M. le président. Par amendement n° 18, MmeBeaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 6 ter, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les deux derniers alinéas de l'article 17 de la loi du 4 août 1993 précitée sont remplacées par un aliéna ainsi rédigé :
« 6° Dans les conditions fixées par le conseil général, les agents de la Banque de France, ainsi que toute autre personne qui souhaite être titulaire de comptes de clientèle à la Banque de France. »
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Cet amendement va nous rajeunir et nous ramener au débat de 1993.
Il s'agit en effet de revenir sur l'une des dispositions les plus discutables de la loi d'août 1993, à savoir l'extinction du droit pour la Banque de France et pour son réseau local de gérer des comptes clients.
Cette mission, retirée à la banque par la loi de 1993, a été, en quelque sorte, circonscrite à une clientèle assez particulière.
En effet, à ce jour, seuls bénéficient du « privilège » de posséder un compte ouvert à la Banque de France les établissements de crédit, évidemment le Trésor public, La Poste, divers établissements des départements et territoires d'outre-mer, la Caisse des dépôts et consignations, les sociétés de bourse, les établissements de crédit et banques centrales étrangers, les organismes internationaux, les personnels de la Banque de France et, par dérogation, les clients de la banque à la date de publication de la loi et tout organisme ou toute personne que le Conseil général de la banque autoriserait à disposer d'un compte.
Dans le cas qui nous préoccupe, les 6° et 7° de l'article 17 de la loi de 1993 prévoyaient en fait une extinction progressive de l'activité de gestion de comptes clients par la Banque de France.
Ce choix, à l'époque, n'était pas judicieux, et l'on peut se demander, aujourd'hui, s'il ne serait pas souhaitable que certaines personnes ayant besoin d'avoir une banque particulièrement rigoureuse dans la gestion des découverts puissent disposer d'un compte à la Banque de France.
Il est donc nécessaire que cette activité soit de nouveau autorisée, et c'est le sens de cet amendement que je vous invite à adopter puisqu'il traite des missions d'intérêt général que ce texte vise à assigner à notre banque centrale.
J'ajoute, pour rafraîchir les mémoires, qu'un débat serré s'était instauré à l'époque au sein de la Haute Assemblée et que divers groupes de pression étaient intervenus auprès de nombre de sénateurs pour obtenir que la banque centrale ne puisse plus ouvrir de comptes aux particuliers. Je vois là une anomalie, et je pense qu'il serait souhaitable, dans l'intérêt général, de permettre à la Banque de France d'ouvrir de tels comptes.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur. Comme M. Loridant l'a indiqué, la question évoquée avait fait l'objet d'un très long débat lors de la discussion de la loi de 1993. Le Sénat avait à l'époque décidé l'extinction de cette activité, et il n'a pas semblé à la commission des finances que les circonstances avaient changé. C'est la raison pour laquelle elle a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je suis d'accord, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, pour que l'on définisse clairement que la Banque de France assume diverses activités, mais je pense que celles-ci doivent être des activités de banque centrale et non pas des activités de banque commerciale.
Dans ces conditions, la gestion de comptes de clientèle ne me paraît pas constituer une activité normale d'une banque centrale. C'est une sorte d'anomalie, et il ne me semble pas utile d'y revenir.
Le conseil général de la Banque de France a déjà la possibilité, dans les cas exceptionnels, d'autoriser l'ouverture de comptes, et c'est très bien, mais je ne vois pas pourquoi la banque centrale ferait concurrence aux réseaux des banques commerciales.
Il se peut - je ne sais pas si c'est le cas - que votre amendement ait été motivé par le problème du droit au compte.
M. Michel Sergent. Oui !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il peut se faire, en effet, que, sur notre territoire, des résidents, pour telle ou telle raison, n'aient pas la possibilité d'avoir un compte. Ce n'est pas normal, j'en suis d'accord. Aussi, dans le projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions, le Gouvernement propose une modalité particulière, un peu analogue à ce qui existe en matière d'assurance, en faisant en sorte que, soit dans les services financiers de l'Etat, soit dans le réseau de La Poste, le droit au compte soit assuré pour tout le monde.
Dans l'hypothèse où un problème se poserait, la Banque de France aura, aux termes mêmes du texte que je viens de citer, la possibilité d'arbitrer et de désigner tel ou tel établissement commercial qui devra ouvrir un compte, comme c'est le cas en matière de tarification des assurances.
Ce problème est sérieux, mais il sera bientôt résolu.
Cela étant, je considère que la gestion de comptes de clientèles n'est pas l'activité normale d'une banque centrale. Je ne suis donc pas favorable à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 18.
M. Gérard Delfau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. J'ai écouté avec attention les arguments de notre collègue Paul Loridant, puis ceux de M. le ministre, et j'avoue être partagé.
En effet, je pense, à l'instar de M. le ministre, que l'on ne peut pas, ce soir, à l'occasion d'un débat succinct et au détour d'un amendement, redonner à la Banque de France la possibilité de gérer des comptes clients. Cela poserait mille problèmes, que vous connaissez comme moi, par rapport aux banques membres de l'AFB, aux banques mutualistes, à La Poste, aux caisses d'épargne. Bref, je crois qu'il n'est pas possible d'ouvrir ce débat ce soir.
Pourtant, M. Loridant a raison quand il dit - sur ce point, je suis en profond désaccord avec M. le rapporteur, mais peut-être celui-ci n'est-il pas allé jusqu'au bout de son argumentation - que se pose un vrai problème de droit au compte et, ajouterai-je, de droit au chéquier. M. le ministre a repris ce propos.
Mes chers collègues, quelque 5 à 6 millions de Français sont en voie d'être exclus ou le sont déjà du droit au compte. Or, je vous le rappelle, le Gouvernement avait, en 1918, imposé aux banques la création des CCP pour démocratiser l'accès aux activités financières. Vous mesurez donc la régression dans laquelle nous nous engageons !
Je suis donc partagé.
M. le ministre nous a dit - j'ai lu le texte en question - que le Gouvernement essaie de remédier à cette situation totalement inacceptable par le biais d'un article qui figure dans le projet de loi de lutte contre les exclusions. Nous en rediscuterons donc le moment venu. Mais je crains que le dispositif ne soit pas suffisamment efficace.
Cela étant, je considère qu'il faut redonner explicitement et concrètement à la Banque de France une possibilité à la fois d'arbitrage, de contrôle et de contrainte pour faire en sorte que des établissements financiers, par exemple La Poste et le Trésor public, rendent effectif ce droit au compte.
Faut-il aller au-delà ? Je n'en suis pas convaincu, mais j'avoue que ma réflexion n'en est qu'à ses prémices et que les arguments sont bons à entendre des deux côtés.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 18, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 7