ACCORDS RELATIFS
A` LA QUATRIE`ME CONVENTION
ACP-CE DE LOMÉ

Adoption de trois projets de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion :
- du projet de loi (n° 199, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord portant modification de la quatrième convention entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et le groupe des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d'autre part (dite convention ACP-CE de Lomé). [Rapport n° 219 (1997-1998).]
- du projet de loi (n° 198, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du protocole à la quatrième convention entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et le groupe des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d'autre part (dite convention ACP-CE de Lomé), à la suite de l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède à l'Union européenne. [Rapport n° 219 (1997-1998).]
- du projet de loi (n° 197, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord interne entre les représentants des gouvernements des Etats membres, réunis au sein du Conseil relatif au financement et à la gestion des aides de la Communauté dans le cadre du second protocole financier de la quatrième convention ACP-CE. [Rapport n° 219 (1997-1998).]
La conférence des présidents a décidé qu'il sera procédé à une discussion générale commune de ces trois projets de loi.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie. Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la Communauté européenne est devenue, avec le temps, un important acteur en faveur du développement dans le monde. Son engagement depuis 1963 à travers le Fonds européen de développement, le FED, dans le cadre des conventions de Yaoundé puis de Lomé pour les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique - les pays ACP - en témoigne.
Son action bénéficie aujourd'hui non seulement à 70 pays ACP, mais aussi aux pays et territoires d'outre-mer associés à l'Union européenne, parmi lesquels nous comptons les territoires d'outre-mer français, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon et les terres Australes et Antarctiques françaises.
La Communauté européenne et les pays ACP ont achevé en novembre 1995, à l'île Maurice, la révision à mi-parcours de la convention de Lomé IV.
Cette révision comporte notamment l'introduction d'une conditionnalité politique forte dans la politique européenne de coopération au développement. Elle permet en particulier à la Communauté, après consultation avec les pays ACP, de suspendre sa coopération en cas d'atteinte aux « éléments essentiels » de la convention que sont les droits de l'homme et la démocratie.
Cette révision apporte en outre des améliorations en ce qui concerne tant l'appui financier accordé aux pays ACP que l'accès offert à leurs produits sur le marché communautaire.
Je note enfin que c'est sur la base de cet accord de l'île Maurice que l'Afrique du Sud a pu, le 25 avril dernier, devenir le 71e pays ACP membre de la convention de Lomé, sans toutefois bénéficier du FED et des dispositions commerciales de la convention.
Ces améliorations apportées en 1995 au partenariat entre l'Union européenne et le groupe ACP préfigurent la négociation d'un nouvel accord qui façonnera, après l'an 2000, nos relations mutuelles.
Comme vous le savez, le débat a déjà commencé entre Européens. Il s'élargira aux pays ACP à partir de septembre 1998.
Je voudrais saisir l'occasion pour vous présenter, en quelques mots, la position du Gouvernement à ce sujet.
D'une manière générale, le Gouvernement est attaché au maintien de la spécificité des relations ACP-Union européenne, tout en souhaitant son adaptation en profondeur pour tenir compte du nouveau contexte international et gagner en efficacité. Cet accord s'appuiera donc sur les acquis des accords passés. Mais il sera également tourné vers l'avenir et devra prendre en compte le renforcement de la politique étrangère et de sécurité commune, la PESC, et la réalisation de l'union économique et monétaire ou encore l'ouverture des échanges internationaux.
Dans ce contexte, la France souhaite voir actualiser l'architecture générale du partenariat qui devrait distinguer un accord global et des accords régionaux - Caraïbes, Pacifique - ou sous-régionaux en Afrique. L'accord global inclurait l'essentiel de la composante politique et les grandes règles du volet commercial.
Concernant la composante politique, il nous semble essentiel qu'elle puisse être approfondie pour deux raisons.
D'abord, l'Union européenne est maintenant un ensemble politique, ce qui représente une donnée entièrement nouvelle dans les relations avec les pays ACP, en tout cas par rapport aux premières conventions de Lomé.
Ensuite, le bilan des précédentes conventions a révélé l'insuffisance du dialogue politique. Ce dernier devra être renforcé autour de valeurs communes : état de droit, démocratie, droits de l'homme, mais aussi bonne gestion des affaires publiques.
Il est également souhaitable que l'Union européenne joue mieux son rôle dans la prévention des crises et des conflits qui pourraient survenir dans les pays ACP.
Dans le même esprit, les nouvelles politiques communes européennes, telles que la lutte contre la drogue ou la criminalité, pourraient être mieux prises en compte dans nos relations avec les pays ACP. A ce titre, des structures de discussion Union européenne - ACP - pourraient être mises en place à Bruxelles sur les sujets relevant de la PESC.
En ce qui concerne la dimension commerciale des relations entre l'Union européenne et les pays ACP, elle doit s'inscrire dans une dynamique régionale. Notre objectif est ici, en priorité, d'aider les pays ACP à s'insérer dans l'économie mondiale. Cela passe par la mise en place de zones d'union douanière, en particulier en Afrique, suivie par des accords de libéralisation des échanges entre l'Union européenne et ces ensembles régionaux, pour les pays qui le souhaitent et après une phase de transition.
Il faudra, dans ce contexte, faire valoir notre point de vue dans le cadre de l'organisation mondiale du commerce, l'OMC. A cet égard, une meilleure concertation de l'Union européenne avec les institutions financières internationales est également indispensable dans le contexte des relations avec les pays ACP.
De façon générale, les intérêts des pays les plus pauvres devront être préservés, et la lutte contre la pauvreté placée au coeur du nouveau partenariat.
Lors des premiers débats entre Européens, il est apparu que l'aide aux pays les moins avancés, les PMA, serait un fondement du futur Lomé. De même, la préoccupation de lutte contre la pauvreté devra permettre de renforcer les actions de l'Union européenne en faveur de l'intégration régionale, de l'environnement, du développement du secteur privé, de la santé, de l'éducation et du développement institutionnel.
Enfin, j'ajouterai que, de notre point de vue, l'enveloppe financière devra être maintenue. Il nous faudra convaincre nos partenaires européens de préserver, pour le moins, l'enveloppe financière accordée aux pays ACP.
Mais il me faut revenir aux trois accords qui nous préoccupent plus spécifiquement aujourd'hui.
J'ai déjà évoqué l'accord de l'île Maurice, que l'on appelle « Lomé IV révisé ».
Le deuxième accord marque l'adhésion des nouveaux Etats membres de l'Union - Suède, Autriche et Finlande - à la convention de Lomé.
Le troisième accord comporte enfin les moyens financiers que la Communauté met à la disposition des pays ACP au titre du VIIIe FED.
Ce dernier accord, interne à la Communauté, signé en décembre 1995 par les représentants des gouvernements des Etats membres, fixe les ressources, l'affectation et les modalités de gestion du VIIIe FED pour la période 1996-2000, non seulement pour les pays ACP, mais aussi pour les pays et territoires d'outre-mer associés à l'Union.
Cet accord interne fixe aussi le mode de financement du VIIIe FED, dont le montant total, y compris les interventions de la Banque européenne d'investissement, la BEI, s'élève à près de 15 milliards d'écus. Le FED est alimenté par les contributions volontaires des Etats membres placées hors du budget communautaire. La France, à hauteur de 24,3 %, en devient le premier contributeur devant l'Allemagne.
Cet effort - faut-il le rappeler ? - était indispensable au maintien en termes réels de l'effort européen en faveur des pays ACP et des pays et territoires d'outre-mer, maintien acquis à l'issue du Conseil européen de Cannes, en juin 1995, sous présidence française de l'Union européenne. Il faut bien convenir que seul l'engagement de la France a permis de débloquer une négociation particulièrement difficile, afin que l'Union ne néglige pas son engagement en faveur des pays en développement.
Il reste, chaque fois que possible, à faire savoir, notamment aux pays bénéficiaires de ces accords, la part que la France prend précisément dans ce FED.
L'accord établit par ailleurs l'affectation de ces financements, tant au bénéfice des 70 pays ACP - 13 milliards d'écus du FED et près de 1,7 milliard d'écus de la BEI - que des pays et territoires d'outre-mer - 165 millions d'écus du FED et 30 millions d'écus de la BEI - associés à l'Union.
Les divers instruments de la convention - subventions pour des projets nationaux ou régionaux, système de stabilisation des recettes d'exportation (Stabex), facilité de financement spéciale pour les produits miniers (Sysmin), ajustement structurel - sont dotés d'enveloppes couvrant la même période.
Pour les pays et territoires d'outre-mer, dont les nôtres - Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon et les terres Australes et Antarctiques françaises - ces financements seront mis en oeuvre grâce à l'accord politique intervenu au Conseil des affaires générales du 6 octobre dernier sur la révision de la décision d'association des pays et territoires d'outre-mer à l'Union européenne.
En vertu de la répartition de l'aide programmable du VIIIe FED obtenue à cette occasion, nos territoires bénéficieront, dans un premier temps, d'un montant de 50,3 millions d'écus sur cinq ans qui sera complété par les sommes versées dans le cadre des autres formes d'aide.
L'adoption de ces financements indispensables au développement de nos territoires d'outre-mer et collectivités concernées ne fait pas obstacle à ce que nous parvenions, dans un proche avenir, à la création d'un fonds européen spécifique, distinct du FED.
Telles sont, monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales dispositions de l'accord portant modification de la convention de Lomé IV ACP-CE et de son protocole faisant suite à l'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède, signés à Maurice le 4 novembre 1995, et de l'accord interne à la Communauté relatif au financement et à la gestion des aides de la Communauté dans le cadre du VIIIe FED, signé à Bruxelles, le 20 décembre 1995, qui font l'objet des trois projets de loi aujourd'hui proposés à votre approbation. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. M. Hamel applaudit également).
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Paulette Brisepierre, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne voudrais pas revenir ici sur l'analyse du dispositif des trois accords concernant Lomé IV, dont le contenu vient de nous être clairement résumé.
Ces trois textes doivent plutôt être l'occasion, d'une part, de dresser un bilan du fonctionnement des accords de Lomé et, d'autre part, d'analyser les enjeux que présente la mise en oeuvre d'un partenariat complètement renouvelé entre l'Union européenne et les 71 pays du groupe des Etats ACP à l'horizon 2000.
Le bilan des accords de Lomé apparaît contrasté.
A l'actif, il convient sans doute, d'abord, de citer la mise en place d'une coopération prévisible et durable à travers une programmation pluriannuelle de l'aide. Mais l'acquis principal réside, sans doute, dans le maintien d'un lien privilégié entre les pays du Sud et l'Europe.
Ce lien a subsisté malgré les vicissitudes de l'histoire, et il trouve aujourd'hui sa traduction concrète dans le soutien financier apporté par le Vieux Continent aux Etats ACP. Ainsi, si l'on ajoute aux fonds communautaires les contributions nationales de chacun des Etats membres, l'aide européenne représente plus de la moitié de l'aide totale apportée par les pays industrialisés et 60 % de l'aide apportée à l'Afrique subsaharienne.
Toutefois, il faut le reconnaître, au regard des moyens déployés les résultats peuvent apparaître modestes.
En premier lieu, la coopération européenne n'a pu prévenir le mouvement de marginalisation économique et commerciale de l'Afrique. Ainsi, entre 1960 et 1992, le revenu par habitant en Afrique subsaharienne a progressé presque trois fois moins que le revenu de l'ensemble des pays en développement. En outre, la part de l'Afrique subsaharienne dans le commerce mondial ne dépasse pas 2 %.
De façon plus paradoxale, les exportations de la zone ACP vers l'Union européenne ont moins progressé que les exportations venant des autres pays en développement. Les parts de marché des pays ACP se sont donc dégradées : elles se sont même réduites de moitié entre 1994 et 1996.
Comment expliquer ces mauvais résultats ? Une part de responsabilité revient évidemment à la mauvaise gestion économique de beaucoup d'Etats en Afrique et ailleurs. En outre, les préférences commerciales accordées par la Communauté se sont érodées sous l'effet de la libéralisation des échanges organisés dans le cadre du GATT.
Mais les défauts propres à l'aide européenne ne sauraient être oubliés : la complexité et la lenteur des procédures - j'insiste sur la lenteur, car c'est notre gros défaut - l'absence d'une vision cohérente de l'aide au développement, l'insuffisance de la coordination avec les autres bailleurs de fonds.
L'échéance de la convention de Lomé IV en l'an 2000 sera l'occasion de remettre à plat les termes du partenariat entre l'Union européenne et les Etats ACP et, justement, de corriger certaines des lacunes de la convention actuelle.
Toutefois, la négociation ne s'engage pas sous des auspices très favorables. En moins d'une décennie, les priorités européennes se sont déplacées des pays ACP vers les pays d'Europe centrale ou orientale dans un contexte marqué, par ailleurs, par les restrictions budgétaires.
A cet égard, l'évolution de la dotation réservée aux pays ACP apparaît très révélatrice. Elle a baissé en effet de façon continue entre 1990 et 1997, et ne représente que 33 % de l'aide extérieure de la Communauté, contre 65 % en 1990.
L'Allemagne regarde plutôt vers l'Est et cherche à favoriser l'intégration des pays d'Europe centrale et orientale à l'Union. Le Royaume-Uni, quant à lui, défend la mise en place d'un dispositif de préférences généralisées pour l'ensemble des pays en développement dans un délai de cinq ans. C'est, dès lors, la spécificité même de la relation nouée avec les Etats ACP qui est en jeu.
La France a, pour sa part, intérêt à sauvegarder le principe d'un lien privilégié avec l'ensemble géographique formé par les pays ACP, en raison du soutien traditionnel qu'elle apporte aux pays africains. Contre la tentation du repli ou de la banalisation des relations entre l'Europe et la pays du Sud, la France doit défendre les principes qui fondent le partenariat Union européenne - ACP.
Ces principes, il faut le rappeler, reposent sur la conjonction de trois éléments : un dialogue politique étroit, un régime commercial préférentiel et une aide publique au développement importante.
Le volet commercial, certes essentiel, n'a pas vocation à éclipser les deux autres dimensions de l'accord de Lomé. En outre, l'approche commerciale elle-même ne saurait se résumer à la recherche exclusive du libre-échange.
Par ailleurs, la cohésion du groupe ACP doit être préservée. En effet, cette cohésion constitue incontestablement un facteur d'influence dans les négociations commerciales à l'échelle mondiale où les intérêts des pays en développement ne sont pas toujours reconnus.
L'Europe peut se flatter d'avoir favorisé une telle évolution. Cet acquis doit être sauvegardé. C'est pourquoi il est important d'inscrire le partenariat Union européenne-ACP dans le cadre d'un accord global commun, même si des accords complémentaires négociés sur une base régionale pourraient, dans ce cadre commun, prendre en compte les différences de situations économiques des pays bénéficiaires de l'aide européenne.
Enfin, la politique d'aide doit être révisée dans le sens d'une plus grande efficacité. A cette fin, il faut simplifier les procédures et les rendre plus transparentes pour les bénéficiaires. La bureaucratie bruxelloise a beaucoup de progrès à accomplir dans ce sens.
En outre, la priorité doit être accordée à la coordination entre les efforts de chacun des Etats membres et l'action communautaire. C'est un impératif non seulement pour la cohérence de l'aide au développement, mais aussi pour la bonne gestion des deniers publics.
En conclusion, l'Afrique et, au-delà, l'ensemble des pays ACP constituent un atout précieux, voire indispensable, pour le rayonnement de l'Europe dans le monde.
Par ailleurs, la crise des pays asiatiques peut conduire les entreprises à regarder davantage vers le continent africain, qui a renoué avec la croissance depuis plusieurs années.
En ce sens, aider l'Afrique, c'est aussi servir l'intérêt bien compris de l'Europe. C'est à la France qu'il appartient de convaincre nos partenaires de préserver le lien Union européenne-ACP. La ratification des trois accords liés à la convention de Lomé IV constitue, à cet égard, un préalable. C'est pourquoi la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous invite, mes chers collègues, à donner un avis favorable sur les trois projets de lois. (M. Henri Belcour applaudit.)
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'examen des modifications de la convention de Lomé IV nous offre l'occasion de dresser le bilan des mérites et des limites de cette forme de coopération. Comme tout bilan, il n'a de sens que si nous engageons une réflexion sur les perspectives de ce partenariat.
Le partenariat entre l'Union européenne et l'espace ACP constitue l'une des formes les plus élaborées et les plus originales de la construction communautaire en matière de politique étrangère. C'est aussi un axe fort de la politique extérieure française. Notre débat d'aujourd'hui est l'occasion de souligner les tendances à combattre pour l'avenir.
Un premier risque à éviter est d'évoluer vers une relation unilatérale entre donateurs et bénéficiaires et d'accentuer ainsi les situations de dépendance.
Un autre risque réside dans la perte sensible par les pays ACP de leurs parts de marché dans l'Union européenne et dans leur impuissance à opérer l'indispensable diversification de leurs économies.
La révision à mi-parcours de la IVe convention a permis quelques progrès, limités mais encourageants.
Je citerai d'abord le renforcement du volet politique et institutionnel, la réaffirmation de l'exigence de respect de l'état de droit, puis l'amélioration de la coopération commerciale, même si, en ce domaine, les effets positifs sont dus plus à la logique du système préférentiel qu'au développement économique des pays ACP.
Il est donc important que le nouveau protocole financier, marqué par la continuité, vise à assurer une utilisation plus efficace des ressources financières du Fonds européen de développement, dont la France est aujourd'hui le premier contributeur.
Le rapporteur de la commission, notre collègue Paulette Brisepierre, avait raison de le rappeler, l'effort de la Communauté en faveur de la zone ACP a décru de façon significative au cours des dernières années, en dépit de l'augmentation de douze à quinze du nombre de donateurs.
Disons-le, le bilan de Lomé IV est contrasté, voire mitigé. Il atteste, c'est vrai, de la validité de cette forme vitale de coopération instaurée par la première convention de 1975. Mais il en atteste aussi la fragilité, dès lors que les résultats sont en demi-teinte. C'est pourquoi, à l'approche des négociations préparatoires à un nouvel accord, la question est bien de savoir si nous saurons surmonter la fragilité de ce système, en conforter la validité, afin de réussir à rénover le partenariat de Lomé.
Pour nous socialistes, l'enjeu aujourd'hui n'est pas seulement Lomé IV. Je le dis tout de suite, monsieur le secrétaire d'Etat, nous allons voter les trois projets de loi présentés aujourd'hui. Mais nous sommes ici aussi pour réclamer Lomé V, et vous-même en avez ouvert la perspective.
Je sais que pour certains la nécessité de cette rénovation ne va pas de soi. Elle est pourtant indispensable.
Elle est une nécessité pour les pays ACP, qui ont besoin de cette coopération fondée sur le respect mutuel.
Elle est aussi une exigence pour l'Europe, qui, dans le cadre de sa politique étrangère et de sécurité commune, doit s'affirmer comme solidaire et généreuse, sauf, bien sûr, pour ceux qui acceptent comme inéluctable que la mondialisation entraîne un nouvel asservissement des pays les plus pauvres par les plus riches. Cela, naturellement, nous socialistes, nous ne l'acceptons pas.
La mondialisation doit au contraire être un outil au service d'un nouvel équilibre et d'une nouvelle solidarité entre les peuples, pour bâtir sur ces bases un développement économique et social durable.
C'est pourquoi Lomé V doit voir le jour avec la naissance du prochain siècle.
Ce n'est pas pour l'Europe une question de moyens. Les moyens, elle les détient. Qu'elle cesse d'être frileuse, cette Europe, et d'agir comme si elle était sans force. Elle peut peser face au FMI, à la Banque mondiale, à l'Organisation mondiale du commerce. Les Quinze disposent en effet, on l'oublie trop souvent, de près de 29 % des droits de vote au sein des institutions financières internationales.
C'est simplement une question de volonté politique : pour affirmer son identité dans l'optique de la mondialisation, l'Europe doit reconnaître la nécessité de rénover son partenariat.
Ainsi, à condition que l'Union européenne sache redessiner les contours de sa politique de coopération à l'égard des pays de la zone ACP, Lomé V pourra être un instrument de la refondation des relations Nord-Sud.
Trois priorités doivent pour ce faire être fortement affichées. Elles sont indispensables pour marquer les politiques en cours qui doivent préparer l'élaboration de Lomé V.
Il s'agit tout d'abord d'une priorité économique.
A cet égard, la relation entre l'Europe et les pays ACP doit tendre à atteindre deux objectifs majeurs.
Le premier est de diversifier les économies.
Malgré leurs mérites, les précédentes conventions ont enfermé les pays ACP dans leur rôle de fournisseurs de matières premières.
Aujourd'hui, l'Afrique exporte 75 % de matières premières et 25 % seulement de produits industrialisés. Ce n'est pas un hasard si le rapport est exactement inverse en Asie.
Il faut diversifier pour faciliter le décollage économique et sortir les pays du Sud de la marginalisation. Aussi, plutôt que d'en appeler à une meilleure rémunération des matières premières, faudra-t-il trouver un espace de dialogue pour débattre des accords commerciaux et prendre en compte à la fois la question de l'emploi en Europe et celle du développement dans les pays ACP.
Le second objectif est, comme vous l'avez souligné, monsieur le secrétaire d'Etat, de privilégier des dynamiques régionales.
La promotion de projets régionaux intégrés dans l'espace ACP autour de secteurs essentiels, comme le développement des infrastructures de communication, la maîtrise de l'énergie et le contrôle de l'eau, s'impose désormais comme une approche mieux appropriée que le strict cadre bilatéral.
Cependant, une coopération réduite à sa dimension économique s'avérerait vite limitée à des relations commerciales. C'est pour conjurer ce risque, réel, qu'il importe - c'est la deuxième priorité - de donner au partenariat entre l'Union européenne et les pays ACP une dimension plus sociale.
La préoccupation essentielle, dès lors qu'on admet la complémentarité entre la lutte contre la pauvreté et l'amélioration de la compétitivité, est d'assurer la répartition équitable des fruits de la croissance.
Les gouvernements doivent être encouragés à appuyer leurs projets de développement sur la société civile, les forces vives de la population, afin que les aides profitent au plus grand nombre.
Cette participation et cette responsabilisation des populations supposent naturellement que celles-ci aient accès dans les meilleures conditions possibles à l'information et à la formation. Cela est particulièrement vrai pour les jeunes filles, dont l'amélioration du niveau d'éducation est un facteur essentiel pour le développement de politiques de santé et de maîtrise démographique.
Dernière priorité : cet espace Union européenne - pays ACP doit avoir pour caractéristique première de se fonder sur le renforcement de l'état de droit et de la bonne gouvernance, sur la consolidation des principes démocratiques et le respect de tous les droits de la personne humaine.
L'objectif premier de la coopération de l'Union européenne à l'égard des pays ACP ne doit-il pas être de leur permettre de trouver leur existence propre, leur identité ? Cela suppose que ces pays aient la capacité de gérer eux-mêmes leur propre développement et donc qu'ils disposent d'institutions stables et démocratiques. C'est sur cette base que l'espace ACP trouvera son existence propre et pourra définir son identité spécifique, notamment par des efforts d'intégration régionale.
Les conditions d'une telle évolution existent désormais dans bien des pays ACP où le multipartisme est aujourd'hui légalisé, où une nouvelle génération politique s'est engagée dans le combat pour la démocratie. Nous savons bien qu'il n'existe pas de développement durable sans démocratie stable, et qu'un partenariat qui ignorerait les aspirations des peuples à la liberté et à la dignité serait tronqué. Je souhaite donc insister vivement pour que l'Union européenne, au moment où elle est confrontée aux perspectives de son élargissement, ne se dérobe pas à sa responsabilité et à ses engagements à l'égard de la zone ACP.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il est acquis que la règle du jeu à l'aube du xxie siècle est la mondialisation. Il serait exagéré, voire absurde, de penser qu'un partenariat rénové entre l'Union européenne et l'espace ACP pourra redistribuer les cartes. Mais il pourra certainement changer la donne pour renforcer les atouts des pays les plus fragiles.
Certes, quarante et un des cinquante pays les moins avancés du monde appartiennent à l'espace ACP. Mais, dans le même temps, la situation économique s'est améliorée dans un nombre croissant de pays de ce groupe. Il est donc réaliste d'envisager leur avenir avec espoir, d'autant que, ne nous y trompons pas, l'équilibre économique et démocratique du monde ne se réalisera pas les uns contre les autres, ni les uns sans les autres, mais bien les uns avec les autres, dans une relation solidaire et confiante.
Cette relation solidaire et confiante est bien dans l'esprit des accords de Lomé, de ceux dont nous débattons aujourd'hui et de ceux que nous préparons pour demain.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous savons que c'est bien dans cette direction que vous travaillez, que l'ensemble du Gouvernement travaille, et nous y sommes très sensibles.
Plus largement, je sais bien que la tentation est de se détourner de ces pays ACP. Pourtant, aider les pays ACP, c'est aider l'Europe, c'est aider la France ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Mme Brisepierre applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la discussion de ces trois conventions nous permet d'esquisser le bilan des conséquences et des suites de la convention de Lomé.
Cette convention, signée, en février 1975, voilà vingt-trois ans, avec quarante-six pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, s'est élargie à cinquante-huit pays ACP en 1979, à soixante-six pays en 1984, à soixante-neuf pays en 1989, et nous voici aujourd'hui à plus de soixante-dix pays ACP membres.
Le traité prévoyait dès l'origine un système de coopération déployant toutes les techniques d'aide au développement. Hélas ! en dépit des excellentes intentions de ses organisateurs, ce système a eu des résultats dont vous avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'ils étaient relativement décevants. Quant à Mme le rapporteur, elle les a qualifiés de très mitigés et M. Mauroy vient de parler de résultats en demi-teinte.
Le moment est donc venu d'examiner ce qui n'a pas « marché », car la convention de Lomé V se profile avec l'an 2000. A cet égard, je crois que l'on n'a peut-être pas suffisamment souligné un élément qui me semble avoir quelque importance : les trois locomotives, les trois promoteurs des relations entre l'Union européenne et l'ensemble ACP ne sont pas toujours d'accord sur les moyens et ne poursuivent pas toujours les mêmes fins.
L'Allemagne, tout d'abord, a donné aux accords de Lomé un caractère plus commercial que ne l'ont fait certains de ses partenaires, la France en particulier.
Surtout, depuis la chute du mur de Berlin, la grande priorité de l'Allemagne a bien sûr été le rapprochement avec les pays d'Europe centrale et orientale et leur intégration à l'Union européenne.
Telles ne sont pas du tout les orientations de la Grande-Bretagne, qui garde sous-jacente dans ses choix l'idée du Commonwealth et préserve les intérêts particuliers de cet ensemble qu'elle dirige au nom du rassemblement autour de la langue et des traditions historiques anglaises.
Enfin, pour ce qui nous concerne, nous Français, nous avons le souci légitime de sauvegarder le lien privilégié qui existe entre la France et toutes les nations francophones.
Aujourd'hui, nous ne pouvons que constater cet état de choses à l'occasion de la ratification de conventions qui auraient dû être ratifiées voilà quelque temps déjà. Mais la préparation des accords de Lomé V, dont nous souhaitons le succès, devrait être pour nous l'occasion d'insister sur la nécessité d'une entente entre toutes les nations ayant le plus grand rôle à jouer dans le renforcement des liens entre l'Europe et ces nations en voie de développement.
Ce souci exprimé, je voterai, bien évidemment, les trois projets de loi qui nous sont soumis.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.
M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat. Les interventions qui ont succédé à la mienne me paraissent justifier quelques brèves observations de ma part.
Je veux tout d'abord souligner la qualité de Mme Brisepierre en tant que rapporteur.
M. Emmanuel Hamel. Elle est évidente et reconnue par tous !
M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat. Certes, et je remercie Mme le rapporteur de son soutien à ce texte et, au-delà, à la relation singulière entre l'Europe et les pays ACP.
Je rejoins en particulier son souhait de voir le régime commercial préférentiel lié à l'aide publique au développement, l'APD. Nous nous situons là dans la ligne directe du débat qui s'est tenu à Denver.
La France n'entend pas, elle, opposer l'investissement privé ou le commerce à l'aide publique au développement et considère que cette aide demeurera, pendant longtemps encore, tout à fait nécessaire.
M. Mauroy a quant à lui insisté sur les résultats que la convention de Lomé a permis d'obtenir, résultats qui sont en effet en demi-teinte.
Il y a quand même une bonne nouvelle : pour la première fois sans doute dans leur histoire, le taux de croissance du PIB de la plupart des pays africains de la zone franc dépasse le taux de croissance démographique. C'est très encourageant et c'est un point d'appui.
Nous avons d'ailleurs décidé, en application d'une décision prise lors de la réunion des ministres de la zone franc qui s'est tenue en septembre dernier, d'organiser cette année une campagne de communication pour mieux faire connaître la réalité de ces pays et modifier la vision pessimiste qui les dessert et en détourne très souvent les investisseurs.
Nous aurons un sujet supplémentaire de communication : l'arrivée de l'euro suscite de nombreuses inquiétudes, qu'il nous faut absolument dissiper pour inverser l'argument et faire la preuve que l'euro est également une chance pour les pays ACP concernés, notamment ceux de la zone franc.
Vous avez insisté aussi, monsieur Mauroy, sur la nécessité de donner une dimension plus sociale à nos politiques d'aide. Evidemment, vous rejoignez là les préoccupations du Gouvernement !
Quant à la relation entre développement et démocratie - vous avez évoqué la bonne gouvernance - il est vrai que, même si quelques pays qui ne sont pas des démocraties ont actuellement un taux de développement satisfaisant alors que d'autres, qui sont des démocraties, ont des difficultés, il n'y a pas de développement durable sans démocratie, ni de démocratie durable sans développement. C'est une vérité sur laquelle il convient d'insister.
Je veux dire enfin à M. Habert que je rencontrerai demain à Londres Mme Clare Short, mon homologue.
La position de la Grande-Bretagne demeure en effet quelque peu différente de la nôtre, notamment en ce qui concerne le périmètre des futurs accords qu'elle souhaiterait étendre au-delà de ce que nous envisageons, ce qui remettrait en question la logique géographique des accords ACP. Nous y sommes donc plutôt opposés.
Je peux cependant vous indiquer que nos voisins allemands, qui étaient d'abord très réservés, sont aujourd'hui favorables à la poursuite de la relation à laquelle vous avez marqué, les uns et les autres, votre attachement.

MODIFICATION
DE LA QUATRIÈME CONVENTION ACP-CE DE LOMÉ