Séance du 10 novembre 1998







M. le président. La parole est à M. César, auteur de la question n° 337, adressée à M. le ministre de la défense.
M. Gérard César. Monsieur le ministre, déjà en juin dernier, j'avais attiré votre attention sur le projet gouvernemental de redéploiement des effectifs de police et de gendarmerie au profit des zones péri-urbaines et urbaines. J'avais alors manifesté mon inquiétude quant aux menaces de fermeture des brigades dans les communes et cantons ruraux, et quant aux conséquences de ces fermetures.
Aujourd'hui, le sujet est plus que jamais d'actualité puisque le Premier ministre a récemment affiché sa « détermination » à conduire et à mener à son terme cette réforme. Il a d'ailleurs chargé M. Guy Fougier, conseiller d'Etat, de faire un tour de France des sites concernés et de lui remettre son rapport d'ici à la fin de l'année.
Si je comprends l'effort de sécurité qui doit être consenti en faveur du milieu urbain, j'estime que celui-ci ne doit en aucun cas se faire au détriment du monde rural.
En tant que maire de la commune de Rauzan et conseiller général du canton de Pujols-sur-Dordogne, commune et canton où sont implantées des brigades de gendarmerie menacées de fermeture, je m'oppose, bien sûr, avec force à ce projet.
Je souhaite vous en indiquer les raisons, comme je l'ai fait à M. Fougier lors de sa visite en Gironde, le 2 novembre dernier.
Composée de six gendarmes et de deux gendarmes auxiliaires, la brigade de Rauzan est chargée de la surveillance de onze communes représentant une population de 5 021 habitants. De plus, une route nationale ainsi que des itinéraires bis de délestage traversent son territoire.
Lorsqu'elle fonctionne en binôme avec la brigade de Branne, ce sont alors vingt-huit communes qui sont concernées. Lorsqu'on sait que certains cantons de départements voisins bénéficient de cinq gendarmes pour 1 500 habitants, voire beaucoup moins, il apparaît que cette brigade n'est pas en sureffectif, bien au contraire. Je tiens d'ailleurs à souligner que, depuis une dizaine d'années, elle a connu un renforcement des ses effectifs, renforcement vivement souhaité aujourd'hui par les maires des cantons concernés.
L'activité de la brigade s'exerce jusqu'à la commune de Saint-Germain-du-Puch, accessible par des routes sinueuses, fort éloignée de Rauzan et à une heure de trajet de la commune de Mouliets. Pour peu que la brigade soit en intervention, il faudra encore allonger ce délai, qui est déjà beaucoup trop long en cas d'urgence. On est loin, monsieur le ministre, des trente minutes préconisées par le rapport de MM. Hyest et Carraz !
La brigade de Gensac, menacée elle aussi de fermeture, assume la surveillance de onze communes comptant une population de quatre mille cinq cents habitants. Elle fonctionne en binôme avec celle de Sainte-Foy-la-Grande, distante d'une demi-heure ou de trois quarts d'heure suivant l'état de la route.
Par ailleurs, le canton rural de Pujols-sur-Dordogne se caractérise par un accroissement de sa population de près de 6 % entre 1982 et 1990.
S'agissant de la délinquance, une étude récente - curieusement passée sous silence ! - réalisée par un groupe de travail de l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure dans le département de l'Ain - je l'ai lue dans la presse, comme vous, monsieur le ministre - révèle une hausse supérieure à la moyenne des crimes et délits commis en zone rurale par rapport au reste du territoire.
Même si les communes rurales restent plus sûres que les autres territoires, elles ne sont plus aujourd'hui à l'écart de la délinquance et subissent désormais le passage des malfaiteurs. De plus, on peut constater la montée des incivilités, tels que dégradations de bâtiments publics, de cabines téléphoniques, pillages d'écoles, de collèges d'églises, de cimetières et vols en tout genre.
Je veux également souligner le rôle « social » de la brigade de gendarmerie en raison de son positionnement particulier dans le monde rural. Chacun sait que, sans renoncer à la nécessaire application de la loi, le gendarme a un rôle d'écoute, de dialogue avec la population et qu'il est, à ce titre, un facteur de paix sociale.
Intégré socialement, il l'est aussi économiquement puisqu'il y réside avec sa famille, ses enfants y sont scolarisés. Le gendarme est donc perçu comme un acteur de la vie locale par les populations rurales.
Au même titre que la poste, la perception, l'école, autant de services publics pour le maintien desquels les maires se battent, la brigade exerce une mission de service public et demeure l'un des derniers bastions de l'existence rurale. Avec sa suppression, ne risque-t-on pas d'accentuer le phénomène de désertification et de dévitalisation de nos cantons ruraux ?
Ne pourrait-on pas envisager des traitements et des solutions spécifiques au monde rural dans le cadre d'une véritable politique d'aménagement du territoire où les problèmes de sécurité sont quasi absents, alors que la sécurité constitue un authentique service public de proximité ?
Enfin, ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu'il eût été préférable d'initier cette réforme en lien étroit avec les élus plutôt que de les consulter lorsque les décisions semblent être prises ? Les critiques et inquiétudes de mes collègues, de droite comme de gauche, me le laissent à penser.
Je vous remercie de bien vouloir répondre à mes questions et de me donner des précisions sur les graves menaces de fermeture qui planent sur les brigades de Rauzan et de Gensac. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le sénateur, vous démontrez avec beaucoup d'éloquence combien il est difficile de faire une réforme dans ce pays dès qu'elle touche un intérêt acquis. Car vous défendez des intérêts acquis ! C'est votre conception de votre fonction, et je la respecte, même si, naturellement, je ne la partage pas.
La France compte plus de policiers et de gendarmes armés et formés que tous les pays d'Europe.
M. Henri de Raincourt. Nous avons aussi plus de communes !
M. Alain Richard, ministre de la défense. La couverture de nos besoins de sécurité est, me semble-t-il, très datée. En effet, vous le savez, la plupart des décisions de répartition de nos moyens de sécurité publique remontent à plusieurs dizaines d'années.
J'entends tout à fait vos observations critiques sur la méthode qui a été suivie, monsieur César. Cette méthode a au moins consisté à vouloir agir. C'est sûr, nombre d'autres gouvernements ne se sont pas compliqué la vie sur ce sujet ; ils ont laissé le problème en l'état.
J'entends dire en divers lieux, notamment sur certains bancs ou travées des deux assemblées, qu'il ne faut pas être timoré, qu'il faut, au contraire, avoir la volonté de faire des réformes. C'est la position de ce gouvernement, que vous combattez, ce qui est votre droit le plus strict ; mais nous répondons.
Qu'il faille faire un effort supplémentaire de concertation et d'écoute des élus locaux, j'en suis convaincu. Nous serons encore plus intéressés si les élus locaux font des propositions plutôt que de se crisper sur le gel de toutes les situations acquises.
Je vous ai entendu dire que des cantons moins peuplés que le vôtre comptaient beaucoup de gendarmes. Si je comprends bien, par cohérence, dans ce cas-là au moins, vous estimez qu'il serait utile de redéployer les effectifs. Sinon, ce n'était pas la peine d'en faire mention, sauf à maintenir aussi une brigade de six gendarmes pour un habitant !
Le principe selon lequel il y aurait deux brigades par canton n'a jamais été posé, monsieur le sénateur : jamais, nulle part, et par personne. Cela, c'est le conservatisme !
D'ailleurs, vous ne recommandez pas que, dans la soixantaine de cantons que compte le département que vous représentez, il y ait 120 brigades de gendarmerie, soit deux par canton. Vous demandez simplement la conservation de l'existant. Cela, ce n'est pas de la concertation, monsieur le sénateur !
Il faut avoir la volonté, des deux côtés, de regarder comment l'on peut adapter l'appareil de sécurité.
Nous savons tous que la police nationale est mieux adaptée à certains types de terrain, qu'elle peut organiser son travail dans le milieu urbain de façon efficace, et que la gendarmerie nationale a une fonction de maillage du territoire.
En ce qui concerne ce maillage du territoire, je pense, rejoignant en cela le rapport cosigné par MM. Roland Carraz et Jean-Jacques Hyest, votre collègue, qu'avec une brigade par canton et une complémentarité bien organisée entre les brigades - elles ne sont pas isolées, elles fonctionnent en réseaux - on peut obtenir de bons résultats.
J'observe, en outre, qu'aux brigades territoriales s'ajoutent les pelotons de surveillance et de prévention, les brigades de prévention de la délinquance des jeunes, les brigades motorisées pour assurer la sécurité routière. C'est donc une palette de moyens qui sont utilisés.
Monsieur César, sachez qu'aucune décision n'est prise et que la concertation sera menée. Mais sachez aussi que vous avez tort d'employer le terme de « menace » et de faire jouer des arguments sentimentaux, non confirmés par la réalité des faits, pour vous opposer à toute modification du tissu de sécurité publique.
Si vous évoluez, dans le sens où vous reconnaissez que, dans un département tel que le vôtre, qui compte plus de 1 500 000 habitants, les choses doivent changer, et s'il y a bonne foi des deux côtés, nous pourrons avancer.
Vous représentez les contribuables, monsieur le sénateur, dont l'argent doit être bien dépensé en matière de sécurité publique. Or, je suis obligé de constater que, dans certaines brigades, nous mobilisons six gendarmes, six professionnels chevronnés, pour un délit de voie publique par mois et même, dans certains cas, deux appels téléphoniques par jour ! Le Gouvernement peut-il rester les bras ballants devant de tels écarts de charge de travail ?
La concertation aura lieu de toute manière, et laissez-moi vous dire qu'elle sera d'autant plus productive qu'il y aura une réelle volonté de réforme et d'adaptation des moyens des deux côtés, et pas seulement du côté du Gouvernement !
M. Gérard César. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. César.
M. Gérard César. Monsieur le ministre, je comprends le sens de vos observations, mais partir du principe qu'il ne faut qu'une brigade par canton me paraît être une erreur. Il faut en effet considérer la configuration des cantons et la distance qu'il peut y avoir entre les communes principales, le délai d'intervention pouvant varier, suivant les cas, de trente minutes à une heure.
Vous le savez, monsieur le ministre, les brigades fonctionnent en binôme et, comme le temps peut être si long pour aller d'un point à un autre, aujourd'hui la population, en particulier les personnes âgées, s'inquiète du maintien de la sécurité dans les communes.
Construire des bâtiments pour d'autres brigades - une par canton - alors que les bâtiments existent, cela coûtera huit à dix millions de francs. Où sera alors l'économie faite par le Gouvernement ?
Dans ma propre commune, deux emplois-jeunes ont été créés à la demande de l'école et deux autres emplois-jeunes vont encore être affectés au collège. Voilà qui aurait permis de prendre en charge une partie du salaire d'un gendarme !
La sécurité n'a pas de prix, et nous devons donc faire un effort tous ensemble. La sécurité est un droit pour tout citoyen, et c'est le devoir du Gouvernement de l'assurer.

AVENIR DE L'UNITÉ DE GIAT INDUSTRIES DE TULLE