DEMANDE DE MODIFICATION
DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. J'ai reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement la lettre suivante :

« Paris, le 17 décembre 1997.

« Monsieur le président,
« J'ai l'honneur de vous informer qu'en application de l'article 48 de la Constitution, et des articles 29 et 67, alinéa 2, du règlement du Sénat, le Gouvernement fixe comme suit l'ordre du jour prioritaire du Sénat :
« Jeudi 18 décembre, à quinze heures ;
« - suite de la proposition de loi relative au fonctionnement des conseils régionaux.
« à dix-neuf heures :
« - nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 1998.
« le soir :
« - nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative pour 1997.
« - discussion de la motion tendant à soumettre au référendum le projet de loi relatif à la nationalité.
« - éventuellement, suite du projet de loi relatif à la nationalité.
« Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de ma haute considération.

« Signé : Daniel Vaillant »

Mes chers collègues, l'ordre du jour de notre séance, tel qu'il a été arrêté hier, comporte en son début :
1° La discussion de la motion tendant à soumettre au référendum le projet de loi relatif à la nationalité ;
2° Eventuellement, la suite de la discussion de ce projet de loi.
Cet ordre du jour est conforme à l'article 67 du règlement, qui dispose que, « par dérogation aux dispositions de l'article 29, cette motion est discutée dès la première séance publique suivant son dépôt ». L'article 29 est celui qui régit la fixation de l'ordre du jour, et notamment qui applique les dispositions de l'article 48 de la Constitution en matière d'ordre du jour prioritaire.
En réalité, cette motion n'est pas une simple motion de procédure : c'est une proposition visée par l'article 11 de la Constitution, qui donne le droit aux assemblées de proposer au Président de la République de soumettre au référendum un projet de loi. Elle doit être examinée dès le début de la séance. Elle ne peut être déplacée au gré des décisions du Gouvernement, car c'est une motion en soi, qui est indépendante de l'ordre du jour concernant le projet de loi.
Même si le Gouvernement déplaçait la date de la discussion du projet de loi, la motion continuerait à subsister dans l'ordre du jour.
En revanche, une fois cette motion examinée, c'est l'ordre du jour prioritaire, tel que fixé par le Gouvernement en application de l'article 48 de la Constitution, qui s'appliquera.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et voilà pourquoi votre fille est muette !
M. Claude Estier. Pourquoi ne l'avez-vous pas dit hier, lors de la conférence des présidents ?
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, effectivement, au cours de la conférence des présidents à laquelle nous avons participé,...
Mme Hélène Luc. Et la commission ?
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. ... nous étions parvenus à un accord général sur la manière d'organiser les travaux de la Haute Assemblée pour les journées des 17 et 18 décembre. J'avais évoqué l'éventualité d'une séance le vendredi 19 décembre, même si, à la demande du Sénat, il était souhaitable de ne pas siéger ce jour-là.
Compte tenu de ce qui est intervenu au Sénat hier après-midi et du fax que j'ai reçu de M. le président Monory le soir même, j'ai effectivement, au nom du Gouvernement, adressé ce matin à M. le président du Sénat une lettre modifiant l'ordre du jour de cet après-midi.
Hier, le Sénat a levé la séance dès le dépôt de la motion tendant au renvoi au référendum du projet de loi relatif à la nationalité et a fixé sa prochaine séance à quinze heures aujourd'hui même, au motif que la commission des lois devait se réunir ce matin à onze heures pour examiner cette motion.
Elle aurait pu se réunir hier en fin d'après-midi. La suppression de la séance de ce matin relève, à mes yeux, d'une volonté de ralentissement quelque peu abusive des travaux du Sénat. (Bravo ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Le Gouvernement applique l'article 48 de la Constitution, qui lui confère le pouvoir de déterminer l'ordre du jour prioritaire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. René Régnault. Très bien !
M. Daniel Vaillant, ministres de relations avec le Parlement. Cet ordre du jour comporte bien la discussion de la motion, comme le prévoit l'alinéa 2 de l'article 67 du règlement du Sénat, qui dispose que « cette motion est discutée dès la première séance publique suivant son dépôt. » Tel est le cas de la séance d'aujourd'hui.
La motion sera donc discutée pendant la séance d'aujourd'hui, mais dans l'ordre fixé par le Gouvernement.
Certes, on peut estimer que, puisque l'article 67 déroge à l'article 29 du règlement, la motion devrait être présentée « au début de la prochaine séance ». Cependant, le règlement du Sénat ne saurait méconnaître le premier alinéa de l'article 48 de la Constitution, qui attribue au Gouvernement le pouvoir de fixer l'ordre dans lequel les assemblées sont saisies des textes.
En effet, l'exception à l'ordre du jour prioritaire doit être prévue par la Constitution elle-même : c'est ainsi que le deuxième alinéa de l'article 48 prévoit qu'une séance par semaine au moins est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement.
L'article 11 ne prévoit aucune disposition de procédure précisant dans quelles conditions une « proposition conjointe » des deux assemblées peut être transmise au chef de l'Etat pour recourir au référendum, je peux vous le lire. Mais les sénatrices et les sénateurs (Murmures sur diverses travées) ... ou Mmes et MM. les sénateurs... Le débat sur les appellations est ouvert. Nous l'avons abordé hier en conseil des ministres, sous la haute autorité du Président de la République !
Je disais donc que vous connaissez l'article 11.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ils le connaissent très mal !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. C'est donc le droit commun de l'organisation des travaux parlementaires qui s'applique, c'est-à-dire l'article 48 de la Constitution.
M. Michel Charasse. Absolument !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Je le cite : « L'ordre du jour des assemblées comporte, par priorité et dans l'ordre que le Gouvernement a fixé, la discussion des projets de loi déposés par le Gouvernement et des propositions de loi acceptées par lui. »
Tel est bien le cas de la proposition de loi relative au fonctionnement des conseils régionaux, dont l'examen est prévu par la lettre rectificative que j'ai adressée ce matin. C'est donc maintenant que cette discussion doit avoir lieu.
Par ailleurs, dans sa décision des 24 et 25 juin 1959 relative au règlement du Sénat, le Conseil constitutionnel a censuré l'article 33, alinéa 8, du projet de règlement, pour le motif qu'en prévoyant que, « en cas de rejet d'un procès-verbal, l'inscription de sa discussion en tête de l'ordre du jour de la séance suivante pourrait faire échec à l'application des dispositions de l'article 48, premier alinéa, de la Constitution, qui donne priorité à l'ordre du jour fixé par le Gouvernement », cette disposition méconnaissait tout simplement la Constitution.
MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Michel Charasse. Absolument !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Suite à cette décision, le règlement du Sénat dispose qu'en cas de rejet du procès-verbal sa discussion est inscrite à la suite de l'ordre du jour prioritaire de la prochaine séance.
Ce qui est valable pour l'approbation du procès-verbal, dont l'existence est prévue par l'article 33 de la Constitution, doit donc également être valable pour la motion tendant à recourir au référendum en application de l'article 11 de la Constitution.
L'ordre du jour prioritaire fixé par le Gouvernement s'impose donc en toutes circonstances.
M. René Régnault. Bien sûr !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Je n'ose imaginer que la Haute Assemblée ne respecte ni le règlement ni la Constitution. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Monsieur le ministre, ma déclaration liminaire l'a démontré, je ne partage pas le point de vue que vous venez d'exprimer et je maintiens ma position, qui est fondée sur l'application de la Constitution et du règlement.
Cette motion est détachée de l'ordre du jour prioritaire ; son examen est donc prévu à l'ordre du jour de la première séance qui suit son dépôt, et le Sénat est libre d'en discuter en premier, avant le reste. (Vifs applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Dans ces conditions, je demande une suspension de séance ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier. C'est très grave ce qui vient d'être fait ! Je demande, moi aussi, une suspension de séance !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est de la forfaiture !
M. Guy Fischer. C'est un précédent !
M. Bernard Plasait. Vous avez peur du peuple !
M. le président. Monsieur le ministre, vous demandez une suspension de séance ?
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, étant donné ce que vous venez d'affirmer à la suite de ce que j'avais dit moi-même, il se pose manifestement un problème d'interprétation constitutionnelle et réglementaire.
Si nous ne respectons pas l'ordre que le Gouvernement, dans le cadre de ses prérogatives, souhaite pour aujourd'hui, il y a effectivement lieu à suspension de la séance, à moins que certains membres de cette assemblée - ce que j'accepterais tout à fait - ne veuillent s'exprimer sur le débat que nous avons vous et moi, monsieur le président. Je suis tout à fait disposé à participer à ce débat, sans aucun esprit polémique, en tout cas de ma part.
M. le président. Non ! Non !
Mme Hélène Luc. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Le groupe communiste républicain et citoyen demande également une suspension de séance.
M. le président. Bien. Une dizaine de minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures quarante-cinq.)