M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant le ministère de l'agriculture et de la pêche.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Joël Bourdin, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en présentant ce projet de budget pour 1998, j'ai l'impression de revenir quelques années en arrière. En effet, comme dans la période 1992-1993, notre politique agricole est sous tension : tension européenne avec le programme Agenda 2000 et la réforme de la politique agricole commune, la PAC, tension internationale avec la reprise éventuelle des négociations de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, tension nationale avec la perspective d'une loi d'orientation.
Comme vous l'avez déclaré à cette même tribune, le 5 novembre dernier, monsieur le ministre, « nous avons devant nous des échéances très importantes qu'il nous faut préparer en définissant de façon précise les orientations et les principes que nous voulons faire prévaloir pour notre agriculture ».
Ce débat d'orientation, qui est encore frais dans nos mémoires, me permettra donc de faire l'économie de développements généraux pour concentrer mon analyse sur un certain nombre de points précis de technique budgétaire et fiscale.
Comme vous le savez, l'un des points qui a suscité le plus de discussions depuis la présentation de votre projet de budget est celui de l'adéquation des crédits destinés à la Société pour l'expansion des ventes des produits agricoles et alimentaires, la SOPEXA.
Vous vous êtes prudemment retranché derrière les résultats à venir de l'inspection conduite par de hauts fonctionnaires du ministère de l'agriculture et du ministère des finances pour ne pas prendre position explicitement sur le niveau de cette dotation.
Pour ma part, je pense que l'Etat n'a pas vocation à demeurer en permanence le bailleur de fonds très majoritaire de cet organisme, dont chacun connaît ici l'efficacité.
En revanche, il me semble que la réduction opérée est trop brutale pour ne pas perturber le fonctionnement de la SOPEXA en 1998. Bien sûr, il convient de gérer au mieux la dépense publique, mais son efficacité ne peut être assurée que si elle s'inscrit dans la durée, par exemple dans le cadre d'une convention quinquennale, et que si elle est relayée par un financement professionnel soigneusement mesuré. De la même manière, un audit de l'ensemble des organismes concourant à la promotion de nos échanges extérieurs peut se révéler judicieux.
Quoi qu'il en soit, nous devons impérativement consolider l'exercice 1998, quels que soient les résultats de la mission d'inspection commune. L'année dernière, nous avons réussi à doter la prime d'orientation agricole, la POA, et le fonds de gestion de l'espace rural, le FGER, grâce à un prélèvement sur le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles, le CNASEA.
Cette année, je constate que le projet de loi de finances rectificative de fin d'année va prélever des sommes importantes sur les réserves des offices - 105 millions de francs - et sur celles du fonds des calamités agricoles - 15 millions de francs.
J'observe également que, à deux reprises le mois dernier, des économies de constatation de 180 millions et de 570 millions de francs ont été opérées sur le budget annexe des prestations sociales agricoles, le BAPSA.
J'ai donc la conviction que des redéploiements de crédits sont possibles, si l'on en a la ferme volonté, pour abonder la dotation de la SOPEXA, peut-être pas à hauteur de 40 millions de francs, mais en tout cas pour un minimum de 20 millions de francs. C'est l'opinion de la commission des finances et, je le crois, d'une très grande majorité du Sénat. Je ne doute pas que vous nous rassuriez, monsieur le ministre, sur l'avenir financier de la SOPEXA en 1998.
La discussion de la première partie de la loi de finances au Sénat a permis de mettre en évidence un certain nombre d'interrogations que se posent quasiment tous les sénateurs des départements ruraux. Elles sont d'importance inégale, mais elles conditionnent souvent des politiques importantes localement. Vous me permettrez donc d'en analyser quelques-unes.
S'agissant du financement de l'équarrissage, la taxe spécifique que nous avons votée récemment ne devrait rapporter que 500 millions de francs au lieu des 700 millions de francs attendus pour 1997. Le produit encaissé permettra-t-il de faire face aux besoins ou devons-nous envisager une impasse de financement et, dans ce cas, comment compteriez-vous la traiter ?
Depuis plusieurs années, le Sénat unanime demande un abaissement de la taxe sur les sciages de 1,2 % à 1 %, compte tenu de l'importance de cette activité dans nombre de régions forestières. Comme l'a souligné M. le rapporteur général, il semble que la perception de la taxe unique sur les produits forestiers soit très imparfaite, notamment au niveau d'un certain nombre de magasins spécialisés. Pouvez-vous prendre l'engagement, monsieur le ministre, de diligenter une enquête à très bref délai sur ces « trous noirs » fiscaux et, si ces suppositions étaient avérées, de recycler le produit des rentrées nouvelles de taxe dans un abaissement de la taxe sur les scieurs ?
M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Très bien !
M. Joël Bourdin, rapporteur spécial. Cette opération conforterait l'efficacité d'un dispositif, le fonds forestier national, qui a fait ses preuves et que nous entendons préserver.
Je ne dirai que quelques mots du fonds de gestion de l'espace rural. Regrettant que l'arrêté d'annulation du 9 juillet ait diminué ses crédits de 145 millions de francs, soit, à 5 millions de francs près, exactement la somme que nous avions réussi à obtenir lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1997, je dois aussi constater que le flou continue d'entourer ses missions.
En 1995, nous avons décidé que ses missions seraient assez larges. En 1996, nous avons décidé de les recentrer sur les projets dont les agriculteurs sont les « parties prenantes ». En 1997, l'Assemblée nationale nous propose de revenir au dispositif de 1995. Je ne suis pas sûr que la loi de finances soit le meilleur vecteur d'une discussion sereine, qui devrait mieux trouver sa place dans la loi d'orientation.
En revanche, deux mesures de bon sens devraient être prises : une régularisation de ses dotations en régime de croisière et la recherche d'une synergie avec tous les autres dispositifs d'aménagements rural : plan de développement rural, opérations groupées d'aménagement foncier, les OGAF, programmes Leader. Pouvez-vous nous donner des assurances, monsieur le ministre, sur cette régularité et sur cette synergie ? Et, bien que la réponse soit des plus délicates, avez-vous progressé dans la voie de la recherche d'une ressource pérenne qui puisse être affectée à ce fonds de gestion de l'espace rural ?
Dans un projet de budget globalement reconduit, je constate que le Gouvernement a maintenu l'installation des jeunes à la terre au premier rang de ses priorités. Je m'en félicite. Toutefois, la suppression du fonds d'intervention pour le développement industriel local, le FIDIL, moins de deux ans après sa création, peut paraître surprenante.
Au-delà de l'effet d'affichage, vous nous avez indiqué, monsieur le ministre, que le nouveau fonds créé, le fonds d'installation en agriculture, le FIA, s'insérerait « dans la politique globale des PIDIL, les programmes pour l'installation des jeunes en agriculture et le développement des initiatives locales. Il vient en renforcer les actions qui incitent à l'installation, qu'il s'agisse des actions de parrainage ou des audits d'exploitation ».
Si je comprends bien - et je vous demande de nous le confirmer, car certains responsables locaux demeurent inquiets - le FIA reprendra l'intégralité des actions déjà programmées dans les PIDIL. La nouveauté résiderait alors dans l'octroi d'une prime spécifique à la transmission d'exploitation. La commission des finances m'a chargé, sur ce point précis, de vous poser trois questions techniques.
Premièrement, l'enveloppe budgétaire, qui n'est accrue que de 10 millions de francs, permettra-t-elle de financer et les anciennes actions et les nouvelles ? Si vous atteignez votre objectif de 3 000 installations nouvelles en 1998, soit un coût de 150 millions de francs, il ne resterait que 10 millions de francs pour financer les PIDIL. Il y a là un problème de répartition d'enveloppe sur lequel nous aimerions recevoir quelques éclaircissements.
Deuxièmement, un certain nombre de collectivités locales consacrent des sommes non négligeables à l'installation de jeunes agriculteurs, sans que nous disposions d'éléments d'information suffisants pour mesurer leur synergie avec les actions financées par votre ministère. Je souhaiterais donc qu'il y ait un travail commun conduit entre toutes les parties prenantes, peut-être dans le cadre des conseils départementaux d'orientation agricole, afin que l'argent public soit dépensé avec l'efficacité maximale.
Troisièmement, malgré des demandes réitérées de la commission des finances de la Haute Assemblée, il n'existe encore aucune récapitulation de l'ensemble des aides destinées à l'installation des jeunes, qu'elles soient budgétaires, financières, fiscales ou sociales. Ce manque de tableau de bord est difficilement compréhensible. Pouvons-nous espérer que la Cour des comptes, par exemple, sera rapidement en mesure de nous éclairer sur ce point ?
Les mesures dites « agri-environnementales » ont également retenu l'attention de la commission des finances, qui a manifesté le souci d'attirer l'attention du Gouvernement sur trois points précis.
En premier lieu, la prise en compte de l'environnement a conduit à l'élaboration du programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, le PMPOA, spécifique à l'élevage. Or, il apparaît que d'autres secteurs - je pense plus particulièrement aux installations viticoles - vont devoir consacrer des sommes particulièrement importantes pour traiter leurs effluents grâce à des investissements de mise aux normes. Je souhaiterais donc connaître les mesures spécifiques qu'entend prendre le Gouvernement, notamment en ce qui concerne la déduction pour investissement, pour éviter que ces investissements ne pénalisent trop vigoureusement ce secteur d'activité, qui attend d'ailleurs que soit publié le rapport prévu sur les conséquences, pour les coopératives viticoles, de l'extension du champ d'application de la contribution sociale de solidarité des sociétés.
En deuxième lieu, au niveau communautaire, les mesures dites « agro-environnementales » ne sont financées sur fonds européens que jusqu'à la fin de l'exercice 1997. J'aimerais donc connaître l'état des négociations en cours visant à renouveler ce dispositif. Compte tenu de la diminution des surfaces primables au titre de la prime à l'herbe et de la baisse du nombre des dossiers réglés, il y a théoriquement une réserve financière disponible pour assouplir les critères de la prime, pour en relever le montant, voire pour lancer d'autres actions.
J'observe que, sur l'exercice de 1996, 715 millions de francs ont été budgétés, alors que la dépense semble n'avoir atteint que 676 millions de francs, hors concours communautaires. Cette baisse semble confirmée en 1997. Si tel était le cas, quelle utilisation serait faite des 30 millions à 40 millions de francs disponibles ? Ont-ils été annulés, ou peuvent-ils être transférés, par exemple, sur le financement de la SOPEXA ?
En troisième lieu, s'agissant plus particulièrement du chapitre budgétaire relatif au PMPOA, j'observe que les crédits destinés aux bâtiments d'élevage en zone de montagne n'ont toujours pas fait l'objet d'une inscription séparée, alors que le Sénat le demande depuis de nomreuses années. Le 5 novembre dernier, vous avez même déclaré à cette tribune, monsieur le ministre, que vous entendiez « gérer distinctement » les crédits montagne et les crédits PMPOA. Si ces crédits ne sont pas fongibles, je ne comprends pas pourquoi ils ne sont pas clairement individualisés dans la nomenclature budgétaire.
S'agissant des crédits PMPOA, et compte tenu de l'abondement de 150 millions de francs sur le FNDAE, le fonds national pour le développement des adductions d'eau, je souhaiterais connaître votre estimation du taux de consommation des crédits sur l'exercice en cours. Je me permets en effet de rappeler qu'en 1996 le taux de consommation des crédits du chapitre 61-40 n'a été que de 48 %, suscitant ainsi d'importants crédits de report, qui échappent de fait à l'autorisation de dépense donnée par le Parlement.
En conclusion de ces quelques propos, qui seront substantiellement étoffés par les contributions des rapporteurs pour avis, je dirai que le projet de budget soumis à notre appréciation n'appelle ni critique virulente ni louange excessive.
Les conditions de son élaboration comme la situation de nos finances publiques n'ont pas rendu possibles des inflexions marquées. Nous serons néanmoins très vigilants sur un certain nombre de dossiers sensibles, qu'il s'agisse de la limitation des aides publiques, de l'avenir de l'enseignement agricole, de la vocation productrice et exportatrice de notre agriculture ou de la promotion de l'esprit d'entreprise. Mais n'anticipons pas trop sur la loi d'orientation agricole !
Au total, mes chers collègues, la commission des finances vous demandera d'adopter ce budget modifié par les deux amendements que je défendrai en son nom lors de l'examen des crédits. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pluchet, rapporteur pour avis.
M. Alain Pluchet, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan, pour l'agriculture. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, année après année, l'examen des crédits inscrits au budget de l'agriculture prend un caractère de plus en plus artificiel, tant l'avenir de ce secteur paraît aujourd'hui suspendu aux mutations en cours de l'environnement international et communautaire.
La crise que traverse le monde agricole et même rural, outre ses aspects « nationaux », trouve en effet essentiellement sa source dans la dérive des mécanismes internationaux et communautaires qui en avaient permis le développement.
Ainsi, au-delà des mesures attendues en 1998, l'avenir de notre agriculture est conditionné par la renégociation de la ligne directrice budgétaire du « paquet Santer », pour l'intégration des pays d'Europe centrale et orientale, les PECO, et par la reprise des négociations agricoles dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.
Ces trois échéances induisent plusieurs contraintes convergentes, dont nos agriculteurs subissent et subiront les effets : une rigueur budgétaire accrue, imposée par la mise en place de l'euro et pour le coût de l'intégration des PECO ; la nécessité d'un découplage accru des aides directes, pour entrer dans la « boîte verte » de l'OMC ; enfin, une meilleure prise en compte d'objectifs environnementaux et ruraux dans la politique agricole.
Par ailleurs, les récentes propositions de la Commission européenne sur le volet agricole de l'Agenda 2000 ne font que renforcer les incertitudes pesant sur les agricultures française et européenne.
C'est dans un tel contexte que s'inscrit l'avis de la commission des affaires économiques sur les crédits du ministère de l'agriculture.
Il convient, à ce propos, de rappeler la politique courageuse menée par le précédent gouvernement en 1996 et durant le premier semestre 1997 afin de faire face aux difficultés du monde agricole. Cette politique était également ambitieuse, ainsi qu'en témoignait le projet de loi d'orientation pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. La commission des affaires économiques espère que le nouveau gouvernement prendra conscience de l'importance, tant pour notre agriculture que pour l'ensemble de la société, de la nécessité d'établir un nouveau contrat entre la nation et ses agriculteurs à travers un projet de loi d'orientation agricole aussi audacieux que celui qui a été déposé en mai dernier par le précédent gouvernement.
M. René-Pierre Signé. Oh ! la la !
M. Alain Pluchet, rapporteur pour avis. Eh oui !
M. René-Pierre Signé. Merci du conseil !
M. Alain Pluchet, rapporteur pour avis. Pour ce qui est des aspects budgétaires, les crédits du ministère de l'agriculture enregistrent, dans le projet de loi de finances pour 1998, une baisse de 0,2 % par rapport à 1997, pour s'établir, hors pêche, à 35,057 milliards de francs. Après son adoption par l'Assemblée nationale, ce budget s'accroît néanmoins de 1,22 % grâce à une certaine revalorisation des retraites agricoles les plus modestes.
En ce qui concerne les priorités budgétaires définies initialement par le Gouvernement, la commission des affaires économiques constate, en premier lieu, la baisse globale d'environ 1 % du sous-agrégat intitulé « Installation et modernisation ».
De plus, l'annonce de la création du fonds pour l'installation en agriculture, le FIA, cache en fait la suppression du FIDIL, instrument utile et efficace qui donnait ses premiers résultats. La commission note, à cet égard, que les conditions du fonctionnement du FIA restent encore très imprécises.
En second lieu, la commission des affaires économiques observe que l'augmentation des crédits affectés à la sécurité et à la qualité de l'alimentation tient aussi à l'adoption d'une nouvelle nomenclature budgétaire, dont elle ne conteste en aucune façon la nécessité, mais qui doit être prise en compte afin d'apprécier les augmentations de crédits à leur juste valeur.
Par ailleurs, le commission des affaires économiques souligne que la sécurité et la qualité de l'alimentation sont considérées comme des priorités depuis plus de deux ans et que les crédits qui figuraient à ce titre dans le projet de loi de finances pour 1997 étaient déjà en nette augmentation.
A ces priorités, le Gouvernement en a ajouté une, à la demande des parlementaires : il s'agit de la revalorisation des retraites agricoles. J'observe que, sur les 680 millions de francs affectés à ce poste, 180 millions de francs proviennent d'une économie constatée par la Cour des comptes, à la suite d'une surévaluation des prestations maladie du BAPSA.
Si nous pouvons nous féliciter d'une telle économie, il convient néanmoins de préciser que l'effort budgétaire du ministère en faveur des retraites agricoles est nettement inférieur à celui qui a été effectué par les précédents gouvernements, qui avaient su mobiliser plus de un milliard de francs en année pleine pour engager une réelle revalorisation des retraites agricoles.
M. René-Pierre Signé. Alors, qu'y a-t-il de bon dans l'actuel gouvernement ?
M. Alain Pluchet, rapporteur pour avis. Les chiffres parlent d'eux-mêmes, mon cher collègue !
M. René-Pierre Signé. Ce n'est pas un discours objectif !
M. Alain Pluchet rapporteur pour avis. Au titre des politiques insuffisamment prises en compte, la commission des affaires économiques relève le cas du soutien aux secteurs fragiles et aux zones défavorisées ainsi que celui du montant des crédits affectés à la SOPEXA.
La commission constate que les dotations aux offices baissent de près de 2 % et que les crédits consacrés à la valorisation de l'espace rural diminuent également.
En raison de la mauvaise orientation des crédits, la commission des affaires économiques a donné un avis défavorable quant à l'adoption des crédits du ministère de l'agriculture et de la pêche. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Marcel Charmant. Et la commission des finances les diminue !
M. le président. La parole est à M. de Rohan, rapporteur pour avis.
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan, pour la pêche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'avis de la commission des affaires économiques sur les crédits de la pêche intervient cette année dans un contexte particulier, tant à l'échelon national que sur le plan communautaire.
Pour ce qui concerne la France, la relance de la production entreprise en 1995 s'est confirmée en 1996, et ce malgré la baisse continue du nombre de navires et de pêcheurs.
La France confirme, par la valeur de sa production, estimée à 5,8 milliards de francs, son troisième rang derrière l'Italie et l'Espagne, mais devant le Danemark.
Le montant du déficit commercial enregistré en 1996 pour les produits de la pêche s'est accentué par rapport à 1995, s'établissant à 10,9 milliards de francs. En volume, le taux de progression des échanges est proche de 5 % à l'exportation et avoisine 6 % à l'importation. Une érosion des prix plus accentuée chez nos fournisseurs a conduit toutefois à une moindre progression des importations en valeur.
Sur le plan communautaire, le Conseil « pêche », réuni à Luxembourg les 14 et 15 avril dernier, a adopté le quatrième plan d'orientation pluriannuel - le POP IV - et ce malgré l'opposition de la Grande-Bretagne et de la France.
Engagée par le Conseil « pêche » du 22 avril 1996, la négociation sur ce nouveau POP avait échoué lors du Conseil de décembre 1996. Le nouveau POP, qui s'étale de 1997 à 2002, a fait l'objet de longs débats.
Malgré de réelles avancées par rapport aux propositions initiales de la Commission européenne, le POP IV soulève d'importantes difficultés. La réduction envisagée de la capacité de pêche est de 30 % pour les stocks les plus vulnérables de l'Union, définis comme « menacés d'extinction », et de 20 % pour les stocks surexploités.
A la fin du mois d'octobre, treize POP nationaux ont été mis en place. La France, quant à elle, aura deux grilles d'objectifs.
Dans la première grille, certains segments ne feront pas l'objet de diminutions de capacité, le Gouvernement français s'étant engagé auprès des instances communautaires à réaliser la réduction effective de l'effort de pêche en jouant, par exemple, sur la limitation des jours de mer.
Dans cette catégorie se trouvent les chalutiers de plus de 30 mètres, les chalutiers pélagiques de plus de 50 mètres, les chalutiers et senneurs de Méditerranée.
Dans la seconde grille, figurent les chalutiers de moins de 30 mètres, les non-chalutiers de 15 à 25 mètres et de plus de 25 mètres ainsi que les chalutiers de Méditerranée.
Si, pour cette catégorie, l'effort de réduction était insuffisant, il faudrait diminuer la puissance de la flotte.
Il est apparu impossible pour notre pays d'obtenir que le retard accumulé avec le POP III puisse être étalé sur le POP IV. Or les aides à la construction et à la modernisation des navires de pêche sont subordonnées à la réalisation des objectifs du POP III. Autrement dit, la Commission ne nous autorisera à reprendre notre effort de modernisation que si nous sommes fidèles aux engagements que nous avons pris au titre du plan d'orientation prioritaire précédent.
Comptez-vous, monsieur le ministre, réaliser un nouveau plan de sortie de flotte pour débloquer les aides à la modernisation, qui ne sauraient demeurer indéfiniment gelées ? C'est en effet l'avenir de notre flotte de pêche qui est en cause. Comment un tel plan sera-t-il financé et combien coûtera-t-il ? Ce sont évidemment des questions qui nous importent beaucoup.
Il semble difficile, en tout état de cause, d'échapper à cette contrainte si nous voulons éviter de brutales diminutions en capacité et en puissance dans un avenir relativement proche, diminution qui causeraient beaucoup de désagréments et probablement, à nouveau, des troubles sociaux.
C'est dans ce contexte particulier que s'inscrit l'action des pouvoirs publics.
L'année 1997 aura été marquée par l'adoption de la loi d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines, qui a été promulguée voilà à peine quelques semaines.
La commission des affaires économiques tient, à cette occasion, d'une part, à souligner le caractère ambitieux et courageux de ce texte, qui avait été déposé par le précédent gouvernement en première lecture au Sénat en septembre 1996, et, d'autre part, à se féliciter, monsieur le ministre, que vous ayez poursuivi le processus d'adoption de ce texte, qui a été notablement enrichi par le Sénat.
Rappelons pour mémoire que cette loi a pour ambition de préparer le secteur des pêches maritimes et des cultures marines à la prochaine décennie, en offrant aux hommes et aux entreprises un cadre juridique, économique et social rénové, nécessaire pour accompagner une mutation engagée depuis déjà plus de trois ans.
S'agissant du budget proprement dit, les dotations consacrées à la pêche maritime et aux cultures marines sont en quasi-reconduction par rapport à celles de l'année précédente, avec un peu plus de 185 millions de francs, soit une diminution de 0,25 %.
Je souhaite que le projet de loi d'orientation, qui contient de nombreuses mesures, tant économiques et fiscales que sociales, puisse connaître une réelle traduction budgétaire dans les mois à venir.
Les dotations pour 1998 sont en effet maintenues au niveau de 1997, tant en dépenses ordinaires, avec 147,13 millions de francs - dont 125 millions de francs de subvention au fonds d'intervention et d'organisation des marchés des produits de la pêche maritime et des cultures marines, le FIOM, et 22,6 millions de francs pour la restructuration des entreprises -, qu'en crédits d'équipement, avec 40,2 millions de francs en crédits de paiement.
La dotation du chapitre 44-36, en diminution de 0,31 % par rapport à 1997, devrait néanmoins permettre de poursuivre l'adaptation de la filière pêche - annonce anticipée des apports, caisses chômage et intempéries, qualité et actions structurantes sur le marché - et l'exécution du plan de sortie de flotte autorisant le réajustement de la flotte française par rapport au programme communautaire d'orientation pluriannuel de la flotte de pêche.
S'agissant du chapitre 64-36, le montant de la dotation est maintenu en autorisations de programme comme en crédits de paiement. La priorité est donnée à la modernisation de la flotille, ainsi qu'à la mise aux normes sanitaires et à l'équipement des ports de pêche dans le cadre des contrats de plan Etat-région.
La commission des affaires économiques avait donné, dans un premier temps, un avis favorable à l'adoption des crédits du ministère de l'agriculture et de la pêche consacrés exclusivement à la pêche maritime et aux cultures marines, sous réserve néanmoins de l'avis que donnerait la commission des finances sur l'ensemble des crédits du ministère. Cet avis étant défavorable, votre rapporteur souhaite que le Gouvernement prenne en compte les propositions de la commission des affaires économiques sur l'ensemble des crédits du ministère de l'agriculture et de la pêche. Il s'agit ici, je le rappelle, non pas de dépenser plus, mais de dépenser mieux. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Revol, rapporteur pour avis.
M. Henri Revol, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan, pour l'aménagement rural. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet avis, qui n'a pas d'équivalent à l'Assemblée nationale, est la manifestation de l'intérêt porté par le Sénat à l'aménagement rural.
Rappelons que l'aménagement et le développement de l'espace rural sont considérés à la fois comme la déclinaison rurale d'une politique globale de l'aménagement du territoire, comme l'un des aspects naturels de la politique agricole et comme l'un des objets possibles de prescriptions environnementales. Ainsi, l'aménagement rural ne peut plus être considéré comme un « sous-produit de l'activité agricole ».
L'indécision sur le contenu évolutif de la notion d'aménagement rural s'accompagne d'une opacité dans la nature des crédits qui peuvent précisément lui être attribués.
Si l'on retient les seuls crédits explicitement considérés comme d'aménagement rural dans le bleu budgétaire, les dotations représenteront près de 37,5 millions de francs, soit une baisse de 20 % environ par rapport à 1997.
La dotation de 140 millions de francs destinée au fonds de gestion de l'espace rural dans le projet de loi de finances pour 1998, en baisse de 10 millions de francs par rapport à 1997, devrait cependant permettre de faire face, selon les informations obtenues par votre rapporteur, aux différents projets départementaux.
Une autre approche conduit à considérer comme des crédits d'aménagement rural les crédits gérés par les services en charge de ce volet de la politique au ministère de l'agriculture, à savoir la direction de l'espace rural et de la forêt. Il faut alors ajouter aux crédits budgétairement considérés comme des crédits d'aménagement rural les crédits d'aménagement foncier et d'hydraulique et ceux des grands aménagements régionaux. Ces crédits sont, eux aussi, en baisse.
Le bilan est identique si l'on prend en compte les crédits destinés à la compensation des handicaps ou des contraintes spécifiques, c'est-à-dire les indemnités « montagen » et les mesures agri-environnementales.
Ce sont ainsi 1,7 milliard de francs environ que le budget de l'agriculture consacrera à la compensation de contraintes particulières, soit une baisse de 6 %, sous l'effet de la forte réduction des crédits affectés aux mesures agro-environnementales.
Si l'on prend comme référence le document consacré aux concours publics à l'agriculture en regroupant toutes les dépenses d'aménagement rural, ce sont 6,6 milliards de francs environ qui seraient consacrés à l'aménagement rural, dont près de 70 % au titre de la compensation de différents handicaps, avec une participation communautaire de l'ordre de 45 %.
La commission des affaires économiques tient à souligner l'importance des crédits communautaires en matière d'aménagement rural. C'est pourquoi un examen minutieux des propositions de la Commission européenne sur le volet agricole d'Agenda 2000 et ses répercussions en matière de politique rurale se révèle dès à présent indispensable. Ce rapport, loin d'analyser en profondeur le dispositif proposé par la Commission au mois de juillet dernier, effectue une première présentation et en souligne les difficultés.
Les mois à venir seront décisifs pour l'aménagement rural tant sur le plan communautaire qu'à l'échelon national. En effet, la commission des affaires économiques s'interroge sur l'avenir du projet de loi sur l'espace rural prévu à l'article 61 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995, ainsi que sur la présentation par les pouvoirs publics du schéma national d'aménagement du territoire. Ces documents avaient fait l'objet d'importantes concertations.
Qu'en sera-t-il, en outre, du projet de loi d'orientation agricole annoncé par le Premier ministre au mois de juin dernier et qui fait actuellement l'objet de réunions de travail ?
Rappelons pour mémoire que le projet de loi d'orientation agricole et forestière, déposé au mois de mai par le précédent gouvernement, consacrait un titre entier à l'aménagement et au développement de l'espace rural.
Enfin, les pouvoirs publics donneront-ils une suite au comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire qui s'est tenu à Auch le 10 avril dernier ? A cette occasion, le précédent gouvernement avait adopté quatre-vingts mesures en faveur des régions et du développement du territoire. Quatre volets constituaient l'ossature de ce comité interministériel en matière rurale, à savoir le développement économique, le logement, la revitalisation des villes rurales et le maintien des services publics.
M. René-Pierre Signé. On ne s'en était pas aperçu !
M. Henri Revol, rapporteur pour avis. Le monde rural a besoin aujourd'hui de décisions au plus proche du terrain ; or, l'orientation des crédits de ce budget ne va pas dans le sens de l'aménagement rural. Les incertitudes relatives au projet de loi sur l'espace rural, au schéma national d'aménagement du territoire et au projet de loi d'orientation agricole ne sont pas levées.
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable sur les éléments de ce budget touchant à l'aménagement rural. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Chervy, rapporteur pour avis.
M. William Chervy, en remplacement de M. Aubert Garcia, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan, pour les industries agricoles et alimentaires. Notre collègue et ami Aubert Garcia n'ayant pu être parmi nous ce matin en raison des mauvaises conditions climatiques, je présenterai donc en son nom le rapport de la commission des affaires économiques sur les crédits du ministère de l'agriculture et de la pêche consacrés aux industries agricoles et alimentaires.
Au cours de l'année écoulée, l'industrie alimentaire a confirmé la reprise amorcée en 1993, et ce malgré une année difficile due à la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB. Ainsi, la production a augmenté, comme en 1996, de 1,8 % en volume.
Par rapport à 1995, la consommation des ménages a progressé moins rapidement et la croissance des exportations a été nettement plus faible. En effet, les exportations qui jouaient traditionnellement un rôle moteur pour la production ont connu le plus faible taux de croissance en volume depuis 1982.
Néanmoins, la baisse des importations en volume a favorisé les produits français et a permis d'atteindre un excédent commercial record de 58 milliards de francs.
Notons que les résultats du premier semestre 1997 ont confirmé ceux de 1996 avec un excédent de 29,8 milliards de francs, soit 7 milliards de francs de plus que celui qui a été dégagé un an plus tôt. Ce bilan positif est en contraste avec la situation de l'emploi qui a continué à se détériorer.
Parmi les défis auxquels doivent faire face les industries alimentaires en France, deux d'entre eux ont été, au cours de ces derniers mois, au coeur de l'actualité.
Il s'agit, tout d'abord, des relations entre l'industrie agro-alimentaire et la grande distribution. La réforme de l'ordonnance de 1986 n'est entrée en vigueur qu'au début de cette année : il est donc prématuré de dire dès maintenant si le point d'équilibre a été trouvé.
Le second défi majeur auquel l'industrie agro-alimentaire a dû faire face en 1996 et en 1997 est apparu à l'occasion de la crise dite de « la vache folle ». Outre les conséquences dramatiques pour l'ensemble des producteurs et pour l'industrie de la viande, c'est l'industrie alimentaire dans son ensemble qui a été confrontée à l'exigence d'une sécurité alimentaire renforcée.
C'est d'ailleurs dans ce contexte général de crise de confiance du consommateur que sont intervenues, à l'échelon européen, les premières autorisations de mise sur le marché d'organismes génétiquement modifiés, les OGM. Ainsi, plus que jamais, les problèmes de sécurité sanitaire, qui constituent une priorité pour le budget de 1998, sont au coeur du développement des industries alimentaires.
Au-delà des mesures à court terme, la réorganisation des services du ministère de l'agriculture, le projet de loi relatif à la qualité sanitaire des denrées destinées à l'alimentation humaine ou animale présenté par le précédent gouvernement et l'examen par le Sénat de la proposition de loi ayant trait au renforcement de la veille sanitaire constituent des premières avancées.
Enfin, le grand enjeu des années à venir, pour le développement des industries agro-alimentaires, est sans aucun doute la capacité de celles-ci à exporter.
C'est dans cette optique que s'inscrit le projet de budget pour 1998.
La commission des affaires économiques constate que ce projet confirme la tendance, amorcée depuis une décennie, au désengagement de l'Etat du financement direct du secteur agro-alimentaire, même si l'appréciation portée sur les crédits de politique industrielle varie selon que l'on prend en compte le montant de la dotation initiale du projet de budget pour 1997 ou le volume des crédits votés dans la loi de finances pour 1997.
De plus, les crédits affectés à la société pour l'expansion des ventes des produits agricoles et alimentaires connaissent une diminution sans précédent de plus de 20 %. Or ces crédits revêtent un caractère essentiel pour soutenir les produits agricoles et alimentaires sur les marchés d'exportation.
L'industrie agro-alimentaire est, certes, une branche industrielle plutôt prospère et elle n'est sans doute ni plus ni moins aidée par la puissance publique que d'autres branches de l'industrie. Cela dit, s'il ne peut plus s'agir d'accorder des subventions sans limites, il est parfaitement légitime de revendiquer, pour l'industrie agro-alimentaire, une politique d'environnement favorable, qui nécessiterait moins, sans doute, de nouveaux crédits qu'une réorientation de ceux qui existent et peut-être une meilleure prise en compte par le ministère de l'agriculture de sa dimension industrielle.
En conséquence, la commission des affaires économiques, n'ayant pas suivi votre rapporteur, a donné un avis défavorable à l'adoption des crédits du ministère de l'agriculture consacrés aux industries agro-alimentaires. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur le banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Vecten, rapporteur pour avis.
M. Albert Vecten, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour l'enseignement agricole. Obligé d'être bref, je me dois aussi d'être objectif, et pour être sûr de me conformer à ce devoir, monsieur le ministre, je commencerai par les mesures positives que comporte, selon nous, le projet de budget de l'enseignement agricole, lequel s'élèvera à 4 470 millions de francs, soit une hausse de 4,6 %.
Je citerai d'abord l'effort de déprécarisation des personnels enseignants, qui s'appuie sur la loi Perben mais aussi, et pour la première fois, sur la création de soixante-cinq emplois par transformation de crédits de vacations et d'heures supplémentaires.
Ce procédé, fréquent dans l'éducation nationale, était jusqu'à présent interdit à l'enseignement agricole, dans lequel, pourtant, la précarité des personnels enseignants sévit avec une ampleur inquiétante. Je me félicite donc que cet interdit soit levé et j'espère que cette démarche sera poursuivie.
J'énumérerai ensuite, le temps m'étant compté, la reprise bien nécessaire du plan de rénovation du parc immobilier de l'enseignement supérieur, la progression des dépenses pédagogiques de l'enseignement technique, la mise en place du fonds social lycéen et la création symbolique, dans tous les sens du terme, de quatorze emplois de personnels non enseignants.
Je saluerai enfin la poursuite du rattrapage, qui n'aura que trop tardé, des subventions à l'élève de l'enseignement privé à temps plein, tout en souhaitant, monsieur le ministre, que soient également revues les modalités de calcul d'autres aides, notamment celles qui sont attribuées aux écoles d'ingénieurs privées.
Mais un budget, ce n'est pas une accumulation de mesures ; c'est d'abord la traduction d'une politique.
Nous constatons que ce budget ne trace qu'une seule perspective, la croissance dite « raisonnée » des effectifs, et se place toujours sous le signe d'un traitement budgétaire inéquitable de l'enseignement agricole.
Mes chers collègues, quand un effort d'austérité s'impose, il doit être équitablement réparti. Tel n'est manifestement pas le cas au sein du système éducatif : le projet de budget accentue encore l'inégalité de traitement entre ses deux composantes, l'enseignement agricole et l'éducation nationale. L'une est fort bien servie, et ses crédits augmentent de plus de 3 %, alors même que ses effectifs stagnent ou régressent ; l'autre reste condamné à la portion congrue : les crédits de l'enseignement agricole public n'augmentent que de 1,5 %, comme l'an dernier, alors que ses effectifs croissent de 3 %. Cela se passe de commentaire.
J'en viens à la « croissance raisonnée » des effectifs, mais je préfère, vous le savez, appeler un chat un chat et la croissance raisonnée un quota.
Ce quota de 2 %, il est désormais prévu de l'atteindre en trois étapes et en trois rentrées. Imposé par un réflexe malthusien, sa justification reste à trouver, les conditions de sa réalisation à inventer et ses conséquences à explorer.
L'objectif de cette année - plus 3 % - a été pratiquement respecté, au détriment de l'accueil en quatrième, en troisième et en cycle court, ce qui ne me paraît pas conforme à la vocation de l'enseignement agricole ni à celle du service public, et au prix d'un nouveau recul de la proportion des élèves scolarisés dans le public - 40,45 % - ce qui me semble très négatif.
En outre, nous risquons, demain, d'assister à des mouvements des flux d'entrée qui dépendront non pas de la demande sociale ou des débouchés, mais uniquement de la plus ou moins grande difficulté des établissements à « rester dans le quota ».
Tout cela est absurde et bien éloigné de la gestion prévisionnelle de l'enseignement agricole en fonction de l'évolution des métiers et des besoins de formation, dont nous aurions besoin pour que cet enseignement reste un instrument efficace au service de l'économie agricole et rurale.
Nous souhaitons que l'Observatoire national des formations puisse jouer pleinement son rôle d'instance indépendante de réflexion, d'évaluation et de prospective.
Nous pensions aussi que l'élaboration du troisième schéma prévisionnel des formations et la discussion de la future loi d'orientation permettraient d'amorcer, en 1998, une nouvelle réflexion sur l'avenir de l'enseignement agricole.
Toutefois, l'examen du projet de budget nous fait craindre que ces attentes ne soient déçues, car les jeux semblent déjà faits.
C'est pourquoi, mes chers collègues, la commission des affaires culturelles a émis un avis défavorable en ce qui concerne l'adoption des crédits de l'enseignement agricole. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 43 minutes ;
Groupe socialiste, 36 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 30 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 25 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 21 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.
La parole est à M. Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce qu'elle structure la plupart de nos paysages, parce qu'elle occupe encore - et fort heureusement - un nombre important d'actifs et aussi parce qu'elle nourrit bien des hommes, l'agriculture est un sujet toujours très attendu.
Monsieur le ministre, vous nous apportez la satisfaction d'un budget en légère augmentation. Dans un contexte général de maîtrise des finances publiques, c'est évidemment un premier point très positif à mettre à votre actif.
Ensuite, les trois priorités que vous affichez répondent, je le crois, aux principales difficultés que rencontrent les exploitants agricoles.
En dotant le nouveau fonds pour l'installation en agriculture de 160 millions de francs, en créant une prime aux cédants ou en favorisant les stages, vous faites de l'installation des jeunes agriculteurs une orientation fondamentale. Il est effectivement essentiel de tout mettre en oeuvre pour favoriser l'installation des jeunes, que ces derniers soient issus ou non d'un milieu agricole. L'agriculture a besoin d'un seuil minimal d'exploitations témoignant de sa diversité d'activité et de sa diversité sociale, d'autant plus que la concentration des exploitations est en inadéquation totale avec les questions d'emploi et d'aménagement du territoire.
Mais que serait une installation sans une bonne formation ? C'est là, mes chers collègues, la deuxième priorité du Gouvernement. Je m'en félicite, et je me permets de rappeler combien il est regrettable que cet aspect ait été oublié par le passé. Monsieur le ministre, votre prédécesseur avait manifesté la volonté d'encadrer les moyens et les effectifs dévolus à l'enseignement technique agricole. Cette démarche s'est heurtée à une demande croissante. Quelle que soit l'évolution des effectifs, les innovations techniques, génétiques ou biotechnologiques, l'accroissement des fonctions comptables et gestionnaires au sein de l'exploitation mais aussi le rôle d'acteur dynamique du monde rural rendent indispensable le soutien à la formation.
Figure également parmi les grandes priorités de ce budget le problème de la sécurité alimentaire. L'augmentation de 14,3 % des crédits consacrés à ce volet témoigne d'une réelle ambition. Les craintes soulevées par l'encéphalopathie spongiforme bovine ou par l'utilisation excessive d'hormones conduisent à une forte vigilance sur les questions sanitaires. Les besoins de qualité et de sécurité alimentaire traduisent aussi tout simplement l'apparition de nouvelles exigences des consommateurs en matière de goût. L'abondement des crédits en faveur des contrôles de produit, de la traçabilité ou des politiques de labels devrait aider à combler les attentes en ce domaine tant des producteurs en termes de moyens techniques et humains que des consommateurs en termes de garantie de la qualité alimentaire.
Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais faire sur le projet de budget de l'agriculture pour 1998. Toutefois, compte tenu de la prépondérance des financements communautaires bénéficiant à l'agriculture et de l'actualité des débats européens relatifs à l'Agenda 2000, j'évoquerai quelques instants la réforme de la politique agricole commune.
Je ne sais si un vent de libéralisme a soufflé sur Bruxelles, mais les orientations que la Commission propose cadrent mal avec les intérêts de l'agriculture française et, plus généralement, avec ceux de l'agriculture européenne.
Dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et compte tenu de la mauvaise répartition des aides entre les producteurs ou entre les régions, une réforme de la PAC est bien entendu nécessaire.
Sur les principes définis dans le « paquet Santer », chacun peut déceler de bonnes intentions. Qui n'est pas pour l'amélioration de la compétitivité de l'agriculture européenne ? Qui n'est pas pour la garantie d'un niveau de vie équitable pour la population agricole ? Ou encore, qui n'est pas pour l'intégration d'objectifs environnementaux ? Tout le monde, ici, peut rallier ces objectifs qui correspondent à nos valeurs traditionnelles et culturelles.
Toutefois, en ce qui concerne les instruments choisis pour y parvenir, on retrouve le même consensus que celui que j'évoquais à l'instant, mais, à l'inverse, pour les dénoncer. Vous-même, monsieur le ministre, vous avez exprimé de vives réserves sur cette réforme lors du dernier Conseil des ministres de l'agriculture à Bruxelles. J'approuve votre position, et je crois que ne ne suis pas le seul si je me réfère aux débats qui ont eu lieu dans cet hémicycle voilà trois semaines.
Soucieuse d'entamer le prochain round de négociations de l'Organisation mondiale du commerce dans les meilleures conditions, la Commission décide d'aligner les prix communautaires sur les prix mondiaux. C'est une politique à haut risque. En effet, le marché est soumis à de fortes fluctuations. Demain, faudra-t-il s'aligner sur le prix américain du maïs si celui-ci est à 70 francs le quintal si tout va bien ou faudra-t-il vendre à 40 francs le quintal si tout va mal ? Dans le second cas, le budget de la Communauté sera-t-il suffisant pour compenser les pertes ?
Le projet tel qu'il s'articule actuellement, c'est-à-dire la baisse des prix de soutien avec, en contrepartie, des aides directes partiellement déconnectées de la production, profitera dans le meilleur des cas aux grandes exploitations céréalières de type industriel du Nord et du Centre, qui sont suffisamment compétitives pour aborder le marché mondial. En revanche, on peut imaginer que le dispositif sera défavorable pour les productions irriguées et pour l'élevage extensif plus fortement présents sur les exploitations à taille humaine du sud de la France. L'un des principaux objectifs de la réforme, qui consiste, comme je viens de le dire, à garantir un niveau de vie équitable à la population agricole, est on ne peut plus contrarié dans ce cas de figure. Certaines régions pourront peut-être tirer leur épingle du jeu tandis que d'autres s'enfonceront dans les difficultés.
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Jean-Michel Baylet. Il n'est pas acceptable de mettre en place une baisse uniforme des prix alors que la diversité des secteurs agricoles impose à l'évidence une approche différenciée. Une diminution des prix des céréales de 20 % n'aura pas les mêmes répercussions pour le blé, pour les oléagineux et pour le maïs. L'Union européenne ne doit pas renoncer à apporter au maïs et aux oléagineux des compensations spécifiques sous prétexte que ce système de soutien ne serait pas conforme aux règles de l'OMC.
S'agissant de la viande bovine, il n'est pas certain que la réduction de 30 % du prix de soutien soit suffisante pour rendre possibles les exportations sans restitutions, si l'on en juge par les écarts de productivité constatés avec des pays tels que l'Australie ou l'Argentine.
Il est aussi regrettable que la PAC n'offre aucune perspective au secteur des fruits et légumes, qui est pourtant particulièrement fragilisé depuis quelques années. Il est indispensable de relire la nouvelle organisation commune de marché à la lueur du texte de l'Agenda 2000, dans lequel l'emploi apparaît comme étant un critère de référence. Or le secteur des fruits et légumes est, de tous les secteurs agricoles, celui qui emploie le plus de main-d'oeuvre, à critère économique de référence équivalent.
Par ailleurs, indépendamment des bonnes intentions affichées par la Commission à l'égard du développement rural, on ne peut que constater l'absence totale de la prise en compte d'un objectif rural à part entière ; nous savons, monsieur le ministre, que cela équivaut, à ce stade de la procédure, à une coupe budgétaire draconienne, d'autant plus qu'elle n'est même pas clairement définie, alors que la France est le premier Etat membre de l'Union européenne à bénéficier de l'objectif 5 b.
De plus, l'impératif de compétitivité va accélérer la restructuration des exploitations, économies d'échelles et performance obligent. L'argument avancé par le commissaire Fischler, expliquant que le FEOGA-garantie pourra constituer le moyen pour intervenir sur toutes les zones rurales pour financer leur développement, tient difficilement.
Quid de nos campagnes, monsieur le ministre ? Ne serait-il pas temps que le « paquet Santer » intègre les principes du « paquet Delors », dans lequel la prise en compte de l'amélioration de la compétitivité avait été associée à une vraie politique de cohésion économique et sociale, à laquelle je tiens personnellement, et vous aussi, je le sais ? Or force est de constater que le « paquet Santer », en l'absence de ligne politique solide et avec de nombreux voeux pieux, devient une péréquation purement comptable.
Aussi, nous espérons qu'un objectif rural à part entière, autrement dit, en jargon communautaire, un objectif 2 b, avec des engagements politiques et budgétaires clairement définis, sera intégré in fine dans la nouvelle réforme.
Nous attendons de la PAC qu'elle soit un instrument durable au service des hommes, un facteur d'équilibre territorial et un levier du développement économique des pays qui appartiennent à l'Union européenne. En un mot, nous en attendons un effet socio-économique, et non une spéculation économique.
Enfin, je voudrais terminer sur le problème de la répartition franco-française des primes obtenues au titre de la PAC ou, plus exactement, sur le plan de régionalisation des aides céréalières, dont vous avez annoncé récemment la mise en oeuvre, monsieur le ministre.
Le dernier projet, qui envisage le maintien de la distinction entre « cultures sèches » et « cultures irriguées », a reçu un écho plutôt favorable sur le plan national. Cependant, au niveau local, le nouveau barème de répartition entre rendement départemental et rendement national, qui passe de deux tiers - un tiers à cinquante-cinquante, suscite de graves inquiétudes, en particulier parmi les producteurs de maïs.
Pour mon département, la nouvelle répartition entraînera une diminution globale de plus de 2 millions de francs ; mais ce seront en fait quelque 8 millions de francs en moins pour les cultures irriguées, soit un manque à gagner d'environ 1 000 francs par hectare. Le maïs représentant 84 % de la surface irriguée, les maïsiculteurs seront les grands perdants du nouveau plan, alors qu'ils ont entrepris, bien avant la réforme de la PAC, d'importants efforts d'irrigation. Dans une région très sensible aux variations climatiques, et notamment à la sécheresse, on ne peut parler d'irrigation de confort.
Chez moi, monsieur le ministre, l'irrigation permet le maintien de petites exploitations de type familial et garantit des produits de qualité. Ces structures contribuent fortement au dynamisme du tissu rural et elles offrent un attrait pour les jeunes agriculteurs. En brisant les espoirs d'installation et en plongeant les producteurs de maïs dans des difficultés financières, le plan de régionalisation envisagé aura des effets contraires à ceux qui sont recherchés.
Inquiet de cette perspective, je me permets de profiter de la discussion budgétaire pour évoquer ce sujet sensible et pour vous demander que les départements concernés par ce problème continuent à bénéficier d'un rendement spécifique pour le maïs tant que les investissements hydrauliques ne seront pas amortis.
Enfin, monsieur le ministre, conscient des efforts que vous-même et M. le Premier ministre accomplissez en ce moment et constatant que la politique du Gouvernement va dans le bon sens et est d'ailleurs comprise et approuvée par les Français, il va de soi que je voterai votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. René-Pierre Signé. Bravo !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures dix, sous la présidence de M. Michel Dreyfus-Schmidt.)