Séance du 11 mars 1999







M. le président. Avant de mettre aux voix les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales, je donne la parole à M. Schosteck, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Schosteck. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, seuls 2 000 à 2 500 cadres travaillent aujourd'hui en temps partagé, alors que les besoins des entreprises sont évalués par certains experts à l'équivalent de 10 000 emplois à plein temps.
Ce potentiel existe particulièrement au sein des PME qui n'ont ni les moyens financiers, ni véritablement le besoin d'employer à plein temps un salarié spécialisé tel qu'un juriste ou un comptable.
Ainsi que l'a fort bien argumenté M. André Jourdain dans son excellent rapport, il est nécessaire de faire tomber les freins juridiques et psychologiques au développement de ces emplois.
Le texte que nous venons d'examiner va permettre de lever les premiers freins en créant dans le code du travail un contrat de travail à temps partagé et en en fixant les modalités.
Parmi les obstacles les plus handicapants que nous avons supprimés figure l'abattement de 30 % des charges patronales lié au temps partiel et dont ne bénéficie qu'une seule des sociétés. Désormais, tous les employeurs ayant des salariés à temps partagé pourront en bénéficier.
De plus, les gestionnaires des régimes sociaux sont invités à adapter les dispositifs en vigueur afin de permettre aux salariés de ne plus cotiser en plusieurs fois pour chaque employeur et de centraliser leurs cotisations.
En réalité, je crains qu'il ne faille beaucoup de temps pour briser les barrières culturelles tant du côté du salarié, qui doit se soumettre à une organisation du travail sans faille, que de l'employeur. Celui-ci peut ainsi craindre des manquements au principe de confidentialité, des difficultés pour affirmer son lien hiérarchique avec son employé.
Cette proposition de loi illustre un premier pas essentiel pour le développement du travail en temps partagé. Pour cette raison le groupe du Rassemblement pour la République la votera. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Louis Boyer.
M. Louis Boyer. Le groupe des Républicains et Indépendants votera le texte présenté par la commission des affaires sociales.
Mme le secrétaire d'Etat a reconnu que la législation comportait des lacunes quant au travail en temps partagé. Si le Gouvernement avait pensé à combler ces lacunes, notre collègue M. André Jourdain n'aurait pas eu à présenter ce texte qui, s'il n'est pas absolument parfait, a le mérite de répondre au souci de nombreux salariés.
Nous attendons de vous, madame le secrétaire d'Etat, que, à travers ce texte, vous répondiez aux demandes des salariés, surtout des femmes. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Delaneau, président de la commission. Madame le secrétaire d'Etat, je voudrais d'abord vous remercier de ne pas avoir invoqué l'article 40 de la Constitution à propos de l'article 3 de la proposition de loi. Cela nous satisfait en un sens, mais nous laisse mal présager de la suite que vous entendez donner à ce texte, de sa transmission à l'Assemblée nationale. En fait, nous craignons que cette proposition de loi ne subisse un enterrement de première classe !
Pourtant, madame le secrétaire d'Etat, vous avez vous-même dit qu'il s'agissait d'un débat très utile et portant sur un vrai problème. C'était effectivement la position de la commission lorsqu'elle a examiné la proposition de loi que notre collègue, M. André Jourdain, a déposée en avril 1998. Mais vous vous êtes attachée à démolir ce texte pièce par pièce.
Je reprends les expressions que vous avez utilisées : « cadre insuffisamment défini, ambigu et inadapté », « atteinte au principe de la liberté contractuelle », « effectif dissuasif ». Vos propos ont été, me semble-t-il, extrêmement alambiqués, embarrassés.
En fait, il s'agit d'un texte pragmatique, tendant à répondre, même imparfaitement, à des situations très concrètes. M. Jourdain nous a d'ailleurs expliqué que sa motivation avait été de répondre à des situations précises.
Madame Dieulangard, nous n'oublions pas le rapport que M. Michel Praderie a déposé au mois de novembre dernier auprès de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur les groupements d'employeurs. Mais nous savons bien, comme il l'a dit lui-même, que ce problème appelle des réponses multiples.
Je veux bien, madame le secrétaire d'Etat, que vous envisagiez de régler la question du multisalariat en temps partagé dans le cadre de la deuxième loi sur la réduction du temps de travail, mais je doute que, à cette occasion, vous trouviez une réponse adaptée à l'ensemble des cas résolus par cette proposition de loi. Par ailleurs, nous ne savons pas quand cette loi viendra en discussion.
Madame Dieulangard, vous dites également que cette proposition de loi porterait atteinte à la liberté du travail et que son article 2 concernant l'accord d'un autre employeur serait inconstitutionnel. Je vous rappelle à ce sujet, parce que vous ne l'avez pas dit, que cet article ne vise que le cas d'un second travail chez un employeur concurrent du précédent. La moindre des choses dans un tel cas, c'est en effet que le salarié reçoive l'accord de son premier employeur.
Je relève enfin que l'opposition sénatoriale se livre à une sorte de diabolisation de la majorité sénatoriale quand elle affirme que tout ce que nous faisons n'a d'autre motivation que de soutenir les employeurs.
M. Guy Fischer. Mais non !
M. Jean Delaneau, président de la commission. Mais si, monsieur Fischer ! Vous ramenez toujours le problème à cela. Vous considérez par ailleurs que le summum du travail consiste à bénéficier d'un emploi bien cadré, toujours le même et chez le même employeur.
Je vous incite, puisque vous ne méconnaissez certainement pas ces deux films, à voir ou revoir Les Temps modernes de Chaplin et La Vie rêvée des anges, ce film de Zonca qui a été tourné en partie dans mon département et qui vient de recevoir une récompense. Vous verrez que la vie, en fait, ce n'est pas nécessairement celle que vous souhaitez.
Je vous en supplie, mes chers collègues, ne faites pas de procès à la majorité sénatoriale.
Je crains, comme je le disais tout à l'heure, que cette proposition de loi n'aille pas plus loin. Il est cependant de l'honneur de la majorité du Sénat de se préoccuper d'un certain nombre de problèmes sociaux.
M. Alain Gournac. Et des évolutions !
M. Jean Delaneau, président de la commission. En dehors de tout dogmatisme, puissions-nous faire oeuvre utile en faisant avancer la législation sociale, surtout pour les femmes, comme vous l'avez souligné, madame le secrétaire d'Etat. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées du R.D.S.E.).
M. Jean-Pierre Schosteck. Dans la modernité !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est tout à fait d'accord pour dire que le travail en temps partagé nécessitera des dispositions car des problèmes se posent tant pour les employeurs que pour les salariés. Et, je n'ai faitqu'évoquer l'article 40 de la Constitution, c'est parce que je pense que notre débat était intéressant et utile au fond et qu'il fallait le mener jusqu'à son terme.
Nous avons parlé de l'opportunité de bâtir, autour de nouvelles dispositions qui concerneraient le travail à temps partiel, un nouveau cadre législatif qui s'écarte quelque peu des options retenues par le Gouvernement. Celui-ci est, de toute façon, déterminé à aborder cette question lors de la discussion du deuxième projet de loi sur la réduction du temps de travail.
A cet égard, vous m'avez demandé de préciser les échéances : je pense pouvoir annoncer que l'examen de ce texte devrait intervenir lors de la session d'octobre, session au cours de laquelle seront également discutées les conclusions du rapport de M. Praderie sur les groupements d'employeurs.
Par ailleurs, je souhaite ajouter que j'ai personnellement trouvé que certains articles de cette proposition de loi, qui a été élaborée avec soin, étaient intéressants - je ne vois pas pourquoi je ne le soulignerais pas -, particulièrement l'article 5, qui introduit une nouvelle clause dans les conventions collectives, ou l'article 6, qui propose d'étendre le régime de l'accident de trajet aux accidents survenus alors qu'un travailleur à temps partagé se rend d'un lieu de travail à un autre. Il s'agit à mon avis de propositions pertinentes qu'il faudra réexaminer dans une optique d'ensemble.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi relative au multisalariat en temps partagé.
M. Guy Fischer. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.
M. Claude Estier. Le groupe socialiste également.

(La proposition de loi est adoptée.)

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