M. le président. « Art. 12. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-11 ainsi rédigé :
« Art. 1386-11. - Le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve :
« 1° Qu'il n'avait pas mis le produit en circulation ;
« 2° Que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où il a mis le produit en circulation ;
« 3° Que le produit n'a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de distribution ;
« 4° Que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ;
« 5° Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d'ordre législatif ou réglementaire.
« Le producteur de la partie composante n'est pas non plus responsable s'il établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit. »
Sur l'article, la parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des lois propose la suppression de la cause d'exonération prévue à l'alinéa 4 de l'article 12 de la proposition de loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Cela implique que tout industriel pourrait être considéré comme responsable de dommages postérieurs à la commercialisation d'un produit, alors même qu'il a mis tous les moyens en oeuvre pour s'assurer de l'absence de risque, en l'état des connaissances, au moment de la mise sur le marché. Cela signifie, en clair, que l'industriel pourra être responsable de risques qu'il ne peut, en aucune manière, maîtriser.
Même si l'on peut comprendre le souci de protection du consommateur, une telle disposition apparaît extrêmement dangereuse. Outre le problème d'assurabilité qu'elle ne manquera pas de poser aux industriels, elle constitue indiscutablement une atteinte à l'innovation et à la compétitivité de nos entreprises.
Ainsi, contrairement à leurs homologues européens, à l'exception du Luxembourg, dont le marché et les capacité de production et de recherche ne sont pas de même niveau, et de l'Espagne, pour certains produits - nous comprenons le traumatisme important après l'affaire des huiles frelatées - les entreprises pourront se voir pénalisées pour leur contribution au progrès des sciences et des techniques, ce qui, de fait, pénalisera également le consommateur.
Comment demander à des entreprises de développer des recherches très pointues, dans des pathologies sensibles ou rares, en utilisant des moyens sophistiqués et coûteux tels que les biotechnologies, si l'on n'assure pas à ces entreprises un minimum de sécurité juridique ?
D'autant qu'il convient de souligner que, en application de la directive européenne, ce sera au fabricant d'apporter la preuve que « l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence d'un défaut ».
En ce qui concerne les risques, grâce aux autorisations et aux règles de la pharmaco-vigilance, les effets indésirables, répertoriés et cités, d'un produit n'entraîneraient pas, en cas d'accident, la responsabilité du producteur ; en revanche, la faute du producteur pourrait être invoquée pour des risques méconnus et antérieurs.
Nous pouvons affirmer que le risque zéro correspondant à une sécurité absolue est inconcevable en l'état.
Le maintien de cette cause d'exonération ne signifie pas, pour autant, qu'il ne convient pas de rechercher les moyens de réparer des dommages individuels en dehors du champ de responsabilité des industriels. Néanmoins, une telle démarche relève du choix de notre société de réparer ce qu'il convient d'appeler des « risques de collectivité », grâce à des moyens de financement adaptés.
Quant à l'assurabilité, j'aimerais relever les importantes difficultés que vont rencontrer les industriels du médicament et surtout les chercheurs dans le cadre d'essais thérapeutiques en phases précoces, confrontés qu'ils sont à des risques non définis.
Autre souci : l'autorisation temporaire d'utilisation va devoir redéfinir la répartition des risques entre l'administration d'Etat et le producteur.
Les chercheurs vont être soumis, dans le cadre d'essais thérapeutiques, à des pressions, suite à leurs résultats. Un ralentissement des procédures pourrait leur être reproché, comme cela a été le cas pour les trithérapies.
S'agissant de l'innovation, nous risquons de stériliser notre recherche, en particulier, on l'a déjà souligné, dans le cas des maladies orphelines nécessitant des investissements lourds, sans retour financier.
La situation sera particulièrement caractéristique dans le domaine des produits de santé, qui font l'objet, avant leur mise sur le marché, de longs travaux de recherche et de développement dans le cadre de la loi du 20 décembre 1998, qui assure la protection des personnes. Il n'apparaît pas logique d'alourdir la responsabilité des industriels pour des dommages qu'ils ne peuvent pas, par nature, maîtriser, alors que la collectivité et le corps médical ont de plus en plus besoin, dans ce domaine, de produits innovants.
J'aimerais soulever aussi le cas particulier de malades frontaliers qui pourraient utiliser des médicament achetés à l'étranger et non soumis à notre législation mais conforme à la directive européenne.
Je souhaite évoquer enfin les difficultés d'importation de molécules nouvelles en vue d'essais thérapeutiques ; les contraintes réglementaires sont telles que des industriels ont renoncé à s'implanter chez nous.
Nous tenons à nous élever contre tout laxisme, mais le « tout sécuritaire » ne semble pas non plus représenter une orientation réaliste. (Applaudissement sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. Par amendement n° 18, M. Hyest propose de rédiger comme suit le troisième alinéa (2°) du texte présenté par l'article 12 pour l'article 1386-11 du code civil :
« 2° Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ; »
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je me suis demandé pour quelle raison l'Assemblée nationale n'avait pas repris le texte de la directive. Elle a simplifié : on ne parle pas du défaut qui est né postérieurement ; on dit simplement que « le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation ».
Le texte de la directive est plus global. Même si, comme c'est souvent le cas, sa rédaction n'est pas parfaite sur le plan juridique parce qu'il s'agit d'une traduction - ainsi, l'expression « mis en circulation par lui » n'est pas très heureuse - je propose de le réintroduire parce qu'il me paraît dommageable de ne retenir qu'une partie de ce que prévoit la directive.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission n'a pas cru devoir contester le texte de l'Assemblée nationale, mais je dois reconnaître que la rédaction de M. Hyest est plus conforme à la directive.
En tant que rapporteur de la commission, je ne puis qu'être défavorable, même si, à titre personnel, j'estime que la rédaction proposée par l'amendement pourrait rallier la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Certes, la différence entre les deux versions est d'ordre rédactionnel. Il me semble toutefois que la formulation adoptée par l'Assemblée nationale est plus concise. C'est pourquoi elle a ma préférence.
Cela étant, je m'en remets sur ce point à la sagesse du Sénat.
M. le président. Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° 18, repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 8, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer le cinquième alinéa (4°) du texte présenté par l'article 12 pour insérer un article 1386-11 dans le code civil.
Par amendement n° 25 rectifié, le Gouvernement propose de compléter in fine le texte présenté par l'article 12 pour l'article 1386-11 du code civil par un alinéa ainsi rédigé :
« Le producteur ne peut invoquer la cause d'exonération prévue au 4° lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain, par les produits qui sont issus de celui-ci, ou par tout autre produit de santé destiné à l'homme à finalité préventive, diagnostique ou thérapeutique. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 8.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous arrivons là, mes chers collègues,...
M. Jean-Jacques Hyest. Au coeur du débat !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... probablement, en effet, au coeur du débat, ou, peut-être, à la minute de vérité, dans la mesure où certains - je ne parle pas de ceux qui sont en séance et dont je ne doute pas de la sérénité face à ce texte - en dehors de cette maison voient dans l'adoption de la directive une occasion inespérée de modifier assez profondément notre système de responsabilité.
Avant de défendre l'amendement n° 8, je voudrais faire amende honorable, car j'ai l'impression d'avoir un peu exagéré le désaccord qui a opposé tout à l'heure la commission à différents intervenants, en particulier à notre collègue M. Hyest, quant à la preuve du défaut. Mais j'étais lié par la rédaction présentée par la commission et l'expression « produit défectueux » m'a paru plus élégante. Toutefois, après réflexion, je conviens maintenant que la rédaction retenue par le Sénat dans sa sagesse est satisfaisante.
Je tiens à dire que la lecture du texte faite par M. Hyest n'est pas contraire à celle de la commission puisqu'elle repose sur l'idée qu'apporter la preuve d'un défaut n'est pas apporter la preuve d'une faute, mais faire la preuve objective d'un défaut, ce qui est une notion objective. Effectivement, mon cher collègue, un produit peut présenter un défaut sans que celui-ci résulte d'une faute. Je n'avais pas suffisamment perçu, tout à l'heure, cette différence entre ces deux notions de défaut et de faute.
J'en viens maintenant à l'amendement n° 8.
Je tiens à dire d'emblée que, contrairement à l'idée que l'on peut se faire de la position de la commission des lois et, bien sûr, de ma position personnelle, on a tort de croire que nous opposons un refus absolu à la prise en compte du risque de développement. Ce n'est pas exact. En réalité, nous admettons - peut-être moins que certains d'entre vous, mais c'est une question de degré - qu'il y a une certaine part de vérité dans l'idée selon laquelle un producteur ne peut pas répondre de tout et qu'il ne peut pas être accablé parce qu'il n'a pas tout prévu.
La voie proposée par la commission des lois pour répondre à cette préoccupation me paraît meilleure que celle qui figure dans le texte.
En effet, quels sont - nous touchons ici au fond du débat - les arguments en faveur de l'exonération de responsabilité ou, pour être plus clair, de l'irresponsabilité ?
On nous dit - et on nous l'a redit ici tout à l'heure - que, dorénavant, on va gêner, ou paralyser - M. Calmejane, en particulier, a souligné cet aspect des choses - la recherche et l'innovation.
A cela, je répondrai qu'on ne va certainement pas gêner la recherche puisqu'il va falloir faire encore plus de recherche pour prévenir les dommages. Ce qui limitera la recherche, c'est le sentiment d'irresponsabilité. Par conséquent, en ce qui concerne la recherche, il n'y a pas d'inquiétude à avoir.
Cela va-t-il réduire l'innovation ? Je répondrai tout simplement par un fait : voilà vingt ans que ce problème se pose. J'ai déjà participé - j'y ai fait allusion tout à l'heure - à des discussions à Bruxelles dans les années quatre-vingt et celles qui précédaient, il y a donc à peu près vingt ans, et à ce moment-là les professionnels tenaient le même langage que M. Calmejane, à savoir que, s'ils n'obtenaient pas l'exonération pour risque de développement, eh bien ils allaient cesser d'innover et délocaliser, avec toute l'argumentation que vous imaginez.
Or, à cette époque, et pendant les vingt ans qui ont suivi, il n'y a pas eu d'exonération pour risque de développement.
M. Lorrain a fondé toute son intervention sur l'idée que quelque chose allait changer et qu'un risque nouveau allait peser sur les fabricants de médicaments. Mais non !
Ce que nous voulons, en réalité, c'est maintenir le statu quo et donc ne pas retenir le risque de développement. En effet, il n'est pas sérieux de prétendre que le système actuel, qui dure depuis plus de vingt ans, autant que je sache, a gêné l'innovation et la création de produits sur notre territoire.
Quand les professionnels évoquent les entraves qu'ils peuvent connaître, il est question, madame le ministre, entre autres, de certaines mesures d'actualité dont le patronat se soucie non sans faire quelque bruit : j'entends parler des charges fiscales, bien entendu, éventuellement des contraintes environnementales. Je rencontre assez souvent - voilà une semaine encore à l'occasion d'un voyage officiel - des chefs d'entreprise, des fabricants d'automobiles ou autres produits, et je ne les ai jamais entendus dire que cette menace de risque de développement était paralysante. Ils peuvent d'autant moins l'affirmer qu'en fait elle existe depuis, je le répète, des dizaines d'années et qu'elle ne les a pas paralysés. Il est donc tout à fait excessif de déclarer - et on se laisse un peu aller à le faire - que l'on va paralyser l'innovation.
On dit également que l'on va créer des distorsions de concurrence. Mais, sur le marché français, tout produit étranger comme tout produit français doit respecter la réglementation française. Par conséquent, si des étrangers prennent le risque de fabriquer des produits susceptibles de se révéler insuffisamment fiables, ils seront condamnés.
J'ai lu dans une publication du patronat français, au demeurant très intéressante, une réflexion selon laquelle il allait y avoir distorsion de concurrence et que ce texte allait améliorer la position des producteurs français - qui sont conscients d'être soumis à cette sujétion - et, en quelque sorte, défavoriser les producteurs étrangers, qui, eux, ne subissant pas cette contrainte - la plupart sont des Européens, bien entendu, cela ne vaut pas pour les Américains - risquent de se trouver gênés sur le marché français.
Que je sache, nous n'avons pas à regretter que nos lois soient meilleures que celles d'autres pays et que cela puisse gêner l'entrée en France de produits étrangers. Je ne pense pas que nous puissions sérieusement partager ce souci que j'ai cependant trouvé exprimé formellement dans une publication professionnelle. Je ne vois pas où est la distorsion de concurrence.
Vous avez dit, madame le ministre, qu'elle pourrait exister du fait que, pour les producteurs français, le marché français est plus important quantitativement que pour les producteurs étrangers. Il faut faire des calculs bien savants pour arriver à trouver qu'il y a là une différence probante. On peut aussi bien répondre que le caractère plus exigeant de la protection accordée en France décourage l'implantation de produits étrangers. Je trouve qu'il n'y a pas lieu de s'en plaindre.
Par ailleurs - je le dis immédiatement, mais j'y reviendrai tout à l'heure - d'autres réponses peuvent être apportées, qui permettent d'être tout à fait rassurés en ce qui concerne les perspectives de délocalisation.
Enfin, on nous a dit qu'il y a des difficultés d'assurance. Je supplie que, sur cette question d'assurance, on soit clair et positif.
On ne peut pas se contenter, dans ce débat, de dire qu'on ne peut pas assurer un risque qu'on ne connaît pas, que vous allez voir ce que vous allez voir, que d'ores et déjà les compagnies d'assurance ne couvrent pas ce risque.
Le problème se pose depuis des années. Nous l'avons examiné ici en 1992. Déjà, alors, je demandais à votre prédécesseur, M. Vauzelle, de me produire une police d'assurance de responsabilité civile qui, dans ses clauses - c'est-à-dire dans la liste des cas de non-assurance - énumérait le risque de développement.
J'ai reposé cette question lors des consultations auxquelles j'ai procédé de manière très consciencieuse au cours des derniers jours. On m'a répondu qu'aucune police d'assurance de responsabilité civile ne contenait une telle clause. J'ai demandé qu'on m'en communique une seule qui contienne une clause de non-assurance ! Je n'en ai reçu aucune. Si M. Marini, qui a évoqué ce problème, en a une, qu'il me la communique afin que j'en aie au moins un exemple sous les yeux et que je puisse voir comment elle est formulée. On ne peut pas évoquer ainsi un fantôme ! Il faut apporter la preuve de la non-assurance.
M. Philippe Marini. Je peux vous en communiquer une !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Peut-être aboutira-t-on à une difficulté d'assurance ; peut-être est-ce déjà le cas, mais attendons un peu que les choses se calment après la décision rendue voilà quelques semaines sur le risque concernant le sang contaminé et les receveurs.
N'oublions pas qu'il y a quand même la direction des assurances et des moyens réglementaires de surmonter ce genre de difficultés, comme toutes les difficultés d'assurance d'ailleurs - et il en existe de nombreuses autres.
Mais si la situation évolue ainsi un jour, je suis convaincu que nous ferons ce que nous avons toujours fait dans le passé lorsqu'est apparu un risque trop important auquel l'assurance ne pouvait pas, selon les mécanismes classiques, faire face, car, bien sûr, nous n'avons pas l'intention de laisser supporter aux producteurs de tels risques.
Le progrès technologique dans notre société est réalisé grâce aux systèmes d'assurance. Il faut donc que ceux-ci fonctionnent. S'il apparaît un jour - tel n'est pas le cas aujourd'hui - des blocages d'assurance, nous ferons - j'en suis convaincu - ce que nous avons fait pour les accidents de la circulation et de la construction, ainsi que dans de nombreux autres domaines : nous mettrons en place un système d'assurance obligatoire. Les Allemands ont procédé ainsi pour le médicament, vous l'avez rappelé tout à l'heure, mon cher collègue. C'est la solution raisonnable. Sinon, qui paie lorsqu'un malheur frappe des centaines de personnes ? C'est l'Etat.
Je crois préférable, plutôt que de traiter l'Etat comme une vache à lait qui doit faire face à toutes les difficultés, de s'en remettre à notre système d'assurance. Peut-être faudra-t-il rendre celle-ci obligatoire, avec un statut spécifique, en mutualisant alors le risque. Son coût sera répercuté sur celui du produit et assumé par ceux qui utiliseront ce produit.
Pour le moment, il n'existe pas de problèmes d'assurance, sous réserve de l'exception que j'ai citée, à laquelle, je pense, sera apportée une solution. Mais il est trop tôt pour en tirer une quelconque conclusion.
D'une manière générale, je l'ai déjà dit à M. Jean-Louis Lorrain, l'argumentation selon laquelle l'adoption de cet amendement imposerait des charges et des risques nouveaux aux entreprises est contraire à la réalité. Nous souhaitons simplement maintenir le système tel qu'il fonctionne et non pas l'aggraver.
Ce qui remettrait en cause le système, c'est la disposition qui nous est présentée. D'ailleurs, la jurisprudence est constante pour reconnaître que, en l'état actuel de notre droit, le risque de développement n'est pas une cause d'exonération de responsabilité.
J'en arrive maintenant aux arguments contre l'exonération de responsabilité.
Il s'agit d'abord d'une question de principe.
Notre jurisprudence a élaboré en un siècle une responsabilité pour risque couru. Il me paraîtrait tout à fait incohérent, pour les raisons que j'ai indiquées dans la discussion générale, compte tenu de l'article 13 de la directive, de revenir sur cette construction jurisprudentielle. Peut-être ne sommes-nous pas beaucoup de juristes professionnels dans cet hémicycle, mais, pour un praticien du droit, il s'agit là de quelque chose de tout à fait fondamental, qui est la réponse, depuis la fin du xixe siècle, de la société civile face aux dangers que présentent toutes les inventions de produits, qui n'ont cessé de se multiplier, de se développer et qui sont, semble-t-il, dans une voie d'expansion galopante.
Le doyen Carbonnier, qui n'est pas suspect de fanatisme consumériste, a dit que c'est la réponse à l'angoisse des hommes face au développement des technologies. La responsabilité est l'angoisse des hommes. La majorité de cette assemblée est libérale, autant que je sache ; en tant que libéral moi-même, je n'imagine pas que le champ de la liberté ne puisse pas être équilibré par le champ de la responsabilité. Je n'imagine pas qu'on puisse être libre de créer et de vendre des produits tout en affirmant et en faisant proclamer dans une loi que l'on ne sera pas responsable de ce que l'on crée, de ce que l'on vend et de ce que l'on distribue.
Je fais appel à ceux qui s'inspirent de la philosophie libérale autant que moi - il y en a quelques-uns sur ces travées - pour qu'ils prennent conscience du fait que introduire un hiatus entre la notion de liberté et la notion de responsabilité c'est porter une atteinte grave aux principes sur lesquels reposent les sociétés libérales, les sociétés occidentales auxquelles nous appartenons.
Il faut donc y regarder à deux fois. Il me paraît en effet infiniment préférable d'éviter tout hiatus.
Il faut aussi rechercher les conséquences d'une telle disposition dans la pratique.
Une fois le principe de l'exonération pour risque de développement posé, les premières victimes ne seront pas indemnisées. Il n'y aura d'indemnisation qu'une fois que l'on saura avec certitude qu'il y a un danger. Nous avons connu une telle situation pour le sang contaminé. Les premières victimes risquent d'être en quelque sorte des « avertisseurs » - je n'ose pas dire des « cobayes ».
J'ai d'ailleurs entendu - mais je ne suis peut-être pas le seul - sur Europe 1, voilà quinze jours, un producteur de maïs transgénique dire : « Il ne semble pas qu'il y ait de danger. On peut essayer. On verra bien ce qui se passera. »
M. Claude Huriet. Cela n'a rien à voir !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Mais si ! C'est exactement le problème !
Selon ce producteur : « Tant qu'on n'a pas de certitude, on peut essayer ; on verra bien ce qui se passera. »
Je ne connais pas le fond du problème du maïs transgénique. Je n'incrimine pas ce type de maïs, qui est peut-être parfaitement fiable. Mon propos est non pas de mettre ce produit en accusation, mais d'expliquer que, si le danger se révèle, les premières victimes ne seront pas indemnisées. En effet, l'exonération pour risque de développement sera invoquée et ce n'est qu'au bout d'un certain temps que les victimes seront indemnisées.
Est-ce tenable, moralement ? Je laisse à chacun de vous le soin de répondre à cette question en son âme et conscience.
J'ajoute aussitôt que la reconnaissance de l'exonération pour risque de développement, la reconnaissance de cette irresponsabilité ouvrira évidemment un contentieux énorme.
Là encore, que va-t-il se passer ? Le professionnel dira : « Je ne pouvais pas savoir ! » Nous avons déjà eu l'exemple du sang contaminé. Mais il en est quelques autres qui font quelque peu froid dans le dos, notamment du côté de l'électronique. Désormais, des ordinateurs assurent le pilotage des avions, des voitures, gèrent des blocs opératoires. Et des fabricants et des utilisateurs de ces matériels sont venus me prévenir du fait qu'il y avait là un champ de risques pour le xxie siècle, dont on n'imagine pas l'ampleur. Toute erreur dans les prévisions concernant de tels appareils, peut entraîner des conséquences extrêmement dangereuses, extrêmement regrettables.
Les fabricants déclarent : « On ne pouvait pas savoir ! » Cela ne manquera pas d'ouvrir un contentieux d'une ampleur considérable - ce dont tout avocat peut se réjouir. Bien entendu, je dis cela pour plaisanter, parce que les avocats n'ont pas le goût du contentieux pour le contentieux.
Il y aura des expertises et des contre-expertises. Il faudra rechercher quel était l'état de la science et l'état de la connaissance à l'époque des faits.
Sachez à ce propos que l'on discute déjà du point de savoir s'il s'agit de l'état de la science au plan local, ou au plan européen, ou au plan mondial. Une communication faite dans tel congrès de savants à Sydney et signalant un danger met-elle fin à l'ignorance du risque ou pas ?
Ayez en outre bien présent à l'esprit le fait que les recherches dans les technologies avancées sont l'oeuvre de professionnels et qu'elles sont donc naturellement couvertes par le secret professionnel.
Nous avons ainsi le souvenir de l'accident d'un avion, dont je préfère ne pas citer la marque, au-dessus d'Ermenonville. On a découvert que la porte arrière de cet avion ne tenait pas. Mais les Américains, qui ont eu accès à des quantités d'informations, ont aussi découvert que des responsables de la firme savaient parfaitement, et ce depuis longtemps, que la porte de la soute avait une défaillance et qu'un agent spécial était chargé de la surveiller en vol !
Mais le rapport qui signalait ce danger était dans le fond d'un tiroir ! Il était couvert par le secret professionnel.
M. Claude Huriet. Ce n'est pas cela l'exonération pour risque de développement !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est autre chose !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est la même situation, mais ce n'est effectivement pas un cas de risque de développement !
M. Philippe Marini. Amalgame !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Non, je ne pratique pas l'amalgame ! Mais faites un effort pour bien me comprendre !
Le problème de fond, c'est l'accès aux informations. La question porte en grande partie sur le point de savoir si le producteur savait ou s'il ne savait pas.
En parallèle, monsieur Marini, pour ce qui est du risque de développement, je veux dire que l'accès aux informations est en grande partie couvert par le secret professionnel, que ce ne sont pas toujours des documents publics qui permettent de révéler tel ou tel danger éventuel, potentiel.
Vous mesurez donc la difficulté des expertises, en particulier pour les premières victimes qui seront demanderesses.
Il est déjà difficile pour une firme, pour un producteur d'apporter une telle preuve. Mais que dire de la victime qui est quelquefois, voire le plus souvent, une personne très modeste. Demain, cela pourra être vous ou moi. En effet, aucun d'entre nous n'échappera à ce genre de risques. Il est peut-être bon de le savoir.
Ouvrir un tel contentieux d'une manière tellement officielle, ce n'est pas souhaitable, selon moi.
Enfin, je tiens à présenter quelques observations à ceux qui se rassurent et qui nous rassurent en disant : « Ne vous inquiétez pas ! Pourquoi faites-vous un aussi long discours ? Rassurez-vous, puisque, de toute façon, le droit actuel reste en vigueur. Donc, au bout d'un certain temps - à supposer que la prescription ne soit pas acquise ; mais le délai est assez court, je vous le signale ! - on pourra toujours dire que l'on change de voie, que l'on fait marche arrière, que l'on revient à l'aiguillage pour engager une nouvelle action sur le fondement du droit français classique. A ce moment-là, on ne se heurtera pas à l'exonération ! »
Mais, mes chers collègues, le droit français classique résulte de la jurisprudence ! Il a été discuté, il est discuté, il est fixé. Or, à partir du moment où l'on introduit dans notre droit écrit un principe selon lequel le risque de développement est exonératoire, il est bien évident - et je crois que c'est la pensée profonde des collègues avec lesquels je ne suis pas en accord - que la jurisprudence sera obligée d'évoluer.
En effet, une construction jurisprudentielle ne peut pas tenir très longtemps devant un texte de loi. Les plaideurs feront remarquer qu'il n'est pas possible que, dans une voie, on leur dise qu'il n'y a pas d'exonération et que, dans l'autre voie, il y en a une !
Le droit jurisprudentiel tient d'autant moins devant le droit normatif qu'il résulte des consignes de la Cour de justice européenne et des orientations de la Cour de cassation que, une fois qu'une directive est introduite - c'est maintenant un principe dont les premiers effets sont enregistrés, y compris dans le domaine dont je parle et avant même que la directive ne soit transposée - la jurisprudence commence à se relire elle-même à la lumière de la directive.
La jurisprudence est donc entrée dans une évolution qui, me semble-t-il - cela prendra du temps et demandera beaucoup de litiges et bien des procès ; mais est-ce souhaitable ? je pose une fois encore la question - risque d'aboutir à la disparition des décisions protectrices actuelles.
Et nous aurions donc aujourd'hui établi un principe général : l'exonération pour risque de développement !
La commission des lois est consciente de ses responsabilités, consciente du fait qu'il s'agit d'un débat dont la portée dépasse ce que nous croyons. Elle sait par ailleurs que le monde du droit de la responsabilité, français et étranger, est extrêmement attentif à ce que nous disons. Le rapporteur que je suis est donc obligé d'être très complet. Ensuite, chacun prendra ses responsabilités.
Ce point, l'exonération pour risque de développement, est d'une très grande importance. Selon nous, il ne faut pas inscrire au fronton de notre droit de la responsabilité que, dès lors qu'on ne pouvait pas savoir, on n'est pas responsable de ce qu'on a fait.
La formule « ne pas pouvoir savoir » est quelque peu incertaine. Elle sera ressentie - il faut en être bien conscient - comme une provocation non pas seulement par les défenseurs des victimes, mais aussi par les juristes en général. Etant donné la construction juridique de notre droit, poser un tel principe relève de la régression morale, selon la conception libérale qui nous anime les uns et les autres.
Défendre cette position ne signifie pas que nous ignorions - je le disais tout à l'heure, et je vais en revenir à mon point de départ - les éléments positifs de l'argumentation présentée par certains de nos collègues, notamment par M. Calmejane et par nos collègues médecins. C'est vrai qu'un problème se pose et que nous ne pouvons l'ignorer.
Mais, j'en reviens à mon exposé général que certains de mes collègues n'ont peut-être pas pu entendre : il existe une solution et elle figure dans la proposition de loi.
Le texte n'est pas fermé à la prise en compte du risque de développement. Il n'institue pas une responsabilité absolue. Il ne prévoit pas que vous serez garanti contre tout dommage. La garantie ne joue que lorsque le produit est défectueux.
En effet, aux termes de l'article 5 de la proposition de loi, l'article 1386-4 du code civil dispose : « Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
« Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation. »
Il est bien évident que la formulation « la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre », sécurité qui est appréciée en fonction du moment de la mise en circulation, répond, précisément, à notre souhait commun, c'est-à-dire qu'il existe une certaine possibilité de prise en compte du risque du développement.
Je peux d'ores et déjà vous dire que la doctrine - j'ai eu connaissance, en effet, de la nouvelle édition de l'ouvrage de responsabilité civile, le classique des professeurs Ghestin et Viney - signale que cette rédaction permet à un juge saisi d'un cas concret de dire : « Etant donné la date à laquelle l'accident s'est produit, vous ne pouvez pas être indemnisé parce que vous prétendez à une sécurité » - je rejoins là, me semble-t-il, tout à fait vos préoccupations - « à laquelle on ne peut pas légitimement s'attendre. »
Cette formulation me paraît bonne. Elle a été introduite dans notre droit par la loi de 1983 et elle figurait déjà dans la convention de Strasbourg de 1977. Elle permet précisément au juge de tenir compte de l'argumentation que l'on peut tirer du risque de développement.
Je formule une appréciation personnelle : en tant que praticien du droit, j'estime que c'est une bien meilleure voie, un dispositif bien plus efficace que celui qui consiste à ouvrir une porte au juge et à lui laisser le soin de savoir s'il veut ou non l'emprunter.
Selon moi, c'est une voie beaucoup plus raisonnable que celle qui consiste à imposer au juge de prendre en compte l'exonération pour risque de développement.
Je parle là compte tenu de mon expérience personnelle, et ceux qui ont la même expérience que moi voient sans doute bien ce que je veux dire, parce qu'ils connaissent bien les juges.
En inscrivant dans la loi l'exonération pour risque de développement, nous faisons fausse route. Avec cet effet d'affichage, nous faisons une erreur, parce que tout juge pourra toujours dire que la preuve que le producteur ne savait pas n'est pas suffisamment rapportée.
Nous devons chercher à être efficaces. Nous sommes tous soucieux, je pense, d'aboutir à une solution satisfaisante. Or tel juge qui n'admettra pas le principe général d'irresponsabilité admettra que, dans l'appréciation de la sécurité à laquelle chacun de nos concitoyens peut légitimement s'attendre, il se trouve en présence d'une victime exigeant une sécurité à laquelle elle ne pouvait pas légitimement s'attendre.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission des lois vous invite à voter cet amendement n° 8. Vous choisissez ainsi la voie qui nous paraît la mieux fondée au plan des principes et, j'en suis convaincu, la plus efficace au plan de la pratique.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux, pour défendre l'amendement n° 25 rectifié et pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 8 de la commission.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, je préfère, si vous le voulez bien, répondre aux arguments utilisés par M. le rapporteur pour présenter l'amendement n° 8. Ainsi les raisons qui ont conduit le Gouvernement à déposer l'amendement n° 25 apparaîtront-elles évidentes.
Nous sommes, vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, au coeur du débat.
La commission des lois souhaite exclure, en toutes circonstances, le risque de développement comme cause d'exonération de la responsabilité du producteur.
Le Gouvernement considère que la situation est beaucoup plus complexe.
Je tiens à souligner d'emblée que je suis évidemment sensible à la démarche de votre rapporteur, qui ne veut pas voir régresser le droit des victimes à être indemnisées et que le Gouvernement partage bien évidemment son souci.
En l'état actuel de notre droit positif, je le répète, les victimes bénéficient d'une garantie de sécurité absolue, garantie qui n'est pas susceptible d'être battue en brèche par le caractère indécelable du vice.
Cette garantie, je le rappelle, continuera à s'appliquer dès lors que la victime se placera sur le terrain du droit national.
Mais je n'ignore pas non plus que le fait de consacrer d'une manière générale dans la loi la responsabilité pour « risque de développement », et ce quels que soient le produit et l'ampleur de ses conséquences dommageables, va placer les entreprises dans une situation plus difficile que celle qui est actuellement la leur pour obtenir des assureurs une couverture suffisante.
Je ne voudrais pas que la consécration législative d'une responsabilité générale pour risque de développement ait un effet contre-productif en rendant plus aléatoire la possibilité d'une indemnisation effective par manque de solvabilité.
J'attire l'attention sur ce point, parce que ce risque me semble en effet non négligeable.
Nous savons tous que les entreprises d'assurance se montrent extrêmement réticentes pour couvrir ce type de risque. En effet, tout le métier de l'assurance consiste à couvrir des risques évaluables. La probabilité du risque est calculée ; elle permet l'établissement du tarif et le calcul de la prime égale au pourcentage de risque de réalisation d'un sinistre.
Dès lors que le risque ne peut pas être déterminé, et c'est le cas du risque sériel, il ne peut y avoir d'assurance, sauf si la loi oblige les fabricants à prendre une assurance, ce qui suppose, comme en Allemagne, un plafonnement de l'indemnisation. Mais je ferai observer qu'en Allemagne l'indemnisation est plafonnée et, de surcroît, le prix du médicament est libre.
M. Claude Huriet. Voilà !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je crois que nous ne pouvons pas, s'agissant du risque dont nous parlons, raisonner de manière absolue et globale, comme le fait la commission des lois, sauf à ne pas prendre en compte les réalités économiques.
La question qui nous est posée appelle par conséquent une réponse nuancée.
J'ai bien conscience qu'aucune solution ne pourra être pleinement satisfaisante. Mais je crois que c'est en ne sacrifiant ni les droits des victimes ni les intérêts de nos entreprises face à la concurrence que nous opérerons un choix réaliste, acceptable et durable.
Le Gouvernement vous propose - j'ai déposé un amendement en ce sens - de ne pas faire de l'exonération pour risque de développement une cause générale d'exonération. Je vous propose, en revanche, de l'exclure pour les nouveaux risques sériels liés à l'utilisation des éléments du corps humain, des produits qui sont issus de celui-ci et, plus généralement, des produits de santé, c'est-à-dire les médicaments, les dispositifs médicaux et les réactifs de laboratoire.
Pourquoi une telle exception ?
Une obligation de sécurité absolue doit être formellement inscrite dans les textes concernant ces produits en raison des caractéristiques qu'ils présentent : d'abord, l'ampleur des préjudices qu'ils sont susceptibles d'engendrer donne une dimension sociale particulière à la question que poserait à leur égard l'exonération du risque de développement ; ensuite, leur nature spécifique fait que le risque zéro n'existe pas pour eux, malgré les progrès de la science - c'est là, évidemment, un point très important - enfin, ils touchent à la santé publique, domaine pour lequel chacun se sent à l'évidence, profondément concerné et dans lequel notre pays a connu, au cours des années passées, un certain nombre de drames qui sont encore présents dans les esprits et que je rappelais dans mon discours d'introduction : ceux du distilbène, du VIH, de l'hépatite C et de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Par conséquent, il n'est pas possible, pour des risques de ce type, d'inscrire dans nos textes un principe de non-responsabilité.
Pour les autres produits soumis à l'exonération pour risque de développement, je souligne que le régime proposé ne présentera pas les inconvénients que redoute M. le rapporteur.
D'abord, la victime aura toujours le choix, conformément à l'article 19 de la proposition de loi, d'opter pour les régimes traditionnels du droit français excluant toute exonération. Rien ne sera donc changé par rapport à la situation actuelle.
Par là même, et en deuxième lieu, la victime n'aura pas à craindre les actions dilatoires du producteur sur la détermination de l'état des connaissances scientifiques ou le recours intempestif à des mesures d'instruction, puisque, en tant que défendeur à l'action, il n'appartiendra pas à celui-ci de se placer sur le terrain de la directive.
A supposer, en troisième lieu, que la victime choisisse ce régime, l'ensemble de la charge de la preuve reposera sur le producteur, et cette preuve sera d'autant plus difficile à établir qu'il s'agira pour le producteur de prouver un fait négatif, à savoir son impossibilité de connaître le vice.
A l'inverse, si l'exonération est admise pour les risques dits de type traditionnel, il ne sera pas possible aux entreprises d'invoquer les problèmes concurrentiels par rapport à leurs partenaires européens - qui ont majoritairement, je le rappelle, retenu l'exonération - ou des difficultés de solvabilité liées aux réticences des assureurs.
En définitive, la solution que je propose consiste à ce que chacun fasse finalement un pas l'un vers l'autre pour essayer de trouver la solution la plus équilibrée possible, le Sénat en renonçant à consacrer de manière législative un principe de réparation absolue, sans prendre en compte les limites financières des systèmes d'indemnisation, le Gouvernement en se ralliant à un mécanisme de responsabilité irréfragable dans les cas de risque majeur.
C'est précisément parce que je ne peux adhérer à la suppression proposée par la commission des lois que j'ai déposé un amendement n° 25 rectifié opérant une telle distinction.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 25 rectifié ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je voudrais que le Sénat se prononce d'abord sur l'amendement n° 8 de la commission. En effet, s'il était adopté, l'amendement n° 25 recitifié tomberait.
M. le président. Monsieur le rapporteur, dans le cas d'une discussion commune, il n'est pas possible de mettre aux voix un amendement sans avoir préalablement entendu l'avis de la commission sur les autres amendements.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je vous prie de m'excuser, monsieur le président, mais je n'ai pas la même expérience que vous !
Pour les raisons qui font corps avec la position générale de la commission - qui souhaite exclure le risque de développement comme cause d'exonération de la responsabilité du producteur - nous préférons notre amendement de suppression de cette cause d'exonération à l'exception proposée par le Gouvernement.
La commission ne peut donc qu'être défavorable à l'amendement n° 25 rectifié du Gouvernement, sauf si l'amendement n° 8 n'était pas adopté, l'amendement du Gouvernement devenant alors un amendement de repli.
La commission proposerait dans ce cas d'ajouter aux produits de santé les produits alimentaires. Pour les mêmes raisons que celles qui ont été développées tout à l'heure, ce qui me dispensera de revenir sur l'argumentaire, il nous semble qu'il faut à tout prix mettre à l'abri de cette exonération les produits alimentaires.
Je regrette de faire sourire mon collègue M. Marini et quelques autres. J'espère qu'il ne leur arrivera jamais de manger quelque chose de fâcheux pour leur santé !
M. Philippe Marini. Je vous remercie !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. M. Marini me permettra néanmoins d'avoir ce souci. Il s'agit d'autant moins d'une plaisanterie par les temps qui courent que l'une des grandes inconnues du monde d'aujourd'hui est bien l'alimentation, laquelle est devenue de plus en plus artificielle et recèle des risques aussi dangereux que les médicaments. C'est pourquoi il me paraît souhaitable d'exclure aussi les aliments.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 8.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je conçois fort bien la logique de la commission des lois, mais il faut alors l'appliquer à l'article 13. En effet, il n'y a pas d'intérêt à exclure le risque de développement si les autres régimes de droit de la responsabilité subsistent.
Mme le garde des sceaux l'a très bien expliqué, il n'y a pas, pour les justiciables français, diminution des garanties apportées par la jurisprudence.
Monsieur Fauchon, je vous le dis franchement, je ne regrette pas que le droit de la responsabilité en France soit jurisprudentiel. C'est même une des caractéristiques de notre droit. Au lieu de faire beaucoup de lois pour tout prévoir, il vaudrait mieux conserver les grands principes retenus par le code civil en matière de responsabilité et, ensuite, développer une jurisprudence qui, elle, est fixée.
M. Jean-Marie Girault. Oh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Je ne pense donc pas que ce soit une amélioration d'être obligé de se battre sur un mot et ensuite de vouloir tout prévoir, comme on tente de le faire à l'occasion de la transposition de directives. Je pense, monsieur Fauchon, que vous serez d'accord avec moi ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je suis tout à fait d'accord avec vous, mon cher collègue, mais il faut bien transposer !
M. Jean-Jacques Hyest. Dès lors que l'on admet le droit de la responsabilité pour risquer l'obligation de sécurité, il faut admettre le risque de développement et l'exonération de responsabilité.
Effectivement, on ne connaît pas encore bien le risque de développement : pratiquement tous les cas que vous avez cités se rapportent à la santé ; ce sont des cas nouveaux, des risques tellement importants qu'ils vont se répercuter sur l'ensemble des producteurs, et les assureurs ne pourront pas assurer parce qu'on n'assure pas ce qui n'est pas prévisible. Par conséquent, soit les tarifs d'assurance vont augmenter dans des proportions considérables, soit il n'y aura pas d'assureurs et il faudra alors se tourner vers la collectivité !
Il faut donc prévoir le risque de développement. Mais le domaine de la santé étant un domaine sensible, peut-être faut-il y renoncer ?
M. Claude Huriet. Au contraire !
M. Jean-Jacques Hyest. D'une manière générale, je pense qu'il ne faut pas supprimer l'exonération, d'autant que, pour un certain nombre de cas, on oublie souvent qu'il y a aussi le cinquième alinéa de l'article 12, qui porte sur tout ce qui est soumis à autorisation. J'ajoute que, dans un certain nombre de domaines, les autorisations n'ont pas toujours été exhaustives.
Bref, la proposition de loi telle qu'elle avait été élaborée sur l'initiative de Mme Catala était équilibrée. Supprimer une chose et garder l'autre, cela n'a pas de sens, cela déséquilibrerait complètement tous ceux qui entreprennent et n'apporterait pas de garanties supplémentaires au justiciable, bien au contraire.
M. Robert Calmejane. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Calmejane.
M. Robert Calmejane. Avant mon explication de vote proprement dite, je tiens à redire à M. le rapporteur, qui a évoqué l'attitude des industriels depuis vingt ans, le paragraphe que j'avais cité dans la discussion générale : « Jusqu'à aujourd'hui, aucun industriel n'a agi dans ce sens, car il considérait que, tôt ou tard, nous serions obligés de nous conformer au droit communautaire, donc à l'application de la directive de 1985. Mais qu'adviendra-t-il demain si nous supprimons la clause d'exonération ? » Voilà le problème.
Comme il a été dit, nous voici au coeur du débat relatif à la transposition de la directive communautaire du 25 juillet 1985 en droit français.
L'une des caractéristiques de la proposition de loi soumise à notre examen, et assurément l'un de ses mérites, est de maintenir les deux régimes de responsabilité : celui que nous connaissons aujourd'hui en droit français et celui, qui est un peu différent, qui ressort de la directive européenne.
Ce cumul des responsabilités doit rassurer les personnes qui seraient inquiètes des modifications apportées par cette directive. Celle-ci introduit une notion de responsabilité objective et aboutit en conséquence à une responsabilité de plein droit du producteur si un dommage a été causé par un défaut de son produit.
Certes, la notion d'exonération pour risque de développement constitue une première dans le droit français, mais elle n'est pas pour autant préjudiciable aux victimes.
Sa suppression, comme le suggère la commission des lois, ferait peser sur les industriels une insécurité juridique dont les conséquences seraient très dommageables.
En premier lieu, elle handicaperait nos fabricants par rapport à leurs concurrents européens, puisque seuls l'Espagne et le Luxembourg ont refusé la cause d'exonération pour risque de développement.
Nous constaterions à terme des effets négatifs sur la recherche, plus particulièrement sur la recherche appliquée, car tout produit nouveau peut présenter un risque potentiel, inappréciable à son origine.
Sur le plan économique, l'investissement et l'emploi seraient menacés par la tentation des grands groupes de délocaliser, comme ils le font déjà pour échapper à la législation américaine.
Enfin, les PME et les PMI, nombreuses dans notre pays, se verraient bridées dans leur activité par l'impossibilité de s'assurer contre les risques encourus et leur mise en péril en cas de condamnation.
Cette situation, insoutenable sur le plan économique, ne garantirait pas l'indemnisation des victimes éventuelles, démunies face à l'insolvabilité des fabricants.
Les assurances refusant de couvrir des sinistres non évaluables a priori , les entreprises devraient seules supporter des risques qu'elles n'ont pas les moyens scientifiques et techniques de connaître ni de maîtriser.
Sans le maintien de cette cause d'exonération pour risque de développement, la proposition de loi irait à l'encontre du droit communautaire, lequel a reconnu la nécessité de sauvegarder une exonération éventuelle du fabricant en établissant que « ne pas tenir compte des possibilités réelles de connaissance du producteur eût été irréaliste et déraisonnable et reviendrait à nier l'accessibilité des connaissances au moment de la mise en circulation ».
Par ailleurs, la suppression de la cause d'exonération irait à l'encontre du but recherché qui est d'assurer une indemnisation des victimes de dommages résultant de produits défectueux en rendant impossible toute couverture de ce risque.
Pour toutes ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir vous en tenir au texte de la proposition de loi, qui réalise un juste équilibre des intérêts de chaque partie.
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. L'un des problèmes importants que soulève cette proposition de loi est la possibilité ou non d'assurer le risque de développement.
Il se trouve que je représente le Sénat au sein du Conseil national des assurances et, à ce titre, je me suis livré à une petite enquête. J'ai interrogé un certain nombre de responsables et de représentants de la profession.
Voici, mes chers collègues, le résultat de cette démarche.
Il est souvent avancé que les contrats d'assurance de responsabilité civile n'excluent pas le risque de développement, ce qui conduit à reconnaître qu'il est assurable et effectivement assuré.
Mais cette observation donne, me semble-t-il, une idée fausse sur la problèmatique du risque de développement au regard de l'assurance. Celle-ci mutualise des risques quantifiables dont on peut connaître a priori la fréquence et le coût, ce qui correspond, ainsi que l'a rappelé Mme le garde des sceaux, à la base même de l'opération d'assurance.
A l'inverse, les risques inconnus, imprévisibles en l'état actuel des connaissances techniques et scientifiques, échappent en principe à toute possibilité de mutualisation par l'assurance, puisque le coût du risque est, par définition, impossible à chiffrer.
Prenons l'exemple des contaminations par transfusion sanguine. Le montant des primes qu'il aurait fallu percevoir dans les années quatre-vingt pour indemniser les conséquences du risque de développement qui s'est ensuite révélé aurait dû être, me dit-on, au moins mille fois supérieur à celui qui a été effectivement perçu, c'est-à-dire de l'ordre du chiffre d'affaires total des centres de transfusion sanguine. Il s'agissait bien d'une impossibilité économique !
Avant ce dossier tristement célèbre, les assureurs français n'étaient pas concrètement confrontés au problème du risque de développement. En effet, la jurisprudence retenant une responsabilité dans cette hypothèse était rarissime et n'avait pas de répercussions financières majeures sur l'assurance. Cette jurisprudence était d'ailleurs nuancée, nombre de décisions écartant la responsabilité lorsque le producteur ne pouvait prévoir et déceler le défaut du produit.
La réaction des assureurs, après les premières décisions retenant la responsabilité d'établissements hospitaliers ou de centres de transfusion sanguine alors même que le virus du sida était indétectable au moment de la transfusion, a été rapide : dès 1992, les assureurs ont exclu expressément le risque de développement dans le contrat couvrant les centres de transfusion sanguine. S'il faut une démonstration, je crois que la voilà !
Les contrats d'assurance spécifiques couvrant les risques de responsabilité liés aux atteintes à l'environnement comportent maintenant l'exclusion du risque de développement. C'est ce qui m'a été dit, et je pense qu'il s'agit bien d'une réalité factuelle.
Devant l'évolution, préoccupante pour eux, que marque la proposition de loi que nous examinons, les assureurs envisagent de généraliser l'exclusion du risque de développement dans les contrats d'assurance.
La question est compliquée en France par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui, depuis 1990, impose à l'assureur de responsabilité de donner une garantie dont la durée est identique à celle de la responsabilité encourue : c'est l'impossibilité de limiter l'engagement de l'assureur dans le temps.
Si les assureurs, qui ont l'impérative obligation à l'égard de leurs assurés de préserver les équilibres financiers afin de faire face à leurs engagements, se trouvaient devant des règles de responsabilité compromettant la sécurité financière de l'opération d'assurance, il faudrait s'attendre à ce que les garanties d'assurance de responsabilité civile ne soient plus délivrées ou qu'elles le soient avec des plafonds de garantie extrêmement bas.
Ainsi, le souci de protection intégrale de la victime, qui inspire, à juste titre, notre rapporteur, pourrait paradoxalement aboutir à une impossibilité d'assurer et donc pourrait priver les victimes d'une indemnisation effective.
Je crois, mes chers collègues, qu'il faut tenir compte de cette réalité économique du secteur de l'assurance, et c'est une raison supplémentaire, après toutes celles qui ont été excellement exposées, pour ne pas, hélas ! être en accord, cette fois-ci, avec la proposition formulée par la commission des lois.
M. Claude Huriet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Madame le garde des sceaux, outre le fait que vous n'avez pas répondu à mes interrogations concernant l'application de l'article 15 de la directive relatif à la communication préalable à l'information des Etats membres, je dois vous dire que je ne comprends pas la position du Gouvernement sur le problème dont nous sommes en train de débattre, alors que je comprends, sans l'adopter, la position excellemment défendue par mon collègue et ami Pierre Fauchon.
Je conçois en effet que l'on puisse refuser d'appliquer l'exonération au nom des principes développés à l'instant par M. le rapporteur. Mais que l'on accepte le principe de l'exonération en excluant les médicaments et les produits de santé, cela n'est pas pour moi explicable !
En effet, il s'agit d'un domaine dans lequel l'innovation est nécessaire, pour la santé de la population. Elle est source de progrès, personne ne peut le contester. A contrario, vous laissez dans le champ de l'exonération des produits qui ne font pas l'objet d'un encadrement aussi rigoureux et qui ne jouent pas un rôle aussi important pour nos concitoyens.
Il y a donc quelque chose de contradictoire dans votre argumentation d'autant que, pour défendre l'amendement n° 25 rectifié, vous avez fait référence à plusieurs reprises aux médicaments pour en reconnaître les spécifités. Je m'attendais donc à ce que vous retiriez cet amendement, ce que vous n'avez pas fait.
Madame le ministre, monsieur le rapporteur, pourquoi imaginer que l'exonération inciterait les professionnels à faire preuve de moins de vigilance ? C'est leur faire une sorte de procès auquel je ne peux m'associer.
Pourquoi en outre imaginer que l'exonération de la responsabilité des producteurs conduise à une non-indemnisation des victimes de drames tels que ceux que nous avons connus ?
Comme je l'indiquais dans la discussion générale, les produits de santé font l'objet, en France en particulier, mais aussi dans d'autres Etats membres, de mesures de plus en plus draconiennes et rigoureuses. Si elles ne l'étaient pas, il faudrait prononcer des sanctions. Mais si elles le sont, tirons-en les conséquences.
Monsieur le rapporteur, vous avez invoqué le statu quo. Mais dois-je rappeler que le statu quo n'existe plus, dans la mesure où, transposant la directive à leur façon, les Etats membres ont plus ou moins appliqué la cause d'exonération ?
Vous avez cité un certain nombre d'exemples, tels que celui du sang contaminé ou de l'hormone de croissance.
Mais ce sont d'excellents exemples, monsieur le rapporteur, car ils se situent en dehors des conditions législatives et réglementaires, qui - hélas - ont été mises en place a posteriori.
La position que je continue de défendre consiste donc à souligner qu'en France des dispositions très rigoureuses régissent l'autorisation de mise sur le marché et qu'il faut en tirer les conséquences.
De surcroît, madame le ministre - vous l'avez dit - dans le domaine des produits de santé et, plus précisément, dans le domaine du médicament, la sécurité absolue n'existe pas. Et pourtant il faut reconnaître que l'innovation est nécessaire. Nous sommes donc bien confrontés à un véritable dilemme.
Comment sortir d'une telle situation sans évoquer la notion de bénéfice-risque ? Je reprocherai amicalement à M. le rapporteur de ne pas avoir évoqué ce point dans son argumentation à propos des produits de santé et du médicament.
Mon cher collègue, dans un domaine comme celui-là, où le concept de progrès est primordial, on ne peut faire abstraction de cette notion, sauf, au nom du principe de responsabilité appliqué de façon perverse, à limiter les efforts d'innovation,...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je l'ai reconnu !
M. Claude Huriet. ... avec toutes les conséquences que cette attitude peut entraîner.
Avant de terminer mon intervention, je me permettrai de vous donner lecture d'un court extrait de « La Lettre de la santé »...
M. le président. Monsieur Huriet, vous avez pratiquement épuisé votre temps de parole !
M. Claude Huriet. Oui, mais je n'en aurai plus besoin après !
M. le président. Peut-être, mais vous aviez droit à cinq minutes, pas plus ! Concluez rapidement, je vous prie !
M. Claude Huriet. Il y a trois pages, je ne lirai qu'un court paragraphe ! (Sourires.)
M. le président. Ce sera plus compatible avec le règlement ! (Nouveaux sourires.)
M. Claude Huriet. Merci de votre tolérance, monsieur le président.
Voici donc l'extrait de La Lettre de la santé que je veux porter à votre connaissance, mes chers collègues :
« Il est intéressant de noter que l'Etat de Californie, qui est l'un des plus libéraux en matière de responsabilité civile du fait des produits, et qui est à l'origine de l'application de la responsabilité sans faute, s'est refusé à appliquer celle-ci à l'industrie pharmaceutique dans le cadre des médicaments sur prescription dès lors que le médicament ne présentait aucun défaut de fabrication [...] Il a en effet été tenu compte des répercussions des coûts d'assurance sur ceux de la recherche et développement, et donc sur le coût final pour le consommateur de l'application de ce type de responsabilité. »
Je ne peux pas développer plus avant mon argumentation, mais vous comprendrez, mes chers collègues, que je ne puisse voter ni l'amendement de la commission ni celui du Gouvernement.
M. Jean-Marie Girault. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Girault.
M. Jean-Marie Girault. J'ai suivi la discussion de ce texte en commission des lois et, bien sûr, aujourd'hui en séance publique.
Ce matin, je donnais clairement raison à notre collègue Jean-Jacques Hyest sur les notions de produit défectueux et de responsabilité avec ou sans faute, ce qui m'a amené à émettre un vote contraire à celui du rapporteur. Heureusement, il ne m'en a pas voulu ; il disait tout à l'heure qu'après tout le vote acquis n'était pas si mauvais.
Dans le débat présent, je suis cette fois du côté du rapporteur.
Je ne savais pas trop, en entrant dans l'hémicycle, si j'allais maintenir la conviction qui m'était apparue en conscience lors des délibérations de la commission. Eh bien si ! Je n'ai pas changé d'opinion.
En effet, comme l'a dit notre collègue M. Fauchon, l'article 1386-4, qui dispose : « Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre », est fondamental.
Et là je reprendrai, mais en les utilisant dans un sens inverse pour appuyer mon vote, les propos que tenait M. Hyest : de grâce, laissons faire la jurisprudence ! Nous vivons une époque détestable, où l'on passe son temps à créer des catégories de responsabilités. Plus on énonce, plus on oublie, plus on complique la fonction jurisprudentielle, sans parler de la tâche des avocats et des conseils juridiques !
Au demeurant, on ne peut pas dire que, dans le domaine qui nous occupe aujourd'hui, soient intervenues des décisions scandaleuses, qui justifieraient une réforme législative. Laissons donc les juges apprécier les cas d'espèce !
C'est pourquoi je maintiens mon ralliement à la proposition de M. Fauchon. Ne laissons pas entendre - on ne veut pas le laisser entendre paraît-il, mais c'est ce que le texte implique - que, après la mise sur le marché d'un produit nouveau, auquel sera faite la plus grande publicité, il faudra ensuite que le consommateur prouve qu'il a acquis un produit qui lui a causé préjudice, le producteur pouvant alors rétorquer : « Ah ! mais on ne savait pas que... ».
L'expression : « lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre » est suffisamment explicite.
Encore une fois, laissons donc faire l'exercice jurisprudentiel !
Tout à l'heure, j'entendais dire qu'on n'allait plus oser produire ou imaginer. Rassurez-vous, mes chers collègues ! Les chercheurs, qui ont pour mission de découvrir de nouveaux médicaments, d'imaginer de nouveaux produits, trouveront toujours le moyen de vendre les fruits de leur intelligence, de leur génie à des sociétés commerciales, qui feront grand cas de ces nouveaux produits à proposer au public.
M. Claude Huriet. En France de préférence !
M. Jean-Marie Girault. Peut-être ! Mais je vous signale que le présent débat a déjà eu lieu lorsqu'il s'est agi d'élaborer la directive européenne puisque l'article qui est évoqué ouvre une option : on a entendu, sur ce point, laisser aux Etats membres le soin de décider. Il y avait bien des raisons à cela !
Et pour ce qui est des assureurs, là aussi, rassurez-vous : les groupes d'assurance sauront toujours dire qu'ils peuvent couvrir le risque du développement.
M. Claude Huriet. A quel prix !
M. Jean-Marie Girault. C'est la raison pour laquelle je voterai le texte que nous propose la commission. Si par malheur il était rejeté, je voterais, bien entendu, le texte du Gouvernement.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je ne répondrai pas dans l'immédiat aux observations de mon collègue Claude Huriet, qui portent sur la question des médicaments. Ce sujet aura davantage sa place lorsque nous aborderons l'examen de l'amendement du Gouvernement, si toutefois nous sommes conduits à en parler. A cet égard, je dois, bien sûr, être extrêmement prudent dans mes prévisions ! (Sourires.) Ainsi que M. Jean-Marie Girault l'a fort bien dit en une formule à la remarquable concision, il n'est pas besoin de s'inquiéter : les assureurs trouveront toujours le moyen d'assurer.
M. Claude Huriet. A quel prix !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Monsieur Marini, vous avez cité un long texte. J'ai l'habitude de ce genre de citation et, chaque fois, je demande qu'on me procure une police où ce cas soit expressément exclu. Une police énumère des cas de non-assurance : il y en a même de plus en plus dans les contrats ! Il n'est tout de même pas difficile d'ajouter un énième cas, où il serait précisé que le contrat ne couvre pas la responsabilité civile dans les cas de risque de développement.
Une telle police, aujourd'hui, n'existe pas. Depuis vingt ans, on me dit qu'elle va exister. On me dit : « Attention ! On ve va pas pouvoir tenir ! » Or, depuis vingt ans, on tient ! Et je soutiens même que l'on peut continuer à tenir.
Je signale au passage à M. Calmejane qu'on ne peut pas dire que les professionnels continuent de produire mais qu'ils s'attendent à la transposition de la directive avec la faculté d'exonération pour risque de développement. Cela fait quinze ans qu'ils s'y attendent ! Mais ils ont produit, et tout ce qu'ils ont produit avant la transposition de la directive dans les termes que vous souhaitez leur fait tout de même encourir de sérieuses responsabilités.
Mais surtout, ils ne peuvent pas s'y attendre puisque, lors de la deuxième lecture au Sénat du précédent projet de loi de transposition, je le rappelle, nous avions refusé l'exonération pour risque de développement. En 1992, en commission mixte paritaire, nous avions, je m'en souviens parfaitement, refusé de voter l'exonération pour risque de développement. Alors, qu'on ne dise pas que les professionnels s'y attendent !
Cher collègue Hyest, ne nous dites pas non plus que l'on va déséquilibrer le système qui existe actuellement. Le système actuellement en vigueur fait peser totalement ces risques sur les producteurs, et cela ne les empêche pas de produire, d'être assurés, d'innover, de créer des médicaments ou tous autres produits.
Il est donc tout à fait inexact d'affirmer : « Si vous n'adoptez pas le texte en l'état, on ne pourra plus continuer à innover. » Pourquoi ne pourrait-on pas continuer à faire demain ce que l'on fait depuis des années ?
Car, ce que souhaite la commission des lois, c'est le maintien du droit dans son état actuel, alors que l'Assemblée nationale, elle, veut le modifier. Le facteur de déséquilibre, c'est le texte de l'Assemblée nationale, auquel, semble-t-il, vous êtes favorable, et non pas l'amendement de la commission, qui tend au contraire à rétablir l'équilibre.
Je répète à M. Marini que j'attends avec intérêt de savoir si des polices d'assurance excluent le risque de développement et, dans l'affirmative, dans quels termes.
En vérité, tout cela relève de la menace, presque du chantage. Voilà des années que j'entends cet argument et que je ne vois rien venir. Je finis par penser que la menace n'est pas sérieuse et, surtout, qu'elle n'est pas prise au sérieux par ceux-là mêmes qui la mettent en avant. M. Jean-Marie Girault nous a dit tout à l'heure avec talent ce qu'il fallait en penser.
Si, un jour, on s'aperçoit que l'on ne peut pas assurer ce risque, on créera un système d'assurance obligatoire. Je fais même le pari que, dans les dix ou quinze ans qui viennent, comme on ne pourra pas proclamer l'irresponsabilité face à des périls qui vont grandissants, car il n'y a pas de trimestre qui ne nous en apporte de nouveaux, on créera, ce qui est tout à fait logique, un système d'assurance obligatoire, et tout le monde sera alors unanime pour le créer, car ce sera la bonne solution. J'espère vivre assez longtemps et voir mon mandat suffisamment renouvelé pour pouvoir assister à ce débat. Peut-être pourrai-je même être le rapporteur du texte ! (Sourires.) Madame le ministre, vous dites, vous - et d'autres ont repris cet argument - qu'il faudra introduire des limitations, faute de quoi on ne pourra plus indemniser, à moins de laisser les assurances aller à la déroute.
Mais, encore une fois, pour le moment, tout cela est de l'ordre du fantasme ! Le problème ne se présente pas !
Il est tout de même curieux que les mêmes me disent d'un côté : « On ne peut plus assurer, c'est terrible ! », et, de l'autre côté : « Ne vous inquiétez pas, cette responsabilité pour risque de développement n'est pas couverte dans le droit classique. » Mais alors, pour être logique, on devrait nous demander de transposer la directive dans ce sens et aussi d'étendre le dispositif à notre droit classique. Or on nous affirme que, sur le terrain du droit classique, tout va continuer comme avant.
N'y a-t-il donc pas quelque chose de profondément contradictoire dans les argumentations qui nous sont présentées, car le problème concernant l'assurance se pose de toute façon, quel que soit le vote que, mes chers collègues, vous allez émettre dans quelques instants ?
Vous avez fait allusion, madame le ministre, au plafonnement de l'indemnisation qu'intègre le système allemand. Cela est envisageable, je le reconnais. Sans doute a-t-on effectivement connu certains excès, non pas tant chez nous que dans la jurisprudence américaine. Cela dit, ce sont généralement des décisions de première instance qui sont visées à cet égard, car, en appel, les décisions sont le plus souvent ramenées à une échelle plus raisonnable.
En France, on n'a pas retenu cette option parce qu'elle n'existe pas dans notre tradition juridique. Mais nous n'en sommes qu'à la première lecture : la discussion va se poursuivre et quelqu'un, à l'Assemblée nationale, éventuellement au Sénat, pourra faire une proposition tendant à introduire un système de limitation. Se poserait alors le problème de savoir quelle limitation choisir.
Ce qui me choque dans le système de type allemand, c'est qu'il s'agit d'une limitation globale : on a l'impression que l'on va indemniser les premières victimes assez largement et que, une fois l'enveloppe épuisée, on dira simplement aux victimes suivantes qu'il n'y a plus rien pour elles. Cela me paraît tout de même assez barbare ! Je pense qu'il faudrait instituer une sorte de tarification par accident, de manière à réserver des fonds pour l'indemnisation des victimes qui se révéleraient ultérieurement.
En tout cas, je ne serais pas hostile à un système de limitation. Mais nous avons encore le temps d'étudier sérieusement un point aussi important.
Je conclurai en reprenant ce que disait M. Jean-Marie Girault avec la grande sagesse et la grande expérience qui sont les siennes : ne prononcez pas, mes chers collègues, ce principe général d'irresponsabilité, qui se retournera, on le verra un jour, contre ceux qui l'auront imaginé. Laissez donc, grâce à la notion de sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de la date à laquelle le produit a été mis en service, à la jurisprudence - sa sagesse est certainement supérieure à celle des textes que nous imaginons sans cesse - le soin de résoudre ce problème.
C'est dans cet esprit, et avec le souci d'apporter la plus sage des solutions à ce problème du risque de développement, que je vous demande d'adopter l'amendement de la commission des lois.
Mme Odette Terrade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Souscrivant à l'argumentation aussi pertinente que documentée de M. le rapporteur, nous voterons l'amendement n° 8.
M. Marcel Charmant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant. Nous ne pouvons, sur ce point, suivre M. le rapporteur, pas plus d'ailleurs que Mme le ministre.
Tout d'abord, je le rappelle, le texte actuel prévoit que les dispositions traditionnelles de notre droit sont maintenues. Ainsi, toute victime a la possibilité de choisir entre le dispositif du texte qui nous est soumis et celui qui est déjà en vigueur.
Or, M. le rapporteur le disait lui-même, le système français actuel est très protecteur. La victime n'aura donc aucune difficulté à faire valoir ses droits.
Par ailleurs, introduire une disposition expresse dans notre législation ne permettrait en aucune manière au producteur d'invoquer le risque de développement pour s'exonérer de sa responsabilité.
S'agissant des produits de santé, avec mon collègue François Autain et l'ensemble de mon groupe, je pense qu'ils sont fondamentalement différents des autres parce qu'ils ne peuvent être distribués qu'après obtention par les producteurs d'une autorisation.
M. Jean-Jacques Hyest. Exactement !
M. Marcel Charmant. En outre, il existe un paragraphe 5°, qui permet au producteur d'invoquer les prescriptions qui lui ont été imposées.
J'ajoute que ne pas faire comme nous le propose M. Fauchon ou comme nous le propose le Gouvernement, ce n'est pas ne rien faire. En effet, si nous adoptions l'amendement de M. Fauchon ou celui de Mme le garde des sceaux, nous n'avancerions pas vers une voie où il faudra bien que nous nous engagions un jour, à savoir, dans la perspective de l'indemnisation d'un ensemble de victimes du fait d'un défaut lié au développement d'un produit, celle d'une mutualisation de ce risque.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 8, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Du fait du rejet de cet amendement, M. Fauchon, au nom de la commission, me saisit d'un sous-amendement n° 34, tendant, dans le texte présenté par l'amendement n° 25 rectifié pour compléter l'article 1386-11 du code civil, après les mots : « lorsque le dommage a été causé », à insérer les mots : « par un produit alimentaire, ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je souscris entièrement aux raisons qui ont été invoquées par Mme le ministre. Nous venons de décider que, dans les cas les plus graves, il n'y aurait pas de responsabilité. En effet, on transpose une directive qui est supposée protéger les victimes de produits défectueux, et on leur dit : dans les cas où vous courrez le plus grand risque, eh bien, vous n'aurez pas de protection ! C'est le résumé des dispositions que nous venons - dans notre grande sagesse ! - de voter.
Dès lors, il serait quand même prudent de se ressaisir et de se rendre compte que, pour tout ce qui touche au corps humain, il y a un risque. Et le corps humain, ce n'est pas seulement la santé, c'est aussi l'alimentation !
C'est pourquoi je propose, avec le sous-amendement n° 34, qu'après les mots : « lorsque le dommage a été causé » soient ajoutés les mots : « par un produit alimentaire ».
Nous savons en effet que l'alimentation est, elle aussi, porteuse de risques considérables. D'ailleurs, d'ores et déjà, les intoxications alimentaires ont tendance à se multiplier ; elles ne sont pas toujours graves, mais elles pourraient l'être.
Il y a donc place, dans le domaine de l'alimentation aussi, pour les risques de développement.
M. Jean-Jacques Hyest. Cela n'a rien à voir !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Prenons l'exemple du maïs transgénique, dont nous vivons le développement « en temps réel ». S'il apparaît dans un ou deux ans que le maïs transgénique est porteur de je ne sais quel mal, par exemple, comme on le dit assez souvent, qu'il annule l'efficacité des antibiotiques sur nos organismes, nous serons alors en présence d'un cas concret de risque de développement.
Il est évident que notre alimentation de plus en plus artificielle laissera de plus en plus place à des risques de développement. Or, monsieur Huriet, les sécurités auxquelles vous faites allusion n'existent pas en la matière.
M. Claude Huriet. Ça vient !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. De deux choses l'une, mon cher collègue ! Ou on parle de productions parfaitement sûres, et vous n'avez rien à craindre des risques de développement puisque, par hypothèse, elles sont parfaitement sûres. Ou vous craignez que l'exonération pour risque de développement ne joue pas, et c'est que, intérieurement, vous reconnaissez que, malgré toutes les précautions qui sont prises, il pourrait tout de même arriver malheur.
Ne seriez-vous pas en contradiction avec votre conscience, que je sais aiguë ? Vous dites tantôt qu'il n'y a rien à craindre,...
M. Claude Huriet. Je n'ai pas dit ça !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... tantôt qu'il faut une protection. S'il n'y a rien à craindre, la protection ne servira jamais et, partant, ne saurait vous gêner !
M. Jean-Marie Girault. Il y a aussi les risques dus aux boues d'épandage !
M. le président. S'il vous plaît, n'entamez pas le dialogue !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Les risques sont en effet multiples, et, si j'osais, j'ajouterais aussi l'électronique, pour les raisons que j'ai évoquées tout à l'heure.
Nous sommes des apprentis sorciers : nous quittons ce siècle en créant, en inventant, en innovant, sans nous soucier de ce qui se passera, et, s'il se passe quelque chose, personne ne sera responsable.
Je dis que c'est une folie, et je suis étonné que son habituelle sagesse n'éclaire pas notre assemblée.
Je souhaite que Mme le ministre en tout cas veuille bien émettre un avis favorable sur ce sous-amendement à l'amendement du Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 34 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je tiens, d'abord, à rappeler que le producteur est et sera tenu d'une obligation de sécurité absolue de ses produits.
Le débat qui nous oppose est juridiquement limité au fait de savoir s'il faut ou non afficher dans les textes une jurisprudence constante.
Le Gouvernement a choisi de répondre « oui » pour les éléments du corps humain, les médicaments, les dispositifs médicaux et les réactifs de laboratoire, qui constituent une catégorie particulière de produits, car ils présentent, de par leur origine, leur nature et leur destination, des risques particuliers et, surtout, une symbolique forte, étant destinés à soigner.
Il n'en est pas de même des denrées alimentaires : ce sont des produits d'usage courant, quotidien, tout comme de nombreux biens de consommation.
Il m'apparaît injustifié de frapper un seul secteur industriel de l'économie française d'une suspicion a priori sur la sécurité des produits qu'il commercialise.
Il serait pour le moins paradoxal qu'un fabricant artisanal de fromages au lait cru puisse voir sa responsabilité engagée s'il provoque une intoxication alimentaire en raison d'une nouvelle bactérie jusque-là inconnue alors qu'un fabricant d'amiante verra sa responsabilité exonérée pour risque de développement.
Or votre assemblée a refusé de supprimer d'une façon générale l'exonération pour risque de développement et il serait contradictoire de commencer une énumération dont on voit mal le terme.
J'ajoute que supprimer l'exonération pour risque de développement pour les produits alimentaires n'accroîtra pas en soi la sécurité des consommateurs ni leur protection juridique.
Le consommateur victime s'adressera à son vendeur, l'« épicier du coin », par exemple, sur le fondement de la législation nationale.
D'ailleurs, compte tenu de la multiplication des intermédiaires dans la filière agroalimentaire, il sera dans les faits très difficile de mettre en évidence la responsabilité individuelle d'un producteur, non identifiable immédiatement.
En revanche, une telle disposition posera aux professionnels de ce secteur des difficultés pour contracter une assurance responsabilité civile, la majorité des assureurs refusant de couvrir un risque qu'ils ne connaissent pas.
Le Gouvernement est donc défavorable au sous-amendement n° 34.
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 34.
M. Claude Huriet. Je demande la parole contre le sous-amendement.
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. J'ai trop d'estime et d'amitié pour M. le rapporteur...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Pas assez ! (Sourires.)
M. Claude Huriet. ... pour laisser subsister entre nous quelque malentendu que ce soit.
Je n'ai pas dit, monsieur le rapporteur, qu'il n'y avait rien à craindre en matière de développement s'agissant des produits de santé ou des médicaments. Au contraire...
M. le président. Monsieur Huriet, nous examinons le sous-amendement n° 34 !
M. Claude Huriet. Pour en venir aux produits alimentaires, vous venez, madame le ministre, de vous opposer à ce sous-amendement, et je vous approuve.
Cependant, la raison que vous donnez pour justifier votre opposition m'étonne : il s'agirait, avez-vous dit, de ne pas frapper de suspicion systématique tel ou tel secteur de l'économie. Vous pourriez appliquer ce même principe, auquel j'adhère, à d'autres secteurs et dire, par exemple, qu'on ne doit pas frapper de suspicion systématique de un secteur comme celui des produits de santé et des médicaments.
Pour ma part, je voterai contre le sous-amendement n° 34 !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 34, repoussé par le Gouvernement.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 25 rectifié.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Avant que le Sénat ne se prononce sur cet amendement, je souhaite apporter une précision concernant l'indemnisation en cas de dommage causé par des produits soumis à autorisation.
Dans le système actuel, comme dans celui qui est proposé dans le cadre de la transposition, il n'y a pas d'exonération pour risque de développement pour les produits de santé.
Le titulaire d'une autorisation de mise sur le marché est donc responsable des préjudices causés par son produit même s'il ne pouvait pas en déceler le vice compte tenu de l'état des connaissances scientifiques.
L'article L. 601 du code de la santé publique, relatif à l'autorisation de mise sur le marché des médicaments, dispose : « L'accomplissement des formalités prévues au présent article n'a pas pour effet d'exonérer le fabricant ou, s'il est distinct, le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché de la responsabilité que l'un ou l'autre peut encourir dans les conditions du droit commun en raison de la fabrication ou de la mise sur le marché... "du médicament ou produit". »
Cette rédaction reprend une jurisprudence ancienne, selon laquelle l'autorisation n'exonère pas le fabricant de sa responsabilité. Le même raisonnement doit s'appliquer aux réactifs de laboratoire et aux dispositifs médicaux soumis à autorisation.
Il n'en demeure pas moins que la question ne se posera vraisemblablement pas de la même façon dans le cas de risques sériels dans la mesure où les producteurs auront des difficultés à être couverts par une assurance, exemple tristement illustré par le sinistre du sang contaminé.
C'est pourquoi une réflexion est engagée aussi bien dans le cadre de la proposition relative à la sécurité sanitaire que dans celui de la proposition de loi concernant l'aléa thérapeutique.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Comme je l'ai dit tout à l'heure, la commission souhaite que l'amendement n° 25 rectifié soit adopté.
Je veux seulement faire part à M. Huriet de ma surprise quant à la position qu'il adopte sur ce point particulier, au regard de l'action qu'il mène en général en matière de protection de la santé publique, car c'est bien de cela qu'il s'agit ici.
Si j'ai bien compris, monsieur Huriet, votre thèse est la suivante : l'autorisation de mise sur le marché n'est délivrée qu'après maintes précautions et, dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'avoir de craintes.
Je constate cependant que, par ailleurs, vous avez demandé, et nous vous avons bien volontiers suivi, la création d'offices de veille sanitaire, ce qui me donne à penser que la situation n'est pas si sûre ! En effet, si notre système était tout à fait parfait, il n'y aurait pas lieu de créer de tels offices.
Vous rétorquerez que ces offices - auxquels je suis tout à fait favorable - ont d'autres compétences. J'avais pourtant cru comprendre qu'ils avaient une compétence très générale, qui les amenait à connaître de tous les problèmes, et donc d'éventuelles distributions hasardeuses d'autorisations de mise sur le marché.
Vous avez vanté les mérites du système français et vous avez dit qu'il ne fallait d'ailleurs pas s'inquiéter du fait que l'hormone de croissance n'ait pas reçu d'autorisation de mise sur le marché. Mais nous avons été saisis du cas concret d'un jeune homme de vingt ans décédé par suite de l'administration de cette hormone de croissance !
J'ai tenu à recevoir ici ses parents et j'ai passé avec eux une des heures les plus émouvantes de ma carrière de sénateur.
J'ai aussi appris beaucoup de choses sur la façon de faire dans les hôpitaux : il semble en effet que l'hormone de croissance, bien qu'elle n'ait pas fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché, ait tout de même été administrée. Elle a même tant été administrée à ce jeune homme qu'il a contracté la maladie de Creutzfeldt-Jakob et qu'il en est mort !
Or les victimes, dans ces circonstances, sont déjà pratiquement dépourvues de recours, tant le système est complexe. Qu'adviendrait-il de ces victimes si l'on vous suivait, monsieur Huriet ?
C'est encore une raison pour moi de vous demander de ne pas prêter l'oreille aux sirènes extérieures. Mon cher collègue, entendez plutôt l'appel à la sécurité la plus élémentaire et votez l'amendement du Gouvernement !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 25 rectifié.
M. Claude Huriet. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Monsieur Fauchon, je n'ai pas dit qu'il n'y avait rien à craindre !
Quant à vous, ne dites pas qu'il n'y a pas de protection dans ce domaine où le risque est maximal ! C'est intenter un procès auquel je ne peux pas souscrire.
Nous avons multiplié les précautions, en particulier depuis que sont survenus les drames que vous avez évoqués. Certes, chacun reconnaît qu'il est catastrophique que nous ne soyons pas intervenus à titre préventif. Mais depuis, nous avons su tirer les leçons de ces drames.
Nous disposons maintenant en France, je peux en témoigner, de dispositions législatives et réglementaires d'une rigueur supérieure à celle des dispositions dont se sont dotés nos voisins, qui d'ailleurs commencent à s'inspirer de notre législation.
Je ne dis pas qu'il n'y a pas de risque et donc pas de protections nécessaires ! Je dis que, précisément parce qu'il y a des protections, qu'il faut d'ailleurs sans cesse renforcer, il faudra à un moment donné cesser d'alourdir les responsabilités de ceux qui, de par la loi, mais aussi de par leur propre conscience, ont tout fait pour assurer la garantie maximale.
Je voudrais d'ailleurs que l'on se mette d'accord pour faire le lien - certains d'entre nous l'ont d'ores et déjà fait - entre les risques d'accident, la nécessité d'indemniser les victimes et l'aléa médical, à propos duquel on attend depuis près de dix ans qu'une position soit arrêtée !
M. Philippe Marini. Exact !
M. Claude Huriet. Lorsque nous aurons enfin réglé la question de l'aléa médical, alors, peut-être, ces problèmes que nous abordons avec passion, ce qui est bien normal, auront-ils trouvé une solution qui ira dans le sens de l'équité et qui permettra d'apporter un juste dédommagement aux victimes de l'aléa, lequel veut, par définition, que les responsabilités de tels ou tels ne soient pas déterminées.
Soyons attentifs à concilier ces aspects qui, souvent, semblent difficilement conciliables : d'une part, l'intérêt des victimes et leur juste indemnisation et, d'autre part, le respect dû à ceux qui agissent en toute conscience en vue de permettre le progrès médical et d'assurer la protection maximale aux consommateurs, qui, finalement, sont les bénéficiaires.
M. Marcel Charmant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant. Je remercie Mme le ministre des informations qu'elle nous a apportées.
Notre discussion le montre, nous sommes confrontés à un certain nombre de questions. Vos explications, madame le ministre, sont la preuve que vous avez fait un pas dans le sens de la réponse.
M. Jean-Jacques Hyest. D'un côté !
M. Marcel Charmant. La discussion n'est pas terminée - une deuxième lecture aura lieu - mais pour vous témoigner notre confiance, nous adopterons l'amendement n° 25 rectifié. (Mme le garde des sceaux remercie l'orateur.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 25 rectifié, accepté par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 12, modifié.

(L'article 12 est adopté.)

Article 12 bis