Séance du 2 décembre 1998







M. le président. Nous poursuivons l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant le ministère de la défense.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 47 minutes ;
Groupe socialiste, 39 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 28 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. L'armée de terre a amorcé une mutation formidable que chacun connaît, et vous mieux que quiconque, monsieur le ministre, car elle se doit de passer d'une armée de masse, à vocation territoriale, à une armée de professionnels, à vocation de projection.
Outre les mutations dans les structures de commandement, cette révolution, corollaire de la professionnalisation, implique de tels changements qu'il ne faut pas perdre de vue que la réussite de la professionnalisation n'est pas une certitude.
En effet, les nouvelles contraintes liées à la fin d'une armée mixte sont lourdes. La diminution du nombre d'appelés puis la suppression de la conscription vont entraîner une augmentation du recrutement de personnels civils, ainsi qu'une augmentation du nombre de volontaires qui, en termes de population, porteront le nombre des engagés au double de leur effectif actuel.
A cet égard, la période de transition connaît des blocages et des goulets d'étranglement dans certaines régions militaires, dont la mienne, où Mourmelon et Suippes, villes de garnison des camps de Champagne, sont connues de milliers de militaires qui ont eu l'occasion d'y séjourner.
Cette série de changements aura des conséquences budgétaires considérables sur les crédits de fonctionnement de l'armée de terre et risque fort de se faire au détriment de moyens financiers nécessaires à l'entraînement des forces, avec des conséquences imprévisible à long terme.
De ce point de vue, il ne faudrait pas que la professionnalisation entraîne un amoindrissement de la capacité opérationnelle de l'armée de terre en général et des unités de l'arme blindée, qui semblent les plus à même de souffrir de cette situation, en particulier.
Cette professionnalisation aura une autre conséquence, à savoir la déflation des effectifs de l'encadrement constitué des officiers et sous-officiers, avec les problèmes d'accompagnement financier des départs.
Elle instaure, par ailleurs, des perspectives de carrières courtes pour les officiers et sous-officiers, ce qui suppose une révolution psychologique mais aussi - il faut être réaliste - un problème de reconversion professionnelle pour ces hommes et ces femmes qui auront, certes, acquis une formation dans l'armée.
Je n'ignore pas, monsieur le ministre, que ces problèmes sont parfaitement connus de vous et de vos services. Il faut toutefois qu'ils soient définitivement traités afin que l'armée de terre, épine dorsale de la défense française, ne soit pas frappée progressivement de blocages insidieux.
Nos jeunes qui ont choisi de s'engager dans l'armée - la nôtre, la vôtre, monsieur le ministre - ne doivent pas être déçus par elle. Dès lors, prévoyons pour eux des installations dignes de ce nom.
Si le monde européen est en paix, il n'en demeure pas moins ceinturé de menaces qui, elles-mêmes, évoluent de façon non prévisible. Il ne faudrait pas que, un jour, notre pays se réveille avec une capacité de riposte amoindrie.
Ce souci, monsieur le ministre, nous le partageons, je le sais, mais je tenais à le réaffirmer avec force à l'occasion de l'examen de votre projet de budget.
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les années se suivent et les expressions se succèdent : après l'« encoche » budgétaire de l'an dernier, dans laquelle nous ne pouvions que voir une entaille, nous parvenons aujourd'hui à la « charnière ».
En effet, 1999 sera l'année charnière dans le processus de réforme et de professionnalisation de nos armées engagé le 22 février 1996 par le Président de la République.
Regrettant de ne pouvoir voter les crédits de votre ministère pour 1998, je formais, l'an passé, le voeu de voir la défense retrouver, dès 1999, le niveau des ressources prévu par la loi de programmation.
Ainsi, après une diminution drastique de 3,2 % en francs courants, imputable à l'encoche de 7,7 milliards de francs qui, en 1998, a caractérisé les crédits d'équipement, le budget de la défense pour 1999 progresse de 2,9 %.
Avec 243,5 milliards de francs, il est identique au budget que nous avions voté pour 1997.
Dans ces conditions, le budget que vous nous présentez, monsieur le ministre, n'est pas en conformité avec le cadrage de la loi de programmation.
La charnière « grince » ; les rapporteurs pour avis de la commission de la défense l'ont excellemment démontré.
Je n'y reviendrai donc pas dans le détail. Je reprendrai simplement les deux grandes interrogations que recèle l'exercice 1999 en ce qui concerne tant les moyens de fonctionnement de nos forces que leur équipement.
La France a fait le choix d'une armée professionnelle à l'horizon 2002. Nous en avons longuement débattu. C'était un choix raisonnable et raisonné qui, outre une volonté de nous aligner sur nos partenaires occidentaux, traduisait la nécessaire adaptation au contexte géopolitique.
Un tel choix impliquait inéluctablement de profondes restructurations de nos armées. Celles-ci sont désormais bien engagées.
Toutefois, qui dit armée professionnelle dit armée avec de moindres effectifs, mais armée composée de femmes et d'hommes bien encadrés, bien formés, bien entraînés et bien équipés.
Or, la situation actuelle est source de bien des inquiétudes.
En effet, les crédits de fonctionnement du titre III diminueront de 9 % en 1999, ce qui aura, en particulier, des répercussions sérieuses sur l'activité de nos forces et sur leur capacité opérationnelle.
A cet égard, nous ne pouvons qu'être inquiets de la réduction des objectifs d'activité des forces terrestres, fixés à 70 jours de sortie, dont 35 avec matériels, à comparer aux 80 jours, dont 40 avec matériels organiques, qui correspondent au minimum indispensable.
De même, permettez-moi de rappeler l'impérieuse nécessité de maintenir le niveau d'entraînement des pilotes de l'armée de l'air, dont l'objectif minimal de 180 heures annuelles de vol pour les pilotes de combat et de 360 heures pour les pilotes de transport reste le plancher en deçà duquel un risque certain est pris.
La disponibilité des bâtiments et des aéronefs de la marine nationale souffrira de la réduction de plus d'un milliard de francs des crédits d'entretien, ce qui entraînera inévitablement le maintien à quai d'un nombre accru d'unités opérationnelles.
Il y a donc urgence, monsieur le ministre, à rétablir un taux d'activité des unités qui permette de motiver les personnels et de répondre aux exigences d'une armée professionnelle.
Une autre exigence, et non des moindres, est la préparation de l'avenir, en dotant nos armées des matériels indispensables à l'accomplissement des missions qui leur ont été assignées.
Or, la nouvelle doctrine en la matière réside dans la « revue des programmes », certes établie en accord avec les états-majors, mais en aucun cas conforme aux prévisions de la loi de programmation.
Bien qu'augmentant de 6,17 % en francs courants, les crédits d'équipement des armées ne correspondent pas à l'actualisation des annuités prévues, et accusent un déficit de 5 milliards de francs.
Il en va ainsi des moyens consacrés aux conditions de vie des personnels au titre de l'habillement, du campement, du couchage et de l'ameublement, dont la sévère diminution ne peut que remettre en cause la participation de notre pays à des opérations extérieures et la professionnalisation elle-même.
Dans le même esprit, les besoins en infrastructures, liés à la contraction du format des armées et à l'entrée en service d'une nouvelle génération de matériels d'armement, demeurent très importants et ne pourront qu'être imparfaitement satisfaits en 1999.
Une fois encore, nous ne pouvons que regretter le report de certains programmes et le décalage de certaines livraisons, par exemple celle du premier Rafale Air, décalée de dix mois, et qui entraînera une diminution de vingt-cinq à vingt-trois du nombre d'appareils livrés à la fin de 2005.
Tout aussi préoccupantes sont certaines réductions de cibles, telles que le missile Mistral et les engins porte-blindés de la classe Leclerc, dont seulement vingt-huit exemplaires seront livrés l'an prochain.
La décision d'abandonner l'industrialisation du missile antichar de l'hélicoptère Tigre, quant à elle, est pour moi totalement incompréhensible, quand on sait que le Tigre avait été conçu pour tirer le meilleur parti de ce missile.
Dès lors, vous comprendrez que je partage sans réserve l'espoir de notre éminent collègue Serge Vinçon que la « revue des programmes » ne préfigure pas une nouvelle réduction des objectifs fixés aux armées en matière d'équipement. Car alors - vous me permettrez ce mauvais jeu de mots - avec la « revue des programmes », ce serait notre capacité opérationnelle qui serait « de la revue » !
C'est aussi pourquoi j'adhère pleinement aux considérations qu'ont exposées nos talentueux collègues Jean-Claude Gaudin et André Boyer pour l'équipement de l'armée de l'air et de la marine.
Le Gouvernement s'est engagé à passer une commande globale de Rafale en 1999 - 28 fermes et 12 options - et je m'en félicite. Car c'est seulement au moyen de commandes pluriannuelles que le programme Rafale trouvera son équilibre financier et bénéficiera des effets positifs que pourra apporter son exportation.
Le groupe des Républicains et Indépendants sera particulièrement vigilant au choix qu'effectuera le Gouvernement pour l'avion de transport du futur, qui conditionne l'objectif de projetabilité de nos forces, et soutient la solution, préconisée par le rapporteur, d'un avion européen tel que le FLA, proposé par Airbus Industrie.
Avec le même souci d'une défense opérationnelle, nous nous inquiétons, monsieur le ministre, des conséquences qu'aura le retrait du porte-avions Foch sur la permanence du groupe aéronaval.
Le concept dit de « quasi-permanence » étant abandonné, il apparaît clairement que la France sera privée de sa capacité de projection aéromaritime pendant les dix-huit mois d'indisponibilité du Charles-de-Gaulle en 2004-2005 et de nouveau en 2010-2011, ce qui pose avec acuité la question de la commande d'un second porte-avions après 2002. Ce n'est qu'à ce prix que sera garantie la permanence du groupe aéronaval après 2012.
Concernant la gendarmerie, je veux insister sur la nécessité de renouveler le parc de blindés et la flotte d'hélicoptères - en particulier les Alouette III - dont elle dispose, en veillant scrupuleusement à ce que les délais observés dans les livraisons ne compromettent pas la sécurité du territoire.
A cet égard, je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, quels moyens transitoires vous comptez mettre en oeuvre pour que la gendarmerie nationale préserve ses capacités d'intervention en montagne et en zone urbaine dans l'attente de l'arrivée, en l'an 2000, des trois hélicoptères budgétés.
En outre, j'adhère pleinement à la proposition du rapporteur, notre éminent collègue Paul Masson, d'organiser au Sénat un débat sur la réorganisation des structures de la gendarmerie, afin de donner à la représentation nationale l'opportunité de se faire mieux entendre sur des enjeux qui intéressent étroitement la sécurité publique et les collectivités locales.
En conclusion, je ferai trois observations.
La première a trait à l'appel de préparation à la défense, dont je regrette l'absence de réelle ambition que traduisent les trois heures et demie qu'y consacrent de facto les jeunes concernés.
Autant dire qu'il paraît bien peu réaliste de susciter des vocations militaires dans de telles conditions et qu'il faudra assez vite procéder à un bilan exhaustif, en vue, le cas échéant, de densifier le contenu d'une telle obligation.
Ma deuxième observation concerne les inquiétudes déjà exprimées sur le faible recrutement des personnels civils que connaissent toutes les armes. Le taux de postes vacants dans la marine atteindra 10 % des effectifs budgétaires à la fin de l'année. Aussi, souhaiterais-je savoir, monsieur le ministre, quelles dispositions particulières vous entendez prendre pour remédier à cet état de fait qui compromet gravement la réussite de la professionnalisation.
Enfin, j'évoquerai d'un mot les réserves, auxquelles je suis très attaché. L'adoption d'un nouveau statut est une nécessité que nul ne conteste. Je forme le voeu, monsieur le ministre, que celui-ci voie le jour en 1999. Pouvez-vous y répondre favorablement ?
Malgré les inquiétudes et les interrogations que soulève ce budget, je considère que son adoption représente un signe indispensable à envoyer aux personnels de nos armées, qui abordent les mutations en cours avec un dévouement et une compétence auxquels nous rendons hommage.
Mais la réforme de nos armées étant au « milieu du gué », la réalisation de l'exercice budgétaire à venir témoignera de la réelle détermination du Gouvernement à poursuivre convenablement le processus engagé.
Et puisque nous sommes un 2 décembre, je ne résiste pas au plaisir d'évoquer la victoire d'Austerlitz. Chacun sait que l'Empereur, resté sur le terrain, félicita ses soldats d'une formule lapidaire et restée célèbre : « Soldats, je suis content de vous ! » Mais il faut se souvenir aussi qu'il indiqua à l'adresse de son beau-fils : « Il faut déployer plus de caractère en administration qu'à faire la guerre ! » (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. André Boyer.
M. André Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget pour 1999 qui nous est soumis a manifestement été marqué par la volonté d'effacer l'« encoche » de 1998 induite par la nécessité de réduire le déficit public.
La revue des programmes, à finalité essentiellement financière, succède ainsi à une restriction très contraignante - qui de ce fait ne pouvait être que passagère - des ressources consacrées à l'équipement des armées. Si les crédits affectés à cet équipement couvrent l'ensemble des besoins définis par le service des programmes, c'est au prix de certaines modifications de calendrier qui ont permis d'aboutir à des économies de l'ordre de 20 milliards de francs de 1998 à 2002. Il en va ainsi de l'« optimisation » du programme du quatrième sous-marin lanceur d'engins nouvelle génération retardé d'un an, mais qui bénéficiera, deux ans avant la date prévue, de la livraison du M 51.
C'est aussi au prix de la réduction des projets d'acquisition de certains équipements - porte-chars ou missiles Mistral - ou de l'abandon de certains programmes concernant les mines MACRED et le satellite d'observation radar Horus pour lequel il faudra trouver un nouveau partenaire européen.
Ce dernier programme illustre - ce sera la première partie de mon intervention - les interrogations que nous sommes amenés à soulever en matière de coopération européenne.
Le nombre de matériels utilisés par plusieurs armées européennes ou conçus en coopération reste en effet très faible.
Dans le projet de budget pour 1999, ce poste représentera un peu plus de 8 milliards de francs - chiffre à peine supérieur à celui de 1998 - sur les 66 milliards de francs consacrés aux forces classiques.
Il apparaît donc de plus en plus nécessaire, alors que les programmes de coopération sont appelés à se développer, de privilégier une programmation concertée des équipements avec nos partenaires européens.
En effet, les équipements militaires coûtent de plus en plus cher ; or les budgets consacrés à la défense diminuent dans tous les pays d'Europe. Par conséquent, les contraintes financières et budgétaires rendent nécessaires une coopération accrue avec nos partenaires européens, qui seule permettra le partage des coûts et l'accès à des marchés plus larges, et qui permettra aussi de poursuivre l'effort de recherche et de technologie, lequel est de moins en moins pris en charge par les Etats.
Certes, la notion de communautés d'intérêts et le développement d'une véritable culture d'interopérabilité ont marqué des avancées significatives, qu'il s'agisse de la division multinationale centrale, associant l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, de la force amphibie créée entre le Royaume-Uni et les Pays-Bas, de la force aérienne déployable du Benelux, de l'Eurocorps et de la brigade franco-allemande, ou qu'il s'agisse d'autres initiatives moins connues, telles que les Euroforces, que la France a développées avec l'Italie, l'Espagne et le Portugal, de l'Eurofor et de l'Euromarfor définies en termes de capacité et dont la composition varie selon la mission, ou du groupe aérien européen, d'abord franco-britannique, mais que l'Italie a rejoint le 1er janvier de cette année.
Certes, notre stratégie en matière de programmes conduits en coopération s'est traduite par la création, en novembre 1996, de l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement, l'OCCAR, qui réunit la France, l'Allemagne, l'Italie et la Grande-Bretagne.
Certes, la coopération industrielle est aussi engagée dans certains domaines, mais nous pouvons déplorer que des conflits d'intérêts non résolus aient conduit à la concurrence du Rafale et de l'Eurofighter.
Cet écueil paraissait évitable s'agissant du futur avion de transport militaire européen, l'ATF, l'avion de transport du futur, qui répondait aux besoins des armées de l'air de huit pays, dont la France, qui avaient défini dans un document commun les caractéristiques de l'appareil. Le rapprochement des industries aéronautiques de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne et de la France semblaient donner les meilleures chances à ce projet. Malheureusement, les négociations engagées bilatéralement par British Aerospace et DASA paraissent compromettre sérieusement les espoirs que nous avons vus naître.
Peut-on espérer, monsieur le ministre, que la raison l'emportera dans ce domaine porteur à la fois de symbole et de rationalité économique et stratégique ?
Notre budget de la défense est conditionné également par nos alliances et par les missions que nous devons assumer conjointement avec nos alliés.
Au printemps prochain, à Washington, à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'Alliance atlantique, sera présenté le nouveau concept stratégique de l'OTAN, aux termes duquel, si l'on en croit le rapport présenté par le sénateur Roth, président de l'assemblée de l'Atlantique Nord, le mois dernier à Edimbourg, « les Etats-Unis et les Alliés européens doivent tenter de recenser les secteurs dans lesquels la recherche-développement et l'acquisition peuvent s'organiser sur une base transatlantique, et se mettre en quête de technologies développées commercialement dont l'intégration coordonnée dans les forces de l'OTAN peut promouvoir "l'interopérabilité". »
Pourrons-nous, mes chers collègues, être assez aveugles pour nous dissimuler que, ici, l'interopérabilité plaidera en faveur du matériel américain si les Européens ne sont pas capables de relever le défi ?
Telles sont les questions que nous avons le devoir de nous poser à l'occasion de cette discussion budgétaire qui cerne les limites de nos propres ressources.
Le réalisme nous conduit à penser que le maintien de nos forces nationales à un niveau nécessaire implique que la construction européenne soit plus largement étendue aux problèmes de défense.
Le deuxième point de mon intervention portera sur la gendarmerie.
M. le rapporteur pour avis, M. Masson, a parfaitement analysé le budget présenté pour cette arme.
Je m'en tiendrai donc au problème du redéploiement des effectifs qui, au cours de l'année 1998, s'est posé avec une acuité particulière et a suscité de très vives réactions.
Permettez-moi deux remarques préalables.
Premièrement, pour ne pas entrer dans le débat pernicieux des équivalences entre gendarmes et policiers, je ne ferai qu'évoquer la fermeture des commissariats des petites villes et le redéploiement des zones de compétence entre la gendarmerie et la police.
En réalité, en matière de sécurité quotidienne, si les fonctions des policiers et des gendarmes, en zones urbaines, sont un peu différentes, c'est que le contexte urbanistique, sociologique et démographique n'est pas le même.
Au-delà des impératifs de sécurité qui resteront en toute hypothèse inchangés, c'est la prise en compte des facteurs psychologiques, sociaux et financiers des personnels qui permettra de résoudre ce problème.
Deuxièmement, nous savons que la gendarmerie a vocation à assurer la sécurité publique sur environ 90 % du territoire national pour plus de 50 % des Français, mais que paraissent s'opposer des zones rurales peu peuplées et des zones périurbaines plus denses où les comportements de délinquance s'accroissent de façon inquiétante.
Nous sommes tous convaincus dans cette enceinte que les problèmes de sécurité se posent de façon si aiguë dans ces zones urbaines ou périurbaines qu'il faut y répondre rapidement par un accroissement des moyens.
Mais, monsieur le ministre, nous n'en sommes pas moins convaincus que les redéploiements qui conduiront la gendarmerie à prendre en charge de nouvelles zones ou à renforcer sa présence dans les secteurs périurbains de sa zone de compétence ne doivent pas altérer le maillage territorial dans les zones rurales.
La limite à ne pas dépasser nous paraît être définie par le maintien du principe d'une brigade par canton et d'un délai d'intervention inférieur à la demi-heure.
La maladresse, reconnue d'ailleurs, de la procédure engagée dans ce domaine, le malentendu qui s'ensuivit et qui fut mal ressenti par les élus locaux ne doivent pas occulter les réalités du terrain.
En effet, la vocation fondatrice de la gendarmerie concernant le maintien de la sécurité publique ne se traduit pas seulement dans les zones rurales en termes de police judiciaire traitant de crimes et délits, de contraventions, de rassemblement de preuves et de recherches. Elle concerne aussi la police de la circulation routière, la police rurale, la police sanitaire, le service d'ordre, la protection civile.
La gendarmerie prête enfin son concours en matière de lutte contre le travail clandestin, les atteintes à l'environnement et, surtout, la toxicomanie, qui se développe trop rapidement chez les jeunes. La délinquance prospère aussi, hélas ! dans nos cantons ruraux, venue d'ailleurs souvent, mais réelle.
Tout cela nous conduit, monsieur le ministre, à souhaiter simplement que la sécurité pour nos concitoyens, des villes ou des campagnes, soit assurée partout et pour tous, et à vous demander, au terme de ce débat, de nous donner quelques précisions sur les procédures qui seront engagées par le Gouvernement à la suite des conclusions de M. Guy Fougier relatives au redéploiement, au terme d'une consultation au cours de laquelle nous ne pourrons lui dire autre chose que ce que nous disons aujourd'hui.
Depuis des années et des années, monsieur le ministre, on nous parle d'aménagement du territoire. Mais plus personne n'y croit : d'année en année, nous assistons à la disparition des services publics en zone rurale. Or nous savons que leur maintien conditionne tout le reste.
J'en arrive à ma conclusion. Nous mesurons parfaitement, monsieur le ministre, les difficultés de la réforme que vous conduisez avec courage et rigueur et qui consiste, en maintenant les capacités opérationnelles des forces, à passer d'une armée de conscription de 570 000 hommes à un format d'effectifs en diminution de 25 % dans lequel les professionnels de défense, civils ou militaires, représenteront plus de 95 % des effectifs.
Nous mesurons parfaitement les multiples problèmes posés par les restructurations en termes d'adaptation des personnels auxquels nous rendons un hommage mérité, mais aussi en termes d'aménagement du territoire car les conséquences territoriales sont importantes. Et nous savons bien que les contraintes budgétaires n'autorisent pas de fantaisie.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, les membre du groupe du Rassemblement démocratique social et européen voteront le projet de budget qui nous est présenté. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. de Gaulle.
M. Philippe de Gaulle. Monsieur le président, mes chers collègues, je vous remercie de me laisser la parole.
Monsieur le ministre, à une enseignante qui vous avait dit, je cite : « Vous nous demandez d'assurer, en plus, une information sur la défense pour les élèves de troisième. Nombre d'entre eux y sont très réticents. Cela heurtera profondément leurs fortes convictions antimilitaristes » (sic), vous avez répondu à juste titre : « Il n'y a pas de situation mondiale sans agresseurs. Doit-on les laisser faire ? Nous sommes en république. Une loi a été votée démocratiquement. Elle est devenue la loi de tous. Les convictions de chacun sont respectables, mais, dans tous les domaines, celles-ci passent après la mission de service public. Ce n'est pas en cédant à la violence qu'on la fera disparaître. La supprimer n'est au pouvoir mental et intellectuel de personne. »
Monsieur le ministre, je dois donc d'abord vous féliciter de n'avoir pas cru, comme vos prédécesseurs socialistes, Jaurès en 1914, que l'internationale ouvrière pourrait empêcher la guerre, et Blum en 1936, que le pacifisme et les armes défensives suffiraient à maintenir la paix.
Du budget de la défense que vous présentez pour 1999, je ne discuterai pas les chiffres, si ce n'est pour noter qu'ils marquent une progression de 2,8 % par rapport au niveau bas de l'inquiétante année 1998, soit au total 190 milliards de francs, à moins d'être à nouveau victimes d'arbitrages gouvernementaux, 190 milliards de francs, c'est-à-dire quatre fois moins que les dépenses directes ou induites de l'immigration abusive chez nous. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Les autres questions étant très complètement reprises par mes collègues, je n'évoquerai aujourd'hui qu'une seule orientation fondamentale : le nucléaire, en commençant par une annexe à ce chapitre, qui est le porte-avions Charles-de-Gaulle.
Le porte-avions, comme nous le savons, est un moyen d'intervention outre-mer par excellence, quoi qu'il soit aussi une incitation et que je sois d'avis de limiter nos interventions extérieurs au minimum. Le porte-avions est aussi un terrain d'aviation mobile plus difficile à neutraliser, qui prolonge vers la mer l'espace de manoeuvre stratégique qui, pour la France, est fort court à l'avant, sur le continent.
Le porte-avions Charles-de-Gaulle n'est pas une arme nucléaire proprement dite, bien qu'il doive mettre en oeuvre des aéronefs qui peuvent porter cette arme, mais c'est une centrale nucléaire, même si elle n'est pas destinée à fournir du courant électrique au public, mais bien plutôt une propulsion maritime de très grande durée sans ravitaillement.
Dans les années 1958-1961, le général de Gaulle avait fait terminer en dix-huit mois le Clemenceau, premier porte-avions que nous construisions depuis le Béarn des années trente et qui traînait depuis quatre ans, et il avait fait construire le Foch dans les deux ans suivants.
Le porte-avions Charles-de-Gaulle est en chantier depuis dix ans faute de crédits et par alourdissements successifs des dispositifs de sécurité qui en feront un bâtiment de guerre répondant aux exigences des visites par les civils, à quatre-vingts hommes près, comme dans les centrales à terre.
A la limite, on pourrait dire en caricaturant, en exagérant, qu'il n'appareillera plus que pour assurer la sécurité de son équipage. Aussi sa vitesse sera-t-elle limitée à vingt-huit noeuds et sa mise en service n'est-elle prévue qu'au troisième millénaire. Pourquoi se presser d'ailleurs ; puisqu'il n'y aura qu'un seul avion Rafale, pourtant le meilleur avion de combat du monde, à la fin de l'année prochaine et, nous l'espérons, quelques-uns de plus dans le courant du troisième millénaire ?
Enfin, tout le monde sait qu'il ne lui est prévu aucune relève lorsque surviendront les échéances des visites techniques propres à tous les bâtiments. On parle d'une plate-forme britannique, mais on ne voit pas très bien pourquoi les Anglais en fourniraient une pour mettre en oeuvre d'autres avions que les leurs, qui seraient d'ailleurs de caractéristiques différentes.
En revenant à l'essentiel stratégique de la commission des affaires étrangères et de la défense, nous devons constater qu'autour de la France il n'y a pas de désarmement nucléaire véritable. Son contrôle serait d'ailleurs illusoire. C'est le moment de rappeler que l'atome a été le principal élément stabilisateur dans la paix du monde, et qu'il le restera à condition pour nous de maintenir les moyens qui ont toujours été l'ambition limitée de la France de prévenir le braquage, j'allais dire le hold-up d'Etats pouvant avoir une conception imprévisible, voire aventureuse, du rôle de ce nucléaire. A ce propos, faut-il rappeler que la non-prolifération nucléaire n'est qu'une conception angélique ? L'Inde, le Pakistan, et demain n'importe quelle petite puissance en constituent ou en constitueront l'illustration.
En revanche, le processus américano-russe de réduction progressive de leurs arsenaux surabondants exerce une pression sur la France pour l'amener à diminuer ses forces nucléaires au-dessous d'un « seuil de suffisance » qu'elle maintient à peine aujourd'hui avec quatre sous-marins lance-missiles utilisables et quelques armes tactiques de la seule armée de l'air, puisque nous avons malencontreusement mis au rancard celles, pourtant en très petit nombre, de l'armée de terre. Précisons toutefois que le démantèlement des missiles du plateau d'Albion, devenus périmés, ne me paraît pas contestable du moment qu'on en conserve les terrains, péniblement acquis, pour un autre usage militaire.
Le maintien d'une force française de dissuasion, gardant sa crédibilité, apparaît dans le contexte international comme l'ultime garant de notre sécurité en cas de menace grave en Europe ou hors d'Europe, dans le cas, par exemple, où nos troupes seraient menacées par des armes biologiques et chimiques auxquelles nous avons renoncé.
Bien que notre force de dissuation, comme celle de la Grande-Bretagne, suscite encore des réserves de la part de nos alliés, en particuler au sein de l'Alliance atlantique, nous devons faire comprendre qu'elle contribue à la sécurité de nos partenaires, de l'Union européenne notamment.
Nous avons dit « dissuasion nucléaire », à condition d'en maintenir la quantité minimale des moyens et les niveaux techniques par rapport aux autres.
Or le démantèlement coûteux de la centrale expérimentale de Creys-Malville, la mise en cause de Super-phénix à la Hague pour le traitement des déchets et le refus de planifier la modernisation ou le remplacement dans la prochaine décennie de la dizaine de nos plus anciennes centrales électriques sur les cinquante-sept qui fournissent actuellement 80 % de notre énergie tendent à démontrer que la France renonce à perfectionner, sinon à maintenir simplement, une immense capacité, dans un domaine où elle a su acquérir le meilleur niveau en Europe.
Sans parler d'une erreur fondamentale et suicidaire pour nous dans les domaines industriel, économique et écologique, erreur trop considérable pour faire l'objet, ici, dans ce débat, des réfutations que cette illusion mériterait, on peut dire que, pour la seule défense, ces abandons affaiblissent d'autant notre dissuasion.
Dans ces conditions et malgré les autres qualités de votre budget calculé au plus que juste, monsieur le ministre, je crains de ne pas pouvoir le voter. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget pour 1999 ainsi que la politique de défense dont il est la traduction chiffrée laissent perplexes et partagés, comme l'an dernier, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen.
Certes, globalement, la part des richesses nationales consacrées à l'effort de défense est plus conforme que par le passé à l'environnement mondial, à ses menaces, aux possibilités du pays et à la prise en compte d'autres priorités, notamment sociales.
Si l'étau, serré un peu brutalement l'an dernier sur les dépenses d'équipement, s'est heureusement desseré, cette opération n'allégeant pas pour autant les projets de suppressions massives d'emplois et d'activités à la Direction des constructions navales et au GIAT, il s'est malheureusement singulièrement resseré au titre III car, comme nous le pensions et comme nous l'avions dit, la professionnalisation complète de nos forces armées - nous ne sommes pas convaincus de son bien-fondé - coûte plus cher que ce qui avait été annoncé officiellement.
Le volume global des crédits du titre III restant constant, c'est - cela a été dit - l'ensemble des moyens de fonctionnement, d'entraînement de nos forces et d'entretien des matériels qui seront pénalisés, notamment dans la marine et l'armée de terre.
Vous le savez, nous avons depuis longtemps exprimé le souhait que, dans les budgets successsifs, soient considérés comme prioritaires les programmes d'équipement visant à protéger notre espace national et à favoriser les commandes aux arsenaux et aux établissements d'Etat qui sont fragilisés depuis de longues années.
A de nombreuses reprises, nous avons demandé que la baisse des crédits d'équipement affecte en premier lieu les crédits nucléaires, sans remettre en cause bien évidemment notre capacité de dissuasion défensive.
Il est utile, de ce point de vue, de regarder en arrière pour tirer un premier bilan, dont on peut dire qu'il est positif.
En effet, sans entamer, loin s'en faut, ses capacités fondamentales de dissuasion nucléaire, notre pays a pu et a su faire d'utiles et importantes économies sur les crédits consacrés aux forces nucléaires, en les diminuant de moitié entre la loi de finances pour 1992 et le présent projet de budget : 32 milliards de francs contre 16 milliards de francs aujourd'hui.
La démonstration a été faite qu'il était possible de limiter sensiblement ces dépenses sans remettre en cause l'essentiel.
Durant de nombreuses années, nous n'avons eu de cesse de faire cette revendication. Nous avions alors essuyé certains qualificatifs peu reluisants que nous pourrions retourner aujourd'hui à leurs auteurs, avec nos compliments.
Rappelons-nous les mesures de réduction d'armement et d'équipement nucléaires prises ces dernières années par notre pays qui, à sa façon, a accompagné le mouvement engagé par les Etats-Unis et l'URSS, notamment sous Gorbatchev : la fermeture du Centre d'expérimentation du Pacifique ; le démantèlement des missiles nucléaires tactiques Hadès et de la composante stratégique sol-sol installée au plateau d'Albion ; la fermeture des usines de production de matières fissiles à usage militaire de Pierrelatte et de Marcoule.
J'ai dit à l'instant « à sa façon », car on peut aujourd'hui encore déplorer que le Président de la République et le gouvernement de l'époque n'aient pas englobé ces dispositions dans une démarche diplomatique d'envergure visant à relancer le processus de réduction en cours, - à renforcer le traité de non-prolifération et pourquoi pas ? - visant à commencer de préparer le futur traité Start III.
Sommes-nous aujourd'hui au bout des efforts d'économies, de l'effort de réflexion ? Sommes-nous condamnés à rester muets en attendant que la marche en avant vers le désarmement nucléaire reprenne sous l'impulsion d'autres nations ? Bien évidemment, non !
Pour notre part, nous souhaitons une plus forte présence de la France sur ce terrain car notre propre sécurité dépend tout autant des capacités de notre outil de défense et de la qualité de ceux qui le servent que des initiatives que notre pays saura mener pour relancer le mouvement de réduction des arsenaux nucléaires et, surtout, conforter la non-prolifération.
C'est d'autant plus souhaitable et, ajouterais-je, attendu par de nombreux pays dans le monde, que l'action de la France a été décisive, notamment sous ce gouvernement, dans la conclusion de plusieurs traités : la convention d'interdiction des armes chimiques, le traité interdisant les mines anti-personnel, le traité d'interdiction des essais nucléaires et nous sommes le premier pays possédant l'arme atomique à avoir ratifié ce dernier, je le rappelle.
Il semble également que notre pays ait pris une part importante dans la préparation du futur traité d'interdiction de production des matières fissiles à utilisation militaire.
La France tend, depuis peu, à mieux occuper sur de nombreux terrains sa place sur la scène internationale. Peu de pays, vraiment, nous feront le reproche d'aller plus loin dans nos initiatives, notamment dans le domaine des armes nucléaires.
D'autant que la dégradation de l'armement nucléaire russe - armement qui fut la fierté affichée de l'Union soviétique - pose d'immenses problèmes.
Cette fierté est contestable au regard non seulement des pires imprudences technologiques qui ont été commises dans la conception de la plupart des centrales électriques, pour les réacteurs, qui sont mal isolés, pour les sous-marins, qui ont entraîné, parmi les équipages, des pertes aussi sévères que soigneusement dissimulées, mais aussi de l'irresponsabilité qui, trop souvent, a présidé au stockage des déchets, tant civils que militaires, exposés en plein vent dans des dépôts superficiels ou sur des fonds marins peu profonds.
L'incroyable début de procès, heureusement ajourné sous la pression internationale, intenté contre l'ex-capitaine Alexander Nikitine, illustre trop bien l'énorme dossier de la pollution radioactive de la presqu'île de Kola.
Par ailleurs, l'accident qui est survenu le 11 septembre dernier sur un sous-marin nucléaire russe, toujours dans cette zone de Mourmansk, et qui a fait dix morts, montre - ce que nous savions déjà - à savoir la sinistre possibilité d'un accident, d'une fausse manoeuvre aux conséquences bien plus graves.
La plupart des experts indiquent que, dans moins de deux ans, la Russie ne sera capable de disposer que de 1 000 têtes nucléaires opérationnelles. Cela vaut ce que cela vaut, mais c'est déjà très en dessous des 3 500 têtes que prévoyait le traité Start 2. La Russie est-elle en mesure de traiter cet immense problème du démantèlement de milliers de têtes nucléaires ? Poser la question, c'est déjà quasiment y répondre !
Selon nous, le futur traité Start 3 devrait, si possible, comporter des dispositions visant à résoudre cette question d'intérêt mondial.
La France est, je crois, en position non seulement de pousser les Etats-Unis et la Russie à accélérer, ou du moins à reprendre le processus de réduction des armes nucléaires, mais aussi de donner au futur traité Start 3 un contenu à la hauteur des enjeux actuels.
Passons d'autres pistes en revue. Chacun le sait, l'élargissement de l'OTAN à trois pays anciens membres du pacte de Varsovie a été le facteur principal de blocage de la ratification du traité Start 2 par la Douma russe.
A notre sens, cet élargissement est une faute politique et historique grave, mais c'est désormais, hélas ! un fait en cours d'accomplissement.
Il faut, malgré cet obtacle, susciter des initiatives permettant de débloquer le processus de désarmement en cours.
A ce propos, est-il vain de penser, monsieur le ministre, que la conclusion d'un traité instaurant une zone dénucléarisée en Europe centrale et orientale pourrait avoir des effets positifs, notamment en Russie ? La France ne pourrait-elle pas être porteuse de cette idée ?
Par ailleurs, après l'allégement par le président Mitterrand, en 1992, du niveau d'alerte de nos forces nucléaires, ne peut-on pas envisager des propositions françaises de désactivation concertée, par étapes, des têtes nucléaires ?
Il devrait être possible de conduire l'ensemble des arsenaux nucléaires de l'état d'alerte à l'état de veille.
Ne serait-il pas souhaitable d'éviter l'emport de l'arme nucléaire sur le porte-avions Charles-de-Gaulle ? Certes, par mesure conservatoire, on peut continuer de prévoir un emport dans la fabrication du Rafale marine porteur de l'ASMP et, à bord du navire, au niveau des installations spéciales. Mais ne serait-ce pas un geste positif de la France que d'annoncer pour le moins la mise en sommeil de sa composante nucléaire aéronavale ?
S'agissant du futur missile stratégique M 51, vous connaissez nos préventions.
Nous rejetons toute idée de désarmement nucléaire unilatéral de notre pays, nous reconnaissons la force océanique sous-marine comme le noyau dur de notre dissuasion, mais nous n'acceptons pas, par respect du processus de détente et par souci de confirmer le traité de non-prolifération - notamment son article 6 - le développement et la production d'armes nucléaires nouvelles.
Comment prêcher la non-prolifération au monde entier, singulièrement à de grandes nations comme l'Inde, et poursuivre dans le même temps pour nous-mêmes la fabrication de nouveaux armements nucléaires ?
Après le M 51, on développera un autre missile portant plus loin, plus précis, comportant plus de têtes nucléaires, elles-mêmes plus furtives et mieux dotées de leurres pour échapper aux systèmes antimissiles, etc. Où tout cela mènera-t-il ?
Cela dit, monsieur le ministre, nous savons aussi que, dans ce domaine, décider un simple maintien en l'état équivaut à un désarmement dans quinze ans ou vingt ans, et qu'il nous faut garder un potentiel scientifique et industriel nécessaire à la fabrication de missiles.
Au milieu de tous ces éléments contradictoires, nous devons trouver une position d'équilibre. L'a-t-on atteinte en maintenant la décision de fabrication du M 51 ? Nous n'en sommes pas convaincus.
Quant à la simulation, s'il s'agit de passer purement et simplement des essais grandeur nature aux essais grandeur laboratoire, on peut s'interroger sur l'éthique d'une telle démarche et sur l'utilité finale du traité d'interdiction des essais nucléaires souterrains, sauf à interdire les essais nucléaires à ceux qui n'ont pas les moyens de se doter de laboratoires de simulation !
Cette situation ne tiendra pas longtemps, à supposer d'ailleurs que le traité d'interdiction entre réellement en application.
Notre laser mégajoule est-il, oui ou non, susceptible d'avoir des applications civiles ?
Dans l'affirmative, pourquoi ne pas, dès maintenant et dans certaines conditions, associer la recherche civile ?
Dans la négative, qu'est-ce qui empêche notre futur laser mégajoule de se rapprocher des dispositifs similaires qui sont en cours d'installation en Allemagne et au Japon, et qui, jusqu'à nouvelle information, ne sont pas des instruments militaires ?
Nous avons constaté, non sans amertume, le recul des crédits affectés au spatial militaire, et nous savons bien que vous n'y êtes pour rien, ni même Bercy.
Ce n'est pas ici qu'il est utile d'insister sur l'importance, pour une nation comme la nôtre, d'avoir ses propres forces de renseignement, notamment grâce aux programmes spatiaux en coopération avec des partenaires européens.
D'ailleurs, pourra-t-il y avoir un jour une réelle politique étrangère et de sécurité commune en Europe et un début d'identité européenne de défense sans source autonome de renseignements et d'informations des Américains ?
Là encore, poser la question, c'est déjà y répondre.
Le retrait des Britanniques du programme successeur du système Syracuse II et la marche arrière, malgré les engagements pris, de l'Allemagne enclenchée sur les programmes Helios II et Horus montrent, une fois de plus, les difficultés qu'il y a à mener des nouveaux programmes portant sur des réalisations qui viennent trop en concurrence avec la toute-puissance américaine.
S'agissant de notre industrie de défense, je me bornerai, compte tenu du temps qui m'est imparti, à deux remarques.
Tout d'abord, concernant les regroupements à l'échelle européenne, nous sommes bien sûr ouverts à toute réflexion, à tout projet qui renforcent la cohérence, la coopération des alliances entre les différentes entreprises et sociétés de l'industrie de défense.
Nous sommes parfaitement conscients de la nécessité de cet élargissement de la coopération pour fabriquer à moindre coût pour les contribuables et pour résister à la formidable puissance de la concurrence outre-Atlantique.
Mais il y a deux pistes que nous ne souhaitons pas suivre, ce sont celles qui consistent à céder aux ultralibéraux, en privatisant « à tout va » notre outil industriel de défense, et à accepter de dissoudre des éléments structurants de notre industrie dans des nouveaux ensembles européens.
Coopération, alliance, cohérence, oui !
Intégration et perte de souveraineté, non !
Ma deuxième préoccupation portera, vous le devinez aisément, sur la situation de la DCN et du GIAT.
Certes, et il faut s'en réjouir, la fin de la guerre froide, le recul des menaces militaires classiques ont engendré une baisse des dépenses militaires conventionnelles et une réduction du marché des armes à l'exportation.
Ce recul inéluctable s'est, hélas ! accompagné en France, pour nos établissements d'Etat, de problèmes aggravants : la réduction du format de nos armées, notamment de l'armée de terre ; la compression - qui se dessine de plus en plus, notamment dans ce budget - des moyens de fonctionnement du fait du coût réel de la professionnalisation ; la diversification des activités à dose trop homéopathique, à notre avis ; les placements hasardeux en bourse ; la nécessité de retour à l'équilibre financier après, pour le GIAT, un trou de plus de 10 milliards de francs.
Il est inadmissible que les salariés doivent, une fois de plus, supporter les conséquences d'événements et d'imprévoyances dont ils ne sont pas responsables.
Avec ce nouveau plan de récession, le quatrième, qui supprime, d'ici à 2002, 4 000 emplois touchant le GIAT, le coup est rude, l'émotion est vive, l'incompréhension est forte.
Nous sommes solidaires de la proposition de nos collègues de l'Assemblée nationale visant à instaurer un moratoire sur la restructuration en cours afin d'élaborer un plan de transition qui prenne en compte une nécessaire diversification, l'application des trente-cinq heures, la nécessité de préserver un savoir-faire de haut niveau et une activité symbole de l'indépendance de notre défense.
Le temps me manque pour parler plus amplement de la souhaitable commande pluriannuelle du Rafale, disposition importante dans l'immédiat pour notre industrie et pour notre armée de l'air, mais aussi pour la crédibilité de nos efforts d'exportation.
Le temps me manque pour parler des décisions positives que nous attendons, non sans impatience, concernant l'ATF.
Le temps me manque assurément pour parler plus avant des autres points et des autres faiblesses de votre projet de budget.
Au total, au regard des contrastes d'une politique de défense trop inspirée, à notre avis, par les choix du Président de la République et du budget qui l'alimente, l'ensemble des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
(M. Jean Faure remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est un bon projet de budget que nous examinons aujourd'hui. En effet, pour la première fois depuis 1990, le budget des armées est revu à la hausse. Il permet de répondre aux exigences de la défense de notre pays, il consacre la poursuite de la mise en oeuvre de l'actuelle loi de programmation, après l'adaptation consécutive à la revue des programmes, et il confirme, enfin, la priorité donnée aux grands chantiers en cours.
Trois objectifs majeurs me paraissent fonder ces orientations.
Le premier objectif concerne la poursuite de l'adaptation et de la modernisation de nos forces. Ainsi, conformément aux conclusions de la revue de programmes, les capacités de prévention des crises ont été préservées. Les grands programmes de cohérence interarmées ont été privilégiés et ont pu bénéficier de l'augmentation des ressources des titres V et VI.
Malgré quelques difficultés rencontrées s'agissant de certains programmes dans le domaine de l'espace, je note avec satisfaction que ce projet de budget s'inscrit pleinement dans une perspective européenne. La priorité est donnée à la poursuite des programmes en coopération, auxquels plus de huit milliards de francs sont consacrés.
Le deuxième objectif porte sur la poursuite de la professionnalisation des armées, dont la priorité est réaffirmée. Cette année verra, d'une part, une forte diminution du nombre des appelés et des sous-officiers et, d'autre part, la création d'emplois pour des militaires du rang professionnel, des civils, mais aussi des premiers postes de volontaires. Toutes les dispositions ont également été prises, y compris sur le plan budgétaire, pour permettre la poursuite de la professionnalisation selon le calendrier défini par la loi de programmation. Cependant - mais j'y reviendrai - le coût de la professionnalisation a imposé des efforts accrus en matière de maîtrise des dépenses de fonctionnement.
Enfin - c'est le troisième objectif - ce projet de budget consacre une augmentation des crédits destinés à l'accompagnement des restructurations militaires et industrielles.
Ces priorités s'inscrivent dans celles, plus vastes, qui ont été définies par le Premier ministre. En effet, la lutte pour l'emploi se retrouve dans votre budget, tout comme la recherche du renforcement de l'appareil industriel ou encore le développement de la construction européenne. De plus, il s'intègre dans l'optique générale de l'amélioration de la sécurité intérieure.
Toutefois, ce projet de budget suscite un certain nombre d'interrogations, au premier rang desquelles figure l'évolution du titre III. Cette évolution est double : d'une part, sa proportion dans la totalité du budget de la défense augmente, pour atteindre 55 % des dotations initiales ; d'autre part, il connaît une évolution interne assez préoccupante, avec une nouvelle augmentation de 3 % des crédits de rémunérations et de charges sociales, qui représentent désormais 80 % du titre III. Dès lors, une telle évolution s'opère au détriment des crédits de fonctionnement, qui perdent 9 %.
Ces deux constatations renforcent nos interrogations sur le coût de la professionnalisation. Ce coût tend à se réaliser au détriment non seulement des crédits d'équipement, mais également du fonctionnement de nos forces et de leur entraînement. Si, dans ce budget, un certain équilibre a pu être trouvé entre ces différentes charges, sans qu'aucune d'elles en souffre trop, des craintes subsistent pour l'avenir.
Les conditions requises pour le bon déroulement de la professionnalisation ont été réunies. Les postes budgétaires nécessaires à la réduction du format des armées ont été ouverts. les mesures d'accompagnement comme les aides au départ ont été mises en place. Mais ces dispositions pèsent lourdement sur le budget, plus lourdement que ce qui avait été prévu dans la phase de conception de la professionnalisation. Cette mauvaise estimation, nous la dénoncions dès 1996 ; c'est pourquoi je m'étonne que certains la découvrent et ne s'en inquiètent qu'aujourd'hui.
J'espère néanmoins que le décalage ne sera pas trop important entre les prévisions et les besoins réels. Sinon, hormis une réduction du format, ce serait une nouvelle fois les crédits d'équipement qui en subiraient les effets.
Puisque nous parlons de professionnalisation, je voudrais rappeler que celle-ci reposait sur trois piliers : l'appel de préparation à la défense, mis en place dès cette année avec succès, mais également le volontariat et les réserves qui font encore défaut et rendent cette vaste réforme inachevée. Si j'ai pris bonne note, monsieur le ministre, de ce que le projet de loi sur les réserves devrait être présenté en conseil des ministres prochainement, je tenais tout de même à souligner, de nouveau, l'importance de ces deux réformes pour la refondation, la modernisation du lien entre les citoyens et leur défense.
A présent, je voudrais mettre l'accent sur un autre point qui me paraît essentiel : la restructuration de notre industrie de défense à l'échelon européen. Je pense particulièrement au regroupement des industries aéronautiques.
Je veux saluer l'action du Gouvernement, qui a su saisir avec détermination le dossier de la restructuration des industries de défense.
Après avoir favorisé le rapprochement d'Aérospatiale et de Matra Haute Technologie, il est parvenu, et ce n'était pas facile, à adjoindre à cet ensemble Dassault Aviation. J'espère que ce pôle aéronautique français sera achevé au début de 1999 en vue d'établir les partenariats nécessaires au niveau européen. Seule la réunion d'un tel groupe avec DASA et BAe permettra aux Européens de disposer d'un groupe de taille équivalente aux deux géants américains Boeing et Lockheed Martin. C'est donc une première étape. Le rapprochement BAe-DASA ne doit pas mettre Aérospatiale de côté.
J'appuie les efforts accomplis par le Gouvernement, avec ses partenaires européens, pour réaliser ce projet. C'est en effet primordial, non seulement pour la sauvegarde de notre industrie de défense, mais aussi pour l'indépendance stratégique de l'Europe.
Certains signes encourageants vont d'ailleurs dans le sens d'une meilleure coopération européenne. Je me réjouis, par exemple, de constater que les industriels européens ont réaffirmé leur volonté de créer un groupement aérospatial intégré. Mais, par-delà le point d'accord sur l'objectif à atteindre, il reste à poursuivre les négociations pour la création de l'European Aeronautic and Defence Company, l'EADC.
La signature par la France, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni de la convention qui octroie à l'OCCAR la capacité juridique de contracter directement avec l'industrie et de rationaliser la gestion des programmes d'armement participe aussi de cette démarche, et je m'en réjouis.
Les difficultés rencontrées par certains programmes spatiaux en coopération européenne ou comme celui de la frégate Horizon montrent, s'il en était besoin, l'importance et l'urgence de ces évolutions.
Cette réflexion sur l'industrie de défense européenne en appelle une autre sur l'avenir de la défense européenne et sur notre relation avec l'OTAN, les deux étant selon moi, intimement liés.
Sur ces sujets aussi, nous devons établir un meilleur dialogue avec nos partenaires européens. La volonté politique plus clairement pro-européenne des gouvernements Schröder et d'Alema, les propos de Tony Blair ouvrent de nouvelle opportunités.
L'Europe doit acquérir la volonté politique d'organiser des opérations militaires sans l'aide américaine, car c'est de cette volonté politique collective que dépend notre crédibilité en matière de défense et de sécurité.
Ainsi, je pense comme vous, monsieur le ministre, qu'il faut instituer un conseil permanent des ministres de la défense de l'Union européenne. Une telle décision serait un signe politique très fort.
J'espère toutefois que la traduction dans les faits de ces nouvelles volontés n'apparaîtra pas trop tardivement. Une position commune doit être élaborée, en effet, à la veille du sommet de l'OTAN à Washington, lequel doit consacrer la rénovation du concept stratégique de l'Alliance. Ces évolutions sont décisives pour la préservation de l'avenir d'une défense européenne indépendante.
En effet, des conclusions de Washington sortiront non seulement une indication sur ce que sera l'OTAN à l'avenir, mais aussi la définition de ce que pourrait être le profil de la défense européenne. D'une organisation de défense collective érigée face à un ennemi bien défini, l'Alliance prend le chemin d'une organisation de sécurité pan-européenne. Il faudra donc que nous soyons extrêmement vigilants. S'il convient de maintenir un lien transatlantique fort, la définition de la zone de compétence de l'OTAN et surtout la nature de la base juridique de ces opérations ne doivent, en aucun cas, être reléguées au second plan.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je profite de ce débat budgétaire pour vous demander des précisions sur la position de la France et pour vous dire mon espoir qu'elle fera clairement entendre sa voix.
Dans cet esprit, je voudrais conclure mon propos en énonçant une piste de réflexion pour l'avenir. En effet, le moment n'est-il pas venu, pour la France, de proposer à ses partenaires européens que s'engagent maintenant des discussions en vue d'élaborer un livre blanc européen ?
Vous le constatez, monsieur le ministre, le groupe socialiste se sent en parfaite cohérence avec vos analyses et votre action. C'est le sens du vote positif qu'il émettra sur votre budget.
J'ajouterai simplement que je me réjouis que ce vote rejoigne celui de la majorité de la commission des affaires étrangères et de la défense. Si je ne partage pas absolument toutes les réserves que formule cette dernières, il m'est agréable que nous puissions, ensemble, soutenir l'effort de défense du pays. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Branger.
M. Jean-Guy Branger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'occasion de l'examen des crédits destinés au ministère de la défense, je souhaite évoquer la situation de la gendarmerie nationale.
Depuis une génération, cette arme n'a cessé de voir croître ses missions et ses charges. Or les moyens budgétaires et en hommes n'ont pas accompagné de façon satisfaisante cette évolution, en tout cas depuis que je suis parlementaire, c'est-à-dire depuis vingt ans, monsieur le ministre ; j'ai l'honnêteté de dire que ce n'est pas d'aujourd'hui !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Nous avons le même nombre d'heures de vol !
M. Jean-Guy Branger. Exact, monsieur le ministre ! Je suis heureux de vous l'entendre dire.
La gendarmerie connaît donc des problèmes à un moment où la professionnalisation des armées va modifier profondément son fonctionnement. La progression des effectifs prévue par les crédits budgétaires affectés à la gendarmerie est conforme à la loi de programmation militaire, mais elle n'a pas été suivie d'une augmentation parallèle des crédits de fonctionnement.
Les services de la gendarmerie vont connaître des difficultés, notamment dans le fonctionnement des unités. Je vous remercie de bien vouloir nous donner des informations sur la diminution de 50 millions de francs des crédits initialement prévus.
De même, le projet de budget pour 1999 de la gendarmerie s'avère insuffisant pour ce qui concerne les infrastructures de l'arme. Pour accroître la sécurité de nos concitoyens, il faut accélérer les moyens remarquables de communication que sont les réseaux Rubis et Saphir. Il faut renouveler rapidement les parcs automobiles, augmenter le nombre d'hélicoptères et renouveler les armements, notamment les pistolets mitrailleurs.
Un autre point à soulever est celui des infrastructures du parc immobilier. Le renouvellement de ce parc et sa modernisation sont beaucoup trop lents. Il convient que les gendarmes, qui mènent une vie dure, difficile et dangereuse, soient bien logés professionnellement et personnellement. C'est bien là le minimum de reconnaissance que la nation leur doit.
Concernant les infrastructures, je me permettrai, monsieur le ministre, de vous poser une question qui concerne plus particulièrement mon département. Le départ de l'école des fourriers de Rochefort, que le Gouvernement a décidé, sera-t-il compensé par l'installation d'une importante école de gendarmerie ? Pourriez-vous, à l'occasion de cette discussion budgétaire, me confirmer le caractère définitif de cette annonce ?
Par ailleurs, au moment où une concertation est conduite sur l'ensemble du territoire pour optimiser les forces de sécurité, gendarmerie et police nationale, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous mettre en garde quant aux conséquences graves qui découleraient de décisions hâtives et insuffisamment réfléchies.
Je ne souscris pas aux propositions faites dans mon département. Ne détruisez pas ce qui marche bien ! Globalement, le monde rural manque de gendarmes. Les élus que nous sommes sont prêts à collaborer objectivement pour que soit assurée la sécurité des Françaises et des Français. Sur ce point, il ne faut pas faire de démagogie.
N'oubliez pas que les gendarmes sont des collaborateurs permanents et disponibles pour les maires et élus que nous sommes tous.
Enfin, monsieur le ministre, je pense que le rôle joué par la gendarmerie dans la vie quotidienne du pays et l'importance des missions multiples nécessitent qu'un jour un débat soit organisé au sein de notre Haute Assemblée pour mieux identifier les problèmes de cette arme présente sur tout le territoire.
Monsieur le ministre, voilà quelques instants, nous avons tous deux fait état de notre long passé de parlementaires. Pour ma part, je me rappelle avoir dit - mais bien d'autres le disaient aussi - aux différents gouvernements qui se sont succédé : « Attention, il y a des problèmes dans la gendarmerie ! » On nous a toujours écoutés poliment ! Mais, pour que les dernières décisions importantes soient prises, il a fallu attendre le « grand frisson » - c'était d'ailleurs un peu plus qu'un frisson - de la fin des années quatre-vingt.
Alors, de grâce, ne recommençons pas ! Lorsque les parlementaires ont les cheveux grisonnants, il faut les prendre au sérieux !
M. Henri de Raincourt. Les autres aussi ! (Sourires.)
M. Jean-Guy Branger. Je vous dis cela avec beaucoup de sympathie, mais aussi avec beaucoup de détermination.
Pour les élus locaux que nous sommes tous ici, ce débat que je réclame aurait, dans mon esprit, pour seule finalité de mieux aider une gendarmerie, qui, elle, aide en permanence, au quotidien, la France.
Pour conclure, une cruelle information : j'apprends que, hier, pendant la réunion du comité central d'entreprise, les dirigeants de la société Cummin's Warsilla ont annoncé qu'était maintenue leur décision de fermer le site de Surgères, où est produit le moteur du char Leclerc. Si l'on ajoute aux 252 emplois directs ceux de la sous-traitance, ce sont aujourd'hui, dans cette ville dont je suis le maire, environ 400 emplois qui sont ou seront supprimés, c'est-à-dire 40 % des emplois industriels : un véritable drame humain.
Nous nous connaissons depuis longtemps, monsieur le ministre. Permettez-moi de compter sur votre soutien actif pour venir au secours d'une population tout entière. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Peyrat.
M. Jacques Peyrat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que voilà un budget en trompe-l'oeil ! Certes, il enregistre une légère augmentation, mais on reste loin des niveaux prévus dans la loi de programmation militaire.
Comme l'ont déclaré le chef d'état-major des armées, celui de l'armée de terre et celui de l'armée de l'air, ce budget est arrivé à sa limite de rupture, s'il ne l'a pas déjà dépassée. Et je comprends que cinq généraux d'armée aient pu démissionner récemment, si du moins l'information qui a été lancée par un journal est avérée ; mais vous nous le direz tout à l'heure.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je peux vous le dire tout de suite : c'est tout à fait inexact !
M. Jacques Peyrat. Mais il existe une menace supplémentaire qui pèse sur son exécution. Car le budget de la France a été établi à partir d'un taux de croissance élevé, peut-être hasardeux. Le risque est grand de compenser l'insuffisance éventuelle des rentrées fiscales par de nouvelles coupes dans le budget de la défense, comme cela a été fait dans les années précédentes.
Oh ! je sais que rien n'a été facile pour vous, mais l'insuffisance des crédits m'inspire deux craintes : elle menace à la fois notre capacité opérationnelle et notre capacité stratégique, c'est-à-dire notre indépendance.
La menace qui plane sur notre capacité opérationnelle est due essentiellement à la baisse du titre III, baisse d'autant plus importante que la part des rémunérations et charges sociales ne cesse d'augmenter, ce qui limite les autres crédits de fonctionnement, tels que l'entretien, et l'entraînement.
L'entraînement et l'activité des forces souffriront en effet de cette situation : des unités de l'armée de terre resteront dans leur casernement, des navires resteront à quai et des appareils de l'armée de l'air resteront au sol. Cela se traduira malheureusement, obligatoirement, par une baisse de la capacité opérationnelle de nos forces, alors qu'une des justifications primordiales de la professionnalisation réside, à mon avis, dans la certitude de posséder des unités, certes plus petites, mais dotées de moyens modernes et puissants, qu'elles savent mettre en oeuvre.
La menace qui pèse sur notre capacité opérationnelle s'explique aussi par les décisions en matière d'équipement.
L'amiral de Gaulle soulignait tout à l'heure, et c'est bien normal, qu'un seul porte-avions ne nous permet plus de prétendre à une capacité de réaction efficace en cas de crise, notamment sur des théâtres étrangers et lointains. Il ne nous reste plus qu'à prier pour que les grandes crises dans lesquelles la France serait amenée à intervenir ne se produisent pas quand le Charles-de-Gaulle sera immobilisé pour sa maintenance.
Une même critique peut être formulée concernant l'armée de l'air et sa capacité de projection.
Il est clair que la France a un grand besoin d'un nouvel avion de transport pour succéder au Transall ; vous le savez, monsieur le ministre, et vous n'êtes d'ailleurs pour rien dans la situation qui prévaut actuellement à cet égard.
En 1985, nous étions tous les deux députés. André Giraud occupait alors les fonctions qui sont les vôtres aujourd'hui. On parlait déjà de la nécessité d'un nouvel appareil de transport.
Celui-ci s'impose d'autant plus aujourd'hui que l'objectif affirmé de l'armée opérationnelle est de devenir « projetable ». Comment projeter si l'on n'a pas les moyens de le faire ?
Notre capacité stratégique, pourtant gage de notre indépendance, est également mise en cause.
Depuis la mise en oeuvre du satellite d'observation optique Helios, la France s'est dotée d'une capacité autonome d'appréciation dans la prévention et la gestion des crises. Il est donc nécessaire de poursuivre dans cette voie. Or le budget pour 1999 introduit une rupture avec les tendances précédentes.
Le budget de l'espace diminue de plus de 15 % avec l'abandon ou l'interruption de deux grands programmes : Horus avec l'Allemagne et Trimilsatcom avec la Grande-Bretagne. De telles décisions sont dommageables compte tenu de l'importance de ces systèmes qui éclairent les décisions politiques, assurent l'indépendance d'appréciation et sont en cohérence avec les objectifs majeurs de la programmation militaire.
Il en va de même pour les crédits de la recherche, qui sont en baisse constante depuis maintenant six ans alors qu'ils sont d'une importance stratégique majeure. La préparation de l'avenir est ainsi sacrifiée à la recherche à court terme d'économies budgétaires.
Quelle est la réalité depuis trois ans ? En 1997, annulation de crédits pour 3,9 milliards de francs ; en 1998, encoche de 8,9 milliards de francs ; en 1999, premiers effets de la « revue de programmes », avec 19,2 milliards de francs d'économies sur trois ans. Voilà trois décisions majeures qui nous écartent chaque fois un peu plus de la loi de programmation et de son objectif : réussir la professionnalisation.
Avec cette « revue de programmes », vous êtes allé, monsieur le ministre, par force, jusqu'aux limites extrêmes du tolérable pour la défense de notre nation. Il ne subsiste plus dorénavant aucune marge de manoeuvre.
Nicolas Machiavel, c'était il y a près de cinq siècles, écrivait : « Le Prince doit avoir une bonne armée et de bons amis ; lorsqu'il a une bonne armée, il a toujours de bons amis. »
C'est un effet secondaire que votre budget à venir ne devrait pas, monsieur le ministre, sous-estimer. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais aborder un problème qui a déjà été évoqué ce matin à cette même tribune par le maire de Marseille : celui du bataillon des marins-pompiers de Marseille.
Les deux plus grandes agglomérations de notre pays sont défendues, pour des raisons historiques, par des unités de pompiers militaires : la brigade des sapeurs-pompiers pour Paris et les départements limitrophes, le bataillon des marins-pompiers pour la ville de Marseille, ses ports et son aéroport.
Ces unités comptent traditionnellement, dans leurs effectifs, une part important d'appelés du contingent, 1 100 sur 7 200 à Paris, 500 sur 1 900 à Marseille.
La réforme du service national va entraîner, dans les trois ans qui viennent, la disparition totale des appelés. Il est prévu de les remplacer par des volontaires du service national, et cela en totalité à Marseille, à raison de 30 % à Paris et dans les départements limitrophes.
Le différentiel de solde entre ces catégories de personnel et les anciens appelés du contingent représente, au minimum, 50 000 francs par an et par appelé pour Marseille, qui supporte seule la charge de son service d'incendie.
Le surcoût global s'élèverait donc, au minimum, à 25 millions de francs par an, auxquels viendraient s'ajouter le coût de certains spécialistes de haut niveau, comme des médecins et officiers spécialistes devant occuper certains postes jusque-là confiés à des appelés.
L'Etat, monsieur le ministre, a toujours opposé une fin de non-recevoir aux demandes de participation émanant de la ville de Marseille, au motif que le droit commun met le financement des services d'incendie à la charge des seules collectivités territoriales.
La seule exception, constituée par la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, s'explique, bien sûr, par les risques particuliers qu'impose à cette ville sa fonction de capitale. Outre que ce financement dérogatoire s'applique non seulement à la ville de Paris, mais également aux trois départements de la petite couronne, qui ne subissent pas les mêmes contraintes, il convient de souligner que ce principe n'est plus opposable aujourd'hui.
En effet, M. le ministre de l'intérieur a récemment annoncé qu'il allait mettre à la disposition des services départementaux d'incendie et de secours entre 3 000 et 5 000 emplois-jeunes - et donc financés par l'Etat à hauteur de 80 % - afin de pourvoir des emplois administratifs, logistiques ou d'enseignement du secourisme.
Le texte prévoyant ces recrutements précise que ces jeunes gens pourront souscrire en même temps un engagement en tant que sapeur-pompier volontaire.
Cette mesure revient donc à créer autant de sapeurs-pompiers « permanents », pris en charge par l'Etat, pour un budget annuel global variant de 276 millions à 460 millions de francs.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, rien ne semble s'opposer à ce que l'Etat accepte que soient financés sur l'enveloppe globale consacrée aux emplois-jeunes les quelque 500 volontaires du service national qui serviront au bataillon des marins-pompiers de Marseille, sous statut militaire, je me permets de vous le rappeler.
Il est à noter qu'une démarche similaire a permis de mettre à la disposition de la police nationale plusieurs milliers d'adjoints de sécurité, qui sont venus renforcer les effectifs de la police nationale sans pour autant remplir les critères initiaux attachés aux emplois-jeunes.
Nous aimerions, monsieur le ministre, que vous rapportiez les mesures qui ont été prises de telle manière que la ville de Marseille ne soit pas pénalisée.
Puisque je n'ai pas épuisé le temps de parole qui m'est dévolu, je souhaite aborder un autre sujet, sans quitter pour autant le domaine militaire.
Maire de la ville de Salon-de-Provence, je suis particulièrement irrité par les protestations et autres pétitions émanant de membres de l'intelligentsia parisienne qui, séjournant dans le Lubéron, ne peuvent plus supporter que les avions de l'école de l'air de Salon-de-Provence survolent ce territoire ; sans doute préféreraient-ils qu'ils survolent les HLM de Salon-de-Provence, d'Avignon ou d'Aix-en-Provence !
Voilà trente ans que les avions de l'écode de l'air survolent le Lubéron et, jusqu'à une époque récente, personne ne s'est jamais plaint.
Pour nous, la présence de l'école de l'air à Salon-de-Provence fait partie de notre histoire. Nous tenons à ce que cette histoire continue, nous tenons à ce que l'école de l'air soit préservée et surtout, monsieur le ministre, nous tenons à ce que vous ne donniez pas suite à ces protestations, qui sont, de mon point de vue, un peu trop relayées à Paris par vos amis politiques. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Richard, ministre de la défense. Ce sont vos anciens amis politiques, monsieur le sénateur !
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos portera sur l'avenir de la direction des constructions navales, la DCN, et sur ses problèmes de gestion, notamment en ce qui concerne ses contrats à l'exportation. En effet, de nombreux parlementaires ont dû être alertés, comme moi-même, par un article publié dans une revue qui leur est destinée.
Cet article, en fait, reprend des éléments du rapport Boucheron aux termes duquel la DCN accumulerait les pertes sur les contrats à l'exportation et serait incapable de mener à bien les restructurations nécessaires pour affronter la concurrence dans de bonnes conditions de compétitivité. La raison en serait une totale incapacité à connaître ses coûts.
Ce triste constat ne peut laisser sans réaction au moment du vote du budget de la défense. Aussi me semble-t-il opportun d'apporter un contrepoint à cette musique funèbre.
J'observe d'ailleurs au passage que ce constat est fortement démobilisateur pour une industrie en pleine réorganisation, qui a fait des efforts considérables d'adaptation depuis deux ans et qui est encore appelée à poursuivre cet effort.
C'est pourquoi il me semble indispensable aujourd'hui de procéder à une analyse approfondie du contexte dans lequel la DCN exerce son activité, ainsi que de ses atouts et de ses handicaps, qui ne sont pas tous de son fait. Il restera à définir le plus clairement possible les objectifs et les missions qui lui sont assignés, et j'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous éclairer sur ces points.
Pour en revenir à l'appréciation catastrophique des contrats à l'exportation portée dans le rapport Boucheron, il semble qu'elle procède d'un point de vue partiel, pour ne pas dire partial.
L'exemple cité est celui du contrat Mouette, conclu avec l'Arabie saoudite et qui aurait généré 1,2 milliard de francs de pertes. Or ce contrat fait partie d'une chaîne dans lequel il faut le replacer. Il faut savoir qu'il s'agissait d'un contrat de carénage, c'est-à-dire de révision périodique, faisant suite à un contrat de vente de navires neufs vendus en 1980 à l'Arabie saoudite, le contrat Sawari 1.
En outre, ce contrat Mouette a fait l'objet d'une négociation conjointe avec un contrat Sawari 2, bien plus important puisqu'il était d'un montant de 15 milliards de francs, qui représente une charge de travail d'au moins quatre ans pour la DCN de Lorient, ce qui, vous en conviendrez, en termes d'emploi, est loin d'être négligeable, notamment au regard du coût économique et social de leur disparition. Pour en apprécier l'impact réel, on ne peut dissocier l'ensemble de ces contrats.
Il faut également savoir que d'autres contrats à l'exportation ont généré d'importants profits, notamment le contrat Bravo, portant sur la vente de frégates à Taïwan, et que le ministère des finances a récupéré 1,4 milliard de francs sur les produits financiers de ce contrat, qui auraient dû normalement rentrer dans le bilan.
On ne peut juger honnêtement des résultats d'une entreprise en ne présentant que les pertes subies sur certaines réalisations ponctuelles et en les isolant des profits réalisés par ailleurs. Si de plus, pardonnez-moi de le dire, l'Etat lui subtilise ces profits à son bénéfice, ce qu'il aime beaucoup faire, aucune appréciation globale des résultats n'est crédible. Tout le monde en a conscience en matière d'exportation, il faut savoir se placer sur les marchés que l'on veut conquérir. C'est le premier acte.
A ce titre, le contrat de vente au Chili de sous-marins Scorpene est sans doute à la limite de la rentabilité. Mais je rappellerai simplement qu'il s'agissait de vendre à l'exportation un bateau qui n'existait que sur le papier ou sur écran informatique et que, pour des raisons de coût, il n'est pas possible de réaliser un premier de génération, c'est-à-dire un prototype aussi complexe et ne correspondant pas à un besoin précis. Dans ces conditions, c'est tout de même un exploit de l'avoir vendu.
Il n'y avait pas d'autre choix, pour aller plus loin, que de trouver un client prêt à investir sur un produit innovant. C'est ce caractère innovant qui a permis de remporter le marché. D'où l'équilibre d'un premier contrat qui peut paraître précaire, mais qui, incontestablement, doit ouvrir des marchés, alors que, par ailleurs, les études de réduction des coûts sont en cours.
Dans ce domaine, il faut de la continuité, de la persévérance et accepter une part de risque. La construction et l'expérimentation d'un prototype quasi financé par sa vente me paraissent devoir être portées à l'actif de la DCN.
Par ailleurs, d'après les informations que j'ai pu recueillir dans une revue, il ne faut peut-être pas avoir trop de complexes, car les sous-marins américains qui sont construits par des chantiers privés coûteraient 20 % à 30 % plus cher que les nôtres.
Le challenge pour la DCN est donc de gagner en productivité, tout en évitant les pertes de compétence, c'est-à-dire de savoir-faire et de matière grise, permettant des performances technologiques ayant peu d'équivalent dans le monde.
Parallèlement, il faut résoudre la question de ce que l'on appelle la variabilité, c'est-à-dire prendre en compte le fait qu'il y aura moins de bateaux à construire dans l'avenir, au moins à l'échelon national, mais qu'ils seront plus complexes.
Cela m'amène à nuancer quelque peu l'idée très répandue que l'export n'a d'intérêt que si l'on y gagne de l'argent. C'est en partie vrai, bien sûr, mais c'est aussi une source irremplaçable d'évaluation comparative et d'innovation.
L'export est également vital pour maintenir le niveau d'activité et d'emploi, ainsi que les moyens propres à satisfaire les besoins de notre marine nationale. Or, dans ce domaine national, les contraintes budgétaires obligent à moduler la cadence des marchés, de façon qui n'est pas toujours optimale.
On sait que les retards coûtent cher ; la Cour des comptes l'a d'ailleurs souligné. Ils interdisent les commandes de séries, sources d'économies, démobilisent les personnels et privent de lisibilité les prévisions à moyen terme dont ont besoin les industriels.
Je rappelle ici que, par exemple, la première tôle du SNLE-NG Le Triomphant a été découpée en 1986, après de longues années d'études, et que le dernier sous-marin de cette série - ils ne sont pas nombreux - sera, en principe, livré en 2008, c'est-à-dire vingt ans plus tard.
Or il faut aussi savoir que les délais sont totalement de nature financière et absolument pas de nature technique.
Certes, la productivité ne doit pas être réservée au secteur privé, mais la grande différence avec l'administration - et je rappelle que la DCN en est une - porte sur la notion de rentabilité.
En effet, dans le privé, on rentabilise un capital investi, alors que, dans le public, on affecte des ressources budgétaires. Il faut donc avoir des coûts compatibles avec la contrainte budgétaire qui, de plus, est annuelle, ce qui est gênant.
Or l'Etat, dans cette affaire, a des exigences contradictoires, puisqu'il se veut à la fois client, dans l'exercice de son rôle régalien de garant de la défense, actionnaire, aménageur du territoire et responsable d'une politique sociale. Que l'Etat cumule l'ensemble de ces fonctions n'est pas simple, mais c'est ainsi.
A cet égard, la séparation entre la DCN étatique, maître des programmes, et la DCN industrielle n'a rien changé, puisqu'elle ne correspond à aucune réalité juridique. La DCN n'a pas l'autonomie d'un établissement public ; elle doit se soumettre à toutes les contraintes de gestion adminitrative, dont la lourdeur n'est malheureusement pas compatible avec la souplesse de réaction nécessaire à toute entreprise dans une économie de marché, qui plus est internationale, car nos concurrents ne sont pas des entreprises nationales.
Monsieur le ministre, pensez-vous - et cette question est importante - que l'adaptation du format de la DCN aux besoins de la marine, assurée par une véritable politique industrielle compétitive, qui est nécessaire, pourra être menée dans le cadre des institutions actuelles ?
Je sais bien que, après une longue phase de conception et de concertation, l'essentiel d'une nouvelle dynamique commence seulement à se faire sentir, mais je tenais ici à souligner les problèmes que nous avons à résoudre.
Il nous faut absolument arriver à marier l'excellence économique à l'excellence technologique. C'est le grand défi !
La DCN possède de réelles compétences et elle sait remporter de remarquables succès. Je pense, quant à moi, qu'elle peut et qu'elle doit pouvoir relever ce défi, mais encore faut-il que son avenir soit lisible et qu'on ne la démotive pas dans son effort d'évolution en lui imposant un carcan qui l'empêche de fonctionner et de remplir les missions qui lui sont assignées.
J'espère, monsieur le ministre, que, à l'avenir, de nouvelles solutions pourront être trouvées pour lui donner la souplesse qui lui manque, ce qui n'interdit nullement, bien évidemment, les contrôles. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Auban.
M. Bertrand Auban. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons voter ce budget pour 1999 qui apparaît, après « l'encoche » de 1998, comme étant un bon budget. Il préserve l'avenir et il permettra au ministre de la défense de poursuivre ses grands travaux, à savoir la réforme de la gestion financière du ministère, la montée en puissance de la professionnalisation, la refonte des réserves et la réorganisation industrielle.
Il faut se réjouir que le mouvement continue de réduction des crédits d'équipement soit enrayé grâce à la hausse globale de 7,5 % du titre V.
« L'encoche » réalisée en 1998 n'est cependant que partiellement résorbée, puisque les dotations des titres V et VI, soit 86 milliards de francs, restent inférieures de plus de 3 milliards de francs à la référence de la programmation militaire. Il n'empêche que, si cette tendance est confirmée et maintenue après 1999, nous pourrons dire que le budget présenté cette année marque un tournant significatif.
Cette réorientation budgétaire, à mettre au crédit de votre ténacité, monsieur le ministre, permet de fixer un niveau de crédits constant pour le titre V sur quatre ans. Il convient de souligner deux aspects de la démarche de votre ministère, à savoir les commandes pluriannuelles et la revue de programmes de mars dernier.
Utilisées avec discernement, les commandes pluriannuelles donnent une bonne visibilité aux industriels et facilitent la planification des ressources.
La construction d'une industrie de défense européenne forte est une priorité. Il s'agit notamment de permettre à l'Europe de maîtriser les technologies clés et à nos armées de bénéficier des meilleurs matériels au meilleur coût.
Le Gouvernement s'est attelé à cette tâche dès le mois de juillet 1997. Ainsi, un premier résultat significatif a été la déclaration conjointe des trois gouvernements allemand, britannique et français du 9 décembre 1997.
Depuis, le processus d'adaptation de l'industrie européenne de défense s'est révélé difficile. L'ancienne majorité n'avait pas fait, en la matière, du bon travail.
Les difficultés, nous les connaissons. Il s'agit, d'abord, d'adapter nos industries à l'évolution des marchés, marchés qui sont moins porteurs et sur lesquels s'exerce une vive concurrence internationale, notamment de la part des Etats-Unis, qui profitent de leurs avantages politiques et industriels pour essayer d'écarter, de marginaliser les Européens.
Il y a, ensuite, la question de la liberté de choix et de l'autonomie de décision de la France mais aussi des Européens. Les Américains ne souhaitent pas partager certaines technologies. Voilà qui ne doit pas nous surprendre ; en revanche, cela doit nous inciter à persévérer dans la voie que la France a tracée depuis longtemps, à savoir l'autonomie et la liberté de choix pour nous et pour l'Europe.
Puis, il y a les réticences de nos partenaires européens. Ils n'ont pas tous la même vision en la matière et certains succombent à la facilité d'une sécurité garantie par d'autres puissances.
Enfin, il y a les intérêts contradictoires des entreprises industrielles elles-mêmes, souvent plus réceptives aux intérêts de la Bourse qu'aux exigences de l'intérêt général.
Il n'est donc pas simple de moderniser et de restructurer l'outil industriel de l'armement.
Je veux faire remarquer que l'industrie de défense constitue un atout économique majeur dans notre pays. Il y a, bien entendu, l'emploi et les économies régionales. Mais ce n'est pas tout. Nous devons aussi prendre en compte la place de cette industrie dans le développement scientifique et technique. Il s'agit des secteurs stratégiques où les enjeux politiques, économiques et financiers sont déterminants pour définir la place de l'Europe au XXIe siècle.
Bien sûr, nous ne partons pas de zéro ; il existe déjà des entreprises européennes de défense qui ont une taille significative et qui obtiennent de bons résultats. Le mouvement est lancé et nous avons pu assister depuis plusieurs mois à des rapprochements qui sont actuellement en voie d'intégration. A l'échelle européenne aussi, les choses bougent et de nombreux projets communs prennent une importance croissante : hélicoptères, frégates, avion de transport futur.
Cependant, l'objectif le plus ambitieux du Gouvernement reste encore à réaliser. Il s'agit, bien entendu, de la création d'un groupe européen aéronautique et spatial de défense.
Cet objectif, qui semble partagé par tous, soulève des questions de stratégie financière, d'intérêts nationaux et d'intérêts de firmes. Nous craignons qu'il n'y ait en réalité des intérêts divergents ou, en tout cas, une mauvaise interprétation de l'intérêt commun. Les tensions, rumeurs, campagnes de presse plus ou moins spontanées semblent prouver que tous les acteurs ne jouent pas le même jeu.
Monsieur le ministre, parlant au nom du Gouvernement, vous avez expliqué que la France avait adopté sur ce dossier une démarche pragmatique : d'une part, le rapprochement Thomson-Dassault Electronique-Alcatel, qui est déjà opérationnel ; d'autre part, le rapprochement Matra-Aerospatiale-Dassault, qui va être réalisé dans les tout prochains mois. L'Etat actionnaire, anciennement majoritaire, maintiendra le capital ouvert pour favoriser des partenariats plus larges. Vous avez aussi déclaré que le gouvernement français était ouvert « à la discussion sur un changement de formule concernant le rôle de l'actionnariat public dans le capital de ces entreprises ».
Face aux résistances rencontrées chez nos interlocuteurs et partenaires, aussi bien en Grande-Bretagne qu'en Allemagne, il convient de s'interroger sur l'avenir de la stratégie de notre gouvernement. Cette discussion budgétaire pourra vous permettre, monsieur le ministre, d'expliciter vos intentions.
Par ailleurs, je voudrais insister sur la nécessaire prise en compte des inquiétudes des salariés de ces entreprises françaises confrontées à des bouleversements sociaux considérables, avec en toile de fond la menace du chômage. Les considérations financières ne doivent pas faire oublier les problèmes humains et sociaux.
Nous nous interrogeons sur l'avenir de l'actionnaire public français au sein de cette entreprise. Concrètement, où en sont les négociations engagées en vue de bâtir un grand ensemble européen ?
L'Etat détient une large part du capital d'Aérospatiale. Or certains partenaires de la future alliance contestent cette présence de l'Etat. Nous, nous la revendiquons et, comme vous l'avez rappelé à plusieurs reprises, « l'Etat actionnaire n'a pas à s'excuser du rôle qu'il a joué dans l'ouverture aéronautique et spatiale de ces dernières années ». Alors, comment préserver les intérêts français, les intérêts d'Aérospatiale tout en faisant avancer son intégration dans un ensemble européen ?
En ce qui concerne notre tissu industriel, nous devons aussi manifester notre inquiétude devant la situation de nos arsenaux. GIAT et DCN - direction des constructions navales - sont au beau milieu d'une restructuration qui prend parfois des allures préoccupantes pour les personnes et pour les secteurs économiques touchés, et en particulier, dans un département qui me tient à coeur, pour le site GIAT de Toulouse. Le diagnostic a été fait, vos services ont beaucoup et bien travaillé, la représentation nationale s'est penchée à de nombreuses reprises sur la situation de cette industrie. Nous sommes maintenant à l'heure des choix, des remèdes et des solutions.
Plusieurs pistes sont et doivent être explorées.
Un effort très important doit être consenti en faveur de la diversification de nos industries de défense. Monsieur le ministre, en novembre 1997, vous avez indiqué votre volonté de soutenir la diversification de nos industries de défense ; quels crédits, quel résultats ?
La délégation ministérielle aux restructurations de la défense doit poursuivre son travail dans les bassins d'emploi les plus menacés. Nous savons que le délégué disposera, en 1999, de quelque 700 millions de francs, si l'on inclut les crédits européens ; nous voudrions savoir quelle stratégie offensive sera mise en oeuvre en la matière.
Les efforts faits pour que les réductions d'effectifs de GIAT s'effectuent sans licenciements ont été payants ; toutefois, on peut s'interroger sur la possibilité de tenir longtemps sur cette ligne. Concrètement, le nouveau plan statégique et social comportant de nouvelles mesures d'adaptation proposé par la direction de GIAT Industries a-t-il des chances de réussir et d'arrêter l'hémorragie ?
Pouvez-vous nous assurer que ce nouveau plan garantira la pérennité des sites, de l'emploi et du savoir-faire pour l'ensemble des centres restants ?
Comment redonner confiance aux personnels et faire en sorte que le groupe industriel GIAT soit compétitif ? Quand seront publiés les textes relatifs aux mesures d'âge ?
Pour la DCN, l'avenir ne semble pas s'éclaircir. Le Gouvernement affirme qu'il n'a pas l'intention de proposer un changement du statut de la DCN. Cependant, tout le monde s'accorde pour dire qu'une évolution est nécessaire. La marge de manoeuvre est donc étroite. Toutefois, l'essentiel serait de savoir où l'on va. Faire de la DCN une véritable entreprise industrielle est une bonne idée. Mais quelle est la stratégie industrielle de cette entreprise ? Là aussi, quelles sont les intentions du ministère ? Quelle latitude aura la DCN internationale pour lui permettre de mieux affronter la concurrence ? Comment rassurer les personnels, naturellement inquiets, face à l'ampleur des transformations en cours ?
Dialogue et concertation nous semblent les maîtres mots pour faire avancer ce délicat dossier. C'est ce que vous avez entrepris.
Pour conclure, monsieur le ministre, je me permets de vous poser deux questions : quel est l'état actuel du programme ATF ?
Quel est l'état actuel du programme d'hélicoptère Tigre ? A cet égard, le changement de gouvernement en Allemagne va-t-il changer la donne ? La notification du marché pourra-t-elle avoir lieu avant la fin de l'année ?
Au-delà de quelques interrogations bien naturelles, le groupe socialiste approuve vos propositions et émettra, bien sûr, un vote positif. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Monsieur le président de la commission, monsieur le ministre, j'ai bien compris que vous souhaitiez achever l'examen de ce fascicule budgétaire avant le dîner. Toutefois, le personnel travaille depuis quinze heures, soit plus de cinq heures d'affilée, et la séance, comme c'est le cas depuis lundi, se prolongera tard dans la nuit.
Aussi, comme nous entendons travailler dans de bonnes conditions, notamment pour que les comptes rendus soient rédigés dans la bonne humeur, je vais interrompre nos travaux, au risque de me faire des ennemis et de mécontenter mon excellent ami Philippe Marini maintenant qui souhaitait intervenir dès à présent.
Nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze. Je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir être alors présents pour entendre M. le ministre, car il serait tout à fait regrettable qu'il s'exprimât devant des fauteuils vides.

10