M. le président. « Art. 54. _ L'article 283 du code général des impôts est complété par un 5 ainsi rédigé :
« 5. Pour les opérations de façon, lorsque le façonnier réalise directement ou indirectement plus de 50 % de son chiffre d'affaires avec un même donneur d'ordre, ce dernier est solidairement tenu au paiement de la taxe à raison des opérations qu'ils ont réalisées ensemble.
« Le pourcentage de 50 % s'apprécie pour chaque déclaration mensuelle ou trimestrielle. »
Par amendement n° II-83, M. Lambert, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit le texte présenté par cet article pour compléter l'article 283 du code général des impôts :
« 5. Pour les opérations de façon, le donneur d'ordre est solidairement tenu avec le façonnier au paiement de la taxe, lorsque le défaut de paiement du second résulte d'une manoeuvre frauduleuse et que la mauvaise foi du premier est établie. »
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Le Gouvernement propose d'instaurer une solidarité de paiement automatique entre le donneur d'ordre et le façonnier pour décourager toute tentation de collusion de fraude, ce que nous pouvons tous soutenir.
La commission des finances de l'Assemblée nationale a estimé que le souci de prévenir la fraude ne pouvait pas justifier une mesure ainsi rédigée, qui instaure une présomption irréfragable de complicité de fraude aux dépens du donneur d'ordre.
En effet, une solidarité de paiement aussi générale paraît contraire aux principes généraux du droit, et particulièrement aux règles protectrices des contribuables.
Les députés ont donc voté en première délibération, contre l'avis du Gouvernement, deux amendements tendant à préciser, d'une part, que le défaut de paiement de la TVA doit résulter d'une fraude du façonnier et, d'autre part, que la mauvaise foi du donneur d'ordre doit être avérée.
Le Gouvernement a imposé en seconde délibération une nouvelle rédaction revenant à la solidarité de paiement automatique, mais prévoyant que celle-ci ne jouerait que lorsque le façonnier réalise plus de 50 % de son chiffre d'affaires avec le même donneur d'ordre.
Cette solution paraît tout aussi peu satisfaisante, et ce pour deux raisons : d'une part, elle pose les mêmes problèmes au regard des principes généraux du droit que la version initiale ; d'autre part, elle concerne en fait la quasi-totalité des façonniers, qui travaillent le plus souvent avec un donneur d'ordre principal, sinon exclusif.
En pratique, la mesure proposée paraît de nature à porter une atteinte grave au système du travail à façon. En effet, les donneurs d'ordre seront découragés de recourir à cette technique au regard du risque auquel ils s'exposent, faute de pouvoir contrôler la situation financière et la moralité des façonniers. Ils préféreront alors recourir à une sous-traitance traditionnelle.
Pour sa part, la commission des finances partage l'analyse des députés - une fois n'est pas coutume ! - et vous propose de rétablir le texte qu'ils avaient judicieusement, à son avis, adopté en première délibération.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. L'amendement n° II-83, s'il était adopté, limiterait de manière trop importante la portée du texte présenté par le Gouvernement pour lui conserver son efficacité dans la lutte contre la fraude.
Ainsi qu'une récente affaire judiciaire l'a montré, il existe de véritables réseaux frauduleux organisés entre certains façonniers et certains donneurs d'ordre. Il est clair que, lorsqu'il y a fraude à la TVA, il y a le plus souvent complicité de fraude.
Cependant, monsieur le rapporteur général, je comprends évidemment le sens de vos préoccupations et votre souci de conserver le niveau des garanties accordées aux contribuables. La question est de savoir où se trouve le point d'équilibre entre, d'une part, l'efficacité du contrôle et, d'autre part, ces garanties accordées aux contribuables.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale, qui précise le niveau des relations commerciales entre les façonniers et les donneurs d'ordre à partir duquel la solidarité peut être mise en oeuvre, me paraît atteindre cet objectif. Ainsi que vous l'avez rappelé, la solidarité existe lorsque le façonnier réalise plus de 50 % de son chiffre d'affaires avec un même donneur d'ordre.
On peut penser que, lorsque les relations sont étroites à ce point, si le façonnier est en délicatesse avec le paiement de sa TVA, le donneur d'ordre en est certainement informé.
C'est parce que le Gouvernement entend bien, comme M. Angels l'a développé avec talent, accentuer la lutte contre la fraude fiscale, notamment contre la fraude à la TVA intracommunautaire, qu'il souhaite vivement que la Haute Assemblée adopte l'article 54 dans sa version initiale. L'avis est donc défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-83.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il va sans dire que nous ne souscrivons pas à cet amendement n° II-83, même si la commission le justifie en arguant de sa volonté d'éviter de longues et pénibles démarches contentieuses. En particulier, nous ne pouvons faire nôtres les propos qui ont été tenus, sachant, par ailleurs, ce qui est directement visé par l'article 54, dont nous approuvons les termes.
Il s'agit, en effet, de lutter contre des systèmes plus ou moins imbriqués de sous-traitance qui ont cours, notamment, dans des secteurs comme ceux du textile ou du bâtiment et des travaux publics.
Nous sommes, en fait, d'autant plus intéressés par cette mesure que l'actualité récente vient de nous montrer la nécessité de disposer de moyens nouveaux de sanction contre les circuits de sous-traitance qui organisent, disons-le ainsi, une sorte de course à la délocalisation de la production dans notre propre pays, au travers d'un jeu complexe et subtil de fausses factures et de relations commerciales plus ou moins déclarées entre donneurs d'ordre et façonniers.
Le fait qu'une investigation récente des services fiscaux et de police ait mis à jour, dans le quartier du Sentier, une véritable industrie de la fausse facture le prouve : il était nécessaire d'agir.
Il suffisait, en effet, pour un donneur d'ordre, de faire réaliser par un façonnier X ou Y telle ou telle production pour qu'il se retrouve en situation d'obtenir un crédit de taxe sur la valeur ajoutée. Dans le même temps, compte tenu de l'extrême volatilité de certains de ces façonniers et du caractère tout à fait intermittent de leur activité, le Trésor public pouvait être assez vite contraint d'accorder soit des délais de paiement, soit des remises sur les droits de TVA normalement exigibles auprès du façonnier.
Le même dispositif valait, bien entendu, pour les autres impôts dus, qu'il s'agisse de l'impôt sur les sociétés ou de la taxe professionnelle.
Nous ne croyons pas, si l'on peut dire, qu'il faille limiter à la seule mauvaise foi avérée l'application des dispositions de l'article 54.
Expliquez-moi, en effet, ce que peut être un façonnier qui réalise plus de 50 % de son chiffre d'affaires avec un donneur d'ordre, sinon, dans de nombreux cas, un salarié que l'on a artificiellement et juridiquement séparé de son entreprise pour jouer sur les crédits de TVA ou sur la valeur ajoutée de façon générale ? Et pensons également aux seuils sociaux applicables, par exemple, pour la désignation des délégués du personnel ou l'élection d'un comité d'entreprise !
Nous passons bien souvent de ce qu'il faut bien appeler une réalité juridique, c'est-à-dire le lien de subordination résultant du contrat de travail, à une fiction pure et simple, à savoir la constitution d'une entreprise individuelle ou d'une SARL placée dans l'orbite du donneur d'ordre.
Ce n'est pas ici une question de mauvaise foi : il s'agit bien plutôt de la remise en cause d'un dispositif fiscal et social pour favoriser la pression sur les salaires et les conditions de travail et faire supporter, en particulier, les coûts de conquête de marché par les façonniers. L'essentiel de la marge est, en effet, concentré entre les mains du donneur d'ordre, même si celui-ci est, fiscalement parlant, de bonne foi.
C'est le montage en lui-même qui, me semble-t-il, est pervers et qu'il faut donc combattre, comme nous y invite cet article 54 que nous ne souhaitons pas voir amendé.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Chacun le comprendra, la commission des finances souhaite lever toute éventuelle ambiguïté sur sa volonté de faire en sorte que l'administration dispose de tous les outils nécessaires pour réprimer sévèrement les montages frauduleux.
Ce qui suscite son inquiétude, c'est le caractère irréfragable de la présomption. Je rappelle, sous votre contrôle, monsieur le président, qu'une présomption irréfragable est celle dont on ne peut apporter la preuve contraire. Nous devons donc bien mesurer la portée du dispositif dont nous discutons.
Or, on ne peut pas nier que, pour certains secteurs d'activité, le travail à façon est totalement indispensable, en particulier dans les cas où la valeur des matières premières façonnées est telle que les PME ou les artisans concernés ne peuvent pas être propriétaires de leur stock ni travailler en sous-traitance ordinaire, ou alors très difficilement. C'est pourquoi ils travaillent « à façon ». Il leur est donc impossible d'envisager un mode de production différent.
Encore une fois, notre préoccupation à tous ici est la même : nous souhaitons que notre administration dispose des instruments nécessaires pour sanctionner tous les comportements frauduleux. Reste que, dans le dispositif proposé par le Gouvernement, aucune preuve contraire n'est possible. De plus, le niveau de chiffre d'affaires retenu, soit 50 %, n'est pas, pour la commission des finances, un élément de preuve aussi déterminant que le Gouvernement le dit.
Au fond, l'inquiétude de la commission des finances du Sénat est précisément la même que celle de la commission des finances de l'Assemblée nationale. On sait bien ce qu'est le fait majoritaire dans notre Constitution et la pression très forte du Gouvernement qu'il induit. Cependant, si j'ai bien lu et bien compris les débats de l'Assemblée nationale, la commission des finances était extrêmement perplexe - à l'égard de cette proposition.
C'est pourquoi la commission des finances du Sénat, en toute sagesse, vous recommande d'adopter son dispositif.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur général, il n'est pas question de mettre en doute la volonté de la Haute Assemblée, qui souhaite, c'est clair, lutter contre la fraude. Il n'est pas question non plus, pour le Gouvernement, d'interdire le travail à façon qui, dans certaines professions, par exemple le travail sur métaux précieux, est un mode de production tout à fait indispensable.
Le Gouvernement part du principe que la plupart de ceux qui travaillent à façon sont des contribuables parfaitement honnêtes et il n'entre pas dans ses intentions de les mettre en péril. Il s'agit simplement de lutter contre la fraude et, à cet égard, le dispositif proposé est, me semble-t-il, efficace. Toutefois, je comprends tout à fait les scrupules de M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. A ce point de notre débat, monsieur le président, je crois utile de donner de nouveau lecture du texte proposé par la commission, qui est sans ambiguïté : « Pour les opérations de façon, le donneur d'ordre est solidairement tenu avec le façonnier au paiement de la taxe, lorsque le défaut de paiement du second résulte d'une manoeuvre frauduleuse et que la mauvaise foi du premier est établie. » Comment pourrions-nous être plus clairs ?
Ce dispositif doit, en outre, pouvoir être appliqué sans difficulté et, parce qu'il ne comporte pas de seuil de chiffre d'affaires, aurait moins d'inconvénients que celui du Gouvernement.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le texte que vient de lire M. le rapporteur général est, en effet, sans ambiguïté, tout comme celui du Gouvernement, qui a exactement la même ambition. La Haute Assemblée choisira.
Cela étant, pour véritablement progresser dans la lutte contre la fraude, pour toucher les rares façonniers et les rares donneurs d'ordre qui fraudent délibérément, le dispositif que propose le Gouvernement me semble efficace sans mettre en quoi que ce soit en cause les droits des contribuables.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-83, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 54, ainsi modifié.

(L'article 54 est adopté.)

Article additionnel après l'article 54