppostion sénatoriale, est, chacun le sait, l'une des voies extrêmement positives de développement et d'aménagement du territoire sur le plan des infrastructures.
Cessons d'avoir peur de l'avenir et de nous agripper à des schémas du passé. J'ai vraiment le sentiment que la majorité sénatoriale est plus tournée vers l'avenir que d'autres.
Lorsque le Gouvernement oppose une fin de non-recevoir à l'équipement des collectivités territoriales en télécommunications à haut débit, il tourne le dos à l'avenir.
Mes chers collègues, je crois que nous avons manqué ce rendez-vous si les députés reviennent à leur texte initial, le Parlement ne devrait plus avoir l'occasion de débattre de l'aménagement et du développement du territoire pendant vingt ans. Cela n'est pas acceptable.
Aujourd'hui, nous avons tenté de donner à notre navigation, à laquelle il a manqué un peu de vent et un cap, un peu plus de force en bordant la toile. Mais nous avons le sentiment qu'il faudra un jour naviguer autrement.
Nous avions besoin de durée, de stabilité pour un grand texte traitant de l'aménagement du territoire. Il sera nécessaire d'y revenir le moment venu pour, ensemble, tracer le destin de notre pays et savoir quel territoire, quelle France nous voulons en Europe et dans le monde, car c'est aussi cela l'enjeu de l'aménagement et du développement du territoire. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Ce débat laissera à tous ceux qui, au Sénat, y ont participé un goût amer. Néanmoins madame la ministre, je voudrais vous remercier d'avoir été au banc du Gouvernement constamment.
Je souhaite également adresser mes remerciements à M. le rapporteur. On en a dit beaucoup de bien, et c'est mérité.
N'oublions pas que nous avons eu très peu de temps pour examiner ce texte déclaré d'urgence. Il a fallu travailler à marche forcée. Or, nul dans un exercice de ce genre ne peut dépasser M. Gérard Larcher.
Nous avons donc pu mener notre travail à bien, aidés en cela, il faut le relever, par une équipe à laquelle, moi aussi, je veux rendre hommage.
Mes chers collègues, le seul fait que le Gouvernement ait choisi de déclarer l'urgence sur ce projet de loi qui, à l'évidence, aurait exigé de longs débats, beaucoup de sérénité, de nombreuses navettes entre les deux assemblées, annonçait la couleur : il n'y aurait pas beaucoup de dialogue.
La vérité, c'est qu'il n'y en a pas eu du tout. Cette constatation m'attriste évidemment. Nous savons tous en effet que l'aménagement du territoire est l'une des préoccupations premières dans les départements que nous représentons. Le fait que le dialogue sur ce sujet n'ait pas pu se nouer me paraît particulièrement regrettable pour la France et pour ses chances en Europe.
Au total, occasion manquée, refus du dialogue de la part du Gouvernement et très faible ouverture de la part de nos collègues de l'opposition sénatoriale.
M. Bernard Piras. C'est caricatural !
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Non, ce n'est pas caricatural !
Je voudrais rappeler que la plupart des dispositions de la loi de 1994, particulièrement les mesures importantes, avaient été adoptées ici à l'unanimité et personne ne peut dire le contraire ! Il y avait donc, à l'époque, une volonté d'ouverture et de dialogue qui n'a pas existé aujourd'hui.
Je suis convaincu que, si nos collègues socialistes nous avaient aidés à faire cheminer quelques idées, le dialogue aurait pu se nouer. Je le dis en le regrettant, mais chacun, naturellement, est libre de son comportement.
Notre collègue M. Bellanger, avec qui nous entretenons par ailleurs les meilleures relations au sein de la commission, a même été obligé de faire un grand effort de dialectique pour justifier le rejet de la plupart des dispositions que nous avons souhaité soumettre au débat.
Le résultat, c'est que nous parvenons à un texte qui est à la fois déséquilibré et pauvre.
Le premier déséquilibre se situe, vous le savez bien, entre le Gouvernement et le Parlement. Les schémas des services, qui constituent 80 % ou 90 % de ce qui va rester de la loi sur le terrain, seront arrêtés par décret. Dans la mesure où il ne subsiste plus de schéma national, le Parlement ne sera plus consulté sur ces textes pourtant essentiels.
Alors quand vous prétendez que nous avons fait bon marché de la démocratie, mon cher collègue Bellanger, laissez-moi vous dire que c'est vous qui l'avez allègrement piétinée !
M. Emmanuel Hamel. Hélas !
M. Raymond Courrière. Il ne faut pas dire n'importe quoi ! Vous êtes minoritaires ! Arrêtez vos outrances !
M. Jean-François Poncet, président de la commission spéciale. Non ! Ce n'est pas une outrance ! Vous avez remis à l'exécutif, sans consultation préalable du Parlement, ce qui constitue l'essentiel de l'aménagement du territoire. Je n'aurais pas mentionné la démocratie si la balle ne m'avait pas été envoyée par M. Bellanger !
Je suis désolé, mais c'est bien vous qui avez employé le mot, monsieur Bellanger !
J'en viens au second déséquilibre, entre l'espace rural et l'espace urbain. Il suffit de lire Le Monde de ce soir pour se rendre compte que priorité est donnée à la ville ! Ne nous faites pas coiffer le bonnet d'âne de l'espace urbain ! Personne plus que notre rapporteur ne s'est occupé, au cours des dernières années, de la ville et des espaces périurbains.
Je regrette aussi le déséquilibre - que nous avons pourtant cherché à corriger par des propositions de compromis - entre l'équipement et le service, entre l'économie et l'environnement. Nous n'y sommes pas arrivés - je ne peux malheureusement que le constater - ou plutôt nous y sommes parvenus ici, mais nous savons bien ce qui se passera à l'Assemblée nationale !
C'est aussi un texte pauvre, un tissu de généralités dans lequel on n'a pas réussi, par exemple, à faire adopter une disposition qui avait pourtant fait l'unanimité au sein de toutes les associations et qui établissait un équilibre entre les différentes collectivités territoriales. La notion de chef de file a été écartée. Je n'ai pas encore compris pourquoi, si ce n'est pour que le Gouvernement la reprenne dans un texte ultérieur afin de s'en attribuer le bénéfice. On peut se poser la question !
Je regrette aussi énormément que les propositions visant à donner un vrai contenu économique, notamment en matière de créations d'entreprises - or, nous savons que ce texte est essentiel en la matière - aient été tout simplement balayées, au motif, nous a-t-on dit, qu'un autre projet de loi est en préparation. Espérons qu'il conviendra ! Mais si nos amendements rejoignaient certaines des idées du Gouvernement, pourquoi ne pas les avoir acceptés ?
Je viens d'apprendre, au détour d'une phrase, madame la ministre, que les autoroutes simplifiées étaient mortes, si j'ai bien compris. (Mme le ministre fait un signe de dénégation.) Alors redonnez-moi de l'espoir !
Bref, mes chers collègues, c'est un texte qu'il faudra remettre sur le métier...
M. Gérard Larcher, rapporteur. Eh oui !
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. ... et je le déplore ! En effet, en la matière, la stabilité, la durée d'un texte est essentielle.
Un texte a été élaboré en 1994, qui n'était pas parfait ; nous en sommes bien d'accord.
M. Raymond Courrière. Il n'a pas été appliqué !
M. Jean-François Poncet, président de la commission spéciale. Qu'on puisse l'améliorer, je ne dis pas le contraire ! Mais la loi dont nous héritons cette fois-ci devra également être remise sur le métier. En effet, ce n'est pas en tirant à hue et dia l'aménagement du territoire, de majorité en majorité, de gouvernement en gouvernement, que nous résoudrons les graves problèmes que rencontre la France en la matière. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Gérard Larcher, rapporteur. Très bien !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Vous ne serez pas étonnés que je ne reprenne pas à mon compte les descriptions caricaturales et apocalyptiques du président de la commission spéciale. D'ailleurs, dans cette affaire, je ne sais pas qui a eu à accomplir les plus grands efforts de dialectique.
M. Emmanuel Hamel. Quels adjectifs, madame le ministre !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Oh ! monsieur Hamel, vous qui opposiez tout à l'heure les amoureux de béton et les patriotes !
M. Emmanuel Hamel. C'est une vérité historique ! Vous, vous répondez par des adjectifs insupportables !
M. Raymond Courrière. Mais non, c'est la vérité qui vous fâche !
M. Emmanuel Hamel. Pas du tout !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je ne relèverai pas à nouveau tous nos points de désaccord !
Pour ma part, je m'en tiendrai à trois points.
Tout d'abord, je me suis engagée en première lecture, et j'ai renouvelé ici cet engagement, à mener avec vous et avec les députés un débat sur les conditions d'une bonne articulation entre les exigences d'un aménagement équilibré du territoire national et les conséquences nées de la poursuite de la construction européenne. Je crois que nous devons réfléchir à la forme de ce débat, qui est réellement important pour les années à venir.
Ensuite, j'ai bien noté votre souci d'échanger de façon approfondie et de travailler sur les moyens d'une discrimination positive en faveur de certains territoires en difficulté. Il convient de réexaminer ces dispositifs et de revoir avec vous les critères objectifs, équitables, d'une évolution des zonages.
C'est l'engagement que j'ai pris déjà non seulement devant le Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire, mais également devant vous. La meilleure forme serait en effet que votre commission des affaires économiques et du Plan auditionne la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement le moment venu. Cela relève bien évidemment de votre responsabilité exclusive.
Enfin, j'ai bien noté un souci, partagé sur l'ensemble de ces travées, d'un travail sur les conditions d'un développement économique fondé sur les ressources propres de ces territoires ; je ne parle pas uniquement de l'environnement et de la nature ; je vise bien toutes les forces vives de ces territoires, y compris dans les domaines industriel, artisanal, commercial notamment.
J'aimerais qu'on puisse prendre en compte les expériences qui sont menées au niveau local et qui, parfois, n'ont d'ailleurs plus grand chose d'expérimental, puisqu'elles sont mûres pour passer à la vitesse supérieure. J'ai bien noté tout le bienfait que l'on pourrait tirer de l'utilisation du travail mené dans le secteur de l'économie alternative et solidaire et dans celui des comités de bassin d'emploi ou des agences de développement au niveau local. J'aimerais que nous soyons capables de trouver les lieux pour approfondir la réflexion en la matière.
Je ne peux pas, vous le comprendrez, reprendre à mon compte l'analyse de M. Jean-Pierre Raffarin sur les textes que prépare le Gouvernement. En revanche, au nom d'Emile Zuccarelli, de Marylise Lebranchu et du Gouvernement tout entier, je crois pouvoir faire état de notre disponibilité pour améliorer encore ces dispositifs afin qu'ils collent à la réalité, à vos besoins, et qu'ils permettent de faire face à notre souci commun de créer et de maintenir des emplois et des activités dans les zones difficiles du territoire.
Je terminerai en remerciant l'ensemble des sénateurs qui ont contribué à notre réflexion avant et pendant la discussion de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

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