Séance du 20 octobre 1998







M. le président. La parole est à M. Bizet, auteur de la question n° 303, adressée à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
M. Jean Bizet. Madame le ministre d'Etat, je me permets d'attirer votre attention sur les informations relatives aux taux de dioxine observés dans les produits laitiers ou la viande et leurs conséquences sur la santé publique.
J'avoue mon étonnement quant à la publication de teneurs en dioxine dans le lait maternel de deux jeunes femmes du département de la Manche - 18,5 picogrammes par gramme de matière grasse pour l'une et 32,5 picogrammes par gramme pour l'autre - alors qu'il n'existe, dans ce département, aucune usine d'incinération !
Au discrédit porté sur les produits agricoles de base que sont le lait et la viande, s'ajoute, une nouvelle fois, une série d'informations non vérifiées ne faisant que troubler l'image de ce département qui a pourtant su depuis longtemps conjuguer modernité et environnement.
Les conséquences de la présence de dioxine dans l'environnement sont loin de donner lieu à des conclusions scientifiques unanimes.
L'Académie des sciences estimait ainsi, en 1994, qu'aucun élément connu ne permettait de considérer que la dioxine constituait un risque majeur pour la santé publique, le seul effet sur la santé humaine étant une chloracnée, une dermatose gênante mais jamais mortelle.
Le comité de la prévention et de la précaution présidé par le professeur Alain Grimfeld de l'hôpital Trousseau à Paris souligne quant à lui que l'estimation de l'impact de l'exposition de la population française ne peut être, en l'état actuel des connaissances, qu'un exemple d'école.
Enfin, le Conseil supérieur d'hygiène fait remarquer qu'une dose tolérable d'un picogramme par kilogramme et par jour implique, en France, un risque supplémentaire de l'ordre de 1 800 à 2 900 décès annuels par cancer.
Je m'interroge sur le manque de cohérence et de rigueur scientifique dont témoignent ces diverses informations.
Je vous demande donc, madame le ministre, si le rôle du Gouvernement ne serait pas de lever les inquiétudes des consommateurs en se fondant sur des analyses probantes, et non probables. Ainsi, les agriculteurs ne seraient pas, une fois de plus, pénalisés par une pollution dont ils ne sont aucunement responsables.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le sénateur, nous connaissons encore mal les sources d'émission de dioxines et la diffusion de ces polluants dans l'environnement. Ce travail est d'ailleurs immense, puisqu'il existe plusieurs dizaines de dioxines différentes dont les conséquences sur l'environnement et sur la santé humaine doivent être étudiées de façon extrêmement fine et diversifiée.
Ainsi, nous avons la certitude qu'une de ces dioxines a un effet cancérigène sur l'être humain, alors que d'autres ne semblent pas avoir d'effet du tout et que d'autres encore pourraient avoir des effets sur le système immunitaire, effets qui sont en cours d'expertise.
En 1997 et 1998, mon ministère a réalisé des mesures quant à l'émission des incinérateurs d'ordures ménagères d'une capacité supérieure à six tonnes par heure. Ce premier inventaire national a été rendu public une première fois en avril 1998 et il est, depuis, actualisé et mis à la disposition du public.
Pour les rejets les plus importants, il a été demandé aux préfets de faire réaliser par les exploitants des usines concernées, en application de la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, des mesures de dioxines dans les laits produits au voisinage, le lait étant ici utilisé comme un indicateur puisque - vous le savez - les dioxines se concentrent dans les graisses et donc plutôt dans le lait et la viande.
L'approche était claire : il s'agissait d'avoir une idée à la fois des mesures à l'émission et des conséquences dans les pratiques alimentaires, notamment.
Une analyse des autres sources industrielles est en cours depuis novembre 1997. Elle concerne pour l'essentiel des installations des secteurs de la métallurgie, de la sidérurgie, de la papeterie et de la chimie.
Nous avons détecté des émissions très importantes de dioxines et je ne saurais, monsieur le sénateur, partager votre analyse selon laquelle ces émissions auraient des effets marginaux. Dans le Nord-Pas-de-Calais, par exemple, une usine, en dix ans, en a émis des quantités comparables à celles qui ont été constatées lors de l'accident industriel de Seveso. Même si les émissions ont été étalées sur une très longue période, on ne peut pas dire que leurs effets soient négligeables.
Quant à la présence de dioxines dans des lieux éloignés d'installations actives, on peut aujourd'hui, à partir des travaux scientifiques et de l'observation sur le terrain, émettre trois hypothèses de travail, par ailleurs complémentaires : la rémanence de dioxines dans l'environnement, car ces molécules sont facilement accumulables dans l'environnement, même leurs sources une fois éteintes ; la présence de sources non identifiées et les sources naturelles de dioxines, mises en évidence par certains travaux.
Enfin, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, fait réaliser par le réseau national de la santé publique une étude sur la quantification des dioxines dans le lait maternel. Cette étude devrait permettre une meilleure estimation du degré d'exposition de la population ainsi qu'une meilleure connaissance de la part respective de l'alimentation et de l'exposition naturelle, d'une part, et de l'exposition aux émissions des sources fixes, d'autre part, dans les teneurs en dioxines observées.
La réglementation est complexe. Elle concerne à la fois les émissions et la concentration dans les aliments, le lait, les viandes et, de façon plus générale, les graisses.
Je partage votre analyse selon laquelle il serait déraisonnable de contribuer au discrédit des produits agricoles alors que, comme les usagers et les consommateurs, les agriculteurs sont les victimes des émissions de dioxine mais non les responsables.
Ce qui est certain, c'est que les résultats des mesures de dioxines émises par les incinérateurs montrent que la mise en conformité avec la réglementation en vigueur, qui transpose en droit français deux directives européennes de 1989, entraîne une réduction d'un facteur dix des rejets de dioxines, même si le texte concerné, un arrêté de 1991, ne fixe pas de limites spécifiques pour ces polluants.
Une action vigoureuse a été entreprise pour la mise en conformité des quinze incinérateurs non conformes encore en fonctionnement.
Elle s'est déjà traduite par de multiples arrêtés de mise en demeure. Plusieurs préfets, à l'expiration de ces délais, ont déjà enclenché les mesures de consignation. Vous imaginez les réactions de certains élus qui considèrent qu'un franc investi dans l'environnement est un franc gaspillé !...
La Commission européenne a engagé des travaux de révision des directives de 1989 relatives à l'incinération des déchets municipaux qui devraient notamment aboutir à imposer une valeur limite à l'émission de 0,1 nanogramme par mètre cube pour les dioxines. Dès février 1997, il a été demandé aux préfets de fixer un tel objectif pour les nouvelles installations d'incinération d'ordures ménagères.
J'ai rappelé à ces derniers qu'ils devaient saisir l'occasion des travaux de mise en conformité avec l'arrêté de 1991 pour faire réaliser une mise aux normes, pour les dioxines, calée sur cette recommandation. Seul le caractère non encore réglementaire de cette mise aux normes des usines existantes justifie l'instauration d'aides à ces travaux spécifiques. L'ADEME a ainsi retenu le principe d'aides financières pouvant atteindre la moitié du coût des investissements pour les exploitants d'installations existantes en conformité avec les règles en vigueur qui prendraient l'initiative de travaux visant à réduire les rejets de dioxines à 0,1 nanogramme par mètre cube.
M. Jean Bizet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet. Je vous remercie, madame le ministre, de cette précision, notamment en ce qui concerne la norme officielle de 0,1 nanogramme par mètre cube de vapeur. Je reste malgré tout troublé par les informations divulguées par votre ministère ces derniers mois, informations qui ont entraîné une suspicion à l'égard des centres d'incinération d'ordures ménagères, suspicion qui a jeté le discrédit sur ce type de traitement, favorisant par là-même, intrinsèquement, la mise en valeur des centres d'enfouissement techniques.
A mon sens, vous avez porté un certain coup aux collectivités locales qui, vous le savez, au travers des usines d'incinération d'ordures ménagères, avaient la possibilité d'éviter le monopole de quelques entreprises nationales ou multinationales, entreprises qui pouvaient maîtriser foncièrement un certain nombre de terrains, cela beaucoup plus facilement hier qu'aujourd'hui.
Je souhaite donc rétablir la vérité.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le sénateur, vous quittez le terrain de la question que vous m'avez posée ! La norme est en préparation au niveau européen et je n'ai pas souhaité exposer les collectivités à des salves de modifications de la réglementation sur des périodes limitées, ce qui induirait des coûts importants et une certaine déstabilisation des politiques départementales de traitement des ordures ménagères.
Cela dit, nous avons fait un effort de transparence à l'égard du public, effort que s'est d'ailleurs traduit par une attitude extrêmement mesurée de notre part. En effet, nous n'avons fermé aucun incinérateur sur la base des émissions de dioxine. Toutefois, nous avons été amenés, parce que la réglementation le prévoit en ce qui concerne les concentrations de dioxine dans les graisses, à procéder au retrait de quelques laits commercialisés, mais les exemples se comptent sur les doigts de la main et c'est loin d'être un phénomène massif.
Nous n'avons donc nullement mis la pression, si ce n'est sur le respect de l'arrêté de 1991, qui donnait cinq ans aux collectivités pour se mettre aux normes. Certaines collectivités ne l'ont pas fait. Nous avons souhaité qu'elles le fassent ; c'était bien normal. Mais aucun discrédit particulier n'a été jeté sur l'incinération à l'occasion de cet événement.
Simplement, la transparence de l'information donnée au public me paraît être la règle, pour ce Gouvernement comme pour les gouvernements qui l'ont précédé, et je m'en réjouis.

AIDES AUX AGRICULTEURS SINISTRÉS DU MIDI