M. le président. Par amendement n° 6 rectifié, MM. Lambert et Marini, au nom de la commission des finances, proposent d'insérer, après l'article 4, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 8 de la loi n° 93-980 du 4 août 1993 précitée est ainsi rédigé :
« Art. 8. - Le Conseil de la politique monétaire comprend neuf membres, dont le gouverneur de la Banque de France, un premier et un second sous-gouverneur. Trois membres sont nommés par le Président de la République, trois par le président du Sénat et trois par le président de l'Assemblée nationale.
« Ils ne peuvent être nommés au-delà de l'âge de soixante-cinq ans.
« Le gouverneur est nommé par le Président de la République pour la durée de ses fonctions de membre du Conseil. Dans les mêmes conditions, le premier sous-gouverneur est nommé par le président du Sénat, le second sous-gouverneur est nommé par le président de l'Assemblée nationale.
« Le mandat des membres du Conseil est de neuf ans. Il n'est ni révocable ni renouvelable. Toutefois, les mandats des membres du Conseil ayant duré moins de neuf ans peuvent être renouvelés une fois.
« Le Conseil de la politique monétaire se renouvelle par tiers tous les trois ans.
« Il est pourvu au remplacement des membres du Conseil au moins huit jours avant l'expiration de leurs fonctions. Si l'un de ces membres ne peut exercer son mandat jusqu'à son terme, il est pourvu immédiatement à son remplacement par l'autorité qui l'a désigné. Dans ce cas, le membre nommé n'exerce ses fonctions que pour la durée restant à courir du mandat de la personne qu'il remplace ; son mandat peut être renouvelé une fois. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Lambert, rapporteur. Il ne s'agit pas, cette fois-ci, d'un amendement rédactionnel.
J'avais annoncé tout à l'heure, dans la discussion générale, qu'il était apparu souhaitable à la commission des finances de saisir l'opportunité de l'examen de ce texte pour réformer le système actuel de désignation des membres du Conseil de la politique monétaire, système que nous avons qualifié de complexe et d'opaque.
Nous avons repris, à cette occasion, une proposition de loi déposée par nos collègues MM. Marini, Haenel et du Luart.
Le Conseil de la politique monétaire comprend actuellement, outre le gouverneur, les deux sous-gouverneurs et six membres. La désignation de ces six membres se déroule en deux phases. Ils sont tout d'abord choisis sur une liste comprenant un nombre de noms triple de celui des membres à désigner, liste qui est établie d'un commun accord ou, à défaut, par parts égales, par le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale et le président du Conseil économique et social. Ils sont ensuite nommés par décret en conseil des ministres, pour une durée de neuf ans, et renouvelables par tiers.
L'amendement qui vous est proposé au nom de la commission des finances prévoit des modalités de désignation similaires à celles du Conseil constitutionnel ou du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Le Président de la République nommerait trois membres du Conseil de la politique monétaire, dont le gouverneur, le président du Sénat nommerait trois membres, dont le premier sous-gouverneur, le président de l'Assemblée nationale, trois membres également, dont le deuxième sous-gouverneur. Le mandat des membres du conseil serait de neuf ans et ne serait ni révocable ni renouvelable. Le conseil, enfin, serait renouvelé par tiers, comme aujourd'hui, tous les trois ans.
Si cet amendement était adopté, le Conseil de la politique monétaire pourrait bénéficier d'une plus grande légitimité démocratique au moment où sa fonction d'information et de relais de la politique monétaire commune va être renforcée.
J'indique que les membres du conseil dont le mandat aurait duré moins de neuf ans pourraient être renouvelés une fois.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Charles Pasqua. Le Gouvernement en pense le plus grand bien ! (Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je pense toujours le plus grand bien des amendements du Sénat... avant de les avoir lus. Après, parfois, mon opinion change - mais pas toujours : vous l'avez constaté tout à l'heure.
Sur ce sujet, deux positions extrêmes se sont exprimées : celle de M. Loridant, selon laquelle le conseil de la politique monétaire ne sert plus à grand-chose - je caricature - et celle de M. le rapporteur, qui nous dit que le rôle du conseil est tellement important qu'il faut en désigner les membres selon les procédures utilisées pour les corps juridictionnels les plus élevés de la République, le Conseil constitutionnel ou le Conseil supérieur de l'audiovisuel.
A choisir, je suis quand même un peu plus proche de la position de M. Loridant que de celle de M. le rapporteur. Mais, comme les deux options me paraissent quelque peu extrêmes, le Gouvernement, qui lui aussi peut être sage, se propose d'en rester à la situation actuelle et de ne pas supprimer le Conseil de la politique monétaire - M. Loridant ne le demandait d'ailleurs pas vraiment - sans pour autant conférer à ses membres une considération si importante qu'il faille leur donner le sacre qui est réservé aux membres du Conseil constitutionnel ou du Conseil supérieur de l'audiovisuel, dont nous connaissons tous l'importance.
Un autre aspect de cet amendement concerne les deux sous-gouverneurs. Le problème est, là, plus sérieux encore, car il s'agit de dirigeants d'une entreprise publique, qui sont nommés par l'exécutif. Pour le coup, le Gouvernement ne voit strictement aucune raison de décider que seuls les dirigeants de cette entreprise publique-là seraient nommés par des instances parlementaires. Si cela est vrai pour la Banque de France, pourquoi ne le serait-ce pas demain pour d'autres entreprises publiques ? Cela ne correspond pas, me semble-t-il, à l'esprit de nos institutions : c'est l'exécutif qui nomme les dirigeants des entreprises publiques.
Par conséquent, si le premier point de cet amendement peut prêter à discussion, sur le second, je suis franchement hostile.
En conclusion, je demande le retrait de cet amendement ou, à défaut, son rejet.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 6 rectifié.
M. Michel Sergent. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent. Le Gouvernement vient d'exprimer sa position, que nous avons entendue.
M. le rapporteur et M. Marini proposent que trois membres du Conseil de la politique monétaire soient nommés non plus par le président du Conseil économique et social, mais par le Président de la République. Ils proposent également que le gouverneur soit nommé non plus en conseil des ministres, mais par le Président de la République, et pour neuf ans au lieu de six.
Pourquoi ces changements ? Pour une plus grande légitimité démocratique ! J'ai bien entendu M. le rapporteur, et j'ai d'ailleurs admiré qu'il ait pu garder son sérieux en nous présentant ses explications. Enfin, chers collègues de la majorité sénatoriale, la loi de 1993 n'a-t-elle pas été élaborée par votre majorité ? Votre argumentation signifie-t-elle alors qu'à cette époque la légitimité démocratique n'avait pas été votre objectif...
M. Charles Pasqua. Si !
M. Michel Sergent. ... et qu'au moment où le Conseil de la politique monétaire a perdu beaucoup de son importance, vous vous repentez ? Ou bien une autre motivation vous anime-t-elle ?
M. Charles Pasqua. Laquelle ?
M. Michel Sergent. Je ne peux tout de même pas croire, monsieur Pasqua, que le changement à la présidence de la République qui est intervenu entre-temps en soit la cause (Exclamations sur les travées du RPR et de l'Union centriste.) et que l'objectif soit de permettre au président actuel de nommer le gouverneur, qui a aujourd'hui le seul véritable pouvoir au sein du Conseil de la politique monétaire,...
M. Charles Pasqua. C'est scandaleux !
M. Michel Sergent. ... puisqu'il participe au Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne !
Au-delà des sourires que mon propos peut susciter, cet amendement est grave et nous demandons au Sénat de le rejeter.
M. Charles Pasqua. Enfin un débat de fond !
M. Paul Loridant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le ministre, je viens à votre secours ! (Sourires.)
En 1993, lorsque nous avons débattu du statut de la Banque de France, notamment de la composition du Conseil de la politique monétaire, l'opposition sénatoriale - c'est-à-dire nous-mêmes, le groupe socialiste et le groupe communiste de l'époque - avait accepté que le Président de la République puisse proposer et nommer certains des membres du Conseil de la politique monétaire. La majorité sénatoriale - le rapporteur du texte était M. Marini - avait alors considéré qu'en aucun cas le Président de la République ne devrait pouvoir intervenir dans cette désignation.
M. Michel Sergent. Absolument !
M. Paul Loridant. Elle s'est alors tournée vers le Conseil économique et social.
M. Michel Sergent. Pour la première fois !
M. Paul Loridant. Entre-temps, le Président de la République a changé et M. Marini, avec certains de ses collègues, a déposé une proposition de loi en considérant cette fois-ci qu'il fallait que le Président de la République puisse nommer le gouverneur de la Banque de France, le premier des sous-gouverneurs étant nommé par le président du Sénat et le second par le président de l'Assemblée nationale.
Au demeurant, je le dis en passant, pour la gestion de la Banque de France, je ne suis pas sûr qu'une telle disposition assurerait la cohérence de l'ensemble de l'équipe.
Mais vous me permettrez de dire à M. le rapporteur, à M. le président de la commission des finances et à la commission des finances dans son ensemble qu'elle aura changé de doctrine à l'occasion de la discussion de ce projet de loi, et qu'elle aura essayé de le faire subrepticement puisque, en commission, cette mesure nous a été présentée comme une mesure normale et conforme à ce qui se fait pour le Conseil constitutionnel et le Conseil supérieur de l'audiovisuel.
La commission des finances n'avait-elle pas, en 1993, été d'une virulence féroce pour décider qu'en aucun cas le Président de la République ne pourrait intervenir, laissant ce rôle au Conseil économique et social ?
En fait, vous vous livrez là, chers collègues de la majorité sénatoriale, à une petite manoeuvre politicienne qui est indigne du Sénat. Voilà pourquoi il me paraît plus sage de rejeter l'amendement de la commission.
M. Yann Gaillard. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. La commission voudra bien m'excuser d'être, pour une fois, en mauvaise compagnie - que les intéressés ne prennent pas cela en mauvaise part ! - puisque je partage en partie l'analyse de MM. Sergent et Loridant, étant entendu que, pour ma part, je ne prête à la commission aucune des intentions politiciennes et assassines qu'ils lui ont prêtées.
Il y a deux aspects dans cette affaire.
En ce qui concerne le mode de désignation des membres autres que le gouverneur ou les sous-gouverneurs du Conseil de la politique monétaire, je comprends que l'on puisse vouloir aligner le système sur celui du Conseil constitutionnel, encore que - pour une fois, je rejoins M. le ministre - faire cette opération au moment où le rôle du Conseil de la politique monétaire va être nettement affaibli me paraisse être quelque peu du luxe. Mais, enfin, admettons !
En revanche, en ce qui concerne le gouverneur et les sous-gouverneurs, je suis très perplexe, et je me dois de le dire. J'ai toujours entendu dire que le gouverneur et les sous-gouverneurs étaient des hauts fonctionnaires nommés par le Président de la République en conseil des ministres, donc avec l'accord du Gouvernement, et je ne pense pas que l'on puisse raisonnablement introduire une novation aussi essentielle à cette heure.
M. Alain Lambert, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Lambert, rapporteur. Tout d'abord, je veux dire à M. Loridant qu'on peut ne pas être d'accord sans pour autant se soupçonner de vulgaire politique politicienne ! Il n'y a, en la circonstance, aucune arrière-pensée d'opportunité liée aux circonstances tout à l'heure évoquées.
Le fait est suffisamment connu dans le palais pour qu'on puisse le dire en séance publique : cette disposition a été souhaitée par M. le président du Sénat, qui estime que, puisque les principaux responsables de certains conseils sont désignés selon cette procédure, il n'est pas admissible que tel ne soit pas le cas en l'espèce. Voilà l'origine de la proposition !
Par ailleurs, trois de nos collègues ont, il y a bientôt un an, déposé une proposition de loi sur le même sujet. Reconnaissez donc que le sujet n'est pas neuf.
Je reprends la proposition au moment où nous discutons d'un texte portant réforme du statut de la Banque de France : c'est d'une logique parfaite.
Pour ce qui me concerne, je n'impose à personne de voter cet amendement, mais je ne vois pas de raison de le retirer.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié, repoussé par le Gouvernement.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)

Article additionnel avant l'article 5