Séance du 21 janvier 1999







M. le président. « Art. 6. _ Le premier alinéa de l'article L. 311-1 du code rural est remplacé par huit alinéas ainsi rédigés :
« Sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle.
« Sont également considérés comme agricoles pour l'application des dispositions des livres III et IV (nouveaux) du présent code :
« 1° Les activités de l'exploitant qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou les activités auxquelles il se livre pour valoriser le cheptel et les productions de l'exploitation ;
« 2° Les travaux que l'exploitant réalise avec le matériel nécessaire à son exploitation et qui présentent un caractère accessoire au sens de l'article 75 du code général des impôts ;
« 3° Les activités de restauration réalisées par un exploitant sur le site de l'exploitation, à condition qu'elles présentent un caractère accessoire, qu'elles soient assurées principalement au moyen de produits de l'exploitation et qu'elles respectent les règlements et normes en vigueur, en particulier en matière d'hygiène et de sécurité ;
« 4° Les activités d'hébergement à usage touristique ou de loisirs réalisées par un exploitant sur le site de l'exploitation, à condition qu'elles présentent un caractère accessoire au sens de l'article 75 du code général des impôts.
« Les activités de cultures marines sont réputées agricoles, nonobstant le statut social dont relèvent ceux qui les pratiquent.
« Pour l'application du 2° et du 4° du présent article, le plafond prévu à l'article 75 du code général des impôts est actualisé chaque année en fonction de l'indice des prix à la consommation. »
Sur l'article, la parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. L'importance du texte que nous discutons aujourd'hui dépasse le monde agricole lui-même, bon nombre de nos collègues l'ont d'ailleurs rappelé.
L'agriculture s'insère dans le monde rural et toute modification concernant celle-là a des conséquences sur celui-ci.
D'autre part, l'agriculture est multiple : elle peut être de grande production, mais aussi plus modeste. C'est cette agriculture plus modeste et de son implication dans le monde rural que je souhaite évoquer en cet instant.
Nous avons tous notre expérience de terrain et nous savons que, maintenant, il existe beaucoup de communes rurales où l'activité agricole n'est plus celle qui occupe la majorité de la population et que bien d'autres activités s'y sont développées.
Avec le temps, de nouveaux paysages ruraux se mettent en place. Mais cette évolution peut malheureusement engendrer, si l'on n'y prend garde, de graves déséquilibres. Nous en avons pour exemple les effets destructeurs de la concentration des établissements relevant de la grande distribution à la périphérie des villes, effets qui s'exercent d'ailleurs à la fois sur les producteurs et sur le commerce traditionnel.
Il est, à l'évidence, de notre responsabilité de corriger ces déséquilibres par la définition de règles propres à assurer une concurrence loyale et une complémentarité entre les divers acteurs économiques.
Cependant, les équilibres ainsi mis en place sont toujours dynamiques, c'est-à-dire évolutifs et donc plus complexes. Ils doivent prendre en compte de très nombreux facteurs, notamment les contraintes économiques de la mondialisation, l'évolution du niveau de vie, des goûts et des besoins de nos concitoyens.
Ainsi, tout un ensemble d'activités de services, d'artisanat et de commerce, qui évolue d'ailleurs de façon très diverse selon les régions, s'est développé dans le monde rural. En termes de développement du territoire, de fixation de la population et de gestion de l'espace, ces activités sont d'un très grand poids.
Par ailleurs, l'avenir du monde rural est étroitement lié à l'attachement de ses habitants à leur territoire, qu'ils soient agriculteurs, commerçants ou artisans.
L'agriculteur, quant à lui, doit rester avant tout un producteur de biens agricoles et alimentaires. Nous sommes tous d'accord sur ce point : c'est bien sa fonction première dans la société, et on peut dire que, depuis plus de quarante ans, cette profession a consenti de remarquables efforts d'adaptation. A cet égard, je ne crois pas qu'aucune autre profession ait eu autant à évoluer. Elle sera amenée à évoluer encore et à jouer un rôle plus actif dans la gestion de l'espace rural : c'est cela la multifonctionnalité bien comprise. Tout le monde sait que, si l'on peut administrer de loin, on ne peut gérer qu'au plus près du terrain.
En outre, le développement du tourisme rural est significatif. Il contribue à la formation du revenu des agriculteurs et permet de répondre à des demandes nouvelles de la part des consommateurs. Sur ce point, l'accueil à la ferme, qui est différent de l'hôtellerie classique, est porteur, dans l'esprit du public, d'une image forte et spécifique.
En revanche, dans d'autres domaines, comme l'entretien des paysages, le débroussaillage ou le terrassement, les entreprises locales sont tout à fait à même d'effectuer les travaux. Il peut donc y avoir conflit d'intérêts.
Ce qu'il nous faut donc à tout prix préserver, c'est la liberté nécessaire à l'épanouissement de cette capacité d'invention qui est capitale pour le progrès social. Il faut établir des règles claires et lisibles relevant plus du pragmatisme que des théories économiques.
L'article 6 du projet de loi ne répond certes pas à ce souci. Il a semé le désordre et la confusion, en raison de la diversité des interprétations possibles de la multifonctionnalité des agriculteurs.
Il ne s'agit pas, bien entendu, de dénier à ces derniers la possiblité de diversifier leurs activités, car cela est parfois indispensable pour assurer la pérennité de l'exploitation. Il s'agit seulement d'éviter d'ouvrir, par une définition juridique peu judicieuse de l'activité agricole, une sorte de « guerre rurale » avec les autres acteurs économiques travaillant en milieu rural.
Cela serait tout à fait désastreux. Comme l'a suggéré à juste titre M. le rapporteur, nous devons prendre le temps de procéder à une analyse plus fine de la situation fiscale, sociale et économique des uns et des autres avant de formuler des propositions concrètes.
Ma conclusion sera simple, et à l'occasion de la discussion de cet article il me semble opportun, monsieur le ministre, de vous adresser la demande suivante : respectez, dans ce projet de loi, les équilibres. Pour cela, il faut de la transparence. Nous la devons à tous les acteurs du monde rural. C'est le moyen d'apaiser les rancoeurs et d'éviter ainsi les conflits. Nous devons aussi à ces acteurs un cadre législatif - cela nous concerne directement - qui organise et protège la liberté d'entreprendre. C'est comme cela que notre société rurale avancera.
Je sais, monsieur le ministre, que ce sujet vous préoccupe, mais je souhaitais m'exprimer sur quelques points qui me semblent importants pour les zones les plus rurales de notre pays.
M. le président. La parole et à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. La rédaction de l'article 6 a donné lieu, à l'Assemblée nationale, à de longs débats. J'observe que de nombreux amendements y ont été adoptés. Ils ont permis d'établir un équilibre entre les agriculteurs, d'une part, et les artisans et les commerçants, d'autre part.
L'objet de cet article est d'intégrer dans le code rural une réalité économique, afin de l'organiser et d'en limiter les dérives.
Après avoir rencontré l'ensemble des organisations représentatives du monde rural, j'ai le sentiment que la définition de l'activité agricole issue des travaux de l'Assemblée nationale donnait satisfaction aussi bien aux agriculteurs, qui y trouvent une reconnaissance des activités accessoires qu'ils exercent déjà, qu'aux artisans, soucieux que des règles précises soient édictées afin d'éviter les distorsions de concurrence.
L'examen en première lecture de ce texte au Sénat devrait donner l'occasion d'aménager encore le dispositif, afin de lever les dernières incohérences ou incertitudes.
Hélas ! l'article 6 se trouve pris aujourd'hui sous les feux croisés de la commission des affaires économiques, qui en demande la suppression, et du Gouvernement, qui souhaite subitement revenir à la législation de 1988. Ce brusque retour en arrière, qui est aussi une forme de démission du politique face à une situation complexe, sera très préjudiciable à la coexistence des acteurs du monde rural.
En effet, l'article 6 offrait le moyen de régler les contentieux auxquels donne lieu l'actuel article L. 311-1 du code rural. Contrairement à ce que certains peuvent penser, la suppression de cet article ne sera pas un simple retour au statu quo, mais reviendra à jeter de l'huile sur le feu. Je m'étonne que le Gouvernement, après des mois et des mois de concertation avec les parties prenantes, se soit visiblement résigné à cette suppression et renonce à modifier le code rural.
Au nom de mon groupe, je vous demande, monsieur le ministre, avant l'adoption définitive de ce texte, de proposer au Parlement une nouvelle rédaction de l'article 6, susceptible de recueillir l'approbation des uns et des autres.
Ainsi, n'est-il pas envisageable, afin d'introduire davantage de souplesse dans la définition juridique des activités agricoles, de renvoyer au domaine réglementaire certains aspects de cette définition ? Je pense notamment ici à la définition de l'accessoire ou à la précision relative au prolongement de l'acte de production. Notre attitude, vous le voyez, est à la fois pragmatique et constructive, là où certains ont fait le choix de l'affrontement.
En effet, les points de contentieux que le législateur n'aura pas réglés dans cette loi d'orientation agricole se règleront devant les tribunaux, ce qui ne pourra que déséquilibrer davantage encore les zones rurales.
C'est la raison pour laquelle nous nous opposerons à la suppression de l'article 6. Nous proposerons en outre des amendements tendant à améliorer et à préciser la rédaction du texte dans le sens souhaité par les acteurs de la ruralité.
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l'article 6 a suscité de nombreux débats et soulevé bien des passions, c'est parce que, comme je l'ai dit lors de l'une de mes précédentes interventions, le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont voulu traiter trop en détail certains points, oubliant que nous préparons une loi d'orientation, et non un texte fermé destiné à « verrouiller » un dispositif.
Cette attitude a eu pour résultat qu'une situation ambiguë s'est créée. On s'est aperçu que, dans nos campagnes, deux blocs étaient apparus : celui des agriculteurs, d'un côté, celui des artisans et des commerçants ruraux, de l'autre.
Pour éclaircir la situation, l'Assemblée nationale a cru bon d'entrer encore un peu plus avant dans les détails, mais la situation n'en est devenue que plus tendue ! Ainsi, aujourd'hui, si l'on adopte en l'état le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, il va de soi que l'on mécontentera une partie des agriculteurs, mais si l'on supprime l'article 6, on mécontentera une partie des artisans et des commerçants.
Pour sa part, le groupe socialiste du Sénat est favorable à la suppression de l'article 6. Cependant, nous proposerons un amendement, que j'ai bien entendu eu l'occasion de présenter à la commission des affaires économiques et auquel nous sommes prêts à apporter tous les correctifs nécessaires, qui visera - ce point me paraît essentiel - à conditionner la suppression de l'article 6 à l'élaboration, avec l'accord du Gouvernement, d'un rapport parlementaire permettant d'étudier toute une série de questions qui n'auront pas été abordées lors de l'examen de ce projet de loi d'orientation.
Je fais ici allusion à la question de la fiscalité, ainsi qu'à d'autres problèmes, tels que celui du droit à produire.
Il y a de cela trente ans, le droit à produire, le droit à être agriculteur reposait sur la possession du foncier, et l'on a créé les SAFER pour gérer les transactions. Mais aujourd'hui, pour être agriculteur, on a besoin d'obtenir des quotas et des primes. Or comment ces quotas, ces primes, ces droits à produire se transmettent-ils de génération en génération ? On sait déjà qu'un marché parallèle est en voie de se créer dans le pays, afin de négocier la transmission des droits à produire.
Nous devons donc être très prudents face à cette situation, car il serait aberrant que, à l'occasion de la discussion d'un projet de loi d'orientation agricole, on ne mette pas l'accent sur cette question fondamentale, alors que l'on parle beaucoup de l'installation des jeunes en agriculture. Il convient de mener une réflexion de fond sur ce thème.
Supprimer l'article 6, ce serait aussi choisir d'aborder cette question-là ensemble, et non pas à partir d'un rapport gouvernemental. Ce n'est pas que je ne fasse pas confiance au Gouvernement, mais je crois que ce problème mérite que les représentants du peuple s'en saisissent directement, dans la sérénité, et non pas au hasard d'une discussion au détour d'un couloir de notre assemblée !
Il est une autre question de fond que je veux aborder : celle de l'intégration. M. César a parlé tout à l'heure à juste titre de la coopération. Ce débat rejoint celui qui porte sur la notion d'intégration, au travers des relations que la coopération doit entretenir avec le monde agricole et de l'impact de celle-ci sur la fiscalité.
Enfin, je souhaite évoquer les rôles respectifs du producteur, du consommateur et du distributeur. Aujourd'hui, en France, cinq groupes assurent la distribution sur le territoire national et gèrent à eux seuls 80 % de l'économie agricole. On ne peut se résoudre à laisser perdurer cette situation.
En outre, le projet de loi contient tout un chapitre - nous y reviendrons - portant sur les critères de qualité. Il est bon qu'ils soient mis en valeur, mais nous sommes obligés de constater que les critères de qualité ne répondent pas aux mêmes règles pour la production et pour la distribution. Il s'agit là d'une aberration, et il convient que nous nous préoccupions de cette question, afin d'harmoniser un certain nombre de règles en cette matière et d'améliorer les relations existant entre le producteur, le consommateur et le distributeur.
Pour conclure, nous sommes donc favorables à la suppression de l'article 6, à condition que l'on décide - et nous y reviendrons à la fin du débat, lors de l'examen de l'amendement n° 65 que nous avons déposé - d'aborder toutes ces questions par le biais d'un rapport et d'une mission parlementaires, le Gouvernement s'engageant à ce que, dans quelques mois, nous puissions étudier des textes législatifs et, éventuellement, des textes de décret, en vue de rétablir ce nécessaire équilibre, qui fait tant défaut à notre ruralité, entre le monde agricole et celui de l'artisanat et du commerce.
M. le président. Sur l'article 6, je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 8 est présenté par M. Souplet, au nom de la commission des affaires économiques.
L'amendement n° 197 est présenté par MM. César, Althapé, Bernard, Besse, Bizet, Braun, Cazalet, Cornu, Courtois, Debavelaere, Doublet, Dufaut, Esneu, Flandre, Fournier, François, Gaillard, Gérard, Gerbaud, Goulet, Gruillot, Hamel, Hugot, Jourdain, Gérard Larcher, Lassourd, Lauret, Leclerc, Le Grand, Martin, Murat, Ostermann, de Richemont, Rispat, de Rohan, Taugourdeau, Vasselle, Vinçon, Vissac et les membres du groupe du Rassemblement pour la République.
Tous deux tendent à supprimer l'article 6.
Par amendement n° 432, M. Hérisson propose, dans le troisième alinéa de l'article 6, après les mots : « sont également considérées comme agricoles », d'insérer les mots : « dès lors qu'elles respectent les règlements et normes en vigueur, en particulier en matière fiscale, sociale, d'hygiène et de sécurité ».
Les amendements n°s 457 et 458 sont présentés par M. Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 457 a pour objet, dans le deuxième alinéa du texte proposé par l'article 6 pour remplacer par huit alinéas le premier alinéa de l'article L. 311-1 du code rural, après le mot : « agricole », d'insérer les mots : « , dès lors qu'elles respectent les règlements et normes en vigueur, en particulier en matière d'hygiène et de sécurité, ».
L'amendement n° 458 vise, dans le cinquième alinéa 3° du texte présenté par l'article 6 pour remplacer par huit alinéas le premier alinéa de l'article L. 311-1 du code rural, après les mots : « le caractère accessoire », d'insérer les mots : « au sens de l'article 75 du code général des impôts ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 8.
M. Michel Souplet, rapporteur. M. Le Cam regrette que nous nous apprêtions à supprimer l'article 6, mais ce n'est pas la faute du rapporteur ou celle des membres de la commission si la négociation qui a été conduite au cours des débats à l'Assemblée nationale, et même avant, n'a pas débouché.
M. Alain Vasselle. Eh oui !
M. Michel Souplet, rapporteur. La discussion a été longue, et je crois que les divers partenaires du milieu rural ont obtenu, au travers de la rédaction de cet article 6, presque plus qu'ils n'espéraient.
S'ils s'en étaient contentés, nous aurions probablement adopté l'article 6 sans en débattre longuement, mais ils ont ensuite voulu « charger la barque ». Ainsi, ils nous ont tous sollicités dans nos départements, à tel point que nous nous sommes demandé si un incendie n'allait pas éclater. Ce n'est pas nous, rapporteurs ou membres de la commission, qui avons mis le feu ; le feu a été attisé, et il nous revient maintenant de l'éteindre. Il faut beaucoup de bonne foi pour admettre ce que je viens de dire, or vous en avez manqué, monsieur Le Cam.
En revanche, j'ai été très sensible aux arguments de M. Pastor.
Cependant, la nouvelle définition de l'activité agricole se révèle particulièrement défavorable pour l'ensemble des activités de diversification, car elle introduit la notion d'« accessoire », s'agissant des activités de restauration, d'hébergement et de loisirs, et reconnaît le caractère agricole de ces activités au regard d'une seule partie de la législation.
L'adoption d'une telle définition paraîtrait incohérente avec le principe affirmé de la reconnaissance de la multifonctionnalité de l'agriculture, posé à l'article 1er. Elle constituerait une limitation dommageable des activités concernées et une source de contentieux de toute sorte.
Je trouve regrettable que, au moment même où le projet de loi d'orientation reconnaît la multifonctionnalité de l'agriculture, au travers de ses fonctions économiques, environnementales et sociales, et affirme l'ambition d'inciter les agriculteurs à créer davantage de valeur ajoutée, l'article tende à restreindre la définition juridique de l'activité agricole.
Ainsi, le contrat territorial d'exploitation, considéré comme la pierre angulaire de l'édifice législatif, consacre la multifonctionnalité de l'agriculture. Il est précisé que ce nouveau contrat a justement pour objet d'encourager les exploitations agricoles à développer un projet économique global qui intègre les fonctions économiques, environnementales et sociales de l'agriculture. Or le projet de loi interdit toute possibilité de diversification viable dans un contexte agricole.
Par ailleurs, la définition proposée de l'activité agricole constitue une régression sensible par rapport à la définition juridique en vigueur et a été fondée sur des critères qui apparaissent peu adaptés et injustifiés. Elle introduit en effet la notion d'« accessoire » s'agissant de la quasi-totalité des activités de diversification - restauration, hébergement, loisirs, etc. La mise en oeuvre de ce critère a pour effet d'exclure des activités agricoles les activités de diversification qui dépassent la notion d'accessoire quand bien même celles-ci seraient intimement liées à l'activité de production animale et végétale.
Face à un tel constat, votre rapporteur a souhaité que les différentes parties prenantes parviennent à un texte de compromis.
Cette rédaction n'ayant pas, pour l'instant, abouti, la commission vous propose de supprimer cet article et d'en revenir au droit en vigueur, c'est-à-dire à la législation de 1988.
En effet, la législation actuelle permet à une entreprise agricole de réaliser un chiffre d'affaires extérieur à sa seule activité agricole jusqu'à un taux de 30 % et avec un plafonnement à 200 000 francs. Dans le texte de l'Assemblée nationale, on n'allait pas plus loin.
La suppression de l'article 6 ne gênera pas les activités agricoles exercées actuellement et elle ramènera peut-être le calme. En tout cas, elle nous donnera le temps de revoir la situation dans un climat beaucoup plus serein.
Au nom de la commission, je vous propose donc de supprimer cet article.
M. le président. La parole est à M. César, pour défendre l'amendement n° 197.
M. Gérard César. Il s'agit effectivement d'un article important du projet de loi d'orientation agricole. Je me range aux arguments de notre excellent rapporteur, M. Souplet.
Au lieu de mettre fin aux incertitudes actuelles, la disposition adoptée par l'Assemblée nationale aggrave en fait la situation. C'est pourquoi nous proposons de supprimer cet article.
Je voudrais évoquer brièvement ce qui se passe dans nombre de départements. M. Jean François-Poncet pourrait d'ailleurs aller dans le même sens que moi. Le président de la chambre d'agriculture de Lot-et-Garonne, mon ami Régis Bessonet, mène, dans le secteur du tourisme à la ferme, une action importante, qui permet au monde urbain d'être au contact du monde rural.
S'il y a eu un certain nombre d'excès, il appartient aux organismes qui doivent veiller au respect du cahier des charges de prendre les décisions qui leur incombent et, surtout, de retirer l'agrément. Cela devait être dit.
Je souhaite que nous n'opposions pas les artisans et les commerçants aux agriculteurs. Le bons sens qui prévaut au sein de la commission des affaires économiques veut que nous maintenions le statu quo.
Monsieur le ministre, j'ai eu l'occasion de rencontrer un ingénieur général de votre ministère, un fonctionnaire de grande qualité, comme tous vos collaborateurs, qui effectuait une enquête afin de vérifier si le cahier des charges était bien respecté. Dans mon département, c'était le cas et il a donc émis un avis favorable.
Cet amendement de suppression de l'article 6 a pour objet de calmer le jeu, de ramener la paix dans le monde rural.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 8 et 197 ?
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je serai concis car je me suis déjà exprimé sur ce point lors de ma réponse aux orateurs qui sont intervenus dans la discussion générale.
Je suis en total accord non seulement avec les amendements de suppression, pour les raisons qui ont été développées, mais aussi avec le dispositif proposé par M. Pastor. Afin de ne pas rompre l'équilibre entre l'agriculture et le monde du commerce et de l'artisanat, le dispositif consistant à la fois à supprimer l'article 6, à préciser l'inscription au registre des métiers et à prévoir un rapport d'évaluation des conditions de concurrence et de juxtaposition des deux mondes économiques en milieu rural me paraît être complet et sage. C'est pourquoi le Gouvernement émet un avis favorable sur ces deux amendements.
M. le président. L'amendement n° 432 est-il soutenu ?...
La parole est à M. Le Cam, pour présenter les amendements n°s 457 et 458.
M. Gérard Le Cam. Tout d'abord, je dirai à M. le rapporteur que je ne suis pas de mauvaise foi et que mon intention est bonne. Il est vrai que ce que nous ne réussirons pas à faire aujourd'hui, il faudra bien le faire plus tard. Aussi, je me réjouis de la proposition de M. Pastor.
Pour ma part, je ne souhaite pas opposer les catégories qui vivent en milieu rural, bien au contraire. Il s'agit - le chemin est certainement encore long pour y parvenir - d'associer le monde agricole, l'artisanat et les consommateurs dans une même démarche. Dans la logique de la démarche qui est la nôtre, c'est-à-dire une attitude pragmatique et équilibrée, notre groupe propose deux amendements visant à préciser cet article 6.
Il s'agit, d'une part, de donner davantage de cohérence à la définition des activités agricoles autres que l'acte de production lui-même. Il s'agit, d'autre part, d'assurer l'égalité des artisans et des exploitants agricoles dans l'exercice de leur métier.
Au lieu de la confrontation des uns et des autres, à laquelle donnerait lieu la suppression hypothétique de l'article, nous préférons, pour notre part, la coexistence pacifique de l'ensemble des acteurs du monde rural selon des règles clairement définies.
Ainsi, il vous est proposé, mes chers collègues, de soumettre l'ensemble des activités agricoles accessoires aux mêmes règles d'hygiène et de sécurité. En effet, la rédaction actuelle limite cette contrainte aux seules activités de restauration réalisées par un exploitant agricole sur le site de son exploitation.
En outre, notre souci est que les mêmes normes s'appliquent pour tous de la même manière, que l'on soit agriculteur ou artisan. Par ailleurs, il faut préciser que ces réglementations existent déjà dans le cadre des différentes activités de diversification exercées par les agriculteurs.
Dès lors, une telle omission dans la loi d'orientation agricole serait de nature à créer la confusion là où il faut harmoniser la législation dans l'intérêt de tous, agriculteurs et artisans, mais aussi consommateurs.
Notre second amendement vise à préciser que les activités de restauration, au même titre que les activités d'hébergement ou les travaux réalisés par l'exploitant agricole, présentent un caractère accessoire au sens de l'article 75 du code général des impôts, à savoir des recettes inférieures à 30 % du chiffre d'affaires et un plafonnement à 200 000 francs.
De même que nous demandons un traitement égal des agriculteurs et des artisans, nous souhaitons une même prise en compte des diverses activités exercées par l'exploitant.
Par ces deux amendements, nous proposons au Sénat d'améliorer la définition introduite par l'article 6, afin de lever les risques de contentieux. Dans ces conditions, notre groupe s'oppose logiquement aux amendements identiques n°s 8 et 197, qui seront lourds de conséquence pour l'équilibre, certes précaire, du monde rural. M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Michel Souplet, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 8 et 197.
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Ma remarque rejoint celle que j'ai formulée tout à l'heure à propos des zones défiscalisées. En l'occurrence, les problèmes de l'espace rural rejoignent la problématique de l'aménagement du territoire.
Il serait évidemment absurde d'opposer agriculteurs et artisans, car nous avons besoin du concours des uns et des autres pour la revitalisation de l'espace rural. Par conséquent, je soutiens bien sûr la proposition de M. le rapporteur, qui me paraît être la solution du bon sens. Apaisons les esprits. Mais cela met en évidence la sensibilité qui existe et dont il faudra tenir compte.
Je suggère de réexaminer l'ensemble de cette question, notamment dans les zones où nous assistons à une diversification, où existe une structure d'exploitation familiale de petite dimension et où la pluriactivité est probablement la condition de la survie de l'espace rural, à la fois pour les agriculteurs pluriactifs et pour les artisans, afin de faire en sorte que nous ayons une activité para-agricole ou même non agricole dans l'espace rural. C'est la condition de la survie de cet espace menacé.
Nous supprimons aujourd'hui l'article 6, mais nous le reprendrons dans peu de temps, au mois de mars prochain. Je vous donne rendez-vous à ce moment-là et je demanderai alors le soutien de M. le ministre de l'agriculture si je n'arrive pas à être entendu par Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. (Sourires.)
M. Jean-Marc Pastor. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Je souhaiterais que notre position soit claire. Nous sommes favorables au retrait de l'article 6, mais à une double condition.
D'abord, comme M. le président François-Poncet vient de l'évoquer, il faut engager, sitôt la loi votée, une démarche permettant de mener, grâce à la concertation, une réflexion globale sur l'ensemble du problème posé dans le monde agricole et rural.
Ensuite, et sans reprendre les grands thèmes qu'il conviendrait d'aborder, je souhaiterais - et là je m'adresse à M. le ministre - qu'un rapport soit établi à ce sujet à la suite d'une mission confiée par le Gouvernement à un parlementaire.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner votre accord à cet égard avant que nous votions ?
M. Jean Bizet. La confiance règne !
M. Bernard Murat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat. Ce que je voulais dire a été en grande partie développé par M. François-Poncet.
Monsieur le ministre, j'insisterai sur la méthode. Là encore, je ne voudrais pas opposer les territoires riches aux territoires pauvres. Il faut éviter de faire preuve de manichéisme en permanence. Il est vrai que chez nous, en Corrèze, cela se passe plutôt bien dans les communes rurales. En effet, nombre d'enfants d'exploitants exercent un autre métier que celui de leurs parents : ils sont artisans ou commerçants.
Effectivement, nos collègues députés ont joué les apprentis sorciers. Ils ont attisé des feux qui, sans eux, n'auraient sans doute pas pris une telle ampleur et qui, à travers certains lobbies, ne seraient sans doute pas parvenus jusqu'à nous.
Monsieur le ministre, je suis tout à fait d'accord avec M. Pastor. Nous devons être courageux. Le fait de supprimer aujourd'hui l'article 6 est une bonne décision mais les parlementaires responsables que nous sommes devront bien légiférer sur ce point. Nous sommes là pour cela !
Ce que je souhaite, s'agissant de la méthode à suivre c'est que l'on observe tout d'abord ce qui se passe dans les communes et que l'on n'écoute pas uniquement les porte-paroles de tel ou tel lobby ou organisation. Mes chers collègues, allons sur le terrain - cela fait partie de notre fonction de parlementaire - et rapprochons les points de vue. Ainsi, la loi que nous élaborerons ne sera pas un simple cadre administratif, elle sera accompagnée d'un volet fiscal et constituera - je rejoins M. le président François-Poncet - un outil de dynamisation du milieu rural.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Ce qui va sans dire va encore mieux en le disant. Je suis très sensible à la sollicitude de M. Pastor. Le Gouvernement prend l'engagement de confier au Parlement la tâche qu'il a évoquée... ce qui est pour vous l'assurance que les délais seront tenus. (Sourires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 8 et 197, acceptés par le Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 6 est supprimé et les amendements n°s 457 et 458 n'ont plus d'objet.

Article 7