Séance du 8 avril 1999







M. le président. Par amendement n° 460 rectifié, M. Arnaud propose d'insérer, avant l'article 42, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le premier alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Le représentant de l'Etat dans le département doit préalablement à la saisine du tribunal administratif attirer l'attention de l'autorité communale ou intercommunale sur les illégalités entachant un acte. Dans ce cas, l'autorité communale dispose d'un délai de huit jours pour le rectifier. »
La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud. La rectification porte tout simplement sur le fait qu'il s'agit pour le préfet, dans ma proposition, d'attirer l'attention non seulement de l'autorité communale, mais aussi de l'autorité intercommunale.
Nous connaissons la complexité à la fois de la législation et des textes réglementaires. Au travers des débats mesurés que, dans tous les domaines, nous compliquions un peu plus, même si, quelquefois, nous cherchions à simplifier, nous avons réaffirmé, de façon très claire, la responsabilité et la liberté des élus. Nous savons bien aussi que les élus ne sont pas des spécialistes du droit.
Ma proposition consiste donc seulement non pas à autoriser, mais à imposer aux préfets qui sont chargés du contrôle de légalité, avant de saisir le tribunal administratif, d'informer les exécutifs des collectivités locales d'un acte qui pourrait être entaché d'illégalité afin de permettre aux responsables de revoir leur copie.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. M. Arnaud pose un problème qui est au coeur de nos préoccupations, celui de la sécurité juridique des élus, et que tous les élus rencontrent en permanence à l'occasion du nombre croissant d'actes de gestion qu'ils accomplissent.
M. Arnaud essaie de résoudre ce problème en réintroduisant le contrôle a priori par l'autorité préfectorale.
Si nous devons avoir le souci d'arriver à une meilleure sécurité juridique - et vous avez bien fait de poser le problème en cet instant pour sensibiliser à nouveau le Gouvernement - faut-il pour autant revenir sur des acquis de la décentralisation et réintroduire un contrôle a priori ?
La commission des lois ne le pense pas. C'est la raison pour laquelle, tout en vous répétant combien il était important qu'en cet instant vous posiez le problème et que le Gouvernement y soit à nouveau sensibilisé, je souhaite, monsieur Arnaud, que vous puissiez envisager le retrait de votre amendement.
M. le président. Monsieur Arnaud, accédez-vous à la demande si gentiment exprimée de M. le rapporteur ?
M. Emmanuel Hamel. Plus que gentiment : éloquemment demandée !
M. Philippe Arnaud. Je souhaite préalablement entendre l'avis du Gouvernement, monsieur le président.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. M. Arnaud aborde un problème qui est réel et qui est vécu par un certain nombre d'élus locaux. Mais il le fait à l'occasion de l'examen d'un texte qui traite de l'intercommunalité ; je crains que nous ne soyons éloignés du sujet.
Je voudrais surtout lui indiquer que, outre le retour en arrière par rapport aux principes de la décentralisation, qu'entraînerait l'adoption de son amendement, celui-ci aurait deux conséquences inopportunes.
D'abord, le contrôle du préfet sur la légalité des actes serait amoindri, puisqu'il y aurait une formalité préalable à la saisine du tribunal administratif alors que les actes des collectivités locales sont exécutoires dès leur transmission au représentant de l'Etat. En effet, à partir du moment où un acte est exécutoire, le préfet a la possibilité de le déférer devant le tribunal administratif. Nous reviendrions donc sur des avancées de 1982.
Ensuite, cet amendement viderait de son sens l'exercice du sursis à exécution, dont le représentant de l'Etat, le préfet en l'occurrence, peut assortir son recours, notamment lorsque l'acte attaqué est de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou d'une liberté individuelle. Dans ce cas-là, le tribunal administratif doit se prononcer dans un délai raccourci, qui est de quarante-huit heures.
Voilà pourquoi cet amendement, s'il part d'une bonne préoccupation, a des conséquences à la fois juridiques et politiques, au sens large, dans l'esprit de la décentralisation, qui nous paraissent négatives.
M. le président. Maintenez-vous l'amendement n° 460 rectifié, monsieur Arnaud ?
M. Philippe Arnaud. Monsieur le président, je vais le retirer...
M. Alain Vasselle. Je le reprends, monsieur le président !
M. Philippe Arnaud. ... mais, auparavant, je tiens à préciser que je ne suis pas tout à fait satisfait de la réponse de M. le secrétaire d'Etat, ni d'ailleurs de celle de M. le rapporteur.
Le problème est réel. Ni dans la formulation de ma proposition ni dans mon esprit, il ne s'est agi, et à aucun moment, de rétablir le contrôle a priori . Il s'agit seulement d'introduire ce que l'on pourrait appeler un devoir d'information de la part des préfets, sinon un devoir de conseil.
Je rappelle que le préfet ne fait qu'apprécier, à un moment donné, ce qui est susceptible d'être entaché d'illégalité. Pourquoi défère-t-il au tribunal administratif ? C'est parce qu'il ne lui appartient pas, à lui, de se prononcer sur la légalité ou sur l'illégalité. C'est bien au tribunal ou au juge qu'il revient de le faire.
Par voie de conséquence, il ne me paraîtrait nullement contradictoire avec la décentralisation d'introduire une disposition qui permettrait au préfet d'attirer l'attention de l'autorité communale sur le fait que l'acte qu'elle vient de prendre court un risque majeur d'être entaché d'illégalité. Après quoi, libre aux élus de tenir compte ou non du conseil, de confirmer leur décision ou de la corriger.
Cela permettrait d'éviter un certain nombre de procédures.
C'était le sens de ma proposition.
Je retire l'amendement n° 460 rectifié en souhaitant, monsieur le secrétaire d'Etat, que d'autres solutions soient trouvées pour éviter qu'un peu trop souvent les élus, quelle que soit leur bonne volonté, ne se retrouvent devant les tribunaux.
M. le président. L'amendement n° 460 rectifié est retiré.
Monsieur Vasselle, vous avez émis le souhait de le reprendre ?
M. Alain Vasselle. Tout à fait, monsieur le président.
M. le président. Il s'agit donc de l'amendement n° 460 rectifié bis.
La parole est à M. Vasselle pour le défendre.
M. Alain Vasselle. Je fais partie des élus de la Haute Assemblée qui ont connu la difficulté à laquelle se sont trouvés confrontés nombre de maires de mon département dans le cadre de procédures administratives, en particulier de procédures liées à des marchés publics.
Je suis, quant à moi, persuadé que, si le contrôle de légalité avait fait son travail en temps et en heure et préalablement à l'exécution de ces délibérations, les dix-huit ou vingt collègues qui ont fait l'objet d'une mise en examen auraient pu éviter de se trouver dans cette situation. Si le préfet, ou le sous-préfet de l'arrondissement, avait appelé leur attention sur leurs délibérations qui pouvaient être entachées d'une certaine forme d'illégalité, ils auraient peut-être pu rapporter leur décision.
Mes chers collègues, il ne nous est pas interdit de revenir sur les lois de décentralisation si nous sommes amenés à constater l'effet pervers de certaines dispositions.
Le problème ne risque pas tellement de se poser pour des communautés d'agglomération, des communautés urbaines ou des grandes villes, voire des communes moyennes, qui ont les moyens de se payer un service juridique, un conseil juridique ou du personnel compétent en la matière, lesquels pourront les mettre en garde contre les erreurs qu'ils pourraient commettre dans l'application des règlements et des lois.
Mettez-vous à la place des maires de petites communes rurales au regard de la complexité des textes ! Malgré eux et en toute bonne foi, il leur arrive de faire un faux pas. Or le préfet et le sous-préfet pourraient les aider à l'éviter.
La proposition de nos collègues ne consiste pas à rétablir systématiquement le contrôle a priori sur les actes et délibérations des collectivités. L'amendement dit : « Le représentant de l'Etat dans le département doit préalablement à la saisine du tribunal administratif attirer l'attention de l'autorité communale ou intercommunale sur les illégalités entachant un acte. » Par conséquent, le préfet a déjà décelé une erreur potentielle dans un acte commis par un maire ou son conseil municipal.
Je poursuis la lecture de l'amendement : « Dans ce cas, l'autorité communale dispose d'un délai de huit jours pour le rectifier. »
Certes, ce n'est pas, mes chers collègues, parce que le préfet ou le sous-préfet aura fait connaître au maire qu'il risque de se trouver dans l'illégalité s'il maintient sa délibération que, pour autant, il bénéficiera d'une couverture juridique complète.
Ainsi, notre collègue Louis Souvet m'a confié en aparté, voilà peu de temps, qu'à propos d'une délibération qu'il avait préparée en accord avec le préfet et le sous-préfet de l'arrondissement, il avait eu beau faire état de cette concertation, on lui avait répondu que l'aval du préfet ne constituait pas une couverture juridique pour le maire si celui-ci avait commis une erreur.
Toutefois, si cet aval peut éviter à un certain nombre de maires de faire un faux pas et de se trouver dans une situation inconfortable, il ne faut pas hésiter à le prévoir en attendant que de nouvelles dispositions soient prises.
Par cet amendement, c'est un appel que nous lançons au Gouvernement pour qu'il nou sinvite à légiférer le plus rapidement possible sur le problème de la responsabilité pénale des maires. N'attendons pas davantage ! Il n'y a pas que le problème de la présomption d'innocence à traiter, il y a aussi celui de la responsabilité pénale des maires.
Il me paraît donc important, au moins en termes d'affichage, que cet amendement soit voté, quitte à ce qu'il soit rejeté. C'est la raison pour laquelle je le reprends et demande à la Haute Assemblée de se prononcer.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n0 460 rectifié bis .
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Cet amendement me paraît en effet relativement intéressant. Je partage tout à fait l'avis de mon collègue M. Arnaud.
De toute façon, il reprend un usage qui se pratique déjà : le préfet ou le sous-préfet, très souvent, avant de saisir le tribunal administratif ou la juridiction compétente, se mettent en rapport avec le maire. Cet usage devrait être généralisé ; c'est ce que propose cet amendement.
J'ai eu personnellement, je ne vous le cache pas, des problèmes à propos du service d'enlèvement des ordures ménagères. Le préfet m'a dit qu'il allait me déférer au tribunal administratif en arguant du principe de proximité, sur lequel la législation est excessivement floue. Nous avons décidé d'un commun accord qu'il me traduirait de toute façon devant le tribunal administratif de façon à créer une jurisprudence et à apporter notre contribution à la précision de certaines notions.
Or, pour nombre de maires, le fait que les préfets se mettent en rapport avec eux serait certainement une bonne chose. Ils le font systématiquement avec nous qui sommes maires et parlementaires. Je souhaiterais qu'ils le fassent aussi avec les autres maires. Voilà pourquoi cette proposition me semble aller dans le bon sens.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Cette discussion me semble un peu surréaliste. Nous sommes en train de confondre deux juridictions : la juridiction administrative et la juridiction pénale.
L'amendement ne concerne que le tribunal administratif, et ce n'est pas parce qu'un préfet vous aura autorisé, conseillé, que vous serez garanti sur le plan pénal. C'est l'évidence. Certes, le préfet joue son rôle de conseil et de garant de la légalité. Il demande aussi de nombreuses explications. Je reçois sans cesse des demandes d'explication - d'ailleurs, cela me lasse un peu parfois - sur des sujets sur lesquels les préfets sont particulièrement attentifs, comme les marchés, les emplois, les contrats... Sur ce plan, le préfet joue son rôle. Qu'il ne voie pas tout passer, c'est évident. Qu'il ne soit pas juge de la légalité absolue des actes des élus, c'est aussi évident. En tout état de cause, cette procédure ne saurait protéger les élus sur le plan pénal.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Mes chers collègues, je voudrais appeler votre attention sur la signification de la disposition proposée.
Alors que nous nous situons dans une optique de décentralisation, elle fait intervenir le préfet dans un rôle nouveau, qui, à mon sens, ne doit pas lui être nécessairement conféré. Je ne vois pas, en effet, en quoi ce peut être d'une utilité quelconque.
Déjà, en l'état actuel des choses, le préfet ne manque pas, bien souvent avec une constance remarquable, de marquer, ou de tenter de marquer ses prérogatives à l'égard des élus que nous sommes en les avertissant, en les prévenant, en leur faisant savoir que telle ou telle décision ne correspond peut-être pas à la conception qu'il a de l'intérêt général. Mais, en ce qui nous concerne, nous faisons ce que nous pensons devoir faire, c'est-à-dire que nous prenons nos décisions dans le cadre de nos responsabilités. Nous sommes responsables, nous prenons nos décisions, et je ne sache pas que les élus locaux souffrent d'une quelconque déficience juridique ou intellectuelle !
Je dois dire également que, dans certains départements, les élus locaux ont l'habitude de demander conseil à leurs parlementaires. Certes, nous sommes là pour ça ; ils s'adressent à nous, ils nous demandent ce qu'il faut faire, ce que nous pensons de tel ou tel de leurs problèmes, et nous sommes bien armés pour leur faire savoir, à titre de conseil amical et bénévole, ce qui nous paraît devoir être fait. Mais ce n'est jamais qu'un conseil.
Cette prérogative que l'on voudrait donner au préfet ne débouchera sur rien, sur aucune procédure juridique concrète. C'est une sorte d'invitation faite à l'élu et au préfet de se rencontrer et de s'écouter. Mais, enfin, c'est la pratique quotidienne !
Nous éprouvons déjà suffisamment de difficultés à mettre dans ce texte des dispositions qui correspondent à ce que nous voulons faire, à ce que nous voulons sauvegarder - et je suis persuadé que nous y arriverons grâce au travail que nous sommes en train d'accomplir - pour ne pas le surcharger avec des dispositions qui, je le répète, n'auront aucun effet juridique concret et qui ne garantiront absolument aucune sécurité à l'élu qui aura reçu le conseil.
En effet, lorsqu'une procédure contentieuse interviendra, peut-être le préfet aura-t-il changé, et l'on ne se souviendra plus qu'il aura donné un conseil en temps utile. De toute manière, ce conseil n'engageait que lui et n'impliquait aucune responsabilité de sa part, alors que la dignité de l'élu, c'est de prendre ses responsabilités dans le cadre de la loi. C'est ce que nous faisons lorsque nous décidons ; après, intervient le contrôle de légalité, ce qui est tout à fait normal. Notons d'ailleurs que, du contrôle de légalité, nous en faisons ce que nous entendons !
Nous pouvons aussi avoir pour pratique - je ne la cite pas en exemple - de refuser tout contrôle de légalité et d'aller systématiquement devant le tribunal administratif, ce qui, du reste, aboutit à de bons résultats, puisque l'on gagne dans 90 % des cas !
M. Jean-Jacques Hyest. Cela diminue d'autant les saisines du tribunal administratif par l'autorité préfectorale ! (Sourires.)
M. le président. Monsieur Vasselle, l'amendement n° 460 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Alain Vasselle. Je remercie M. le président de la commission des lois d'être intervenu et de nous avoir éclairés au moins sur un point, que j'avais d'ailleurs évoqué dans ma propre argumentation, à savoir qu'en aucun cas cette disposition n'assurerait la protection juridique du maire.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Nous sommes bien d'accord !
M. Alain Vasselle. Aussi, dans la mesure où nous risquons de répandre une illusion chez les élus locaux à travers cette disposition, je préfère retirer l'amendement.
Mais soyez sûrs, mes chers collègues, que je reviendrai à la charge dans le cadre d'autres discussions, car il y a urgence à légiférer en la matière !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. On vous fait confiance ! (Sourires.)
M. le président. L'amendement n° 460 rectifié bis est retiré.

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