Séance du 27 janvier 1999







M. le président. Nous en revenons à l'intitulé du titre II, avant l'article 6, qui avait été précédemment réservé.
Par amendement n° 6, M. Souplet, au nom de la commission des affaires économiques, propose de rédiger comme suit cet intitulé : « Entreprises et personnes ».
Cet amendement est assorti de deux sous-amendements.
Le sous-amendement n° 196 rectifié, présenté par MM. César, Althapé, Bernard, Besse, Bizet, Braun, Cazalet, Cornu, Courtois, Debavelaere, Doublet, Dufaut, Esneu, Flandre, Fournier, François, Gaillard, Gérard, Gerbaud, Goulet, Gruillot, Hamel, Hugot, Jourdain, Larcher, Lassourd, Lauret, Leclerc, Le Grand, Martin, Murat, Ostermann, de Richemont, Rispat, de Rohan, Taugourdeau, Vasselle, Vinçon, Vissac et les membres du groupe du Rassemblement pour la République, tend à insérer dans le texte proposé par l'amendement n° 6, après le mot : « entreprises », le mot : « agricoles ».
Le sous-amendement n° 601, présenté par MM. de Richemont, Althapé, Bernard, Besse, Bizet, Braun, Cazalet, César, Cornu, Courtois, Debavelaere, Doublet, Dufaut, Esneu, Flandre, Fournier, François, Gaillard, Gérard, Gerbaud, Goulet, Gruillot, Hamel, Hugot, Jourdain, Larcher, Lassourd, Lauret, Leclerc, Le Grand, Martin, Murat, Ostermann, Rispat, de Rohan, Taugourdeau, Vasselle, Vinçon, Vissac et les membres du groupe du Rassemblement pour la République, vise à insérer dans le texte de l'amendement n° 6, après le mot : « entreprises », le mot : « , fiscalité ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 6.
M. Michel Souplet, rapporteur. Cette modification d'intitulé peut paraître anodine. Or, ce n'est pas le cas ; elle nécessite une véritable explication.
Il s'agit de promouvoir la création et le développement d'entreprises agricoles qui contribuent au développement local.
L'exploitation familiale à responsabilité personnelle avait constitué le fil conducteur de la loi d'orientation de 1960. Le rapporteur que je suis souhaite que l'entreprise agricole soit celui du texte qui vous est proposé.
La substitution de la notion d'entreprise à celle d'exploitation traduit la volonté d'adapter le droit de l'exploitation agricole aux réalités économiques.
La législation est encore largement imprégnée d'une vision patrimoniale et « agrarienne » de l'agriculture qui ne permet plus de répondre aux exigences qu'imposent les règles économiques. Un chef d'entreprise doit pouvoir développer ses activités en fonction de l'évolution de la demande, sans subir les contraintes de réglementations qui relèvent d'un autre temps, quand la valeur d'une exploitation reposait principalement sur le foncier.
Néanmoins, je souhaite que cette entreprise agricole demeure à responsabilité personnelle et à taille humaine. Derrière cette référence, s'exprime le souhait de prendre en compte les réalités sociales. J'estime que, pour encourager l'installation, il faut valoriser les statuts des hommes et des femmes qui choisissent d'exercer les métiers de l'agriculture.
Une agriculture dirigée par des sociétés de capitaux dans lesquelles les exploitants ne seraient plus maîtres de leur outil de travail ne permettrait pas d'atteindre cet objectif.
Si le statut des baux ruraux, qui date de 1945-1946, prend en compte certains impératifs qui sont aujourd'hui ceux d'un droit de l'entreprise agricole, c'est au cours de la décennie des années quatre-vingt qu'a pris corps la nécessité d'une évolution du droit rural vers la prise en compte de l'entreprise agricole. Le rapport Gouzes a été le révélateur de cette nouvelle prise de conscience. Quatre innovations méritent, sous cet aspect, d'être notées : l'avènement d'un statut des conjoints d'exploitants agricoles, en 1980, la définition de l'activité agricole consacrée en 1988, l'extension des procédures commerciales de règlement judiciaire aux agriculteurs en difficulté, en 1984, et l'institution des formules d'EARL, exploitation agricole à responsabilité limitée.
La loi complémentaire agricole de 1990 met l'accent sur la nécessité de « doter l'exploitation agricole d'un cadre juridique, fiscal et social tenant compte des caractéristiques spécifiques de l'activité agricole et de la diversité des exploitations » et d'« adopter une économie d'entreprise », déclaration de principe d'ailleurs reprise dans la loi de modernisation de 1995.
On constate donc une évolution dans le sens de l'officialisation du concept d'entreprise agricole.
Le projet de loi soumis à votre examen ne poursuit pas cette tendance vers l'élaboration progressive d'un droit de l'entreprise agricole, alors qu'il serait nécessaire de progresser vers la définition des divers éléments qui peuvent servir à constituer cette entreprise : bail, contenu et valeur de l'entreprise, conditions de garanties, statut fiscal adapté, etc.
Ainsi, la consécration de la notion d'entreprise agricole devrait permettre de faire face au défi du renouvellement des générations et au risque de concentrations excessives pouvant conduire à l'approbation par des capitaux extérieurs ou à l'intégration par des entreprises d'amont et d'aval.
La principale caractéristique de l'exploitation agricole a toujours été le lien de la famille et de l'entreprise. L'exploitation agricole familiale a été, en effet, jusqu'à maintenant un modèle d'exploitation en France. Les liens entre l'exploitation agricole et la famille ont d'ailleurs imprégné profondément la vie sociale rurale.
Pour autant, l'exploitation agricole est avant tout autre chose une entité économique, entité qui n'est pas définie par le droit. L'examen du droit européen comme du droit français conduit à la même conclusion.
Ainsi, la Cour de justice des Communautés européennes a dû constater qu'il est impossible de dégager des dispositions du traité ou des règles du droit communautaire dérivé une notion uniforme d'exploitation.
En droit interne, le mot « exploitation » est utilisé à double sens.
Le législateur emploie le terme « exploitation » pour désigner une activité humaine. C'est le cas de l'article L. 412-5 du code rural, qui permet au preneur ayant préempté « de faire assurer l'exploitation du fonds » par un membre de sa famille, ou de l'article 23 de la loi du 4 juillet 1980, qui édicte des règles particulières en cas « d'exploitation » par chacun des époux d'un fonds agricole séparé.
Mais le même législateur emploie aussi ce terme pour désigner l'ensemble des biens affectés à l'exercice de l'activité agricole. C'est ainsi qu'il faut comprendre les dispositions organisant l'attribution préférentielle des exploitants agricoles ou celles qui instituent un contrôle de la structure des exploitations agricoles.
Quel que soit le sens dans lequel il a été utilisé, le terme « exploitation » est repris par toutes les branches du droit rural.
Pourtant, depuis les années soixante, un autre terme est apparu, celui d'« entreprise agricole » sans recevoir véritablement de consécration légale. Cette évolution du langage est le reflet d'une évolution économique et sociale.
Sans pour autant bannir de notre droit rural le terme « exploitation », la commission souhaite ouvrir la voie à une reconnaissance de la notion d'entreprise agricole.
M. le président. La parole est à M. César, pour défendre les sous-amendements n°s 196 rectifié et 601.
M. Gérard César. Nous avons voulu ajouter l'adjectif « agricole » à l'amendement de la commission. M. le rapporteur a d'ailleurs mentionné l'« entreprise agricole » à de nombreuses reprises et avec beaucoup de sagacité.
Nous avons, en outre, voulu faire figurer dans l'intitulé du titre II le mot « fiscalité ». Il est important de parler de l'« entreprise agricole », mais il faut également parler de sa fiscalité. Or le projet de loi ne prévoit rient à ce sujet.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les sous-amendements n°s 196 rectifié et 601 ?
M. Michel Souplet. rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 6 et sur les deux sous-amendements n°s 196 rectifié et 601 ?
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. J'ai écouté avec beaucoup d'attention le long exposé des motifs de M. Souplet. Comme je me suis moi-même déjà longuement exprimé sur ce sujet, je me bornerai, pour gagner du temps, à indiquer que le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 6 ainsi qu'aux sous-amendements n°s 196 rectifié et 601.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 196 rectifié, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 601, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 6, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'intitulé du titre II est ainsi rédigé.

Chapitre Ier