M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 29, MM. de Gaulle, Pasqua, Caldaguès et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent d'insérer, avant l'article 15 A, un article additionnel ainsi rédigé :
« Tout étranger ayant servi dans les armées françaises et ayant été blessé au cours d'un engagement opérationnel peut réclamer, pour lui et pour sa descendance, la nationalité française par déclaration souscrite conformément aux articles 26 et suivants du code civil. Il en est de même pour les enfants d'étrangers ayant servi dans les armées françaises et décédés au cours d'un engagement opérationnel. »
Par amendement n° 111, MM. Durand-Chastel, Habert et Maman proposent d'insérer, après l'article 5 bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le dernier alinéa de l'article 21-14 du code civil est rédigé comme suit :
« Les conjoints survivants et les enfants des personnes qui ont effectivement accompli des services dans une unité de l'armée française ou combattu dans les armées françaises ou alliées en temps de guerre et qui n'ont pas eu le choix de conserver la nationalité française dans les territoires sujets à des transferts de souveraineté peuvent également bénéficier des dispositions du premier alinéa du présent article. »
La parole est à M. de Gaulle, pour défendre l'amendement n° 29.
M. Philippe de Gaulle. J'appellerai l'amendement que je présente « l'amendement Messmer », du nom de son inspirateur.
Par ailleurs, je préciserai que les articles 26 et suivants du code civil auxquels il se réfère sont relatifs à l'acquisition de la nationalité française et au contentieux de la nationalité.
Cet amendement tend à permettre aux anciens légionnaires - ils sont nombreux en ce moment, du fait des opérations extérieures - qui ont volontairement servi la France au péril de leur vie de réclamer la nationalité française par déclaration et non plus par demande de naturalisation, comme c'était le cas auparavant.
Cette disposition constitue la contrepartie légitime du service rendu à la France par ces étrangers d'origine, dont le comportement ferait de droit des Français par le sang versé.
M. le président. La parole est à M. Durand-Chastel, pour défendre l'amendement n° 111.
M. Hubert Durand-Chastel. L'article 21-14 du code civil, innovation introduite dans la loi du 22 juillet 1993, permet aux « conjoints survivants des personnes qui ont effectivement accompli les services militaires dans une unité de l'armée française ou combattu dans les armées françaises ou alliés en temps de guerre » de bénéficier de la faculté de réclamer la nationalité française par déclaration.
Le présent amendement vise à élargir cette faculté aux enfants de ces anciens combattants pour la France, ceux-ci ayant subi au même titre que les conjoints survivants les conséquences et les sacrifices liés à l'engagement à la guerre du chef de famille. Ces enfants ressentent en effet comme une injustice le fait d'être exclus des dispositions actuelles de l'article 21-14.
Il est suggéré de réparer cet oubli sans ouvrir pour autant le bénéfice de cette disposition aux Français qui ont eu la possibilité d'exercer un choix de nationalité au moment du transfert de souveraineté de leurs territoires d'origine.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 29 et 111 ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. La commission, qui n'était pas indifférente à l'intention des auteurs des amendements n°s 29 et 111, a engagé une très longue discussion et a effectué un certain nombre d'observations.
Tout d'abord, dans l'amendement n° 29, il est fait état de : « Tout étranger ayant servi dans les armées françaises. » Cela peut viser les Marocains, les Tunisiens, mais cela ne concerne pas nécessairement, loin de là, les Algériens, les Sénégalais, qui ont combattu dans les armées françaises en tant que citoyens français.
Par ailleurs, je constate que, dans l'objet de cet amendement, il est fait référence « aux anciens légionnaires », alors que, je le répète, l'article additionnel proposé mentionne : « Tout étranger ayant servi dans les armées françaises. »
Cette rédaction me paraît plus large, car les étrangers visés n'étaient pas nécessairement dans la légion étrangère. L'article additionnel proposé va donc plus loin que l'objet de l'amendement.
Il est également question d'étendre cette mesure à la « descendance », notion qui est peut-être un peu imprécise. De ce fait, dans la mesure où ceux qui sont visés par l'un et l'autre des articles additionnels peuvent bénéficier d'une présomption favorable lors de l'examen de leur demande de naturalisation, il apparaît difficile à la commission d'adopter ces amendements.
C'est la raison pour laquelle, conformément au souhait de la commission, je demande à leurs auteurs de les retirer.
M. Philippe de Gaulle. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. de Gaulle.
M. Philippe de Gaulle. J'entends dire que tout le monde peut se déclarer français à tel où tel âge sans avoir rendu aucun service. Dès lors, pourquoi exclure la disposition que je présente ? M. Christian Bonnet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. La commission n'a pas souhaité adopter cette disposition dans la mesure où elle désire le maintien de la manifestation de volonté telle qu'elle prévue dans la loi de 1993.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, je comprends le sentiment qui anime les auteurs des amendements, notamment de l'amendement n° 29, mais je voudrais rappeler que le droit français de la nationalité n'ignore nullement les services qui ont été rendus par les étrangers dans l'armée française, puisqu'il leur ouvre la naturalisation à des conditions particulièrement favorables.
Je ne crois donc pas nécessaire de créer une autre disposition ; c'est pourquoi je ne suis pas favorable à ces amendements.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 29.
M. Michel Caldaguès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Monsieur le président, je m'interroge sur le bien-fondé des objections formulées par notre rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Par la commission !
M. Michel Caldaguès. C'est ce que je voulais dire. Je ne dissocie pas le rapporteur de la commission. Je suis sénateur depuis quelques années, et je suis parlementaire depuis plus d'années encore. Je sais bien que le rapporteur s'exprime au nom de la commission. Je vous remercie néanmoins de me l'avoir rappelé, mon cher rapporteur, car un instant d'égarement aurait pu me faire oublier cette évidence.
Vous avez dit, monsieur le rapporteur, que le contenu de l'amendement était plus large que l'objet. Je ne crois pas que ce soit une véritable objection dans la mesure où l'objet n'a pas de valeur juridique. Ce dernier a une valeur explicative. Il permet de faire allusion aux cas les plus évidents.
Le dispositif est plus large dans sa portée pour éviter de ne toucher qu'une catégorie en éliminant de ce fait d'autres parties prenantes.
Très franchement, monsieur le rapporteur, connaissant votre rigueur de pensée et votre compétence juridique, je souhaiterais vous entendre dire que cette objection n'en est pas une.
Dans ces conditions, que reste-t-il pour justifier une opposition à l'amendement ?
M. de Gaulle a parfaitement souligné qu'il lui paraissait choquant, et je partage ce sentiment, de voir avec quelle facilité on pouvait obtenir la nationalité française par des voies autres que la naturalisation, alors qu'on imposerait à des hommes qui ont servi la France de passer par la procédure de naturalisation, fût-elle simplifiée. Cela me paraît un peu désinvolte.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Le terme « désinvolte » ne me paraît pas convenir pour qualifier les travaux de la commission.
Pour l'essentiel, nous nous efforçons de faire du droit et, comme M. le rapporteur l'a très justement indiqué, au nom de la commission, nous sommes hostiles au système qui nous est proposé par le Gouvernement.
Je voudrais que l'on réfléchisse aux formules employées dans l'amendement.
« Tout étranger ayant servi dans les armées françaises. » Cela vise les Marocains, les Tunisiens, les Tonkinois, très certainement les Annamites,...
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... comme on les appelait à l'époque ; il y a un doute pour les Cochinchinois, parce que certains d'entre eux avaient déjà la citoyenneté française avant 1945. Sont également visés les ressortissants des territoires sous mandat, du Togo, du Cameroun, qui n'étaient pas citoyens français et qui étaient considérés comme une catégorie à part.
A cette base de départ, on ajoute la descendance.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. On peut essayer de calculer ce que cela représente.
Bien sûr, il est tentant de prendre des mesures généreuses, et nous serions d'autant plus enclins à le faire que l'inspirateur de cette proposition a tous les titres pour recueillir notre respect et notre admiration.
Mais enfin, il s'agit ici de bâtir une loi, et la tâche n'est pas toujours commode.
Au demeurant, il n'est pas plus commode de s'opposer - en s'efforçant de montrer qu'il n'y a là aucune désinvolture - à des intentions qui sont généreuses et qui correspondent à l'évidence à ce que l'on pourrait souhaiter.
Il reste que, s'agissant d'inscrire ces intentions dans la loi, une certaine circonspection s'impose et qu'il faudrait savoir qui serait effectivement concerné.
Si l'on évoque les derniers combats, dans la mesure où ni des Tunisiens, ni des Marocains, ni des Vietnamiens n'ont été dans la guerre d'Algérie - et pour cause ! - il faut remonter à la guerre d'Indochine, à laquelle ont pris part des hommes d'Afrique du Nord ; ce fut d'ailleurs une grande erreur de notre part, car ils y ont pris quelques leçons.
Croyez-moi, il m'est difficile de dire tout cela, mais je pense qu'il est de mon devoir de le dire.
M. Michel Caldaguès. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le président de la commission ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je vous en prie, mon cher collègue.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès, avec l'autorisation de M. le président de la commission des lois.
M. Michel Caldaguès. Je tiens à préciser que je ne visais nullement la commission en parlant de désinvolture, car ce n'est pas la commission qui a renvoyé à la procédure de naturalisation.
Je veux également vous remercier, monsieur le président de la commission, car j'avais demandé une hiérarchisation des objections de la commission. En effet, je dois l'avouer, certaines d'entre elles ne m'avaient pas convaincu. Or force m'est de reconnaître que celles que vous venez de soulever me paraissent substantielles.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Et j'en suis désolé !
M. Michel Caldaguès. Ce débat méritait donc d'avoir lieu.

A priori, il me semblait que l'on pouvait faire confiance les yeux fermés à un ancien ministre des armées, de surcroît ancien légionnaire. Sans doute certains aspects juridiques n'avaient-ils pas, cependant, été suffisamment approfondis. A cet égard, la réponse que vous me faites me paraît fort intéressante.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le président.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je vous ai convaincu, mon cher collègue, mais j'en suis en fait désolé eu égard à l'intention de cette proposition, qui est évidemment tout à fait louable.
Cependant, tel qu'il est rédigé, le texte proposé est inapplicable. Je me suis exprimé avec toute la retenue dont je suis capable, mais je pense qu'il faut maintenir la position de la commission, telle qu'elle a été défendue par M. le rapporteur.
M. Jacques Habert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Il faut reconnaître que les objections de M. le président de la commission sont tout à fait pertinentes. Il est certain que l'amendement n° 29 concerne un grand nombre d'étrangers : tous ceux qui ont servi dans l'armée française et qui ont été blessés. Même aujourd'hui, vingt ans après la fin des derniers combats, nous en trouverions, j'en suis sûr, quelques milliers.
La portée de cet amendement est encore accrue en ce qu'il vise également les enfants de ceux qui sont morts au cours des combats.
Néanmoins, à titre personnel, en vertu des liens qui unissent les anciens combattants français à tous leurs camarades étrangers ayant servi sous le même uniforme au cours des conflits passés, je voterai l'amendement présenté par l'amiral de Gaulle et ses collègues.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Comme l'a très bien expliqué M. le président Larché, cet amendement vient un peu tard : la distance est presque celle d'une génération. Lorsqu'on parle des enfants, il s'agit en fait de personnes âgées de quarante-cinq ou cinquante ans.
A cet égard, je rappelle que, lors de la réforme de 1993, nous avons été amenés à supprimer un certain nombre de dispositions sur la réintégration dans la nationalité française de ressortissants de pays qui étaient antérieurement placés sous protectorat français ou même de pays qui avaient fait partie de la communauté française parce que, précisément, la distance était désormais telle que la réintégration ne pouvait plus être admise. On a ainsi mis fin à un héritage de l'histoire.
Le président Larché a eu raison de souligner combien il était difficile de tenir ce raisonnement. Il reste que la distance est maintenant vraiment trop grande.
M. Philippe de Gaulle. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. de Gaulle.
M. Philippe de Gaulle. Je remercie tous ceux qui ont bien voulu soutenir mon amendement.
Je tiens à préciser que M. Messmer souhaitait viser en particulier les légionnaires étrangers qui servent actuellement. Il ne s'agissait donc pas, dans son esprit, de remonter à des temps anciens.
Cependant, à la lumière des explications qui viennent d'être formulées, il m'apparaît que l'affaire est juridiquement très complexe. De surcroît, je ne voudrais pas susciter des dissensions au sein de la majorité sénatoriale. C'est pourquoi je retire mon amendement.
M. Philippe de Bourgoing. Merci !
M. le président. L'amendement n° 29 est retiré.
Monsieur Durand-Chastel, l'amendement n° 111 est-il maintenu ?
M. Hubert Durand-Chastel. Faisant miens les arguments avancés par M. Philippe de Gaulle, je retire également mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 111 est retiré.

Article additionnel après l'article 5 bis