Séance du 1er avril 1999






RENFORCEMENT ET SIMPLIFICATION
DE LA COOPÉRATION INTERCOMMUNALE

Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le ministre, avant d'entrer dans le vif de notre débat, je souhaite m'attarder un instant sur les conditions dans lesquelles ce projet de loi - capital, convenons-en - nous parvient : une fois encore, et alors qu'il vient de faire de même avec l'aménagement du territoire, lequel est d'ailleurs fort voisin de l'intercommunalité, le Gouvernement a déclaré l'urgence sur un projet de loi.
Je ne suis pas le premier, monsieur le ministre, à regretter cet état de fait ; le président de la commission des lois s'en est déjà ouvert à vous lors de votre audition. Cette habitude, qui commence à devenir fâcheuse, peut, sur des sujets comme celui-là, se révéler dangereuse.
Est-il franchement sérieux qu'un texte qui contient plus de 90 articles, qui a suscité le dépôt de plus de 500 amendements, ne fasse l'objet que d'une lecture unique ?
Vous avez justifié, monsieur le ministre, la déclaration d'urgence de votre projet de loi par le fait que celui-ci reprenait pour partie celui de votre prédécesseur, lequel avait fait l'objet d'une large concertation et que vous souhaitiez par ailleurs qu'il soit adopté avant la fin de l'année.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le sénateur ?
M. Paul Girod. Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. En effet, monsieur le sénateur, il m'est apparu que, si l'on voulait permettre aux collectivités locales d'utiliser judicieusement la manne des 500 millions de francs prévue en l'an 2000, il fallait leur donner le temps d'opérer quelques simulations avant de prendre un certain nombre de décisions ; je pense notamment aux décisions de transformation qui sont permises par le projet de loi.
Si l'on veut véritablement qu'avant la fin de l'année de telles décisions puissent être prises, il y a réellement urgence. C'est un second argument qui s'ajoute au premier.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le ministre, j'ai évoqué les deux arguments.
Vous avez repris une partie des idées de votre prédécesseur et nous en sommes tous ravis. Mais, que je sache, les idées de M. Perben n'ont jamais fait l'objet d'un quelconque examen par notre assemblée. Ne nous sont parvenues que des rumeurs, mais aucune information officielle.
Bien sûr, nous sommes favorables à toute forme de concertation, notamment lorsqu'il s'agit de prendre, au préalable, la mesure de ce que ressentent nos concitoyens pour imprégner nos travaux. Cela dit, peut-on y être aussi favorable lorsqu'il s'agit, par la suite, d'invoquer ladite concertation pour raccourcir les débats ? Ma réponse est clairement négative, car qui dit concertation ne dit pas première lecture !
En ce qui concerne votre souhait de voir le texte adopté avant la fin de l'année, permettez-moi de vous dire que l'argument me semble faible, puisqu'il aurait pu être satisfait sans qu'il soit nécessaire de recourir à la procédure d'urgence.
Ainsi, sur un texte dont l'urgence est peut-être encore pire - je pense au PACS - l'Assemblée nationale délibère aujourd'hui, en deuxième lecture, alors que nous avons examiné ce projet voilà moins de dix jours. Le retour au Sénat, après une navette, du texte sur l'intercommunalité ne nous aurait nullement conduits à des échéances telles que celles que vous avez évoquées en filigrane.
Vous savez que le Sénat, qui est, par sa nature constitutionnelle, l'assemblée le plus au fait des problèmes de gestion des collectivités territoriales, aborde ce débat dans un esprit largement constructif.
Nous pensons que, pour légiférer en dernier ressort, si cela doit être le cas - et je ne le souhaite pas - l'Assemblée nationale a absolument besoin de connaître les apports et les réflexions du Sénat.
Monsieur le ministre, puis-je me permettre de vous rappeler que la convocation d'une commission mixte paritaire avant une nouvelle navette n'est nullement obligatoire et que le Gouvernement, à l'éclairage de ce qu'auront été les débats, peut parfaitement laisser une nouvelle navette se dérouler ? A mon avis, ce faisant, il s'honorerait.
Monsieur le président, je referme là une parenthèse que je regrette d'avoir eu à ouvrir et j'en viens au fond du débat.
J'indiquais à l'instant, monsieur le ministre, que l'aménagement du territoire et l'intercommunalité étaient liés, voire étroitement liés. Permettez-moi de préciser ma pensée sur ce point.
Ces deux thèmes sont effectivement tellement proches que, dans l'esprit de nos collègues, ils ne font quasiment qu'un seul sujet. Je crains qu'il n'en soit malheureusement pas de même en ce qui concerne les membres du Gouvernement. Je ne vous cache pas que cette constatation m'inquiète quelque peu.
Avant-hier, Mme Voynet a reconnu devant nous que le texte de M. Chevènement ne traitait pas de l'agglomération tout à fait de la même manière que le sien. Elle nous a appris que l'examen consécutif des deux textes relevait en réalité d'une coïncidence. Curieuse conception de l'art de gouverner, permettez-moi de vous le dire !
Afin de ne pas placer le Gouvernement en porte-à-faux, les membres du groupe socialiste ont été contraints de s'abstenir sur un amendement de notre collègue M. Hoeffel, aujourd'hui rapporteur du texte sur l'intercommunalité, dont ils reconnaissaient pourtant la valeur, craignant que pour une même entité les deux textes n'en arrivent à des définitions différentes. Nous voilà tout de même devant une situation un peu paradoxale !
Mme Voynet a pourtant tenté de nous persuader qu'il n'existait pas d'incohérence entre ces deux projets de loi. Chacun a pu mesurer néanmoins, lorsqu'il s'est agi de déterminer les seuils contenus dans le projet de loi d'aménagement du territoire, que la solution n'apparaîtrait qu'au cours du présent débat. Bel exemple de coordination, permettez-moi de vous le dire de nouveau !
Au demeurant, monsieur le ministre, c'est une démarche louable que d'opérer en faveur de la simplification intercommunale.
Votre projet de loi comporte beaucoup de dispositions allant dans ce sens, et nous sommes nombreux ici à nous en réjouir. En effet, il est légitime d'aspirer à plus de transparence dans le fonctionnement des établissements publics de coopération intercommunale.
Pourtant, au regard de ces objectifs de simplicité et de transparence, la présence au sein du texte que nous examinons de certaines dispositions contraignantes me semble inconvenante.
J'ai consulté le dictionnaire de l'Académie française afin de connaître avec précision le sens du mot « coopération ». Ethymologiquement, ce terme vient du latin cooperari, qui signifie : « faire quelque chose conjointement avec quelqu'un ». Par coopérer, il faut par conséquent entendre « concourir à une oeuvre ou à une action commune ». Lorsque le mot « coopération » est employé en matière économique, il signifie « oeuvre collective fondée sur l'association dans le travail ». C'est réellement dans cet esprit de communauté d'association qu'ont été créées et existent aujourd'hui les structures de coopération intercommunale, qu'elles soient anciennes ou plus modernes.
Malheureusement, je crains, monsieur le ministre, que votre texte ne prenne pas vraiment en compte cet aspect volontariste. Or la réussite d'une entité intercommunale dépend vraiment de la volonté d'adhésion des communes concernées.
A cet égard, les majorités qualifiées prévues me semblent - mais peut-être mon opinion est-elle déviante ? - insuffisantes.
Je rappelle en effet, et cela est important, que le risque est de voir des communes associées au sein d'un établissement public de coopération intercommunale alors même qu'elles auront rejeté l'offre d'association.
Qu'il faille en passer par là dans certaines hypothèses, soit. Mais, à mon sens, ce cas ne peut et ne doit être qu'exceptionnel, car aucune coopération ne saurait être efficace si elle intervient sous la contrainte.
Vous avez cité, monsieur le ministre, le taux de 50 % de communes adhérant à ce jour à un organe de coopération à fiscalité propre. Le département de l'Aisne, que je représente ici avec d'éminents collègues, s'enorgueillit du fait que 85 % de ses communes se trouvent dans cette situation. C'est la conséquence du fait que, aucun schéma contraignant n'ayant été adopté, la création des structures s'y est faite dans une totale liberté et le plus souvent sur des projets communs réels.
C'est pourquoi j'accueille avec beaucoup de scepticisme les missions que le Gouvernement souhaite désormais confier au préfet en matière d'intercommunalité. Que le représentant de l'Etat soit à l'initiative de certaines créations, pourquoi pas ? Une telle démarche peut se révéler intéressante si elle revient à apporter une forme d'assistance ou de conseil aux communes concernées par cette éventuelle structure.
En revanche, que le préfet dispose d'un pouvoir discrétionnaire en ce domaine, c'est remettre en cause la légitimité des élus et, surtout, vider de son sens le terme « coopération », qu'il faudrait, à ce moment-là, remplacer par l'expression « association forcée ». Et je pèse mes mots, monsieur le ministre !
Les commissions départementales de coopération intercommunale ont un rôle à jouer. La commission des lois du Sénat en a tenu compte en prévoyant qu'elles auraient un avis à émettre lorsque la fixation du périmètre de l'EPCI serait diligentée par l'Etat.
Je souhaite que nous allions plus loin et que nous exigions que cet avis soit conforme, de façon que l'initiative d'Etat ne puisse être exercée en contradiction avec les orientations souhaitées par les élus locaux, seuls responsables devant la population.
Cette disposition, qui figure à l'article 21, n'est pas la seule à susciter des inquiétudes. Ce même article, monsieur le ministre, n'exclut pas, en fait, qu'une commune déjà membre d'un EPCI à fiscalité propre puisse être intégrée contre son gré dans un nouvel établissement, et ce alors même, d'une part, que l'article 18 interdit à une commune d'appartenir à plus d'un EPCI à fiscalité propre à la fois et, d'autre part, que le départ de cette commune risque de déséquilibrer ou de détruire la construction commune préalablement réalisée avec d'autres collectivités, dont on la contraint de divorcer.
Pour être franc, mes craintes ne se limitent pas aux incohérences que je viens d'évoquer. Elles sont parfois plus profondes.
Si les communautés d'agglomération devaient être amenées à rencontrer un réel succès, la création de ces nouvelles structures entraînerait presque automatiquement des conséquences néfastes à l'encontre des structures de taille plus modeste.
Comment en effet ne pas craindre l'attraction résultant de la création d'une communauté d'agglomération sur les communes périphériques ? Je redis que ces dernières, qui adhèrent quelquefois d'ores et déjà à une communauté de communes, vont voir par leur migration détruire tout un équilibre local péniblement construit depuis ces dernières années. Il y a là un point important sur lequel je me permets d'insister.
La loi d'orientation de 1992 avait créé la communauté de villes. Ainsi que notre rapporteur l'a rappelé, cette structure n'a suscité que peu d'engouement, essentiellement en raison des contraintes juridiques qui en accompagnaient la constitution.
Le Gouvernement nous propose de la supprimer pour y substituer une communauté d'agglomération, en espérant qu'elle rencontrera plus de succès. Cependant, si nous adoptions l'article 1er sans modification, nous refuserions d'office que certains départements voient naître cette nouvelle structure en raison de l'absence en leur sein d'une commune-centre de plus de 150 000 habitants. C'est un des aspects négatifs du texte. L'autre aspect est que certaines villes têtes de vrais bassins de vie - de vrais « pays », au sens du texte qui est par ailleurs en discussion - ne pourront avoir accès à cette amélioration, et cela faute de banlieue ! Au moment où les banlieues posent les problèmes que l'on sait, c'est tout de même un comble !
Or c'est ce manque de souplesse qui a tué dans l'oeuf les communautés de villes. Prenons garde à ne pas rééditer la même erreur !
Ce manque de souplesse se manifeste également dans la dévolution des compétences confiées aux communautés d'agglomération. Le système progressif qui est suggéré par notre rapporteur me semble beaucoup plus près de la réalité.
Cette question des compétences renforce mon hostilité à un rôle excessif du préfet. Force est en effet de noter à la fois leur étendue et leur flou.
Je ne prendrai qu'un exemple, celui du réseau routier, qui doit être d'« intérêt communautaire ». Qui sera juge final de cet intérêt ? Et quelles seront les voies de recours en cas de contestation ? Et quid des communes déjà regroupées pour leur voirie au sein de SIVOM ou de SIVU, ce qui aboutit à une double délégation de compétences ? J'aimerais beaucoup obtenir des réponses claires à ces questions.
Pour ce qui concerne la désignation des délégués des communautés urbaines, disons-le franchement, le texte tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale est inapplicable.
Je comprends le souhait exprimé par l'Assemblée nationale : instaurer plus de démocratie. Mais le système du petit signet sur les bulletins de vote me semble aventureux, d'autant que, si chaque liste met tous les signets en tête de liste, on se retrouvera, une fois les conseils municipaux élus, à n'avoir que des conseillers municipaux destinés à siéger au sein de l'instance intercommunale. Comment fera-t-on le tri ? Où est la transparence ? Tout cela est un peu étonnant !
Bien sûr, je comprends qu'il s'agit d'introduire plus de transparence dans des instances qui ont une autorité fiscale, mais je crois qu'il est encore trop tôt pour procéder ainsi.
Mes chers collègues, nous mesurons quotidiennement les difficultés liées au processus même de la décentralisation, qui est néanmoins indispensable ; n'allons pas troubler complètement les images en cours de route ! Des confusions existent d'ores et déjà dans l'esprit de nombreux électeurs au sujet des compétences exercées par les collectivités décentralisées. Nous sommes en train de les empiler comme si nous confectionnions un mille-feuilles, le ministre de l'intérieur tenant le rôle du pâtissier et nous celui du gâte-sauce ! (Sourires.) Je ne suis pas certain que ce soit la voie sur laquelle nous devions nous orienter si nous voulons être constructifs.
Il reste que l'applicabilité de l'ensemble du texte repose sur une profonde modification des règles fiscales. Bien entendu, nous touchons là à l'essentiel.
La taxe professionnelle unique constitue vraisemblablement un moyen efficace d'atteindre les objectifs que vous visez, monsieur le ministre, surtout dans les agglomérations denses.
Cependant, est-il raisonnable de faire de cet impôt, que d'autres textes commencent tout doucement à vider de sa substance, surtout au détriment des futures implantations - qui n'auront pas, en particulier, de référence « main-d'oeuvre » - le pivot, sinon le but réel, de la réforme ? Nous retrouvons là une de ces incohérences de conception dont j'ai relevé l'existence au début de mon propos.
Pour autant, le mode de prélèvement devra requérir une adhésion pleine et entière des entités concernées.
A cet égard, je partage l'avis de la commission des finances quant au caratère prématuré de la date choisie pour l'instauration du régime de droit, surtout avec l'influence excessive du préfet, que j'ai dénoncée tout à l'heure.
La présence de ces dispositions fiscales m'incite à rappeler une nouvelle fois que le succès de l'intercommunalité réside dans l'acquiescement des élus au projet de réforme. Les mesures proposées ne pourront être mises en place que progressivement, et avec l'assentiment de chacun.
S'agissant de la DGF, je me réjouis que soit révisé le mode de calcul du coefficient d'intégration fiscale pour chasser l'intercommunalité d'aubaine au profit de l'intercommunalité de projet - sur ce point, je n'ai jamais varié - d'autant que l'Assemblée nationale a tenu compte des délégations de second ordre, de nature opérationnelle, à des organismes de coopération de dimension supérieure.
Mais la réévaluation proposée par le Gouvernement, légèrement modifiée par l'Assemblée nationale, n'est pas réellement satisfaisante : ni par son financement ni par sa nature. D'un côté, des groupements percevraient 250 francs par habitant, tandis que d'autres verraient ce montant s'élever « généreusement » de 123 francs à 150 francs. Je parle sous le contrôle du président du comité des finances locales.
Franchement, cette disparité de traitement n'est pas acceptable. On peut comprendre que la dotation allouée aux communautés d'agglomération soit supérieure à celle dont bénéficieraient les communautés de communes en raison de l'étendue des compétences exercées, mais dans le flou et dans des conditions discutables. Cependant 100 francs d'écart, c'est vraiment trop !
Monsieur le ministre, la coopération intercommunale est un élément de progrès dans l'aménagement de notre territoire, dans la vie de nos communes, personne ne le nie. Mais elle doit être pensée en ayant en permanence à l'esprit les aspirations de nos communes.
Certaines des dispositions du texte que vous nous présentez ne répondent pas à cet objectif.
Nos commissions, plus particulièrement nos rapporteurs, qui ont effectué un travail impressionnant, nous proposent aujourd'hui un projet de réforme qui comble de nombreuses lacunes - nous essaierons individuellement d'améliorer le texte ici ou là - et qui traduit une réelle volonté d'impliquer l'ensemble des acteurs de la vie communale et le Sénat tout entier.
Aussi, avec la majorité des collègues de mon groupe, apporterai-je mon soutien au texte issu des travaux de notre assemblée si elle suit ses rapporteurs.
Je souhaite que la compréhension entre le ministre de l'intérieur, qui a en charge les collectivités locales, et le Sénat, encore grand Conseil des communes de France, avant de devenir peut-être le « petit Conseil des grandes collectivités »,...
M. le président. Quelle belle formule !
M. Paul Girod. ... soit la plus large et la plus profonde possible. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous le dis, renoncez à l'application de l'urgence. Ecoutez-nous, laissez s'ouvrir le dialogue, et nous ferons ensemble un travail constructif. C'est, je crois ce que nous souhaitons sur toutes les travées de cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà un titre de projet de loi prometteur puisqu'il est question de renforcement et de simplification !
Loi de simplification ? Permettez-moi d'en douter !
S'agissant du nombre de structures, la simplification est assez modeste puisque la DGF d'intercommunalité devra être partagée entre six types de groupements à fiscalité propre.
Quant à la simplification des outils, elle est aussi un peu illusoire, car elle s'exprime dans un jargon obscur. Il est, certes, très commode de parler de l'article 1609 nonies C, mais il faudrait au moins savoir s'il s'agit de taxe professionnelle unique, de taxe professionnelle d'agglomération, de taxe professionnelle unifiée d'agglomération. Même nos excellents rapporteurs n'ont pas totalememt unifié, en ce domaine, leur vocabulaire ! (Sourires.)
S'agit-il d'une loi de modernisation ? Le défi à relever n'est pas nouveau : l'intercommunalité a été une réussite et une chance pour nos communes rurales, mais elle se révèle mal adaptée aux zones urbaines. En effet, en raison de l'évolution des transports, des déplacements domicile-travail, la ville n'est plus une commune isolée ; elle n'est même plus l'agglomération bâtie continue. C'est une vaste zone urbaine. Les zones urbaines concernent aujourd'hui en France 43 millions d'habitants et 13 000 communes !
Là est le défi, parce que nous voulons, dans ces zones, conserver aux communes leur caractère de lieu de vie et d'intégration sociale mais nous ne voulons pas nier leur appartenance à une aire intégrée économiquement.
Or, jusqu'à présent, en tant que législateur, nous avons très largement échoué : avec la communauté urbaine, avec la communauté de villes, un peu moins avec le district. La question se pose de savoir si nous réussirons mieux avec la communauté d'agglomération, qui est apparemment très proche de la communauté de villes ?
J'examinerai d'abord rapidement le problème de la cohérence du concept de communauté d'agglomération pour ensuite souligner les difficultés que présente son application.
Monsieur le ministre, votre projet de base, à savoir la communauté d'agglomération, est-il cohérent ?
Ce projet s'appuie sur un socle fiscal, la taxe professionnelle unique. Je crois - et je partage à cet égard le point de vue que vous avez énoncé ce matin, monsieur le ministre - que la taxe professionnelle unique est la condition nécessaire de survie de la taxe professionnelle, c'est-à-dire d'un impôt local assis sur les activités économiques.
Or, actuellement, en zone urbaine, il faut bien le reconnaître, du fait de la parcellisation communale, on voit apparaître des sortes de « trous noirs » communaux où s'engouffrent les entreprises à la recherche d'un taux bas de taxe professionnelle. Un processus cumulatif s'enclenche, de telle sorte que les retombées fiscales, au lieu de profiter à l'ensemble de l'agglomération, unité économique, bénéficient seulement à quelques communes, au détriment, bien entendu, d'autres qui abritent les salariés de ces entreprises.
Il est certain que, si nous ne savons pas résoudre ce problème, c'est M. Joxe qui aura raison. C'est le Conseil des impôts qui triomphera. Ce sera la fin de la taxe professionnelle, qui sera transformée en une dotation d'Etat. Ce sera donc la fin des libertés communales parce qu'il n'y a pas de liberté sans compétences, certes, mais surtout sans ressources.
En aire urbaine, l'unification de la taxe professionnelle est cependant beaucoup plus difficile à réaliser qu'en zone rurale.
Un point me semble n'avoir jamais été souligné dans ce débat. Qui va supporter le choc de la taxe professionnelle ? Les entreprises ! Certes, certaines entreprises, particulièrement les entreprises localisées dans les centres-villes fortement imposés - banques, compagnies d'assurance, services à haute technicité - verront le taux de leur taxe professionnelle diminuer. Très nombreuses seront cependant celles qui verront le taux de leur taxe professionnelle s'accroître ; ce sera notamment le cas des industries des zones périphériques.
Il faut être extrêmement attentif au fait qu'une progression annuelle de 0,5 point de taxe professionnelle ne peut que se traduire, au terme de quelques années, par un poids extrêmement lourd, de sorte qu'il arrive souvent que les entreprises finissent par quitter les zones urbaines ; je l'ai constaté très fréquemment en Ille-et-Vilaine.
Tout cela emporte naturellement certaines conséquences sur la délimitation des communautés d'agglomération. Je suis tout à fait d'accord pour qu'il n'y ait pas d'enclave et que la communauté soit d'un seul tenant en pôle urbain. Mais, monsieur le ministre, il faut éviter - et j'ai préféré les propos que vous avez tenus ce matin à ceux que vous avez tenus dans d'autres enceintes - que le périmètre de la communauté d'agglomération soit systématiquement calqué sur celui de l'aire urbaine tout entière.
La communauté d'agglomération ne doit pas phagocyter toutes les zones périurbaines, en particulier les commaunautés de communes qui ont pu encercler le noyau central de l'agglomération. Je pense qu'il faut d'ailleurs laisser subsister un décrochage de taux de taxe professionnelle entre le centre de l'agglomération, d'une part, et la zone périphérique, d'autre part, ne serait-ce que dans une perspective d'aménagement du territoire.
Ce pouvoir fiscal immense que nous donnons à la communauté d'agglomération, à quoi servira-t-il ? Notre excellent rapporteur a dit qu'il fallait créer une intercommunalité de projet ; j'ajouterai qu'il faut instituer une intercommunalité de solidarité.
Intercommunalité de projet ? Oui, bien sûr, et les deux premières compétences obligatoires données aux communautés d'agglomération, qui concernent le développement économique de l'agglomération, sont parfaitement logiques. Mais il ne faudrait pas que, pour les autres compétences, la notion d'intérêt communautaire soit galvaudée. Il ne faudrait pas que l'on fasse progressivement remonter toutes les compétences au niveau de la communauté. Là comme ailleurs, il faut respecter le principe de subsidiarité.
Quand je vois remonter au niveau de la communauté des compétences comme les équipements scolaires, je m'interroge réellement sur cette notion d'intérêt communautaire. Il n'y a intérêt communautaire que lorsque les effets des équipements et des services qu'ils fournissent débordent les limites d'une commune et intéressent la totalité de l'agglomération. Je souhaiterais que, lors de nos débats, ce point puisse être précisé.
A côté de l'intercommunalité de projet, l'intercommunalité de solidarité me paraît essentielle. Il se trouve que mon département est en quelque sorte un laboratoire de la taxe professionnelle unique puisque onze communautés - depuis le district de Rennes, qui a une certaine couleur politique, jusqu'à la communauté du pays de Redon, qui en a une autre - regroupant 150 communes et 500 000 habitants, ont adopté cette taxe.
On perçoit très bien les raisons qui ont amené les maires de toutes ces communes à s'associer. Cette réussite s'explique parce que la taxe professionnelle unique a été ressentie comme la traduction de ce que j'appellerai une « solidarité réduite aux acquêts ». Chacun conserve ce qu'il a - la dotation de compensation - mais tout le monde partage ce qu'apporte le développement.
Quand, le long d'une route à quatre voies - nous avons la chance d'en avoir un certain nombre en Ille-et-Vilaine - les communes s'accordent pour créer une zone d'activités unique, elles le font parce qu'elles savent très bien qu'une partie substantielle de cette taxe professionnelle supplémentaire sera répartie entre elles. Par conséquent, une solidarité réelle se crée, ce qui explique aussi la réussite de la taxe professionnelle unique. Il s'agit non pas uniquement de transférer des compétences à l'échelon supérieur, mais aussi de partager.
La condition de la réussite a été très bien mise en valeur par la commission des lois. Pour arriver à un résultat substantiel en ce domaine, toute réforme des compétences doit se faire de façon progressive. L'intercommunalité vécue exige un apprentissage. C'est l'apprentissage par la pratique, comme disent les économistes.
Les différentes communes doivent s'apprivoiser. Cela ne se réalise pas du jour au lendemain et le transfert progressif des compétences comme le propose M. le rapporteur, quand l'intérêt communautaire le justifie, de l'échelon communal à l'échelon supérieur, est le gage de la réussite.
Je souhaite maintenant aborder de façon constructive les difficultés que me semble soulever la mise en place de ces communautés d'agglomération, sur le plan, d'abord, des mesures incitatives et, ensuite, de la fiscalité mixte.
Vous avez préféré l'incitation à la contrainte. Je suis tout à fait d'accord avec cette démarche. Apparemment, ces mesures incitatives sont importantes puisque la DGF d'intercommunalité est abondée de 500 millions de francs par an et que les communautés d'agglomération capteront les ressources des fonds départementaux de la taxe professionnelle, par suppression de l'écrêtement des établissements dits « exceptionnels ».
Permettez-moi, cependant, de m'étonner que ces mesures incitatives soient pérennes.
Nous nous heurtons à de nombreuses difficultés tenant aux effets de seuil, dont nous allons débattre. Mais pourquoi, par exemple, maintenir indéfiniment à 250 francs le montant moyen par habitant de la DGF versée à la nouvelle catégorie de communautés d'agglomération ? Lorsqu'on amorce une pompe, il me paraît effectivement opportun d'aider à effectuer le passage, mais ces mesures incitatives, qui sont actuellement centrées sur les zones urbaines, ne doivent pas devenir pérennes.
M. Pierre Fauchon. Très juste !
M. Yves Fréville. Il n'y a aucune raison, dans le système définitif, d'avoir un écart de 1 à 4 entre la communauté urbaine, qui percevra en moyenne 400 francs, et la communauté de communes, qui percevra en moyenne 100 francs, alors que, pour l'ancienne DGF forfaitaire, l'écart était limité de 1 à 2,5.
Je suis favorable aux mesures incitatives, mais je voudrais que soit, ensuite, instauré un régime de croisière qui tiendrait compte, suivant des principes pour tous identiques, du coefficient d'intégration fiscale et du potentiel fiscal éventuellement stratifié. J'accepte parfaitement la stratification par taille de groupement parce que les besoins ne sont pas les mêmes pour les métropoles et pour les petites agglomérations, mais il faut véritablement raisonner de manière globale, et non pas type de groupement par type de groupement.
Ces mesures incitatives devraient être également transitoires parce que, logiquement, si l'on crée des communautés d'agglomération, ce n'est pas pour avoir des dépenses supplémentaires, bien au contraire.
Quand on parle de fusion - j'emploierai, pour ma part, les mots « consolidation intercommunale » afin de ne pas donner au terme « fusion » la signification qu'il a juridiquement - c'est, en principe, pour obtenir des économies d'échelle, des coûts plus bas, et non pour nourrir des structures administratives coûteuses. Dans cet esprit, il faudrait réexaminer assez rapidement le système incitatif dans un cadre plus global.
Par ailleurs, si nous adoptons un système de financement uniquement incitatif, de très nombreuses communes seront perdantes, alors qu'elles sont allées jusqu'au stade de la fusion. Permettez-moi de prendre l'exemple du Grand Saint-Malo : trois communes de 20 000 habitants ont fusionné, avant 1971. Dans ce cas, une communauté d'agglomération ne se justifie pas nécessairement. Pourquoi, dès lors, des communes qui ont compris, d'elles-mêmes, quel était leur intérêt seraient défavorisées par rapport à celles qui créent une intercommunalité d'aubaine ? Je m'explique mal cette disparité de traitement.
Puisque vous avez choisi un système d'incitations financières, vous avez été bloqué, pour la définition des seuils de 50 000 ou de 500 000 habitants, qui sont de ce fait arbitraires, par le montant du budget que vous aviez à votre disposition. Si l'on se réfère à la délimitation des aires urbaines de l'INSEE, qui a réalisé un travail extrêmement intéressant, on s'aperçoit qu'il n'y a pas de frontière pour les zones urbaines à 50 000 habitants. Il est simplement question d'un bassin d'emploi autour d'un pôle urbain de plus de 5 000 emplois. Si vous avez fixé un seuil de 50 000 habitants, c'est naturellement parce que vous y avez été contraint par le budget limité dont vous disposiez et je suis d'accord pour qu'il en soit ainsi, à condition que telle soit bien la justification.
Or, faute de sources de financement très importantes, vous êtes automatiquement amené à faire payer une partie de ce système incitatif par les communes elles-mêmes. C'est là que réside l'anomalie. M. Michel Mercier l'a fort excellemment souligné ce matin en évoquant la DGF et la reprise de la dotation de compensation de la taxe professionnelle créée en 1986 et qui a subi de multiples rabotages depuis.
Cela vaut aussi pour les fonds départementaux de la taxe professionnelle. Prenons un exemple. L'écrêtement des établissements exceptionnels dans les grandes agglomérations est supprimé. Fort bien ! Prenons le cas d'une usine employant 10 000 ouvriers, implantée en zone urbaine, et dont les deux tiers des salariés habitent en zone rurale Grosso modo, les deux tiers de la taxe professionnelle étaient reversés aux communes de cette zone rurale. Si vous supprimez l'écrêtement, la zone urbaine en percevra l'intégralité et les commune rurales perdront autant.
Je sais, monsieur le ministre, que des mesures transitoires ont été prises à l'Assemblée nationale. J'espère qu'elles seront efficaces. Il n'en reste pas moins que le principe de suppression de l'écrêtement n'est guère satisfaisant.
Les dernières difficultés tiennent à l'apparition de deux systèmes fiscaux locaux fonctionnant en parallèle dans notre pays. Nous aurons, d'un côté, une fiscalité additionnelle et, de l'autre côté, la taxe professionnelle unique avec fiscalité mixte. Il est très difficile de faire fonctionner, notamment en matière de péréquation, un tel système dual. Je voudrais vous citer quelques exemples.
Comment concilier, par exemple, l'existence d'une forte solidarité locale, qui est très appréciée et souhaitable, avec les règles de péréquation nationale ?
Examinons, par exemple, les modalités de calcul du potentiel fiscal d'une commune, problème qui n'a pas été abordé dans ce projet de loi. Nous savons tous, sans entrer dans les détails, que, dans nombre de mécanismes de péréquation, le potentiel fiscal est déterminant.
Or, quand des usines s'implantent dans une commune qui joue le jeu de l'intercommunalité avec TPU, tous les suppléments de base aussi générés profitent non plus à cette dernière, mais à la communauté de communes. Il m'empêche, monsieur le ministre, qu'avec la définition actuelle du potentiel fiscal vous allez continuer à calculer la richesse de la commune comme si elle ne participait pas à l'effort de solidarité. Il est totalement impossible d'expliquer une telle réglementation à un maire même pétri de bonnes intentions à l'égard de l'intercommunalité.
M. Philippe François. Absolument !
M. Yves Fréville. Voilà un exemple ! Prenons-en un autre en sens inverse.
Si un groupement bénéficie d'un reversement du fonds départemental de la taxe professionnelle, ces sommes, qui peuvent atteindre des montants considérables, ne lui sont pas comptées dans son potentiel fiscal.
En d'autres termes, le Gouvernement n'a pas été jusqu'au bout de sa logique parce qu'il n'a pas pris en compte dans les mécanismes de péréquation de l'Etat cette solidarité locale, ce qui est regrettable.
En ce qui concerne la fiscalité mixte, je dirai brièvement, car le temps m'est compté, qu'il est tout à fait opportun de veiller à ce que le recours à cette fiscalité, lorsqu'il est nécessaire, ne soit pas une façon d'accroître la pression fiscale. A cet égard, l'amendement proposé par la commission des finances en matière de liaison des taux est très satisfaisant.
S'il est nécessaire, dans certains cas, de recourir à la taxe d'habitation et aux taxes foncières, il ne faut pas que la communauté qui y recourt puisse en profiter pour accroître le taux de la taxe professionnelle. Le maintien de la liaison avec les seuls taux communaux me semble une mesure de sagesse.
Pour conclure, mes chers collègues, je dirai que la construction de l'intercommunalité est un processus un peu semblable à la construction européenne. Il comporte des incertitudes et des risques, mais il doit s'appuyer sur une vision communautaire forte, à condition que celle-ci soit respectueuse du principe de la subsidiarité.
A cette fin, il faut faire preuve de souplesse et introduire plus d'équité que ne le fait le projet de loi. Je m'en suis expliqué en particulier en ce qui concerne la répartition de la dotation globale de fonctionnement. Enfin, il faudra faire preuve d'une plus grande audace et revoir un jour les droits acquis.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Yves Fréville. Vous ne le ferez que par la réforme des bases ainsi que par la révision - je mets les pieds dans le plat - de la dotation de compensation dans les groupements à TPU.
En effet, il n'est pas nécessaire que certains avantages jadis accordés soient indéfiniment pérennisés, d'autant que l'inflation ne vient plus corriger certaines situations aberrantes.
Il s'agit peut-être là d'une vision d'avenir. En attendant, vous nous proposez une modernisation bien sûr plus modeste, monsieur le ministre, rendue plus acceptable, grâce aux travaux des commissions, que la version qui nous vient du Palais-Bourbon.
J'espère, monsieur le ministre, que vous serez ouvert aux propositions très raisonnables de notre commission et du groupe de l'Union centriste. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
(M. Paul Girod remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président

M. le président. La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui est soumis à notre discussion vient à point nommé. Nous l'attendions, d'une certaine manière, et même nous le souhaitions car, effectivement, le dispositif de la coopération intercommunale n'est pas toujours cohérent, a été parfois mal appliqué, est quelquefois redondant et reste insuffisant.
Ce dispositif n'est pas toujours cohérent, car la loi de 1992, probablement adoptée dans l'urgence, comprend des dispositions floues, qui ont gêné maintes fois les commissions départementales de coopération intercommunale, ne serait-ce que du fait de l'absence de définition du contenu du périmètre des établissements publics de coopération intercommunale. Ainsi a-t-on pu observer parfois des communautés de communes « en archipel », dont la logique s'éloigne des stricts critères économiques et qui ressortissent plutôt à des affinités politiques.
A cet égard, j'apprécie qu'ait été affirmé dans le texte que vous nous soumettez, monsieur le ministre, le principe de continuité territoriale, même si, comme d'autres orateurs, je suis plus réservé sur l'exigence affirmée d'un territoire sans enclave. Le propre d'une enclave n'est-il pas en effet, finalement, de disparaître avec le temps ?
On pourrait ajouter d'autres exemples d'imprécisions qui appelaient un nouveau texte, qu'il s'agisse de celui qu'avait préparé M. Dominique Perben ou du vôtre.
Si votre texte est bienvenu, monsieur le ministre, je dois préciser que je ne comprend pas pourquoi - cela a été dit à plusieurs reprises - le Gouvernement a choisi, sur un thème aussi essentiel qui ne saurait être soumis à des impératifs conjoncturels et qu'aucun événement majeur n'impose, la procédure de l'urgence. Vous le savez, monsieur le ministre, on ne légifère pas bien dans la précipitation et, faute de nous donner le temps de la réflexion et de l'étude approfondie, votre texte entraînera par nécessité la rédaction d'un nouveau texte de simplification, ce qui laisse du travail pour vos successeurs.
Si le dispositif actuellement en vigueur n'est pas toujours cohérent, je tiens aussi à témoigner qu'il n'a pas toujours été bien appliqué. Pour avoir observé la pratique du contrôle de légalité en ce domaine dans un échantillon représentatif de départements, je suis étonné de l'autorisation qui a été donnée à certains montages en dépit des principes fondamentaux de notre droit.
Quand j'observe, par exemple, que l'article 66 du projet de loi précise que doivent être exclues du calcul du coefficient d'intégration fiscale les dépenses dites « de transfert », je me dis qu'il est quand même étonnant qu'un texte de loi se borne à confirmer la loi si ce n'est pour rappeler que cela n'a pas toujours été le cas.
Il n'en demeure pas moins que ce qui a pu être fait ici avec une prime de DGF n'a pu être autorisé ailleurs, et que s'il a été judicieux, dans certains départements et à une certaine époque, de procéder de cette manière, il a été injuste de pénaliser les autres.
Le dispositif en vigueur est, par ailleurs, redondant, car la nature, le mode de fonctionnement et, souvent, les compétences des districts et des communautés de communes et de villes sont effectivement proches, comme peuvent se rapprocher les communautés de communes et les communautés de villes, lorsque les premières ont adopté, comme la loi le permet, la taxe professionnelle d'agglomération. C'est une bonne initiative d'avoir fondu en une même catégorie, les communautés de communes, ces trois formes juridiques voisines.
Enfin, le dispositif est insuffisant. Entre le système intercommunal très intégré qu'est la communauté urbaine et le système de communautés de communes avec fiscalité additionnelle, il manquait sans doute un étage occupé maintenant par la communauté d'agglomération avec taxe professionnelle unique. On peut discuter de la place des curseurs dans le système à étages qui va des communautés de communes aux communautés urbaines, en passant par les communautés d'agglomération, mais la hiérarchie du moins au plus intégré est pertinente. L'éventail nouveau des EPCI à fiscalité propre est beaucoup plus cohérent que l'ancien. Ce n'est pas sur ce point que je vous ferai grief.
Quant à l'architecture que vous proposez pour les EPCI à fiscalité propre, je suis en accord avec vous, c'est-à-dire que j'approuve l'objet de ce texte. Toutefois, je remarque qu'il a subi un ravalement révélateur lors de son passage à l'Assemblée nationale. Alors que, avec honnêteté, vous l'avez intitulé « projet de loi relatif à l'organisation urbaine et à la coopération intercommunale », en insistant sur son véritable caractère qui est de favoriser l'organisation urbaine, à l'Assemblée nationale, les membres de la majorité gouvernementale, sans changer l'orientation très urbaine du texte, ont modifié son titre en gommant son particularisme et en le destinant maintenant au « renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale ». Nos collègues de la majorité de l'Assemblée nationale ne savent plus ce que c'est que le parler vrai, que vous pratiquez ; ils se réfugient dans un euphémisme qui traduit leur embarras face à un texte qui fait la part belle aux villes et qui marginalise les territoires ruraux.
M. Philippe François. Parfaitement !
M. Joël Bourdin. En effet, monsieur le ministre, si je ne conteste pas votre système en trois catégories d'EPCI à fiscalité propre, je suis réservé sur les conséquences financières de votre texte et je regrette qu'une étude d'impact n'ait pas été réalisée à ce sujet. Car si je pressens des déformations dans les modes d'allocation des ressources financières des communes et de leurs groupements qu'augmenterait votre texte, je ne suis pas en mesure d'en calculer les incidences et j'aurais aimé que des simulations fussent effectuées en ce qui concerne le changement que provoquera ce texte. C'est mon premier grief. A-t-on réellement le droit de modifier les modes d'allocation de ressources de l'Etat et de fonds départementaux sans informer la représentation nationale des conséquences des décisions adoptées ? A-t-on le droit d'introduire, dans un système aussi sensible, aussi fragile et aussi complexe que les fonds départementaux des innovations législatives sans en mesurer les conséquences ?
Si votre texte vise un bon objectif, il ne trace pas avec netteté les voies de l'avenir. C'est au doigt mouillé, sans estimation de ses conséquences sur l'équilibre des finances des communes et de leurs groupements que vous nous demandez de nous prononcer. Je le regrette. En effet, s'il est dans notre mission de modifier le cadre de vie des personnes et des institutions, il est aussi de notre mission de nous engager en conscience, uniquement par des moyens dont nous pouvons estimer les conséquences.
A cet égard, si je comprends que vous souhaitiez procéder par des incitations financières dans votre volonté de pousser les villes à s'organiser au sein de communautés d'agglomération, quand elles ne sont pas intégrées dans une communauté urbaine, je ne saisis pas pourquoi vous n'en profitez pas pour inciter les communautés de communes à se doter d'une TPU avec la même incitation.
En voulant faire beaucoup pour les communautés d'agglomération et peu pour les communautés de communes, vous laissez planer le soupçon que vous vous méfiez des zones rurales. C'est dommage. En effet, l'équilibre de notre territoire, s'il exige de meilleures conditions et probablement un meilleur financement de la mutualisation des charges des agglomérations qui aspirent Français et Françaises, exigerait que soient fournis de plus amples moyens aux communautés rurales, souvent des communautés de communes, où les Français et les Françaises préféreraient le plus souvent épanouir leur existence. L'équilibre et l'équité se conjuguent pour justifier que la dotation moyenne par habitant des communautés de communes soit relevée au-delà des 150 francs indiqués dans le projet de loi. Je suis tout à fait en accord sur ce sujet comme sur d'autres avec le rapporteur pour avis de la commission des finances et avec le rapporteur de la commission des lois.
Mais allons plus loin. Non seulement votre texte risque de déséquilibrer notre territoire en intensifiant les flux publics de financement vers les agglomérations au détriment des communes et des communautés de communes, notamment par l'intermédiaire des attributions de DGF, mais il risquerait, s'il était adopté en l'état, de provoquer un véritable détournement des flux des fonds départementaux de péréquation, au détriment des seules communes rurales.
Je tiens à développer ces deux arguments car, en l'état, je crains que le texte qui est soumis à notre délibération n'entraîne des perturbations dans l'équilibre de nos ressources.
La première crainte est donc que l'émergence des communautés d'agglomération ne génère un effet de siphon sur les ressources des autres communes. En effet, la principale des dotations d'Etat attribuées aux communes provient d'une ressource qui est prédéterminée, la DGF, dont nous pouvons, assez longtemps à l'avance, prévoir le montant. Dans notre jargon financier, c'est, comme l'a rappelé M. Michel Mercier tout à l'heure, une enveloppe fermée, qui est répartie en fonction de critères déterminés, laissant peu de marge de manoeuvre au comité des finances locales, lequel a pour mission d'en affecter les masses par catégorie de collectivités locales.
Dans cet exercice de répartition, une hiérarchie est opérée. On prélève d'abord, concernant les communes, la part réservée à la dotation forfaitaire ; puis le reste, constituant la dotation d'aménagement, est affecté d'abord à la dotation des groupements de communes à fiscalité propre ; le reliquat est destiné à la DSU, la dotation de solidarité urbaine, et à la DSR, la dotation de solidarité rurale. Je tiens à formuler deux remarques sur ce point.
Premièrement, la dotation destinée aux groupements de communes ne peut pas, elle, être prédéterminée, car elle dépend du nombre d'EPCI à fiscalité propre créés dans l'année et de l'évolution de leur coefficient d'intégration fiscale. C'est, sur le plan mathématique et économique, une variable aléatoire, dont le montant n'est connu qu'au moment où on effectue la répartition. Deuxièmement, la part destinée à la DSU et à la DSR est conçue, je le disais tout à l'heure, comme un reliquat. C'est ce qu'il reste de la dotation d'aménagement quand ont été dotés les EPCI à fiscalité propre.
Bien avant le dépôt de votre texte sur le bureau de nos assemblées, le comité des finances locales et son président, M. Jean-Pierre Fourcade, vous ont alerté, comme ils avaient alerté vos prédécesseurs, sur cette anomalie et cette incertitude qui pèsent sur la DSU et la DSR.
A fortiori devons-nous être inquiets quant à la conséquence de votre texte, qui entraîne mécaniquement un gonflement des ressources destinées aux EPCI à fiscalité propre. Vous l'avez bien compris, puisque vous avez prévu d'abonder la DGF d'un montant annuel de 500 millions de francs pendant cinq ans. Mais le texte prévoit aussi que si cet abondement est insuffisant, ce qui est probable, au moins après deux ou trois ans, un complément de ressources sera prélevé - là encore, M. le rapporteur pour avis l'a bien noté - sur la DCTP, la dotation de compensation de la taxe professionnelle.
Nous ne nous situons pas dans un jeu à somme nulle. Par conséquent, vous en êtes conscient, monsieur le ministre, il faut faire appel à une ressource extérieure pour essayer d'équilibrer les ressources de la DGF.
Je poursuis mon raisonnement. Comme cette ressource extérieure était jusqu'à présent surtout destinée aux communes, cela signifie clairement que vous prévoyez qu'une partie des ressources des communes regroupées dans le cadre d'EPCI type communauté d'agglomération proviendra des autres. En schématisant, je dirai que votre texte prévoit que les ressources des communes rurales sont menacées d'être siphonnées pour contribuer au financement des communautés d'agglomération. C'est un système inique. Peut-on valablement se targuer d'avoir une politique d'aménagement du territoire quand on organise l'appauvrissement des communes rurales ?
Ma crainte est, hélas ! renforcée quand j'analyse l'article 56 du présent projet de loi. L'article 56, tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale, ne vise en effet rien de moins qu'à exonérer pour l'avenir certains EPCI, à contribuer aux fonds départementaux ou à geler leurs contributions quant aux établissements exceptionnels situés sur leur territoire, ou à leur permettre d'en être plus largement bénéficiaires.
Quand on sait l'apport financier que peut constituer la ressource de péréquation départementale pour certaines communes rurales qui accueillent sur leur territoire des personnels d'établissements écrêtés, on doit regarder à deux fois avant de les pénaliser lourdement, alors qu'elles subissent réellement des charges induites par la proximité d'un établissement exceptionnel.
Monsieur le ministre, ce genre d'article pollue votre texte, car il souligne le caractère néfaste dont on le suspecte à l'endroit des communes rurales. J'ajoute que, lorsque votre texte prévoit que la part de la DDR - 25 % des dotations départementales actuellement - affectée aux communes rurales doit être supprimée, on doit se poser des questions. Le Gouvernement veut-il la mort lente des communes rurales non regroupées, ou veut-il les forcer toutes à des regroupements qu'elles ne souhaiteraient pas ? A-t-il décidé de pousser la France à rassembler sa population dans des agglomérations ? Je ne le crois pas encore, mais j'ai des doutes. J'aimerais que, à l'occasion du débat qui s'ouvre maintenant, vous me rassuriez. Bien sûr, le problème n'est pas que je sois l'élu d'un département plutôt rural, mais j'observe que plus on pousse les gens à s'agglomérer plus l'insécurité croît et le bien-être social diminue.
Dans un premier abord, j'ai jugé positivement votre texte, du moins quant à son objet. Après l'avoir analysé et avoir mesuré les conséquences qu'il entraînerait pour la majorité de nos communes, je suis, vous le sentez bien, plus dubitatif qu'enthousiaste. J'attends beaucoup de vos réponses, comme d'ailleurs du vote de certains amendements proposés par les commissions ou par quelques-uns de nos collègues, pour me forger une opinion définitive et déterminer mon vote. Mon sentiment est celui de l'ensemble des membres du groupe des Républicains et Indépendants. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'intercommunalité est, selon moi, synonyme d'espace économique et social cohérent. Qu'il s'agisse des communes rurales ou des communes urbaines, elle passe impérativement par un espace territorial homogène, par des choix consentis de compétences, mais surtout par la solidarité et par le renforcement des identités de chacun.
Monsieur le ministre, votre projet de loi vise clairement à renforcer et à simplifier la coopération intercommunale. Le renforcement de l'intercommunalité en milieu urbain et la recherche d'une simplification du régime de la coopération intercommunale est un souci tout à fait louable. Cependant, il ne doit pas aboutir à un processus incontrôlable et dommageable de « réagglomération » de la ville.
Je m'inquiète particulièrement du devenir des communes périurbaines - ou suburbaines - dont le développement correspond à une volonté forte de leur population : conserver à deux pas de la ville la qualité de vie irremplaçable de la campagne.
Monsieur le ministre, je crains que, dans le cadre très précis de ces communes, les communautés d'agglomération ne viennent rompre cet équilibre apprécié entre urbain et rural et n'entraînent un regrettable processus de renforcement de la ville au détriment de son secteur rural périphérique.
Au contraire, il m'apparaît nécessaire de tout mettre en oeuvre pour valoriser chacun des éléments constitutifs de vos futures communautés d'agglomération et de renforcer leur identité propre. Il serait dangereux, à mes yeux, de figer cette identité dans une structure densifiant l'impact urbain - c'est l'esprit de votre texte de loi - pour lequel la communauté d'agglomération à venir sera une formule intégratrice et non fédératrice et valorisante de la diversité de ses composantes.
Vous l'avez compris, je ne voudrais pas qu'au fil du temps les communautés d'agglomération conduisent à un renforcement administratif de la ville-centre et à l'apparition, à terme - pourquoi pas ? - de nouveaux pouvoirs politiques locaux issus uniquement du secteur urbain et contraires aux volontés des populations. Pourra-t-on, par exemple, éviter qu'apparaisse un jour l'idée d'élire le maire de la communauté d'agglomération ?
Une communauté de communes en milieu rural et urbain est une communauté d'intérêt, tandis qu'une communauté d'agglomération peut engendrer un véritable enjeu politique. En cela, j'adhère parfaitement aux propos qu'a tenus ce matin le président Jacques Larché, rappelant combien l'initiative communale est irremplaçable.
Bien entendu, trouver le juste équilibre entre l'indispensable coopération intercommunale et les dynamiques locales reste l'enjeu essentiel de toute réforme territoriale.
Mes inquiétudes sont aggravées par le projet de TPU. Certes, c'est au bout d'un long processus de douze ans que l'on viendrait à l'instaurer, mais ce projet vient anéantir les immenses efforts qu'au fil des années les élus locaux ont entrepris pour créer à grand-peine les faibles ressources de leur territoire communal.
La notion de partage est, certes, essentielle, et nul ne la conteste, mais cette TPU ne risque-t-elle pas d'entraîner, à terme, de lourds déséquilibres dans les finances locales des communes péri-urbaines, ainsi que l'ont dit avant moi de nombreux collègues ?
Alors même que les taxes professionnelles de zone intercommunale, aujourd'hui mises en place dans les communautés de communes sur des territoires intercommunaux identifiés, donnent toute satisfaction en préservant les taxes professionnelles communales, je crains que votre dispositif de TPU ne soit un repoussoir et n'empêche le passage, pourtant financièrement incitatif, de la communauté de communes à la commune d'agglomération.
Monsieur le ministre, en conclusion, je souhaite que ces communes périurbaines ne soient pas absentes de vos réflexions et, à cet instant de notre débat, je ne peux soutenir votre texte, car il ne m'apporte pas encore d'apaisement sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'importance du texte aujourd'hui soumis à notre examen ne peut échapper à personne. Il sera l'occasion pour le Sénat de s'acquitter de son rôle constitutionnel de Grand conseil des communes de France.
Monsieur le ministre, nous prenons acte de votre décision de déclarer l'urgence sur ce projet de loi, mais nous la regrettons vivement sur un texte aussi important pour les collectivités locales, dont la technicité nécessitait, à l'évidence, un examen approfondi.
En préambule, il convient de rappeler que la France possède une longue expérience de l'intercommunalité. Attaché à la diversité communale, notre pays a développé ces dernières années des formes variées de coopération, ouvrant de multiples possibilités d'exercice en commun des compétences locales.
Sur le fond, le groupe du Rassemblement pour la République a exprimé un avis plutôt favorable sur le texte soumis à notre examen, puisque celui-ci reprend les grandes lignes des propositions qui avaient été élaborées en 1997 par M. Dominique Perben, au nom du gouvernement de l'époque.
Rappelons que les objectifs étaient, d'abord, de simplifier le paysage institutionnel ; ensuite, de favoriser la taxe professionnelle d'agglomération sans pour autant systématiser les dispositifs à taxe professionnelle unique ; enfin, de mieux répartir la dotation globale de fonctionnement. Ces trois objectifs prioritaires, votre texte, monsieur le ministre, ne les a, à l'évidence, pas tous fait siens.
Ainsi, monsieur le ministre, vous prétendez que votre projet procéderait à une simplification en supprimant soixante et onze articles du code général des collectivités territoriales. Hélas ! la simplification n'est ni une simple affaire d'arithmétique ni un simple toilettage des codes. Il faut aller plus loin, et je ne suis pas sûr que le texte adopté à l'Assemblée nationale aille dans le sens de la simplification.
Certes, il est proposé de substituer aux types de structures existants trois catégories d'établissements publics. Mais je dois avouer ma crainte, face à la complexité de certaines dispositions adoptées par les députés, de voir localement des volontés intercommunales freinées par tant d'obstacles.
Nous partageons avec vous le souci de ne pas opposer le milieu urbain et le milieu rural à l'occasion du renforcement de la coopération intercommunale. Mais force est de constater que le Gouvernement a plutôt une vision très urbaine de la société, que nous ne partageons pas.
Il n'est pas possible de justifier la création des communautés d'agglomération ou la modification du statut des communautés urbaines par le prétendu retard qui aurait été pris par le secteur urbain en termes d'intercommunalité. Pour nous, il s'agit d'une vision déformée de la réalité.
Si, en milieu urbain, les communes ont opté pour des formules d'intercommunalité plutôt créées à l'origine pour le milieu rural, comme les communautés de communes, c'est bien en raison du caractère inadapté des EPCI mis en place pour le milieu urbain.
Avec les obligations qui entourent la constitution des communautés d'agglomération et le caractère contraignant des dispositions présidant à leur fonctionnement, on prend le risque d'assister à la même désaffection que celle qu'ont connue les communautés de villes, dont le nombre n'a jamais excédé cinq.
Sur le plan tant institutionnel que fiscal, c'est la liberté de choix pour les élus locaux qui oeuvre en faveur de l'amélioration de l'intercommunalité. La coercition, la volonté d'imposer sont des voies qui ont montré leurs limites.
Pour illustrer mon propos, je prendrai plusieurs exemples.
La continuité territoriale et l'absence d'enclave imposées tant aux communautés d'agglomération qu'aux communautés de communes nous semblent constituer des freins plutôt que des incitations au développement de l'intercommunalité.
En effet, dans un certain nombre de cas, ce qu'il est convenu d'appeler les égoïsmes municipaux, que chacun connaît bien, empêcheront la réalisation de la continuité ainsi imposée. L'existence de ceux-ci et le caractère trop rigoureux du projet de loi bloqueront les initiatives et empêcheront les volontés de regroupement de s'exprimer véritablement.
Bien sûr, nos collègues députés n'ont pas manqué d'imagination en créant ce qu'ils ont pudiquement appelé une « procédure dérogatoire » tendant à étendre le périmètre d'une communauté d'agglomération. Cette procédure, même exceptionnelle, ne peut cependant être retenue puisqu'elle revient à intégrer contre son gré une commune dans une communauté d'agglomération. Elle porte donc atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Notre groupe s'est opposé à cette procédure dérogatoire, ainsi qu'à celle qu'a adoptée l'Assemblée nationale pour les communautés urbaines.
Dans la même logique, qui consiste à faire prévaloir la libre décision sur la contrainte, notre groupe proposera de supprimer l'obligation de continuité territoriale. Nous pensons que l'intercommunalité ne peut se mettre en place qu'avec les communes, et non pas contre elles. Il convient donc de permettre aux collectivités locales d'évoluer à leur rythme, au sein d'un maillage de structures plus compréhensible. L'adhésion de nos concitoyens permettra alors d'engager la véritable réforme de l'Etat.
Libérées du carcan dans lequel elles sont contenues, les initiatives venant de la base pourront alors s'exprimer, comme l'a appelé de ses voeux le Président de la République dans son discours de Rennes.
S'agissant du volet institutionnel, nous nous sommes longuement interrogés sur les modalités de sortie des membres d'un EPCI. Certes, il convient de prévoir un certain nombre de garde-fous permettant d'éviter des départs irréfléchis que l'on regrette ensuite. Mais, pour certains cas spécifiques, je pense souhaitable d'instaurer une procédure plus souple.
Actuellement, il suffit que l'EPCI de départ s'oppose à la sortie d'une commune pour que la situation soit définitivement bloquée. Ainsi, afin de résoudre cette difficulté, nous proposerons que cette sortie puisse être acceptée après avis de la commission départementale de coopération intercommunale et sur décision du préfet, à la seule condition que la commune concernée intègre un autre EPCI. Les blocages de pure opportunité pourront alors être évités.
Un sujet me tient particulièrement à coeur, monsieur le ministre, celui du coefficient d'intégration fiscale. J'en viens ainsi aux dispositions financières du texte.
Dans un souci toujours louable de simplification, les auteurs du projet de loi se sont fixé pour objectif de mettre fin aux excès parfois constatés en matière de relèvement artificiel du CIF par des dépenses de transfert ne correspondant pas à des compétences effectivement exercées. A cette fin, le texte prévoit d'exclure ces dépenses du calcul du CIF.
La proposition sur laquelle nous avons travaillé a le mérite de la simplicité. Elle consiste à ne retenir, au titre des dépenses de transfert entrant dans le calcul du CIF, que les seules dépenses faites au profit d'un organisme bénéficiant de la dotation globale de fonctionnement.
Un autre avantage - et c'est sans doute le principal - serait d'empêcher toute tentative du ministère de l'économie et des finances de multiplier, au fil des années, le nombre des dépenses de transfert à exclure du calcul du CIF, dans le dessein de vider finalement celui-ci de toute sa substance et de compliquer ainsi le système.
Qui dit complication dit contrôle et surcroît de travail pour les personnels des mairies, des sous-préfectures et des préfectures, sans que le système en soit amélioré pour autant.
Prenons garde, pour le CIF, de ne pas nous laisser enfermer dans la logique qui a prévalu pour le fonds de compensation pour la TVA, le FCTVA.
Sur ce point, souffrez que je préfère la simplicité et l'efficacité de notre proposition au service des collectivités locales et des EPCI à l'opacité et à la complication proposées par l'Assemblée nationale, qui feront le jeu du seul ministère des finances.
Le coefficient d'intégration fiscale m'amène naturellement à examiner le problème de la dotation globale de fonctionnement, et nous sommes là sur l'un des points cruciaux de ce projet de loi. Bien sûr, chacun est conscient du fait que l'intercommunalité doit se construire non pas sur les seuls intérêts financiers mais, surtout, sur les intérêts communautaires et la volonté d'exercer ensemble un certain nombre de compétences.
Le vif débat qui a opposé le milieu urbain et le milieu rural ne doit pas trouver ici matière à se nourrir. Le montant de DGF par habitant a été fixé à 250 francs pour les communautés d'agglomération et à 150 francs pour les communautés de communes et nous connaissons maintenant la technique de calcul utilisée par le Gouvernement pour atteindre cette somme de 250 francs.
La proposition de modification des seuils de population nécessaires à la création des communautés d'agglomération a été refusée à l'Assemblée nationale pour rester dans l'enveloppe de 500 millions de francs ouverte par le Gouvernement pour financer l'accroissement de la DGF en faveur de ces communautés.
Il convient ici, pourtant, de s'interroger sur la différence de 100 francs de dotation de DGF par habitant entre les communautés d'agglomération et les communautés de communes.
Un effort a déjà été fait à l'Assemblée nationale, mais il est à l'évidence insuffisant. Pourquoi pénaliser une communauté de communes qui ne peut pas remplir les critères de population ou le critère de continuité territoriale alors qu'elle souhaiterait se transformer en communauté d'agglomération et qu'elle a fait l'effort de prendre des compétences nouvelles et d'adopter le régime de la taxe professionnelle unique ? Notre proposition, dans ce cas, serait de faire passer la dotation des communautés de communes à 220 francs, sachant que celle-ci devra évoluer annuellement dans les mêmes conditions que la dotation dévolue aux communautés d'agglomération.
Pour achever mon propos, je souhaite aborder le problème de la TPU. Le passage à la TPU est rendu obligatoire par le projet de loi pour la transformation en communauté d'agglomération ou pour la création d'une telle structure.
A notre sens, le caractère obligatoire jouera le rôle d'un véritable frein au développement de ce type d'EPCI, qui constitue pourtant la clé de voûte du texte.
La décision de rendre obligatoire le passage à la TPU doit se fonder sur des études financières très précises, qui ne sont pas actuellement disponibles. La communauté d'agglomération représentera un changement majeur de l'intercommunalité. Cet EPCI aura une dimension politique plus forte que les autres, due à plus de solidarité entre les communes membres.
C'est dans cette perspective que nous proposons de rendre le passage à la TPU seulement optionnel.
Le concept de taxe professionnelle unique conduit à une autre interrogation. Le budget pour 1999 initie une réforme sur cinq ans de la taxe professionnelle, qui aura pour effet de faire de l'Etat le plus gros contributeur à cette taxe. Cette réforme ne va-t-elle pas considérablement affaiblir les volontés de regroupement en TPU qui peuvent se faire jour ?
La suppression de la part salaire de l'assiette de la taxe professionnelle n'est-elle pas la première étape d'une disparition de cette taxe que tant réclament ? Autant de questions sans réponse qui suscitent bien des inquiétudes sur le plan local.
Rappelons, par ailleurs, que, pour financer sa coûteuse réforme, le ministère des finances vide petit à petit le fonds de péréquation de la taxe professionnelle.
La cotisation minimale et la cotisation nationale de péréquation n'ont-elles pas été confisquées ? Finalement, le fonds se retrouve exsangue. Des craintes légitimes existent donc sur l'avenir du financement de l'intercommunalité.
Le groupe du Rassemblement pour la République aborde ce débat dans un esprit ouvert et constructif. Nous déterminerons notre position en fonction des réponses que le Gouvernement apportera à nos légitimes préoccupations et aux propositions que nous ferons. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons aujourd'hui à débattre d'un projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.
Ce texte est d'une extrême importance, car il se pourrait qu'il soit de nature à modifier en profondeur les actuels rapports entre les collectivités territoriales et l'Etat, entre les collectivités territoriales elles-mêmes, ainsi qu'entre les collectivités territoriales et les citoyens. Ce serait un chamboulement dans l'organisation de la vie publique et des institutions françaises, qui constitue encore actuellement une exception, cette spécificité française évoquée ce matin par le rapporteur de la commission des lois, notre collègue Daniel Hoeffel.
Aussi, je tiens, dans ces propos préliminaires, à redire - après M. le rapporteur et d'autres orateurs - combien je regrette que l'urgence ait été déclarée sur ce texte, auquel le Parlement se devait de consacrer plus de temps pour l'améliorer, tout en comprenant également la volonté du Gouvernement de mettre tous les moyens en oeuvre pour réussir la nécessaire rénovation de la vie politique qu'il a engagée.
Dans l'esprit de la démocratisation de la vie publique, les parlementaires communistes souhaitent également une remise à plat des lois de décentralisation, une réactualisation qui tienne compte de l'expérience de ces dix-sept années, des difficultés des collectivités locales, tant en matière de cohérence des compétences qu'en matière de financement et de moyens budgétaires.
Je souhaite d'ailleurs, au moment où j'évoque la révision des lois de décentralisation, rappeler à mes collègues de la majorité sénatoriale, qui s'affichent aujourd'hui comme les vaillants défenseurs de la décentralisation, des communes et des départements, qu'ils s'étaient, en 1982 et 1983, farouchement opposés aux lois qui en posent les principes.
Le présent texte, que vous aimez définir comme une nouvelle étape de la décentralisation, monsieur le ministre, propose modernisation, démocratisation et harmonisation, ce dont l'intercommunalité a effectivement besoin.
Les transferts de compétences politiques à des regroupements communaux ne sont pas nouveaux puisque la première des lois qui a traité de ces questions date du 22 mars 1890.
Les coopérations intercommunales se sont, quant à elles, développées considérablement depuis plus d'un siècle. En témoignent les 1 680 établissements publics de coopération intercommunale, qui regroupent, à l'heure actuelle, 18 876 communes, soit près de 35 millions d'habitants.
Pourtant, derrière ce développement, qui semble important, au regard de chiffres fulgurants, se cache une réalité différente. Des régions entières et surtout des villes, des grandes villes même, sont restées à l'écart du mouvement.
La progression du nombre d'établissements créés ces dernières années s'est ralentie. La taxe professionnelle unique n'a pas rencontré le succès escompté par ceux qui l'ont instaurée. J'en veux pour preuve le petit nombre de communes, quatre-vingt-sept, qui ont choisi la communauté de villes.
Ce constat nous amène de nouveau à réaffirmer combien il est important de ne pas prévoir des structures toutes ficelées, des moules trop rigides.
La coopération intercommunale doit se fonder sur des projets communs de synergie d'intérêts locaux, de rationalisation des structures de services.
Les politiques économiques d'aménagement de l'espace - les transports urbains et interurbains, par exemple - de l'habitat ou encore les nouvelles normes en matière d'environnement - collecte et traitement des déchets, assainissement des eaux - ne peuvent se développer dans des territoires restreints, c'est évident.
Cela pose la question de la pertinence des territoires actuels comme cadres institutionnels pour les réponses à apporter aux différents enjeux socio-économiques et politiques.
Il est actuellement évident qu'aucune commune ne peut avoir, par exemple, sa propre filière de tri et de recyclage des déchets urbains. Ce serait inutile et non viable. De toute façon, les budgets des communes ne le permettent pas.
Je ne vais pas développer la question des difficultés financières des collectivités locales, marquées par une distortion persistante entre les compétences que leur ont données les lois de décentralisation - je l'évoquais voilà un instant - et les recettes dont elles disposent. Mon ami Thierry Foucaud y reviendra plus avant dans le débat.
La coopération intercommunale doit donc être de projet. Et là, visiblement, il y a débat sur la définition même de la coopération de projet.
Comment dire qu'une coopération est fondée sur un projet commun quand les compétences transférées sont déjà déterminées et imposées, quand les modes de financement sont préétablis ?
Les communes ne s'y sont d'ailleurs pas trompées puisque les établissements publics de coopération intercommunale les plus intégrants sont aussi les moins développés.
Pour nous, la coopération intercommunale, cette notion que vous qualifiez, monsieur le ministre, d'« intercommunalité à la carte », doit permettre aux communes associées d'améliorer les réponses aux besoins de nos concitoyens, que ce soit en matière de transports, d'action sociale ou de logement.
Malheureusement, la coopération n'est pas toujours décidée avec cet objectif ; elle est plutôt d'aubaine, et pas seulement dans les zones rurales, car, bien souvent, elle s'avère la seule issue possible, vu les marges de manoeuvre financière actuelles des communes.
Nous souscrivons, monsieur le ministre, aux propos que vous avez tenus lors des débats à l'Assemblée nationale quand, en réponse à M. Gouzes, rapporteur, vous avez dit que l'intégration et le développement à tout prix risqueraient de freiner l'intercommunalité. C'est également notre avis.
La réussite de la coopération intercommunale dépend en grande partie de la souplesse des structures, respectant le principe de libre administration des collectivités territoriales et les règles de la démocratie locale.
Mais force est de constater que de nombreuses dispositions du projet de loi, tel qu'il ressort des travaux de l'Assemblée nationale, nient ces principes.
Les règles de majorité requise pour la création étaient pourtant suffisamment incitatives. Mais, en l'état actuel du texte, le préfet pourrait, sans même consulter les communes, élargir le périmètre et inclure des communes à leur insu, au nom de la cohérence spatiale.
Cette disposition nous semble extrêmement dangereuse. Nous nous y opposerons par voie d'amendement.
Pour rester sur les questions de périmètre, il nous semble primordial que les communes et leurs conseils soient un élément moteur de la délimitation.
Le texte prévoit que l'ensemble des établissements publics de coopération intercommunale forment un espace spatial et économique cohérent.
Nous sommes attachés à cette pertinence territoriale. Cependant, il nous semble opportun de permettre aux communautés de communes de déroger à cette règle afin de conserver toute la souplesse de cette structure et de permettre à des communes de s'associer librement, sans avoir à imposer la coopération à une commune qui ne le souhaiterait pas.
Dans les faits, nous savons tous que la règle des deux tiers n'a pas été beaucoup utilisée. Mais nous savons aussi qu'obliger les communautés à se constituer « d'un seul tenant et sans enclave » va également les contraindre à recourir à cette majorité des deux tiers du conseil de communauté. C'est une règle qui ignore la démocratie et le libre choix des collectivités.
Les conditions contraignantes dans lesquelles vont se constituer, se transformer ou s'élargir les communautés urbaines et d'agglomération, les conditions dans lesquelles vont s'opérer les transferts de compétences et se décider la mise en place de la taxe professionnelle unique ont considérablement été durcies par l'Assemblée nationale.
J'en veux pour preuve l'extension des compétences transférées, la transformation automatique, sauf avis contraire, des EPCI relativement souples en EPCI très intégrés, le passage automatique à la taxe professionnelle unique, la possibilité, pour la quasi-totalité des structures, de recourir à la fiscalité mixte. Toutes ces mesures contribueraient à vider les communes de leur substance, à en faire des coquilles vides sant prérogatives ni budget.
Si nous avons bien compris votre attachement aux institutions que sont les communes et les départements, monsieur le ministre, nous restons interrogatifs sur le futur rôle qui leur sera dévolu, si toutefois, comme de nombreux élus locaux, de droite comme de gauche, le pensent, ces collectivités territoriales ne sont pas vouées à disparaître.
A la lecture des compétences transférées, que ce soit à une communauté d'agglomération ou à une communauté urbaine, la liste des prérogatives restant aux communes devient quasi inexistante.
Si l'on ajoute à ce constat la possibilité offerte par nos collègues députés à ces mêmes communautés de prélever au lieu et place des communes la taxe professionnelle, mais aussi les taxes foncières et la taxe d'habitation - ce que l'on nomme la fiscalité mixte - on voit que les communes se retrouvent complètement démunies.
Certes, elles continuent d'exister, mais leurs compétences seront limitées, demain, à gérer l'état civil !
De deux choses l'une : soit on vise la suppression des communes et des départements, et la transformation des EPCI en véritables institutions ; soit on cherche à donner les moyens aux communes de fournir des réponses plus justes et pertinentes aux besoins des populations. Vous avez compris que nous préférons la seconde solution !
Si ce projet de loi répond au second objectif, il nous semble extrêmement dangereux d'introduire le suffrage universel, même dans les conditions adoptées à l'Assemblée nationale.
Ce mode de désignation répond plus à l'objectif de reconnaître les établissements publics de coopération intercommunale comme des institutions à part entière, alors qu'ils n'exercent des compétences qu'en vertu du principe de subsidiarité, principe selon lequel la souveraineté communale reste entière.
Chers collègues, l'argument de la démocratie est également souvent avancé pour convaincre de l'opportunité d'élire les conseillers communautaires urbains.
Il faut reconnaître que c'est un vrai débat. Mais, une fois que nous aurons permis cette élection au suffrage universel, il s'agira non plus de coopération entre communes mais bien de supra-communalité.
Quel contrôle restera-t-il aux communes sur les choix politiques de la communauté, alors que - je le redis, car cela me semble essentiel - les EPCI n'agissent qu'en vertu de la subsidiarité ?
De plus, on sait les liens importants qui existent entre les citoyens et leur mairie. La mairie n'est-elle pas le lieu de référence le plus proche pour nos concitoyens ?
Il n'est pas besoin de sortir de Polytechnique pour comprendre que plus les lieux de décicion réelle sont proches des habitants, plus ceux-ci sont incités à y exercer leur citoyenneté.
L'élection au suffrage universel direct des conseils de communautés, en éloignant radicalement les instances de décision des lieux où vivent et réfléchissent les gens, ne favorisera évidemment pas le développement de la démocratie directe. Bien au contraire !
Soucieux aussi d'améliorer le fonctionnement démocratique des structures de coopération, nous proposerons, au cours de l'examen des articles, plusieurs amendements qui tendent à démocratiser les EPCI.
A titre d'exemple, nous souhaitons harmoniser le mode de désignation des conseillers. Nous proposons que les membres du comité syndical des syndicats intercommunaux et des syndicats mixtes soient également des membres désignés en leur sein par les assemblées délibérantes des collectivités locales.
Nous proposons que les minorités puissent également être représentées.
La loi permet d'établir des règlements intérieurs, gage de consensus et de respect de l'autonomie communale. Par conséquent, nous insistons sur les notions de majorité, de libre choix, de volontariat et de souveraineté des communes.
Autrement dit - ce sera ma conclusion - l'objectif de notre groupe est bien de contribuer à un développement de l'intercommunalité, que nous considérons comme nécessaire et indispensable pour améliorer les réponses aux besoins de nos concitoyens. Aussi espérons-nous un débat constructif, à la recherche de l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées socialistes. - M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Souvet.
M. Louis Souvet. Le projet de loi que nous sommes amenés à examiner comprend tout un ensemble de mesures, dont certaines, qui figuraient d'ailleurs dans le projet de votre prédécesseur, monsieur le ministre, étaient attendues depuis un certain temps par les élus locaux.
Ce texte a déjà été beaucoup discuté, et j'observe qu'il comporte des dispositions intéressantes, comme la simplification des formes de coopération intercommunale ou la prise en compte et la rationalisation de l'intercommunalité, notamment en milieu rural. Je regrette simplement qu'il fasse l'objet d'une déclaration d'urgence.
Aussi est-ce en adoptant une attitude constructive que je vais vous livrer maintenant quelques réflexions et interrogations.
Je profiterai également de mon expérience de dix ans de présidence de l'un des districts les plus anciens de France, et l'un des plus importants du point de vue de l'étendue de ses compétentes - une trentaine, aujourd'hui - district que vous connaissez bien, monsieur le ministre.
On voudra donc bien me pardonner un propos technique, personnalisé, limité au district que je connais bien et qui concerne principalement l'une des dispositions essentielles du texte, à savoir la création des communautés d'agglomération.
En effet, plus qu'une évolution du paysage intercommunal, cette nouvelle forme annonce un changement profond, notamment par l'extension du nombre des compétences obligatoires dont la communauté d'agglomération sera dotée par rapport aux actuelles communauté de villes et de communes, et par la mise en place d'une taxe professionnelle à taux unique à l'intérieur de son périmètre. Il s'agit, je crois, de l'article 51.
Sur le plan des attributions, le texte qui nous est soumis prévoit quatre compétences obligatoires, plus trois autres à choisir parmi cinq domaines.
Je voudrais souligner ici la difficulté qu'il y a à définir exactement l'étendue, et donc la répartition de ces compétences et la notion d'intérêt communautaire qui s'y attache. A l'heure où une répartition plus nette des attributions entre les différents niveaux de collectivités est plus que souhaitable, ce texte me paraît insuffisamment clair.
Ainsi, que signifie précisément l'intitulé de la compétence optionnelle, ainsi rédigé à l'article 1er, section 4, 5° : « En matière de développement durable : efficacité énergétique et maîtrise des consommations d'énergie » ? J'imagine que cet article fait référence à la future loi sur l'électricité, mais son intitulé laisse supposer que d'autres énergies peuvent être concernées. Cette définition me paraît floue et imprécise, du point de vue de son contenu. Sans concertation avec M. Hoeffel, j'ai d'ailleurs lu dans son excellent rapport qu'il en propose la suppression.
Dans le même esprit, il me paraît nécessaire de définir le troisième domaine de compétence optionnelle par référence à la notion d'« intérêt communautaire », comme c'est le cas pour les autres domaines de compétence énoncés.
Voilà, monsieur le ministre, quelques problèmes posés par ce texte sur la question des compétences.
S'agissant maintenant des dispositions fiscales, le volet le plus important du projet de loi concerne l'adoption obligatoire par la communauté d'agglomération de la taxe professionnelle à taux unique. Cette obligation m'apparaît comme très dirigiste, d'autant que, sans TPU, il n'y a pas de contractualisation possible avec l'Etat.
Que l'impôt généré par la présence des entreprises sur un territoire soit consacré à des dépenses d'aménagement, de développement de celui-ci me paraît cohérent. Aussi y-a-t-il une certaine logique à ce qu'il soit perçu par la communauté d'agglomération.
Que son taux soit unifié au sein d'une même agglomération peut s'expliquer par la volonté de supprimer une certaine forme de concurrence au sein d'une même agglomération. Cela dit, on a repoussé cette concurrence à la périphérie, avec toutes les retombées possibles sur l'activité et les incidences sur les finances locales.
Toutefois, cette TPU peut emporter de graves conséquences.
Tout d'abord, s'agissant du dynamisme des communes, la présence d'entreprises sur le territoire des communes génère parfois - et même souvent - des nuisances de plus en plus mal supportées par les habitants - bruit, pollution, trafic... Celles-ci sont aujourd'hui « compensées » par la taxe professionnelle perçue par la commune et donc par la richesse supplémentaire qu'une implantation d'entreprise apporte avec l'emploi, bien évidemment.
Quel maire, demain, acceptera d'accueillir des entreprises sur sa commune, si la taxe professionnelle est perçue en totalité par l'agglomération ? Les entreprises s'installeront-elles toutes dans des zones d'activité ? Leur présence est nécessaire, dans les villes, car si elles génèrent parfois quelques nuisances, elles créent aussi de la vie, du dynamisme, dans une cité.
Quel dynamisme, précisément, insuffleront les maires des villes moyennes ou importantes qui ne percevront que le produit des impôts des ménages et une dotation de compensation de taxe professionnelle, qui se réduira d'année en année ? S'ils ne sont pas intéressés aux résultats de leurs actions futures, les maires préféreront construire des jardins pulics que d'installer des entreprises. Une dynamique risque de se ralentir.
Par ailleurs, la dotation de compensation de taxe professionnelle versée par le groupement aux communes n'inclut pas la dotation de compensation de l'Etat au titre de la réduction pour embauches et investissement, la REI. Cela se traduira par une perte financière immédiate pour les villes - environ 400 000 francs pour Montbéliard en 1999.
Ce point mérite d'être reconsidéré, ce projet de loi étant en effet fondé sur le principe d'une garantie de ressources - hors transfert de compétences, bien sûr - pour les communes concernées.
Les conséquences se feront sentir également sur les charges des entreprises. L'instauration de la TPU alourdira inévitablement les charges supportées par les entreprises. En effet, les communes sur le territoire desquelles sont implantées bon nombre d'activités économiques sont en général celles qui ont les taux de taxe professionnelle les plus faibles. Leur taux augmentera nécessairement, compte tenu du mécanisme d'unification, quand bien même le Gouvernement a par ailleurs exclu la part salaires de l'assiette de calcul de la taxe professionnelle.
Sur ce point, justement, je voudrais souligner, monsieur le ministre, une contradiction essentielle entre ce projet de loi et la loi de finances pour 1999.
Alors que la taxe professionnelle, impôt local, devient l'instrument du développement local, en particulier celui des agglomérations, et que l'on veut unifier son taux, le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale ont, dans le même temps, à l'occasion du vote de la loi de finances pour 1999, mis en place un dispositif de compensation de la perte de taxe professionnelle issue de l'exclusion de la part salaires.
Mes chers collègues, je voudrais attirer votre attention sur deux effets de cette mesure ; c'est, en tout cas, ainsi que je l'ai comprise.
En premier lieu, elle entraîne une baisse des recettes à venir des collectivités locales, dans la mesure où la dotation de compensation versée par l'Etat sera bloquée sur la base des données 1998 et 1999. Par conséquent, la part salaires dans le calcul de la taxe professionnelle payée par toute entreprise qui s'installera à compter de 1999 ne sera pas compensée par l'Etat. Cela représente, en moyenne nationale, une baisse de 34 % du produit de la taxe professionnelle générée par ces nouvelles entreprises.
En second lieu, cette mesure alourdira la fiscalité locale. Par exemple, dans le district de Montbéliard, un million de francs de produit fiscal provient actuellement pour 72 % de la taxe professionnelle.
Avec la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle, ce même million de francs sera financé demain pour seulement 66,8 % par la taxe professionnelle, soit une perte de 5,2 %. Et encore, sommes-nous à Montbéliard dans un cas de figure où les salaires ne représentent que 22 % des bases de taxe professionnelle, alors que ce pourcentage peut aller jusqu'à 45 % dans certaines agglomérations.
Vous constaterez comme moi l'augmentation nécessaire de la part des impôts des ménages pour aboutir au même produit fiscal, ou alors l'augmentation inévitable du taux de la taxe professionnelle, si celle-ci constitue la recette fiscale unique de l'EPCI.
Enfin, l'intégration progressive de la compensation versée par l'Etat dans la DGF, transforme pour partie cet impôt local en dotation de l'Etat. On peut d'ailleurs redouter qu'à terme ce soit la totalité de la taxe professionnelle qui se transforme en dotation de l'Etat.
Il y a là, à l'évidence, une diminution réelle de l'autonomie locale, une dépendance accrue à l'égard de l'Etat.
Dès lors, il est permis de s'interroger sur l'intérêt de mettre en place cette TPU, si celle-ci devait disparaître à moyen terme.
J'ajoute qu'il me paraîtrait prudent et de bonne gestion, avant toute application, que des simulations en vraie grandeur sur des cas précis soient effectuées. L'EPCI que je préside ferait alors acte de candidature à cet exercice de vérité.
Enfin, et je termine cette intervention sur ce point, ce texte qui nous est soumis accorde une large place au mode de calcul du coefficient d'intégration fiscale. J'y ai relevé une inégalité. Il s'agit, me semble-t-il, de l'article 66.
Il ne me paraît pas normal en effet que l'on exclue du coefficient d'intégration fiscale, le CIF, toutes les dépenses de transfert effectuées par l'EPCI. En effet, un ancien district qui se transforme en communauté d'agglomération va verser au service départemental d'incendie et de secours, le SDIS, une participation importante représentant environ 30 millions de francs dans notre cas, alors qu'une communauté d'agglomération nouvelle pourra en être exonérée. Dans le premiers cas, le CIF sera minoré à cause de la déduction de la dépense de transfert au profit du service départemental d'incendie et de secours. Dans le second cas, il n'y aura pas de minoration.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, les quelques questions ou interrogations qui me paraissent devoir être soulevées, avec celles évidemment qui sont posées par MM. les rapporteurs, avant de prendre position lors du vote de ce projet de loi, projet de loi qui me paraît complexe, touffu ; il gagnerait sans doute à être simplifié pour être plus lisible, notamment pour ce qui concerne les dispositions fiscales qui ont été disséquées dans l'excellent rapport de Michel Mercier, au nom de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale nous intéresse au plus haut point.
Le Sénat, comme vous le savez tous, a pour fonction de représenter les collectivités territoriales, et tout ce qui touche à leur organisation, à leur fonctionnement et à leur financement exige de notre part une attention particulière.
Par votre projet de loi, monsieur le ministre, vous affirmez vouloir renforcer et simplifier la coopération intercommunale. Je vous remercie de cette volonté clairement affichée, que j'approuve totalement, ainsi, je crois, que le Sénat dans son ensemble.
Cependant, nous entendons bien que le texte issu de vos propositions et des travaux de l'Assemblée nationale et du Sénat satisfassent réellement à ces deux idées-forces. mais je nourris quelques inquiétudes sur ce point quant à la forme et au fond.
S'agissant d'abord de la forme, reconnaissez, monsieur le ministre, que le projet de loi que vous nous soumettez est presque illisible, donc incompréhensible, en tout cas pour moi. Sa présentation n'est que renvois en cascade à des articles numérotés de différents codes et lois, par exemple le code général des impôts ou celui des communes. Cela manque singulièrement d'explication de texte !
Permettez-moi, par conséquent, de saluer ici le remarquable travail de traduction qui a été accompli par MM. Daniel Hoeffel et Michel Mercier, par la commission des lois et celle des finances, ainsi que par les administrateurs du Sénat. Ce travail nous a permis de découvrir le contenu du texte.
S'agissant toujours de la forme, le sujet abordé, plus complexe qu'il n'y paraît, aurait mérité de mon point de vue de faire l'objet d'un examen très approfondi, avec débat et échanges parlementaires, dans l'optique du fonctionnement normal de nos institutions. Mais il nous est soumis après déclaration d'urgence par le Gouvernement ; il en va d'ailleurs de même pour le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, qui lui est étroitement lié.
En conséquence, il n'y aura pas de nouvelle lecture, le débat est tronqué, le texte ne pourra pas bénéficier d'un véritable enrichissement par le Parlement. Et vous avez appelé tout à l'heure, monsieur le ministre, les élus à se mobiliser sur ce texte et à apporter leur pleine contribution !
La solidarité intercommunale s'exerce et se vit sur le terrain ; elle a donc de multiples facettes. Je ne suis pas sûr, mais je ne veux faire injure à personne, que chacun d'entre nous, y compris nos collègues éminents spécialistes de cette matière, ait eu le temps nécessaire d'appréhender finement cette complexité dans sa réalité. C'est dommage.
Monsieur le ministre, je ne vois pas ce qui peut justifier cette urgence.
En une lecture, mes chers collègues, nous devrons être parfaits. En une lecture, nous devrons appréhender les effets, tous les effets des dispositions que nous allons adopter, sans droit à rattrapage. Et attention aux effets pervers !
Quand on cherche à corriger les anomalies dans une matière complexe par addition de règles ou contraintes relevant de l'accessoire, oubliant l'essentiel, on prend de grands risques, notamment celui de générer ces effets pervers. De plus, au lieu de simplifier, on complique davantage encore.
Puisque l'on ne peut tout prévoir, je vous invite, mes chers collègues, avec la sagesse coutumière de notre assemblée, à ne voter que des dispositifs simples et souples, en n'oubliant jamais l'essentiel qui est de renforcer et de développer la coopération intercommunale, de simplifier pour éviter les interprétations contradictoires et de mettre un frein - et si c'est possible un terme - au développement de communautés d'aubaine, dont la seule motivation est, si je puis dire, de récupérer des sous facilement.
Je partage votre point de vue, monsieur le ministre, quand vous déclarez que la solidarité territoriale ne peut exister sans mutualisation des ressources ni, bien sûr, sans partage des charges.
Nous devons profiter de ce projet qui, je le répète, affiche des objectifs que j'approuve, pour relancer la décentralisation. Mais la décentralisation doit avoir un corollaire, à savoir la déconcentration : déconcentration des pouvoirs et des moyens vers l'échelon territorial le mieux adapté, ce qui permettrait d'ailleurs à l'Etat de se concentrer ou se recentrer sur ses prérogatives, ses missions régaliennes et stratégiques.
Plus de démocratie locale, plus de solidarité intercommunale, plus de responsabilité qui va de pair avec la liberté, c'est plus d'efficacité et souvent de pertinence dans la gestion territoriale.
Malheureusement, nombre de dispositions du projet de loi initial, comme d'ailleurs du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, vont à l'encontre de votre souci de renforcement de la coopération et de simplification.
Monsieur le ministre, vous avez une solide réputation de pragmatisme et de bon sens. Alors, je reste confiant et je suis convaincu que vous saurez nous écouter, nous entendre et accepter nos propositions de correction.
D'ailleurs, je crois qu'il ne pourrait en être autrement, par cohérence, car un projet de loi est toujours sous-tendu par un projet et une volonté politiques. Or nos corrections vont dans le sens de votre projet, soutiennent votre volonté et répondent à votre propos de tout à l'heure qui réaffirmait que les nouvelles dispositions en faveur des agglomérations ne seraient pas financées au préjudice des communautés rurales. En effet, n'ouvrez pas de guerre urbain-rural.
Je vais maintenant attirer votre attention sur un certain nombre de points qui, entre autres, ne me semblent pas conformes aux objectifs annoncés.
Ainsi, pour renforcer et développer la solidarité intercommunale, il faut inciter les EPCI à développer leur fiscalité propre, en d'autres termes à mutualiser leurs ressources, pour gérer en commun des équipements et des services collectifs, pour concevoir et réaliser des projets de développement de leur territoire.
Une DGF vient accompagner l'effort de péréquation et de mutualisation fiscale ainsi réalisé par référence au fameux CIF, aujourd'hui malmené, de mon point de vue.
La rédaction du projet de loi est un peu confuse et justifie une grande inquiétude quant au mode de calcul du CIF de la part des élus.
Par exemple, les collectivités locales, souvent en EPCI, assuraient la gestion des services d'incendie et de secours, elles en payaient les charges ; aujourd'hui, la loi a organisé la gestion de ces services au niveau départemental ; les SDIS ont été créés, mais rien n'a changé pour les collectivités locales, si ce n'est leur contribution, en constante et forte augmentation. Les collectivités locales continuent à en assumer la charge au travers de la taxe de capitation.
Serait-il juste de sortir ce contingent au SDIS du calcul du CIF, alors même que nous avons là un exemple de mutualisation accompli ? Ou alors transférez à un autre niveau - mais lequel ? - la charge financière des SDIS.
Il en est de même pour les services d'ordures ménagères : collecte, traitement, déchetterie, etc. Conformément à la loi, ce sont les préfets qui on arrêté les schémas départementaux de traitement des ordures ménagères.
Conclusion : les collectivités locales sont dans l'obligation de mettre en oeuvre ces schémas ; communes et EPCI ont fait le constat que, pour satisfaire aux obligations nouvelles et aux lourds investissements qui en découlent, il n'y avait pas d'autres solutions que d'agir ensemble. Quelles que soient les modalités d'organisation de ces services, ce sont encore ces mêmes collectivités, souvent - je le répète - en EPCI, qui continuent à en assumer la responsabilité et la charge financière ; ce sont encore elles qui financent, par la fiscalité communautaire, une taxe spécifique, une redevance ou au travers de leur budget assis sur les quatre taxes. Ne sortez pas les services d'ordures ménagères du calcul du CIF, dès lors que cette compétence est assurée par la communauté de communes.
Sur le SDIS et les ordures ménagères, j'aurais aimé être rassuré.
D'autres exemples démontrent qu'il convient d'être prudent lorsque l'on veut définir l'exercice d'une compétence par le seul examen de telle ou telle imputation budgétaire.
Là, je ne suis pas forcément en plein accord avec un certain nombre de mes collègues.
Prenons l'exemple d'une communauté de communes qui aurait compétence pour assurer le fonctionnement de trois écoles maternelles et de ses services annexes.
Pour l'une d'entre elles, la plus importante, elle dispose de son propre personnel titulaire de la communauté de communes, mais pour les deux autres, elle a passé convention avec les communes sièges de ces écoles - je pense surtout aux communes rurales - qui assurent pour son compte l'entretien - les services de garderie... - avec leur personnel titulaire, tout simplement parce que les communes sièges disposent de personnels titulaires de la fonction publique qui, souvent, sont employés à temps incomplet. Ce service, alors budgété au compte 657, serait sorti du CIF ! La communauté de communes exerce pourtant bien sa responsabilité et sa compétence !
Autre exemple : quand une communauté de communes décide, pour installer son siège, d'acheter un terrain, de construire, c'est une charge directe nette sur son budget qui ne pose pas de problème au niveau du calcul du CIF. En revanche, si, par souci de bonne gestion et d'économie, cette communauté de communes passe un arrangement avec une commune qui dispose de locaux et qu'elle loue ces locaux, l'imputation budgétaire de la location se trouve alors inscrite aux comptes 655 ou 657, qui sont les deux comptes concernés.
Il est tout de même paradoxal de constater que si cette même communauté de communes louait un bâtiment à un tiers privé, cet élément serait pris en compte dans le calcul du CIF. Cette charge ne serait donc pas, au sens des propositions et des orientations qui sont faites, une charge de transfert. Mais si la communauté de communes loue le bâtiment à une collectivité publique, il s'agit d'une charge qui n'est pas intégrée dans le calcul du CIF.
Je pourrais multiplier les exemples. Je tenais seulement à mettre en évidence les effets pervers que j'évoquais tout à l'heure et à démontrer que la solidarité intercommunale ne peut être réduite ni justifiée par simple référence à une nomenclature comptable.
Il y a coopération et solidarité intercommunale authentique dès lors qu'une compétence est prise en charge par le budget d'un EPCI, donc lorsque cette compétence et cette charge font appel à l'équilibre de la fiscalité communautaire, et ce quelles que soient les modalités pratiques de mise en oeuvre.
Dans ce projet de loi, monsieur le ministre, des communes pourraient avoir adhéré à un EPCI à fiscalité propre, partager solidairement les charges, mettre en commun des ressources par une fiscalité communautaire fortement intégrée, satisfaire donc à nos exigences et se trouver malgré tout pénalisées. Ce n'est pas acceptable, parce que c'est contraire à l'objectif recherché.
Permettez-moi de vous faire une proposition. Peut-être est-elle iconoclaste.
Pour être simple et pratique, l'Etat ne pourrait-il pas confier à son représentant dans le département, le préfet, le soin de formuler un avis a priori sur le caractère authentique de l'intégration fiscale ?
Le fait qu'une discussion intervienne entre les collectivités locales et le préfet avant qu'un transfert ne s'opère pour permettre aux préfets, représentants de l'Etat, de vérifier l'authenticité de cette opération éviterait, à mon sens, quelques jolies escroqueries légales. De surcroît, cela rassurerait ceux que je qualifie d'« honnêtes », tout en allant dans le sens de la déconcentration.
D'autres amendements vous sont soumis qui visent à régler des problèmes importants : les seuils et, surtout, leurs effets sur la capacité ou non à créer une communauté d'agglomération, l'éligibilité ou non à la DDR, à la DGE, les écarts trop importants entre les dotations d'agglomération et les dotations « rurales ». Ce sont autant de points qui appellent beaucoup de vigilance de notre part si nous ne voulons pas pénaliser et paralyser en croyant bien faire.
Avant de conclure, monsieur le ministre, j'attire votre attention sur le fait que rien de tout ce que vous pourrez faire, de ce que nous pourrons construire ensemble ne sera viable, s'il n'y a pas de solides fondations, si les communautés aujourd'hui existantes ne sont pas rassurées d'abord, assurées ensuite d'un minimum de sécurité quant à l'évolution de leurs ressources, en premier lieu les dotations de l'Etat.
Cette nuit, monsieur le ministre, je présentais à mon conseil de communauté le budget pour 1999. Nous étions le 31 mars, et la DGF ne nous était toujours pas notifiée !
M. Dominique Braye. C'est pareil pour nous !
M. Yves Fréville. Absolument !
M. Philippe Arnaud. Je vous rappelle que nous avons l'obligation de voter nos budgets au plus tard le 31 mars. Ce n'est pas correct, monsieur le ministre !
Je suis prêt à vous pardonner si vous m'annoncez que ce retard, incompréhensible par ailleurs, serait justifié par une augmentation de la DGF que vos services seraient en train de calculer. Je crains malheureusement qu'il n'en soit autrement. J'ai lu qu'il pourrait être procédé, dans la masse globale, à une baisse de 6 % à 7 %. J'aimerais avoir un éclairage sur ce point.
En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous invite à faire évoluer le texte qui nous est soumis vers plus de souplesse et de prudence, en ayant le souci de ne pas casser la dynamique intercommunale.
Les enjeux sont considérables : seules, isolées, les communes de France sont perdues, elles sont condamnées ; ensemble, elles peuvent se battre, et, pour peu qu'on les accompagne sans croc-en-jambe, elles ont de l'avenir. Et cet avenir, c'est celui de notre territoire ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Saunier.
M. Claude Saunier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en quelques semaines, le Parlement aura examiné une série de projets de loi qui visent à l'adaptation de notre dispositif administratif aux nouvelles réalités économiques et sociales : textes sur la parité, le cumul, le scrutin sénatorial, l'aménagement et le développement durable du territoire, et, en ce moment, le renforcement et la simplification de la coopération intercommunale.
Monsieur le ministre, cette série de textes illustre la volonté du Gouvernement de faire bouger la société française, d'engager un long travail de modernisation. L'heure est venue, en effet, d'ouvrir le chantier de la modernisation de la vie publique.
Au cours des dernières décennies, plusieurs lois ont déjà modifié le paysage administratif. Nous avons tous en mémoire les lois sur la décentralisation en 1982, sur l'intercommunalité en 1992, sur l'aménagement du territoire en 1995. Mais, il faut le reconnaître, l'essentiel du dispositif français repose encore sur un schéma qui date d'environ deux siècles. Or les attentes de la société sont nouvelles, les besoins de l'économie ouverte sur le monde s'expriment. Il est de plus en plus nécessaire de maîtriser l'argent public et d'avoir la capacité de mobiliser les acteurs du développement local sur un projet de développement.
Un cadre nouveau à l'administration territoriale doit être effectivement imaginé, prenant pleinement en compte - et je le dis devant notre assemblée - les 36 000 communes qui constituent non seulement l'exception française, mais aussi la richesse de notre pays.
La démarche qui a été engagée - et le débat en témoigne - n'est pas seulement une démarche technique. C'est une démarche politique.
Tout d'abord, cette démarche oblige à conjuguer la volonté de changement et la capacité de mobilisation. Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, n'aura aucun effet - nous avons des exemples dans l'histoire - s'il n'est pas accepté et soutenu par les élus locaux qui l'appliqueront sur le terrain.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Claude Saunier. Il doit donc répondre à quelques principes pour obtenir leur adhésion. Ces principes, qui figurent dans votre projet de loi, sont le réalisme dans la définition d'une organisation administrative véritablement adaptée aux besoins de la population ; le volontarisme dans l'adaptation des structures à une vision de l'aménagement, cela pour être effectivement en phase avec la vision qui a été exprimée en la matière au Sénat voilà peu et qui consiste à vouloir faire bouger les choses ; la lucidité et le pragmatisme en reconnaissant derrière l'unité historique de notre pays, qui remonte à deux siècles, la très grande diversité des situations régionales héritées de l'histoire, diversité qu'il faut être capable d'appréhender et à laquelle il faut pouvoir répondre.
Ce projet de loi doit également répondre à quelques grands objectifs politiques et sociaux : la clarification des responsabilités entre les différentes structures intercommunales et communales ; le renouvellement de la pratique démocratique - nous sommes dans une société qui n'a rien à voir avec la société d'il y a deux siècles - le renforcement des solidarités dans le cadre des bassins de vie qui utilisent des équipements, les services communs ; enfin, bien sûr, la simplification de l'intercommunalité, dont la complexité alourdit considérablement l'administration locale.
Dans cette première approche, j'organiserai mon propos autour de trois idées de caractère plus politique que technique.
La première - c'est elle qui a inspiré le projet de loi - est la complémentarité nécessaire entre les villes et les campagnes. La deuxième est la reconnaissance de la spécificité urbaine. La troisième est la volonté de renouveler les règles de la démocratie intercommunale.
En ce qui concerne la complémentarité entre les villes et les campagnes, les propos qui ont été tenus depuis le début de l'après-midi montrent que les positions sont moins arrêtées qu'on n'aurait pu l'imaginer. Cette complémentarité est à la fois une réalité et une nécessité.
L'opposition entre villes et campagnes est aujourd'hui totalement infondée. Si 80 % de la population vit dans les zones urbaines, la quasi-totalité des territoires ruraux sont en synergie totale avec les centres urbains. Les agriculteurs eux-mêmes, dans leur vie professionnelle, dans leur vie personnelle, dépendent de la ville et sont tournés vers elle.
Il n'y a pas et il ne doit pas y avoir d'opposition entre le mondre rural et le monde urbain ; il doit y avoir interaction, complémentarité.
Il revient au Sénat d'exprimer la voix des campagnes, qui couvrent 80 % de notre territoire, mais le Sénat doit aussi entendre la voix des villes, qui représentent 80 % de la population.
Soyons précis : il ne s'agit pas de plaider ici pour une croissance sans limite de je ne sais quelle mégapole. Il n'en existe pas en Europe, et encore moins dans notre pays. Mais il faut en effet poser un choix politique, et c'est celui que vous avez fait.
Affirmer la complémentarité des villes et des campagnes, c'est reconnaître la place des villes dans l'organisation de notre territoire, c'est faire un choix politique d'aménagement équilibré du territoire, d'une société fondée sur des principes humanistes. C'est aussi poser le postulat que, au lieu du laisser-faire, une volonté politique oriente le destin de la nation.
Ce projet de loi, on le voit, est loin d'être un simple texte technique. C'est un projet de loi d'inspiration politique très forte.
Nous devons veiller à éviter le double écueil du passéisme et du futurisme.
La place des villes est reconnue dans votre texte, monsieur le ministre. Il est vrai qu'aujourd'hui le fait majeur, c'est l'urbanisation de notre pays.
Le texte qui nous est soumis nous propose de repenser notre dispositif administratif territorial en reconnaissant aux agglomérations la place qu'elles doivent tenir dans le pays.
J'ai déjà exprimé la crainte qu'une opposition stérile ne s'instaure entre la ville et la campagne. Je voudrais rappeler ici la spécificité urbaine, ce que les villes apportent et ont apporté à l'ensemble de notre pays en matière culturelle, économique et sociale, le rôle qu'elles doivent continuer à jouer, rôle de moteur, d'avancée et d'éclairage de l'ensemble du pays.
Je tiens aussi à souligner les difficultés qu'elles rencontrent, et j'évoquerai pour mémoire les charges de centralité et le poids de la lutte contre l'exclusion sociale.
Je rappelle enfin que les grandes politiques, celles qu'exige le pays, celles qu'attend la nation pour régler les problèmes en matière d'environnement et de développement économique, par nature sont et doivent être impulsées par les villes et par les agglomérations.
Dans ce contexte, ce projet de loi tendant à réorganiser l'administration territoriale autour des pôles urbains, non pas contre mais avec les campagnes, va dans le bon sens.
Je dirai d'un mot, monsieur le ministre, parce que le temps m'est compté, que nous aimerions retrouver, dans le fonctionnement de l'appareil d'Etat, le même effort d'adaptation que celui qu'ont consenti les collectivités locales depuis maintenant une bonne quinzaine d'années. Je ne suis pas certain que cette mutation que nous opérons depuis maintenant des décennies ait été réalisée avec autant de force par l'Etat.
Puis-je vous dire, monsieur le ministre - et je sais que vous serez très sensible à cette interrogation - qu'il nous arrive parfois, nous élus locaux, de douter que l'Etat assume pleinement ses missions et son rôle de régulateur républicain. Il y a là un thème de réflexion, auquel on ne peut être indifférent.
Mon dernier thème de réflexion touche à la démocratie intercommunale.
Il s'agit là d'un enjeu politique majeur, voire d'une question de principe.
Le renforcement des responsabilités et de la fiscalité des structures intercommunales pose en effet aujourd'hui - plus encore qu'auparavant - la question de la légitimité des élus intercommunaux, de leur mode de désignation et de la transparence des gestions intercommunales.
Monsieur le ministre, ce projet de loi comporte de réelles avancées à cet égard. Mais, à un moment ou à un autre, et le plus tôt sera le mieux, il faudra aller plus loin et s'engager plus fortement.
Et, puisque l'on a évoqué à plusieurs reprises les grands principes républicains, il me semble bon de rappeler que l'un des grands principes fondateurs de la République voulait que ceux qui lèvent l'impôt détiennent une légitimité issue du suffrage universel.
Voilà les quelques pistes de réflexion que je voulais vous soumettre, monsieur le ministre.
En conclusion, je dirai que ce projet de loi, qui est d'ailleurs, à l'évidence, indissociable du texte sur l'aménagement durable du territoire que nous a présenté Mme Voynet, va dans le bon sens, parce qu'il renforce les solidarités, parce qu'il prend en compte les inégalités territoriales et sociales, parce qu'il reconnaît aux pôles urbains la place qui est la leur, parce qu'il permet à ces pôles urbains, à ces agglomérations de fonctionner avec une plus grande efficacité.
Je le redis encore une fois : l'intercommunalité nous a fait marquer des points au cours de ces dernières années, elle nous a permis de répondre aux attentes de la population et du pays. Il est clair, cependant, qu'elle doit aujourd'hui être renforcée, simplifiée et amendée. C'est ce que vous proposez, monsieur le ministre, et c'est ce qui est attendu.
Les réalités économiques et sociales ont considérablement évolué au cours des dernières années. Les problèmes que nous devons affronter les uns et les autres imposent un renforcement des agglomérations. La réforme est complexe ; elle pose des interrogations légitimes qui s'expriment ici et là, mais elle est indispensable et urgente. Je rappellerai qu'elle a en réalité été mise en chantier voilà maintenant plusieurs années, grâce à la réflexion engagée par M. Perben. Si elle n'est pas poursuivie au cours des prochains mois, elle sera différée de plusieurs années.
Le Sénat peut et doit enrichir le contenu du texte que vous proposez. Il doit aussi permettre la réforme que la nation attend. Je vous engage, monsieur le ministre, peut-être à la différence de mon prédécesseur à cette tribune, à maintenir le cap de la réforme et à tenir bon. Votre gouvernement a été nommé non pour faire du surplace, mais pour faire avancer le pays. Pour cela, vous aurez notre soutien ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale était attendu au Sénat. Notre assemblée, composée d'une majorité d'élus locaux, souhaitait, à la fois, une clarification et une accélération du mouvement de regroupement des collectivités mettant en commun une partie de leurs compétences sans renoncer pour autant à leur souveraineté.
Vous nous proposez un texte très lisible et techniquement intéressant, qui nous paraît susceptible d'enclencher une nouvelle dynamique là où trop de nos collègues manquent d'audace.
D'ailleurs, quel paradoxe ou, plutôt, quel démenti au « politiquement correct » : sur le chemin escarpé de la solidarité intercommunale, ce sont nos villages et nos villes petites et moyennes qui sont le plus en avance ! La grande agglomération est souvent frileuse, d'où votre projet de loi. Où est le traditionnalisme ? Ou est la modernisation dans ce cas ?
Si l'on voulait bien sortir des clichés et renoncer aux arguments commodes, on admettrait que, quelque part, hors des centres-villes qui se vident et des quartiers urbains en crise, se cherche une nouvelle civilisation, synthèse de modes de vie urbains et d'un cadre de vie préservé, proche de la nature, lieu où cesse l'anonymat. C'est en tout cas ce que plébiscitent nos concitoyens quand ils le peuvent comme le montrera le recensement en cours.
Mais, justement, la ville fait souvent peur, et la coopération avec les communes limitrophes marque le pas. Il faudrait d'ailleurs, à ce sujet, que certains des élus de nos grandes villes acceptent d'entamer leur examen de conscience.
C'est pour remédier à cette situation que vous nous proposez l'innovation majeure que représente la communauté d'agglomération, et c'est sur elle que je voudrais m'arrêter.
Votre démarche, que j'approuve, cherche à concilier deux attentes de la nation.
Vous voulez, en premier lieu, relancer le mouvement de regroupement entre communes d'une agglomération urbaine et, pour cela, vous utilisez deux leviers : l'incitation fiscale et les dispositifs législatifs capables de forcer le destin, c'est-à-dire les calculs égoïstes - cela existe - ou tout simplement la peur de l'inconnu. Mais ce faisant, et c'est là qu'est le problème, vous vous heurtez au principe fondamental de la libre administration des collectivités territoriales. Dure contradiction !
Je voudrais vous suivre jusqu'au bout, car l'objectif est juste, mais, monsieur le ministre, je discute une partie de vos moyens. Par exemple, comment admettre que l'incitation financière engendre une telle disparité entre les citoyens ? La DGF par habitant serait de 150 francs pour un membre d'une communauté de communes et de 250 francs pour un membre d'une communauté d'agglomération. Cette inégalité est excessive au regard des besoins et des efforts consentis par le milieu rural et les petites villes pour intégrer une population trop souvent en déshérence et issue, justement, de la ville voisine. N'en doutez pas, si le Gouvernement ne fait pas un geste pour combler l'écart, se posera un problème politique.
La deuxième source de litige est encore plus sérieuse ; je vais m'y arrêter plus longuement.
Nous nous sommes battus, vous et moi, monsieur le ministre, contre toutes les tentatives de fusion autoritaire de communes dans les années soixante-dix. Plus près de nous, je me suis souvent reproché, à propos de la loi de 1992, non pas d'avoir soutenu le principe des communautés de communes, mais d'en avoir accepté une modalité, celle de la date butoir d'août 1993, qui avait pour objectif de forcer la main aux conseils municipaux récalcitrants.
Or, si je vous ai bien lu, de plusieurs façons au moins, vous cherchez à échapper à la règle d'or du volontariat pour les communes.
Je peux admettre le droit d'initiative du préfet, mais pas son pouvoir discrétionnaire révolu depuis les lois Defferre. Je peux comprendre, à l'extrême rigueur, que l'on soumette à des conditions plus strictes la dissolution de ces établissements de coopération, encore qu'il vaille mieux prévoir un divorce quand le mariage tourne mal, mais trois dispositifs me paraissent injustifiables au regard du suffrage universel qu'incarnent les municipalités.
Comment accepter, par exemple, qu'une commune puisse adhérer par défaut, par consentement tacite, si, dans un délai de trois mois, elle n'a pas délibéré ? Il est contraire aux lois de décentralisation qu'une population puisse se retrouver incluse dans une structure intercommunale levant l'impôt sans que son conseil municipal se soit prononcé.
Enfin, et surtout, ne commettons pas l'erreur de vouloir contraindre à l'adhésion une commune sous prétexte de continuité territoriale, à partir d'un habillage apparemment démocratique. Le vote positif des deux tiers des conseils municipaux avoisinant ou représentant plus de la moitié de la population totale du périmètre préalablement déterminé par le préfet, aux termes de l'article 21, le permettrait.
Mais il y a plus étonnant encore : selon un amendement de l'Assemblée nationale, le représentant de l'Etat pourrait, à sa discrétion, inclure une commune non consentante à l'occasion de la transformation d'un EPCI existant. Cette procédure dérogatoire contredit formellement les lois de décentralisation.
Je vois bien l'argument : il s'agit, ici, de briser une rente de situation liée à des revenus exceptionnels en taxe professionnelle et, là, de surmonter les mauvaises relations entre communes voisines, parfois l'antagonisme politique des élus. Il s'agit d'accélérer l'allure et de ne pas laisser de trou dans la carte des futures communautés d'agglomération. Mais, monsieur le ministre, cela ne peut se faire en contraignant le suffrage universel.
Voilà, monsieur le ministre, ce que je tenais à dire dans le peu de temps qui m'est imparti, et je vous prie d'excuser le schématisme de mon propos. Je souhaite que nos échanges permettent de lever mes craintes et mes objections. Sur le dernier point, le respect de la libre administration des communes, on touche aux principes et donc à l'essentiel. Si le désaccord persistait au fil des votes, je sais que vous comprendriez ma position, car - et toute votre vie publique en est l'illustration - sur les principes, on ne transige pas ! (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Braye applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention aura surtout trait à la question du financement de l'intercommunalité qui ne peut, de l'avis des élus communistes - et je pense à d'autres élus également - être complètement dissociée des difficultés financières des collectivités locales.
Face à ces difficultés, les élus locaux ont déployé des efforts importants en vue d'équilibrer leurs budgets. Ils ont réduit leurs dettes, introduit plus de rigueur dans leur gestion, recherché dans la coopération la mise en commun de moyens, afin d'accroître l'efficacité de leur action, et cela à la ville comme à la campagne.
Le manque de moyens des collectivités locales s'est, dans le même temps, révélé de plus en plus criant, du fait de l'application des dispositions adoptées sous le gouvernement Juppé.
Le pacte de stabilité, qui en est un triste exemple, s'est traduit pour les collectivités par un manque à gagner de quelque 14 milliards de francs sur trois ans.
Et les maires, dans le silence ou dans le bruit, ne supportent plus d'entendre dire qu'ils ont des moyens suffisants pour gérer leur commune.
Bien sûr, cela ne s'adresse pas à vous, monsieur le ministre. Je vise celles et ceux qui prétendent que tout va bien dans les collectivités et que, pour améliorer leur sort, il faudrait simplement faire en sorte qu'elles s'associent.
Le problème est, bien sûr, plus complexe. Il faut des moyens, il faut des pouvoirs.
Les élus locaux constatent en outre qu'une part croissante de leurs recettes provient des dotations. Les finances locales sont ainsi un peu plus dépendantes des décisions prises par les gouvernements.
Cela étant, il faut le reconnaître, la mise en place du pacte de solidarité et de croissance est un premier pas. Les élus communistes, ainsi que de nombreux élus locaux et l'Association des maires de France, considèrent toutefois qu'il serait légitime de faire bénéficier les collectivités territoriales des fruits de la croissance à hauteur de 50 %.
L'augmentation, cette année, de l'enveloppe consacrée à la dotation de solidarité urbaine dénote aussi la volonté du Gouvernement d'amplifier la redistribution des richesses entre les collectivités.
Construire une véritable intercommunalité doit se faire à partir de la commune, et surtout avec des collectivités plus fortes, des collectivités reconnues, des collectivités disposant de pouvoirs accrus.
L'objectif premier visé à travers le projet de loi que nous examinons est l'élargissement de la solidarité et de la péréquation, grâce à la mise en place quasi systématique de la taxe professionnelle unique.
L'instauration d'une taxe professionnelle unique au sein d'une communauté crée effectivement un espace de solidarité qui contribue à une redistribution des richesses.
Mais quel sera le taux de la taxe professionnelle qui rejoindra l'autre ?
Reconnaissez-le, monsieur le ministre, tant que des moyens nouveaux ne seront pas dégagés en faveur des collectivités territoriales, celles-ci se partageront les difficultés financières.
Certes, le Gouvernement s'est engagé à contribuer, à hauteur de 500 millions de francs pendant cinq ans, au développement de l'intercommunalité. C'est bien, mais chacun sait que cela est insuffisant. Selon les prévisions ministérielles, semble-t-il, près de 15 millions d'habitants seraient concernés. Il est clair, dans ces conditions, que la dotation de l'Etat sera insuffisante.
Il manque plus de 1,2 milliard de francs, qui seront prélevés, selon l'article 66 du projet de loi, dans la dotation de compensation de la taxe professionnelle. Or cette dotation sert déjà de variable d'ajustement et ses fonds sont complètement déconnectés de la réalité. Une telle mesure ne pourrait que contribuer à diminuer encore un peu plus les budgets locaux.
Qu'en sera-t-il, par ailleurs, du financement de cette dotation spéciale après 2004 ? Selon nous, 250 francs ne représentent pas un financement « pérennisable ».
Le projet de loi prévoit des mécanismes de péréquation, notamment aux articles 57 et 58, qui traitent du fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France.
La déliaison des taux, que nous exigeons inlassablement depuis plusieurs années, reçoit un début d'application. Nous proposerons de rendre cette déliaison encore un peu plus pertinente et plus efficace.
Vous le savez, au-delà des élus communistes, cette revendication est aujourd'hui partagée par l'AMF.
Ce texte aurait pu, à notre sens, être un peu plus ambitieux en ce qui concerne le rééquilibrage des ressources entre collectivités.
Réduire les inégalités de ressources entre les communes suppose de revoir les modalités de la péréquation. En 1995, 2,5 milliards de francs ont été redistribués au titre de la péréquation départementale, et je tiens à souligner le rôle important joué par les départements en la matière. Par ailleurs, 3,3 milliards de francs ont été redistribués au titre de la péréquation nationale, soit moins de 4 % du produit de la taxe.
Revoir les modalités de redistribution des richesses pourrait, par exemple, consister à relever le plancher de la valeur ajoutée, le produit de la cotisation minimale devant impérativement abonder le Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle, ce qui n'est malheureusement pas le cas aujourd'hui.
Améliorer les mécanismes de solidarité ne saurait suffire à résoudre les difficultés financières des collectivités.
C'est pourquoi nous proposons d'inclure les actifs financiers dans l'assiette de la taxe professionnelle. Cette proposition répond au souci de nombre d'entre nous, ainsi qu'au constat fait par notre collègue M. Delevoye, président de l'Association des maires de France, quant à la sous-fiscalisation de la richesse financière. Taxer les actifs financiers décelables dans le bilan des entreprises à hauteur de 0,30 % rapporterait 88 milliards de francs.
En 1997, je le rappelle, l'ensemble des actifs représentait plus de 29 000 milliards de francs.
Nous proposons là de suivre une voie originale, car nous sommes pour l'intercommunalisation mais aussi pour le développement de la démocratie locale et de l'autorité locale.
Il s'agit, selon nous, de « nourrir » la taxe professionnelle, car il faut des moyens, des ressources nouvelles pour lutter pour le social et contre la ségrégation urbaine, comme vous le dites justement, monsieur le ministre.
Ce projet doit donc être assorti de moyens financiers : c'est la condition d'une véritable intercommunalité, et ce sera le sens de beaucoup de nos amendements.
Après mon ami Robert Bret, je voudrais à mon tour m'arrêter quelques instants sur la possibilité offerte par les députés à la quasi-totalité des établissements de coopération intercommunale de prélever également les impôts locaux sur les ménages en lieu et place des communes.
Autoriser la fiscalité mixte constitue, à nos yeux, une dérive dangereuse, pernicieuse, qui risque d'alourdir encore les impôts pesant sur les ménages.
Par ailleurs, il nous semble extrêmement dangereux pour la démocratie locale et l'autonomie communale de permettre à une communauté déjà constituée d'effectuer le passage à la taxe professionnelle unique et, a fortiori, à la fiscalité mixte sans même consulter les communes membres.
Nous vous proposerons que d'aussi importantes décisions ne puissent être prises sans l'accord des conseils municipaux des communes membres.
L'Assemblée nationale a également introduit une mesure qui entame encore plus gravement la liberté des collectivités, en rendant le passage à la taxe professionnelle unique automatique par tacite acceptation. Nous nous opposerons évidemment à cette transgression de la démocratie.
Ce texte, qui a vocation à mutualiser les moyens des communes par la constitution de communautés de communes, n'assure pas, en l'état, une mobilisation efficace des acteurs sociaux et économiques en vue d'une vraie coopération intercommunale de projet, enrayant la crise urbaine, contribuant à une résorption efficace du chômage et de la précarité.
Comme vous, monsieur le ministre, nous souhaitons redonner du souffle à la décentralisation, comme vous, nous voulons servir le progrès social et les valeurs républicaines. Cette volonté fonde les amendements que nous défendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le renforcement de la coopération intercommunale, dont nous débattons aujourd'hui, est certainement la voie de la raison, celle qui, dans un pays riche du nombre de ses collectivités, de l'engagement de ses élus, conduira à s'adapter à la civilisation urbaine et à la dimension européenne.
Je salue votre projet de loi et vos initiatives, monsieur le ministre, et je les approuve.
Vos propositions rationnalisent l'intercommunalité, la clarifient, la fortifient et revêtent donc une importance particulière. En tout cas, ce projet de loi s'inscrit dans la voie de la décentralisation ouverte dès 1982.
Certes, l'examen de ce texte nous confronte aussi et encore à la fameuse « exception française ».
La première spécificité de cette exception française est l'émiettement communal. Lorsque l'Europe comptait douze pays membres, nous avions, à nous seuls, plus de communes que les onze autres pays réunis. Dans l'Europe des Quinze, nous représentons encore près de la moitié de l'effectif communal de nos quatorze partenaires.
Au moment où l'Europe se fait - et elle se fera ! - on ne peut continuer à reproduire cette situation, qui appelle indiscutablement des solutions.
Seconde spécificité de l'exception française : la trop lente application de la nécessaire réforme du regroupement. Si plus de la moitié de nos communes sont aujourd'hui associées au sein de structures intercommunales, et si nous sommes 31 millions à vivre dans ces structures, force nous est d'admettre l'échec relatif des tentatives effectuées dans le passé.
Alors que bien des pays voisins du nôtre ont réussi à fusionner leurs communes, un tel mouvement ne s'est pas imposé en France, loin de là.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Sauf à Lille !
M. Pierre Mauroy. Je suis à peu près le seul à avoir tenté cette opération, il y a fort longtemps. J'en reste partisan et, parce que je m'apprête à en réaliser une autre, on prétend que cela soulève des problèmes au regard de la démocratie !
Je rappellerai l'échec de la loi Marcellin qui, en 1971, a instauré un cadre juridique propre aux fusions de communes, ainsi que le modeste résultat de la loi de 1966 créant des communautés urbaines, puisqu'il n'en existe pas plus de douze trente ans après - je dis bien : douze en trente ans ! - et encore le mouvement s'est-il accéléré dans les dernières années. Quant au bilan de la loi ATR de 1992, il est bien contrasté dans la mesure où les communautés de communes se sont bien développées, alors que seulement cinq communautés de villes ont vu le jour.
La décentralisation ne peut se satisfaire ni de cette atomisation encore trop grande ni des graves déséquilibres qui ne permettent pas d'assurer au mieux la complémentarité indispensable entre zones rurales et zones urbaines. Elle suppose une cohérence institutionnelle qu'il faut renforcer, sur des territoires évidemment pertinents.
Intervenant parmi d'autres collègues socialistes, je limite mon propos aux communautés urbaines.
Structures imposées à l'origine, et dans des conditions plus autoritaires que démocratiques - mais, au fond, la bonne direction était prise, je le reconnais, même si, j'y étais au départ hostile - avec bien d'autres, elles furent, en 1966, qualifiées de « monstrueux regroupements » qui allaient étouffer les communes.
Reconquises par les élus à la faveur de la décentralisation, elles constituent aujourd'hui un modèle, en tout cas le modèle le plus élaboré, d'organisation intercommunale.
Elles apportent la réponse adaptée à la nécessité de doter notre pays de grandes villes à vocation internationale et aussi d'agglomérations plus modestes à forte dynamique régionale.
Elles seront désormais réservées à des ensembles de 500 000 habitants. Ce seuil valide un objectif, que je fais mien, celui de structurer la France autour de grandes métropoles comparables à celles qui se développent sur tous les continents.
M. Jacques Peyrat. Bien sûr !
M. Pierre Mauroy. Avec, toutefois, un correctif : nous sommes loin, en France, des vastes ensembles urbains, regroupant des millions et des millions d'habitants. Nous restons à l'échelon français et européen.
Rien ne justifie donc que l'on s'alarme, bien au contraire, car il est clair qu'aucune région ne pourra se développer valablement sans une capitale suffisamment forte.
M. Jacques Peyrat. Voilà !
M. Pierre Mauroy. Entre l'ambition qui serait démesurée de vouloir grand, trop grand, et le sentiment parfois pusillanime, mais bien français, quand on touche à ces problèmes, de préférer petit, toujours trop petit - on parle de sa petite maison ou de son petit jardin - il existe un équilibre qui est bien dans la nature de la France et qui doit se retrouver impérativement dans l'aménagement du territoire.
Les communautés urbaines ont en commun de s'être imposées à la fois comme relais des collectivités de base et comme partenaires actifs des pouvoirs publics, notamment en matière de grands équipements.
S'agissant de l'élargissement des compétences, monsieur le ministre, l'Assemblée nationale a souhaité pour les communautés urbaines existantes un dispositif très incitatif. La taxe professionnelle unique, couplée à l'extension des compétences, devient la règle sauf si une majorité qualifiée s'y oppose dans un délai de six mois. Par ce « renversement de la charge de la preuve », les députés ont en quelque sorte ajouté le volontarisme à la volonté. En matière d'organisation administrative, il faut de la volonté et sans doute encore plus de volontarisme.
Vous avez suivi les députés, monsieur le ministre. Je partage ce souci de permettre aux structures qui ont été les pionnières du mouvement de l'intercommunalité de rester au coeur de cette dynamique. Je formulerai cependant quelques remarques.
La première est dictée par le souci d'éviter une précipitation qui n'apporterait rien. Elle porte sur l'allongement de six mois à un an après la promulgation de la loi du délai pour choisir le nouveau système. Ce délai d'un an me semble raisonnable.
La seconde remarque procède de la préoccupation de ne pas se montrer trop rigide, de laisser de la respiration dans la coopération et de la souplesse dans les transferts de compétence.
S'il est clair que nous voulons l'intercommunalité, il est tout aussi certain que celle-ci doit se faire avec nos communes et dans le respect de leur identité. Par expérience, je peux ajouter que vouloir en faire trop ou vouloir trop contraindre les communes nuit au développement d'un esprit communautaire qui est absolument indispensable au rayonnement de l'intercommunalité.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Pierre Mauroy. D'une manière plus générale, je crois qu'il est essentiel d'introduire dans ce texte la notion de compétence partagée, pour faciliter une articulation harmonieuse entre l'intérêt communautaire - je parle toujours des communautés urbaines - et la subsidiarité des communes.
J'entends toujours dire que les compétences ne sont pas respectées, mais on ne peut pas le faire. Aucun gouvernement ne pourra les faire respecter de manière absolue parce qu'elles ne sont pas dans la nature des choses.
Je prendrai l'exemple des équipements culturels. Leur coût élevé justifie une prise en charge communautaire, d'ailleurs réclamée par les maires, mais je ne crois pas opportun de déposséder les villes de leur rôle d'animation en ce domaine. Par conséquent, il est absolument indispensable que cette compétence reste dévolue aux villes, mais il convient aussi de procéder à quelques aménagements en faveur des communautés urbaines.
La culture est une part de l'âme des villes et les établissements communautaires ne sont pas encore touchés par la grâce ! Cela viendra peut-être, mais ce n'est pas encore le cas. Je proposerai donc une possibilité de conventionnement entre les communes et les communautés urbaines dans les cas d'équipements complexes où se retrouvent liées des fonctions d'agglomération et des fonctions de proximité.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Nous ne sommes pas compétents en matière d'enseignement supérieur, et pourtant nous avons, à Lille, alimenté un fonds de concours communautaire et, par le jeu d'une convention, nous avons aidé les villes à accroître le nombre de leurs étudiants. Nous avions un tel retard en ce domaine que nous étions montrés du doigt. Le Nord - Pas-de-Calais était la région française qui comptait le moins d'étudiants. Mais en dix ans, nous avons véritablement accompli des progrès considérables, et la communauté urbaine, qui n'était pas compétente, a trouvé le moyen, par le biais de ce fonds de concours, d'apporter une contribution décisive qui a été appréciée par tous. Comment voudriez-vous que je fasse autrement ?
Lille a été retenue comme capitale européenne de la culture. C'est très bien, et elle va sans doute rester pionnère de cette opération, mais si la communauté urbaine ne l'appuie pas en matière d'équipements culturels, il ne se passera rien du tout. Par conséquent, le bon sens veut qu'on aille vers un partage en la matière.
Nous devrions pouvoir agir de même dans le domaine culturel, mais aussi sportif ou en matière d'équipements de réseau, quand il existe un intérêt communautaire et que la décision en est prise à la majorité qualifiée. Peut-on compter sur une initiative de votre part en ce domaine, monsieur le ministre ? Ce serait essentiel.
Par ailleurs, la question de l'élection au suffrage universel des délégués communautaires a été posée. Elle est sans doute prématurée. Les responsabilités assumées par les communautés urbaines en termes de compétences et de budgets justifient pourtant cette interrogation sur une démarche de légitimation.
L'Assemblée nationale a voté un dispositif de distinction des futurs délégués sur les listes municipales des communes de plus de 3 500 habitants.
J'approuve un tel système, qui aura l'avantage de renforcer l'identité des communautés urbaines sans mettre en cause celle des communes. Il marque un progrès important et ouvre la voie à de nouvelles avancées qui, un jour, deviendront inéluctables. Sur ce plan-là, il ne faut jamais prendre le pari d'être en retard ; il faut toujours, au contraire, prendre celui d'être en avance !
Monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous soumettez ouvre une étape nouvelle de la décentralisation mais, surtout, une étape nécessaire parce qu'elle est fondée sur la double exigence de modernisation de nos collectivités et de prise en compte de l'avenir de nos territoires. Je vous en remercie.
Le renforcement et la simplification de la coopération intercommunale ont sans doute besoin de beaucoup de sagesse - et vous en trouverez beaucoup dans cette assemblée - mais aussi d'audace. Nous sommes trop en retard par rapport aux autres Etats ; nous sommes trop en retard par rapport à la nécessité dans laquelle se trouve la France de se moderniser, d'aller plus haut, d'aller plus loin. A nous de faire en sorte que, enfin, elle se donne une réforme administrative de son territoire à la hauteur de ses ambitions et des aspirations de sa population ! (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RPR. - M. le rapporteur pour avis applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Peyrat.
M. Jacques Peyrat. Monsieur le ministre, l'intercommunalité est mon combat permanent dans le pays azuréen, et je dois dire que j'ai écouté avec ravissement mon prédécesseur à la tribune, notre collègue Pierre Mauroy. Il est du Nord, je suis du Sud ; il a une communauté urbaine, je n'en ai pas encore ; il est la rose, je suis le réséda. (Sourires.) Et pourtant nous avons sur cette question des sentiments assez semblables.
L'intercommunalité prolonge et amplifie l'oeuvre de la décentralisation tout en étant inséparable de l'idée de responsabilité. Elle favorise des économies d'échelle et permet, monsieur le ministre, de répondre à l'évolution curieuse de notre société qui a vu le citoyen réclamer et obtenir de nouveaux droits, le contribuable avoir de nouvelles exigences et l'usager de nouveaux besoins.
Elle est aussi un progrès et non un recul pour la liberté communale, car, au fond, que signifie être libre aujourd'hui si ce n'est détenir à la fois le savoir, c'est-à-dire la compétence technique et juridique, mais aussi le pouvoir, c'est-à-dire les moyens de financement ?
Or, nous sommes dans une société où les petites communes se trouvent complètement démunies face à cette complexité technique. Elles sont obligées de s'en remettre parfois aux services de l'équipement, donc à l'Etat, pis à certains groupes privés qui géreront leurs affaires, qu'il s'agisse de l'eau, des déchets ou de la voirie.
Voilà ce qu'apporte l'intercommunalité en termes d'avantages. En renforçant la coopération entre les communes, votre projet de loi, monsieur le ministre, est donc une bonne chose tant il est vrai que les formes successives qui se sont empilées les unes sur les autres n'ont fait qu'accroître la complexité du système. Mais est-ce vraiment simplifier que de créer dans le même temps, par l'intermédiaire de votre collègue Dominique Voynet, la notion de pays, ce qui ajoute dès lors une structure supplémentaire ?
Votre texte semble malheureusement s'arrêter au milieu du gué.
S'agissant de la prétendue simplification des niveaux administratifs, vous ne pouvez doter les nouvelles communautés d'agglomération de compétences importantes sans poser clairement le problème du nombre et de l'empilement des niveaux de décentralisation.
Si tout ce que vous proposez est adopté, pouvez-vous nous expliquer à quoi servira, demain, un conseiller général dans une grande agglomération qui, de surcroît, aurait la possibilité de contractualiser avec l'Etat ?
Avez-vous raison, par ailleurs, monsieur le ministre, de limiter la possibilité - et là, je suis intéressé - de créer de nouvelles communautés urbaines, certes pour des raisons financières ?
Votre projet de loi visait, à l'origine, l'organisation urbaine qui a été abandonnée au bénéfice du renforcement et de la simplification de la coopération intercommunale, et je le regrette.
Le sénateur, mieux que tout autre, est le défenseur de la commune, mais le maire d'une grande agglomération comprend mieux que tout autre aussi la nécessité d'une intercommunalité à base d'organisation urbaine qu'il assume, d'ailleurs, dans sa plénitude.
Le développement inéluctable des grandes agglomérations amène à devoir les structurer. Les actions de développement économique, les programmes locaux d'habitat, la voirie et la communication, les plans d'occupation des sols, les équipements portuaires et aéroportuaires exigent inévitablement des concertations avec les partenaires de leurs abords, banlieues et communes limitrophes.
Or, on se trouve confronté à deux difficultés.
La première tient à la crainte qu'inspire la grande agglomération aux communes limitrophes de plus petite taille. Cette crainte est parfois de nature politique mais c'est, le plus souvent, celle d'être dévorée et de voir disparaître son indépendance, sa liberté de choix, bref, sa liberté.
En face, cependant, la ville, l'agglomération urbaine, ne sait pas comment équilibrer ses charges de « centralité » écrasantes pour entretenir des structures communautaires lourdes dont les petites communes ont pris l'habitude de bénéficier sans aucune contrepartie.
La seconde difficulté réside dans le fait que ces communes préfèrent des regroupements au sein de réseaux d'amitié ou d'habitudes générées par le travail, souvent autour d'un chef-lieu de canton, et créent désormais des communautés de communes.
Si, de plus, la DGF leur offre des moyens nouveaux par une subvention de 150 francs par habitant, que certains, dont notre rapporteur, veulent voir porter à 175 francs, je crains que le mouvement de repli en syndicat de communes ne soit aggravé.
Certes, votre projet de loi donne au préfet, garant de l'intérêt général, des pouvoirs non négligeables. Mais quelle est l'étendue réelle de son pouvoir en ce domaine ?
Dans le même ordre d'idées, quelle sera l'étendue de son pouvoir de persuasion pour que le périmètre qu'il aura tracé, et qui correspondra à l'aire urbaine, soit adopté par tous ? C'est une question essentielle dont dépend la réussite de votre projet de loi.
C'est d'ailleurs parce que vous doutiez de la volonté réelle de nombreuses communes d'avancer sur ce chemin de la coopération intercommunale que vous aviez prévu au départ, et de façon autoritaire, la création dans la loi de sept nouvelles communautés d'agglomération.
Vous n'avez pas voulu aller jusque-là. Vous avez choisi d'être incitatif plutôt qu'autoritaire et sans doute avez-vous eu raison. Mais il nous faudra expliquer, combattre la frilosité des maires des petites communes craintifs à l'égard des « grosses pointures » et jaloux de conserver leur liberté communale.
En effet, je doute que les communes, qui ont jusqu'à présent refusé de s'engager sur la voie de la coopération par le biais de communauté urbaine et désormais de communauté d'agglomération, y viennent facilement, et ce malgré les incitations financières supplémentaires que vous leur promettez.
Je crains, dès lors, que, malgré toutes les bonnes intentions, ce nouveau projet de loi ne soit finalement qu'un projet de plus sur l'intercommunalité. Et si tel était le cas, je le regretterais profondément, car vous avez eu le grand mérite de proposer des solutions originales sous-tendues par une volonté qui était espérée. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, conformément à la décision prise par la conférence des présidents, nous allons maintenant interrompre la discussion du projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale. Elle sera reprise le mardi 6 avril.

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