Séance du 9 mars 1999







M. le président. La parole est à M. Lassourd, auteur de la question n° 444, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Patrick Lassourd. Monsieur le secrétaire d'Etat, la question que je vous soumets aujourd'hui revêt non seulement un aspect fiscal, mais aussi - il me paraît très important de le souligner - un aspect moral.
Il n'est pas juste, en effet, que le nouveau dispositif sur le droit de bail, mis en place par l'article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998, aboutisse, pour les propriétaires bailleurs, à une double imposition des revenus perçus sur les neuf premiers mois de 1998.
Nous avons là un exemple flagrant de méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques inscrit à l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Pourquoi une fraction de la population devrait-elle faire les frais d'une mesure maladroite et acquitter une deuxième fois un impôt déjà perçu ?
Je rappelle que l'article 12 de la loi de finances rectificative prévoit que la nouvelle « contribution représentative du droit de bail » et sa « contribution additionnelle », s'appliquent à compter du 1er janvier 1998. Il en résulte donc une superposition des bases d'imposition pour la période allant du 1er janvier 1998 au 30 septembre 1998, pour laquelle le droit de bail et la taxe additionnelle ont déjà été acquittés.
Juridiquement, le contribuable ne devrait acquitter des droits qu'au titre des trois mois de 1998, c'est-à-dire d'octobre à décembre, pour lesquels il n'a payé ni droit de bail ni taxe additionnelle. Mais cette solution signifierait un manque à gagner pour l'Etat - celui-ci a été évalué par M. Mariani, rapporteur général, à 7 milliards de francs - qui préfère pénaliser injustement les bailleurs plutôt que d'ajuster le paiement au décalage de trésorerie.
Certes, le Gouvernement a mis en place le système de dégrèvement prévu par cet article 12. Je précise toutefois que ce dégrèvement au bénéfice des redevables, d'un montant égal aux droits acquittés durant les neuf premiers mois de 1998, ne s'appliquera qu'en cas de cessation ou d'interruption de la location pour une durée d'au moins neuf mois consécutifs.
Cette disposition très restrictive n'est pas du tout satisfaisante : d'une part, elle ne concernera qu'un petit nombre de bailleurs ; d'autre part, le remboursement n'interviendra que très longtemps - plusieurs années - après le paiement du droit de bail si le bailleur poursuit sa location sans cesser de louer pendant neuf mois consécutifs. Ce remboursement qu'il obtiendra alors ne sera pas revalorisé pour tenir compte du délai pendant lequel l'Etat a conservé indûment ces sommes.
A l'évidence, la double imposition effective n'aura pas, ou très peu, de compensation financière. Cela est d'autant plus inéquitable que le système s'applique aux seules personnes physiques. L'indemnisation des personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés est prévue de manière beaucoup plus large et beaucoup plus juste par le même article.
Saisi par les élus de la majorité sénatoriale sur ce point, le Conseil constitutionnel a rendu, le 29 décembre 1998, une décision défavorable que j'estime très regrettable. Les arguments avancés, ainsi que les observations du Gouvernement, ne m'ont pas convaincu.
Le Gouvernement lui-même y reconnaît explicitement que « le passage à une période d'imposition correspondant à l'année civile donnera lieu, sur le plan théorique... » - quel euphémisme ! - « ... à une certaine superposition des périodes de référence pour les loyers perçus entre le 1er janvier 1998 et le 30 septembre 1998 ». Autant dire que les bailleurs sont taxés deux fois !
Il me semble anormal que des élus aient été obligés de saisir le Conseil constitutionnel pour dénoncer cette entorse avérée au principe de l'égalité devant les charges publiques. Le silence du Gouvernement sur les solutions à apporter à ce problème, dont il reconnaît par ailleurs l'existence, m'incite à vous alerter, monsieur le secrétaire d'Etat, au nom des nombreux bailleurs concernés.
C'est pourquoi je vous demande de bien vouloir reprendre ce dossier, pour envisager la mise en place d'un mécanisme simple de remboursement progressif d'une créance d'impôt, à l'instar du dispositif institué lors de la suppression de la règle dite du « décalage d'un mois » en matière de TVA.
L'article 12 visait à simplifier les obligations déclaratives du droit de bail. L'échec est clair puisqu'il apparaît aussi inéquitable que complexe. Il est encore temps, monsieur le secrétaire d'Etat, de remédier à ce problème par la solution que je vous soumets.
C'est une question de justice fiscale, de justice tout court, de morale. L'intérêt du citoyen doit, en effet, prévaloir sur celui de l'Etat, qui ne peut impunément ponctionner des contribuables qui se sont déjà acquittés de leurs charges. Je compte sur vous, monsieur le secrétaire d'Etat, pour mettre fin à cette injustice.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. MM. Dominique Strauss-Kahn et Christian Sautter, empêchés, m'ont demandé d'apporter un soin particulier aux précisions que je suis en mesure de vous donner, monsieur le sénateur.
L'article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998 supprime en effet le droit de bail et la taxe additionnelle au droit de bail pour les loyers courus à compter du 1er octobre 1998. Il crée une contribution représentative du droit de bail et une contribution additionnelle à cette dernière, assise sur les loyers encaissés à compter du 1er janvier 1998.
Cette réforme répond à un objectif de simplification. A partir de 1999, les bailleurs n'auront plus à souscrire de déclaration spéciale, mais mentionnerait simplement sur leur déclaration de revenus le montant des loyers encaissés. Suivant qu'ils sont personnes physiques ou sociétés, le régime sera quelque peu différent ; c'est bien normal. Pour les personnes physiques, le montant des contributions dues figurera sur l'avis d'imposition à l'impôt sur le revenu. Pour les personnes morales, les contributions dues seront recouvrées selon les mêmes règles que celles qui sont prévues en matière d'impôt sur les sociétés. Grâce à cette simplification, plus de cinq millions de déclarations et autant de moyens de paiement seront supprimés. C'est, je pense, un objectif que partagent la Haute Assemblée et le Gouvernement.
Qu'en est-il de la « double imposition » - je vous cite - que vous avez évoquée voilà quelques instants ?
Jusqu'à présent, le droit de bail payé à compter du 1er octobre de l'année n portait sur les loyers courus entre le 1er octobre de l'année n -1 et le 30 septembre de l'année n. Désormais, le droit de bail acquitté au 15 septembre de l'année n sera calculé sur la base des loyers encaissés entre le 1er janvier de n -1 et le 31 décembre de n -1, tout comme l'impôt sur le revenu. C'est pour que les choses soient plus simples que les deux dates coïncideront ainsi.
La première année de mise en oeuvre de la réforme, en 1999, ce rattachement au mécanisme de l'impôt sur le revenu conduit à établir le droit au bail acquitté au 15 septembre 1999 sur la base des loyers perçus entre le 1er janvier 1998 et le 31 décembre 1998, alors que ces loyers ont déjà supporté - vous l'avez expliqué - le droit de bail acquitté à compter du 1er octobre 1998 pour la période allant du 1er janvier 1998 au 30 septembre 1998. Mais, en contrepartie, les contribuables n'auront pas à payer, en octobre 1999, le droit de bail qu'ils auraient dû acquitter, en l'absence de réforme, sur les loyers allant du 1er octobre 1998 au 30 septembre 1999. Le jeu des dates est compliqué mais, spécialiste de ces questions, monsieur le sénateur, vous suivez parfaitement, ainsi que vos collègues, mon raisonnement.
Je vais donc indiquer les cas dans lesquels la réforme est neutre, les cas pour lesquels elle est favorable aux contribuables et les cas, marginaux, où elle peut être défavorable.
La réforme est neutre lorsque le propriétaire bailleur n'interrompt pas la location de son bien, vous l'avez indiqué dans votre question. Elle est également neutre pour le locataire, dont la situation n'est pas modifiée. Elle est favorable pour les nouveaux bailleurs ne mettant en location leur bien qu'à compter du 1er janvier 1999, puisque, au lieu de payer le droit de bail à compter du 1er octobre 1999, ils ne l'acquitteront qu'au 15 septembre 2000. Elle est également favorable au bailleur lorsque le locataire est défaillant - cette situation est, hélas ! plus fréquente qu'on ne le pense - puisque désormais le droit de bail n'est dû que sur les loyers effectivement encaissés, et non sur les loyers prévus au bail.
En définitive, on voit bien que le droit au bail a été perçu une dernière fois en octobre 1998. La nouvelle contribution ne sera perçue qu'à compter d'octobre 1999, et elle portera sur douze mois de loyer, comme cela aurait été le cas à législation inchangée.
D'ailleurs, dans sa décision du 30 décembre 1998, le Conseil constitutionnel a jugé que « le dispositif institué ne conduit pas le redevable à acquitter au cours de la même année les anciennes contributions et les nouvelles » et - retenez bien ces termes - qu'« il n'institue pas une double imposition ».
La réforme peut en revanche - troisième cas de figure - être défavorable en cas d'interruption de la location. C'est pourquoi la loi institue un dispositif de dégrèvement du droit de bail l'année qui suit celle de la cessation de la location du logement ou l'interruption de celle-ci pour une durée d'au moins neuf mois.
Tous les cas de figure sont prévus et, soyons clairs et fermes, il n'y a pas de double imposition.
Ce mécanisme de dégrèvement permet de concilier l'équité avec l'objectif de simplification que l'on cherche à atteindre par la réforme du droit de bail.
Je pense que vous avez satisfaction, monsieur le sénateur.
M. Patrick Lassourd. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd. Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai bien entendu les arguments que vous avez présentés.
Sur le plan administratif, il s'agit, je vous l'accorde, d'une simplification. Le fait que le droit de bail et la contribution additionnelle soient assis sur les loyers effectivement perçus, et non pas sur les loyers courus, et que l'on prenne comme période de référence l'année civile, au lieu d'une année un peu hybride, ne pose aucun problème.
Cependant, il ne faut pas tourner autour du pot. Qu'on le veuille ou non, l'exercice 1998 a fait l'objet d'une double imposition sur ses neuf premiers mois !
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez évoqué l'argumentation développée par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision, le Conseil précise : « Certes, le passage à une période d'imposition correspondant à l'année civile ou à l'exercice donnera lieu sur le plan théorique » - formulation véritablement très amusante ! - « à une certaine superposition des périodes de référence pour les loyers perçus entre le 1er janvier 1998 et le 30 septembre 1998. »
Monsieur le secrétaire d'Etat, il était très facile, au titre de l'application de l'article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998, de prévoir un système dérogatoire pour l'année 1998, aux termes duquel n'auraient été imposés, au titre de cette nouvelle contribution, que les loyers perçus au cours du dernier trimestre de 1998. Les modalités que vous avez mises en oeuvre ont généré, pour l'Etat, une recette nouvelle de près de 7 milliards de francs. C'est pour cette raison-là que vous n'avez pas voulu revenir en arrière.
Certes, on peut toujours invoquer, comme le Conseil constitutionnel, des arguments juridiques, mais vous avez en face de vous des citoyens français, des propriétaires bailleurs dont nous tenons tous, vous et nous, notre légitimité, qui, avec leur bon sens, ne croient pas à vos arguments juridiques. Ce qu'ils perçoivent, c'est qu'ils paient deux fois la contribution.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je vous ai écouté avec attention, monsieur le sénateur, et vous m'avez bien compris.
Je veux simplement vous redire que, pour 1998, la contrepartie de la réforme du système décidée et incluse dans la loi, c'est que les contribuables n'auront pas à payer, en octobre 1998, le droit de bail qu'ils auraient dû acquitter, en l'absence de réforme,...
M. Patrick Lassourd. Encore heureux !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. ... sur les loyers perçus du 1er octobre 1998 au 30 septembre 1999.
Une compensation est donc prévue, ce qui permet d'affirmer qu'il n'y a pas de double imposition pour un même contribuable, et le Conseil constitutionnel, même s'il a employé le mot « théorique » pour faciliter son raisonnement, l'a bien reconnu. C'est ce que je souhaitais démontrer avec la plus grande clarté possible, s'agissant d'un sujet qui est en effet assez complexe.

MODE DE CALCUL DE LA CONTRIBUTION
AU FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES TERRORISTES
ET AUTRES INFRACTIONS