M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant l'économie, les finances et l'industrie : I. - Charges communes et comptes spéciaux du Trésor.
La parole est à M. Belot, rappporteur spécial.
M. Claude Belot, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, pour les charges communes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ferai d'abord observer que le Sénat fait preuve d'une grande continuité puisque j'ai l'honneur de rapporter le budget des charges communes depuis neuf ans, ce qui démontre une grande fidélité. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous êtes donc mon neuvième interlocuteur.
Neuf ans, cela permet de voir l'évolution des choses et du monde. Je me suis, par curiosité, plongé dans les archives et j'ai regardé ce que je disais à cette tribune en 1989, à peu près à la même date.
Le budget des charges communes s'élevait alors à 428 milliards de francs et il atteint maintenant 675 milliards de francs. C'est un budget à géométrie variable, car on y inclut beaucoup de choses, durablement pour certaines, moins pour d'autres, mais avec une grande constance puisqu'il représente 36 % du budget de l'Etat, soit tout de même plus de 8 % du PNB, ce qui n'est pas rien.
La dette en fait bien sûr partie. En 1989, elle s'élevait à 1 700 milliards de francs en chiffres ronds ; aujourd'hui, elle approche les 4 000 milliards de francs. Ce qui est intéressant, c'est de voir comment ont évolué les frais financiers supportés par la maison France.
M. Raymond Courrière. Les vôtres y ont travaillé !
M. Claude Belot, rapporteur spécial. Tout le monde y a travaillé, mon cher collègue !
Les frais financiers, qui sont passés de 125 milliards de francs à 248 milliards de francs, ont pratiquement doublé.
M. Gérard Delfau. M. Balladur y est pour quelque chose !
M. Claude Belot, rapporteur spécial. Nous n'avons pas l'habitude ici de mener des combats inutiles, mais je ferai remarquer que nous avons connu une période de crise entre 1990 et 1993 et qu'il a fallu faire face aux échéances. Il a été difficile de redresser immédiatement la barre, le bateau ayant beaucoup de mal à changer de cap.
Aujourd'hui, nous vivons tous avec le sentiment qu'est intervenue une baisse des taux très importante. Cela est vrai en termes de taux nominaux. Cependant, compte tenu de l'inflation, entre les taux de 1989, qui étaient de l'ordre de 8,5 %, et ceux d'aujourd'hui, à savoir un peu moins de 6 %, l'écart est seulement de 1 % en taux réel. Et nous vivons tous dans une sorte d'« impressionnisme » financier, rassurés que nous sommes sur l'évolution des taux, avec la certitude de payer aujourd'hui l'argent beaucoup moins cher. En réalité, et c'est vrai aussi pour nos collectivités, nous le payons à peine un peu moins de 1 % moins cher.
Sur la dette, j'aurai beaucoup à dire.
L'effet de la baisse des taux s'est fait sentir en 1996 et en 1997. Nous sommes tous convaincus aujourd'hui que ni l'inflation ni les taux ne baisseront plus guère. Il faut savoir que, en cas d'accident sur les marchés, un point de taux représente environ 25 milliards de francs ; c'est considérable et cela donne la mesure du risque encouru.
Ainsi, nous ne pouvons pas nous endetter jusqu'à plus soif, et ce d'autant moins que nous parvenons maintenant au taux de 60 %, qui est l'un des butoirs fixés par les traités européens. Nous n'avons donc pas beaucoup de marge de manoeuvre.
J'en viens aux dépenses de garanties.
En 1989, se posait un problème important et coûteux, celui de la COFACE, la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur.
M. Gérard Delfau. Parlons-en !
M. Claude Belot, rapporteur spécial. L'Etat avait été contraint de verser 8 milliards de francs, parce que la COFACE avait été amenée à engager un certain nombre d'opérations qui n'étaient sans doute pas conformes à son intérêt d'assureur. Mais il y avait des engagements à tenir !
Nous avions obtenu, à force de le demander, - et cela ne date pas de 1994 ou de 1995 - que la COFACE fasse son métier d'une façon plus orthodoxe. Or je suis obligé de constater cette année que, pour la première fois depuis un certain temps, une somme de 1,5 milliard de francs de dépenses de garanties est inscrite de nouveau, dont une bonne partie est affectée à la COFACE. Il est vrai qu'il faut compter avec le risque asiatique et la persistance de contrats importants, comme le TGV coréen ; nous devons l'assumer. Chose plus surprenante, on trouve une garantie de risque pour Abou Dhabi ; je n'ai pas pu avoir d'explications satisfaisantes à cet égard, mais il en existe sans doute.
Le budget des charges communes étant constitué des rubriques les plus diverses - son premier concepteur a dû être Jacques Prévert (Sourires) - je passe à un tout autre sujet : les dépenses de remboursements et de dégrèvements d'impôts.
La somme est énorme, puisqu'il s'agit de 280 milliards de francs ! Mais on enregistre un fait nouveau : ce poste est en augmentation de 11,6 %. D'explications, je n'en ai point. Une hypothèse a bien été émise par la commission des finances ; je ne sais si c'est la bonne, monsieur le secrétaire d'Etat, mais je crois qu'elle mérite que l'on s'y attarde. Ce serait dû tout simplement à la fiabilité des services de l'assiette et du recouvrement.
Comme mon trésorier me le dit fréquemment, on constate parfois que l'informatique, de manière un peu folle, véhicule des données surprenantes qui figurent dans les soldes des créances de l'Etat ; ces créances ne peuvent être recouvrées, non pas parce que les temps sont durs, ce qui est connu, mais tout simplement parce qu'elles ne sont pas fondées. Une telle augmentation de 11,6 % n'est donc pas convenable. Aussi, et la commission des finances a insisté sur ce point, est-il nécessaire que les services disposent d'outils plus fiables que ceux-là.
Abordons maintenant ce que j'appellerai la « poire pour la soif » de la négociation salariale. Le crédit s'élève à 3 milliards de francs. Je proteste depuis neuf ans contre le fait que cette « poire pour la soif » ne figure pas purement et simplement dans les crédits de la fonction publique et pas ici. Les ministres successifs m'ont tous répondu que c'était l'endroit où l'Etat dissimulait sa cassette pour les négociations salariales !
Nos débats sont publics et les représentants syndicaux doivent lire le Journal officiel . Je ne crois donc pas que ce soit là que cette affaire doive se situer. Je proposerai un amendement dans un instant tendant à remédier à cette situation.
J'en arrive à la charge des pensions. C'est la première année que les pensions de France Télécom apparaissent au budget des charges communes. Ce n'est que logique, parce que c'est un engagement de la République, parce qu'il y a continuité dans le respect de cet engagement. Cela m'amène à une réflexion d'ordre général : lorsque nos entreprises publiques deviennent privées, elles ne peuvent plus fonctionner suivant le système propre à la fonction publique, dans lequel les actifs paient pour les retraités ; il faut donc intervenir pour assurer la continuité de la vie sociale de l'entreprise. Si, comme la presse commence à s'en faire l'écho, le problème se pose pour d'autres entreprises publiques, il faudra tout de même réfléchir sérieusement à une solution.
J'observe que, cette année encore, une part beaucoup trop importante des mesures en faveur de l'emploi figure au budget des charges communes. Pour quelle raison le ministère de l'emploi ne gère-t-il pas son propre budget ? Les 43 milliards de francs devraient être inscrits ailleurs, et ce pour une raison de clarté. Je ne vois toujours pas les motifs pour lesquels cela se passe ainsi.
Je note une augmentation importante de 3 milliards de francs. On a fini par savoir - cela n'était écrit nulle part - qu'il s'agissait d'une provision pour l'application des trente-cinq heures. On peut être pour ou contre les trente-cinq heures ; nous sommes sans doute tous pour, dans la mesure où c'est possible. Mon vieil ami Christian Poncelet, par ailleurs président de la commission des finances, nous dit toujours que le textile des Vosges est en difficulté ; si j'en juge à ce fait nouveau que constitue l'application des trente-cinq heures, je crains qu'il n'ait abusé le Sénat pour obtenir des avantages indus et anormaux en faveur de l'industrie textile des Vosges ! (Sourires.)
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. J'allais vous le dire ! (Nouveaux sourires.)
M. Claude Belot, rapporteur spécial. D'ailleurs, M. le secrétaire d'Etat connaît également bien l'industrie textile des Vosges ! Il sait donc mieux que moi - et sans doute n'est-il pas en désaccord complet avec M. Poncelet - qu'elle aura bien des difficultés à supporter tout cela !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Oui, mais c'est M. le secrétaire d'Etat qui en a la responsabilité ! (Rires.)
M. Claude Belot, rapporteur spécial. Les Vosges, qui sont très représentées ici, ainsi qu'aux plus hauts postes de la République, sont, en France, un véritable microcosme.
Il y aurait sans doute beaucoup à en dire, mais je considère que négocier à l'échelon national ce qui relève en vérité de la négociation par branche et par entreprise est une régression sociale. La commission des finances du Sénat n'est donc pas d'accord pour accepter l'inscription de cette provision ; elle proposera un amendement en ce sens tout à l'heure.
Ma dernière observation, mais elle n'est pas nouvelle, concerne l'épargne logement.
Ce fut une bonne politique, décidée à une époque lointaine, quand il fallait reconstruire la France et faire en sorte que toutes les familles puissent accéder à la propriété, objectif louable qui, aujourd'hui, est en bonne partie atteint. C'est très bien ainsi. De surcroît, la France manquait alors cruellement d'épargne longue. L'outil financier essentiel des Français était la Caisse d'épargne. L'épargne logement a été un moyen de fixer l'argent de nos épargnants français pendant un certain nombre d'années.
Aujourd'hui, le système est totalement détourné de son objet. Est-il encore utile, est-il encore logique que, outre des taux administrés qui sont ce qu'ils sont, on puisse profiter, ce qui est beaucoup plus intéressant, car ce n'est pas fiscalisé, des primes de l'Etat ? Sachons qu'actuellement, avec un plan d'épargne logement, on s'achète aussi bien une chaîne haute fidélité qu'une voiture...
M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. C'est une situation insensée !
M. Claude Belot, rapporteur spécial. Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite que les services financiers de la France mènent une réflexion sur le sujet. L'épargne logement doit être utilisée de façon à répondre à son objet initial. Si elle continue à être pratiquée comme elle l'est aujourd'hui, alors il faudra vraisemblablement diminuer le montant de l'aide de l'Etat, ce qui, manifestement, n'est pas le cas actuellement. Ce serait pourtant une source d'économies !
Mais la France doit faire face à tous ses engagements, qui sont nombreux et coûteux. C'est la raison pour laquelle la commission des finances, sous réserve de l'adoption de deux amendements que je présenterai en son nom dans un instant, propose d'adopter ces crédits.
Telles sont les quelques observations que je souhaitais faire dans le très court temps de parole qui m'était imparti, et ce en employant le ton très mesuré qui est celui du Sénat, une assemblée qui porte la réflexion un peu au-delà de l'aridité des chiffres. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Gaillard, rapporteur spécial.
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, pour les comptes spéciaux du Trésor. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la tâche qui me revient de présenter les comptes spéciaux du Trésor n'est guère rendue moins lourde par la suppression nette de deux comptes par rapport à l'an dernier.
Il me faut rapporter l'utilisation de quelque 459 milliards de francs de dépenses, dont un grand nombre a déjà ou sera bientôt présenté par les différents orateurs qui prennent place à cette tribune.
C'est pourquoi, et compte tenu de mon temps de parole limité, j'irai à l'essentiel, m'interdisant donc de feuilleter l'ensemble de ce catalogue à la Prévert que sont les comptes spéciaux du Trésor.
L'évolution de leur charge nette, terme abscons sous lequel se déguise le solde, n'a pas favorisé votre tentative de maîtriser les finances publiques, monsieur le secrétaire d'Etat. Le solde des comptes spéciaux serait négatif de 4,4 milliards de francs, contre un excédent prévu pour l'année en cours de l'ordre de 360 millions de francs. Mais, monsieur le secrétaire d'Etat, peut-être y êtes-vous pour quelque chose !
Les comptes spéciaux du Trésor offrent une forte tentation pour les gouvernements, celle d'y loger des charges qui incomberaient plutôt au budget général.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous y avez succombé ou, sinon vous, du moins le ministère que vous représentez et, comme nous ne pouvons pas vous suivre toujours, nous vous proposerons tout à l'heure de corriger l'un de ces péchés. J'entends par là l'imputation, abusive à notre sens, de dépenses d'aide personnalisée au logement sur le fonds pour le financement de l'accession à la propriété.
Pour l'heure, je voudrais souligner combien les procédures d'affectation sont parfois dangereuses. Malgré une augmentation importante des prélèvements obligatoires affectés, plus rapide que celle des recettes du budget général, le déficit des comptes s'accroît. Je vous demande si c'est bien raisonnable dans l'absolu, et même de façon plus relative, si l'on veut bien considérer l'importance des reports d'une année sur l'autre. Ne pourrait-on tenir compte de ces reports et mettre ainsi un peu d'ordre dans les évaluations de crédits, ne faisant, en cela, que ce que nous demandons chaque année au budget européen de faire ?
Permettez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat de vous suggérer pour l'année à venir d'adjoindre au « bleu » des comptes un état détaillé des reports de soldes et de crédits qui permettrait à chacun de mieux prendre la mesure financière des comptes spéciaux du Trésor.
Je dirai quelques mots des comptes d'affectation spéciale. Je souhaite évoquer d'abord la situation de deux fonds gérés par le ministère de la jeunesse et des sports : le Fonds national pour le développement du sport, le FNDS, et le Fonds national pour le développement de la vie associative, le FNDVA. Ces deux comptes, dont l'objet est plus que louable, suscitent pourtant de nombreuses interrogations. Variables d'ajustement pour le budget de la jeunesse et des sports, la consommation de leurs crédits paraît parfois lente et ne correspondre que partiellement à leur vocation. Nous serions tous sensibles à ce qu'un travail d'expertise permette de nous éclairer sur ces points et de résoudre les problèmes que semblent connaître ces fonds.
Les difficultés ne sont pas l'apanage de ces deux comptes. Le Fonds national pour le développement des adductions d'eau, le FNDAE, et le Fonds forestier national, le FFN, ont chacun les leurs.
Pour le FNDAE, c'est l'extension de ses interventions à la lutte contre les pollutions agricoles - 150 millions de francs par an - qui altère le redressement du compte, perspective ouverte par le Sénat il y a deux ans lorsqu'il avait porté les ressources du fonds au niveau nécessaire.
Quant au Fonds forestier national, il n'est pas encore sorti de la crise de trésorerie qu'il a subie au début des années quatre-vingt-dix. Le rétablissement du compte est cependant en bonne voie, mais à un niveau réduit de moitié par rapport aux années fastes. Ce rétablissement serait plus rapide si les services fiscaux pouvaient procéder - je vous en fais instamment la demande, monsieur le secrétaire d'Etat - au recouvrement des créances fiscales impayées par certains grands distributeurs.
J'en viens aux comptes de prêts et aux comptes d'avance. Le solde des opérations temporaires des comptes spéciaux du Trésor connaîtrait, en 1998, une aggravation de 1,6 milliard de francs environ.
Les estimations sont, dans ce domaine, fragiles, et de mauvaises surprises pourraient surgir sur les comptes de prêts et les comptes d'avances.
Pour les premiers, l'essentiel se trouve dans les comptes de prêts aux Etats étrangers. Leur examen pour 1998 manifeste d'abord un certain renoncement à la politique protocolaire qui accompagne nos entreprises dans leur effort d'implantation hors de nos frontières et qui, plus encore, est l'expression de l'attention apportée aux pays les plus pauvres de ce monde.
A côté de cela, la dégradation du solde du compte de consolidation des prêts aux Etats étrangers est le résultat de l'épuisement des marges accumulées dans le passé et, paradoxalement, d'un retour à une meilleure fortune de plusieurs Etats. Un passage devant le Club de Paris, réservé aux Etats endettés mais en passe de réussir leur redressement économique, conditionne en effet le niveau de charges du compte. Ce dernier pourrait d'ailleurs dériver au gré du rétablissement économique de certains Etats débiteurs de notre pays.
Permettez-moi d'évoquer en deux mots les comptes d'avances, pour m'inquiéter des prévisions locales. Ces dernières posent différents problèmes, dont celui de la qualité du recouvrement des impôts locaux qui, si elle s'est améliorée ces dernières années, semble remise en cause par la forte augmentation des réclamations, portant en particulier sur la taxe professionnelle : plus 11 % en 1996 !
A la fin de cet exposé, permettez-moi, mes chers collègues, de revenir à un compte d'affectation spéciale, celui qui décrit les cessions de titres publics et leurs emplois, et sur lequel se concentre, en fait, l'essentiel des problèmes que pose cette année l'examen des comptes spéciaux du Trésor.
Le secteur public a connu bien des malheurs. Il s'apprête à en connaître un autre, celui de perdurer dans son être. Peu ou prou, la politique du « ni - ni » continue de vous inspirer.
Je n'entrerai pas dans le débat socio-économique auquel peut inviter un tel choix. En revanche, je souhaite appeler très solennellement votre attention sur quelques-unes des contraintes financières qui l'entourent.
La ressource ne suffit pas aux besoins et votre parti pris de conserver au secteur public ses contours actuels aggrave cet écueil.
Je passe vite sur le fait que l'emploi des recettes pour désendetter l'Etat n'apparaît plus que virtuel alors qu'il s'agirait d'un moyen de réduire les charges d'intérêt supportées par le budget de l'Etat.
Ayant rappelé que le « bleu » des comptes spéciaux du Trésor ne donne pas une image fidèle des données financières de ce compte, je voudrais vous interroger, monsieur le secrétaire d'Etat, sur les moyens que vous comptez mettre en oeuvre pour combler l'écart entre les recettes disponibles et les besoins de dotation des entreprises publiques.
Les ressources disponibles en 1998 seraient, semble-t-il, de 42,8 milliards de francs. Quant aux besoins, à dessein, je ne les précise pas, mais les analyses détaillées du rapport écrit les situent bien au-delà.
Entendez-moi bien, monsieur le secrétaire d'Etat : je ne vous reproche pas d'avoir sous-évalué les besoins en dotation des entreprises publiques, encore qu'en nous en présentant une estimation de 27,3 milliards de francs votre budget n'offre pas une image très fidèle des dépenses pour 1998.
Il me semble qu'il aurait été possible de porter le montant des crédits inscrits au budget à un niveau plus proche de celui que le solde du compte reporté en 1998 vous permettra de dépenser.
Cela aurait été possible, et je dirai même que cela aurait été souhaitable. En effet, si l'on devait s'en tenir à votre projet de budget, on devrait, du même coup, s'inquiéter beaucoup pour notre secteur public.
Permettez-moi de justifier cette dernière observation en évoquant d'abord l'EPFR, l'Etablissement public de financement et de restructuration du Crédit Lyonnais, qui est l'une des structures essentielles à l'apurement de cette triste affaire.
En m'en tenant à votre budget et aux informations qui m'ont été transmises par les services, j'observe que la dotation prévue jusqu'à présent pour 1998, 7,1 milliards de francs, permettrait de couvrir les charges d'intérêt à supporter par l'EPFR compte tenu du rythme prévu des réductions d'actifs du consortium de réalisation, le CDR. Mais elle ne permettrait pas de commencer à amortir le principal de la dette de l'établissement !
Le conseil d'administration de l'EPFR a estimé que, dans les années comprises entre 1998 et 2002, il fallait pouvoir compter sur des versements de l'Etat compris entre 10 et 12 milliards de francs par an, afin de compenser, outre les charges d'intérêts, les abandons de créances que l'EPFR devra accepter de la part du CDR.
Il va de soi que, si ce mécanisme devait fonctionner dans les mêmes conditions jusqu'en 2014, on aboutirait à un coût de portage que je qualifierai d'« hyperréaliste » ou de « surréaliste », mais que je me refuse à articuler à cette tribune, pour ne pas apporter de l'eau au moulin de la Commission, avec laquelle vous menez en ce moment des négociations difficiles à ce sujet. (M. le secrétaire d'Etat opine.)
En clair, il est peu probable que le mécanisme CDR-EPFR puisse perdurer.
Quoi qu'il en soit, il serait plus que souhaitable - en m'en tenant à ces trois années et aux propositions du conseil d'administration - que, compte tenu des reports disponibles en 1998, l'Etat consente un complément de dotation minimal de 4,6 milliards de francs, condition nécessaire à la cohérence des estimations retenues par le conseil d'administration de l'EPFR, où l'Etat, dois-je vous le rappeler, dispose de la majorité.
Mais l'EPFR n'est pas tout, et les autres entreprises publiques ont des besoins considérables. Jusqu'à présent, vous comptez les satisfaire en dégageant quelque 21 milliards de francs à leur profit en 1998. C'est à peu de choses près, je le dis incidemment, le montant des pertes des entreprises publiques non financières en 1996.
Or les dépenses que vous avez arbitrées me paraissent loin de couvrir les besoins. Il est vrai que vous disposeriez d'un reliquat de 10 milliards de francs. Mais sera-t-il suffisant pour accompagner le développement des seules entreprises aéronautiques qui, rétablies, doivent suivre le rythme de la compétition mondiale ? Je ne le pense pas ; je crois même que, la fusion entre Aérospatiale et Dassault semblant s'embourber, nous serons loin du compte.
Je suis, monsieur le secrétaire d'Etat, quelque peu désabusé, et je n'évoquerai donc même pas les besoins de Réseau ferré national, ni ceux du GAN, dont on a tant parlé...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Monsieur le rapporteur spécial, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. Je vous en prie !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, avec l'autorisation de M. le rapporteur spécial.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Monsieur le secrétaire d'Etat, il ne vous aura pas échappé que, si M. le rapporteur spécial vous a dit des choses très importantes, il l'a fait avec la modération qui le caractérise.
Les sujets dont il vous a parlé sont très importants et la commission des finances s'inquiète de constater que les contribuables ne comprennent plus pourquoi ils ont à supporter des sommes abyssales pour couvrir les pertes subies par nos entreprises publiques.
La commission des finances du Sénat - éclairée par le travail soigné qu'a conduit notre collègue M. Gaillard - souhaite exercer sa mission,...
M. Gérard Delfau. Oui !
M. Alain Lambert, rapporteur général. ... une mission qui fonde l'existence du Parlement : il s'agit de vérifier à quoi servent les fonds qui sont prélevés sur les Français.
M. Gaillard a attiré votre attention sur ce point, monsieur le secrétaire d'Etat, et je voudrais solennellement affirmer que, s'il a choisi le ton de la modération, respectant en cela la tradition du Sénat, il souhaite néanmoins, et toute la commission des finances avec lui, que le Gouvernement l'ait entendu.
Il faut progresser, il faut aller très vite dans la comptabilité patrimoniale de l'Etat. Vraiment, cela ne peut plus durer !
Je ne voudrais pas que vous pensiez qu'il s'agit là d'un mauvais procès que la majorité sénatoriale voudrait faire au gouvernement actuel : ces recommandations ont été faites au précédent gouvernement. Il s'agit de la crédibilité de la France ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur spécial.
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. Monsieur le président, je vais conclure, car l'essentiel a été dit avec autorité par M. le rapporteur général, qui s'est exprimé mieux que je ne l'aurais fait moi-même.
Nous souhaitons, en effet, demander au Gouvernement la transmission dans les meilleurs délais d'un bilan prospectif des avoirs et engagements de l'Etat attachés à sa participation au capital des entreprises publiques. Nous aurions aimé que notre ami Jean Arthuis puisse développer la grande oeuvre qu'il avait envisagée en matière de comptabilité patrimoniale, mais je pense que vous y travaillez aussi.
M. Gérard Delfau. Ce fossoyeur ! Avec le succès qu'on lui a connu !
M. Jean Chérioux. Il y en a qui feraient mieux de se taire !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie ! Seul M. le rapporteur spécial a la parole.
M. Yann Gaillard. rapporteur spécial. Pardonnez-moi ce mot de fidélité à un ami...
Cela étant, malgré ma modération, je vais quand même céder à une petite « rosserie » : quand on apprend, par exemple, que l'Etat, à la fin de l'année, aliénera peut-être - mais peut-être pas - quelques titres de Renault, on a envie de dire, monsieur le secrétaire d'Etat, que, si la navigation à l'estime a du charme, sans doute, pour la direction de Trésor, elle n'en a guère pour les assemblées parlementaires.
Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des finances vous propose, en conclusion, d'adopter les crédits des comptes spéciaux de Trésor, sous réserve d'un amendement que M. le rapporteur général vous exposera dans quelques instants. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 5 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, devant l'ampleur de ce budget, tant par son importance - 675 milliards de francs de crédits bruts, soit environ 40 % des dépenses du budget général - que par sa diversité, et du fait du peu de temps qui m'est imparti, je me bornerai à une intervention sur la situation de nos entreprises publiques dans le secteur financier.
Le secteur économique et financier semi-public, jadis levier essentiel de la politique des gouvernements, a vu son influence se réduire sous l'effet conjugué des privatisations et de quelques gestions aventureuses du type de celles du GAN ou du Crédit Lyonnais.
A ces facteurs s'ajoutent l'indépendance, récemment acquise, de la Banque de France, ainsi que la pression énorme exercée par la Commission européenne en faveur de la régulation par le marché.
La presse écrite et audiovisuelle, y compris de service public, relaie quotidiennement et massivement le mot d'ordre de la déréglementation. Le moins d'Etat est devenu un thème obsédant, et ce malgré le fait que les Français ne cessent de témoigner, par leurs mouvements sociaux et par leurs votes, leur hostilité à cette vague de libéralisme anglo-saxon.
M. Jean Chérioux. C'est votre interprétation !
M. Gérard Delfau. Ce sont les votes, mon cher collègue !
Le groupe socialiste m'a demandé de saisir l'occasion de l'examen de ce projet de budget des comptes spéciaux du Trésor pour faire le point sur cette question, d'autant que nombre de dossiers concernant des établissements financiers sont sur le bureau du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
A vrai dire, la gestion calamiteuse de son prédécesseur, M. Arthuis, laisse un champ de mines : Crédit foncier, Caisse d'épargne, Banque du développement des petites et moyennes entreprises, La Poste, Banque de France. A des titres divers, chacun de ces établissements attend un arbitrage délicat, une réforme ou une réorganisation.
Or le climat est empoisonné. Les relations interprofessionnelles ne sont pas bonnes. L'Association française des banques, incapable jusqu'ici de conduire en son sein un dialogue social et prompte à ne pas honorer les engagements pris envers les pouvoirs publics, ne cesse d'entretenir un climat hostile envers chacun des établissements financiers du secteur semi-public. Ses diatribes et ses demandes trouvent un écho parfois assourdi auprès de la commission des finances du Sénat et de son rapporteur général. Cette attitude irrite sans convaincre.
Plus récemment, le Crédit agricole, pourtant « choyé » par les pouvoirs publics, a emprunté le même registre contre La Poste et énoncé, ce faisant, quelques approximations.
M. Michel Charasse. C'est scandaleux ! C'est de l'abus de biens sociaux !
M. Gérard Delfau. Pour n'en relever qu'une, comment fera-t-il croire à des sénateurs, si proches du monde rural, qu'il ne s'est pas largement désengagé, depuis une dizaine d'années, de ce secteur moins rentable parce que moins peuplé, et ce au profit des villes et de l'Ile-de-France ?
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Gérard Delfau. Plus grave, certains changements de statut ont créé une situation délicate.
Ainsi, le départ du Crédit local de France a, si justifié soit-il, laissé la Caisse des dépôts et consignations démunie d'un bras séculier.
Quant à la privatisation de la COFACE, erreur manifeste, elle revient comme un boomerang au moment où un établissement étranger est candidat à son rachat. Bel exemple de ce à quoi peut conduire le dogme libéral ! (M. Chérioux proteste.) Désormais, la garantie offerte aux investisseurs français à l'étranger dépendrait du bon vouloir d'une entreprise étrangère !
C'est pour éviter que se renouvellent de tels errements que le ministère des finances, sous l'autorité du Premier ministre, doit clarifier rapidement les contours du secteur semi-public des établissements économiques et financiers et prendre, sur chacun des chantiers en cours, les décisions qui s'imposent.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Gérard Delfau. Or je ne cacherai pas notre attente, mêlée d'une certaine inquiétude. Bercy reste Bercy, et le Trésor continue à instruire les dossiers même si, bien sûr, nous avons constaté un changement appréciable dans l'écoute chez les collaborateurs du ministère des finances et l'ensemble des ministres de ce Gouvernement.
M. François Trucy. Quel optimisme !
M. Serge Vinçon. Ça, c'est nouveau !
M. Gérard Delfau. Effectivement, c'est tout à fait nouveau, car j'ai fait l'expérience du contraire, durant deux ans, sur le problème du Crédit foncier. Et c'est, en plus, démocratique, mon cher collègue !
M. Serge Vinçon. Sans aucun doute !
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Gérard Delfau. Je ne parlerai ce matin ni du Crédit foncier de France ni de la La Poste, dont j'aurai à traiter dans la suite de la discussion budgétaire. Je n'évoquerai pas non plus la Caisse d'épargne, à propos de laquelle nous attendons le rapport de notre collègue député M. Raymond Douyère. Je me bornerai à traiter d'un exemple, celui de la Banque de France.
M. Serge Vinçon. Ah !
M. Gérard Delfau. Celle-ci est menacée par un plan de fermeture de ses succursales, qui serait déjà mis en oeuvre sans l'opposition résolue de ses personnels et sans le changement de majorité intervenu en juin dernier.
La doctrine du Gouvernement doit être clarifiée en la matière, monsieur le secrétaire d'Etat.
Je veux plaider avec force en faveur du maintien de ses succursales dans le cadre, entre autres, de deux missions essentielles de service public.
Tout d'abord, il s'agit de l'expertise et de l'autorité morale des agences de la Banque de France dans la commission de surendettement, à un moment où ce fléau social s'aggrave.
Nous qui représentons ici les élus locaux, nous connaissons le rôle irremplaçable de la Banque de France dans ce domaine et nous déplorons l'irresponsabilité d'organismes de crédits, d'ailleurs privés le plus souvent, qui, pour gagner quelques parts de marchés, prêtent au-delà du raisonnable.
La seconde mission est encore plus importante : elle concerne l'appui au développement économique territorialisé, plus particulièrement celui des très petites et des petites et moyennes entreprises, ainsi que l'intervention en faveur des entreprises en difficulté.
Seule la Banque de France peut apporter à ces structures dépourvues de moyens financiers l'assistance technique et désintéressée - j'insiste sur ce mot - qui est indispensable à leur croissance ou à leur survie.
C'est ce que réclament à juste titre les salariés de la Banque de France.
Je suggère que vous vous donniez les moyens, que ce soit par la tenue de tables rondes ou l'élaboration de rapports, d'étudier vraiment la nouvelle orientation du rôle des personnels de ces succursales. Il y a là un savoir-faire qui ne doit pas être bradé. Il y a là aussi un levier pour les créations d'emplois à l'intérieur d'une politique bien pensée d'aménagement du territoire.
J'aurais voulu dire un mot de la Caisse des dépôts et consignations, mais j'interviendrai à ce propos dans le cours du débat.
Je souhaiterais simplement, en terminant, souligner, monsieur le secrétaire d'Etat, que, pour le secteur économique et financier semi-public, le temps presse. Et parce que je vous sais très attentif à nos remarques, le groupe que je représente à cette tribune est confiant. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avec la discussion des budgets ouverts au titre des charges communes et des comptes spéciaux du Trésor, nous sommes dans une situation quelque peu paradoxale. On nous demande, en effet, en très peu de temps, de parler de sujets très importants et de mouvements financiers d'une ampleur sans équivalent dans la seconde partie de la loi de finances.
Le budget des charges communes représente près de 675 milliards de francs d'engagements tandis que les opérations décrites dans les comptes spéciaux portent sur près de 450 milliards de francs.
La diversité des engagements décrits dans le budget des charges communes nous amène naturellement à nous interroger - la même réflexion vaut d'ailleurs pour certains des comptes d'affectation spéciale - sur le problème de la budgétisation effective des opérations qu'il recouvre.
Vous comprendrez, en particulier, que nous nous interrogions sur l'inscription dans les charges communes d'une part importante de la dépense publique pour l'emploi, de certaines des dotations destinées aux collectivités locales - je pense en l'occurrence à la participation de l'Etat au Fonds national de péréquation - ou encore sur le fait que la multiplication des comptes d'affectation spéciale, ces dernières années, ait finalement affecté la lisibilité des engagements de l'Etat dans de nombreux domaines.
Les débats que nous avons régulièrement, par exemple, à propos du Fonds national de développement du sport, sur le Fonds national de développement des adductions d'eau ou sur le Fonds forestier national attestent d'une nécessaire évolution du traitement de ces questions par le biais de dépenses budgétaires plus clairement définies.
Les plus récents rapports de la Cour des Comptes attestent d'ailleurs de cette situation, qui n'est guère satisfaisante budgétairement et qui pose, de notre point de vue, d'incontestables problèmes de pratique politique.
Pour donner un exemple précis, vous conviendrez qu'il soit difficilement compréhensible pour nos compatriotes que les taxes intérieures sur les produits pétroliers rapportent plus de 150 milliards de francs au budget général et que l'on soit cependant contraint, par le biais du Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, le FITVN, de lever d'autres taxes pour financer le développement des transports publics collectifs.
Par ailleurs, alors qu'il est clairement présent à l'esprit de chacun ici que la pratique sportive populaire est indispensable au développement des jeunes et à leur insertion dans la société, comment comprendre que, pour des raisons assez obscures de solde budgétaire, 110 millions de francs de ressources du Fonds national pour le développement du sport soient encore disponibles ?
Et je ne parle pas du Fonds national pour le développement des adductions d'eau, le FNDAE, ou du Fonds d'aménagement de la région d'Ile-de-France, le FARIF, pour lesquels le solde d'entrée des comptes est a priori équivalent au montant des taxes perçues chaque année pour les alimenter.
Nous escomptons donc de l'exercice budgétaire de 1998 et des exercices suivants qu'ils conduisent à l'analyse la plus critique possible de la situation actuelle en matière de charges communes comme de comptes spéciaux et que, autant que faire se peut, une part importante des missions de l'Etat aujourd'hui assumées au travers des opérations de ces deux postes budgétaires soit réintégrée purement et simplement dans les départements ministériels compétents.
Ce sont ces quelques observations que nous tenions à faire au début de l'examen de ces crédits, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de rapporter devant vous, au nom du Gouvernement, à la demande de M. Strauss-Kahn et en remplacement de M. Sautter, qui est retenu à l'Assemblée nationale par la discussion du collectif budgétaire, le budget des charges communes et des comptes spéciaux du Trésor.
Permettez-moi tout d'abord, monsieur le président, de remercier les intervenants pour la qualité de leur travail. Je les remercie tout particulièrement, car ils facilitent la tâche du représentant du Gouvernement par la pertinence de leurs observations et par l'acuité de leur regard sur des sujets qui sont particulièrement difficiles à rapporter. En effet, ils recouvrent des domaines très divers, dont l'importance et les enjeux doivent être soulignés.
J'aborderai successivement le budget des charges communes, puis les comptes spéciaux du Trésor, me pliant en cela au découpage qui a été choisi pour définir les responsabilités des rapporteurs spéciaux.
Le budget des charges communes s'élève, en net, à 382, 8 milliards de francs dans le projet de budget pour 1998, ce qui représente près du quart des dépenses du budget général. Globalement, ce budget est stable, puisqu'il enregistre une réduction de 0,2 % par rapport à la loi de finances initiale de 1997.
Cette stabilité appelle des explications plus approfondies, compte tenu, justement, de la diversité des chapitres en question.
Je ne souhaite pas revenir sur l'ensemble des points que vous avez évoqués. Je vous ai écoutés avec attention, et l'ancien rapporteur général à l'Assemblée nationale que je suis a naturellement retrouvé là une sorte de culture qui l'a rajeuni et en même temps passionné. Je tiens encore une fois à vous en remercier.
Je veux simplement souligner les évolutions les plus significatives et répondre à quelques-unes de vos interrogations, mesdames, messieurs les sénateurs.
La charge nette de la dette représente plus de 60 % de ce budget. Pour 1998, elle s'établit à 234,8 milliards de francs, soit une progression de 2,2 milliards de francs par rapport à la loi de finances initiale pour 1997, ce qui représente un peu moins de 1 %.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Heureusement, il y a eu la baisse des taux d'intérêt !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Notamment, monsieur le président de la commission des finances !
Cette progression est plus marquée par rapport à la prévision actualisée pour 1997, telle que nous pouvons l'estimer aujourd'hui ; elle serait, en effet, de 4 %.
L'évolution de la charge de la dette d'une année sur l'autre résulte d'un effet de volume lié au déficit annuel et, comme vient de le dire M. Poncelet, d'un effet de prix lié à l'évolution des taux d'intérêt.
Pour 1998, le Gouvernement a retenu les hypothèses de taux constatées au moment de l'élaboration de la loi de finances, à savoir, 3,5 % par an pour les taux à court terme, 4,55 % pour les taux à moyen terme et 6,2 % pour les taux à long terme. Ces taux sont ceux qu'ont retenus les économistes et les instituts de conjoncture. Je les pense fiables. Ils ne constituent cependant pas une anticipation de la politique monétaire de l'Etat.
Le niveau des taux d'intérêt permettra, en 1998, une réelle décélération de la croissance de la charge de la dette. C'est un résultat dont chacun se félicite naturellement.
Cette décélération de la dette n'est cependant pas suffisante pour retrouver durablement des marges de manoeuvre budgétaire et pour enrayer le phénomène de « boule de neige » de la dette.
La dette de l'Etat est passée de 30,2 % du produit intérieur brut en 1992 à 44,8 % en 1996 et 47 % en 1997 ; M. Belot a eu raison de souligner cette évolution. En 1998, le rythme de progression ralentit et la charge de la dette va légèrement s'amortir pour atteindre 48,4 % du PIB.
Le ratio de dette publique, au sens de la comptabilité européenne, est passé de 35,4 % du PIB en 1990 à 56,4 % en 1996. Dans le même temps, la part que l'Etat consacre à la charge de la dette est passée de moins de 10 % du budget à près de 15 %. Cette évolution rend les dépenses de l'Etat plus rigides et se fait au détriment de la capacité de l'Etat à investir et à financer de nouvelles priorités.
La réduction du déficit, que le Gouvernement a résolument engagée, n'est certes pas une fin en soi, mais elle est le moyen, en infléchissant le rythme de progression de la dette, de conforter une croissance que nous voulons plus riche en emplois et de cesser de reporter sur la jeunesse, déjà confrontée au choc démographique, le poids des charges qui ne seraient plus assumées aujourd'hui.
La confiance retrouvée du fait de la reprise économique, qui est désormais certaine, et par la perspective proche, et pour laquelle nous militons ardemment, de la réalisation de la monnaie unique, nous aideront à enrayer l'accroissement de la dette.
Ce n'est que par une action déterminée sur plusieurs années que le mouvement pourra être inversé. Après les mesures de redressement que nous avons prises dès l'été 1997, immédiatement après la mise en place du Gouvernement, mesures qui seront confortées par le projet de loi de finances rectificative qui sera examiné par la Haute Assemblée dans quelques jours, le Gouvernement a accompli une étape décisive sur la voie de la réduction des déficits en ramenant concrètement le déficit à 3 % du produit intérieur brut en 1998. Il a ainsi confirmé une ligne de gestion budgétaire et financière claire, précise et destinée à ramener de manière manifeste la confiance dans notre pays à l'intérieur comme au plan international. C'est là un point décisif de la politique économique du Gouvernement.
M. Gérard Miquel. Oui !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Grâce aussi aux excédents des collectivités territoriales !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Monsieur le président de la commission des finances, je me plais à souligner, en effet, que les collectivités territoriales ont accompli un effort très important de rationalisation de leur gestion et de compression de leurs dépenses pour une meilleure adéquation aux nécessités de la croissance, cet effort étant d'ailleurs conforté par un exercice rigoureux de leur mission de service public.
Le projet de budget du Gouvernement, qui réduit le déficit de 27 milliards de francs par rapport à la loi de finances initiale pour 1997 et de 13 milliards de francs par rapport au projet de loi de finances rectificative, va dans ce sens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il convient de souligner l'importance, je dirai politique, de ce résultat, obtenu par des économies réelles et une modification des recettes et des dépenses permettant - je vais y venir dans un instant - de financer les priorités du Gouvernement en matière économique et sociale.
Le chemin sur lequel nous nous sommes ainsi engagés sera poursuivi de manière claire. Mais il ne peut être question de réduire les recettes et les dépenses d'une manière qui aurait pour conséquence de sacrifier les priorités du Gouvernement, notamment la justice sociale, l'emploi et la solidarité ; il n'est pas question non plus de réduire certains crédits pour faire apparaître des économies virtuelles sans tenir compte de la réalité des charges de l'Etat.
Le second poste du budget des charges communes concerne précisément l'emploi, priorité des priorités : 43 milliards de francs sont inscrits à ce titre dans ce budget et concourent à la politique de l'emploi en complément des 112,5 milliards de francs inscrits au budget de l'emploi. Nous dépassons donc les 155 milliards de francs au total si j'agrège les deux budgets en faveur de l'emploi dont je viens de parler.
La priorité du budget de 1998 concernant la lutte contre le chômage a déjà été discutée devant votre assemblée, je n'y reviens donc pas.
Je voudrais simplement faire quelques remarques brèves.
Tout d'abord, la diminution de 3,8 milliards de francs des crédits inscrits à ce titre au budget des charges communes s'explique par le transfert sur le budget de l'emploi de Mme Aubry des aides à l'apprentissage à hauteur de 5,3 milliards de francs, montant qui va permettre le financement de 240 000 contrats d'apprentissage, soit 10 000 contrats de plus qu'en 1997.
Ensuite, j'ai entendu à plusieurs reprises que le Gouvernement revenait sur la politique d'allégement des charges. Ce n'est pas exact. L'allégement des charges sur les bas salaires - qui est bien entendu une priorité au sein de la politique de l'emploi - sous forme de ristourne dégressive, dont le dispositif venait à échéance à la fin de l'année 1997, est reconduit et adapté pour le rendre plus efficace par rapport à son objectif de création et de préservation de l'emploi.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d'Etat, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Bien sûr, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, avec l'autorisation de M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de m'autoriser à vous interrompre.
Ce que vous venez d'indiquer n'est pas exact. En effet, dans le projet de budget pour 1998, il est prévu une réduction de la ristourne en faveur des entreprises dans le domaine des charges sociales. Je m'explique.
Cette ristourne avait été fixée par les précédents gouvernements à hauteur de 1,33 SMIC et, pour le textile, à 1,5 SMIC. Vous avez ramené la limite de cette ristourne à 1,30 SMIC, ce qui représente une économie comprise entre 2,7 milliards et 3 milliards de francs.
Mais, et c'est ce qui est regrettable, alors que vous réduisez la ristourne pour les emplois marchands, vous affectez des crédits importants à des emplois non solvables dans le cadre des emplois-jeunes.
Je considère que cette démarche n'est ni cohérente ni rationnelle, car les emplois marchands, qui étaient aidés jusqu'à 1,3 ou 1,5 SMIC, selon qu'il s'agit ou non de textile, étaient générateurs de richesse et, vous le savez mieux que quiconque, avaient permis non seulement de maintenir plusieurs milliers d'emplois dans le textile, mais d'en créer 7 000 !
Par conséquent, sans contester votre démarche pour les jeunes, le Gouvernement aurait dû, je crois, maintenir la ristourne en faveur des emplois marchands, générateurs de valeur ajoutée et de richesse à répartir.
La politique qui consiste à se détourner de l'emploi marchand pour financer essentiellement l'emploi non solvable, l'emploi dans le secteur public, n'est donc pas cohérente.
M. Paul Loridant. Si les patrons embauchaient, ça se saurait !
M. Gérard Delfau. Bien sûr !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je remercie M. le président de la commission des finances de sa remarque, qui contribue à approfondir le débat.
La logique générale d'une politique économique efficace pour l'emploi consiste, en effet, à asseoir celle-ci, notamment - pas exclusivement - sur la réduction des charges sociales des bas salaires, c'est-à-dire en fait des emplois peu ou non qualifiés. Cette politique est maintenue,...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. En réduction !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. ... et d'ailleurs votre propos n'en disconvenait pas.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. En réduction ! Soyons sincères.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. La logique générale est maintenue.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. La logique, mais pas le montant !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. S'agissant des emplois marchands et non marchands que vous avez évoqués, je ferai deux remarques très brèves.
Il est vrai que la véritable croissance de l'emploi doit se faire sur les emplois marchands.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je confirme que c'est l'opinion du Gouvernement et que c'est aussi sa politique.
Il est vrai également qu'un certain nombre de services, pour ne prendre que cet exemple, ne sont pas aujourd'hui en mesure d'être accomplis par le marché. Dans le domaine de l'environnement, des services à la personne, des services aux plus défavorisés, un certain nombre de problèmes nouveaux échoient aux collectivités territoriales, vous en avez parlé tout à l'heure.
Il est donc normal que le Gouvernement, à un moment où plusieurs centaines de milliers de jeunes sont obligés d'attendre un emploi pendant plusieurs mois, voire plusieurs années pour certains d'entre eux, mette en oeuvre un système, qu'il subventionne en effet, destiné à faire en sorte que les jeunes ne restent pas en jachère, si vous me permettez l'expression, mais qu'ils puissent au contraire accéder à un travail correctement rémunéré, à long terme et tout à fait classique, à un moment où le maché n'est pas encore capable d'apporter à ces jeunes des perspectives solvables pour les services dont il s'agit.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Voilà la démarche cohérente du Gouvernement.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Mais pourquoi réduire la ristourne pour les emplois marchands ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Elle consiste, premièrement, à aider les entreprises à bien assumer une politique de renforcement des emplois - lorsqu'elles en expriment le besoin, car il ne faut rien faire d'artificiel - par un abaissement des charges sociales des emplois les moins qualifiés ou les moins rémunérés. C'est ce que nous faisons et nous le confirmons.
Elle consiste, deuxièmement, à soutenir en effet, par un véritable projet à long terme en direction des jeunes, une politique destinée à pallier l'insuffisance du marché, qui n'a pas encore dégagé suffisamment d'opportunités, et à faire en sorte que des jeunes n'attendent pas, par centaines de milliers, un emploi effectif pendant plusieurs années.
La conjonction de ces deux actions, loin d'être contradictoire, monsieur le président de la commission des finances, montre au contraire la cohérence de la démarche globale du Gouvernement en faveur de l'emploi, dont je donnais quelques illustrations dans mon propos.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Raymond Courrière. C'est très clair !
M. Gérard Delfau. Et opérationnel.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. L'allégement des charges sociales sur les bas salaires sous forme de ristourne est donc maintenu. Il sera linéairement dégressif de 1 212 francs au niveau du SMIC, jusqu'à 1,3 SMIC. Cet allégement sera désormais calculé en fonction du temps de travail pour éviter les effets pervers d'un avantage excessif au temps partiel, compte tenu des autres dispositifs d'encouragement existants et de la priorité accordée à la réduction collective du temps de travail, qui est la troisième réponse efficace en matière de lutte pour l'emploi.
Messieurs les rapporteurs, vous avez critiqué l'inscription d'une provision au budget des charges communes - je pense en particulier à M. Belot - pour le dispositif d'accompagnement et d'incitation à la réduction de la durée du travail, sous forme d'un abattement forfaitaire des cotisations sociales patronales.
L'incitation à la réduction du temps de travail, qui est aussi une incitation à l'embauche, sera d'autant plus élevée que les entreprises se lanceront rapidement dans la négociation et qu'elles réaliseront un effort particulier en matière d'emploi ou auront recours, ce que nous souhaitons, à des modalités innovantes de réduction du temps de travail. Je vous rappelle que le dispositif envisagé, que le Gouvernement vous proposera, est moins coûteux que celui qui a été mis en place par la loi de Robien. Le Gouvernement en attend une plus grande efficacité en termes de création d'emplois.
M. Belot a posé à cet égard une question sur le chapitre 44-75 des charges communes, qui a été créé par amendement lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1992.
Ce chapitre, monsieur le rapporteur spécial, reçoit des crédits globaux, c'est-à-dire des crédits dont la répartition exacte par chapitre ne peut pas être déterminée au moment où ils sont votés. Conformément à l'ordonnance de 1959, la répartition de ces crédits est décidée par arrêté du ministre des finances, postérieurement à l'adoption du crédit global.
Le chapitre 44-75 a accueilli, depuis sa création, des crédits destinés au financement des mesures d'allégement des charges sociales, et l'imputation de ce type de dépenses sur un chapitre des charges communes a été retenue, compte tenu du mode de paiement fractionné qui est pratiqué vis-à-vis des régimes de protection sociale concernés et qui donne lieu à des régularisations a posteriori en fonction des cotisations effectivement versées.
Les dépenses inscrites dans le chapitre 44-75 en termes globaux peuvent, conformément à l'ordonnance et au droit budgétaire, être réparties ensuite par arrêté.
Quatrième remarque : le gouvernement précédent avait mis en place à titre expérimental, jusqu'au 31 décembre 1997, une aide spécifique aux secteurs du textile, du cuir, de l'habillement et de la chaussure - je réponds ainsi à la seconde partie de la question de M. Poncelet - par un allégement de charges sociales selon des règles particulières. Avaient été subordonnés à cette aide un accord sur la réduction du temps de travail ou l'aménagement du travail et un accord sur l'embauche, me semble-t-il, de 9 000 jeunes.
Ce dispositif avait fait l'objet d'un avertissement écrit et solennel, en mai 1996, émanant de la Commission de Bruxelles, précisement de la DG IV et du commissaire Van Miert, expliquant qu'une aide sectorielle de ce type n'était pas acceptable en fonction des règles de l'Union et que la Commission entendait, conformément au traité sur l'Union européenne, en tirer toutes les conséquences si le gouvernement français de l'époque persistait à la mettre en oeuvre.
Ce dispositif incompatible avec le traité a néanmoins été mis en oeuvre en 1996 et doit s'achever au 31 décembre 1997. Etant illégal au regard de l'Union européenne, il prendra fin.
Je m'emploie donc actuellement, monsieur le président de la commission des finances, à faire en sorte que les conséquences sur les entreprises concernées ne soient pas dramatiques, ni en termes de trésorerie ni en termes d'équilibre financier.
J'essaie, à cet effet, d'obtenir une prise en considération, par la Commission, de la situation parfois difficile de ces secteurs, très difficile même pour certaines entreprises.
Pour tenir compte des adaptations réalisées par les petites entreprises en réponse à cette incitation et pour sauvegarder l'emploi, nous avons reconduit ce dispositif de réduction des charges en indiquant à la Commission de Bruxelles, dès le mois de juin de cette année, que nous cesserions d'y avoir recours, car il n'était pas conforme aux engagements internationaux de notre pays.
Ce dispositif est désormais financé sur le budget de l'emploi dans des limites conformes au droit européen, c'est-à-dire l'aide dite de minimis accordée dans la limite de 100 000 euros par an sous forme de réduction de charges sociales aux entreprises qui souhaitent en bénéficier pour développer leurs activités et maintenir l'emploi.
Ce sont donc 500 millions de francs qui seront inscrits au budget de l'emploi et non plus au budget des charges communes, dont nous discutons, au titre de la poursuite en 1998 de l'aide de minimis, conformément au traité sur l'Union européenne.
Il n'y a donc pas de remise en cause, et M. le président le sait bien, qui est un expert averti des questions du textile et de l'habillement. Il s'agit de la mise en oeuvre d'une mesure dans des conditions réalistes et objectivement compatibles avec les règles de la Communauté.
Cinquième remarque : les dépenses d'épargne logement progressent fortement, vous l'avez souligné, pour passer de 6 milliards de francs à 8,1 milliards de francs.
S'il convient peut-être de s'interroger, monsieur le rapporteur général, sur les conditions d'utilisation de ce produit d'épargne encouragée par l'Etat dans une optique d'accession à la propriété, il n'est pas possible de réduire sérieusement les dotations prévues, qui correspondent au financement d'engagements passés. Toutefois, la réflexion se poursuit, et votre remarque prendra tout son sens à l'occasion des travaux que le Gouvernement mène actuellement à cet égard, et je vous en remercie.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Ces travaux se poursuivent lentement !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Nous accélérons, nous intensifions la réflexion, et nous sommes sûrs de trouver, dans un délai raisonnable, une solution à cet égard.
J'en viens à ma sixième et dernière remarque sur les charges communes.
Vous souhaitez supprimer la provision de 3 milliards de francs constituée au chapitre 31-94 de ce budget. Là encore, permettez-moi de dire - et je le fais sans aucune passion, croyez-le bien, m'efforçant au maximum d'objectivité - que cette proposition me paraît extrêmement artificielle et vraiment inopportune.
Le projet de budget pour 1997 comprenait, à ce titre, une provision de 1,5 milliard de francs. Je rappelle que, si ce montant était insuffisant de moitié pour financer le coût des revalorisations salariales finalement décidées en 1997, il était, à l'époque, apparu comme raisonnable au précédent gouvernement.
Par un amendement qui vise à réduire de 3 milliards de francs les crédits de ce chapitre, vous proposez en fait, sans doute involontairement (Sourires), d'interdire toute nouvelle revalorisation des traitements en 1998.
Mmes Marie-Claude Beaudeau et Odette Terrade. Ce n'est pas du tout involontaire !
M. Paul Loridant. Ils savent ce qu'ils font !
M. Raymond Courrière. Oui, et c'est de la politique politicienne !
M. Louis Boyer. Il faut moins de fonctionnaires ! Ils seront mieux payés !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Ce n'est peut-être pas involontaire, en effet, mais je souhaitais rester tout à fait courtois ! C'est pourquoi j'ai crédité, peut-être à tort, les auteurs de l'amendement d'une absence d'intention à cet égard ! (Nouveaux sourires.)
En effet, si cet amendement était adopté, toute nouvelle revalorisation des traitements dans la fonction publique serait de fait interdite en 1998.
M. René Régnault. Absolument !
M. Gérard Delfau. Ce n'est pas admissible !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. En raison de l'expérience de 1997, comme en vertu des projets du Gouvernement en 1998, mesdames, messieurs les sénateurs, la suppression de la provision de 3 milliards de francs n'est évidemment pas acceptable et elle ne constituerait certainement pas une économie crédible sur le budget des charges communes. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
J'en viens aux comptes spéciaux du Trésor, et je voudrais, à cet égard, remercier M. Gaillard de l'excellence de son rapport.
La charge nette des comptes spéciaux du Trésor s'élève à 4,4 milliards de francs dans le projet de loi de finances pour 1998, à comparer à un excédent de 700 millions de francs en 1997 et à une charge de 10,6 milliards de francs, en 1996. Les comptes sont équilibrés, à l'exception des comptes de prêt et du compte d'avances aux collectivités locales ; c'est une tradition.
L'excédent des comptes affiché en 1997 provenait de la présentation en excédent du fonds pour le financement de l'accession à la propriété, à hauteur de 3,5 milliards de francs, en limitant les dépenses du prêt à taux zéro aux engagements de l'année 1997. Cette amélioration optique du solde des comptes spéciaux de 10 milliards de francs, de 1996 à 1997, permettait de présenter une reconduction artificielle des charges de l'Etat en francs courants.
Pour 1988, les comptes d'affectation spéciale sont équilibrés. La charge nette s'explique par le solde des opérations temporaires et, en particulier, par le solde du compte d'avances aux collectivités locales, dont la charge prévue est de 2,5 milliards de francs.
Les comptes d'affectation spéciale retracent un montant de dépenses et de recettes de 60,6 milliards de francs en 1998. La progression des dépenses provient, pour 3,5 milliards de francs, du fonds pour le financement de l'accession à la propriété, affectés dans le projet de loi de finances du Gouvernement au prêt à taux zéro, à la participation de l'Etat au fonds de garantie sociale et à une contribution au financement des aides à l'accession.
M. Gaillard m'ayant interrogé à ce sujet, je lui précise que le compte « Fonds pour le financement de l'accession à la propriété » permet en effet de financer, en plus du prêt à taux zéro, la contribution de l'Etat au fonds de garantie de l'accession sociale, pour un montant de 260 millions de francs, ainsi que la part des aides personnelles aux logements destinées à l'accession à la propriété.
Pour les ménages accédants dont le revenu le justifie, le prêt à taux zéro reste cumulable avec un prêt garanti par l'Etat, qui en constitue le complément. Le regroupement sur ce compte d'aide dont la finalité est l'accession à la propriété est donc logique.
Contrairement à ce qui a été avancé par M. le rapporteur spécial, la réforme du prêt à taux zéro ne s'explique pas uniquement par des considérations de coût. Afin de favoriser la mobilité résidentielle, le prêt à taux zéro est réservé aux primo-accédants.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Les durées maximales d'emprunt sont donc légèrement réduites et les marges des banques sont ramenées à des niveaux correspondant mieux à la baisse des taux d'intérêt enregistrée depuis deux ou trois ans.
M. Gérard Delfau. C'est de la bonne politique ! Voilà de l'économie !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Vous avez adopté, en première partie, sur la proposition de M. le rapporteur général de la commission des finances, un amendement qui réserve l'utilisation de ce fonds aux aides à la pierre.
Outre que je tiens à souligner la cohérence du projet du Gouvernement, s'agissant du regroupement sur ce compte de dépenses dont la finalité est l'accession à la propriété, la lecture de l'amendement déposé par la commission des finances me conduit à m'interroger sur la manière dont vous comptez financer les aides personnelles à l'accession à la charge du Fonds national d'aide au logement.
M. Gaillard ainsi que Mme Beaudeau m'ont interrogé sur le Fonds national de développement du sport, le FNDS, s'inquiétant du volume des reports de crédits observés sur ce fonds.
Comme vous le savez, le FNDS est, pour une grande part, alimenté en recettes tout au long de l'année par un prélèvement sur les enjeux de la Française des jeux. Les délais nécessaires à la centralisation des recettes par l'agence comptable centrale du Trésor et la fixation au 30 novembre de la date limite des engagements de dépenses rendent ces reports inéluctables. Les recettes rattachées en fin d'exercice ne peuvent être consommées avant le 31 décembre, ce qui entraîne des reports sur les exercices suivants.
C'est pour cette raison, d'ailleurs, que l'ordonnance du 2 janvier 1959 a prévu le report automatique de chaque compte spécial du Trésor sur l'exercice suivant. Voilà ce qui explique l'évolution du FNDS.
Je souhaite souligner, par ailleurs, que le Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables et le Fonds pour l'aménagement de la région d'Ile-de-France s'élèvent globalement à 5,5 milliards de francs, soit une majoration de 17 % par rapport à 1997. Ces moyens seront mobilisés pour soutenir le développement du transport ferroviaire ainsi que celui du transport collectif urbain et investir dans le réseau routier, dans une optique multi-modale.
Je pense que cela donnera satisfaction, en particulier, à tous ceux d'entre vous qui ont posé des questions sur les transports dans la région parisienne.
Le compte d'affectation des produits de cession de titres, parts et droits de sociétés est évalué, en recettes et en dépenses, à 28 milliards de francs en 1998. Ce montant est de un milliard de francs supérieur à l'estimation initiale de 1997.
L'ouverture partielle du capital de France Télécom, qui est un vrai succès, conduit à proposer une majoration des recettes de ce compte, au titre de 1997, de 29,5 milliards de francs dans le collectif budgétaire qui sera discuté prochainement. Les ressources du compte permettront de doter les entreprises et établissements publics du secteur financier des transports et de l'industrie.
S'agissant d'une éventuelle insuffisance de la dotation prévue pour l'établissement public de financement et de restructuration, ou EPFR, je précise que l'utilisation des dépenses inscrites sur le compte correspond à des prévisions qui peuvent évidemment être modifiées en cours d'année.
A cet égard, le Gouvernement a ajusté à la hausse le poste EPFR pour tenir compte du coût réel de portage financier que cet établissement supporte.
M. Gaillard a évoqué la question d'une comptabilité patrimoniale de l'Etat. M. Strauss-Kahn, M. Sautter et moi-même partageons ses préoccupations relatives à une meilleure connaissance de l'ensemble des engagements de l'Etat. Le chantier, chacun le sait, est complexe et vaste. Chaque gouvernement, quelle que soit la majorité, essaie à son tour de s'y engager avec une bonne volonté évidente. Ce travail doit être poursuivi et intensifié.
Si l'occasion m'en est donnée, j'aimerais revenir sur cette question. Le Gouvernement le fera certainement, ce qui permettra de rassurer M. le rapporteur général et l'ensemble du Sénat sur l'évolution positive d'une recherche dont chacun convient qu'elle est nécessairement fort longue et fort complexe.
M. le rapporteur spécial m'a également interrogé sur la sincérité des comptes d'affectation spéciale.
Les dotations dont bénéficient les entreprises publiques doivent être appréhendées sur la période 1997-1998. Le calendrier de versement individuel sera ensuite conduit de façon à atteindre, sur 1997 et 1998, un montant de dépenses conforme à ce qui figure en loi de finances initiale pour 1997, d'une part, soit 56,5 milliards de francs au total, et en projet de loi de finances initiale pour 1998, d'autre part, soit 28 milliards de francs.
Ainsi, monsieur Gaillard, si l'on tient compte des crédits ouverts sur le chapitre 54-90 des charges communes, le montant global des crédits disponibles s'élève, sur la période 1997-1998, à près de 90 milliards de francs. Voilà une réponse précise à une question précise.
L'affectation de recettes à des dépenses identifiées est une exception dans notre droit budgétaire ; elle ne doit être prévue que lorsqu'elle est pleinement justifiée.
Vous l'avez noté, le Gouvernement propose la clôture de trois comptes d'affectation spéciale dont l'existence n'est plus justifiée. Cette suppression concerne notamment deux comptes spéciaux qui ont été créés récemment pour supporter des opérations en faveur du logement : le Fonds pour l'accession à la propriété et le Fonds pour le logement des personnes en difficulté.
Dans le projet de loi de finances pour 1998, le produit de la taxe sur les surloyers est reversé au budget général et les dépenses relatives au Fonds de solidarité logement et à l'aide aux associations logeant à titre temporaire des personnes défavorisées sont inscrites au budget du logement pour un montant de 450 millions de francs.
En revanche, le projet de loi de finances prévoit la création d'un nouveau compte d'affectation spéciale pour retracer les opérations d'indemnisation des créances françaises sur la Russie. En effet, la Fédération de Russie s'est engagée en 1996 à verser à la France 400 millions de dollars pour apurer définitivement les contentieux financiers antérieurs à mai 1945.
On créera donc un compte d'affectation spéciale retraçant les opérations d'indemnisation organisées en application des accords intervenus. La commission présidée par M. Paye, conseiller d'Etat, examine l'identification des personnes ayant droit à ces indemnisations.
Je souhaite, enfin, répondre à deux questions que m'a posées M. Gérard Delfau.
S'agissant du Crédit foncier de France, tout d'abord, la stratégie retenue, en plein accord avec l'intersyndicale des personnels de cet établissement, consiste à préserver la liberté du Gouvernement concernant les groupes intéressés par une reprise. Ces groupes doivent seulement confirmer leur intérêt pour le Crédit foncier de France.
Autrement dit, monsieur Delfau, il n'y a aujourd'hui aucune exclusive quant à la reprise du Crédit foncier de France, et l'hypothèse que vous avez bien voulu mentionner est étudiée avec une grande attention, au même titre que d'autres. M. Strauss-Kahn sera certainement amené à évoquer prochainement cette question.
M. René Régnault. Nous sommes très attentifs !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Vous avez raison !
J'en viens, monsieur Delfau, à votre question relative aux succursales de la Banque de France. Le gouverneur de la Banque de France étudie les modalités d'une rationalisation de certaines caisses au sein du réseau des succursales.
Les élus locaux, aussi, peuvent être concernés par cette rationalisation.
Il appartient au gouverneur de la Banque de France, dans cette opération, de concilier différentes préoccupations.
La première a trait à l'aménagement du territoire, auquel la Banque de France doit contribuer.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. René Régnault. C'est important !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je suis personnellement très vigilant sur cette question, tout comme l'ensemble du Gouvernement : aucune succursale de la Banque de France ne doit être fermée. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
Deuxième préoccupation forte, partagée, j'en suis certain, par l'ensemble de l'hémicycle : la qualité du service public. Les exigences de modernisation et celles qui sont liées à la préparation des échéances européennes, notamment la création de l'euro, doivent guider l'action de la Banque de France.
La troisième préoccupation - et ce n'est pas la moindre - concerne le souci du dialogue social. Si des restructurations doivent être engagées par la Banque de France, elles doivent toujours donner lieu à une concertation préalable avec les partenaires sociaux.
Naturellement, nous n'accepterions pas que ces restructurations soient accompagnées de licenciements. Nous souhaitons - je le redis solennellement au nom du Gouvernement - que, lorsque des évolutions ou des organisations sont en cours dans une succursale de la Banque de France, les élus locaux soient préalablement consultés...
M. René Régnault. Très bien !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. ... et que l'on tienne réellement compte de leurs avis, comme on doit tenir compte, mesdames, messieurs les sénateurs - comment ne pas le dire solennellement aussi à la Haute Assemblée - de l'avis des sénateurs et de l'ensemble des parlementaires.
MM. Gérard Delfau et René Régnault. Très bien !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. C'est ainsi que l'on pourra accompagner et le maintien de l'idée centrale de service public, qui doit être portée par la Banque de France, et l'idée que, naturellement, la Banque de France évolue dans un contexte économique national et international qui l'oblige à prendre en considération les contraintes qui sont les siennes, notamment au moment de la création de la nouvelle monnaie européenne.
Quoi qu'il en soit, il me paraît très important pour l'ensemble des membres de la Haute Assemblée que ces garanties soient clairement et nettement réaffirmées.
Telles sont les caractéristiques de ce projet de budget.
Je souhaite terminer en indiquant également que le secteur financier connaît d'importants bouleversements, très visibles dans tous les pays. On connaît la situation, hélas ! dramatique, de certains pays du Sud-Est asiatique ; on connaît la situation qui en découle au Japon ; on connaît la situation aux Etats-Unis d'Amérique ou dans d'autre pays de l'Union européenne.
La France n'échappe pas à la règle, même si, naturellement, son secteur financier ne connaît pas des bouleversements aussi importants que ceux de certains autres de ses partenaires internationaux lointains.
L'accroissement de la concurrence, la perspective de la monnaie unique encouragent les entreprises à une concentration de plus en plus forte.
La compétitivité du secteur financier, auquel nous sommes tous attachés, est au coeur des préoccupations du Gouvernement depuis la nomination de M. Lionel Jospin. Elle l'a conduit à prendre plusieurs décisions.
Il s'agit, d'abord, de la poursuite de la privatisation du CIC et du GAN, dans un souci d'intérêt national. L'intérêt stratégique de ces entreprises est de trouver un partenaire susceptible d'assurer leur développement à long terme dans le cadre d'un projet industriel et social ambitieux.
Le Gouvernement a entamé une phase de concertation sur un projet de cahier des charges pour la cession du CIC. Il souhaite que cette opération contribue au renforcement de notre secteur financier.
Il s'agit, ensuite, du lancement de la réforme des caisses d'épargne, à laquelle nombre d'entre vous sont attachés et sont très attentifs, notamment M. Delfau. Cette réforme doit permettre de conforter leur compétitivité et celle de tout le secteur financier au sein duquel elles occupent une place originale et importante.
Il s'agit, encore, de l'examen des relations entre les banques et leurs clients, afin de définir un nouveau partenariat, gage d'efficacité économique et de progrès social : rémunération des dépôts, tarification des services, services bancaires de base.
Il s'agit, enfin, de l'encouragement à la négociation pour les trente-cinq heures et de la modernisation des règles sociales et du dialogue social dans le secteur bancaire.
Tels sont, mesdames et messieurs les sénateurs, les axes de l'action gouvernementale en ce qui concerne le secteur financier.
Je vous ai présenté, au nom de MM. Strauss-Kahn et Sautter, un budget des charges communes et des comptes spéciaux du Trésor sincère et rigoureux. Il reflète les priorités économiques et sociales fortes du Gouvernement. Je souhaite que le Sénat tienne compte de cette volonté, de la clarté des orientations et du caractère décisif des priorités qui lui sont présentées pour adopter ces deux projets de budgets. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C et concernant l'économie, les finances et l'industrie.

CHARGES COMMUNES