M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant le ministère de la justice.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Permettez-moi tout d'abord, monsieur le président, d'assurer à Mme Guigou mes voeux chaleureux de prompt rétablissement.
Mme Guigou a eu l'occasion devant tant la commission des finances que la commission des lois de présenter ce budget et de commenter la communication qu'elle a faite en conseil des ministres relativement à la réforme d'ensemble de la justice. Je crois savoir que nous aurons l'occasion d'en reparler avec elle au mois de janvier.
Quelles observations appelle l'examen du projet de budget de la justice qui nous est soumis cette année ?
Dans le contexte actuel de réduction du déficit public, le projet de budget pour 1998 constitue un effort budgétaire réel, bien que relatif, en faveur du ministère de la justice. Ce dernier voit ses crédits augmenter de 4,03 % par rapport à l'année dernière et atteindre 23,9 milliards de francs.
Toutefois, je voudrais replacer cette hausse dans son contexte.
Une loi de programme relative à la justice adoptée en 1995 avait fixé des objectifs précis à réaliser sur cinq ans en matière d'emplois et de crédits.
Le projet de loi de finances pour 1998 ne fait que s'y conformer, même s'il comble également partiellement le retard pris l'année dernière, la hausse du budget de la justice pour 1997 n'ayant atteint que 1,8 % contre les 4 % annuels nécessaires au respect de la loi de programme.
En outre, ce budget ne se révélera à la hauteur des espérances qu'il suscite que si aucun gel de crédits n'intervient - il est heureux que vous soyez présent pour entendre cela, monsieur le secrétaire d'Etat au budget - durant l'année 1998.
Certes, la levée de tous les gels de crédits intervenus en 1997 par le nouveau Gouvernement constitue un signal fort, mais les membres de la commission des finances - moi tout particulièrement - resteront attentifs aux modalités d'exécution de ce budget.
Par ailleurs, cette hausse des crédits ne sera efficace que si elle s'inscrit dans la durée. La commission des finances estime que le service public de la justice ne pourra fonctionner correctement que s'il dispose d'un budget d'environ 35 milliards de francs, ce qui nécessiterait, au-delà de la loi de programme, une augmentation annuelle de l'ordre de deux milliards de francs du budget de la justice pendant cinq ans.
Ma deuxième observation portera sur la réforme de la carte judiciaire.
Cette réforme nous paraît très urgente. Je tiens à rappeler que, même si des moyens supplémentaires sont indispensables pour assurer un fonctionnement normal de la justice, cette dernière ne répondra aux défis auxquels elle est confrontée que par la mise en oeuvre de réformes structurelles, dont la réforme de la carte judiciaire constitue la plus urgente et la plus importante.
En effet, depuis 1958, la carte judiciaire n'a été modifiée qu'à la marge, par la création des cours d'appel de Metz, de Reims et de Versailles et par celle de trois tribunaux périphériques autour de Paris, à Créteil, Bobigny et Nanterre. Or la carte judiciaire - tout le monde est d'accord sur ce point - n'est plus du tout adaptée aux évolutions économiques, sociales et contentieuses ; elle doit en conséquence être réformée impérativement.
J'indique d'emblée qu'il ne s'agit pas de faire uniquement ce que l'on appelait dans le passé de la RCB, c'est-à-dire de la rationalisation des choix budgétaires, ce qui correspond à une vue assez étriquée du problème.
Mais cette réforme ne doit pas non plus consister en des suppressions à tel endroit pour renforcer tel autre.
Depuis de nombreuses années, je plaide pour que le réseau des juridictions soit calqué autant que faire se peut sur celui des administrations. Dans cette optique, le cadre naturel de la cour d'appel serait la région et celui du tribunal de grande instance, le département.
Cette réforme permettrait la mise en place d'un échelon départemental fort afin qu'aux préfets commandants de groupements de gendarmerie, directeurs départementaux de police et autres directeurs et chefs de services corresponde un procureur départemental.
Sans être supprimés, les cours d'appel et les tribunaux de grande instance actuels seraient transformés en chambres détachées.
Par ailleurs, en tant qu'échelon de proximité par excellence, le tribunal d'instance serait renforcé en ce qui concerne tant sa compétence que ses moyens. Il deviendrait l'antenne polyvalente de la justice sur l'ensemble du territoire national.
Cette réforme de la carte judiciaire ne pourra être efficace que si elle est menée de pair avec le volet, ô combien important, de l'organisation, des méthodes et procédures aux différents degrés : civil, commercial et pénal.
Ma troisième observation portera sur les quelques réformes qui sont en panne, alors qu'elles sont pourtant considérées comme indispensables.
Il s'agit, par exemple, de la réforme des tribunaux de commerce, des tribunaux de prud'hommes ou encore de l'importante réforme des cours d'assises.
Certes, je défends le principe selon lequel aucune réforme ne doit être engagée en l'absence des moyens financiers, matériels et humains nécessaires à sa mise en oeuvre et si elle n'est pas intégrée dans une réflexion globale sur la justice.
Toutefois, cet argument ne doit pas servir de prétexte à l'immobilisme.
En outre, je tiens à rappeler, une nouvelle fois, que ces réformes ne pourront aboutir qu'à la condition de mettre fin à certaines surenchères sur la justice, qui mérite, je l'ai dit souvent, une réflexion sereine et apolitisée.
Ma quatrième observation porte sur la croissance inquiétante des frais de justice. Après avoir connu une forte hausse jusqu'en 1993, le rythme de progression des frais de justice s'est infléchi pendant trois ans.
Toutefois, leur hausse semble de nouveau s'accélérer depuis 1996, avec un taux annuel supérieur à 10 %. Ainsi, le montant des frais de justice a doublé au cours des cinq dernières années, passant de 800 millions de francs à 1 600 millions de francs.
Certes, la complexité et la technicité croissantes des affaires dont est saisie la justice nécessitent un recours accru aux expertises. Toutefois, votre rapporteur a eu écho de gaspillages, lesquels ont d'ailleurs été reconnus par les magistrats. Ainsi, la hausse de 114 % des frais de fourrière entre 1993 et 1996 est, pour une grande partie, liée à l'insuffisante gestion des scellés judiciaires : des voitures restent pendant des années en fourrière, puis, à la sortie, il faut régler la facture !
C'est pourquoi je tiens à souligner la nécessité de développer un contrôle plus strict des dépenses relatives aux frais de justice. En effet, il serait fâcheux que la progression des crédits du ministère de la justice soit absorbée par une croissance incontrôlée et excessive des frais de justice.
Je vous suggère donc, monsieur le secrétaire d'Etat, de mandater une inspection sur ce sujet.
La cinquième observation concerne la distinction entre l'accès au droit et l'accès à la justice, qui n'a pas encore acquis droit de cité au sein de l'institution judiciaire.
Je souhaite réaffirmer avec solennité qu'aucune réforme de l'institution judiciaire ne pourra échapper à la question fondamentale de la redéfinition des missions de la justice. En effet, la juridiciarisation croissante des questions de société conduit la justice à élargir à l'infini le champ de ses interventions.
Or non seulement le manque de moyens l'empêche de faire face à cet afflux de contentieux, mais son image est brouillée, la justice se transformant en réceptacle de tous les dysfonctionnements sociaux. Cette tendance est également favorisée par la multiplication des textes législatifs assortis de dispositions pénales.
C'est pourquoi j'estime urgent de rappeler que l'accès au droit ne signifie pas l'accès à la justice. Au contraire, le recours au juge dans certaines affaires doit être subsidiaire, lorsque toutes les autres voies de médiation et de conciliation ont été épuisées et doit servir uniquement à trancher un conflit en disant le droit.
Parallèlement, il faut mieux informer nos concitoyens de leurs droits et de leurs devoirs et permettre aux plus défavorisés d'avoir accès au droit.
En outre, il importe d'encourager le développement des modes alternatifs de résolution des conflits. A cet égard, même si je défends l'aide juridique dans son principe, je regrette que l'aide juridictionnelle absorbe la quasi-totalité des crédits mis à disposition au détriment de l'aide à l'accès au droit, qui doit absolument être encouragée.
Il me paraît donc indispensable, monsieur le secrétaire d'Etat, de mieux orienter l'aide juridique.
Le franc succès remporté par la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle montre que celle-ci répond à un vrai besoin. En ce qui concerne l'aide juridictionnelle, les demandes d'admissions se sont élevées à 729 791 en 1996 et 665 719 d'entre elles ont reçu une réponse favorable.
Les difficultés économiques des familles concernées par l'aide juridictionnelle constituent une réalité puisque plus de la moitié des demandeurs sont des chômeurs ou des inactifs. Les demandes d'aide juridictionnelle émanent en majorité de femmes : 59 % et 71 % lorsqu'il s'agit de demandes qui s'inscrivent dans le cadre d'un divorce.
Sans remettre en cause l'aide juridique dans son principe, l'augmentation des crédits mis à sa disposition est inquiétante dans la mesure où elle absorbe une part croissante de la hausse générale des crédits du budget de la justice. Dans les tableaux qui figurent à la page 35 de mon rapport, vous pourrez comparer l'évolution du budget de la justice et celle de l'aide juridique.
A l'exception des années 1994 et 1995, les crédits mis à la disposition de l'aide juridique ont crû beaucoup plus rapidement que ceux du budget de la justice. Ainsi, en 1996, les premiers ont augmenté de 18,6 %, contre 6,1 % pour les seconds. De même, en 1997, les hausses ont atteint respectivement 11,9 % et 1,8 %.
Aujourd'hui, l'aide juridique représente 5 % du budget de la justice, contre 2,80 % en 1987, voilà il y a dix ans. Les services du ministère de la justice devraient se montrer vigilants et s'inquiéter de cette propension à la hausse. Les inspecteurs généraux et autres sont suffisamment nombreux pour pouvoir travailler sur ce sujet et mettre en évidence cette augmentation. D'un côté, on constate une augmentation des crédits et, de l'autre, cela ne correspond pas aux besoins des gens. Par conséquent un problème se pose.
En outre, je regrette la lenteur de la mise en place du deuxième volet de la loi du 10 juillet 1991, qui a vocation à intervenir en amont du procès, afin de faciliter l'accès des citoyens à la connaissance de leurs droits et obligations. Ainsi, depuis l'entrée en vigueur de la loi, seuls vingt conseils départementaux ont été institués.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les services de la Chancellerie devraient s'inquiéter de cette situation. Pourquoi une loi qui date de 1991 n'est-t-elle appliquée que dans vingt départements ?
Par ailleurs, si les conseils départementaux de l'aide juridique ont permis de mettre en place des dispositifs de consultations juridiques gratuites ou aidées, ils n'ont pas inclus, dans leurs programmes d'activité, l'assistance au cours de procédures non juridictionnelles. Or seul le développement massif d'alternatives au recours contentieux permettra de désengorger les tribunaux et d'apporter aux justiciables des solutions acceptables dans des délais raisonnables.
C'est pourquoi je plaide, une fois de plus, pour une augmentation substantielle, à l'intérieur de l'aide juridique, des crédits à la disposition de l'aide à l'accès au droit. Parallèlement, je souhaite une adaptation du droit aux évolutions de la société : la multiplication du nombre de familles recomposées appelle sans doute une modification de la procédure de divorce par consentement mutuel et de la prestation compensatoire.
A cet égard, il convient de ne pas oublier que les admissions à l'aide juridictionnelle pour les contentieux civils, et principalement familiaux, constituent les trois cinquièmes des admissions totales à l'aide juridictionnelle. En réalité, le débat sur les modalités de l'aide juridique pose implicitement la question de la gratuité de la justice. Je sais qu'il s'agit d'un sujet sensible et que toute réflexion sur ce thème entraîne le risque, pour son auteur, d'être accusé de vouloir instaurer une justice à deux vitesses. Pourtant, le statu quo actuel n'est pas tenable.
En premier lieu, le principe de la gratuité de la justice est d'ores et déjà un leurre. Certes, les magistrats et les greffiers sont payés par l'Etat, mais le justiciable doit assumer d'autres frais, notamment les honoraires de son avocat. Or les plafonds de l'aide juridictionnelle - 4 480 francs pour l'aide totale et 7 273 francs pour l'aide partielle en 1997 - excluent de son bénéfice une grande partie de la population sans qu'elle puisse pour autant faire face à ces frais.
Beaucoup de personnes ne saisissent pas la justice, soit parce qu'elles pensent que cela ne sert à rien, soit parce qu'elles n'en ont pas les moyens. Quand on gagne 6 000 francs net par mois ou 7 000 francs pour un couple, on ne peut pas engager la saisine d'une juridiction avec toutes les conséquences que cela entraîne.
En second lieu, que penser d'une justice qui est peut-être gratuite, mais qui se trouve dans l'incapacité d'apporter au justiciable une décision dans des délais raisonnables ? La justice n'est pas un bien de consommation courante et, fort heureusement, les individus n'y ont recours qu'un nombre très limité de fois dans leur vie. En revanche, lorsqu'ils y font appel, ils attendent d'elle une réponse rapide à la question de droit posée. La priorité doit donc être donnée moins à la gratuité de la justice qu'à sa rapidité et à son efficacité.
Il n'est pas question de contester la gratuité de la justice dans sa globalité. Ainsi, ce principe conserve toute sa légitimité en matière pénale pour les affaires matrimoniales et pour toutes celles qui sont traitées par les juridictions de l'ordre administratif. En revanche, il pourrait être modulé pour les affaires qui ne mettent en jeu que des intérêts patrimoniaux, afin de favoriser les procédures de médiation et de transaction.
Une telle réforme permettrait de désengorger les tribunaux et de responsabiliser certains justiciables qui ne s'estiment satisfaits que si leur affaire a été tranchée par un juge, alors même qu'il existe des alternatives au recours contentieux.
Enfin, en matière pénale, il est urgent d'examiner le problème de la répression et de l'exécution des peines d'amende et d'emprisonnement. Par conséquent, je proposerai, au cours du mois de janvier prochain, la création d'une commission d'enquête sur l'arsenal répressif et son application par les différentes autorités chargées de la mise en oeuvre d'une politique pénale d'ensemble.
Il me paraît utile, en effet, de procéder à une remise à plat, dans le cadre d'une réflexion d'ensemble, en ce qui concerne les peines d'amende et d'emprisonnement, l'exécution des condamnations pénales par les juges de l'application des peines, les disparités d'application et, en amont, la répression de ce que l'on appelle pudiquement aujourd'hui les incivilités, enfin, la primo-délinquance des mineurs, qui n'est pas traitée. Toutes ces questions méritent, me semble-t-il, notre vigilante attention.
C'est la raison pour laquelle il me paraîtrait utile que le Sénat, comme il l'a fait voilà plusieurs années, réfléchisse en toute sérénité et en toute objectivité sur ce sujet et propose des solutions.
Enfin, je conclurai en formulant quelques suggestions.
Les ministres successifs en charge des sceaux et de la justice demandent souvent à des hauts magistrats, à des parlementaires, à des professeurs de réfléchir à des problèmes précis et de faire des propositions. Ces rapports, souvent très riches, finissent, quelle que soit la sensibilité politique représentée au Gouvernement, dans les oubliettes des tiroirs de la place Vendôme, où, je le sais, on n'apprécie pas toujours l'empiètement de ces missionnaires sur les attributions de la chancellerie.
Mme Guigou nous a indiqué qu'elle souhaitait retenir une partie des réformes proposées par M. Jean-Marie Coulon, M. le président du tribunal de grande instance.
Pourquoi ne pas demander aux auteurs de rapports dont les propositions sont en tout ou partie retenues de s'assurer que la lettre et l'esprit de ces propositions sont bien respectés ?
Disant cela, je m'appuie sur mon expérience dans un tout autre domaine, celui de la régionalisation des transports ferroviaires. Pendant cinq ans, j'ai suivi l'évolution de cette question, et je peux affirmer que c'est la bonne méthode.
Il serait tout à fait possible de demander à M. Coulon ou à M. Casorla, premier président de la cour d'appel d'Orléans, de veiller à ce que leurs propositions - celles du dernier nommé portent sur la proximité de la justice - soient suivies d'effets. Ainsi, les services de la Chancellerie seraient un peu « émoustillés », pour leur plus grand bien, et l'on pourrait enfin engager quelques réformes.
Il me paraît également judicieux de recourir à l'expérimentation, afin de tester les solutions envisagées et, le cas échéant, de convaincre les uns et les autres de leur bien-fondé, avant de les généraliser par une véritable réforme.
Trois domaines me paraissent se prêter particulièrement à cette méthode.
En ce qui concerne la réforme de la carte judiciaire, ...
M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Vaste sujet !
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. ... pourquoi ne pas retenir deux ou trois cours d'appel qui seraient volontaires, avec des barreaux volontaires et des élus qui seraient associés à l'expérience, pour essayer de déterminer ce que doit être la présence judiciaire sur un territoire ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Recomposition volontaire !
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Sinon, que va-t-il se passer ? On aura les rapports émanant des préfets et résultant de la mission qui leur a été confiée par le précédent ministre de la justice,...
M. Pierre Fauchon. C'est zéro !
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. ... ainsi que ceux des premiers présidents et des procureurs généraux, et il ne se passera absolument rien !
Mieux vaut donc choisir trois cours d'appel volontaires et travailler en profondeur avec elles. Mais il faut, bien entendu, associer les barreaux et les élus. Il s'agirait de savoir quelle doit être la présence judiciaire dans le ressort de la cour d'appel correspondant au département dont l'élu est, par exemple, mon collègue Pierre Fauchon.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Avec un tel missionnaire, le problème sera très vite réglé ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon. On sait d'avance qu'il ne se passera rien, cher ami ! (Nouveaux sourires.)
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Je n'en suis pas sûr !
Autre champ se prêtant à l'expérimentation : la réforme relative à l'organisation, aux méthodes et aux procédures.
Là encore, on pourrait convaincre les plus frileux en utilisant l'imagination et l'énergie des autres et pousser ainsi à la réforme. Je reviens là à mes suggestions concernant le rapport Coulon et le rapport Casorla.
Enfin, on peut aussi expérimenter la mise en place d'équipes pluridisciplinaires autour des cabinets d'instruction chargés d'affaires lourdes et inédites. Ces équipes pourraient comprendre plusieurs juges d'instruction, un substitut, des experts-comptables, des représentants des services fiscaux, des douanes, de la police nationale et de la gendarmerie. Une telle organisation éviterait bien des errements et des lenteurs.
Voilà quelques propositions qui mériteraient que, au moins, on y réfléchisse, de sorte que, dans quelques mois, on soit éventuellement en mesure de me dire pourquoi on ne peut pas les mettre en oeuvre.
Mes chers collègues, sous le bénéfice de l'ensemble des observations orales et écrites que j'ai formulées au nom de la commission des finances, je vous propose d'adopter les crédits relatifs à la justice pour 1998. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Authié, rapporteur pour avis.
M. Germain Authié, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour les services généraux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour souhaiter à Mme le garde des sceaux un prompt et complet rétablissement.
Compte tenu de la brièveté du temps de parole qui m'est imparti, je ne commenterai pas les grandes lignes du budget de la justice, tâche dévolue à notre excellent collègue M. Hubert Haenel, rapporteur spécial de la commission des finances.
Je dirai simplement, en ce qui me concerne, que c'est un bon budget : on peut en effet considérer qu'il est équilibré et en progression, concentrant les moyens sur des actions bien ciblées et traduisant la volonté du Gouvernement de faire de la justice une priorité. Bref, c'est un budget fiable et sincère.
Dans mon avis présenté au nom de la commission des lois, j'ai replacé l'augmentation des crédits des services généraux de la justice dans leur contexte historique et je me suis efforcé d'en mesurer l'incidence, compte tenu des difficultés persistantes que rencontrent les juridictions pour traiter des volumes d'affaires civiles et pénales toujours préoccupants.
Partant du constat des délais de traitement, je souhaite présenter deux observations et poser deux questions.
Les durées moyennes de traitement des affaires civiles restent très élevées, selon les dernières statistiques connues : en appel, 15,6 mois en 1996, ce qui est bien loin des 12 mois envisagés par le plan pluriannuel ; devant les tribunaux de grande instance, 8,8 mois, délai sensiblement supérieur aux 6 mois prévus ; devant les tribunaux d'instance, 5 mois, alors que la loi de programme prévoyait 3 mois.
Et encore ne s'agit-il là que de moyennes ! Vous le savez, certaines cours et certains tribunaux connaissent des délais que la commission des lois avait, en son temps, assimilés à un « déni de justice », expression reprise, d'ailleurs, par le tribunal de grande instance de Paris dans une décision récente.
Au demeurant, ces délais ne sont atteints qu'au prix, d'une part, d'un taux de classement sans suite au pénal qui avoisine toujours 80 % pour l'ensemble des affaires - 50 % lorsque l'auteur est connu - et, d'autre part, d'« audiences marathons », au cours desquelles le justiciable, après avoir attendu des mois l'examen de son affaire, la voit expédiée en quelques minutes.
En outre, ces délais ne rendent pas compte des retards d'exécution.
Dans ces conditions, après avoir félicité Mme le garde des sceaux pour l'annulation des gels d'emplois et des crédits qu'elle a obtenue dès le mois de juillet 1997, la commission des lois ne peut que souligner la nécéssité impérative de rendre les recrutements effectifs, réguliers et de qualité.
Trop de juridictions connaissent aujourd'hui des vacances - deux cents au moins pour les magistrats - non seulement du fait des délais de recrutement ou de formation mais aussi en raison des difficultés de gestion des mouvements.
La commission des lois relève, par ailleurs, l'impossibilité de répondre par les seules mesures budgétaires à la croissance des contentieux.
Comme vient de l'indiquer M. Haenel, nous ne pouvons différer plus longtemps la réflexion sur la carte judiciaire, sur la simplification de la procédure civile et sur les méthodes alternatives de traitement des contentieux. Ces réformes-là concernent des milliers de justiciables et la quasi-totalité des magistrats dans leurs tâches quotidiennes.
En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, j'aimerais vous poser deux questions d'actualité budgétaire.
Premièrement, le projet de loi sur le recrutement exceptionnel de magistrats a été examiné lors du dernier conseil des ministres. Pouvez-vous nous indiquer quels effets concrets vous en attendez au regard des deux cents vacances constatées, un nombre qui augmentera virtuellement dès la création des soixante-dix postes prévus dans le projet de budget pour 1998.
Plus généralement, compte tenu des différentes formules de recrutement utilisables, de combien de magistrats supplémentaires - retraites déduites - pensez-vous disposer effectivement dans les juridictions le 1er juin 1998 et le 31 décembre 1998 ?
Deuxièmement, la signature d'un accord-cadre sur les emplois-jeunes pour la justice a été annoncée. Pourriez-vous nous préciser le contenu de cet accord, faire le point sur les accords plus ponctuels éventuellement en préparation sur le terrain et nous en donner quelques exemples ?
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois, à l'unanimité, a émis un avis favorable quant à l'adoption des crédits du ministère de la justice consacrés aux services généraux inscrits dans le projet de loi de finances pour 1998.
Votre rapporteur vous invite, mes chers collègues, à suivre l'avis donné par la commission des lois. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Othily, rapporteur pour avis.
M. Georges Othily, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour l'administration pénitentiaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens à m'associer aux voeux de prompt rétablissement qui ont déjà été adressés à Mme le garde des sceaux.
S'agissant du projet de budget, le montant des crédits de l'administration pénitentiaire pour 1998 s'établira à 7,01 milliards de francs, en accroissement de 3,5 % par rapport à 1997.
Pour 1998, 221 millions de francs de mesures nouvelles sont prévus au titre des dépenses ordinaires. Elles seront, pour l'essentiel, consacrées tout d'abord à la création de 300 emplois, dont 200 emplois au sein des comités de probation et d'assistance aux libérés, pour développer les mesures alternatives à l'incarcération, et 50 emplois de surveillance, pour renforcer la prise en charge des détenus mineurs dans des quartiers spécialisés.
Les dépenses ordinaires seront également affectées à des mesures indemnitaires et statutaires en faveur des personnels ; il s'agit notamment de 5 millions de francs pour la réforme des statuts des corps de direction et de 7,4 millions de francs de revalorisation pour les personnels administratifs.
Les dépenses ordinaires permettront enfin l'abondement des crédits de fonctionnement de l'administration pénitentiaire, à hauteur de 49,4 millions, et l'octroi d'une indemnité de changement de résidence pour la mise en service du centre pénitentiaire de Rémiré-Montjoly, en Guyane ; ce sont 7,8 millions de francs qui sont consacrés à cette action par nature non reconductible.
En ce qui concerne les dépenses en capital, 1,024 milliard de francs d'autorisations de programme sont prévus. Ils seront répartis comme suit : 20 millions de francs pour le lancement d'un programme de construction de centres de semi-liberté ; 117 millions de francs pour des travaux de rénovation ; 32 millions de francs pour renforcer la sécurité ; 45 millions de francs au titre de la délocalisation de l'école nationale d'administration pénitentiaire ; 810 millions de francs pour le programme de construction de trois nouveaux établissements pénitentiaires, près de Lille, de Toulouse et d'Avignon.
Nous saluons ces efforts, mais nous n'oublions pas pour autant que l'administration pénitentiaire est dans une situation préoccupante.
J'évoquerai, à cet égard, deux problèmes récurrents.
Le premier concerne la surpopulation carcérale, même si la situation s'est légèrement améliorée en 1996 : avec 54 496 détenus au 1er janvier dernier, le taux d'occupation était de 108 % contre 111 % un an auparavant.
Le situation n'en demeure pas moins inquiétante : d'abord, parce que la durée moyenne d'incarcération est passée de 7,1 mois en 1994 à 7,8 mois en 1996 ; ensuite, en raison de l'extrême diversité de la situation selon les établissements puisque le taux d'occupation va de 78 % pour les centres de semi-liberté à 131 % pour les maisons d'arrêt ; enfin, en raison de la diversité géographique puisque certaines régions sont particulièrement touchées. Ainsi, en outre-mer, le taux d'occupation était de 169 % en 1996.
Le second problème que je souhaite souligner a trait à l'augmentation inquiétante du nombre de prévenus incarcérés.
Alors que nous étions longtemps demeurés en deçà des 21 000 prévenus incarcérés, ce niveau a été dépassé en 1995. Au 1er janvier dernier, on comptait 22 521 personnes en détention provisoire, soit 41,4 % de la population carcérale, contre 39,7 % en 1996.
Mme le garde des sceaux est consciente, nous le savons, de ces problèmes, et de bien d'autres. J'en veux pour preuve l'annonce qu'elle a faite d'une réforme de la détention provisoire et du milieu ouvert.
Mais la commission des lois considère qu'il ne suffit pas de légiférer pour régler tous les problèmes. Nous en débattrons, le moment venu.
Pour l'heure, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la commission des lois a donné un avis favorable quant à l'adoption des crédits de l'administration pénitentiaire pour 1998. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Gélard, rapporteur pour avis.
M. Patrice Gélard, en remplacement de M. Michel Rufin, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la protection judiciaire de la jeunesse. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je m'associe tout naturellement aux voeux de prompt rétablissement de Mme le garde des sceaux. J'y ajouterai ceux que j'adresse à M. Michel Rufin, que je remplace cette année en raison de son état de santé. Je souhaite le voir prochainement rétabli afin qu'il puisse à nouveau présenter, comme il le fait depuis plus de sept ans, ce rapport.
Le budget de la protection judiciaire de la jeunesse est positif cette année, puisqu'il est en augmentation de 4,12 % ; il représentera ainsi 10,5 % du budget de la justice. Il est donc satisfaisant. Il demeure cependant toujours un peu trop faible, à notre avis, compte tenu de l'atonie générale du budget de la justice. Je ne reprendrai pas les propos tenus par notre excellent rapporteur spécial à ce sujet.
Le budget de la protection judiciaire de la jeunesse a prévu 100 créations d'emplois, qui seront fort utiles, ainsi qu'une amélioration importante des conditions de travail des personnels en augmentant les indemnités des directeurs, notamment, en poursuivant une réforme statutaire de qualité et en prévoyant des actions de formation continue.
Reste cependant toujours posé le problème du remboursement des frais de déplacement des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse qui sont le plus souvent obligés d'utiliser leur propre voiture alors qu'il serait souhaitable qu'ils soient équipés à l'avenir de voitures de service.
En ce qui concerne les dépenses en capital, il faut noter la création de deux foyers d'hébergement, l'un à Quimper, l'autre à Epinal, l'adaptation des structures d'accueil existantes et la mise aux normes de sécurité des bâtiments. La commission des lois est favorable à toutes ces orientations.
Pour les orientations à plus long terme de la chancellerie, nous approuvons la poursuite des améliorations statutaires déjà engagées pour des personnels qui exercent un métier difficile et parfois même pénible. Il est donc nécessaire d'améliorer leurs conditions de travail.
Nous approuvons également la recherche d'une accélération des réponses judiciaires en continuant l'action initiée par le prédécesseur de Mme le garde des sceaux, M. Toubon, par la loi du 1er juillet 1996.
Cependant, je souhaite vous faire part de deux incertitudes que soulève ce budget. La première concerne l'avenir des unités à encadrement éducatif renforcé sur lesquelles un rapport est attendu. Seront-elles maintenues ? Seront-elles transformées ? Toute une série de questions sont ainsi posées.
De même, une incertitude plane sur le recours aux emplois-jeunes ; 1 000 emplois-jeunes environ sont en effet prévus pour la protection judiciaire de la jeunesse. Seront-ils adaptés à cette mission ? Par ailleurs, ils seront financés à concurrence de 80 % du SMIC plus les charges sociales par le ministère de l'emploi et de la solidarité ; il convient donc de s'interroger sur les 20 % restants.
Par ailleurs, une question demeure : les crédits suffiront-ils à l'avenir ? Il faudra sans doute consentir des efforts très largement supérieurs à ceux qui sont actuellement engagés, surtout si le tendance actuelle au développement de la délinquance juvénile tend à se maintenir, voire à s'amplifier au cours des prochaines années.
En conclusion, je vous demande, mes chers collègues, d'adopter ce budget. (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 20 minutes ;
Groupe socialiste, 18 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 17 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 15 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 12 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 6 minutes.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je m'associe pleinement aux voeux de prompt rétablissement de Mme le garde des sceaux.
J'en viens au budget de la justice.
L'action de l'Etat dans le domaine de la justice, annoncée comme l'une des priorités du budget de la nation pour 1998, est confirmée par la progression de 4 % des crédits qui y sont consacrés.
En termes d'emplois, vous me pardonnerez ces répétitions, cette hausse se traduit par une augmentation des effectifs de 762 postes. Ces créations concernent 70 postes de magistrats et 230 postes de greffes dans les services judiciaires, 300 postes nets de personnels pénitentaires, 100 postes dans les services de la protection judiciaire de la jeunesse et 62 postes dans les juridictions administratives. Il faut y ajouter les 600 emplois, qui ont été gelés en 1997 par le gouvernement de M. Juppé et que vous avez décidé de débloquer.
Nous souhaitons y voir la volonté d'une rupture définitive avec la politique des gels d'emplois qui a prévalu durant trop d'années, dans le domaine de la justice, notamment.
Ce budget ambitieux n'aura donc de sens que si le Gouvernement ne recourt pas, en 1998, à des gels d'emplois.
Sans doute ce budget ne permettra-t-il pas de rattraper le retard accumulé depuis des années ; toutefois, il marque incontestablement la volonté résolue du Gouvernement d'infléchir la politique judiciaire menée depuis trop longtemps et d'apporter un commencement de réponse aux besoins cruciaux de nos services judiciaires.
Pour autant, la lenteur de la justice reste un point qui préoccupe, à juste titre, les personnels judiciaires et les justiciables, sachant que la lenteur des procédures est liée à l'insuffisance des moyens des juridictions.
Les juridictions françaises sont, pour la majorité d'entre elles - je ne suis pas le seul, hélas ! à le dire - asphyxiées par la montée du contentieux qui a plus que triplé durant les vingt dernières années ; le nombre de dossiers civils est ainsi passé de 200 000 à 650 000.
Si l'on observe une stabilisation de la durée des procédures civiles devant les tribunaux d'instance et de grande instance, la durée des procédures devant la cours d'appel ne cesse de croître, atteignant désormais près de seize mois.
Au pénal, les procédures relatives aux délits et aux contraventions tendent à s'accélérer tandis que les procédures relatives aux crimes atteignent près de quarante-cinq mois.
Quant aux conseils de prud'hommes, je ne pense pas que le budget permettra de satisfaire les besoins en matériels et en personnels nécessaires à l'accomplissement de ses tâches dans les meilleures conditions.
La situation d'engorgement chronique de certaines juridictions a incité les avocats à faire grève, au début du mois de novembre, pour protester contre le manque cruel de moyens qui affecte la justice et dont les premières victimes sont les justiciables.
En réponse, Mme le garde des sceaux a annoncé un plan d'urgence de recrutement exceptionnel de magistrats pour donner une bouffée d'oxygène à l'institution judiciaire.
Si nous approuvons, bien entendu, le principe de ces mesures d'urgence, nous sommes néanmoins conscients que leurs effets ne se feront sentir qu'au bout de dix-huit, voire de vingt-quatre mois, le temps d'organiser les concours et d'assurer la formation.
D'un mot, j'évoquerai la situation des personnels des greffes qui demandent une revalorisation de leur situation statutaire et indemnitaire ainsi qu'une amélioration de leurs conditions de travail.
Ils revendiquent également que soient transférées certaines compétences non juridictionnelles aux fonctionnaires des greffes pour permettre un meilleur fonctionnement des juridictions en termes de rapidité.
Par ailleurs, s'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, force est de constater que le garde des sceaux a fait de la protection des mineurs en danger et de la prise en charge des jeunes délinquants sa priorité.
Cette administration, durement éprouvée au cours des années précédentes, se voit attribuer cent postes budgétaires dont quarante-huit éducateurs.
A cela, il convient d'ajouter les crédits d'investissement qui seront consacrés à la construction de nouveaux bâtiments, notamment de deux foyers d'hébergement à Quimper et à Epinal, à la création d'une direction générale ainsi qu'à l'adaptation des hébergements existants et de certains centres de jour.
Nous sommes très attachés à l'importante mission éducative de prévention et de réinsertion dévolue à la protection judiciaire de la jeunesse.
La détention des mineurs est un sujet qui nous préoccupe au plus haut point. Aussi pensons-nous qu'il faut valoriser autant que possible les solutions alternatives à l'incarcération, en privilégiant la réparation à l'enfermement. Mon ancien métier me porte à avoir confiance dans les missions éducatives.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Vous avez bien raison !
M. Robert Pagès. D'une manière générale, le milieu ouvert - suivi des peines et réinsertion - sera privilégié puisque le secteur pénitentiaire bénéficiera de la création de trois cents emplois, dont deux cents réservés au milieu ouvert.
Les comités de probation et d'assistance aux libérés, qui suivent les libérations conditionnelles et les mises à l'épreuve, devraient, par exemple, pouvoir assurer le futur « suivi socio-judiciaire » des délinquants sexuels.
Il faut dire, par ailleurs, qu'avec 116 % de taux d'occupation des prisons en moyenne il est grand temps de rechercher des réponses innovantes pour lutter contre la surpopulation carcérale.
Se pose également la question de la détention préventive, le nombre de prévenus étant de plus de 22 521 personnes sur 54 496 détenus, soit 41 % de la population carcérale au 1er janvier 1997. De plus, la durée moyenne de détention provisoire ne cesse d'augmenter, passant de 3,5 mois en 1992 à 4,2 mois en 1996.
Pour ce qui est de l'accueil du justiciable, de l'amélioration de l'attention portée aux victimes, de l'accélération du traitement des affaires et de la simplification du langage, un renfort de 3 500 jeunes est prévu dans les tribunaux, ce que nous apprécions, mais encore faudra-t-il penser à leur devenir après les cinq ans effectués au titre de leur contrat.
Par ailleurs, des crédits d'investissement sont prévus pour construire des tribunaux à Grenoble, à Avignon et à Fort-de-France.
Enfin, j'évoquerai le problème de l'aide juridictionnelle. La loi du 10 juillet 1990 devait favoriser l'accès au droit et à la justice des personnes défavorisées. Or, la revalorisation de l'unité de valeur qui sert de base à la rémunération des avocats n'avait pas été revue depuis 1995.
Nous regrettons que votre budget n'y consacre qu'un effort minimal alors que, dans le même temps, le nombre d'admissions à l'aide juridictionnelle ne cesse de croître : ce sont, en effet, chaque année 650 000 affaires qui sont soumises à l'aide juridictionnelle partielle ou totale.
Au total, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront votre budget, considérant qu'il traduit un effort sérieux à l'intérieur du budget de la nation qui, dans l'ensemble, reste soumis à la rigueur. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes. - M. le rapporteur spécial applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Je m'associe à tous mes collègues qui m'ont précédé à la tribune pour adresser à Mme le garde des sceaux mes voeux de prompt rétablissement.
Ce matin, nous devons débattre du budget de la justice qui nous a été présenté comme le budget prioritaire du Gouvernement, qui nous en a vanté toutes les vertus.
A cet effet, il n'a pas manqué d'émailler son propos de nombreuses comparaisons avec le budget de 1997, afin de démontrer les imperfections dont ce dernier était, à ses yeux, entaché.
Ce budget ne justifie, par le niveau des crédits qui lui sont affectés, en hausse de 4,03 % par rapport à l'an dernier, ni les excès de louanges, ni les excès de critiques.
En effet, cette hausse, si l'on se réfère aux précédents fascicules budgétaires, se situe en réalité dans la moyenne des taux d'augmentation du budget de la justice de 1994 à 1997, même si, l'an dernier, la hausse a été plus faible ; en 1996, les crédits du ministère de la justice avaient progressé de 6 % alors que les dépenses du budget de l'Etat avaient, elles, augmenté de 2,2 %.
Par ailleurs, l'augmentation pour 1998 reste en deçà du programme pluriannuel initié par M. Pierre Méhaignerie.
C'est pourquoi, plutôt que de m'attarder sur les mérites comparés des différents budgets et sur les efforts des uns et des autres, je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, obtenir de votre part des réponses précises à plusieurs questions essentielles pour la justice de notre pays.
En premier lieu, je ne peux cacher mon scepticisme à l'égard des 3 500 emplois-jeunes qui sont en cours de création au sein du ministère de la justice.
Mon doute tient à leur mode de financement qui paraît encore incertain. Cette incertitude, je la tiens de M. Authié, rapporteur pour avis de la commission des lois. Celui-ci n'a pas manqué de souligner, dans son rapport, que, sur les 400 millions de francs que représentent ces emplois, 320 millions de francs sont issus, à coup sûr, du budget de l'Etat mais que les 80 millions de francs restants proviennent de sources encore mal identifiées.
Ce doute tient également à leur définition qui demeure problématique, même si l'on peut se réjouir que vous ayez finalement renoncé à confier des médiations pénales ou familiales aux jeunes recrutés.
Il me semble qu'avec ces emplois-jeunes l'Etat se dérobe à ses responsabilités en offrant des contrats qui n'ont, dans la réalité, rien de véritablement qualifiant et qui surtout obèrent l'embauche de personnel qualifié.
En effet, aujourd'hui, la question se pose de savoir si, en l'état actuel des moyens de la justice, il est plus judicieux de dépenser ces 400 millions de francs annuels pour financer des emplois-jeunes qui permettront de développer des activités encore périphériques aux missions essentielles de la justice ou s'il faut donner la priorité aux moyens de traitement traditionnels du contentieux aujourd'hui asphyxiés.
Cette asphyxie résulte notamment du manque de magistrats. C'est pourquoi il est nécessaire d'augmenter leurs effectifs.
Il a été annoncé, lors du dernier conseil des ministres, l'ouverture de concours exceptionnels permettant de recruter cent magistrats en 1998 et un nombre identique en 1999. C'est une bonne chose. Toutefois, le financement a-t-il été prévu ?
Par ailleurs, le projet de budget, qui prévoit la création de près de soixante-dix postes de magistrat, poursuit l'effort qui avait été engagé dans le plan de programmation pluriannuel.
Ces mesures vont dans le bon sens. Cependant, ces créations de postes seront-elles suffisantes ? Malheureusement, je ne le pense pas.
En effet, les vacances budgétaires, qui restent trop importantes en raison des délais de recrutement et de formation, viennent s'ajouter aux vacances de « friction » dues à la multiplication des mouvements de personnels ainsi qu'aux vacances ponctuelles non intégralement compensées.
Par ailleurs, les effectifs sont lourdement handicapés par les détachements très nombreux. Je ne suis pas hostile aux détachements parce qu'ils permettent aux magistrats de sortir de leur spécialité et de voir autre chose. Cependant, il est regrettable que certains soient trop longs.
Ne serait-il pas possible d'en limiter la durée ? On pourrait envisager de la fixer à trois ans. En effet, au-delà, c'est l'administration de la justice elle-même qui en pâtirait.
Enfin, la mise en oeuvre de la réforme de la procédure criminelle préconisée par M. Jacques Toubon et pour laquelle rien n'est prévu dans le projet de budget exigera des moyens importants en effectifs qu'il faut dès à présent envisager.
A ce sujet, je souhaiterais m'attarder un instant sur la réforme de l'appel en matière criminelle qu'a suspendue Mme le garde des sceaux.
Son attitude, dans ce domaine, me semble regrettable, et ce pour trois raisons.
Tout d'abord, parce que nous avons fait naître d'immenses espoirs en annonçant à des justiciables passant en cour d'assises ou devant y passer qu'ils pourraient bénéficier d'un appel.
Ensuite et surtout, parce que cette réforme était une réforme juste. Non seulement elle tendait à améliorer notre système juridique, qui, aujourd'hui, ne prévoit de double degré de juridictions que pour les infractions les moins graves, ce qui, vous l'admettrez, est particulièrement choquant.
Enfin, parce que cette réforme nous aurait permis de mieux respecter la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, l'article 2.1 du protocole n° 7 prévoit que toute personne déclarée coupable d'une infraction par une juridiction pénale a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation.
Pour toutes ces raisons j'aimerais connaître le projet de Mme le garde des sceaux en la matière, cette réforme paraissant urgente.
Toutefois, on le sait bien et le projet de budget le démontre encore aujourd'hui, l'effort de création de postes aura toujours ses limites et devra être secondé par des gains en matière d'organisation.
Aussi est-il urgent de revoir l'organisation purement administrative de la justice, en ayant toujours pour souci de la rapprocher du citoyen et de réduire ses délais.
A cette fin, comme mes collègues l'ont indiqué, il est nécessaire de réformer la carte judiciaire, de manière à mieux prendre en compte les données humaines et les impératifs de l'aménagement du territoire. Tout le monde dit qu'il faut le faire, mais personne n'ose le faire !
Il est également nécessaire de distinguer plus efficacement ce qui constitue du petit contentieux et ce qui relève de procédures plus longues.
Il faut, dans cette perspective, réexaminer la répartition des compétences entre les tribunaux, afin de les simplifier tout en ayant toujours comme premier objectif de faire trancher les litiges au plus près du citoyen.
En outre, un audit des diverses juridictions permettrait d'identifier un grand nombre de tâches souvent mineures ou subalternes, effectuées par celles-ci et dont elles pourraient être utilement déchargées, au profit, notamment, des auxiliaires de justice.
Dans le cadre de la prise en charge de la population pénale, je souhaiterais attirer votre attention sur les associations de contrôle judiciaire.
Ces dernières jouent un rôle non négligeable dans la politique d'alternative à l'incarcération mise en place depuis une dizaine d'années.
En effet, plus de 50 000 personnes leur sont confiées chaque année.
Ce succès tient aux méthodes d'intervention socio-éducatives qu'elles ont su mettre en oeuvre et qui sont aujourd'hui reconnues par l'ensemble des partenaires.
Pourtant, malgré cette dynamique, ces associations rencontrent des difficultés économiques liées à la précarité des financements, à la multiplicité des partenaires, à l'absence de dotation globale et d'inscription aux dépenses obligatoires, ainsi qu'à l'absence d'une réelle autorité de tutelle.
Actuellement, elles n'ont plus les moyens de faire face aux demandes exprimées par les uns et par les autres - l'Etat, les collectivités, les juridictions et les citoyens.
Aussi paraît-il opportun, comme le souhaitent ces associations, de créer une instance chargée d'évaluer l'intérêt et la pertinence de leurs missions, ainsi que leur utilité dans la mise en oeuvre de la politique pénale.
A cet égard, il faudrait inscrire dans la loi la dimension sociale et éducative de leurs actions, et tout spécialement du contrôle judiciaire.
Il conviendrait aussi de redéfinir les moyens de leur intervention pour accroître les alternatives à la détention, pour prévenir la récidive et pour restaurer la paix sociale au profit des collectivités locales et nationale.
Pour finir, j'insisterai sur la nécessité de mettre en place une justice qui soit attentive aux jeunes.
Mme le garde des sceaux a indiqué que la protection judiciaire de la jeunesse serait la grande priorité de ce projet de budget.
Nous nous en réjouissons, car nous ne pouvons assister sans réagir à la véritable explosion des chiffres relatifs à la délinquance des mineurs.
Dans ce sens, Mme le garde des sceaux a déclaré qu'en matière de délinquance des mineurs elle n'était pas favorable à ce que l'on se cantonne à une action uniquement éducative et qu'il fallait prononcer des sanctions en faisant en sorte qu'elles soient adaptées à chaque type de délinquance.
Pour compléter ce propos, il serait nécessaire de s'interroger sur le cadre le plus opportun à mettre en oeuvre à l'égard des multirécidivistes.
Le prédécesseur de Mme le garde des sceaux avait ouvert le débat et proposé, notamment, la création d'unités à encadrement renforcé pour ces jeunes. Malheureusement, ce dispositif a été suspendu. Aussi, Mme le garde des sceaux pourrait-elle nous faire connaître son sentiment sur ce point précis ?
Telles sont les principales interrogations que l'examen de ce projet de budget n'a pas manqué de nous inspirer. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en ma qualité de vice-président de la commission des lois et en l'absence du président de la commission des lois, M. Jacques Larché, sans doute empêché - j'espère que ce n'est pas pour les mêmes raisons que Mme le garde des sceaux (M. Hyest fait un signe de dénégation.) - je tiens à exprimer l'émotion qui a été la nôtre lorsque nous avons appris que Mme Guigou était atteinte d'un trouble de santé qui risque d'être grave. Nous souhaitons de tout coeur qu'il ne le soit pas. Nous regrettons vivement qu'elle ne puisse être parmi nous car cela nous prive, vous me permettrez de le dire, monsieur le secrétaire d'Etat, de l'agrément et de l'intérêt d'un dialogue direct avec elle. Nous le déplorons d'autant plus que nous avons toujours trouvé auprès d'elle l'audience à laquelle peuvent légitimement s'attendre les parlementaires, audience qu'elle nous a toujours accordée très généreusement et très attentivement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il est deux manières de considérer un budget, vous le savez mieux que moi. On peut l'examiner dans le contexte de la politique budgétaire générale arrêtée par le Gouvernement pour une année déterminée. Mais on peut aussi le considérer d'un point de vue plus élevé,...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. C'est souhaitable !
M. Pierre Fauchon. ... du point de vue de l'Etat, de la mission à laquelle ce budget veut répondre, de ce qu'elle exige, et confronter cette réponse à cette exigence.
Du premier point de vue - gouvernemental, conjoncturel - et bien qu'il soit relativement facile, convenons-en, d'améliorer un petit budget - ce qui est le cas du budget de la justice - il n'est pas douteux que celui-ci puisse être considéré comme satisfaisant par rapport aux autres, et plus encore par rapport à son prédécesseur, fâcheusement victime d'une politique générale en elle-même fort justifiée.
Sur ce terrain, je me fais un plaisir de joindre ma voix à celle des rapporteurs pour en féliciter - vous voudrez bien le lui dire - Mme le garde des sceaux et en complimenter le Gouvernement qui manifeste ainsi la conscience qu'il a de la priorité dont doit bénéficier la fonction de justice après tant et tant d'années de méconnaissance, interrompue cependant - il faut le rappeler sans cesse - par le plan quinquennal de M. Méhaignerie, en 1995, plan qui va maintenant retrouver son rythme.
Du second point de vue qui nous importe davantage - celui de l'Etat - et qui entre plus profondément dans notre sujet, je n'apprendrai rien à personne en disant qu'au regard de la demande de justice les moyens offerts sont très loin de ce qui serait nécessaire. M. le rapporteur spécial a avancé tout à l'heure un chiffre plus élevé de 50 % ; je souscris à cette estimation.
Je ne reviendrai pas sur l'inventaire établi par une mission de la commission des lois, sous la présidence de notre excellent collègue M. Jolibois - son absence aussi ce matin m'inquiète - si ce n'est pour nous féliciter d'avoir préféré l'énoncé de la vérité au culte de l'euphémisme, ce qui n'est pas si courant.
En effet, nous avons dénoncé catégoriquement ce que nous avons appelé « l'hémiplégie » de la justice.
Il en est résulté un certain bruit, relayant d'ailleurs celui de précédentes enquêtes auxquelles M. Haenel n'était pas étranger. Ce bruit s'est propagé un peu partout, jusqu'à se faire entendre au sommet de l'Etat puisque, rappelons-le, voilà près d'un an, le Président de la République lui-même a marqué très solennellement sa préoccupation de voir transformée et assainie la situation matérielle et morale de la justice, qu'il s'agisse des moyens de fonctionnement, pour la situation matérielle, ou des questions d'ordre moral que pose à la justice pénale, en particulier, le respect qu'elle doit aux personnes et qu'elle se doit à elle-même, ce que l'on dénomme, un peu sommairement peut-être, son indépendance.
J'ajouterai quelques réflexions particulières à ce propos général.
La première concerne les moyens financiers proprement dits, et c'est peut-être le point auquel j'attache le plus d'importance. Je ne reviendrai pas sur une répartition qui a été évoquée par MM. les rapporteurs, mais je suis surpris de voir que leur attention ne s'est pas étendue à cet autre aspect des moyens financiers de la justice que constituent les 3 500 emplois-jeunes qui lui sont affectés. Si cela ne fait que 1 % du programme emplois-jeunes, cela représente 5,75 % des effectifs gérés par le ministère, soit, sauf erreur, 60 864 emplois en 1998. Le coût, pour l'Etat, s'élevant à 92 000 francs par emploi, cela représente 322 millions de francs, montant considérable par rapport au budget de la justice.
Il y aurait beaucoup à dire, si nous en avions le temps, sur les modalités de financement complémentaire de ces emplois-jeunes, sur les modalités de recrutement, d'encadrement et de gestion de cette jeune armada dont le destin court grand risque d'évoquer celui de son aînée, pour ne pas parler des Ateliers nationaux de décevante mémoire.
Pour nous en tenir à la justice, comment ne pas se poser et vous poser la simple question suivante : alors que l'on manque de conseillers, de juges, de procureurs, de juges d'instruction, de greffiers, de gardiens de prison et d'éducateurs, alors que l'insuffisance est partout dans l'ordre du nécessaire tout simplement et que la justice est submergée, ne tient la tête hors de l'eau qu'au prix de l'abandon d'une bonne part de sa tâche, est-il nécessaire et supportable de la doter de moyens humains complémentaires et accessoires, sinon superflus, dans des conditions qui répondent si mal à ce que sa mission exige de qualification, de conscience professionnelle et de responsabilité ?
La rémunération de 3 500 emplois-jeunes, c'est tout de même l'équivalent de 10 000 assistants de justice - on augmente très légèrement leur nombre ; d'ailleurs, ils sont demandés partout, ce qui prouve que nous avions une très bonne idée en les instituant, dans cette maison - c'est l'équivalent de 1 396 magistrats en début de carrière - les uns et les autres pourraient être des jeunes - de 6 000 magistrats à titre temporaire, de 783 conseillers de cour d'appel, l'équivalent encore de 2 546 greffiers débutants - qui seraient donc des jeunes - du même nombre de surveillants pénitentiaires en début de carrière - qui seraient, eux aussi, des jeunes.
Pour revenir à une idée qui nous tient à coeur et dont nous reparlerons, je l'espère, il y a là probablement le moyen de doter les tribunaux d'instance et de police de la capacité de traiter convenablement une bonne partie, sinon la totalité, des contentieux de masse, ce qui aurait pour contrecoup d'alléger considérablement la tâche des autres juridictions, de leur permettre de retrouver un rythme convenable et de rétablir l'ensemble du système judiciaire dans un état de fonctionnement acceptable, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle.
Nous constatons, en tout cas, que ce n'est pas l'argent qui manque et si l'on veut à tout prix le réserver aux jeunes, on peut aussi, après l'avoir réintégré dans le budget du ministère, le consacrer entièrement, mais sous le contrôle du garde des sceaux, à des jeunes et à la jeunesse en recrutant des assistants, des jeunes greffiers ou des jeunes gardiens et en renforçant les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse ! Ainsi les légitimes préoccupations du ministre de l'emploi seraient-elles satisfaites, puisque c'est la jeunesse qui en profiterait, et le budget de la justice se verrait augmenter de 400 millions de francs, soit plus de 40 % de la majoration dont il se prévaut aujourd'hui. De même, le taux de croissance de ce budget, qui est actuellement de 4 %, passerait à plus de 5 %, ce qui serait remarquable.
Est-il trop tard ? Dans l'état où se trouve la justice, il n'est pas permis de le croire, et je ne veux pas le croire. Mais, de grâce, monsieur le secrétaire d'Etat, ne nous dites pas que tout cela résulte d'un choix du Gouvernement qui s'impose à vous-même comme aux autres ministres, nous avons déjà entendu ce genre de réponse et, justement, nous ne sommes pas d'accord sur ce choix du Gouvernement. Alors, la question est de savoir ce que vous pouvez répondre au-delà de cette formule un peu sommaire. Je veux bien que cette réponse puisse suffire au ministre, qui est « solidaire », mais elle ne nous suffit pas à nous, et encore moins à la justice.
Permettez-nous donc de conserver l'espoir de voir s'ouvrir utilement le débat sur les modalités de cette politique d'emploi pour les jeunes en ce qui concerne la justice, politique dont l'efficacité me paraît, d'ailleurs, en partie conditionnée par la diversification réaliste de sa mise en oeuvre.
Ma deuxième réflexion portera sur la nécessaire réforme de la carte judiciaire, et je rejoins ici les propos de notre rapporteur spécial et de plusieurs de mes collègues.
Inutile de revenir sur le caractère anachronique, parfois jusqu'à la caricature, de la répartition territoriale des moyens de la justice, la démonstration est faite et les exemples ne manquent pas pour l'illustrer.
Ce qui manque terriblement, avouons-le, c'est la volonté d'agir. On se réfugie, ou l'on s'est réfugié, dans des enquêtes, dans des concertations, comme si des enquêtes pouvaient contredire ou éclairer des statistiques nationales irréfutables et qui ont déjà été exploitées avec beaucoup de soin dans le rapport de la commission Carrez ; comme si des concertations locales ou régionales, sous réserve de ce que je dirai tout à l'heure, avaient quelque chance de réaliser miraculeusement un consensus au terme duquel telle juridiction serait réduite ou supprimée, et telle autre renforcée ou créée, en fonction, tout simplement, de la masse du contentieux qui serait soumis aux unes et aux autres, masse que l'on connaît parfaitement. Cette idée, simple, est sans doute trop simple et trop évidente pour l'emporter sur le poids des routines, des habitudes et des positions acquises.
Le seul préalable qui nous paraisse utile et salutaire, c'est l'établissement de la carte de ce que devrait être une répartition théorique et correcte des juridictions en fonction, par priorité, des volumes de contentieux, sans méconnaître, bien entendu, les réalités socio-politiques de l'organisation territoriale de notre pays. Sur ce point, la concertation qu'a suggérée tout à l'heure M. le rapporteur spécial pourrait trouver toute sa justification.
La comparaison entre une telle carte idéale, qui est très facile à établir, et la réalité actuelle mettrait en lumière les anomalies les plus graves et, du même coup, elle les rendrait moins défendables parce que, malgré tout, une « opération vérité » assainirait fortement cette question. Et je suis persuadé que les résistances qui se manifestent actuellement s'inclineraient devant l'évidence des réalités.
Dès lors, on pourrait arrêter un plan de redéploiement ménageant des délais convenables, tenant compte inévitablement du principe d'inamovibilité, lequel mériterait, d'ailleurs, d'être reconsidéré à la lumière des circonstances actuelles, qui le justifient infiniment moins que dans un passé lointain. Nous ne sommes plus, avec l'actuel Conseil supérieur de la magistrature, dans la situation du XIXe siècle. Il conviendrait peut-être de s'en souvenir !
Ma dernière réflexion concernera le thème quelque peu rebattu de l'indépendance des juges. Mais si l'on n'en parle pas, on a l'air d'avoir oublié l'essentiel. (Sourires.) Je me dois donc d'en parler.
A vrai dire, il me semble que cette expression, dans l'usage qui en est communément fait, recèle beaucoup d'exagération et quelque peu d'illusion.
Il est exagéré de dire que les juges ne sont pas indépendants du pouvoir politique ou de laisser entendre que ceux qui le disent n'ont pas tort.
La vérité, selon moi, au terme d'une longue expérience, est que les juges sont très largement indépendants du pouvoir politique à condition qu'ils le veuillent bien, évidemment. Parfois, ils sont même indépendants de la loi, ce qui n'est pas nécessairement un progrès ! Puissent-ils être toujours aussi indépendants de leurs préjugés personnels. J'ai lu à cet égard, dans le rapport spécial, quelques réflexions qui m'ont intéressé. Puissent de même ces juges être toujours aussi indépendants de leurs passions ou de celles de leurs syndicats, puisque la confusion des genres et la confusion des esprits ont fait que les magistrats sont syndiqués, ce dont on s'inquiète beaucoup moins que de leur supposée dépendance à l'égard de leur hiérarchie.
J'ai dit aussi qu'il y avait beaucoup d'illusions dans ce domaine. Il est illusoire, en effet, d'attendre tant et tant de textes nouveaux, notamment d'interdictions formelles dont chacun sait qu'elles ont fort peu de prise sur le réel.
La vraie indépendance, mes chers collègues, nous le savons parfaitement, elle est dans les caractères, elle n'est pas dans les textes. Si elle n'est pas fortement ressentie, aucun texte n'empêchera les uns de chercher à plaire et les autres de chercher à influencer. Et, s'il n'y a pas d'écrit, il y aura encore le téléphone. Il ne suffit pas de changer les textes pour changer les consciences.
Il reste, et je tiens à lui rendre hommage sur ce point, que la proclamation par Mme le garde des sceaux d'un principe de non-ingérence a été en lui-même sain et mérite, à ce titre, d'être salué.
On éclaircirait beaucoup cette question en rappelant qu'il existe deux sortes de magistrats en France : ceux qui sont des juges et ceux qui ne le sont pas, les uns et les autres étant des magistrats, ce qui crée une très fâcheuse confusion, car seuls peuvent être appelés juges, et c'est l'indépendance de ces derniers qu'il convient de sacraliser, ceux qui rendent la justice !
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Tout à fait !
M. Pierre Fauchon. Ceux qui « poursuivent » ne sont pas des juges, même s'ils sont, dans notre système judiciaire particulier, des magistrats. Or, dans un véritable Etat de droit, les magistrats chargés de la poursuite ne sont pas, à l'égard de cet Etat, et donc de son appareil gouvernemental, dans une situation différente de celle des avocats à l'égard de leurs clients. Rappelons ici l'expérience de la Grande-Bretagne, qui reste maîtresse dans ces matières.
On voit donc, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, que nous vivons dans une confusion et que, sous couvert de magistrature, on confond les juges et ceux qui ne le sont pas. Il y a là une sorte de survivance de l'Ancien Régime, ce qui nous prouve qu'il y a bien des bastilles à réduire encore.
J'ai cru comprendre qu'il était dans les intentions de votre gouvernement de s'attaquer à de telles bastilles. La carte judiciaire n'en est-elle pas une autre ? Je forme des voeux pour qu'il le fasse avec ce qu'il faut de discernement et ce qu'il faut de résolution. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi, tout d'abord, de joindre mes voeux à ceux que mes collègues ont déjà exprimés et de souhaiter un prompt rétablissement à Mme le garde des sceaux.
Le plus grand mal dont souffre le système judiciaire français réside dans l'extrême lenteur de ses procédures, à un point presque dissuasif pour tout justiciable. Le résultat en est une insatisfaction générale des Français vis-à-vis de leur justice, j'irai même jusqu'à dire une perte de confiance dans cette institution régalienne.
Mme le garde des sceaux nous annonce vouloir remédier à ce grave handicap, mais l'augmentation de 4 % de son budget pour l'année prochaine ne saurait suffire à inverser une situation qui perdure depuis de trop nombreuses années. A une époque où les liens sociaux se distendent, en particulier ceux de la famille, la demande de justice explose. Ainsi, il y eut deux millions de décisions au civil l'an dernier ; quant aux crimes et délits, on dépasse les dix millions d'affaires jugées, soit un doublement dans les dernières années.
Aussi est-il urgent de réformer notre système judiciaire, en simplifiant les procédures et en assouplissant le règlement des conflits par l'instauration de transactions sous l'autorité des juges.
J'insiste, à ce sujet, sur la nécessité d'encourager tous les justiciables à recourir à l'arbitrage en matière civile.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
M. Hubert Durand-Chastel. A l'instar de la pratique connue dans de nombreux pays, les magistrats à la retraite pourraient servir d'arbitres ; ces procédures d'arbitrage peuvent être entérinées par les magistrats, qui interviendraient donc à trois niveaux. Dès l'assignation, les magistrats proposeraient aux justiciables de recourir à des listes d'arbitres, qui pourraient siéger dans les mairies ou dans les chambres de commerce et d'industrie, notamment. Ils auraient au préalable désigné ces listes d'arbitres qu'ils recommanderaient. Enfin, ils donneraient autorité de la chose jugée aux sentences arbitrales.
Une telle procédure devrait être systématisée et encouragée par les professionnels de la justice. Il s'agirait, pour nous, Français, d'un véritable changement culturel, dans l'intérêt d'un meilleur fonctionnement de la justice. Le ministère a-t-il l'intention de mettre en oeuvre de telles procédures arbitrales ?
Dans le plan d'urgence élaboré pour réduire les délais de traitement des affaires par les juridictions, il est prévu le recrutement exceptionnel de magistrats, ce qui alourdira d'autant le coût de fonctionnement de la justice. N'aurait-il pas été plus efficace de décharger les magistrats en place des nombreuses tâches administratives qui ne leur incombent pas ?
La simplification des procédures est également attendue par les Français établis hors de France, que j'ai l'honneur de représenter ici. Qu'il s'agisse des démarches relatives à l'état civil, à Nantes, ou de la délivrance des certificats de nationalité dans les différents tribunaux d'instance compétents, nos compatriotes se plaignent de délais trop longs pour des procédures courantes, d'autant que les services spécialisés pour l'étranger ne bénéficient pas toujours d'un personnel suffisant pour faire face aux nombreuses demandes.
Je mentionnerai toutefois la nette amélioration de rendement du service de la rue Ferrus, à Paris, chargé de la délivrance des certificats de nationalité des Français nés et résidant à l'étranger, hors pays du Maghreb et océan Indien. Après de multiples interventions, la loi du 8 février 1995 a judicieusement confié cette tâche administrative à des greffiers en chef assistés d'autres greffiers, bien formés et dédiés entièrement à cette tâche. Dans le cas de la rue Ferrus, le stock des dossiers en instance, de 16 000 en 1995, est maintenant réduit à 9 000 et sera ramené à 6 000 en 1998, chiffre considéré comme satisfaisant.
On ne peut pas en dire autant d'autres tribunaux d'instance spécialisés, comme celui de Saint-Denis de la Réunion, compétent pour les Français de Madagascar, qui reste très engorgé, pour ne pas dire complètement bloqué.
Dans le cadre des recrutements de greffiers qu'annonce pour 1998 Mme le garde des sceaux, a-t-il été prévu de renforcer les services consacrés aux Français de l'étranger ?
Le bon fonctionnement des services administratifs et judiciaires dont ils dépendent est essentiel pour des Français qui, éloignés de leur patrie, cherchent à maintenir le lien avec leur pays d'origine. Les lenteurs et les complications administratives qu'ils rencontrent souvent sont de nature à les décourager vis-à-vis de leur appartenance nationale, ce qui serait contraire non seulement à leur intérêt mais aussi à l'intérêt de notre pays : les expatriés participent à son rayonnement partout dans le monde, et encore ils sont encore en nombre insuffisant.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de la réponse que vous me ferez à ce sujet. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaiterais que vous transmettiez à Mme le garde des sceaux nos souhaits de prompt rétablissement.
Mes chers collègues, la justice en France a besoin d'un traitement urgent, tous les gouvernements, de droite comme de gauche, s'accordent sur ce point.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le budget de la justice présente une progression de 4 %, pour approcher 25 milliards de francs. Il s'agit d'un redémarrage de l'effort en faveur de la justice, car si ce budget avait connu une progression en 1996 de 6,06 %, celle-ci n'était plus que de 1,9 % dans le budget pour 1997.
Cependant, il nous faut relativiser cet effort, car la part du budget de la justice ne représente que 1,57 % de la totalité du budget de la nation alors qu'en Allemagne, pour l'année 1997, la part du budget de la justice dans le budget total représente 1,86 % et, aux Pays-Bas, où le délai de traitement des affaires par les tribunaux de grande instance est de deux cent trente-deux jours, soit 7,7 mois, au lieu de 16,1 mois chez nous, le budget de la justice représente 2,5 % du budget de l'Etat.
Compte tenu du temps qui m'est imparti, je n'insisterai que sur quatre points qui me paraissent plus importants que les autres : la protection judiciaire de la jeunesse, la carte judiciaire, la pénalisation et l'espace judiciaire européen.
Les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse progressent de 4,4 %. Il est essentiel, mes chers collègues, que tous ensemble nous réfléchissions au problème la violence chez les jeunes, car c'est un fait nouveau dans notre pays.
Le profil de ces jeunes correspond, la plupart du temps, à des échecs scolaires : leurs résultats sont de 10 % à 30 % inférieurs à la moyenne nationale, un grand nombre de ces jeunes âgés de quatorze ans à dix-huit ans ne savent ni lire ni compter - les enseignants le savent - et le chômage les touche plus que les autres car ils n'ont aucun métier.
Aussi, la prévention doit être organisée sur deux pôles : au niveau du système scolaire, en affectant des crédits plus importants de l'éducation nationale sur ce qu'il est convenu d'appeler les « études dirigées » et en envisageant des réformes afin d'éviter la constitution de classes lourdes, mais également au niveau du tissu associatif, qui doit s'implanter de façon plus concentrée dans les zones difficiles en proposant des apprentissages et des activités adaptées aux goûts de ces jeunes gens. Le recours aux emplois-jeunes - 3 500 sont prévus - est, à mon avis, un bon élément.
Lorsque je présidais l'office d'HLM de Nice et des Alpes-Maritimes - qui gère 23 000 logements avec de grands ensembles pouvant compter jusqu'à 3 000 foyers - je subventionnais non seulement l'association SOS-devoirs, qui assurait des études après la classe, mais également plus de cinquante clubs sportifs ou associations. J'avais fait acheter trois cars pour emmener les jeunes de deux grands ensembles, à tour de rôle, faire du ski. Et beaucoup d'entre eux, monsieur le secrétaire d'Etat, n'avaient jamais vu la neige ! J'ai fait même acheter un Zodiac pour leur faire faire du ski nautique. Tous ces jeunes étaient passionnés, et je puis vous dire que nous n'avons jamais eu de problèmes dans ces grands ensembles.
Bien évidemment, il faut ajouter à cela un emploi. C'est la raison pour laquelle les zones franches, créées par M. Jean-Claude Gaudin, sont des expériences à suivre de très près. Dans celle qui a été créée dans les Alpes-Maritimes, dans le quartier de l'Ariane, de nombreuses entreprises se sont déjà implantées.
En matière de répression, votre budget prévoit 71 millions de francs de crédits de paiement consacrés à la création, à la rénovation et à l'extension des structures d'accueil pour jeunes ainsi que la création de cent emplois, dont la moitié d'éducateurs.
Mais, au-delà des crédits, je pense qu'il faudra également réfléchir sur les résultats : les foyers pour jeunes délinquants sont parfois des écoles de perfectionnement à la délinquance. Faites-en des centres d'apprentissage !
Quelle est, à ce propos, votre orientation en ce qui concerne les unités à encadrement éducatif renforcé ?
Le deuxième problème sur lequel je veux attirer votre attention concerne la carte judiciaire et les écarts entre les juridictions quant au traitement des dossiers.
Comme le souligne le rapport Carrez, il nous faut considérer que la justice n'est pas rendue uniformément sur le territoire français.
Ne pensez-vous pas qu'une bonne part des dysfonctionnements actuels tient à la volonté de faire fonctionner selon des règles homogènes des juridictions qui n'ont aucune réalité commune ?
A titre d'exemple, l'écart de population entre les ressorts des cours d'Aix-en-Provence et d'Agen est de un à six, et de un à dix en volume d'affaires traitées.
La carte judiciaire française comprend certaines zones qui reflètent encore - je vais peut-être vous faire sourire - le réseau des places-fortes et des villes médiévales, où le droit de justice des seigneurs semble avoir survécu sans discontinuité jusqu'à nos jours, et ce - je ne peux résister au désir de vous le rappeler - à l'exception de Nice, place-forte savoyarde depuis le 28 septembre 1388, à qui le Second Empire, en 1860, a retiré sa cour d'appel. Mais j'aurais mauvaise grâce, monsieur le secrétaire d'Etat, à en reparler de façon trop insistante puisque je l'ai déjà fait ici même, le 14 octobre dernier, lors du débat sur une question orale posée à Mme le garde des sceaux.
Je citerai cependant deux chiffres : en 1996, on a dénombré 306 978 affaires en cours pour l'ensemble des trente-trois cours d'appel de France, la moyenne d'affaires en cours par cour d'appel s'élevant donc à 9 302. Pourtant, la cour d'appel d'Aix à elle seule en a dénombré 56 008 !
Aussi la durée de règlement des affaires est-elle de 23,5 mois à Aix-en-Provence, alors que la moyenne nationale est de 15,6 mois, chiffre déjà élevé.
La situation est devenue si critique qu'un justiciable grassois vient de faire condamner l'Etat à lui payer 50 000 francs de dommages et intérêts pour la lenteur de la justice. Cette personne avait en effet fait appel d'un jugement du conseil des prud'hommes et le parquet général d'Aix-en-Provence lui avait notifié que son appel ne serait pas examiné par la cour d'appel avant quarante mois.
Son cas n'est pas isolé dans le ressort de la cour d'Aix-en-Provence, notamment dans le département des Alpes-Maritimes, et les risques sont nombreux de voir une jurisprudence se développer et votre budget mis à mal.
Nice, cinquième ville de France, se verra accorder, sur votre proposition, des audiences foraines tenues par des magistrats venus de la cour d'Aix-en-Provence. Lorsque l'on sait que 40 % des affaires traitées par la cour d'Aix-en-Provence émanent des Alpes-Maritimes, on n'est pas persuadé que cette solution permette de réduire les délais d'instruction des affaires.
Aussi, pour quelles raisons a-t-on décidé que la création, ne serait-ce que de deux chambres détachées, n'était pas nécessaire ? Elle avait pourtant été promise par plusieurs gardes des sceaux, le premier étant M. Chalandon !
Je sais que le lobby aixois est puissant, même à la Chancellerie. (M. le secrétaire d'Etat sourit.)
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Eh oui !
M. José Balarello. Eh oui ! Je dis ce que je pense !
Pourquoi cet ostracisme contre les Alpes-Maritimes, Nice étant la seule grande ville de France à ne pas avoir de cour d'appel en son sein ou à proximité ?
Comme je suis tenace, nous en reparlerons, car les situations contraires au bon sens ne peuvent, à mon avis, perdurer.
Votre budget prévoit l'affectation de soixante-dix magistrats dans les cours d'appel les plus encombrées, de deux cent trente fonctionnaires de greffes et de deux cent vingt assistants de justice. Vous en êtes conscient, monsieur le secrétaire d'Etat, l'amélioration de la qualité de la justice passe par un accroissement du nombre de magistrats et de fonctionnaires, mais surtout par la nécessité de revoir la carte judiciaire.
Il importe sans doute aussi d'augmenter, comme vous l'a suggéré le rapporteur spécial, M. Haenel, les compétences des tribunaux d'instance. Oui, vous avez parfaitement raison, mon cher collègue !
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Je vous remercie.
M. José Balarello. D'ailleurs, si l'on voulait remettre la justice à flot, il faudrait augmenter les effectifs du ministère de la justice de 2 216 magistrats et 4 681 fonctionnaires : je reprends là les estimations faites en 1994 dans le rapport Carrez, mais, en considérant la progression du nombre d'affaires, on peut penser que ces chiffres sont toujours d'actualité.
Le troisième problème sur lequel j'attire l'attention du Sénat et de la Chancellerie résulte de ce que l'on pourrait appeler la « pénalisation » de notre droit.
Si, effectivement, une meilleure organisation de la justice est nécessaire, l'encombrement des tribunaux résulte au départ de la progression constante du nombre d'affaires à traiter.
Je relisais, voilà quelques jours, le livre d'Antoine Garapon et de Denis Salas - deux magistrats que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d'Etat - La République pénalisée : il est très révélateur de la complexité de la situation créée, je l'avoue, par le Parlement, qui devrait quelquefois, tous partis politiques confondus, refuser de légiférer sur les textes inutiles que lui proposent les gouvernements, qu'ils soient de droite ou de gauche, d'ailleurs, et de pénaliser à tout va.
Alors que la réglementation fiscale, le code de l'urbanisme et le droit du travail sont d'application quotidienne, le droit pénal est censé n'intervenir qu'en renfort, pour les garantir et en sanctionner les inobservations les plus graves. Or notre droit pénal compterait pourtant près de 13 000 incriminations, d'après ces deux magistrats, qui dénoncent ce qu'ils appellent une « démocratie de prétoire » résultant d'une alchimie entre trois éléments : l'irruption des victimes, le pouvoir d'accuser et la presse à l'affût. Selon eux, le ministère de la justice ne peut donner une liste exhaustive des incriminations en vigueur. Est-ce exact, monsieur le secrétaire d'Etat ?
Il est devenu impossible de faire la distinction entre les transgressions graves et les simples fautes professionnelles. Selon, toujours, ces deux magistrats - et je partage leur point de vue - il faut retrouver la responsabilité civile : c'est en retrouvant des instances de régulation et une responsabilité civile, commerciale, administrative et professionnelle que l'on pourra dépénaliser un certain nombre de délits et réduire d'autant les recours abusifs à la plainte, qui est gratuite et pourvoyeuse de dossiers en cours dans nos tribunaux, le tout ralentissant notre système judiciaire.
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, j'évoquerai un quatrième et dernier point, qui est peut-être le plus important.
Il va falloir organiser rapidement l'espace judiciaire européen. Depuis le 25 janvier 1997, ce sont plus de cinq cents magistrats européens qui ont signé l'« Appel de Genève ». Le texte de cet appel est très significatif des problèmes rencontrés par la justice des pays européens dans les procédures d'extradition et dans les enquêtes à mener hors du territoire national, notamment dans les affaires de grand banditisme, de réseaux de blanchiment, de trafics de drogue et, depuis peu, de filières d'immigration.
Ces cinq cents magistrats demandent l'abolition des protectionnismes dépassés en matière policière et judiciaire et l'instauration d'un véritable espace judiciaire européen mettant en application les accords de Schengen qui prévoient la transmission directe de commissions rogatoires internationales et la transmission du résultat des investigations entre juges, sans interférences du pouvoir exécutif et sans recours à la voie diplomatique.
Je pense que ces magistrats ont raison, monsieur le secrétaire d'Etat. Pouvez-vous me faire connaître où en est, en ce domaine, l'application des accords européens ?
Un magistrat spécialiste de la lutte antimafia propose par ailleurs la création de « missions pluridisciplinaires mobiles », constituées d'un policier, d'un douanier et d'un inspecteur des impôts et se déplaçant à la demande de la justice. L'Europe vivant avec des textes qui, en ces domaines, sont obsolètes puisque datant de la fin des années cinquante, l'Appel de Genève doit, à mon avis, être entendu. Comment réagissez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, à cette demande pressante des magistrats, magistrats instructeurs pour la plupart ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le secrétaire d'Etat, il va de soi que, comme chacun des intervenants, je vous prie de transmettre à Mme le garde des sceaux nos voeux de prompt rétablissement. Je sais que la fonction qu'elle occupe est difficile, je dirai même parfois cruelle, lorsqu'on l'exerce avec coeur, ce qui est son cas. Qu'elle se ménage et qu'elle soit rapidement de retour parmi nous.
Je regrette d'autant plus son absence que j'aurais eu le plaisir de lui dire avec quelle satisfaction le groupe socialiste accueille et vote son premier budget.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Robert Badinter. S'agissant d'une discussion sur le budget de la justice, je ne me lancerai pas sur les terrains qui ont été évoqués çà et là. Je me contenterai d'analyser certains postes budgétaires, plus particulièrement ceux des services judiciaires, puisque le problème réside d'abord dans le fonctionnement de la justice au regard des moyens dont elle dispose.
La satisfaction que j'ai évoquée tient d'abord au montant des crédits. Ainsi, la hausse du budget de la justice est, en soi, importante : 4,03 %. C'est une progression sensible, chacun le reconnaît, par rapport à celle de l'année dernière qui, avec ses 1,77 %, ne couvrait pas l'inflation. Même en calculant sur deux ans - 1996-1997 - on arrivait à une augmentation moyenne de 3,4 %, sensiblement inférieure à celle que connaît le budget qui nous est présenté.
Nous éprouvons de la satisfaction aussi quand il s'agit de comparer le montant du budget de la justice à celui du budget de la nation dans sa globalité : je rappelle, à cet égard, que le budget de l'Etat connaît, en cette période de rigueur, une hausse de 1,36 %. C'est dire que l'on a véritablement voulu marquer une priorité pour l'institution judiciaire.
Si l'on y ajoute le dégel intervenu de 180 millions de francs et de 600 emplois, dégel engagé dès le mois de juillet 1997, on constate l'importance des progrès réalisés.
Mais il y a de la satisfaction aussi pour celui qui s'applique à examiner l'affectation des ressources : priorité est donnée, en effet, au secteur si important aujourd'hui de la protection judiciaire de la jeunesse, avec une progression des crédits de 4,14 %.
Une attention particulière est accordée au fonctionnement quotidien de la justice, notamment à l'amélioration des conditions de fonctionnement des juridictions et à la présence de la justice dans les quartiers sensibles.
Mes amis MM. Authié et Delfau évoqueront successivement les crédits pénitentiaires et les crédits affectés à la protection judiciaire de la jeunesse, sujets que je viens seulement d'esquisser.
Pour ma part, je m'attacherai aux services judiciaires comme chaque année.
Tout d'abord, en masse, la progression des crédits des services judiciaires est supérieure à celle des crédits du budget total de la justice : 4,71 %, au lieu de 4,03 %.
La progression des effectifs est remarquable : le projet de budget prévoit la création de 300 emplois, contre 96 seulement en 1997.
Chez les magistrats professionnels, soixante-dix postes ont été créés en 1997. Compte tenu de l'allongement de la durée d'application de la loi de programme de M. Méhaignerie, loi de programme qu'il faut absolument respecter - et malgré la création de trente postes seulement en 1997, nous l'avions relevé avec affliction car soixante étaient prévus par la loi - le recrutement que je viens d'évoquer permettra de rattraper, au moins pour une bonne part, le retard pris dans l'exécution de la loi de programme.
J'ai parlé de l'affectation des ressources. Les nouveaux postes sont affectés en priorité dans les secteurs les plus encombrés, notamment les cours d'appel, les juridictions pour mineurs, les affaires familiales, le service d'application des peines.
Nous approuvons ces choix, mais nous demandons que ne soit pas perdue de vue la question du nécessaire renforcement des moyens de l'instruction, qui demeure un problème clé de notre institution judiciaire.
Nous avons tous appris par Mme le garde des sceaux qu'un concours extraordinaire pour le recrutement de magistrats - 100 en 1998 et 100 en 1999 - doit être soumis au Parlement. Nous en débattrons le moment venu. Ces effectifs contribueraient, en effet, à renforcer la capacité d'action de la justice.
Il demeure, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'Ecole nationale de la magistrature doit rester le foyer premier de recrutement de la magistrature. J'avoue que je suis inquiet lorsque je vois le faible nombre de postes - 154 en 1997 - qui sont mis au concours. C'est extrêmement préoccupant et, de surcroît, tout à fait décourageant pour les meilleurs de nos étudiants. Au moins ai-je relevé avec satisfaction que l'ENM est dotée de crédits plus importants et sont de près de 10 % en augmentation.
J'en viens aux greffiers, sans lesquels aucun progrès n'est possible dans le fonctionnement de la justice.
La loi prévoit la création de 230 postes, dont 10 de greffiers en chef et 90 de greffiers. Ce progrès est d'autant plus sensible que, je le rappelle, aucun concours de recrutement n'était intervenu en 1997.
Par ailleurs, j'approuve la revalorisation indemnitaire des agents des catégories A, B et C.
Je relève avec plaisir l'importance des crédits consacrés au recrutement de 220 assistants de justice. Leur concours est très apprécié par les magistrats. Il faut de plus en plus développer cette fonction, qui permet de surcroît - j'en reviens à la question des étudiants - de mieux préparer les étudiants de troisième cycle aux carrières de la magistrature.
Voilà les progrès que j'ai constatés et les satisfecit qui s'imposent. Est-ce à dire que notre inquiétude sur le fonctionnement de la justice est pour autant dissipée ? Certes pas !
On relève toujours la modicité du budget de la justice et, monsieur le rapporteur spécial, vous avez à juste titre mis l'accent sur ce point.
J'avais déjà eu l'occasion de le rappeler l'année dernière, si l'on regarde l'évolution du budget de la justice, on constate que, depuis 1981, il a toujours augmenté régulièrement de presque 0,25 % par an. En francs constants, il a plus que doublé en quinze ans. Sa part dans le budget de l'Etat s'est accrue de 50 % sur la même période. Il s'agit là d'un effort budgétaire régulier, malgré, de temps en temps, des hausses et des régressions, mais, il faut bien le dire, toujours insatisfaisant.
Il en est insuffisant pour une raison simple : l'effort d'accroissement budgétaire ne peut pas être comparé à l'inflation judiciaire, qui est galopante. Les causes en sont connues ; elles ont été analysées bien des fois dans cette enceinte, notamment récemment par l'excellent rapport de nos collègues MM. Jolibois et Fauchon.
Ces causes de l'inflation judiciaire sont inscrites dans la structure même de notre société. Elle est de plus en plus réglementée, de plus en plus déchirée par les conflits individuels et collectifs de toute nature, notamment, vous l'avez évoqué, dans le domaine familial, mais dans bien d'autres aussi.
Le recours accru à l'aide juridique, qui est en effet un très grand progrès social et dont les ressources, d'ailleurs, progressent, ne peut aussi que contribuer à accroître les demandes judiciaires.
Ajoutons que l'effacement des modes traditionnels de solution des conflits par des autorités morales : le maire, l'instituteur, le prêtre, a disparu.
Bref, tout concourt à ouvrir la voie à l'inflation judiciaire et également, je le rappelle, à l'augmentation constante de l'usage des voies de recours.
Au pénal, on y remédie par une technique que chacun connaît et sur laquelle on peut s'interroger : le classement sans suite ; mais, en matière civile, rien n'est possible.
Dès ce moment-là, je le dis clairement, je le répéterai toujours, il n'y a que deux remèdes face à une telle situation.
Le premier, c'est évidemment l'accroissement considérable des crédits des services judiciaires, qui s'élèvent à 11 milliards de francs environ, soit 44,4 % des crédits du ministère. J'ai fait les calculs et, comme le temps ne me permet pas de les développer ici, je les tiens, bien entendu, à votre disposition. S'il était porté à 15 milliards de francs en francs constants, le fonctionnement de notre justice ne connaîtrait plus de problème.
Le coût de rénovation de la justice française, service public essentiel à la disposition des justiciables, est de 4 milliards de francs par an. Ce montant, cher monsieur le secrétaire d'Etat, par rapport à un budget global de 1 877,5 milliards de francs que vous avez la lourde responsabilité, je le sais, de gérer, représente une augmentation de l'ordre de 0,22 %.
Des choix doivent être opérés dans un Etat.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Robert Badinter. Le Président de la République, première autorité de l'Etat, vous avait laissé augurer dans son discours lors de l'installation de la commisssion Truche que l'heure était venue. Comme l'a dit le premier président Truche en tête de son rapport : « Notre pays n'aura jamais que la justice dont il veut bien payer le prix. »
J'ai constaté sur quinze ans que, malgré toutes les déclarations d'intention, tous les gouvernements et, cher monsieur le secrétaire d'Etat, tous les ministres successifs du budget - et j'en ai fréquentés, fort amicalement ! - ne se résignent pas à véritablement doter la justice. Pourquoi ?
Certains - je pense en particulier à notre amie Mme Blandine Barret-Kriegel - vous diraient que, historiquement, l'Etat français a toujours été un Etat d'administration et n'a jamais voulu devenir un Etat de justice. La conséquence se traduit dans les budgets. Nous ne sommes pas capables de faire à cet égard la véritable révolution culturelle qui s'impose. Je le dis clairement, la barre se situe à 4 milliards de francs - en dessous, nous n'arriverons qu'à bricoler - et ce n'est qu'à ce niveau-là que nous aurons une institution judiciaire répondant aux besoins de la France.
Je souhaite par conséquent que le Gouvernement, dans le cadre de législature et compte tenu du temps qui et le sien, de votre excellente compétence, monsieur le secrétaire d'Etat, et de votre intérêt particulier, je le sais, pour la chose judiciaire, mesure que tout se joue à 4 milliards de francs près !
Même avec un budget accru, le redressement de la situation judiciaire appellerait, à mon sens, quatre ordres de mesures.
La première est l'élaboration de la carte judiciaire. Je n'insiste pas sur ce point, car nous sommes tous d'accord.
La deuxième est la simplification des procédures. Je rappelle à cet égard les excellentes propositions du rapport du président Coulon.
La troisième est le traitement, auquel pense la Chancellerie avec intérêt et précision, des contentieux de masses. Il y a des approches nouvelles qu'il faut absolument mettre en oeuvre.
Enfin, la quatrième, sur laquelle, vous le savez, je reviens chaque année avec la même passion, est le recours systématique au mode de règlement alternatif des conflits par la conciliation et la médiation. C'est le cas pour toutes les justices, de tous les grands Etats ; à cet égard, ne nous leurrons pas.
Je terminerai en vous donnant lecture d'une lettre que m'a adressée le président Coulon à la suite d'une réunion que nous avions sur les progrès de la médiation et de la conciliation, bref, sur les modes de règlement alternatif ; certains pensent aussi à l'arbitrage.
Le président Coulon a conduit une enquête pour savoir où nous en étions dans ce domaine et voici la réponse qu'il m'a autorisé à vous communiquer :
Monsieur le président, les premiers renseignements que j'ai pu obtenir sur la médiation révèlent que cette institution relève encore essentiellement du domaine de la réflexion.
Au tribunal de Paris, une dizaine de médiations ont été prononcées en 1996 par les juridictions du fond et une vingtaine par les juges des référés. Les médiations familiales » - dont on fait volontiers cas dans les colloques - « sont de l'ordre de cinquante, étant observé cependant que les parties doivent ressaisir le juge.
Des recherches ont été effectuées auprès des tribunaux de Bordeaux, Lille, Lyon, Rennes et Toulouse. Ces juridictions ne pratiquent, et encore très rarement, que la médiation familiale. »
J'arrête là ma lecture. Comme je vous le disais, le tribunal de Paris et le barreau vont créer un groupe de travail pour tenter de généraliser la médiation judiciaire.
C'est dire que nous sommes au début de l'entreprise ; c'est dire aussi qu'à partir des travaux qui ont été plusieurs fois évoqués dans cet hémicycle - je pense en particulier au rapport Jolibois-Fauchon - il est évident que doit maintenant véritablement commencer l'ère de ce que l'on appelle le mode alternatif de solution des conflits.
Ce sont là des perspectives que, j'en suis convaincu, le Gouvernement aura à coeur de mettre en oeuvre, et je pense que nous aurons l'occasion d'oeuvrer avec lui dans ce domaine comme dans tant d'autres.
Simplement, s'agissant aujourd'hui du vote du budget, monsieur le secrétaire d'Etat, vous direz à Mme le garde des sceaux que nous le voterons magna cum laude. (Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Hyest et Leclerc applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme l'ensemble des citoyens et, comme la plupart des orateurs qui interviennent dans ce débat, je ferai part de mon aspiration à une justice plus simple, plus rapide, plus efficace et plus proche du justiciable. Si ce souhait est bien souvent exprimé, c'est que la réalité est tout autre.
En effet, il est regrettable de constater qu'un des principaux rouages du fonctionnement de la démocratie, l'un des piliers de notre République, manque à l'évidence cruellement de moyens.
Quotidiennement, il est fait état de l'encombrement des tribunaux et de la lenteur des procédures. On assiste un peu partout dans notre pays à l'asphyxie d'une grande partie des juridictions. A tel point qu'à la suite d'un délai anormalement long un tribunal a récemment indemnisé un justiciable pour « préjudice moral résultant du maintien anormal d'une tension psychologique ». Cette décision pourrait faire jurisprudence quand on sait que l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme impose à la justice de rendre ses décisions dans un délai raisonnable.
L'inflation du contentieux, notamment en matière civile, et la « juridicisation » des rapports sociaux expliquent en partie cette situation.
De 1975 à 1994, le nombre d'affaires nouvelles examinées par les tribunaux est passé de 200 000 à 650 000, soit une augmentation de 220 %. Doit-on se plaindre de cette évolution sous prétexte qu'elle engorge les tribunaux ? A mon sens, c'est délicat, car elle témoigne finalement - s'il l'on fait abstraction des dysfonctionnements qui sont mal vécus - de l'existence d'une confiance envers le règlement des litiges par la justice. Les citoyens savent se saisir des tribunaux et, visiblement, ils n'hésitent pas. Toutefois, des moyens doivent accompagner cette demande dans les mêmes proportions.
Les justiciables doivent pouvoir obtenir un jugement ou une réparation dans des délais raisonnables. Je crois, mes chers collègues, que, sur ce point, l'unanimité est acquise.
Par ailleurs, apporter satisfaction aux justiciables quant aux délais implique que l'on réponde bien évidemment aux besoins de ceux qui travaillent à rendre la justice, car si la lenteur des procédures est difficile à supporter par les premiers, elle n'en est pas moins difficile à vivre pour les seconds.
La grève déclenchée par les bâtonniers le 6 novembre dernier traduit le malaise de toute une profession. Les avocats réclament un plan d'urgence afin de « répondre sur tout le territoire aux besoins de justice et d'accès au droit des citoyens ». Habituellement enclins à la pondération, les bâtonniers ont clairement manifesté leur colère. La situation est donc vraiment dramatique.
Il faut imaginer qu'au quotidien les avocats sont confrontés à toutes les carences que j'ai évoquées plus haut. Non seulement leur travail est parfois rendu pénible par l'insuffisance des moyens matériels et humains des tribunaux, mais, en plus, c'est à eux que revient le soin d'annoncer aux clients qu'un divorce demandera deux ans avant d'être prononcé, que le jugement d'une affaire de copropriété prendra trois ans ou que la reconnaissance de leurs droits se fera d'ici à quatre ans.
Ensuite, outre la désagréable tâche d'annoncer ces faits, les avocats reçoivent parfois en retour des critiques ; le justiciable, méconnaissant les réalités, peut parfois, hâtivement, remettre en cause la compétence de celui qu'il a pourtant choisi pour le défendre.
Et ne parlons pas des conditions matérielles dans lesquelles exercent certains magistrats, avocats et tout le personnel de justice !
Dans ma région, le tribunal de grande instance de Toulouse, abrité par un bâtiment vénérable de 1850, est dans un état de délabrement à la limite du supportable ; la vétusté des locaux, l'ancienneté des installations électriques et du matériel imposent des rénovations urgentes. Hélas, celles-ci tardent à venir !
Mais j'espère, monsieur le secrétaire d'Etat, que les nouveaux moyens inscrits dans la loi de finances pour 1998 vont permettre de répondre à tous ces besoins.
Si le tableau que je viens de brosser est un peu noir, j'en conviens, nous avons toutefois la satisfaction, cette année, d'avoir à examiner un budget de la justice en forte hausse. En atteignant 25 milliards de francs, il progresse de 4 % par rapport à 1997. C'est un point très positif qui traduit à l'évidence la volonté du Gouvernement de faire de la justice une réelle priorité.
Dans un contexte général de maîtrise des finances publiques, ce budget a le privilège de connaître une hausse trois fois supérieure à celle du budget de l'Etat.
En matière de création d'emplois, le ministère de la justice se place au second rang derrière l'enseignement supérieur, autre grande priorité du Gouvernement.
A la lecture des documents budgétaires, monsieur le secrétaire d'Etat, on remarque une concentration des crédits sur l'amélioration du fonctionnement de la justice au quotidien, sur la jeunesse et sur la modernisation des établissements pénitentiaires.
S'agissant du fonctionnement de la justice, je ne reviendrai pas sur ses difficultés puisque j'en ai traité au début de mon intervention. Je souhaiterais toutefois féliciter le Gouvernement pour l'effort qu'il engage dans ce domaine avec, notamment, le renforcement des effectifs dans les juridictions, l'abondement des crédits de fonctionnement ou la poursuite des programmes immobiliers.
Toutefois, pour faire face à l'augmentation des plaintes, qui pourrait être plus rapide que l'amélioration des structures, il est nécessaire de développer parallèlement les procèdures de conciliation et de médiation.
Sur la seconde priorité affichée par le budget, c'est-à-dire la jeunesse, je souhaite vous faire part de mon approbation quant aux choix des lignes budgétaires à renforcer. Les mesures que vous envisagez, telles que l'augmentation du nombre de juges pour enfants, d'éducateurs ou la création de nouveaux foyers d'hébergement devraient permettre de mieux assurer à la fois la prévention et le suivi des jeunes aux prises avec la justice.
Compte tenu des ravages que provoquent la présence du chômage, la consommation de drogue, l'absence de perspective et de rêve, la jeunesse est, pour un trop grand nombre, vécue comme un handicap plus que comme un atout.
Les jeunes sont nos enfants et notre avenir. Nous devons les aider à trouver, au sein de la justice, la réponse la plus adaptée à leur problème, ce qui implique le développement d'un panel de moyens.
La modernisation des établissements pénitentiaires constitue la troisième grande priorité du budget de la justice. Dans ce domaine également, nous sommes conscients, pour avoir visité des prisons ou entendu des témoignages, de l'existence d'un réel malaise, tant pour les prisonniers que pour le personnel pénitentiaire. La surpopulation carcérale est un phénomène bien connu.
L'augmentation des crédits affectés aux autorisations de programmes et au renforcement des effectifs devrait permettre de répondre à l'urgence de cette situation.
Dans le même temps, il serait souhaitable de tenter de diminuer le nombre de personnes incarcérées en limitant peut-être la détention provisoire, en infligeant plus souvent des peines de substitution ou en développant des alternatives à l'incarcération, comme par exemple le port du bracelet électronique.
Telles sont, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais faire sur le projet de budget de la justice.
Je terminerai mon intervention en abordant deux points, dont l'un d'ailleurs n'est pas dépourvu de lien avec les questions financières.
Mme le garde des sceaux a présenté, lors du conseil des ministres du 29 octobre dernier, les grandes lignes de la réforme de la justice. je veux dire que, si les efforts budgétaires sont appelés à rendre la justice plus efficace et plus rapide, c'est à une réforme structurelle que l'on devra la réconciliation des citoyens avec leur justice.
L'opinion publique attend beaucoup de l'indépendance du parquet. Bien qu'en pratique la majorité des affaires soient conduites, bien sûr, en toute indépendance, le blocage réel ou non de certaines d'entre elles a terni le lien entre le pouvoir exécutif et la justice. C'est pourquoi la réforme de la justice mérite d'être menée à terme dans l'intérêt des justiciables, des magistrats et de l'institution.
Enfin, je terminerai mon propos sur la réforme de la carte judiciaire, qui est un autre chantier indispensable au bon fonctionnement de la justice.
J'aimerais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous me rassuriez sur les orientations envisagées par cette réforme. Une refonte de la carte judiciaire signifierait-elle la suppression de certaines juridictions ? Compte tenu du constat que l'on fait sur l'engorgement des tribunaux, cette tendance serait, me semble-t-il, contradictoire avec les besoins de la justice, ainsi qu'avec une notion qui nous est très chère, celle d'aménagement du territoire.
L'existence d'une justice de proximité contribue à l'équilibre du territoire. Une logique de concentration priverait une nouvelle fois nos campagnes de services publics élémentaires.
En attendant vos éclaircissements sur ce dernier point, je vous assure en tout cas, monsieur le secrétaire d'Etat - et vous pourrez en faire part à Mme le garde des sceaux - du soutien des radicaux de gauche sur le présent budget. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. le rapporteur spécial applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je m'associe bien évidemment aux voeux de prompt rétablissement qui ont été adressés à Mme le garde des sceaux.
Le budget qui nous est soumis aujourd'hui progresse de 4,03 %. S'il est vrai, comme cela a été suffisamment répété, que ces crédits sont en nette progression par rapport à 1997, cette progression correspond néanmoins à la moyenne des années précédentes.
Ce budget va permettre d'appliquer, dans les délais prévus, le programme pluriannuel de 1995 lancé par M. Méhaignerie. Nous serons cependant tous d'accord pour admettre que le Gouvernement semble toutefois donner une priorité à la justice.
J'ai noté que les crédits accordés aux services de l'administration centrale, en augmentation, vont permettre de revaloriser les indemnités accordées au personnel. Je m'inquiète toutefois de la stagnation des effectifs dans ce secteur, alors qu'a été annoncée la création d'une mission interministérielle de réforme de la carte judiciaire, qui mobilisera sûrement plus de personnel que les cinq emplois temporaires dont Mme le garde des sceaux a autorisé la création.
Concernant le secteur des services judiciaires, je note avec satisfaction la forte augmentation des effectifs, qu'il s'agisse des magistrats ou des fonctionnaires de justice. Toutefois, cet effort doit être relativisé, puisqu'il entre dans le cadre de la loi de programme relative à la justice du 6 janvier 1995. Le Gouvernement ne fait que respecter cette dernière. Nous devons cependant nous féliciter de cette progression car, s'il est un secteur qui a besoin de personnel, c'est bien celui de la justice.
Je ne citerai que quelques chiffres très révélateurs : en matière civile, le contentieux a augmenté de 220 % en vingt ans, tandis que le nombre des magistrats est passé, quant à lui, de 5 000 en 1975 à 6 000 aujourd'hui. J'ai peine à croire, même si c'est la réalité, qu'ils ne sont guère plus nombreux qu'au xixe siècle !
Ainsi, le projet de loi de finances pour 1998 prévoit la création de soixante-dix postes de magistrats destinés aux secteurs les plus encombrés, notamment à celui des affaires familiales, et de 230 emplois de fonctionnaires de justice. Mme le garde des sceaux est tout à fait consciente du décalage existant entre l'annonce des créations d'emplois et la création réelle de ces emplois. C'est pourquoi elle a prévu le recrutement de seize magistrats et de 220 assistants de justice à titre temporaire.
Je reconnais volontiers vos efforts en matière de création d'emplois. Toutefois, je m'inquiète du rôle que vont avoir à jouer les 3 500 jeunes qui seront embauchés dans le cadre de la loi pour le développement de l'emploi des jeunes. Ces emplois vont mobiliser 400 millions de francs sur le budget de la justice.
J'aurais aimé que ces emplois et les crédits qui leur sont affectés soient plus clairement définis avant que nous ayons à voter ce budget. Je ne vois, en effet, aucun crédit spécifiquement destiné à ces créations.
De nombreux problèmes se posent quant au recrutement puisque, la justice relevant du droit commun, l'Etat ne peut pas être considéré comme l'employeur. Il sera bon de définir très clairement quels seront les organismes habilités à recrutés ces jeunes.
Je me réjouis toutefois de l'engagement du Gouvernement, et j'espère qu'il sera tenu de ne pas substituer ces emplois à ceux qui existent déjà. Il vous faudra alors bien réfléchir sur les tâches qu'auront à accomplir ces jeunes en délimitant très strictement leur rôle, mais également leurs responsabilités en matière pénale. Lorsque l'on connaît le manque énorme de personnel dont pâtit tout le secteur de la justice, on est amené à penser que les 400 millions de francs destinés aux emplois-jeunes auraient peut-être leur place dans les services déjà existants.
Je parle en connaissance de cause. Elue du Val-d'Oise, je suis particulièrement touchée par la situation de la juridiction de Pontoise, qui, vous le savez, est désastreuse et le mot n'est pas trop fort.
Je profite de l'occasion pour insister sur l'aspect préoccupant de l'augmentation des zones de non-droit dans le Val-d'Oise, qui sont, hélas, la conséquence directe d'une justice « en panne ».
Au début du mois de novembre, la grève des avocats, qui fut très importante dans mon département, nous a rappelé combien il était nécessaire d'améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien. Cette grève nous a, en effet, permis de mieux comprendre l'ampleur des dysfonctionnements. Il est clair que la juridiction de Pontoise est à cent lieues de l'idéal du service public. Monsieur le secrétaire d'Etat, j'espère que, comme le Gouvernement l'a annoncé, la juridiction de Pontoise sera réellement considérée comme prioritaire en 1998.
Une telle situation ne peut plus durer. Je suis indignée de savoir que, faute de moyens, de nombreuses affaires sont classées sans suite. Ces dernières représentent environ 80 % des affaires prénales. Cette méthode, que j'accuse aujourd'hui, n'est qu'un moyen d'éviter de trop grands retards dans le traitement des affaires qui attendent, pourtant souvent, plusieurs années pour être traitées.
Il semblerait, malheureusement, que la justice s'éloigne de plus en plus de son image de « garante de la démocratie ». Avec ce volume énorme d'affaires classées sans suite, on ne s'étonne plus de voir, dans certains quartiers difficiles, dans ma ville de Garges-lès-Gonesse entre autres, les victimes découragées refuser de porter plainte face à l'impunité dont semblent jouir les auteurs de délits. Une telle situation doit absolument cesser : dans l'idéal, la justice devrait être présente partout dans les quartiers difficiles.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'aimerais m'attarder un peu sur le problème de la délinquance des mineurs, qui est très importante dans nos banlieues. Vous avez déclaré que toute faute devait être sanctionnée de façon appropriée. Je suis tout à fait d'accord avec vous !
On l'a assez dit, l'ordonnance de 1945 n'est plus du tout adaptée aux problèmes actuels, et il est nécessaire de la modifier en profondeur. Votre précédesseur avait commencé cette réforme, j'espère que vous la poursuivrez. Vous avez fait du renforcement de la protection judiciaire de la jeunesse une de vos priorités, et c'est une bonne chose. Il faut désormais que la police puisse faire son travail convenablement et dans les meilleures conditions. C'est la crédibilité de nos policiers qui est en jeu, car si, comme je l'ai dit, les gens ne croient plus beaucoup en la justice, l'image de la police nationale se dégrade également en raison du manque de suivi des affaires.
Malheureusement, malgré la progression des crédits de la justice, les retards accumulés sont loin d'être rattrapés. Au mieux, l'année 1998 ne sera pas pire que les autres.
La justice a besoin de moyens, c'est vrai ; mais elle a également un grand besoin d'être une bonne fois pour toutes réformée. La justice doit retrouver ses lettres de noblesse aux yeux des citoyens qui la jugent aujourd'hui inefficace, voire dans certains cas corrompue, ce qui est très grave.
Je ne suis pas la seule, il s'en faut de beaucoup, à dire qu'il faut réformer la carte judiciaire, qui est loin d'être adaptée à nos besoins actuels. Votre prédécesseur avait lancé cette réforme qui, je vous l'accorde, sera très difficile à réaliser. Cependant, était-il réellement nécessaire de créer une mission « carte judiciaire » ? Je pense très sincèrement que nous sommes tous ici favorables à une meilleure répartition des moyens sur tout le territoire français. En cela, nous nous entendons tous sur la nécessaire refonte de la carte judiciaire, qui a fait l'objet de nombreux rapports. C'est pourquoi je m'interroge aujourd'hui sur la réelle utilité d'une énième mission interministérielle qui coûtera quand même 500 000 francs au ministère de la justice.
Je pense qu'il conviendrait de se lancer désormais concrètement dans cette réforme en travaillant tous ensemble et en analysant les réels besoins des différentes régions de France.
Mon souhait, monsieur le secrétaire d'Etat, est que le budget de la justice s'inscrive dans la continuité. J'ose croire qu'il n'est pas l'effort d'une seule année, c'est hélas ! souvent le cas pour les crédits attribués à la justice.
En espérant qu'il n'y aura ni gel ni annulation de crédits cette année, je voterai ce projet de budget, car il marque tout de même un retour à une progression normale. Je resterai toutefois très attentive à la situation du tribunal de Pontoise qui est, je le rappelle, inacceptable et inadmissible au regard des effectifs de magistrats et de fonctionnaires ainsi qu'en matière de locaux. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le secretaire d'Etat, mes chers collègues, il faut rendre cette justice à Mme le garde des sceaux : elle ne ménage ni son temps ni sa peine et, comme tous mes collègues, je lui souhaite un prompt rétablissement.
« Le budget de la justice est misérable : un peu plus de 20 milliards de francs, moins du cinquième du déficit du Crédit lyonnais, l'équivalent de la subvention de l'Etat à Air France. Il faut avec cela payer les magistrats, les greffiers, les fonctionnaires de la Chancellerie, les personnels pénitentiaires et ceux de l'éducation surveillée. Il faut aussi entretenir et construire les palais de justice, les prisons et les établissements pour mineurs. Il faut enfin assurer le fonctionnement de l'ensemble. Comment, dès lors, remédier au délabrement des prisons ou à la surcharge chronique des juridictions ? »
C'est en ces termes que Thierry Jean-Pierre pose, dans un de ses livres, la problématique de la justice dans notre pays.
Cette insuffisance de moyens est notoire. Elle affecte à la fois les effectifs, les traitements et les moyens matériels.
Les enjeux sont clairs : quelle place notre démocratie accorde-t-elle à la justice ? Quel prix notre pays est-il prêt à payer pour disposer d'un système judiciaire qui soit le plus efficace et le plus équitable possible ? Il s'agit d'un domaine vital pour l'Etat et pour les équilibres de notre société.
Il faut donc que les ambitions affichées, les déclarations d'intention trouvent une traduction concrète. Or c'est par l'examen du projet de budget que l'on peut mesurer la réalité des efforts consentis.
Ainsi, avec un montant global de 24 milliards de francs, les crédits du ministère de la justice progressent, en francs courants, de 4,04 %, ce qui correspond approximativement à l'affectation de un milliard de francs supplémentaires.
Nous ne pouvons, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous en féliciter.
Néanmoins, je formulerai trois observations.
La première a trait au souci d'un juste traitement des fonctions régaliennes de l'Etat. Je constate que, si ce projet de budget progresse de manière bien plus sensible que l'ensemble des budgets civils pour 1998, dans le même temps, le budget de la défense subit cette année un rude coup.
Ma deuxième observation rejoint celle qu'a déjà exposée M. le rapporteur spécial : la progression des crédits ne permet pas de rattraper le retard provoqué par la loi de finances pour 1997 dans l'exécution de la loi de programme relative à la justice.
Ma troisième observation concerne, plus généralement, la part du budget de la justice dans le budget de l'Etat, laquelle est encore bien trop faible, même si elle progresse lentement, passant de 1,51 % en 1997 à 1,56 % pour 1998.
A cet égard, je souscris aux conclusions de notre éminent collègue Hubert Haenel : le service public de la justice ne pourra fonctionner correctement que s'il dispose d'un budget d'environ 35 milliards de francs.
Sans entrer dans les détails, je dirai que les trois orientations majeures de ce projet de budget, assorties des moyens nécessaires, répondent à de réels besoins.
En effet, la lenteur excessive des jugements démontre l'absolue nécessité d'améliorer la justice au quotidien en diminuant les délais de contentieux, en particulier dans les cours d'appel, et en renforçant la justice de la famille et des enfants.
De même, il était vivement souhaitable d'accroître les efforts en faveur des services pénitentiaires, en particulier pour la modernisation des établissements et le développement des mesures alternatives à l'incarcération, même si les besoins en crédits de fonctionnement sont loin d'être satisfaits.
Enfin, il est proposé de renforcer les moyens consacrés à la protection judiciaire de la jeunesse, ce qui me conduit à vous demander, monsieur le secrétaire d'Etat, quelles orientations seront privilégiées en matière de traitement de la délinquance des mineurs, et cela dans le droit-fil des déclarations de M. le ministre de l'intérieur concernant les multirécidivistes.
Je rappelle que l'on observe aujourd'hui une croissance extrêmement rapide de la délinquance des mineurs et un abaissement constant de l'âge des délinquants.
Dans le même esprit, je partage les interrogations déjà exprimées quant à l'affectation des 3 500 emplois-jeunes et je m'associe aux remarques sur l'urgence d'une réforme en profondeur de la carte judiciaire.
J'ai pris bonne note de la communication de Mme le garde des sceaux au conseil des ministres du 29 octobre dernier et des réformes qu'elle y a annoncées : « L'année 1998 va être consacrée à l'ensemble "indépendance du parquet - présomption d'innocence". » Fort bien ! Nous en débattrons.
Mais je voudrais dire ici mon inquiétude concernant les réformes dites « en panne » ou « avortées ». Je pense en particulier à deux d'entre elles : la réforme de la cour d'assises, tendant à créer un deuxième degré de juridiction ; l'indispensable adaptation de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, notamment dans ses dispositions pénales, en particulier sur la base des propositions de notre excellent collègue Philippe Marini.
Cela étant, je partage la conclusion de Mme le garde des sceaux selon laquelle « il est nécessaire qu'un effort budgétaire significatif soit consenti en faveur de la justice au cours des prochaines années ».
C'est donc sur la durée que nous jugerons de l'attachement du Gouvernement à donner, notamment, tout leur sens aux articles 5 et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Authié.
M. Germain Authié. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je limiterai mon propos à l'examen des crédits de l'administration pénitentiaire.
Toutefois, monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais saluer à nouveau l'embellie que constitue l'ensemble de ce budget de la justice par rapport à celui qui l'a précédé, embellie non seulement en termes de chiffrage, mais aussi en termes d'équilibre - tous les postes du ministère de la justice bénéficiant de l'augmentation - et surtout d'orientation.
Ainsi, s'agissant de l'administration pénitentiaire, on assiste à l'abandon du « tout carcéral », les crédits nouveaux étant affectés en priorité à la création de centres de semi-liberté, aux comités de probation et au milieu ouvert.
Le milieu ouvert concerne 117 000 personnes, ce qui correspond à 1 078 emplois.
On observe une nette volonté d'améliorer les secteurs du milieu ouvert et de la détention des mineurs. Cela passe par le recours plus fréquent aux peines alternatives à la prison et contribue à la lutte contre la surpopulation carcérale.
Ainsi, sur les 726 emplois créés, 300 sont réservés au milieu ouvert. A ces créations, il faut ajouter les postes qui ont été débloqués par Mme le garde des sceaux au mois de juillet, dès son arrivée au Gouvernement, et aux 3 500 emplois-jeunes répartis entre les tribunaux et les associations travaillant avec l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse ; ce sont là d'importants moyens nouveaux.
L'ambition de Mme le garde des sceaux est de créer des services pénitentiaires d'insertion et de probation à compétence départementale, chargés de remplir leurs missions tant en milieu ouvert qu'en milieu fermé, et dirigés par un cadre pénitentiaire responsable de l'action des travailleurs sociaux.
Nous la félicitons de cette réforme, qui devra s'accompagner d'une clarification des rôles respectifs du juge de l'application des peines et des directeurs des comités de probation et d'assistance aux libérés. Une telle clarification devrait permettre d'améliorer l'individualisation du suivi des peines, de favoriser la réinsertion des détenus et, ainsi, de lutter indirectement contre la surpopulation carcérale.
La surpopulation carcérale est, en effet, un des maux auxquels il est urgent d'apporter remède. Tous les moyens doivent être déployés pour la réduire : je pense, bien entendu, à la nécessité de limiter le recours à la détention provisoire, mais aussi au développement des alternatives à l'emprisonnement.
Pour faire face à la surpopulation carcérale, il est en outre proposé de créer trois nouveaux établissements pénitentiaires, représentant 1 000 places supplémentaires, ce qui constituera une bouffée d'oxygène non négligeable.
Il est toutefois nécessaire de consentir aussi des efforts en matière de réhabilitation des établissements existants, qui sont trop souvent dans un état de grand délabrement, rendant extrêmement dures les conditions de travail imposées aux personnels, les conditions de détention et les conditions de réception des familles venant rendre visite aux détenus.
Je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, d'insister pour que les efforts, dans ce domaine, soient poursuivis.
Je suis également préoccupé par la santé en milieu carcéral : les détenus constituent une population particulièrement exposée à un certain nombre de risques, et pour laquelle il est donc nécessaire de développer prévention et soins ; je serais heureux si vous pouviez me donner plus de précisions dans ce domaine.
C'est un excellent budget qui nous est présenté. Il appartiendra au Gouvernement, au cours de cette législature, de faire de la justice une priorité durable. Je ne doute pas qu'il y parviendra. Le groupe socialiste lui apportera, pour cela, son total soutien. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, faute de temps, je ne m'exprimerai pas sur l'ensemble du budget de la justice, un budget qui est pour moi source de satisfaction, comme pour tous mes collègues du groupe socialiste et, me semble-t-il, pour la Haute Assemblée.
Je voudrais évoquer seulement une question qui préoccupe beaucoup les maires et, d'ailleurs, tous nos citoyens : l'augmentation rapide des actes d'incivilité et des petits délits perpétrés par des mineurs, ainsi que le climat de violence qui s'installe dans nos cités, trop souvent en toute impunité. Mais le plus grave est encore l'âge de plus en plus bas de ces jeunes en rupture ou en rébellion.
Nous, les élus locaux, nous sommes désarmés devant ces faits. Nos clubs d'adolescents, nos maisons des jeunes sont placés devant un choix impossible : soit accueillir difficilement tout le monde, soit réserver leurs activités à la jeunesse sans problème, bref, sélectionner et marginaliser plus encore des adolescents qui sont, pour l'essentiel, issus des catégories où sévit le plus fort taux de chômage.
Et si, par un bon réflexe, nous tentons de nous tourner vers la protection judiciaire de la jeunesse, c'est-à-dire d'avoir recours à des professionnels, nous nous trouvons alors parfois devant des travailleurs sociaux dépassés par l'évolution rapide de leur tâche, peu soutenus - c'est un euphémisme ! - par leur encadrement, désorientés par l'incertitude qui entoure leur mission.
La controverse qui a surgi à propos de la validité des structures ouvertes exprime, bien sûr, le malaise des élus, mais elle est aussi le signe d'un désarroi profond de la protection judiciaire de la jeunesse.
Il serait illusoire de penser qu'une augmentation substantielle des crédits suffit pour parer à cette situation, même si elle est un préalable, que ce projet de budget assure d'ailleurs bien.
De même, réinventer des structures fermées, même si je n'y suis pas hostile par principe, ne résoudrait pas le problème de fond.
En fait, c'est sur la nature même de la protection judiciaire de la jeunesse et sur sa relation avec les élus locaux qu'il faut s'interroger.
Je sais qu'une mission a été confiée à ce sujet à ma collègue Christine Lazerges, député de l'Hérault, qui connaît bien ces questions, et je m'en fécilite. Il serait souhaitable qu'une consultation assez large suive le dépôt de ce rapport. Il faudrait notamment, à cette occasion, dresser un bilan des conseils communaux ou intercommunaux de la délinquance créés à la suite des travaux de Gilbert Bonnemaison, un pionnier en la matière.
Je ne vous cacherai pas que, dans mon département et sur ma commune, les résultats sont très décevants. J'en ai tiré en tout cas la certitude que l'Etat doit réinvestir complètement cette dimension de la « sûreté » des citoyens, pour reprendre la terminologie des droits de l'homme. Les élus locaux peuvent et doivent prendre leur place dans le dispositif, mais il est dangereux pour la République de se décharger sur eux d'une responsabilité à laquelle ils ne peuvent faire face, sauf à les transformer en shérifs. Il est, en outre, dommageable de les désigner ainsi à la vindicte des citoyens.
Au passage, j'aurai la même attitude réservée face à l'idée de transférer au maire le soin de prononcer les divorces. Ce serait une confusion des fonctions très dangereuses pour la paix civile.
Ma deuxième conviction, c'est qu'il ne faut pas confondre prévention et répression des fautes. Il est, certes, nécessaire que la gendarmerie et la police nouent des liens avec la population autrement qu'à l'occasion du constat d'un délit ou d'une arrestation. Je ne suis pas certain, en revanche, que l'actuel mélange des genres soit profitable à la régulation de notre société, ni d'ailleurs à ses corps qui ont la charge principale d'assurer la sécurité des citoyens.
Ma conclusion sera pour vous demander de lancer un débat sur la dimension territoriale de la justice qui ne soit pas limité à une révision de la carte judiciaire.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
M. Gérard Delfau. Une justice de proximité devrait intégrer, entre autres, la protection de la jeunesse et la prévention de la petite délinquance, voire sa répression.
C'est dans ce contexte, et seulement dans ce contexte, que, sous l'autorité directe de l'Etat et avec l'implication de ses personnels, les élus locaux, le milieu associatif, les forces de l'ordre, éventuellement, pourraient trouver matière à coopérer.
Il s'agit là de quelques réflexions trop rapides pour un dossier devenu brûlant et qu'il importe d'affronter sans a priori ni faiblesse.
Nous savons Mme le garde des sceaux déterminée. Nous l'assurons de notre confiance et espérons son prompt retour à la Chancellerie après un bref repos bien mérité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, sachez que Mme le garde des sceaux est vraiment désolée de ne pouvoir présenter elle-même le projet de budget de la justice devant la Haute Assemblée. Elle m'a demandé d'essayer de le faire à sa place. Elle m'a dit qu'elle serait très attentive à vos débats et qu'elle répondrait personnellement aux sénateurs qui auraient posé des questions trop précises pour que je puisse en traiter complètement moi-même.
Elle apportera une attention particulière aux suggestions concrètes et ambitieuses que M. le rapporteur spécial a développées. Je ne doute pas qu'elle appréciera les voeux de rétablissement que vous avez formulés et que je ne manquerai pas de lui transmettre dès la fin de ce débat.
Vous l'avez tous dit, les Français attendent aujourd'hui beaucoup de la justice. Dans une société de plus en plus mobile et imprévisible, la justice demeure l'un des ultimes recours de nos concitoyens.
C'est pourquoi l'un des grands chantiers de cette législature sera la réforme de la justice. Cette réforme, dont vous avez pu découvrir les orientations dans la communication faite par Mme le garde des sceaux au conseil des ministres, le 29 octobre dernier, devra améliorer le fonctionnement de la justice du quotidien, renforcer la présomption d'innocence et les libertés fondamentales et lever le soupçon sur sa dépendance vis-à-vis d'intérêts particuliers.
Si les Français, en tant qu'usagers du service public de la justice, sont d'abord soucieux - vous l'avez tous dit - des délais de jugement et de l'accès au juge, le doute sur l'impartialité de la justice les atteint également profondément en tant que citoyens. Je n'irai pas jusqu'à employer l'expression de « justice corrompue », utilisée par Mme Olin, mais il n'en demeure pas moins que le problème est sérieux et qu'elle a eu raison de le souligner.
Il faut donc traiter de front deux questions qui sont indissociables pour renforcer la justice : celle de l'indépendance et celle de son bon fonctionnement. Que serait une justice efficace et rapide, mais partiale ? Que serait une justice indépendante, mais incapable de traiter les affaires dans des délais raisonnables ? Ces questions ont été posées ce matin avec une vigueur particulière par M. Fauchon et par d'autres orateurs.
La réforme de la justice que vous serez conduits à examiner dans les mois à venir nécessitera des moyens nouveaux, car les principes que nous devons défendre - exigence en toute matière d'un double degré de juridiction, indépendance du juge décidant des peines privatives de liberté par rapport au juge d'instruction - sont coûteux. Ils sont le prix à payer pour plus de démocratie et plus de liberté.
A cet égard, je vous rappelle que la communication du 29 octobre dernier indiquait explicitement que « pour mettre en oeuvre les réformes annoncées, un effort budgétaire significatif devra être consenti en faveur de la justice au cours des prochaines années ». Cela me semble répondre au voeu exprimé par M. le rapporteur spécial, ainsi que par M. Badinter et d'autres orateurs.
Le projet de budget pour 1998 est clairement un budget de priorité en faveur de la justice. Votre rapporteur spécial a parlé d'un effort budgétaire réel. Effectivement, avec une hausse des crédits de près de 1 milliard de francs, le budget de la justice pour 1998 sera proche de 25 milliards de francs.
Dans un budget de l'Etat en hausse de 1,36 % en 1998, la justice est fortement privilégiée, avec une augmentation des crédits légèrement supérieure à 4 %, soit une hausse trois fois plus vive. M. Badinter a souligné qu'il s'agissait d'une hausse importante.
En 1997 - certains d'entre vous l'ont rappelé - le budget de la justice n'avait progressé que de 1,2 % hors transferts. On voit donc qu'il se retrouve, en 1998, au premier rang des priorités de l'Etat. Il obtient même la hausse de crédits la plus forte de l'ensemble des ministères dotés d'implantations déconcentrées sur l'ensemble du territoire.
Cet effort pour la justice est mérité - vous l'avez souligné avec force, notamment M. Badinter - d'abord, parce que la justice est soumise à un flux d'affaires en forte croissance depuis un quart de siècle, ensuite, parce que l'insatisfaction des usagers du service public de la justice devant ses lenteurs et ce qu'ils ressentent comme de l'archaïsme doivent trouver une solution.
Le rapporteur spécial du budget de la justice, M. Haenel, souligne que « la hausse des crédits ne sera efficace que si elle s'inscrit dans la durée ». Bien évidemment, Mme le garde des sceaux ne peux que partager cette préoccupation. Vous avez indiqué, monsieur le rapporteur spécial, qu'une hausse des crédits de 2 milliards de francs par an, pendant cinq ans, vous semblait nécessaire. Je prends acte avec intérêt de l'ambition que la Haute Assemblée affiche pour ce ministère prioritaire.
Bien évidemment, des crédits supplémentaires ne peuvent constituer la seule solution aux attentes fortes des Français ; ils doivent être complétés par des réformes de fond.
A cet égard, je mentionnerai les suites du rapport Coulon évoqué par MM. Haenel et Badinter. Mme le garde des sceaux est fermement décidée à accélérer les délais par l'exécution immédiate des décisions de première instance, par la limitation des appels dilatoires et par l'institution de contrats de procédure avec les avocats.
S'agissant de la médiation civile, M. Badinter a eu raison de souligner que de grands progrès restaient à faire.
Si les moyens budgétaires ne sont pas suffisants, ils constituent néanmoins une réponse indispensable à la bonne marche du service public de la justice. Vous connaissez tous - vous l'avez dit - son encombrement, l'insuffisance des moyens d'accueil et d'orientation, la vétusté de nombreuses prisons et tribunaux.
C'est pourquoi Mme le garde des sceaux s'est réjouie de proposer la création de sept cent soixante-deux emplois pour la justice, dans un budget d'ensemble où les effectifs civils sont restés pratiquement stables.
Cette hausse est d'autant plus significative que ma collègue a obtenu, dès son arrivée au ministère, le dégel intégral de six cents emplois en 1997 : ce sont donc près de mille quatre cents agents supplémentaires dont va pouvoir disposer le ministère de la justice.
En ce qui concerne l'équipement, il se trouve également parmi les ministères les plus favorisés, avec une hausse des autorisations de programme de 26 % : cette hausse permettra, j'y reviendrai, le lancement d'une première tranche de construction de nouveaux établissements pénitentiaires qui sont indispensables - vous l'avez dit - pour faire face à la surpopulation carcérale.
Comme l'a dit M. Authié, rapporteur pour avis, il s'agit d'un budget équilibré et sincère.
En premier lieu, c'est un budget équilibré, car le service de la justice forme un tout. Pour son bon fonctionnement, il est important que les moyens de chaque secteur évoluent d'une façon équilibrée ; tel sera bien le cas en 1998. Les crédits des juridictions judiciaires augmentent de 4,71 %, comme M. Badinter l'a souligné ; les crédits des services pénitentiaires croissent de 3,52 % et ceux de la protection judiciaire de la jeunesse de 4,14 %.
Un effort est également accompli au profit des juridictions administratives, qui connaissent une progression de leur budget de plus de 7 %. Mais cet écart à la moyenne tient aux crédits obtenus - 21 millions de francs - pour mettre en oeuvre la réforme statutaire issue de la loi du 25 mars 1997.
Par ailleurs, il importe également que les progressions soient équilibrées entre les différents moyens dont le service de la justice a besoin pour fonctionner : personnel, crédits indemnitaires et statutaires, crédits de fonctionnement courants, crédits d'équipement. A cet égard, il convient de remarquer que, si la loi de programme relative à la justice du 6 janvier 1995 - nombre d'entre vous y ont fait référence - a prévu des emplois et des autorisations de programme, elle est, en revanche, restée muette pour ce qui concerne les crédits de fonctionnement et les mesures pour les personnels.
C'est pourquoi Mme le garde des sceaux a insisté pour que le projet de budget pour 1998 permette non seulement de combler les retards observés en 1997 pour le personnel et l'équipement, mais aussi de dégager des mesures d'accompagnement. Mme Olin peut trouver là, me semble-t-il, quelques éléments de réponse à ses interrogations.
Il s'agit, en second lieu, d'un budget sincère. En effet, il n'y a pas de trompe-l'oeil dans les augmentations d'emplois et de crédits qui sont présentées dans le projet de budget de la justice.
D'abord, toutes les progressions sont de vraies progressions.
Contrairement aux années précédentes, les 762 créations d'emplois ne sont affectées par aucune mesure d'économie. Ce sont donc 762 créations nettes d'emplois qui vous sont proposées.
Il en est de même pour les crédits de fonctionnement général : au budget de 1997 figuraient, vous vous en souvenez, des économies importantes, à hauteur de 81 millions de francs. La principale mesure positive résultait du transfert de la charge des frais postaux. En 1998, il vous est proposé une hausse de 158 millions de francs des moyens de fonctionnement disponibles pour les services.
S'agissant de l'équipement, le projet de loi de finances pour 1998 non seulement comporte des autorisations de programme en forte hausse, mais il renoue avec la croissance des crédits de paiement qui sont en augmentation de 80 millions de francs, alors qu'ils avaient diminué d'un même montant en 1997.
Par ailleurs, l'utilisation des emplois et des crédits de 1998 ne sera pas obérée par des contraintes de gestion.
Tout d'abord, il n'y aura pas de report de charges de fonctionnement de 1997 sur 1998. Le budget de la justice, vous l'avez constaté, a été le seul à être totalement épargné au titre de la gestion de 1997 par les annulations de crédits, marquant la priorité très forte que lui accorde le Gouvernement.
M. Gérard Delfau. C'est vrai !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Ensuite, le projet de loi de finances rectificative que vous examinerez prochainement devrait autoriser l'ouverture de 101 millions de francs d'autorisations de programme supplémentaires et de 91 millions de francs de crédits de paiement pour ce ministère.
Au-delà de ces dispositions, un plan d'urgence pour la justice - vous y avez fait allusion - a été lancé permettant l'ouverture de deux concours exceptionnels de magistrats et le doublement du nombre de fonctionnaires recrutés en 1998 par rapport aux prévisions initiales, ce grâce à une gestion plus tendue des vacances budgétaires et à l'autorisation de surnombres transitoires.
M. Leclerc s'est interrogé à propos des vacances de postes. Actuellement, 195 postes budgétaires de magistrats sont vacants sur 6 000, soit 3 % environ. Je tiens par ailleurs à rassurer M. Badinter en lui disant que le recrutement par le biais de l'Ecole nationale de la magistrature demeurera la voie prioritaire. Cette grande institution deviendra un véritable pôle d'excellence en formation juridique et sera davantage ouvert sur la recherche et sur l'international.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Après avoir décrit les grandes masses du budget, j'indique que Mme le garde des sceaux a choisi de concentrer les moyens obtenus autour de trois priorités, comme, d'ailleurs, M. Badinter l'avait appelé de ses voeux, qui permettent à la fois de remédier à certains dysfonctionnements de l'institution et d'améliorer le service offert à nos concitoyens.
La première priorité a trait à la jeunesse, par la protection des mineurs en danger et la réponse à la délinquance des jeunes, sur laquelle nombre d'entre vous se sont exprimés.
La deuxième concerne la justice quotidienne, par l'amélioration des conditions de fonctionnement des juridictions, la présence dans les quartiers sensibles et la modernisation des tribunaux.
La troisième réside dans la modernisation de l'administration et des établissements pénitentiaires pour améliorer les conditions de vie des détenus et les conditions de travail des personnels.
La question de la protection de la jeunesse, sur laquelle MM. Gélard, Pagès, Balarello, Leclerc et Delfau se sont notamment exprimés, et qui est fondamentale, comme vous l'avez souligné, est double : elle est celle de la jeunesse en danger, mais également, et de manière accrue ces dernières années, celle de la jeunesse délinquante. Les statistiques en la matière sont difficiles à décrypter, mais le sentiment qui prévaut chez nos compatriotes, comme M. Plasait l'a souligné très clairement, est que le phénomène s'accroît et la précocité des auteurs des actes commis et la violence marquent, comme le sentiment d'impunité, une certaine exaspération.
Ces deux questions doivent être traitées simultanément car, bien qu'il soit indispensable de ne pas confondre dans un même élan les enfants victimes et les jeunes délinquants, trop souvent, la limite entre les deux catégories se brouille dans les itinéraires des jeunes à la dérive.
Les jeunes en danger ou qui connaissent des difficultés particulières d'insertion, pris en charge par l'Etat, à concurrence de 16 %, et les départements, à concurrence de 84 %, sont environ 120 000.
Selon les chiffres encore provisoires pour 1996, 35 245 jeunes se trouvaient pris en charge par le secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse au 31 décembre 1996, soit presque 5 000 de plus qu'à la fin de 1994. Il est donc indispensable, comme vous l'avez dit, que les moyens du ministère dans ce domaine soient renforcés.
C'est pourquoi, dans l'ensemble des secteurs du ministère, la priorité est mise sur la prise en charge des enfants et des mineurs.
Avec cent créations d'emplois, dont la moitié d'éducateurs, la protection judiciaire de la jeunesse connaît la hausse d'effectifs la plus rapide du ministère.
Ce souci de la jeunesse se traduit également par l'accroissement du nombre de juges pour enfants et de juges aux affaires familiales ainsi que par l'affectation de cinquante surveillants spécialement formés pour les quartiers des mineurs dans les établissements pénitentiaires.
Les emplois-jeunes, que nombre d'entre vous ont évoqués, permettront également de renforcer le secteur associatif habilité qui prend en charge l'essentiel des mesures décidées par le juge.
Mme le garde des sceaux a signé, le 3 décembre dernier, trois accords-cadres avec l'association française de sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence, avec l'INAVEM, que vous connaissez bien, et avec le comité de liaison des associations de contrôle judiciaire.
Au total mille emplois-jeunes ont ainsi été signés. Ce sont là de véritables emplois et, pour répondre aux questions de Mme Olin, de MM. Gélard, Leclerc et Plasait, ils concernent des jeunes qui travailleront non pas à la place de professionnels mais auprès de ces derniers pour faciliter l'accès au droit, étoffer l'activité des maisons de justice et de droit, aider les victimes, apporter une assistance à la médiation familiale, assumer un rôle d'animation auprès de jeunes mineurs en danger et développer une action culturelle et éducative auprès des détenus.
Le Gouvernement est convaincu que ces emplois-jeunes, qui seront financés à concurrence de 80 % par l'Etat et de 20 % par des ressources diverses provenant, par exemple, des collectivités locales, des caisses d'allocations familiales et de mutualité permettront, d'une part, à ces jeunes de sortir de la désespérance et, d'autre part, d'apporter, pour un coût somme toute raisonnable, une aide essentielle aux fonctionnaires. Bien évidemment, il n'est pas question que ces derniers soient en quoi que ce soit remplacés par ces jeunes.
S'agissant précisément des fonctionnaires, des mesures statutaires et indemnitaires importantes permettront d'assurer une meilleure organisation territoriale de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse.
La création de nouveaux foyers d'hébergement et la rénovation des foyers existants permettra d'améliorer les conditions de vie des jeunes pris en charge. Des crédits de paiement, pour un montant de 71 millions de francs, seront consacrés à la rénovation et à l'extension des structures d'accueil.
Les crédits de fonctionnement du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse seront en hausse de 17 millions de francs pour faire face à l'augmentation des mesures qui lui sont confiées par les juges.
Le précédent gouvernement avait décidé de créer cinquante unités à encadrement éducatif renforcé, les UEER, pour répondre au traitement des jeunes délinquants de plus en plus difficiles à maîtriser. M. Gélard m'avait notamment interrogé à ce sujet.
Mme le garde des sceaux estime que la création des UEER sous le signe de la répression a quelque peu brouillé leur mission éducative et peut-être nui à leur bon fonctionnement. C'est pourquoi elle a demandé que les seize premières unités mises en place et actuellement en service fassent l'objet d'une évaluation sans préjugé.
Par une lettre de mission en date du 16 septembre 1997, le ministre de l'emploi et de la solidarité, le garde des sceaux et le ministre de l'intérieur ont demandé à leurs inspections générales respectives de procéder à une mission conjointe sur la prise en charge en hébergement des mineurs délinquants, notamment dans les UEER mais aussi dans les foyers spécialisés.
Dès la remise du rapport à la fin du mois de décembre, le devenir de ces structures nouvelles sera examiné, je le répète, sans aucun a priori .
J'en viens maintenant à la deuxième priorité, l'amélioration du fonctionnement de la justice quotidienne.
Il est indispensable que les juridictions puissent répondre à l'accroissement du contentieux civil - M. Balarello a dénoncé, parmi d'autres orateurs, l'encombrement des tribunaux - et à la nécessité d'améliorer les réponses apportées aux délits pénaux. Depuis vingt ans, les magistrats rendent chaque année deux fois plus de jugements - on ne le dit pas suffisamment - mais cet effort de productivité doit être poursuivi, comme M. le rapporteur spécial l'a souhaité.
Le nombre d'affaires civiles nouvelles devant les cours d'appel a connu, pour la première fois, une légère baisse de 0,3 % en 1996. Le nombre d'affaires terminées au cours de l'année a connu une hausse de 2,6 %. Cependant, les stocks d'affaires en cours augmentent fortement de 5,25 % et les délais s'allongent pour atteindre 15,6 mois, ce que nombre d'entre vous ont regretté.
Devant les tribunaux de grande instance, le nombre d'affaires nouvelles au civil progresse de 2 % et celui des affaires terminées de 1,5 % en 1996. En dépit d'une augmentation du stock d'affaires en cours de 3,3 %, les délais sont passés de 8,9 mois en 1995 à 8,8 mois en 1996.
Le rapporteur pour avis pour les services généraux, M. Germain Authié, a souligné, à juste titre, le paradoxe qui veut que la justice apparaisse aujourd'hui, aux yeux du justiciable, à la fois lente et expéditive.
Au pénal, sujet évoqué par M. Balarello, si l'activité globale n'évolue pas sensiblement par rapport aux années précédentes, avec 5,2 millions environ de procès-verbaux reçus par les parquets, dont 61 % avec auteur inconnu, les classements sans suite des procès-verbaux avec auteur connu diminuent de 21 % en 1996 et les procédures alternatives aux poursuites augmentent de près de 9 %. Les réponses pénales, dans les procédures avec auteur connu, passent de 51 % en 1995 à 55 % en 1996.
Face à l'évolution du contentieux, l'accroissement du nombre de magistrats et de leurs collaborateurs répond à une double exigence : d'une part, celle de ne pas laisser perdurer les situations intenables que connaissent certaines juridictions, en particulier les cours d'appel, et, d'autre part, celle de répondre à la demande des juges spécialisés plus nombreux, qu'il s'agisse des juges des enfants ou des juges aux affaires familiales, pour suivre l'évolution du volume de ces contentieux.
Les effectifs obtenus vont dans le sens de ces exigences. Ainsi, 70 magistrats, ce qui représente la plus forte progression depuis dix ans, seront affectés dans les cours d'appel les plus encombrées et permettront d'augmenter le nombre de juges pour enfants et de juges aux affaires familiales.
De plus, 230 fonctionnaires de greffes, dont M. Pagès a parlé, 10 greffiers en chef, 90 greffiers et 130 adjoints et agents administratifs viennent compléter le dispositif, après une année 1997 qui avait été marquée par une diminution des postes de greffiers et par le blocage des recrutements.
Enfin, 220 assistants de justice s'ajouteront aux 330 déjà en place.
Les personnels bénéficient aussi de mesures catégorielles significatives. Les personnels de la justice connaissent des évolutions de leur métier. M. Pagès a insisté sur ce point. C'est le cas notamment pour les greffiers en chef auxquels sont confiés des fonctions nouvelles, telles que l'établissement des certificats de nationalité ou la surveillance des comptes de tutelle. Nous poursuivons également la réflexion sur l'enrichissement des tâches.
Les personnels de la justice connaissent aussi des conditions de travail délicates, en raison notamment de l'apparition de nouveaux types de violences et de publics de plus en plus difficiles.
Ces évolutions doivent, dans la mesure du possible, se traduire dans les statuts et les régimes indemnitaires.
Les personnels de greffe bénéficient d'un point indemnitaire supplémentaire pour un coût de 22 millions de francs, soit une augmentation de 5 % de leurs primes.
La réforme du satut des magistrats, destinée à lutter contre le blocage des carrières, fera l'objet, dès cette année, de l'ouverture d'une discussion interministérielle qui n'avait pas été engagée jusqu'à présent.
Enfin, la réforme du statut des conseillers de tribunaux administratifs que vous avez votée au début de l'année sera financée en 1998. Elle marque une amélioration sensible pour la carrière des six cents conseillers qui sont en charge du contrôle juridique de l'administration centrale et locale.
Enfin, j'évoquerai la hausse des crédits consacrés au fonctionnement courant des juridictions.
Les juridictions, vous l'avez indiqué, souffrent d'une insuffisance chronique de moyens, notamment de moyens de communication et de déplacement. Est-il normal que les procureurs de permanence ne disposent pas systématiquement de véhicules de service ? Est-il normal que nombre de magistrats ne disposent ni de secrétariats ni de boîtes vocales, de sorte qu'ils sont difficilement joignables ?
En 1997, les crédits de fonctionnement des juridictions avaient diminué de 57 millions de francs. En 1998, ils bénéficient d'une hausse de 51 millions de francs, ce qui permet de les remettre à niveau.
Ces moyens supplémentaires permettront d'améliorer l'accueil du public, d'offrir de meilleures conditions de travail au personnel, notamment dans le secteur de l'informatique ou de la documentation, et, enfin, de doter la justice de moyens permettant d'assurer sa mobilité et sa permanence.
Des crédits seront dégagés pour permettre de développer les mesures de médiation et de conciliation assurées par les associations habilitées par la justice.
A ce point de mon exposé, je voudrais répondre aux questions du rapporteur spécial, M. Haenel, sur l'aide juridique.
S'agissant d'abord de l'aide juridictionnelle, la hausse des crédits a été très forte après la réforme de 1991. En 1998, elle devrait se stabiliser autour de 1 %. En effet, la hausse du recours à l'aide juridictionnelle qui a suivi la réforme de 1991 semble aujourd'hui être achevée.
Plusieurs d'entre vous ont abordé l'accès au droit. L'aide juridique, c'est aussi l'accès au droit pour apporter d'autres réponses que l'accès au juge. Ce point a été fortement souligné, à juste titre, par M. le rapporteur spécial.
A ce propos, je préciserai que les comités départementaux d'aide juridique, mis en place par la loi de 1991, ne sont qu'au nombre de vingt sur l'ensemble des départements français. Le principal problème qui se pose, c'est celui de leur statut actuel. En effet, il s'agit de groupements d'intérêt public. Mme le garde des sceaux prépare une modification de la loi, afin de simplifier le statut juridique de ces centres et d'étendre leur développement.
J'en viens à la modernisation des tribunaux.
La baisse des crédits d'équipements intervenue en 1997, en raison de l'étalement sur une année supplémentaire de la loi de programme de 1995, avait contraint à retarder des grandes opérations dont le lancement était imminent, notamment à Grenoble et en Avignon.
Mme Guigou ayant obtenu une hausse de 26 % des autorisations de programme et de 6 % des crédits de paiement, il est possible de relancer en 1998 les deux grandes opérations de Grenoble et d'Avignon et d'y ajouter une grande opération à Fort-de-France.
Mme le garde des sceaux a également tenu à ce que la relance des « grandes opérations judiciaires » ne se fasse pas au détriment de l'ensemble des autres tribunaux pour lesquels des travaux de sécurité et de mise aux normes sont nécessaires - c'est notamment le cas à Toulouse, comme l'a dit M. Collin. En effet, il n'est pas normal que des tribunaux menacent ruine ou soient mis en demeure de fermer par les commissions de sécurité. Ainsi, pour 1998, 470 millions de francs de crédits de paiement sont inscrits à cette fin, contre 286 millions de francs en 1997.
Le dernier point, dans cette grande priorité de l'amélioration de la justice quotidienne, est celui des juridictions administratives. Vous savez qu'elles contribuent de manière déterminante au respect du droit par les administrations et au contrôle de légalité des actes des collectivités locales.
En 1996, le nombre des affaires nouvelles a diminué de 2 % devant les tribunaux administratifs et de 18 % devant le Conseil d'Etat, alors qu'il avait encore crû en 1995.
En revanche, le nombre d'affaires nouvelles continue de croître fortement devant les cours administratives d'appel, avec un taux d'augmentation de 34 %, principalement en raison des transferts de compétences.
Les délais de jugement restent stables par rapport à l'année précédente au Conseil d'Etat - dix-huit mois - comme devant les tribunaux administratifs - vingt-trois mois - mais augmentent fortement devant les cours administratives d'appel - trente-six mois, contre dix-neuf mois en 1995.
La situation devient préoccupante dans les cours administratives d'appel. Elle devrait toutefois s'améliorer à partir de 1998, compte tenu de la création de la nouvelle cour administrative d'appel de Marseille, en septembre 1997, et de la modification, par la loi du 25 mars 1997, des conditions qui sont exigées pour la nomination des magistrats dans les cours administratives d'appel.
Le projet de budget pour 1998 va permettre la création de vingt et un postes de magistrat, quinze postes de magistrat à titre temporaire, trente-deux postes de greffier et huit postes de personnels administratifs.
J'en viens à la troisième priorité : la modernisation de l'administration pénitentiaire, évoquée notamment par MM. Othily et Authié.
L'administration pénitentiaire est confrontée, comme les services judiciaires, à une pression forte. Le nombre de détenus, en raison de l'augmentation des longues peines prononcées et de leur allongement, n'a cessé de croître depuis vingt ans, soit 72 %.
L'importance de la population carcérale et l'insuffisance des structures d'accueil créent une surpopulation - cela a été rappelé par M. Pagès - qui accroît la difficulté et la pénibilité de la tâche des personnels de l'administration pénitentiaire qui effectuent un métier difficile.
Sur les neuf premiers mois de 1997, la population pénale incarcérée a été, en moyenne, de 56 528 détenus. Le nombre de détenus a augmenté, en 1996, de moins de 1 % par rapport à 1995, et il paraît stabilisé en 1997.
En revanche, la population pénale suivie en milieu ouvert, c'est-à-dire sans passer la nuit en prison, augmente fortement : 117 000 au 1er janvier 1997, contre 105 000 en janvier 1996. Le développement des peines alternatives à l'incarcération, outre qu'il contribue à réduire la surpopulation carcérale, permet d'améliorer les conditions de réparation aux victimes et à la société, et d'accroître les chances de réinsertion.
Aujourd'hui, au-delà du nombre, la difficulté tient également à la personnalité des détenus. Nombreux sont ceux qui souffrent de troubles psychiatriques. Le nombre de toxicomanes et leurs problèmes de dépendance en prison sont le souci quotidien des personnels.
Face à ces problèmes, Mme le garde des sceaux a choisi de retenir deux options fortes. La première, c'est de moderniser les établissements pénitentiaires en lançant une première tranche de trois établissements. La seconde option consiste à consacrer l'essentiel des emplois nouveaux obtenus en 1998 au milieu ouvert pour permettre d'assurer un meilleur suivi des détenus, une politique d'individualisation des peines et de suivi social et médical efficace, en particulier pour les délinquants sexuels.
Ce sont 810 millions de francs d'autorisations de programme qui vont être affectés à la construction d'une première tranche de trois établissements pénitentiaires - Lille, Toulouse et Avignon - permettant de fermer des prisons vétustes et d'augmenter les capacités d'accueil.
Un programme de construction de centres de semi-liberté, mieux défini et mieux localisé va être lancé. Afin d'améliorer leur utilisation, une réflexion est engagée sur la possibilité d'y accueillir des détenus condamnés à de courtes peines. Aujourd'hui, on dénombre douze centres de ce type. Leur nombre sera significativement augmenté dans les années à venir.
La réforme du milieu ouvert - comité de probation et d'assistance aux libérés - a été évoquée par M. Plasait.
Cette réforme a été initiée en 1996. Dans la loi de finances pour 1997, seulement quarante postes budgétaires lui ont été consacrés. Mme Guigou tient à ce que l'année 1998 marque de manière définitive la mise en oeuvre de cette réforme, afin d'améliorer l'individualisation du suivi des peines et de faciliter la réinsertion des détenus.
A cette fin, sur les trois cents emplois qui ont été obtenus pour l'administration pénitentiaire, deux cents seront consacrés à la réforme des comités de probation et d'assistance aux libérés.
L'engagement de réformes statutaires permettra d'accompagner cette évolution.
Mme Guigou compte beaucoup sur la réforme des comités de probation et d'assistance aux libérés pour contribuer à remédier à la surpopulation carcérale. La libération conditionnelle et les alternatives à l'incarcération - travaux d'intérêt général, sursis avec mise à l'épreuve, semi-liberté - sont insuffisamment appliquées en raison du manque de personnel qui se consacre au suivi des détenus.
Le Gouvernement est décidé à assurer un meilleur fonctionnement de l'ensemble des établissements pénitentaires.
Pour prolonger, dans ces établissements, les efforts consacrés à la jeunesse, cinquante postes de surveillant sont consacrés aux quartiers des mineurs, afin de répondre aux exigences d'encadrement très particulières de cette population. En effet, le recours à l'incarcération pour les mineurs, on ne le sait pas suffisamment, croît depuis quelques années.
Les autres centres et quartiers de détention ne sont pas oubliés pour autant, leur sont affectés les deux cent quarante-huit postes de surveillant rendus disponibles par le dégel des emplois, obtenu en septembre, qui vont renforcer l'ensemble des établissements.
Des moyens de fonctionnement supplémentaires - 77 millions de francs - vont permettre d'améliorer l'hygiène et la sécurité dans les établissements. La prison ne doit pas doubler la peine privative de liberté par des conditions de détention qui font offense à la personne.
En conclusion le projet de budget de la justice se résume ainsi : des moyens supplémentaires pour une réforme indispensable.
Si des moyens supplémentaires sont nécessaires pour assurer un fonctionnement normal de la justice, c'est-à-dire des délais de jugement raisonnables, des réponses pénales adaptées, des conditions de détention acceptables, la justice ne répondra aux défis auxquels elle est confrontée que par la mise en oeuvres de réformes.
La première, celle qui a été la plus abordée ce matin, est la réforme de la carte judiciaire.
Le rapporteur spécial, M. Haenel, a dit que la carte judiciaire n'est plus adaptée et il a formulé des suggestions très utiles dont Mme le garde des sceaux fera tout son profit, notamment dans le domaine de l'expérimentation qui est une voie souple pour progresser en la matière.
Il faut en effet adapter la répartition des implantations judiciaires aux demandes et à la géographie de la population. Cette réforme sera engagée avec méthode. Une mission ministérielle est prévue à cette fin dans le projet de la loi de finances. Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous souhaitez cette réforme en général, mais que vous la craignez parfois en particulier. Je tiens à vous dire qu'elle fera l'objet d'une concertation avec vous, qu'il sera veillé à une adaptation aux réalités de chaque situation locale. Tout sera fait pour préserver une justice de proximité et de qualité, comme M. Delfau l'a souhaité.
Ce qui sera recherché, c'est une autre organisation du travail, une spécialisation des tribunaux, peut-être une plus grande mobilité du juge, y compris par audience foraine.
Cependant, cette réforme de la carte judiciaire n'interdira pas de traiter les problèmes urgents, et je dirai à Mme Olin qu'à Pontoise de nouveaux moyens en personnel seront affectés dès 1998.
La deuxième réforme concerne l'amélioration de la gestion. Il s'agit de déconcentrer plus largement la gestion dans les juridictions autour des services d'administration régionale, dans les directions régionales de la protection judiciaire de la jeunesse comme dans l'administration pénitentiaire. Il s'agit aussi de développer l'évaluation, la création de tableaux de bord et de gestion, ainsi que la signature de contrats de modernisation.
M. Haenel a évoqué les frais de justice. Mme le garde des sceaux a déjà envoyé une circulaire à ce sujet. Le budget de 1997 sera tenu. Mme Guigou est favorable à la mission d'inspection sur les frais de justice que M. Haenel a suggérée et qui sera menée conjointement par l'inspection générale des finances et par l'inspection générale des services judiciaires.
La troisième réforme, c'est l'augmentation des réponses non juridictionnelles, qui doit être favorisée, comme M. Authié l'a souhaité. Les 3 500 emplois-jeunes que la justice s'est engagée à accueillir permettront d'accentuer cet effort. La demande de justice ne peut être la seule réponse à tous les maux de la société et à tous les aspects de la crise sociale que nous traversons. Il faut diversifier nos réponses, aider à la résolution des litiges en amont de la justice. M. Haenel a insisté sur ce point avec des mots forts : l'accès au droit n'est pas obligatoirement l'accès au juge, comme l'a également dit M. Durand-Chastel.
La quatrième réforme vise à accroître la présence de la justice dans les banlieues et dans les quartiers difficiles, tant pour les actions de prévention que pour la répression et la prise en charge des victimes. La répartition inadaptée des moyens sur le territoire et le vieillissement de la carte judiciaire se traduisent par la pénalisation des zones périurbaines les plus dynamiques dont les équilibres sociaux sont les plus fragiles.
Je dirai deux mots sur la méthode.
La réforme, comme M. le rapporteur spécial l'a souhaité, sera conduite dans la durée et dans la concertation, avec le Parlement et avec les chefs de cour. L'expérimentation dont il a parlé à propos de la carte judiciaire sera aussi pratiquée pour le bracelet électronique, si votre assemblée en adopte le principe, pour la politique de la ville, la lutte contre la délinquance des jeunes, la lutte contre la délinquance financière et contre la grande criminalité.
Il ne pourra y avoir de réforme de la justice sans le soutien et la participation des parlementaires - un prochain débat, à la fin du mois de janvier, vous en donnera l'occasion - ainsi que des élus locaux, des juges, des fonctionnaires et des professions du droit, notamment les avocats, les huissiers et les notaires, qui y seront associés.
Monsieur Balarello, l'espace judiciaire européen est maintenant une réalité quotidienne, qu'il s'agisse du droit patrimonial, des questions matrimoniales, du droit des entreprises ou de la vie culturelle.
Mme le garde des sceaux participe pleinement aux travaux européens sur la rénovation de l'extradition et de l'entraide judiciaire, sur les programmes contre la criminalité organisée et sur la présence de l'autorité judiciaire au sein de ce que l'on appelle le Troisième pilier.
Vous avez fait allusion à l'appel de Genève ; ce n'est pas pour le Gouvernement une question gênante, bien au contraire : c'est un motif supplémentaire d'agir.
Ce projet de budget marque une relance de l'effort pour la justice. C'est un premier pas qui sera suivi par d'autres dans les années qui viennent, de façon que la justice puisse pleinement assumer l'ensemble de ses missions. C'est ainsi qu'elle pourra retrouver la confiance des Français. Je dois dire que le très large soutien du Sénat, tout au moins des orateurs qui se sont exprimés jusqu'à présent, sera un appui précieux pour Mme le garde des sceaux dans la poursuite de son action au service de la justice et de tous les Français. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le ministère de la justice et figurant aux états B et C.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 585 808 269 francs. »