Séance du 19 mai 1998







M. le président. La parole est à M. Sérusclat, auteur de la question n° 244, adressée à M. le secrétaire d'Etat à la santé.
M. Franck Sérusclat. Madame la ministre, je me permets de vous interroger sur la nandrolone, qui est identifiée par deux métabolistes apparaissant dans les urines après le catabolisme de la 19-nortestostérone.
Aujoud'hui, cette substance fait débat dans le milieu sportif et nous reviendrons certainement sur ce point ici même, lors de l'examen du projet de loi relatif à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage.
J'aimerais que vous me donniez des précisions sur son usage, ses effets et ses conséquences, et surtout ce que l'on peut retenir de sa mise en évidence dans les urines des sportifs, hommes ou femmes.
La situation a évolué. Voilà encore peu de temps - six mois à un an - on considérait qu'il n'y avait pas de sécrétion endogène de nandrolone. Aujourd'hui, le Comité international olympique, CIO, et les laboratoires qui ont la responsabilité de rechercher les produits dopants estiment que, en-dessous de deux nanogrammes par millilitre, il faut admettre une sécrétion endogène et que, au-delà de ce chiffre, et surtout au-delà de cinq nanogrammes, il y a eu un apport exogène.
Des études récentes laisseraient supposer - mais, pour l'instant, elles n'ont été menées que sur des urines de jument - qu'il serait plus intéressant de connaître le rapport entre les deux métabolites : s'il est supérieur à un nanogramme, il traduirait une présence exogène.
Face à ces incertitudes, d'une part, et à la nécessité d'améliorer nos connaissances en la matière, d'autre part, je souhaiterais connaître la position de M. le secrétaire d'Etat à la santé sur ce sujet. Peut-être serait-il intéressant, en cas de découverte de nandrolone, d'en débattre éventuellement comme le font les avocats, voire la presse, et d'essayer de déceler dans les mois qui suivent les incidences, assez classiques après un excès d'apport, de l'effondrement de certains taux dont celui de testostérone ou celui de la gonadotrophine, ce qui suppose une attente, ces substances ne se révélant que deux à trois mois après l'apport exogène de nandrolone.
Telles sont les questions que je souhaitais poser. Pour conclure - peut-être cette question relève-t-elle du sexe des anges - alors qu'un individu ayant une hyperglycémie n'en est pas fautif puisque c'est pathologique, celui qui aura une hypersécrétion endogène de nandrolone se verra-t-il interdit la pratique d'activités sportives ?
Telles sont les questions que je me pose alors que nous allons examiner prochainement le projet de loi relatif à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage. Je serais heureux d'obtenir des réponses précises de votre part puisque le ministère dont vous avez la charge a des responsabilités en ce domaine.
M. le président. Vous avez la parole, madame le ministre. Vous préparez votre entrée à l'Académie de médecine. (Sourires.)
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, je n'entrerai bien évidemment pas dans la controverse actuelle, qui touche douloureusement des sportifs. Certains d'entre eux ont été contrôlés et on a trouvé dans leurs urines un taux de nandrolone supérieur à deux nanogrammes par millilitre, ce qui est aujourd'hui la norme retenue. Mais je vais essayer de vous donner, en l'état actuel de nos connaissances, quelques éléments sur les données relatives au métabolisme de la nandrolone.
Dans le cadre des règles en vigueur, qui résultent non seulement de la réglementation nationale mais aussi du Comité international olympique, la déclaration des cas positifs à la nandrolone, notamment celui du sportif auquel nous pensons tous, est fondée sur la présence dans l'urine de ses deux métabolites, la 19-norandrostérone et la 19-norétiocholanolone.
M. Charles Descours. Bravo !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Vous voyez comme j'ai appris sur ce sujet grâce à M. Sérusclat.
M. Charles Descours. L'ENA mène à tout ! (Sourires.)
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ce critère de positivité a été modulé en 1996 par une recommandation du Comité international olympique aux directeurs des laboratoires antidopage, qui a abouti à retenir un seuil de précaution de deux nanogrammes par millilitre.
Ce seuil a pour objet d'éviter toute confusion avec une production endogène des métabolites de la nandrolone par l'organisme humain.
Le seuil de deux nanogrammes par millilitre peut-il être atteint par une production endogène, ou un apport exogène est-il nécessaire pour ce faire ? Telle est la question qui se pose.
De nombreuses équipes ont travaillé sur ce sujet précis depuis plusieurs années. L'expérience acquise et leurs travaux confirment que ce seuil de positivité de deux nanogrammes par millilitre est suffisant pour distinguer les deux cas. Certains experts mondialement reconnus, notamment ceux du laboratoire de contrôle du dopage de Montréal, ont même proposé de retenir comme seuil du dopage un nanogramme par millilitre, considérant que la production endogène n'atteignait jamais ce niveau.
Par ailleurs, de nombreux travaux sur la présence des métabolites de la nandrolone dans l'urine ont été publiés récemment. Ils montrent que la présence d'un des métabolites, lorsqu'elle est avérée, est inférieure à 0,6 nanogramme par millilitre, s'agissant de la norandrostérone, et inférieure à 0,1 nanogramme par millilitre, en ce qui concerne la norétiocholanolone, soit vingt fois moins que le seuil de positivité retenu.
Les facteurs extérieurs de stimulation qui seraient susceptibles d'entraîner une production endogène plus importante de nandrolone - des conditions de stress particulières ou des facteurs saisonniers - ne semblent pas justifier, aujourd'hui, une remise en cause du seuil en vigueur.
Monsieur le sénateur, dans l'état actuel des connaissances scientifiques, rien ne permet de penser qu'une production endogène pourrait atteindre ce seuil considéré aujourd'hui comme positif de deux nanogrammes par millilitre, et le risque d'une fausse positivité semble infime.
Tels sont les éléments d'information que je peux vous apporter sur une affaire que l'on doit replacer, comme vous l'avez fait, dans le problème du dopage, problème qui sera examiné par votre assemblée prochainement.
Il me paraît très important de réunir sur ces sujets le maximum d'informations scientifiques pour éviter des échos par rapport à certaines positivités qui, souvent, nuisent à la carrière et même à l'image de certains sportifs.
M. Franck Sérusclat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Madame la ministre, je tiens à vous remercier de votre réponse, qui est aussi claire que le permet l'état des connaissances actuelles. Certes, des découvertes peuvent entraîner une modification de l'interprétation des analyses et des décisions prises. Mais votre propos me conforte dans la position que je souhaite adopter lors de la discussion du projet de loi relatif à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage : si un certain seuil de sécrétion endogène de la nandrolone est acceptable, on ne peut cependant pas extrapoler et considérer qu'il est anormal de punir ceux qui dépassent ce seuil.
Il est pour moi important, madame la ministre, que votre ministère conforte cette position à un moment où des interprétations permettent à certains de tenter de masquer une très probable tricherie.

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