Séance du 25 mars 1999







M. le président. « Art. 10. - I. - L'intitulé de la section 1 du chapitre V du titre 1er de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 précitée est ainsi rédigé : "Du schéma de services collectifs de l'enseignement supérieur et de la recherche".
« II. - L'article 11 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 11 . - I. - Le schéma de services collectifs de l'enseignement supérieur et de la recherche organise le développement et une répartition équilibrée des services d'enseignement supérieur et de recherche sur le territoire national.
« Il fixe les orientations permettant de favoriser le rayonnement de pôles d'enseignement supérieur et de recherche à vocation internationale.
« Il vise à assurer une offre de formation complète, cohérente et de qualité à un niveau régional ou interrégional.
« Il organise le développement et la répartition des activités de l'enseignement supérieur et de la recherche ainsi que la coopération entre les sites universitaires et de recherche, en particulier avec ceux situés dans les villes moyennes, en tenant compte de l'organisation des villes et des établissements en réseaux.
« Il favorise les liaisons entre les formations technologiques et professionnelles et le monde économique par l'intermédiaire, notamment, des instituts universitaires de technologie et des sections de techniciens supérieurs des lycées, des instituts universitaires professionnalisés et des écoles d'ingénieurs. Il a également pour objet de valoriser la recherche technologique et appliquée.
« Il tient compte des priorités nationales et régionales en termes d'emplois.
« Il valorise la formation continue.
« Il précise les conditions de la mise en oeuvre de la politique de la recherche telle qu'elle est définie par la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France.
« Il organise dans les régions ou aux niveaux pertinents, sur des thèmes reconnus internationalement, l'association des différentes composantes de la recherche. Il encourage un double processus d'essaimage à partir des centres de recherche, l'un de type fonctionnel vers le monde économique, l'autre de type géographique, entre sites ou entre établissements d'enseignement supérieur et de recherche.
« Il définit les objectifs de répartition géographique des emplois de chercheurs, d'enseignants-chercheurs et d'ingénieurs participant à la recherche publique.
« Il intègre le développement des technologies de l'information et de la communication dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il favorise des réseaux à partir des centres de recherche et de l'enseignement du supérieur qui animeront des bassins d'emplois, des zones rurales ou des zones en difficulté.
« Il favorise la diffusion de l'information et de la culture scientifique et technique.
« Il définit les moyens à mettre en oeuvre pour favoriser l'accueil et l'insertion professionnelle des étudiants.
« II. - La conférence régionale d'aménagement et de développement du territoire organise la concertation sur l'enseignement supérieur et la recherche afin d'assurer la répartition équilibrée des activités d'enseignement supérieur et de recherche, de promouvoir une meilleure articulation entre recherche publique et recherche privée et de favoriser les synergies avec le monde économique grâce à la formation en alternance, à la formation continue et au soutien de projets porteurs de développement économique. »
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Le plan Université 2000 a donné lieu à la mise en place d'un maillage dense du territoire, voire à une dispersion de l'enseignement post-baccalauréat. Celle-ci était indispensable dans un contexte de massification de l'enseignement supérieur ; elle a contribué à une relative démocratisation des études supérieures en renforçant le recrutement de proximité.
Mais les objectifs d'aménagement du territoire ne doivent pas faire perdre de vue l'enjeu d'avenir que constitue l'amplification de la concurrence des formations à l'échelle européenne et internationale.
Or, les implantations récentes ont été faites, avant tout, pour répondre à des enjeux de développement local, sans vision globale des filières, les élus s'efforçant de doter leurs communes de formations d'enseignement supérieur censées apporter les meilleures retombées économiques.
Parallèlement, c'est essentiellement par la recherche, l'innovation et le transfert de technologies que passe un développement économique réellement créateur d'emplois. Il faut donc favoriser le développement de la recherche dans les universités nouvelles, tout en sachant que la vocation internationale de notre potentiel de recherche sera limitée à quelques sites, notamment en raison du coût d'appropriation élevé de l'équipement technologique.
Désormais, l'enjeu porte sur la rationalisation et la mise en cohérence de notre système d'enseignement supérieur et de recherche, préalable au développement de notre dimension européenne.
Il s'agit non seulement de promouvoir un fonctionnement en réseaux qui associent universités, grandes écoles, centres de recherche et entreprises, mais aussi de développer des coopérations interrégionales pour valoriser la complémentarité des sites, à l'exemple des DEA, diplômes d'études approfondies, communs aux universités de Marne-la-Vallée et de Reims.
L'enjeu d'aménagement du territoire réside non plus dans l'équipement immobilier mais dans le développement du partenariat, de la contractualisation et de l'interrégionalité. Bien sûr, ce nouvel enjeu ne sera valable que lorsqu'un rattrapage aura eu lieu en matière de mise aux normes de sécurité, de réhabilitation des équipements et d'accueil des étudiants, tout particulièrement dans la région Ile-de-France, qui ne s'est pas vu attribuer les moyens nécessaires à sa modernisation et à son développement.
Telles sont les conditions d'une mobilisation réussie de l'enseignement supérieur et de la recherche à des fins d'aménagement du territoire. C'est pourquoi nous ne pouvons souscrire à la seule logique de l'offre qui prévaut dans les schémas directeurs d'équipements et de services proposés par la commission spéciale.
Avec le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, les formes d'apprentissage seront de moins en moins fondées sur la seule transmission du savoir en un lieu donné, comme le montre déjà l'utilisation de la téléconférence à l'université du Littoral. Cele exige de repenser les relations entre « universités mères » et antennes délocalisées.
L'accès à l'information ne doit pas être non plus une source d'inégalités supplémentaires : l'effort doit se porter sur la mise en réseau des établissements et des bibliothèques universitaires, d'autant que nombre de délocalisations souffrent de la limitation de leurs fonds documentaires. L'accès et la capacité d'utilisation des nouvelles technologies représentent aujourd'hui un élément essentiel d'une plus grande démocratisation du système d'enseignement.
Par ailleurs, l'enseignement supérieur doit s'ouvrir à de nouveaux publics au travers de la formation permanente. Il faudra définir les voies d'amélioration et d'adaptabilité des compétences, développer des articulations entre formation initiale et formation continue, et ce d'autant plus qu'il nous est impossible de dire ce que seront les métiers dans vingt ans.
Les régions auront, à ce titre, un rôle important à jouer en faveur des actifs de leur territoire, puisqu'elles sont en charge de la formation professionnelle. Il faut s'attendre aussi à ce que cette exigence de formation tout au long de la vie entraîne, à son tour, une modification de l'architecture de notre système éducatif.
Enfin, je veux revenir, d'un mot, sur la notion d'universités thématiques, si chère à la majorité sénatoriale, lors du débat sur la loi de 1995.
Certains ont imposé à M. Fillon d'inscrire la création de deux universités thématiques à l'article 12 de cette loi. Ensuite, ils ont obtenu de M. Bayrou la création d'une telle université à Agen, et ce contre l'avis à la fois du conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche et de la conférence des présidents d'université.
Et aujourd'hui, plus rien ! L'expression « université thématique » disparaît complètement des propositions de la commission spéciale.
Que faut-il en déduire ? Que les universités thématiques ne sont pas une bonne voie ?
Je crois qu'à faire trop de « localisme », vous avez oublié l'objectif essentiel de l'enseignement supérieur, qui est non pas prioritairement au service du développement local ou des entreprises - en tout cas, certainement pas au service des exigences du patronat en matière de formation - mais au service des étudiants. Si, parallèlement, l'enseignement supérieur peut participer au développement local, ce n'en est que mieux ; mais cela n'est pas sa mission première. Il ne faudrait pas inverser le processus.
Pour notre part, nous sommes attachés à la cohérence territoriale et organisationnelle de notre système d'enseignement supérieur et de recherche, au caractère national des diplômes et à la polyvalence des universités. La polyvalence est d'autant plus justifiée que l'on assiste aujourd'hui à un effondrement des barrières entre les disciplines, cette évolution étant particulièrement nette dans les domaines scientifiques.
Ainsi, c'est vers une double dynamique que doit s'orienter notre système d'enseignement supérieur et de recherche : réseaux partenariaux de formation et de recherche en synergie avec leur environnement local, d'une part, prise en compte de la dimension européenne et de l'internationalisation des formations, d'autre part. Ce sont les orientations que nous indique le schéma de services collectifs de l'enseignement supérieur et de la recherche, orientations qui ne pourront être concrétisées que si les contrats de plan Etat-régions réussissent.
M. le président. Sur l'article 10, je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 42, MM. Larcher, Belot et Revet, au nom de la commission spéciale, proposent de rédiger comme suit l'article 10 :
« I. - L'intitulé de la section 1 du chapitre V du titre Ier de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 précitée est ainsi rédigé : "Du schéma directeur d'équipements et de services de l'enseignement supérieur et de la recherche".
« II. - L'article 11 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 11. - I. - Le schéma directeur d'équipements et de services de l'enseignement supérieur et de la recherche organise une répartition équilibrée des établissements d'enseignement supérieur et de la recherche sur le territoire national.
« Il détermine les dispositions les mieux à même de favoriser le rayonnement international des pôles d'enseignement supérieur et de recherche.
« Il s'attache à assurer une offre de formation complète tenant compte des priorités nationales et régionales en termes de politiques de l'emploi et de développement économique. Il définit les moyens à mettre en oeuvre pour favoriser l'accueil et l'insertion professionnelle des étudiants.
« Il détermine le développement et la localisation des disciplines de l'enseignement supérieur et de la recherche et favorise la coopération entre les différents sites, notamment ceux localisés dans des villes de taille moyenne et des réseaux de villes. Il encourage l'essaimage des centres de recherche.
« Il favorise des réseaux à partir des centres de recherche et des établissements de l'enseignement supérieur qui animeront des bassins d'emploi, des zones rurales et des zones en difficulté.
« Il prévoit le renforcement des liens entre les formations technologiques et professionnelles et les entreprises à travers le développement des instituts universitaires de technologie, des sections de techniciens supérieurs des lycées, des instituts universitaires professionnalisés et des écoles d'ingénieurs. Il a également pour objet de favoriser la formation continue ainsi que la recherche technologique et appliquée.
« Il précise les conditions de la mise en oeuvre de la politique de la recherche telle qu'elle est définie par la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 modifiée d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France.
« Il définit les objectifs de répartition géographique des emplois de chercheurs, d'enseignants-chercheurs et d'ingénieurs participant à la recherche publique.
« Il intègre le développement des technologies de l'information et de la communication dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche.
« II. - La conférence régionale d'aménagement et de développement du territoire organise la concertation sur l'enseignement supérieur et la recherche afin d'assurer la répartition équilibrée des activités d'enseignement supérieur et de recherche, de promouvoir une meilleure articulation entre recherche publique et recherche privée et de favoriser les synergies avec le monde économique grâce à la formation en alternance, à la formation continue et au soutien de projets porteurs de développement économique. »
Cet amendement est assorti de quatre sous-amendements.
Le sous-amendement n° 279, présenté par M. Le Cam, Mme Beaudeau, M. Lefebvre et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, il tend, dans le premier alinéa du texte proposé par le paragraphe II de l'amendement n° 42 pour l'article 11 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995, avant les mots : « une répartition équilibrée », à insérer les mots : « le développement et ».
Les deux sous-amendements suivants sont identiques.
Le sous-amendement n° 151 rectifié est présenté par M. Vasselle.
Le sous-amendement n° 334 est présenté par M. Gruillot.
Tous deux ont pour objet, dans la première phrase du sixième alinéa du texte proposé par le II de l'amendement n° 42 pour l'article 11 de la loi du 4 février 1995, après les mots : « des instituts universitaires de technologie, », d'insérer les mots : « des universités de technologie, ».
Le sous-amendement n° 280 rectifié, présenté par M. Le Cam, Mme Beaudeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, vise à supprimer l'avant-dernier alinéa du I du texte proposé par le II de l'amendement n° 42 pour l'article 11 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995.
Par amendement n° 281, M. Le Cam, Mme Beaudeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le paragraphe II du texte présenté par le II de l'article 10 pour l'article 11 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995, avant les mots : « la répartition équilibrée », d'insérer les mots : « le développement et ».
Par amendement n° 152, M. Vasselle propose, dans le dernier alinéa de l'article 10, après les mots : « et de recherche », d'insérer les mots : « sur le territoire ».
Par amendement n° 118 rectifié, MM. Arnaud, Jarlier, Herment, Deneux, Souplet, Moinard, Louis Mercier et Hérisson proposent de compléter in fine le texte présenté par le II de l'article 10 pour l'article 11 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... - Afin d'assurer l'existence de formations d'enseignement supérieur dans les zones rurales les plus fragiles du territoire, une loi d'orientation fixera, un an au plus tard après la promulgation de la loi n° du d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, les modalités de la création de telles formations, notamment par le biais d'universités thématiques, destinées à se développer dans les villes moyennes, ou de collèges universitaires. »
Par amendement n° 173 rectifié, MM. Cornu, Fournier, Joyandet, Lassourd et Taugourdeau proposent de compléter in fine l'article 10 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - Afin d'assurer l'existence de formations d'enseignement supérieur dans les zones rurales les plus fragiles de notre pays, une loi d'orientation fixera, un an au plus tard après l'entrée en vigueur de la présente loi, les modalités de la création de telles formations, notamment par le biais d'universités thématiques, destinées à se développer dans les villes moyennes, ou de collèges universitaires. »
La parole est à M. Larcher, rapporteur, pour défendre l'amendement n° 42.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Le schéma directeur d'équipements et de services de l'enseignement supérieur et de la recherche a donné lieu, ici même, en décembre 1994, à un large débat.
Le vote qui a suivi restera un moment fort, car c'est à une très large majorité, monsieur Lagauche - seules huit voix ne se sont pas exprimées - que le Sénat s'est prononcé en faveur de la proposition de la commission spéciale, qui a ainsi apporté sa contribution à la préparation du texte qui allait devenir la loi du 4 février 1995.
Nous croyons, nous, que l'Université, la recherche, l'enseignement supérieur sont structurants de l'aménagement et du développement du territoire.
Et si l'Université et l'enseignement supérieur ont, certes, vocation à former les femmes et les hommes et non pas uniquement à faire plaisir au patronat, monsieur Lagauche, ils n'ont pas non plus vocation à être le suppôt de l'ANPE ! A priori , il faut trouver des débouchés. Dès lors, mieux vaut éviter ce genre de formules toutes faites d'un autre âge, d'un autre temps, dans nos débats !
Dans la loi du 4 février 1995, nous avons posé un certain nombre de principes que nous avons ensuite été amenés à faire partager, notamment par la conférence des présidents d'université.
M. François-Poncet, intervenant sur les universités thématiques, vous dira la difficulté qu'il y a à faire émerger cette idée. Mais nous voyons aussi que les universités de technologie sont un grand succès. M. Vasselle, évoquant, en commission spéciale, la singulière et déjà ancienne expérience de Compiègne, a souligné la force que cette université de technologie avait apportée au territoire, par-delà la formation des étudiants.
Nous avons donc pu prendre acte d'un certain nombre de points que l'on retrouve aujourd'hui.
Tout d'abord, faire admettre la notion de localisation dans des villes de taille moyenne et dans les réseaux de villes, y compris par la conférence des présidents d'université, n'a pas été chose facile. Il y a fallu le débat de décembre 1994, enrichi des débats que nous avions eus avec cette même conférence lors de la préparation du schéma national d'aménagement et de développement du territoire.
Nous avons également inscrit les réseaux à partir des centres de recherche et des établissements d'enseignement supérieur qui animent les bassins d'emploi, les zones rurales et les zones en difficulté, qui ne doivent pas être mis à l'écart de nos préoccupations en matière d'enseignement supérieur et de recherche.
Au regard du rééquilibrage de l'enseignement supérieur et de la recherche, nous avons parfois, dans notre pays, des habitudes singulières ; nous souhaitons avoir tout de la même qualité partout, alors que, dans d'autres pays, on n'hésite pas à se déplacer soi-même pour suivre tel ou tel enseignement plus spécialisé.
Ce que nous proposons en matière d'enseignement supérieur et de recherche, c'est un outil essentiel pour l'aménagement et le développement du territoire, un outil qui, d'ailleurs, a connu un certain nombre de rééquilibrages.
Je citerai, d'abord, le rééquilibrage dans le domaine de la recherche, notamment de la recherche publique, de la région Ile-de-France vers le reste du territoire, et ce depuis une dizaine d'années. Les chiffres sont éloquents.
Si certains, qui ne sont pas de la région Ile-de-France, trouvent cela insuffisant, d'autres, comme Mme Beaudeau, en commission, s'en sont alarmés. A cet égard, je me dois de rapporter à notre assemblée le constat, fait par le préfet de la région Ile-de-France, du vieillissement des équipes de recherche, notamment dans la recherche publique.
Il faut donc manier ce concept de transfert avec prudence, sans mettre en péril le nécessaire renouvellement des équipes, car l'augmentation de la moyenne d'âge des équipes de recherche en Ile-de-France peut éventuellement remettre en cause leur efficacité et, des lors, la recherche elle-même.
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Le Sénat comprendrait mal que je ne dise pas un mot des universités thématiques, auxquelles a fait référence M. Lagauche, et qui constituent la passerelle entre ce que le Sénat avait adopté en 1995 et le texte qui est aujourd'hui proposé.
C'est d'ailleurs l'occasion pour moi de souligner à quel point le Sénat quasi unanime avait, à l'époque, fait preuve d'indépendance par rapport aux propositions du Gouvernement. Je me souviens en effet qu'à la place qu'occupe aujourd'hui Mme la ministre se trouvait le ministre délégué aux universités, qui, porte-parole des universités et de leur conservatisme, s'était élevé contre la proposition de la commission spéciale.
J'avais croisé le fer avec lui non sans quelque véhémence. Le Sénat avait suivi sa commission spéciale, toutes tendances politiques confondues.
Alors, quelles étaient les idées qui sous-tendaient ces universités thématiques ? Ces idées, tout à fait simples, restent parfaitement valables.
Première idée : sans matière grise, il n'y a plus, à notre époque, de développement. Autrefois, la matière première - le charbon, par exemple - était un grand localisateur d'activités ; aujourd'hui, si certaines localisations industrielles sont encore tributaires de la matière première, ce qui compte, pour l'essentiel, c'est l'intelligence.
Par conséquent, concentrer l'intelligence dans de très grandes universités - il faut aller à Toulouse, par exemple, qui compte 85 000 étudiants, pour voir le désordre qui y règne et constater le désarroi des étudiants ! - c'est priver l'ensemble du territoire de cette irrigation de l'intelligence, et donc le condamner au sous-développement.
Seconde idée, là où il n'y a pas un bassin de population suffisant pour une université pluridisciplinaire, la seule façon de combiner l'exigence de la matière grise et le caractère limité du bassin démographique, c'est justement d'avoir, comme il y en a aux Etats-Unis, des universités qui se choisissent une spécialisation.
C'est ce que nous avons fait. Les universités technologiques nous avaient précédés et leur exemple montre que cette vision est une vision réaliste.
C'est donc ce que nous avons fait et, comme nous savions, à travers les objections du ministre de l'époque, que nous nous heurterions à la réticence des universités, nous avions prévu qu'il y ait deux universités dont l'identification et la localisation territoriale seraient déterminées avant la fin de l'année. Voilà la genèse.
Nous avons alors assisté à une levée de boucliers de la part des présidents d'université ; mais leur conservatisme est bien connu. Quel était leur argument central ? Un véritable sophisme ! Il consistait à dire que l'université signifie universalité et que, là où il n'y a pas universalité, il ne peut y avoir université. Soit !
Toujours est-il que l'université thématique est née. Elle est née chez moi, ce qui n'était guère surprenant. Elle a été créée et elle existe d'ailleurs toujours parce que le décret qui doit la supprimer n'a pas encore été pris. (Sourires.)
L'expérience que nous avons faite est un succès puisque cette université thématique, qui deviendra dorénavant, avec l'accord des universités, un institut, a réussi à recruter des élèves de la France entière. A partir du moment où l'université thématique parvient au niveau d'excellence, elle échappe en effet à son bassin démographique et elle recrute dans la France entière.
Qu'est-il arrivé ensuite ? Changement de majorité, nouveau ministre, nouvelle vision. J'ai tort de parler de nouveau ministre et de nouvelle vision. En effet, M. Allègre qui n'a pas hésité par ailleurs à défier le corps enseignant, peut-être faute d'avoir pris, à l'époque, totalement conscience des difficultés auxquelles il se heurterait, s'est sur ce point aligné avec les présidents d'université pour tuer l'université en vol. Il a envoyé un « scud » qui a assassiné l'université, sans que, pour autant, comme je le disais, le décret sorte.
Dans le même temps, constatant que notre université ne pourrait pas vivre en tant qu'université thématique, nous avons fait la paix avec les présidents d'université et nous nous sommes accommodés d'une solution de transaction.
Mais des universités thématiques apparaissent : une est en train de voir le jour dans le Tarn, en réseau avec les universités de Toulouse, ce qui aurait parfaitement pu se faire également à l'époque si le ministre l'avait voulu. On accepte aujourd'hui ce qu'il y a deux ans on a cherché à tuer, peut-être d'ailleurs parce que l'origine politique de l'initiative ne convenait pas. Je ne voudrais pas ici faire des suppositions ou des procès d'intention, je me contente donc d'évoquer cette hypothèse.
En tout cas, je constate que nous sommes amenés aujourd'hui à être beaucoup moins audacieux que nous ne l'avions été en 1995, parce que nous cédons à un lobby universitaire qui, à mon avis, n'est pas de très bon conseil pour l'aménagement du territoire. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade, pour présenter le sous-amendement n° 279.
Mme Odette Terrade. Depuis un certain nombre d'années, la recherche publique a dû payer en termes d'emplois et d'infrastructures un lourd tribut à une politique qui avait alors pour nom la délocalisation. Il reste dans les têtes, mais aussi dans la réflexion de quelques-uns, des avatars de cette délocalisation et la recherche publique à présent est pensée moins en termes de développement qu'en termes de répartition de l'existant, avec l'idée combattue, mais tenace, hélas ! que la région parisienne présenterait un excès d'emplois publics de recherche et d'infrastructures au détriment de régions peu ou mal pourvues.
Certes, il serait vain de nier les sous-dotations de certaines régions en matière d'emplois scientifiques et d'équipement. Pour autant, les délocalisations menées n'ont eu d'autre effet que de fragiliser l'ensemble de la recherche publique en Ile-de-France sans créer dans les régions les masses critiques nécessaires à la recherche publique.
Il est, selon nous, plus que temps de penser l'aménagement du territoire sur un autre mode que celui qui prévaut ; une répartition « équilibrée » du territoire ne saurait se concevoir en moyens constants !
Les évolutions voire les révolutions scientifiques en cours modifient, et ont d'ores et déjà modifié, les conceptions qui furent les nôtres du progrès, de l'innovation et du développement économique.
Nous pouvons, sans nous livrer outre mesure aux arts divinatoires, présager une évolution encore plus grande de la science et de ses conséquences en matière de développement économique. Cette évolution imposera un nombre encore plus grand d'équipements, un volontarisme plus offensif des pouvoirs publics, une formation scientifique plus grande des générations à venir.
Le développement est nécessaire pour tenir compte des particularités régionales. Chacune de nos régions pourrait inscrire des politiques de recherche tirant profit de leur territoire, plus encore qu'aujourd'hui. Je pense notamment aux régions du littoral pour l'étude de la mer et de son économie, aux régions méditerranéennes pour la biodiversité, notamment. La liste est longue des potentialités à développer et allant à l'encontre d'une logique de répartition.
Cette inscription par les régions d'une véritable politique de recherche ne peut se concevoir à moyens constants pour la recherche publique. A l'inverse d'une mise en concurrence des pôles régionaux dans le domaine scientifique, l'équilibre des activités de recherche et d'enseignement doit s'apprécier, pour demeurer pertinent, de manière dynamique.
Tel est le sens du sous-amendement n° 279 et de l'amendement n° 281 que nous proposons au Sénat d'adopter et qui prévoient que la conférence régionale d'aménagement aura compétence pour assurer le développement et la répartition équilibrée des activités d'enseignement supérieur.
M. le président. La parole est à M. Vasselle, pour défendre le sous-amendement n° 151 rectifié.
M. Alain Vasselle. Ce sous-amendement devrait être de nature à satisfaire à la fois M. Lagauche qui s'est ému qu'il ne soit plus fait référence aux universités thématiques dans le présent projet de loi, alors que c'était le cas dans le texte précédent, et M. François-Poncet qui, avec beaucoup de talent, a fait un plaidoyer remarquable en faveur des universités thématiques.
Par ailleurs, je remercie Gérard Larcher d'avoir fait référence à l'université technologique de Compiègne, qui a été l'une des premières à être implantées sur le territoire ; plus particulièrement, ce sont la région Picardie et la ville de Compiègne qui en ont été les bénéficiaires.
Je tiens à témoigner ici du dynamisme et du développement qui a été généré par l'implantation de cette université de technologie à Compiègne : Compiègne est devenue un véritable pôle de développement ; les effets induits de cette implantation en termes de développement économique ont été extraordinaires. Cette université a aujourd'hui une renommée internationale ; la qualité de la formation qui est dispensée est reconnue, et l'ensemble des milieux économiques s'en félicitent.
Ainsi, développer ce type d'université, loin d'affaiblir notre pays, contribue à l'aménagement structurel de notre territoire.
A cet égard, il faut tirer les enseignements de cette expérience ; celle d'Agen en est d'ailleurs une autre. M. Chevènement a aussi compté une université de technologie dans son département. Cela montre bien que cela dépasse très largement les sensibilités politiques qui peuvent apparaître ici dans cette assemblée. Il s'agit d'un problème d'aménagement du territoire et je crois que, de ce point de vue, nous devrions tous nous retrouver dans la rédaction de l'amendement tel qu'il nous est proposé par notre collègue Gérard Larcher.
Nous proposons un simple ajout à votre amendement, monsieur le rapporteur ; je ne doute pas que vous saurez lui réserver un accueil favorable, en visant comme je le propose les universités de technologie.
M. le président. Le sous-amendement n° 334 est-il soutenu ?...
La parole est à Mme Terrade, pour défendre le sous-amendement n° 280 rectifié.
Mme Odette Terrade. Le dixième alinéa de l'article 10 que nous examinons prévoit que les schémas de services collectifs de l'enseignement supérieur et la recherche organiseront les objectifs de répartition géographique des emplois de chercheurs, d'enseignants-chercheurs et d'ingénieurs participant à la recherche publique. Notre amendement prévoit la suppression de cette disposition.
Notre refus de cette dernière se fonde moins sur le principe - tant nous sommes favorables à l'élaboration à chacun des échelons de notre pays de la politique de recherche et d'enseignement telle qu'elle résulte d'ailleurs de l'esprit des lois de 1982 et 1984 sur la recherche et l'enseignement - que sur les problèmes concrets qui pourraient se poser en l'état.
En effet, les schémas collectifs ont à charge de fixer des orientations dans chacun des domaines qui les occupent pour une durée de vingt ans.
Cette durée, s'agissant de l'enseignement supérieur et de la recherche, nous paraît excessive. Comment penser l'avenir de la recherche publique sur une période aussi longue ? Quels seront dans vingt ans les besoins de notre pays en matière de recherche publique et d'enseignement supérieur ?
N'est-ce pas obérer d'une certaine manière, en l'énonçant ainsi, tout développement, en figeant dans des délais trop longs un schéma des services collectifs de l'enseignement supérieur et de la recherche ?
Une fois encore, la notion de répartition ne s'inscrit-elle pas, en elle-même, dans une vision trop restrictive du développement que l'on souhaite mettre en oeuvre dans notre pays ?
Pour l'ensemble de ces raisons, nous proposons à la Haute Assemblée de ne pas inscrire en l'état cette disposition dans le texte qui nous est soumis. Tel est le sens du sous-amendement que nous vous demandons de bien vouloir adopter.
M. le président. L'amendement n° 281 a déjà été défendu par Mme Terrade.
La parole est à M. Vasselle, pour présenter l'amendement n° 152.
M. Alain Vasselle. Il s'agit d'un amendement de précision et de cohérence.
M. le président. La parole est à M. Louis Mercier, pour défendre l'amendement n° 118 rectifié.
M. Louis Mercier. Il est clair aujourd'hui que les départements ruraux qui ne pourront pas proposer à leurs jeunes des formations d'enseignement supérieur offrant de réels débouchés sur le marché de l'emploi, au-delà de quelques classes de BTS, sont inexorablement condamnés à voir partir ces jeunes - le plus souvent sans espoir de retour - et donc condamnés au dépeuplement et au déclin. En effet, les jeunes désireux de suivre des formations d'enseignement supérieur seront obligés de rejoindre la métropole régionale.
Il s'agit non pas pour autant de prévoir la création d'université de plein exercice dans tous les départements, mais de créer des formations supérieures adaptées aux besoins ou à l'environnement socio-économique des zones rurales.
A cet effet, la possibilité prévue par la loi d'orientation de 1995, sous l'impulsion du Sénat, de créer des universités dites thématiques destinées à se développer dans les villes moyennes, était une avancée importante.
M. Michel Bécot. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 173 rectifié est-il soutenu ?...
Quel est l'avis de la commission sur les sous-amendements n°s 279, 151 rectifié, 280 rectifié, ainsi que sur les amendements n°s 281, 152 et 118 rectifié ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. La commission est favorable au sous-amendement n° 279 parce que la notion de développement est importante. Nous l'avons d'ailleurs affirmé d'emblée.
Nous avons également émis un avis favorable sur le sous-amendement n° 151 rectifié, car la mention des universités de technologie permet de compléter utilement la liste des établissements dont les formations doivent être particulièrement en lien avec le monde économique. Je l'ai d'ailleurs souligné tout à l'heure en présentant l'amendement de la commission spéciale.
La commission émet bien sûr le même avis sur le sous-amendement identique n° 334 déposé par M. Gruillot.
S'agissant du sous-amendement n° 280 rectifié, l'objectif à vingt ans ne constitue qu'une orientation, mais nous savons bien, mes chers collègues, que le rééquilibrage de la recherche imposera de prendre des décisions qui concerneront les hommes et les femmes qui travaillent dans ce secteur d'activité. On ne pourra pas affirmer comme une pétition de principe qu'il faut rééquilibrer la recherche sans que cela entraîne de conséquences sur la répartition des chercheurs sur le territoire. Nous sommes donc défavorables au sous-amendement n° 280 rectifié, pour des raisons de fond.
Par ailleurs, nous pensons que l'amendement n° 281 est satisfait. Il constituerait en quelque sorte une position de repli.
En ce qui concerne l'amendement n° 152 présenté par M. Vasselle, nous sommes favorables à l'affirmation du territoire.
S'agissant de l'amendement n° 118 rectifié de M. Louis Mercier, le dispositif proposé est intéressant, mais il nous semble un peu lourd. Par ailleurs, cet amendement nous paraît, au moins pour partie, satisfait par l'article 61 de la loi du 4 février 1995, qui sera modifié par la commission spéciale. Cet article prévoit en effet des mesures particulières en faveur des zones de revitalisation rurale, qui sont destinées à assurer des conditions de vie équivalentes sur l'ensemble du territoire.
Par conséquent, votre préoccupation, monsieur Louis Mercier, est prise en compte. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 42, 281, 152 et 118 rectifié, ainsi que sur les sous-amendements n°s 279, 151 rectifié, 334 et 280 rectifié ?
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je voudrais tout d'abord répondre à l'intervention sur l'article de M. Lagauche et indiquer quelles sont les priorités du Gouvernement en matière d'enseignement supérieur et de recherche, bien que de façon moins complète que M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie n'aurait pu le faire lui-même.
Concernant la part de l'Ile-de-France, permettez-moi de rappeler la situation issue des conditions dans lesquelles le plan Université 2000 a été négocié. En 1993, le refus de la région d'Ile-de-France, de ses départements et de la Ville de Paris de participer au financement d'Université 2000 a conduit l'Etat à faire porté son effort sur la province, avec le succès d'universités nouvelles - l'université d'Artois, l'université du Littoral et l'université de La Rochelle -...
M. Jean-Pierre Raffarin. Excellente université !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. ... et à développer cinq universités nouvelles en banlieue, à moderniser et à améliorer la capacité d'accueil de l'ensemble des universités de province dans un contexte de boom démographique que vous connaissez, et ce en faisant porter l'effort essentiellement sur les premier et second cycles.
Dans la période à venir, la volonté de l'Etat est de faire porter l'effort sur quatre priorités.
Il s'agit, premièrement, d'améliorer les conditions en termes de sécurité, de confort dans le secteur de l'enseignement supérieur. Je pense ici à la sécurité incendie, à l'amiante, au confort dans les facultés industrialisées des années soixante, à l'amélioration de l'accueil des étudiants, qu'il s'agisse de logements universitaires, de campus, de maisons des étudiants et de bibliothèques, ou à la mise en place de nouveaux établissements rendus nécessaires par l'évolution de la démographie universitaire. A cet égard, je ne parle pas tant en volume, car le volume est prévisionnellement stable, qu'en termes de répartition géographique, et en fonction des différentes disciplines et des différents niveaux d'étude.
Dans la période future, la priorité portera sur le troisième cycle et la recherche, en particulier sur le développement d'une recherche plus appliquée.
J'en viens à l'amendement n° 42, qui est plus concis, plus ramassé, plus lisible peut-être que le texte issu des nombreux amendements votés à l'Assemblée nationale. Le Gouvernement est cependant en désaccord avec cette nouvelle rédaction essentiellement pour deux raisons de fond.
D'abord, la rédaction proposée méconnaît la diversité des missions assurées par le service public d'enseignement supérieur tel que définies notamment dans la loi du 26 janvier 1984, laquelle précise de façon explicite, dans son article 6, que l'enseignement supérieur concourt à la politique d'aménagement du territoire. L'enjeu d'ensemble du schéma n'est pas la répartition équilibrée des établissements d'enseignement supérieur et de recherche parce que seraient alors exclus les instituts universitaires de technologie et les STS sections de techniciens supérieurs dont le territorial et économique est déterminant. Ensuite, et surtout, ce sont bien les activités induites par les différents organismes d'enseignement supérieur et de recherche, dans leur dimension technologique, scientifique, culturelle et sociale qui constituent l'enjeu du développement des territoires.
M. Jean-Pierre Raffarin. Exactement !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Premièrement l'enseignement supérieur ne peut être exclusivement organisé autour de la politique de l'emploi et du développement économique comme y tend la nouvelle rédaction du quatrième alinéa.
L'organisation d'une offre de formation complète, cohérente et de qualité à un niveau notamment interrégional vise d'abord la réduction des inégalités sociales et culturelles par l'élévation du niveau scientifique et culturel des individus. Elle est un moyen décisif de renforcement des capacités d'autonomie, d'adaptation, d'ouverture au monde de chacun de nos concitoyens, un facteur de démocratie et d'intégration.
Le Gouvernement n'a pas pour autant choisi l'ANPE contre les entreprises : il a inscrit prioritairement l'emploi dans les articles 1er et 2 de ce projet de loi. Il s'est déclaré favorable à la mise en exergue de cet enjeu dans ce schéma, mais il ne peut être favorable à ce que l'on réduise l'enjeu de l'enseignement supérieur à l'adaptation aux exigences des entreprises.
Je m'inquiète également de la suppression de toute référence à la culture scientifique et technique, et je donnerai tout à l'heure mon soutien au sous-amendement proposé par M. Vasselle, qui la compense un peu. Cette référence avait été apportée par l'Assemblée nationale. Elle constitue un moyen important de vulgarisation et d'appropriation critique des enjeux culturels, scientifiques et sociaux.
Deuxièmement, la rédaction proposée affaiblit les modalités d'une organisation territoriale performante de la recherche et de l'enseignement supérieur. Tous les pôles d'enseignement supérieur et de recherche n'ont pas vocation à développer un rayonnement international dans toutes les disciplines. L'enjeu réaliste est bien de favoriser quelques alternatives à la région parisienne.
Dans le troisième alinéa, la proposition sénatoriale mentionne les termes « des pôles » au lieu des termes « de pôles », qui se réfèrent à des réseaux complémentaires et organisés. Il ne s'agit donc pas de privilégier des métropoles monocentrées. On parle bien de pôles comme Lyon, Grenoble, Marseille, Aix et Montpellier, notamment.
La qualification des territoires ne peut trouver de solution miracle dans la multiplication des centres de recherche. C'est à partir des centres de recherche que doit être encouragé le processus d'essaimage.
L'organisation territoriale de la recherche doit être conçue en tenant compte de l'horizon qui est le sien, à savoir une évaluation internationale nécessaire à sa reconnaissance ; je déplore que cet objectif ait été supprimé dans la nouvelle rédaction. Je ne pense pas que ce soit la multiplication des établissements et des formations qu'il faille viser, il conviendrait plutôt d'organiser leur montée en niveau et en compétence ainsi que leur meilleure articulation avec l'environnement économique et social.
Globalement, le rapport du Sénat insiste sur l'importance des enjeux de mise en réseau, et je m'en félicite. Mais la nouvelle rédaction de l'article développe une seule et unique stratégie équipementière en décalage avec les réalités démographiques étudiantes et les réels besoins territoriaux.
Je voudrais vous faire part également d'une singularité. Il semblerait en effet que l'alinéa concernant les priorités régionales et nationales en termes d'emplois, issues d'amendements identiques proposés à l'Assemblée nationale par MM. Bouvard et Ollier, a été inscrit dans la petite loi à la suite d'une erreur, si l'on se réfère aux débats du Journal officiel. Cependant je m'étais déclarée favorable à ces amendements, contrairement au rapporteur. Je ne vois donc pas d'inconvénient à ce qu'on maintienne ces dispositifs dans l'amendement n° 42 comme dans la formulation initiale du Gouvernement.
Par ailleurs, je suis favorable au sous-amendement n° 279 ainsi qu'à l'amendement n° 151 rectifié de M. Vasselle.
En revanche, le sous-amendement n° 280 rectifié, présenté par M. Le Cam, ne me paraît pas devoir être retenu.
En effet, le schéma n'a pas pour finalité de figer à un horizon de vingt ans un objectif intangible de répartition territoriale des personnels d'enseignement supérieur et de recherche. Le schéma vise à un horizon de vingt ans, mais on sera amené, à chaque génération des contrats de plan, à l'actualiser.
S'il est évident que l'implantation d'une université, comme d'ailleurs la construction d'une autoroute, marque durablement le territoire, tout ce qui relève de l'approche en termes de services rendus, de localisation des hommes et des formations doit être actualisé très régulièrement, en fonction de l'évolution du contexte économique, des besoins des populations et des dynamiques de territoire.
Nous avons souhaité bien préciser que nous travaillions dans un objectif à vingt ans, mais les objectifs de répartition géographique des emplois dans l'enseignement supérieur et la recherche, l'évolution des effectifs en fonction du vieillissement des chercheurs, par exemple, évoqué tout à l'heure par M. le rapporteur, devront être régulièrement réactualisés.
Je voudrais vous signaler, madame Beaudeau, que nous avons bien maintenu l'article 13 de la LOADT, qui fixe un ratio tout à fait précis à l'horizon 2005 entre l'Ile-de-France et les régions. Je ne relirai pas cet article, mais il répond, d'une certaine façon, à votre souci de réactualiser régulièrement les rapports de force, tant quantitativement que qualitativement, entre l'Ile-de-France et les régions.
Je suis également favorable à l'amendement n° 281 de M. Le Cam et Mme Beaudeau, ainsi qu'à l'amendement n° 152 de M. Vasselle.
S'agissant de l'amendement n° 118 rectifié présenté par M. Louis Mercier, je dois avouer que j'ai souri ultérieurement en écoutant M. le rapporteur, dont l'habilité ne s'est pas démentie dans sa présentation.
M. Charles Revet. Notre rapporteur est toujours excellent !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. En effet ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Très franchement, mes propos ici ne sont empreints d'aucun esprit de polémique, parce que j'ai moi-même hésité avant de me forger mon opinion. J'avais d'ailleurs discuté avec M. François-Poncet de cette idée d'université thématique.
Je pense d'ailleurs que la rédaction de l'amendement n° 118 rectifié ne se limite pas au souci de mettre en place des universités thématiques mais tente de fixer les conditions dans lesquelles des formations d'enseignement supérieur pourraient s'implanter dans les zones rurales les plus fragiles du territoire.
Il s'agit là, purement et simplement, de l'affirmation d'intentions. Qui peut imaginer, en effet, qu'il soit possible d'implanter, dans les zones rurales les plus fragiles du territoire, des universités, des équipements et des formations d'enseignement supérieur ?
Ponctuellement, ici ou là, cela se fera. Ainsi, dans ma région, l'Ecole nationale d'industrie laitière de Poligny dispose de chercheurs et de formations supérieures dans un domaine très pointu, l'industrie laitière, et adapté au contexte du territoire. Mais cette école n'a jamais envisagé de s'appeler université parce que, par définition, l'université ne concerne pas une formation, elle doit être un minimum universaliste et pluridisciplinaire, qu'elle opère sur une site ou sur un réseau de sites.
Les universités multipolaires de l'Artois et du littoral sont d'ailleurs implantées dans des villes moyennes, voire dans de petites villes, mais elles ont toujours ce souci de pluridisciplinarité, de mise en réseau, de circulation des idées et des formations, de foisonnement, de bouillement, qui est inhérent à l'idée même d'université et de formation supérieure.
C'est ainsi que l'université de l'Artois est implantée à Arras, à Lens, à Douai, à Béthune, qui, sans être des grandes villes, ne sont pas non plus les zones rurales les plus fragiles du territoire.
L'université du littoral, quant à elle, est implantée à Boulogne, Calais, Dunkerque, Saint-Omer. Et nous sommes là aussi dans cette logique de multipolarité et de pluridisciplinarité.
Une université multipolaire est envisagée en région Midi-Pyrénées. Elle pourrait répondre en partie aux inquiétudes que vous exprimez par le biais de cet amendement. Mais, en l'occurence, il s'agit de procéder à un rééquilibrage en faveur des villes moyennes pour contrebalancer le poids peut-être excessif de Toulouse. Il n'est pas question de faire croire à chaque chef-lieu de canton qu'il pourra accueillir une université ou une formation supérieure.
L'examen de la situation actuelle fait apparaître - je tiens à le redire - que la France s'est dotée d'un réseau maillé relativement régulier de sites d'enseignement postbaccalauréat. Il ne subsiste plus qu'une vingtaine d'arrondissements sans site. Même si tous les arrondissements avaient un site, cela ne résoudrait en rien le problème de la distance entre le domicile et le lieu d'études supérieures pour la majorité des étudiants.
Je suis convaincue qu'on ne résout pas ainsi un problème qui me paraît majeur et qui a d'ailleurs été évoqué par plusieurs d'entre vous, s'agissant de la mobilité des étudiants. A mon sens, la mobilité, qu'elle soit intrarégionale, interrégionale ou internationale, notamment européenne, doit être repensée. Les programmes européens qui favorisent cette mobilité existent, notamment dans les filières conventionnelles, les filières d'enseignement général. Je ne suis pas sûre qu'ils soient aussi dynamiques en ce qui concerne l'enseignement technologique, les échanges d'expérience préprofessionnelle. Il nous faudra retravailler cet aspect.
Pour les zones rurales les plus fragiles, l'enjeu consiste surtout à valoriser les lieux d'enseignement supérieur et de recherche appliquée que constituent les lycées, notamment agricoles en zone rurale, les sections de techniciens supérieurs, les classes préparatoires et les réseaux entre ces établissements qui accueillent des formations postbaccalauréat et les universités. Il s'agit non pas d'un quelconque pis-aller, mais bien de formations qui contribuent au développement économique des territoires et aux aller et retour entre les territoires et les villes.
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Sans vouloir alimenter le débat, je souhaite répondre à une ou deux observations de Mme la ministre.
Je reviens à ce que nous avons dit hier : qui dit aménagement du territoire dit politique volontariste.
M. Jean-Pierre Raffarin. Exact !
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Tout le problème est de savoir où sont les limites raisonnables de la volonté.
Ainsi, est-il raisonnable ou déraisonnable, dans une zone fragile, d'implanter une unité d'enseignement supérieur ? C'est ce qui est généralement admis en France ; ce n'est pas ce qui est admis à l'étranger.
Comme beaucoup d'autres, j'ai fait de longues études aux Etats-Unis, dans des universités installées dans des régions reculées.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Oui, mais des universités pluridisciplinaires !
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Non, madame ! Pourquoi voulez-vous qu'elles soient forcément pluridisciplinaires ?
Au contraire, elles démarrent avec un point fort. On ne peut pas être petit si l'on n'est pas spécialisé. On ne peut pas être excellent si l'on n'est pas spécialisé. L'idée de la nécessité de la pluridisciplinarité est un présupposé.
Nous n'avions pas fait notre proposition à l'époque sans consulter de nombreux universitaires. Par exemple, à l'argument généralement invoqué en faveur de la pluridisciplinarité, à savoir que le croisement des disciplines et des contacts interdisciplinaires fait surgir l'idée, l'innovation, les scientifiques répondent que c'est une vision de l'esprit ! En réalité, les chimistes d'une université travaillent avec les chimistes d'autres universités, mais non avec des juristes. Ce n'est pas vrai ! Cette vision des choses est complètement théorique !
Je ne crois pas du tout qu'il soit impossible d'implanter des enseignements supérieurs dans des zones fragiles, à condition toutefois qu'ils soient spécialisés et qu'ils atteignent un niveau d'excellence. Le pire est d'occuper le créneau toujours disponible de la médiocrité. Si l'on crée une université pluridisciplinaire dans une zone peu peuplée, alors, oui, elle sera médiocre et les étudiants la déserteront car ils recherchent la qualité. Mais la spécialisation peut être le corollaire de la qualité, même dans un endroit qui n'est pas forcément très couru.
Certes, aux Etats-Unis - mais il a fallu un siècle pour y arriver - des universités se sont installées en rase campagne, sont devenues de grandes universités et ont même fini par devenir pluridiciplinaires. C'est vrai ! Il existe même des universités auxquelles on ne peut accéder en hiver, car elles n'ont pas d'aéroport à proximité ou, si elles en ont un, il est tout petit !
Je ne sais pas si certains d'entre vous ont visité la clinique Mayo, qui est l'un des plus grands centres médicaux du monde, où tout le monde va se faire soigner. Elle se situe en rase campagne. En pleine prairie américaine, on voit tout à coup surgir une ville sanitaire.
Il ne faut donc pas sous-estimer ce que la volonté peut faire dans des zones réputées fragiles, à condition d'être persévérant. Dans ces sites américains que j'ai à l'esprit, on voit ensuite la ville se créer autour de l'université. C'est ce qui est arrivé, madame la ministre, avec l'université de Princeton. A l'époque, la ville comptait de 5 000 à 6 000 habitants. Aujourd'hui, elle en compte 200 000, car l'université de Princeton est à l'origine de la ville de Princeton ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Gérard Larcher, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Larcher, rapporteur.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Nous adhérons totalement à l'analyse que vient de faire Jean François-Poncet. C'est vrai que, là où il y a une volonté, le développement suit. Cela prouve bien que les établissements d'enseignement supérieur et de recherche sont bien structurants en matière de développement du territoire.
En revanche, je ne peux pas laisser passer ce qu'a dit Mme la ministre, à savoir que nous n'aurions qu'une vison « équipementière » avec ce texte. Pardonnez-moi, mais les thèmes que nous abordons, tels que le rayonnement des pôles, les offres de formation complète, l'essaimage, sont loin de refléter une telle vision ! Je me devais de revenir sur cette lecture un peu rapide faite par Mme la ministre de notre texte.
Nous avons bien une vision d'offre de services de qualité et, en conséquence, d'équipements au service de l'aménagement et du développement du territoire ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 279, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 151 rectifié.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Nous voterons, bien sûr, l'amendement n° 151 rectifié.
Madame le ministre, si vous voulez vraiment la présence de services à côté des équipements, adoptez nos amendements sur la création d'entreprises et le développement économique !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Raffarin. Vous verrez exactement la logique qui est la nôtre.
M. Charles Revet, rapporteur. Cela va de soi !
M. Jean-Pierre Raffarin. De la matière grise, pour quoi faire ? Pour créer ! On le voit bien, nos territoires n'ont d'avenir que si nous créons de la richesse.
Notre commission spéciale a donc été cohérente d'un bout à l'autre : formation, qualification et, ensuite, création, développement, et non départs, exodes, etc. ! Nous avons construit la boîte à outils indispensable pour participer à cette nouvelle fertilité que nous attendons pour nos territoires ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 151 rectifié, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 280 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 42.
M. Michel Moreigne. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Moreigne.
M. Michel Moreigne. Je souhaite en fait m'exprimer sur l'amendement n° 118 rectifié.
M. le président. Je l'avais compris. En effet, comme l'amendement n° 118 rectifié deviendra sans objet si l'amendement n° 42 est adopté, je vous invite effectivement à vous expliquer sur l'amendement n° 42 ! (Sourires.)
M. Michel Moreigne. Madame le ministre, j'ai eu l'honneur de vous suivre lorsque vous avez visité l'Institut de l'eau, à La Souterraine. Vous avez pu apprécier la formation qui y est dispensée et la valeur que représente cette unité pour un territoire rural que je ne qualifierai pas de profond.
Je souhaite que ce type d'établissement puisse être implanté dans les départements pauvres, classés en zone de revitalisation rurale. M. Louis Mercier, en présentant son amendement, a développé des arguments judicieux. Madame le ministre, si je sous-amendais l'amendement n° 118 rectifié...
M. le président. Je suis obligé de vous interrompre, monsieur Moreigne. Que vous interveniez pour expliquer les raisons pour lesquelles vous regrettez de ne pas pouvoir voter l'amendement n° 118 rectifié au cas où l'amendement n° 42 serait adopté, je suis d'accord. Mais que vous profitiez de cette explication de vote pour sous-amender l'amendement n° 118 rectifié, non !
M. Michel Moreigne. Votre amabilité ne va pas jusqu'à me permettre une entorse au règlement, monsieur le président ?
M. le président. Mon amabilité n'est pas assez puissante pour aller à l'encontre du règlement, mon cher collègue !
M. Michel Moreigne. Pourtant, en remplaçant le mot : « thématiques » par le mot : « technologiques », tout le monde aurait peut-être eu satisfaction !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 42, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 10 est ainsi rédigé et les amendements n°s 281, 152 et 118 rectifié n'ont plus d'objet.

Article 11