M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant la ville et l'intégration.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour présenter de manière aussi synthétique que possible les crédits affectés à la politique de la ville, je formulerai mes remarques en trois parties : tout d'abord, quelques indications relatives à l'évolution des crédits ; ensuite, quelques remarques sur les orientations choisies par le Gouvernement au travers de ce projet de budget ; enfin, quelques observations sur la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville, un an, à peu de chose près, après son adoption.
S'agissant de l'évolution des crédits, tout d'abord, nous observons que nous n'avons plus, cette année, de budget de la politique de la ville à proprement parler, puisque, dans la nouvelle structure ministérielle, il n'y a plus de département spécifiquement en charge de ce sujet.
Les crédits de la politique de la ville on été fondus au sein de ceux de la santé et de la solidarité. S'élevant à un peu plus de 750 millions de francs, ils accusent une baisse de 11 %, laquelle provient essentiellement d'une diminution de 27 % des dépenses d'investissement. Cela concerne les crédits spécifiques de la politique de la ville, mais tel n'est pas l'essentiel de notre débat.
A l'examen de l'effort global de l'ensemble des ministères, récapitulé dans le document budgétaire dit « jaune », les choses sont assez différentes.
Mise à part la réduction des dépenses d'investissement, les crédits spécifiques de la politique de la ville n'appellent pas, de notre part, de commentaires particuliers, le choix ayant été fait - on ne pouvait sans doute pas procéder autrement - de reconduire les dispositifs existants pour 1998.
D'un point de vue plus global, en se plaçant sur le plan de l'effort budgétaire total en faveur de la politique de la ville, nous observons une augmentation en valeur absolue de l'ordre de 1 milliard de francs, qui est le fait de la mise en oeuvre du plan emploi-jeunes, dont nous avons déjà parlé à différentes reprises.
En effet, par une sorte de convention, il a été décidé que 10 % des emplois créés dans la cadre de la nouvelle législation concerneraient la politique de la ville. On a donc inscrit 10 % des 8 milliards de francs relatifs aux emplois-jeunes dans le « jaune budgétaire » consacré à la politique de la ville.
Je dis que c'est une convention, une présentation comptable, car il est sans doute un peu hasardeux de préjuger le nombre exact d'emplois qui seront créés à ce titre et qui auront un lien effectif avec la politique de la ville.
Les emplois-jeunes, nous le savons, compte tenu de leur caractère avantageux pour les employeurs, vont se substituer aux emplois de ville qui avaient été créés en mai 1996.
A ce sujet, madame le ministre, j'exprimerai un certain regret. J'avais le sentiment que les emplois de ville étaient spécifiquement orientés vers l'amélioration de l'« employabilité » des populations en voie d'exclusion, habitant dans les quartiers dégradés ou en situation difficile, et qu'il s'agissait d'un dispositif s'adressant spécifiquement à ces catégories en péril, en déséquilibre social et en voie d'exclusion.
De ce point de vue, les emplois de ville nous semblaient, à la commission des finances et à moi-même, être un dispositif plus incitatif et plus efficace en terme de lutte contre l'exclusion sociale.
Au demeurant, je crois avoir lu dans certains documents préparatoires au sommet de Luxembourg, issus de la Commission de l'Union européenne, qu'il était important d'insister sur l'amélioration des conditions d'emploi des jeunes les plus en difficulté socialement.
J'en arrive à la deuxième catégorie de remarques : celles qui sont relatives aux orientations choisies par le Gouvernement dans ce projet de budget.
L'année 1998 est une année charnière, puisque ce sera celle de l'achèvement des contrats de ville. Il faudra tirer les leçons de la première année pleine. L'année 1998 est aussi une année de fonctionnement des mécanismes du pacte de relance pour la ville.
Madame le ministre, nous sommes quelque peu surpris d'apprendre que vous attendez les résultats de la mission que vous avez confiée au maire d'Orléans, M. Jean-Pierre Sueur, pour valider ou pour modifier les options essentielles du pacte de relance pour la ville.
En la matière, il semble que l'attentisme qui s'exprime soit démobilisateur pour beaucoup d'acteurs locaux, ce qui pose problème lorsque l'on sait que toutes les actions concernées ne valent que par la persévérance et la durée de l'engagement des partenaires de terrain.
L'année 1998 marque l'échéance des contrats de ville, la préparation de la renégociation des contrats de plan Etat-régions en 1999. Nous sommes dans l'attente des choix qui devront être faits dans ce domaine.
Nous sommes bien sûr attachés à un texte que nous avons récemment voté, le pacte de relance pour la ville. Il nous semblait en effet qu'il réalisait une synthèse des thèmes les plus importants en la matière et qu'il établissait un cadre cohérent pour réaliser les avancées indispensables, tant en matière de sécurité et de proximité qu'en matière de lutte contre la délinquance des mineurs, de maintien de la mixité sociale, d'amélioration du fonctionnement de la justice, de désenclavement des quartiers et de progrès en matière d'urbanisme.
Tous ces thèmes contenus dans le pacte de relance de 1996 nous paraissent garder vraiment toute leur validité, et il nous semble indispensable de les prolonger. Il faudra notamment redéployer les effectifs policiers sur les sites les plus en péril, veiller à la sécurité de proximité en donnant un statut aux polices municipales qui, qu'on le veuille ou non, sont nécessaires pour permettre aux maires et aux municipalités d'exercer leurs responsabilités.
Un approfondissement est également indispensable concernant la délinquance des mineurs, domaine qui relève d'une législation issue d'une ordonnance de 1945, souvent modifiée, mais dont les choix de base n'ont guère été transformés, alors que la société a beaucoup évolué, que la maturité des adolescents est atteinte beaucoup plus tôt et que, souvent, les comportements socialement difficiles s'expriment également de plus en plus tôt.
La législation sur la délinquance des mineurs semble devoir être encore adaptée, que ce soit en termes de prévention, de mesures éducatives spécialisées, ou de répression. Il ne faut pas avoir peur de le dire, car l'ensemble de ces mesures - prévention et répression - constitue un tout auquel il faudrait redonner une certaine cohérence.
Enfin, madame le ministre, nous sommes très attachés aux quarante-quatre zones franches urbaines qui sont l'apport majeur du pacte de relance pour la ville. Nous craignons qu'elles ne fassent l'objet de grandes réserves alors qu'une discrimination positive au bénéfice des zones les plus compromises en matière économique et sociale nous semble être une nécessité et répondre à une vraie mission de l'Etat.
Les indications que nous donne l'association des villes-sièges des zones franches urbaines, qui regroupe des maires de toute tendance politique, font état, en un an environ, de l'implantation de 1 100 à 1 200 entreprises dans les zones franches urbaines, ce qui représenterait plus de 5 000 emplois. C'est un résultat digne de considération. Cela concerne surtout beaucoup de PME de services, dans la restauration, la sécurité, beaucoup d'activités artisanales. Des commerces de proximité font également leur retour.
Les chambres de commerce et d'industrie et les maires soutiennent les zones franches, de même que nombre de municipalités. Tout cela mérite assurément d'être encouragé.
Or, nous reviennent des propos divers en la matière, qui mettent en cause ce qui a été fait l'année dernière. Nous espérons, madame le ministre, qu'il vous sera possible d'atténuer les craintes ou les incertitudes qui se sont exprimées en ce domaine.
En matière de politique de la ville, il faut certainement faire preuve de beaucoup de continuité et de persévérance pour obtenir des résultats, et chacun sait qu'il s'agit de l'un des plus grands défis que nous adresse la société d'aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis.
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan, pour la ville. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, M. Philippe Marini a présenté le budget de la ville, notamment ses aspects techniques ; je n'y reviendrai donc pas. Je souhaite en revanche vous faire partager quelques interrogations exprimées en commission à l'occasion de la présentation de ce projet de budget.
Parlons de la mission Sueur. Notre Haute Assemblée s'est toujours déclarée soucieuse que la politique de la ville ne soit pas l'objet d'enjeux ou d'affrontements strictement politiciens : qu'en est-il aujourd'hui ?
Je m'interroge en constatant que la mission de réflexion confiée à M. Sueur doit rendre ses conclusions en janvier ou en février prochain. Je ne doute pas de l'intérêt d'une réflexion de plus, même si la politique de la ville a d'abord besoin de continuité - M. Marin l'a réaffirmé - mais il me paraît indispensable de découpler le débat qui ne manquera pas de suivre les prochaines élections régionales. Car je vois d'ici les pièges ! Je rejoins sur ce point un certain nombre des interrogations récentes de M. le Premier ministre.
La deuxième interrogation vise les contrats de ville.
Il nous paraît indispensable de retarder d'un an la signature des prochains contrats de ville, afin que leur durée soit identique à celle des contrats de plan et des dispositifs d'aides européens.
A ce sujet, l'évolution des fonds européens consacrés aux zones en difficulté nécessite une attention particulière. L'exemple et l'analyse d'un cas comme celui de Valenciennes sont particulièrement significatifs dans le cadre d'un désengagement de l'Europe d'un certain nombre de plans ; je pense au plan URBAN ou au plan pour les zones en grande difficulté. Naturellement, la prolongation d'un an des contrats de ville devrait se faire selon le dispositif antérieur. Voilà une suggestion concrète et précise pour que nous avons sur le sujet des politiques coordonnées.
Nous souhaitons également qu'à l'avenir les contrats de ville soient signés au niveau de l'agglomération, partout où cela sera possible, car l'agglomération a une dimension pertinente pour une politique globale. La commission n° 2 de la DATAR, qui prépare le schéma national d'aménagement et de développement du territoire, l'a d'ailleurs déjà clairement signifié.
La troisième préoccupation est le pacte de relance pour la ville.
Nous nous interrogeons sur la détermination du Gouvernement à poursuivre dans la voie ouverte par le pacte de relance, notamment dans ses dimensions économique et sociale ainsi qu'en matière d'emploi. Certaines déclarations ou certains démentis qui se sont succédé révélaient un certain flottement.
Il nous faut d'abord évaluer les résultats des mesures prévues par ce texte avant toute modification.
L'association des villes à zone franche vient de publier un « prébilan » des zones franches urbaines. S'il est contrasté, il n'en est pas moins positif. Pour ma part, je suis, à l'échelon local, le cas de la zone franche de Mantes-la-Jolie, qui constitue un bon champ d'observation. Il me paraît indispensable qu'au cours de l'année 1998, madame la ministre, vous synthétisiez l'ensemble des observations faites au niveau des départements, en vue d'une évaluation globale.
L'annonce de la modification du régime applicable aux zones franches urbaines, même si elle a été ensuite démentie, n'a pas été de nature à inciter les entrepreneurs à s'y installer ? Globalement, au-delà même des zones franches urbaines et des zones de redynamisation urbaine, nos entreprises sont lasses de l'instabilité de nos réglementations sociales et fiscales ; c'est peut-être pour cette raison que certaines vont s'installer ailleurs.
En outre, bien que les dix-neuf décrets d'application de la loi du 14 novembre aient été publiés dans un délai record, certaines zones franches ont été confrontées à des problèmes spécifiques : je pense à Cherbourg où, faute de réserves foncières disponibles, il a été nécessaire de modifier le plan d'occupation des sols, et l'on sait quel délai cela requiert !
Les anciens disaient qu'il ne fallait modifier les lois que « d'une main tremblante ». Je souhaite donc que les conclusions de la mission Sueur aient d'autres objectifs qu'une « loi patronymique ».
Le Gouvernement a choisi de créer des emplois-jeunes. Si je n'en ai pas approuvé les modalités, je forme des voeux pour qu'ils rencontrent le succès et qu'ils aident, sans les piéger, un certain nombre de jeunes. Mais seulement 40 % des emplois de ville prévus au budget de 1997 ont été réellement créés. Pourquoi ? La préparation de cet avis nous a donné l'occasion d'interroger les responsables de certaines villes.
Ces entretiens ont souvent fait ressortir le problème de « l'employabilité » - mot assez terrible - des jeunes et la nécessité de placer l'insertion comme préalable à nombre d'emplois-jeunes. Je pense ici, en particulier, à Valenciennes, à Amiens et à quelques autres villes.
Il nous a été dit que de nombreux jeunes issus des quartiers en difficulté ne pouvaient s'insérer directement dans l'emploi. Ils avaient besoin de s'accoutumer à des rythmes et d'être réinsérés.
Voilà pourquoi il nous paraît important que ces modalités de réinsertion soient une priorité et que, autour des emplois-jeunes, des dispositifs d'insertion soient présents, tout particulièrement dans les quartiers.
Nous souhaitons donc que la nouvelle forme de discrimination positive ne donne pas seulement lieu à une circulaire aux préfets pour que 10 % de ces emplois soient réservés aux jeunes de ces quartiers. Il doit exister, au profit de ces quartiers, des dispositifs d'accompagnement fondés sur l'insertion.
J'en viens au problème de la sécurité, qui constitue ma quatrième préoccupation.
Depuis longtemps, le Sénat insiste auprès des ministres successifs sur la nécessité de rétablir la paix publique et de lutter contre le sentiment d'impunité, en sanctionnant les comportements délictueux. Au demeurant, les récents événements de Mulhouse et d'ailleurs nous confirment qu'il y a perte de références.
Un sociologue écrivait dans un grand journal du soir : « Aujourd'hui les transports, c'est l'Etat, et c'est l'Etat qu'ils agressent. » Je crois que c'est assez vrai. Il nous faut aujourd'hui faire rimer répression, réorganisation de la police et de la gendarmerie, mais aussi prévention et, plus encore, protection judiciaire de la jeunesse.
Tous les services intéressés doivent travailler ensemble pour renouer les fils du dialogue sur le terrain, pour que ces quartiers retrouvent des repères, le sentiment de la solidarité et la notion toute simple de ce qui est bien et de ce qui est mal dans une vie en société.
Il me semble que la nécessité de juguler la violence des mineurs fait l'objet d'une prise de conscience en Europe. Vous trouverez dans mon rapport écrit des éléments relatifs au projet déposé devant la Chambre des communes.
Un certain nombre d'éléments de la réflexion qui est menée en Grande-Bretagne, mais aussi en Allemagne, ne sont pas sans rappeler certains arrêtés municipaux de cet été, qui étaient plus des appels, pour ne pas dire des cris, lancés en direction de l'exécutif et de la représentation nationale.
Voilà donc quelques-unes des préoccupations de la commission des affaires économiques et du Plan, qui s'intéresse à la politique de la ville tout autant qu'à celle de l'espace rural ; pour nous, ce sont en effet deux facteurs essentiels de l'équilibre du territoire.
Je pourrais y ajouter l'école et les zones d'éducation prioritaires, la mixité sociale, la restructuration des espaces commerciaux et artisanaux, la présence des services publics.
S'agissant de ce dernier point, j'insisterai sur le rôle irremplaçable du bureau de poste comme guichet bancaire des modestes et des exclus : à Trappes, dans mon département, les opérations aux guichets portent en moyenne sur 29 francs ! Cela donne à réfléchir ! S'il n'y a plus de bureau de poste, c'est l'exclusion totale pour un certain nombre de nos concitoyens.
Avant de conclure, je voudrais aborder la question du cadre de vie.
Dans quelques semaines, je présenterai à la commission des affaires économiques et du Plan un rapport sur les espaces péri-urbains. L'espace périphérique est un milieu souvent sans nom, sans projet, sinon celui d'être la future zone industrielle ou commerciale. Ni ville ni campagne, cet espace est livré aux dépôts, aux friches, aux panneaux publicitaires qui vantent des produits que les habitants des quartiers, le plus souvent, ne peuvent s'offrir. Oui, toute la ville a droit au « beau », pas seulement en son coeur historique, dans ses sites sauvegardés ou dans ses quartiers résidentiels. C'est un enjeu qui nécessite une volonté ; nous y reviendrons.
Au-delà de l'évolution des crédits, dont on peut donner des interprétations diverses, ce sont les incertitudes qui planent sur la politique du Gouvernement, notamment sur le devenir du pacte de relance pour la ville, ainsi que la disparition d'un véritable ministère de la ville - ce qui, ce soir, vous aurait permis de souffler ! (Sourires) - que nous appelions de nos voeux dans un rapport publié dès 1993 et que nous souhaitions voir lié à celui de l'aménagement du territoire, qui ont conduit la commission des affaires économiques et du Plan à émettre un avis défavorable sur l'adoption des crédits de la ville. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Blanc, rapporteur pour avis.
M. Paul Blanc, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce projet de budget intervient à un tournant : il porte en lui les fruits prometteurs du pacte de relance pour la ville, mis en place sous l'impulsion du précédent gouvernement, et, en même temps, il est au service d'une politique de la ville qui nous semble courir aujourd'hui le risque d'une démobilisation.
Le défi du pacte, qui était de relancer, à travers des mesures de réduction de charges fiscales et sociales, l'activité économique dans des zones bénéficiant d'une discrimination territoriale positive, semble être relevé sur le terrain avec succès.
Depuis que mon avis est paru, l'association nationale des villes à zone franche urbaine a publié des estimations intéressantes, montrant que, depuis le 1er janvier 1997, 1 123 entreprises se sont installées, ce qui correspond environ à 5 849 emplois nouveaux dans ces zones.
Ces implantations d'entreprises ne correspondent pas toutes à des créations nettes ; il peut s'agir aussi de délocalisations. Il faudra procéder à un examen au cas par cas pour vérifier si elles sont motivées par un effet d'aubaine ou si elles ont effectivement permis de sauver des emplois ou d'en créer.
Le pacte, en tout cas, a eu un effet d'appel très fort auprès des entrepreneurs, qui n'ont pas été découragés par l'image très négative des quartiers sensibles que les médias diffusent parfois. Malgré les difficultés, la vie reprend aux pieds de tours et d'immeubles que l'on croyait voués à l'exclusion. L'inquiétude de la commission des affaires sociales n'en a été que d'autant plus grande à constater que la politique de la ville marquait le pas.
Tout d'abord, quelles que soient votre énergie et votre compétence, madame la ministre, la commission des affaires sociales a regretté que la structure gouvernementale actuelle n'ait pas prévu, au minimum, un ministre délégué ou un secrétaire d'Etat pour vous assister et incarner la politique de la ville au jour le jour, là où il faut animer et mobiliser les bonnes volontés, dans toutes les zones prioritaires de la politique de la ville, coordonner les efforts des grands partenaires de l'Etat et, enfin, négocier avec la Commission européenne les dérogations nécessaires. Cela vous aurait également permis, madame la ministre, de prendre un repos bien mérité en cette soirée.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de vous préoccuper de ma santé ! (Rires.)
M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. L'autre défaut de cette structure est de rompre la synergie et la complémentarité qui devraient s'établir entre la politique de la ville et la politique de redynamisation de l'espace rural afin d'assurer le développement équilibré et harmonieux de notre territoire.
Il existe, je l'ai dit, un risque de démobilisation parce que, cinq mois après le changement de gouvernement, il est difficile de saisir quelles seront les lignes directrices d'une action qui semble hésiter entre la continuité et la volonté, sinon de remettre en cause, du moins de placer au second plan les mesures spécifiques du pacte de relance, suspectées de donner lieu à des abus.
Témoignent de cette incertitude originelle les silences initiaux du Premier ministre, puis votre communiqué de juillet dernier, qui ne tranchait pas entre politique globale et politique spécifique de la ville, ainsi que votre décision de confier une vaste mission prospective à M. Jean-Pierre Sueur, dont on connaîtra les conclusions dans quelques mois. Il faut prendre garde à ne pas créer pour les entreprises un climat d'incertitude qui viendrait contrecarrer le souffle nouveau du pacte.
Une autre inquiétude tient aux effets de l'instauration des emplois-jeunes par rapport aux garanties que présentaient pour les jeunes des banlieues les emplois de ville.
Parce que les jeunes résidant dans les quartiers sensibles sont trop souvent victimes d'une discrimination à l'embauche à la seule lecture de leur adresse, les emplois de ville leur étaient clairement destinés et ils permettaient, en outre, de financer une formation complémentaire pour relancer une intégration sociale.
S'agissant des emplois-jeunes, dont le volet formation est insuffisant, voire inexistant, comme nous l'avons déjà souligné, le risque est grand de voir les jeunes diplômés au chômage des communes avoisinantes recrutés de manière préférentielle, ce qui créerait un effet d'éviction au détriment des jeunes des banlieues. Au départ, les instructions des préfets pourront encore maintenir un flux d'embauches au profit des jeunes des cités, mais qu'en sera-t-il dans un an, alors qu'aucune garantie juridique n'est prévue pour éviter une dérive ?
Enfin, une autre inquiétude est née de la diminution de près de 30 % des crédits de paiement au titre des investissements prévus dans les contrats de ville, alors que les collectivités seront soucieuses de mener à bonne fin, cette année, les projets lancés au cours XIe Plan.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales a émis un avis défavorable quant à l'adoption des crédits relatifs à la ville et à l'intégration. (Applaudissements sur le banc des commissions.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 13 minutes ;
Groupe socialiste, 11 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 5 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, riches d'une culture multiséculaire, reflétant l'histoire et les traditions de nos régions tout entières, les villes ont connu, au cours des dernières décennies, une mutation et une expansion sans précédent, signe du développement économique de notre pays.
Toutefois, cette expansion a engendré des dysfonctionnements, trop longtemps sous-estimés par les pouvoirs publics, et qui, à l'orée du vingt et unième siècle, nous conduisent à faire de la politique de la ville une priorité.
La pénurie de logements, dans les années cinquante, a suscité la construction de grands ensembles préfabriqués, regroupant les individus verticalement, dans un cadre de vie beaucoup trop restreint. Ce sera la source de nombreux malaises dans la société contemporaine.
Ces constructions de masse sont allées de pair avec le libéralisme économique des Trente Glorieuses, jusqu'à ce que la crise des années soixante-dix amène les pouvoirs publics à revoir leur politique d'urbanisme. Ils décideront, en 1997, plusieurs années après les autres pays européens, d'arrêter la construction des grands ensembles et de procéder enfin à une réhabilitation du parc HLM.
En 1981, de nombreuses villes que les dirigeants croyaient fortes, protégées qu'elles étaient par leurs tours de verre et de béton, se sont révélées malades, victimes du chômage, de l'exclusion, de la violence ou de la délinquance. Elles deviendront le creuset de la montée des extrémismes religieux et politiques. Ainsi, les premières émeutes de Vénissieux ont été un signal fort du malaise des banlieues.
Cette situation a conduit les gouvernements, notamment ceux de gauche, à prendre des mesures pour pallier les problèmes rencontrés sur le terrain : création des zones d'éducation prioritaires, en 1981 ; mise en place des missions locales préconisées par le rapport de Bertrand Schwartz, en 1982 ; institution des conseils communaux de prévention de la délinquance, à la suite des travaux de Gilbert Bonnemaison, en 1983 ; multiplication des conventions de développement social des quartiers, en 1984 ; création du conseil national des villes et du développement social urbain, de la délégation interministérielle à la ville et au développement social urbain ; enfin, mise en oeuvre des premiers contrats de ville, en 1989.
Madame la ministre, la mission de réflexion sur la ville du xxie siècle, que vous avez confiée à Jean-Pierre Sueur, souligne de nouveau, aujourd'hui, une réelle préoccupation ainsi qu'une forte volonté gouvernementale de mener une politique efficace pour la ville de demain.
Le choix de Jean-Pierre Sueur, qui est entouré d'une équipe d'acteurs de terrain, marque aussi une certaine distance par rapport aux instances traditionnelles en charge de la politique de la ville. Nous nous en réjouissons. Il était en effet primordial qu'une telle mission ne soit pas à nouveau confiée à une équipe de hauts fonctionnaires, trop peu au fait de la réalité urbaine et du quotidien des individus dans les quartiers défavorisés.
Cette mission de réflexion s'avérait nécessaire, d'abord, parce que les contrats de ville arriveront à échéance à la fin de l'année 1998. Cette situation suscite de légitimes inquiétudes, notamment chez les acteurs locaux qui conjuguent leurs efforts dans la mise en oeuvre du développement social urbain.
J'ai moi-même eu l'occasion de constater, dans l'agglomération de Thionville, la réussite de plusieurs actions intercommunales exemplaires. Je sais, madame la ministre, que vous aussi avez eu l'occasion d'apprécier la qualité de nombreux projets mis en place grâce aux contrats de ville, et je ne doute pas de votre vigilance quant à l'avenir de ces dispositifs.
La mission de réflexion est nécessaire, ensuite, parce que les dernières mesures prises au titre de la politique de la ville ont bien vite montré leurs failles et leurs limites.
Le pacte de relance, annoncé aux acteurs locaux comme un nouveau plan Marshall et créant une nouvelle géographie prioritaire, n'a servi qu'à donner une image négative à certaines villes et à montrer du doigt certains quartiers et certains habitants.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Je ne suis pas d'accord !
Mme Gisèle Printz. Il a plus que jamais contribué à importer le principe anglo-saxon de la « discrimination positive », contre lequel nous met en garde le dernier rapport du comité national des villes.
De même, la politique de zonage n'a pas pris en compte la dimension économique et sociale des villes concernées. Je constate, par exemple, dans le département de la Moselle, que la zone franche de Metz-Borny n'est qu'une extension de Technopôle 2000. Peut-on alors parler d'une mesure prise en faveur des quartiers défavorisés ?
En outre, l'imprécision géographique qui aboutit à exonérer de taxe professionnelle les entreprises situées d'un côté de la rue et non leur vis-à-vis a conduit les élus locaux à devoir faire face aux protestations légitimes des entreprises, des commerces ou des professions libérales qui ne pouvaient bénéficier de ces dérogations fiscales.
Les résultats en termes de créations d'activités et d'emplois ont été peu concluants, puisque l'on a surtout assisté à des délocalisations d'entreprises déjà existantes.
Enfin, et c'est certainement la raison la plus importante, cette réflexion s'avérait nécessaire car la politique de la ville doit être repensée dans son ensemble à l'approche du prochain siècle, où la moitié de la population mondiale sera « entassée » dans les seuls territoires urbains.
Ce que doit être la ville, nous le savons car nous en avons un idéal : elle doit être un lieu d'échanges, de rencontres, de culture, de formation et de solidarité, un lieu de démocratie et de citoyenneté. La politique de la ville doit conduire à cet idéal.
Nous voulons de vraies villes où les catégories sociales se mêlent et où, peu à peu, les ghettos disparaîtront. C'est un grand débat qu'il faut organiser avec les citoyens, ainsi qu'avec tous les acteurs présents sur le terrain : élus, urbanistes, associations, sociologues ou acteurs économiques de proximité.
Les cités ne sont pas toutes semblables, les problèmes non plus. Il ne peut donc pas y avoir de solution globale venue d'en haut. Chacun a des choses à dire, des idées à apporter et c'est d'un tel débat que sortiront les propositions que le Gouvernement devra mettre en cohérence et en conformité dans l'intérêt de tous.
D'une façon générale, la politique de la ville doit rester interministérielle, me semble-t-il, tout en étant proche des citoyens.
Il faut traiter la ville dans sa globalité et inciter les bassins de vie à engager une politique coordonnée et complémentaire en recourant, le cas échéant, aux structures juridiques de coopération intercommunale.
Bien entendu, cette nouvelle politique ne se fera pas en un jour. C'est la raison pour laquelle une réflexion approfondie devrait s'engager très rapidement. Jean-Pierre Sueur nous livrera bientôt son bilan - il est très attendu - et ses conclusions constitueront, à n'en pas douter, une base efficace pour la politique de la ville de demain.
Le projet de budget qui nous est soumis aujourd'hui traduit un budget de transition. Il s'inscrit dans la continuité des engagements de l'Etat et permettra à la politique de la ville de fonctionner jusqu'à la fin de l'année 1998.
J'avoue mal comprendre les critiques de l'opposition tendant à souligner le manque d'initiatives prises dans le domaine de la politique de la ville ces derniers mois. Je tiens à rappeler ici l'augmentation de l'allocation de rentrée scolaire, de l'aide au paiement des cantines scolaires, de la progression de l'aide personnalisée au logement et de l'allocation logement social, la diminution de la taxe d'habitation pour les ménages les plus modestes.
Le projet de budget de la ville s'inscrit pleinement dans la réflexion que vous avez décidé d'engager, madame la ministre, et rejoint les priorités que le Gouvernement s'est fixées pour 1998.
Premièrement, le plan emploi-jeunes permettra, entre autres, d'intégrer une grande partie des douze mille emplois de ville, en leur assurant un statut plus souple, ainsi qu'une meilleure rémunération. Comme vous, madame la ministre, je pense préférable que les jeunes des quartiers en difficulté puissent parfois travailler ailleurs que dans ces cités.
Vous avez affecté 414 millions de francs au budget pour que les jeunes qui ne pourront exercer une activité nouvelle voient leur contrat de ville se prolonger jusqu'à la fin de l'année 1998.
Ce plan emploi-jeunes permettra également de libérer des postes de CES ; ceux-ci s'adresseront donc à nouveau au public en difficulté pour qui ils étaient initialement prévus, jouant ainsi pleinement leur rôle d'intégration.
Deuxièmement, la sécurité tiendra une place prépondérante au coeur de la politique de la ville. Le Premier ministre a d'ailleurs affirmé, lors du congrès de Villepinte, la « ferme volonté du Gouvernement d'assurer l'égalité des citoyens devant le droit à la sécurité ». Ainsi, de jeunes adjoints de sécurité et de jeunes médiateurs seront mis en place dans les quartiers.
Troisièmement, l'accès au logement sera facilité par la construction de nouveaux immeubles. La réhabilitation de l'habitat, grâce à la diminution de la TVA, permettra à de nombreuses familles d'être logées décemment.
Enfin, quatrièmement, l'accès aux services publics, notamment dans le domaine de l'éducation, de la santé ou de la prévention de la délinquance constituera également l'un des piliers de la politique de la ville pour 1998.
Au total, et en prenant également en compte les dispositions fiscales très coûteuses liées au fonctionnement des zones franches, l'effort consacré à la politique de la ville dépassera 20 milliards de francs en 1998, ce qui représente une augmentation de 1 milliard de francs par rapport à 1997. Cette progression, dans un contexte économique de rigueur budgétaire, mérite d'être soulignée.
Pour conclure, madame la ministre, je félicite le Gouvernement qui a la sagesse d'inscrire son action dans la continuité pour se donner le temps et les moyens de procéder à la nécessaire réflexion sur l'avenir de la politique de la ville. Aussi, mes chers collègues, le groupe socialiste votera en faveur du budget de la ville et de l'intégration. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, depuis des années, les différentes politiques de la ville, sanctionnées par des séries de lois parfois contradictoires, du développement social des quartiers aux contrats de ville, sont loin d'avoir donné les résultats escomptés. Un certain nombre de villes et de quartiers continuent de s'enfoncer dans une dérive inquiétante.
C'est la complexité qui caractérise ce problème, entre le taux de chômage, celui de la délinquance, celui de l'échec scolaire et tant d'autres : économie, urbanisme, éclatement de la famille, acculturation amènent des villes, des quartiers à dériver entre violence et désespérance.
Cette situation perdure et se dégrade, malgré la loi de 1990 sur le droit au logement, la loi d'orientation pour la ville de 1991, la loi sur la diversité de l'habitat de 1995 et le pacte de relance pour la ville de 1996.
C'est sur ce fond législatif que se situe le projet de budget que vous nous présentez.
Il se situe à un moment où il est nécessaire de dresser un bilan des lois antérieures et d'examiner les résultats de la mise en place des quatre cent seize zones de redynamisation urbaine et des quarante-quatre zones franches urbaines, dont on peut discuter à la fois du principe, du coût, des limites géographiques, du détournement de la loi par des entreprises allant s'y installer et y transportant des salariés ou un siège social, et d'un effet sur la création d'emplois pour des personnes vivant dans ces zones qui paraît pour le moment singulièrement limité.
Il était donc urgent de tout remettre à plat, d'où votre décision, madame la ministre, de confier une mission d'évaluation à Jean-Pierre Sueur, qui devait, me semble-t-il, vous remettre son rapport d'étape à la fin du mois de novembre dernier - mais peut-être cela a-t-il été retardé - et son rapport définitif à la fin du mois de janvier.
Je formulerai maintenant une remarque sur la forte déconcentration des crédits : 90 % des crédits de la politique de la ville. Elle pose, entre autres, la question de la nature des politiques choisies et conduites sur le terrain.
Pour ma part, et pour suivre, au titre du conseil régional, ce qui se passe dans ma propre agglomération, je peux témoigner du fait que si les contrats de ville, quand ils associent les régions et les départements, permettent de faire travailler des collectivités ensemble sur un certain nombre de projets communs - ce qui n'est déjà pas si mal - s'ils donnent la possibilité de faire réfléchir sur des projets d'agglomération, trop souvent, la réflexion, l'action et les crédits ne sont pas ciblés sur ce qui devrait être l'essentiel de l'effort : refuser la segmentation des quartiers par fonction, qui induit la ghettoïsation, et mettre en oeuvre la mixité des quartiers au sens fort de ce terme.
Ce refus de la ghettoïsation, primordial, passe par la présence des services publics dans les quartiers d'habitat social. Tous les rapports d'urbanistes, mais aussi tous les témoignages d'intervenants de terrain, dénoncent la faiblesse des services publics dans ces quartiers, qui contribue à ce que la ville ne soit pas tout à fait la ville, au vrais sens du terme.
Or, avec une baisse des crédits de 7,5 millions de francs par rapport à 1997, le projet de budget ne fait pas la part belle aux services publics. Il me semble qu'il y aurait là un correctif à apporter.
Je rejoins d'ailleurs les remarques formulées par M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis, sur le rôle de La Poste et des services publics en général, notamment dans ces quartiers en difficulté.
Bien entendu, ce refus de la ghettoïsation pour l'avenir passe aussi par tout ce qui touche à l'urbanisme, par les réhabilitations, mais aussi par les destructions-reconstructions de certains quartiers urbains, dont la conception architecturale est elle-même porteuse de violence.
C'est dire que le budget que vous présentez est à la fois un budget de consolidation et d'attente, qui permet de poursuivre les actions entreprises, en attendant la mise en place d'une autre politique. Celle-ci est urgente !
Devant l'échec dramatique des politiques conduites depuis des années, malgré l'argent qui a été consacré et malgré de très nombreuses initiatives souvent intéressantes, publiques ou associatives, il est vital d'aboutir à des résultats. Dans l'immédiat, ces résultats passent par une politique extrêmement volontariste, notamment en matière d'emplois.
C'est pourquoi il est très important que les emplois-jeunes qui se substitueront aux emplois de ville soient effectivement affectés aux quartiers en difficulté. Je pense que vous y serez attentive, madame la ministre, car je sais à quel point vous tenez à l'insertion par l'économique. Mais il faudra fortement sensibiliser les préfectures et les collectivités sur ce point : les emplois-jeunes doivent être non pas au service des quartiers en difficulté, mais dans les quartiers en difficulté.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Très bien !
Mme Joëlle Dusseau. Enfin, j'évoquerai précisément l'intégration des immigrés de la deuxième génération.
Je souhaite vous féliciter de prévoir un crédit spécifique dans des domaines comme la lutte contre la discrimination à l'embauche ou l'accompagnement des femmes adultes vers l'emploi et vers les formations qualifiantes.
Vous savez à quel point je suis sensible aux droits des femmes. Par ailleurs, les femmes et les jeunes filles me paraissent constituer le point d'appui essentiel pour l'intégration. Nous devons impérativement les aider et les conforter.
Madame la ministre, les sénateurs radicaux-socialistes du groupe du RDSE voteront le budget sur la politique de la ville et de l'intégration. Ce budget, s'il est de transition, permet, en effet, de maintenir les effort nécessaires dans l'attente de la remise à plat de la politique de la ville que vous avez engagée. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'effort budgétaire en faveur de la politique de la ville et de l'intégration s'inscrit dans la continuité de l'action développée au travers des contrats de ville.
Le budget consacré à la ville est un budget d'attente, de transition. Ainsi, 1998 sera une année charnière pendant laquelle devraient se construire de nouvelles perspectives.
Tout d'abord, il ne nous semble pas que ce soit une mauvaise chose. Depuis une quinzaine d'années, les gouvernements successifs n'ont cessé de faire et de défaire, ce qui est considérablement néfaste pour apprécier dans la durée tel ou tel projet.
M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Guy Fischer. Néanmoins, ils ont apporté un éclairage en clair-obscur des enjeux difficiles et majeurs à définir. Un constat doit être fait : inexorablement, la ségrégation se conforte, l'exclusion se territorialise, et ce depuis le début des années quatre-vingt.
Ensuite, il nous semble très important de prendre le temps, dans l'urgence, de construire une politique de la ville à long terme et, par conséquent, de continuer d'écouter et d'auditionner les différents acteurs de la ville.
Nous tenons à confirmer notre soutien à votre volonté de consulter et d'élaborer dans la concertation la politique de la ville.
A cet égard, il serait souhaitable, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous indiquiez les premières grandes orientations définies par la mission de réflexion confiée à M. Jean-Pierre Sueur qui doit rendre son rapport à la fin janvier. Il serait également souhaitable que vous nous précisiez les axes de la réforme de la politique de la ville et le sens du tournant que vous annoncez pour le printemps prochain, mais également le devenir et le développement, que nous souhaitons tous, des contrats de ville.
Le Conseil national des villes fait état, dans son rapport de fin de mandat, des quartiers en difficulté. Il émet une forte réserve sur la « discrimination positive » qui, il faut le rappeler, a été le fer de lance de la politique de la ville, notamment au cours des dernières années. Le pacte de relance pour la ville en est la plus récente illustration.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen partagent cet avis.
Nous ne connaissons que trop les effets pervers de cette politique qui conduit bien souvent à la ghettoïsation.
Elle n'a fait que conforter la ségrégation, donc affaiblir la mixité sociale si nécessaire au bien-vivre de ces quartiers en difficulté.
En atteste le taux de vacance de logements sociaux qui augmente de nouveau. De plus en plus de familles, y compris des familles modestes, refusent de venir s'installer dans des quartiers difficiles. Des familles populaires, aux revenus modestes, mais à bout de souffle sont de plus en plus nombreuses à quitter ces quartiers, souvent au prix de sacrifices financiers.
Aux Minguettes, 12 % des 6 000 logements sociaux sont vacants. Plus globalement, 60 % des familles qui vivent en HLM ne paient pas l'impôt sur le revenu et 45 % touchent l'APL. Une paupérisation est constatée. Il faut donc absolument stopper ce mouvement et favoriser le maintien d'une population diversifiée dans ces quartiers.
Nous pensons, par exemple, au niveau du logement, qu'il faut aussi contribuer plus largement à la réhabilitation des copropriétés. La politique de la ville ne doit aboutir à opposer les habitants de tels ou tels quartiers ou telle ou telle catégorie à telle autre.
S'agissant de la sauvegarde de l'emploi, le bilan d'une année de pacte de relance de la ville est partagé : encourageant pour les uns, mitigé pour les autres.
En revanche, l'inscription dans le budget de la ville d'un crédit de 1 milliard de francs pour la mise en place des emplois-jeunes nous semble justifiée. Nous serons très vigilants à l'avenir pour que les collectivités locales disposent de tous les moyens nécessaires pour la réussite de ce plan dont les jeunes attendent beaucoup.
Concernant le mal-être des quartiers en difficulté et la violence qui y règne parfois, les récents mouvements qui touchent les transports en commun - Lille, Mulhouse, Valence et Orléans en sont les exemples les plus récents - nous obligent à réaffirmer notre volonté de considérer le problème à la base. Les raisons principales en sont le chômage, la précarité - source de misère - et la perte de confiance en l'avenir. Ces fléaux touchent de plus en plus de personnes. Nous observons même un rajeunissement très important des auteurs d'actes d'incivilité ou d'actes délictueux.
Tout en étant vigilants face aux actes inaceptables, qu'il faut réprimer, nous devons - c'est d'ailleurs ce que Mme Elisabeth Guigou préconise - rétablir l'éducation civique et favoriser la mise en place de projets de dynamisation dans le cadre scolaire.
Le crédit déployé pour les emplois-jeunes dans le budget de la ville explique à lui seul la progression de près de 7 % de l'effort public global en faveur de la ville.
Aussi, en cohérence avec le vote qu'il a émis sur le projet de loi relatif au développement d'activités pour les emplois-jeunes et compte tenu des engagements que vous avez pris, madame la ministre, d'améliorer le contexte budgétaire, le groupe communiste républicain et citoyen votera en faveur du présent projet de budget, avec la volonté d'encourager et, surtout, de participer à la réflexion en cours sur la réforme de la politique de la ville. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le sentiment qui prévaut à l'examen du projet de budget de la politique de la ville est celui d'une certaine perplexité, pour ne pas dire d'une perplexité certaine.
Certes, l'effort financier reste, globalement, comparable à ce qu'il était en 1996, dans le prolongement du plan d'urgence lancé en 1993 et de l'effort exceptionnel consenti l'an dernier, à hauteur de 14 milliards de francs, alors que la dépense de l'Etat, au titre de la politique de la ville, représentait encore 8 milliards de francs en 1994.
La constance de cet effort ainsi que le mouvement de globalisation des crédits consacrés à la politique de la ville à travers le fonds interministériel d'intervention pour la politique de la ville, mis en place en 1995, s'inscrivent dans la bonne direction, même si, comme le souligne notre excellent rapporteur spécial, M. Philippe Marini, ces dispositions rendent plus difficile la lecture des documents budgétaires.
En fait, notre perplexité trouve sa source dans l'incertitude devant laquelle nous nous trouvons quant aux orientations futures de la politique de la ville, incertitude qui nous conduit à discuter de dotations financières sans savoir dans quel cadre elles seront consommées.
Le projet de budget qui nous est soumis apparaît ainsi comme un budget d'attente. Attente, en particulier, des conclusions auxquelles aboutira M. Jean-Pierre Sueur, à l'issue de la mission dont il a été chargé.
Or, la situation nous permet-elle vraiment d'attendre ?
Les acteurs du terrain, qui sont quotidiennement confrontés aux dures réalités de nos villes et de nos quartiers, qui ont besoin de savoir ce qu'ils feront, avec qui et avec quels moyens ils le feront, peuvent-ils attendre ?
Les événements dont nous sommes les témoins indignés et consternés nous laissent à penser qu'on ne peut répondre que par la négative. Sans doute est-il nécessaire de faire le point sur les politiques de la ville qui ont été conduites dans notre pays depuis vingt-cinq ans.
Mais il y a urgence, plus, sans doute, qu'il n'y en avait à s'attacher à modifier le code de la nationalité.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Certainement !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ce n'est pas si sûr !
M. Daniel Eckenspieller. Il eût été possible d'organiser un débat parlementaire sur ce sujet brûlant. L'expérience acquise par un très grand nombre de nos collègues députés et sénateurs eût permis, par-delà les clivages partisans, de procéder à une large évaluation et de dégager les lignes de force des actions à pérenniser et de celles, nouvelles, à défricher.
Le débat pouvait s'engager également avec les associations d'élus locaux qui ont investi, depuis des décennies, du temps, des budgets, du militantisme, dans des mairies dont les services ont, sous leur impulsion, modifié leurs modes d'intervention, créé de nouveaux métiers, inventé de nouvelles relations avec la population.
Ce débat a été différé. Nous le regrettons.
Nous regrettons également que, contrairement au voeu exprimé d'une manière récurrente par les acteurs de la politique de la ville - et ce depuis des années et sous tous les gouvernements qui se sont succédé - on ait persisté à s'inscrire dans une démarche éclatée.
Ils continueront d'avoir à faire aux interlocuteurs, aux logiques, aux procédures, du ministère de l'équipement, du ministère de l'aménagement du territoire, du ministère de l'emploi et de la solidarité, du secrétariat d'Etat au logement, de la délégation interministérielle à la ville, de la fédération des offices d'HLM, des gestionnaires du Fonds d'action sociale et des fonds structurels européens.
Ils souhaitent un interlocuteur gouvernemental clairement identifié et un relais local tout aussi clairement identifié, qui soit investi d'un réel pouvoir d'arbitrage et de décision.
Ils souhaitent sortir de l'incertitude chronique qui les a épuisés à travers des dispositifs qui cohabitent, se superposent, se contredisent parfois, et qui finissent par conduire à un agrégat de crédits et d'exonérations, auxquels mène un cheminement qui gaspille l'essentiel de l'énergie dont ils auraient le plus grand besoin ailleurs.
Ils attendent plus de simplicité, plus de stabilité, plus de cohérence, une transversalité qui ne se situe pas seulement au niveau de la distribution des crédits et de l'harmonisation des procédures, mais encore à celui de la réelle implication des différents services déconcentrés de l'Etat dans le combat qui est mené pour une vie urbaine plus équilibrée et enfin pacifiée.
Ils ont besoin, aussi, de voir réduit le délai de versement des fonds qui leur sont accordés, afin de ne plus être confrontés, en permanence, à des problèmes de trésorerie quasiment insolubles. (Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité fait un signe d'assentiment.) Ma ville - une petite ville de 16 000 habitants - avance actuellement environ 2 millions de francs, pour des fonds attendus de l'Etat, du FAS et du Fonds social européen.
Je voudrais évoquer très rapidement encore quelques points particuliers.
Les contrats de ville, d'abord, pour regretter que les crédits de paiement qui leur sont affectés soient en nette diminution par rapport à 1997.
Le fait que les crédits ne seront pas entièrement consommés en 1997 ne justifie pas, en soi, cette réduction, puisque la consommation incomplète est due, pour l'essentiel, à la lourdeur et à la lenteur des procédures, mais pas à l'insuffisance des besoins, ni à l'absence de projets.
L'intérêt des contrats de ville, du fait de leur approche globale au sein d'un ensemble urbain, ne semble plus à démontrer.
Compte tenu de cet intérêt, compte tenu du fait que les conclusions définitives du rapport Sueur ne seront connues que dans plusieurs mois et, surtout, afin que leur échéance vienne coïncider avec celle des contrats Etat-région et avec celle des fonds structurels européens, il semblerait pertinent de les proroger jusqu'en 1999,...
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Daniel Eckenspieller. ... comme l'a opportunément suggéré le rapporteur pour avis M. Gérard Larcher.
En ce qui concerne, par ailleurs, les dispositifs issus du pacte de relance pour la ville, 1998 constitue la première année où les mesures qu'ils ont induits commenceront à être vraiment opérationnelles.
Si, dans le détail, certaines erreurs flagrantes dans la délimitation de ces zones peuvent sans doute être corrigées, il serait certainement très dommageable de remettre fondamentalement en cause un dispositif qui porte ses fruits, dans lequel des acteurs locaux se sont fortement investis et pour lequel de très nombreux dossiers prennent corps actuellement.
Pourquoi l'Etat n'apporterait-il pas, lui aussi, très concrètement et d'une manière symbolique, sa contribution à la reconquête des pans de villes en déshérence ?
Pourquoi n'y implanterait-il pas des services décentralisés, une sous-préfecture, un hôtel des impôts, une inspection de l'éducation nationale, une agence pour l'emploi, une direction du travail ?
De telles décisions seraient interprétées comme des signes forts de la confiance de l'Etat dans ses propres politiques, celles qu'il initie, qu'il conduit ou qu'il accompagne.
Il n'est pas possible de parler de la politique de la ville sans évoquer les problèmes d'insécurité et d'incivilité.
Des solutions adaptées doivent impérativement être trouvées, pour restaurer la confiance des habitants de nos villes.
J'ai été témoin, avant-hier soir, de l'accueil fait à coups de pierres et de boulons aux sapeurs-pompiers de ma ville de la banlieue de Mulhouse, alors qu'ils étaient appelés à intervenir à la suite du jet d'un cocktail Molotov sur un bus du réseau des transports publics.
L'ordre et la sécurité relèvent des missions régaliennes de l'Etat.
A cause de dérives qui se sont produites dans deux ou trois villes de notre pays, dans un contexte qui reste, heureusement, très marginal, on met aujourd'hui en cause un outil souvent modeste dont les maires se sont dotés pour apporter un service de proximité immédiate et un plus grand sentiment de sécurité à leurs concitoyens.
Au moment où le Gouvernement souhaite faire légiférer sur le statut des polices municipales, il ne faudrait pas que l'immense majorité des maires, pétris d'un authentique esprit républicain, se trouvent encore un peu plus désarmés face à des situations pour lesquelles ils sont interpellés quotidiennement.
Je dirai encore un mot des emplois-jeunes, en relation avec la politique de la ville.
Dans une même commune, on trouvera des emplois-jeunes relevant de l'éducation nationale, de la sûreté nationale, des différents bailleurs sociaux, d'associations locales, d'établissements publics et, enfin, de la collectivité elle-même.
Ne serait-il pas logique d'intégrer tous ces jeunes dans une stratégie de développement local et de faire du maire la clé de voûte d'un système qui trouverait ainsi toute sa cohérence territoriale, sans rien enlever à chacun des autres partenaires concernés ?
Toujours à propos des emplois-jeunes, j'aimerais que vous puissiez nous dire, madame la ministre, si le problème de leur affiliation à l'assurance chômage, lorsque leur employeur est une collectivité territoriale ou un établissement public, a pu, à ce jour, trouver une solution.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Oui !
M. Daniel Eckenspieller. Enfin, mesurant tout le professionnalisme qui est nécessaire aux acteurs de la politique de la ville, je voudrais souligner tout l'intérêt que présenterait la création d'un institut des métiers de la ville, telle que l'a envisagée la ville de Mantes-la-Jolie depuis 1996, en concertation avec le ministère de l'éducation nationale, la délégation interministérielle à la ville et au développement social urbain, la DIV, le sous-préfet à la ville du département concerné et la région d'Ile-de-France.
Un tel projet répondrait également à une priorité communautaire concernant les interventions du Fonds social européen dans le domaine des nouveaux gisements d'emploi.
J'aimerais connaître votre sentiment, madame la ministre, sur ce dossier qui, par-delà des besoins locaux, enrichirait et rendrait plus cohérentes les actions conduites à travers le territoire national.
En regrettant que les priorités du Gouvernement en matière de politique de la ville ne soient pas plus clairement affichées dès à présent, nous serons très attentifs, madame la ministre, aux réponses que vous apporterez aux multiples questions qui restent en suspens et que se posent aujourd'hui les dizaines de milliers de combattants de la difficile et épuisante reconquête de la cité républicaine. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messsieurs les sénateurs, une fois de plus je comprends assez mal le positionnement du Sénat. Les mêmes personnes - M. Marini, M. Larcher - me reprochent de ne pas innover, de ne pas faire assez et, dans le même temps, me soupçonnent de vouloir mettre à bas les mécanismes existants, que ce soient le pacte de relance pour la ville ou les contrats de ville.
La vérité est ailleurs.
Nous connaissons tous ces quartiers ; nous y travaillons depuis plus de quinze ans, depuis le rapport Bonnemaison, avec des contrats qui ont porté des noms divers.
Nous savons aussi que ces quartiers sont fragiles, que toute modification brutale des dispositifs peut entraîner des résultats catastrophiques aussi bien pour les élus que pour les associations.
Je comprends donc mal de telles diatribes.
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. Ce n'étaient pas des diatribes !
M. Philippe Marine, rapporteur spécial. J'ai été très modéré, très courtois !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Très modéré ? Vous avez dit que nous ne savions pas ce que nous faisions !
Et qu'auriez-vous dit si nous avions rompu les contrats de ville alors qu'il ne reste plus qu'une année d'application puisque chacun sait qu'ils se terminent à la fin de 1998 ? Qu'auriez-vous dit si nous avions arrêté le pacte de relance pour la ville alors même que la loi prévoit un bilan que nous sommes en train de préparer pour l'été prochain ?
Encore une fois, ces affaires méritent du sérieux. On parle de quartiers en difficulté, de délinquance, de médias qui montrent des jeunes qui jettent des pierres. Derrière tout cela, il y a la désespérance, et je n'admets pas qu'on en parle de cette manière.
On ne peut pas nous reprocher une chose et son contraire ! Je suis ministre de la ville et je connais bien ces quartiers ; j'y ai travaillé avec ma fondation pendant quatre ans ; j'y travaille dans ma ville, et je compte bien remplir complètement cette mission.
Encore une fois, on ne peut en parler comme vous le faites, messieurs, surtout pas aujourd'hui, et encore moins avant les élections. Jamais vous ne me verrez adopter une attitude politicienne en la matière.
Nous devons tous réfléchir à ce que ces politiques de la ville nous ont apporté depuis quinze ans, mais aussi à ce qu'elles ont été incapables de nous apporter, car, au fond, si ce pacte de relance pour la ville était si merveilleux, en serions-nous là aujourd'hui ?
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Laissez-le s'appliquer, il n'a pas un an ! Ce n'est pas sérieux !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le rapporteur, c'est d'autant plus sérieux que c'est exactement ce que je fais. Je n'ai rien modifié au pacte de relance pour la ville, si ce n'est quelques périmètres - certains, d'ailleurs - à la demande de sénateurs de l'opposition, qui n'étaient guère admissibles puisqu'ils passaient au milieu de la rue.
Pour le reste, je le laisse s'appliquer, car, moi, je crois à la République. Quand une loi existe, je l'applique et je vais jusqu'au bout. De même, si je fais un bilan, c'est parce que la loi le prévoit.
Par conséquent, ne soyez pas si critique avant même de savoir ce que nous faisons et ne nous demandez pas de changer tout au moment où vous demandez de ne rien changer ! Il faut être un peu cohérent, surtout s'agissant de ce problème-là !
Que tout le monde se rassure : il n'y aura pas de modification brutale. Simplement, nous sommes déterminés à aller plus loin, car, aujourd'hui, tout le monde se pose des questions sur ces quartiers et sur le bilan des quinze dernières années.
Je ne jette pas le bébé avec l'eau du bain ! Je sais très bien ce qu'ont apporté les crédits de la politique de la ville à ces quartiers. Ils ont sans doute évité une implosion majeure, et s'ils n'ont pas évité la désespérance, ils ont sans doute évité encore plus d'exclusion, avec son cortège de malheurs et même de déstructuration forte chez les plus jeunes.
Cela étant, ils n'ont pas donné les résultats attendus, et il faut qu'aujourd'hui nous le reconnaissions.
C'est la raison pour laquelle, dans cette année de transition, comme l'a dit M. Fischer - première année du pacte pour la ville, dernière année des contrats de ville - il m'a paru important de poursuivre la politique menée avec les mêmes crédits que l'année dernière, tout en réfléchissant pour l'avenir.
Et si l'on enregistre une baisse de certains crédits, il s'agit uniquement de crédits de paiement en matière d'investissement parce que mes prédécesseurs n'ont pas su dépenser les sommes qu'ils avaient votées. Pourtant, Dieu sait si les besoins sont importants, notamment dans les grands projets urbains, ou pour favoriser le retour des services publics dans ces quartiers ! La vérité, la voilà !
Pour le reste, nous reconduisons exactement les contrats des années passées, tels qu'ils ont été signés par mes prédécesseurs et tels que je les ai signés en tant qu'élue dans ma ville.
Pour ce qui est des emplois de ville, là aussi parlons-en ! On en attendait 25 000 ; il y en a aujourd'hui 12 500.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. On a arrêté cet été !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Absolument pas ! On n'a pas arrêté cet été, pas plus que l'application de la loi de Robien, comme on l'a dit tout à l'heure. Les faits sont têtus. Quand je suis arrivée à la tête du ministère, il y avait 6 000 emplois de ville, et il y en a 12 500 aujourd'hui ! Je vous ferai parvenir les chiffres exacts.
J'applique les loi telles qu'elles existent jusqu'au moment où elles sont modifiées.
Les emplois-jeunes vont remplacer les emplois de ville chaque fois que c'est possible. Avant-hier encore, je participais à un débat, à Strasbourg, avec 300 jeunes. Ils sont ravis d'avoir les emplois-jeunes, car ils vont passer d'un mi-temps à un temps plein, ils vont doubler leur salaire et ils ont l'impression qu'ils vont avoir un vrai travail et non pas un petit boulot reconductible de six mois en six mois. La réalité, la voilà !
Si certains de ces jeunes ne remplissent pas ces contrats, - nous l'avons aussi prévu - 414 millions de francs sont inscrits l'année prochaine pour pouvoir les maintenir dans l'ancien dispositif. Cela vous gêne peut-être, mais c'est cela la vérité !
Mme Printz a beaucoup insisté - elle a eu raison - sur le fait que ces emplois-jeunes devaient profiter aux jeunes des quartiers en difficulté.
Je n'ai pas dit non plus, monsieur Marini, dans une circulaire aux préfets, qu'il fallait leur garantir 10 % de ces emplois. J'ai demandé, bien au contraire, que la priorité absolue soit accordée aux jeunes des quartiers en difficulté, mais aussi à ceux des zones rurales dévitalisées, qui souvent sont inscrits au chômage depuis longtemps, ou à ceux qui ne sont plus inscrits à l'ANPE parce qu'ils n'ont aucun espoir de se voir proposer quelque chose et qui sont connus des missions locales, des PAIO ou des associations. C'est ceux-là que nous devons aller chercher.
J'ai demandé aux préfets de soutenir les élus qui font un effort en faveur de ces jeunes. Je l'ai d'ailleurs rappelé dans une circulaire particulière de quelques lignes mais extrêmement forte, voilà quelques jours, après avoir eu un ou deux exemples de non-application.
Je suis donc convaincue que les emplois-jeunes profiteront en priorité à ces catégories de jeunes que je viens d'évoquer.
Je veux rassurer M. Eckenspieller sur le statut des emplois-jeunes au regard de l'UNEDIC. Les collectivités locales pourront choisir soit leur régime d'indemnité chômage particulier, auquel elles peuvent adhérer pour les contrats qui ne sont pas des contrats publics, soit l'adhésion à l'UNEDIC puisque nous avons eu un accord écrit des partenaires de l'UNEDIC sur ces emplois-jeunes, qui sont considérés comme des emplois pérennes, et donc intéressants pour l'UNEDIC. Qui peut, en effet, considérer aujourd'hui qu'un emploi de cinq ans n'est pas pérenne ?
Nous sommes donc aujourd'hui, monsieur Marini, dans l'année d'achèvement des contrats de ville. Nous n'avons pas souhaité en modifier le terme, car, encore une fois, nous sommes en train de faire un bilan. Nous pourrons, par la suite, prévoir ce qu'il est nécessaire de faire en ce qui concerne la politique spécifique de la ville.
En ce qui concerne le pacte de relance pour la ville, nombreux sont ceux qui se posent des questions, notamment le Conseil national des villes, le CNV, qui comprend des élus de toutes tendances. Fallait-il « zoner » ? Fallait-il considérer que nous faisions un progrès en classant ces quartiers en difficulté en zones urbaines sensibles, en zones de redynamisation urbaine ou en zones franches ?
Fallait-il ainsi considérer qu'il y avait dans le malheur, dans l'incompréhension et dans la désespérance des catégories, avec pour certains la possibilité de voir arriver des emplois et pour d'autres non ? Voilà les questions qu'avait posées le CNV lorsqu'il avait été consulté par le précédent gouvernement !
Cela dit, ces zones franches existent, et elles ont entraîné des créations d'emplois. A cet égard, le bilan présenté par l'association des maires de villes en zone franche me paraît optimiste.
En tout cas, des emplois ont été créés. Certains sont de véritables créations, et nous nous en réjouissons ; d'autres sont des délocalisations et, de ce point de vue, il aurait peut-être fallu être plus sévère dans la loi.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. C'est prévu dans la loi !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Non, ce n'est pas prévu dans la loi !
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Si, il y a des verrous, il y a des comités...
M. le président. Si vous souhaitez interrompre Mme le ministre, demandez-lui l'autorisation, monsieur le rapporteur spécial.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le rapporteur spécial, alors que nous avions prévu, à Lille, de refuser des délocalisations, le préfet nous a fait savoir que nous n'en avions pas juridiquement la possibilité. C'est vous dire que ce n'est pas prévu ; mais. effectivement, cela aurait dû l'être !
De la même manière, nous aurions pu être plus contraignants pour les critères d'embauche dans les quartiers. Aujourd'hui 20 % seulement des emplois créés doivent revenir à des habitants des quartiers. Si nous y mettons un peu du nôtre, nous pouvons atteindre des pourcentages beaucoup plus importants. A Lille, par exemple, nous atteignons aujourd'hui 70 % des 350 emplois qui ont été créés dans les zones franches.
Faisons un bilan de ce pacte de relance pour la ville qui soit le plus contradictoire possible, avec les élus - je le fais avec le Conseil national des villes - avec les acteurs sur le terrain, et regardons comment nous pouvons l'améliorer.
Vous l'avez dit vous-mêmes, dans ces périmètres, on manque de terrains importants. Aujourd'hui, les entreprises viennent surtout s'installer en bas des immeubles ou dans les petits centres commerciaux. Faut-il revoir aussi cette question et faire en sorte que des entreprises plus importantes puissent venir s'installer dans ces quartiers ? Cela fait certainement partie des propositions qu'il conviendra de faire.
Ce bilan d'ensemble, nous le faisons sur le pacte pour la ville mais aussi sur les contrats de ville. L'administration est en train de réaliser ces bilans avec les préfets, les maires, les élus. Ce bilan sera aussi un bilan contradictoire. J'entends que, durant les premiers mois de l'année prochaine, juste après les élections - en effet, il ne faut pas politiser ce débat - et avant l'été, les élus, les acteurs sur le terrain puissent donner leur avis sur ces dispositifs du pacte pour la ville et des contrats de ville.
Aujourd'hui, les critiques sont vives. Les dispositifs sont complexes, extrêmement bureaucratiques, technocratiques, loin d'entraîner une contractualisation sur des objectifs clairs.
C'est bien sur tout cela que nous sommes en train de réfléchir, notamment dans le cadre de la mission Sueur.
Là aussi, on glose sur la mission Sueur. Mais ne croyez-vous pas, alors que nous allons aborder le XXIe siècle, qu'il est temps de se poser la question de la forme que devront avoir nos villes ?
Nous sommes tous d'accord pour dire que ces villes sont aujourd'hui des villes sans mixité sociale, avec, pour les pires d'entre elles, des quartiers où il n'y a plus qu'une seule fonction : le logement, il n'y a plus d'emplois, ou très peu, peu de services publics, en dehors des écoles, et peu de lieux commerciaux, peu de lieux de loisirs, de culture. Et encore, ceux qui existent sont le fruit de la politique spécifique de la ville !
Nous sommes donc en train de réfléchir non pas seulement aux quartiers zonés, mais bien à la forme que devront prendre nos villes pour être de nouveau de vraies villes, c'est-à-dire des villes où se côtoient des catégories sociales différentes, des villes qui soient esthétiquement correctes, où les services publics puissent être présents, où la République puisse être présente.
Car, dans le fond, nombre de jeunes qui lancent des pierres, quand on leur parle des lois de la République, nous demandent où est la République. Où est-elle, en effet, dans ces quartiers, quand la police n'est pas là ? Et que leur propose la République en matière d'emplois ?
Voilà ce à quoi nous devons répondre ! C'est préférable aux critiques que j'ai entendues ce soir !
Sur les formes que doivent avoir nos villes demain, je partage l'opinion de M. Larcher. Cette réflexion doit dépasser le cadre des quartiers en difficulté.
M. Jean-Pierre Sueur m'a rendu son prérapport vendredi dernier. J'ai eu l'occasion de le lire ce week-end. Ce prérapport comportera, effectivement, des propositions sur la recomposition des villes autour des agglomérations.
Il faut que nous traitions le problème des centres-villes, qui peu à peu se dépeuplent, celui des abords des villes, ces zones périurbaines qui sont aujourd'hui effrayantes de laideur, dans la plupart des cas.
Il faut que nous fassions en sorte que tous les quartiers redeviennent des quartiers de mixité sociale et de mixité de fonctions. Cela pose, bien sûr, des problèmes de logement, mais aussi des problèmes de transports, de présence des services publics.
Voilà à ce quoi nous sommes en train de travailler : quelle forme faut-il donner à nos villes ? Quelle est la taille pertinente pour négocier avec l'Etat et avec les régions ? Quels moyens financiers faut-il y consacrer ? En effet, il faut traiter le problème de la solidarité financière entre les villes, faute de quoi on ne traitera pas la question des quartiers en difficulté.
C'est là la première mission de M. Jean-Pierre Sueur, qui est entouré, bien sûr, d'acteurs du terrain, d'élus, mais aussi d'urbanistes, d'architectes, de sociologues, d'historiens, car c'est à l'avenir de nos villes pour les vingt ans qui viennent que nous devons réfléchir.
Par ailleurs, cette mission devra s'interroger - certains d'entre vous l'ont dit - sur la façon de répondre aux problèmes des quartiers en difficulté à travers l'ensemble des politiques publiques, car les politiques spécifiques de la ville qui ont été exclusivement évoquées ce soir par vos rapporteurs ne sont que résiduelles par rapport à la politique que nous devons mener : c'est bien une politique de logement et de mixité sociale que nous devons recréer, mais aussi une politique de transports publics, une politique de services publics intégrés, une politique d'éducation, d'accès aux soins, tous éléments qui contribuent effectivement à recréer des vraies villes. C'est bien autour de cela que nous devons travailler, et c'est bien ainsi que nous réfléchissons.
Certes, il y aura des politiques spécifiques de la ville, bien évidemment, car tout ne doit pas changer d'un coup. Je suis convaincue, pour ma part, pour l'avoir vécu et tant qu'acteur de terrain et pour le vivre maintenant de l'autre, côté que les contrats de ville tels qu'ils existent aujourd'hui sont beaucoup trop bureaucratiques et technocratiques. Ils ne laissent aucune part aux élus pour définir véritablement une stratégie de développement pour leurs quartiers.
Je considère que nous ne sommes plus à une époque où l'Etat et la région doivent demander à un élu de définir 200 ou 250 actions par quartier de manière extrêmement parcellisée et technocratique. Au demeurant, quel préfet peut dire aujourd'hui quelle est véritablement la stratégie de développement d'un quartier ? Aucun, je crois, et ce n'est pas comme cela que nous travaillons.
Je souhaite donc que l'on fasse davantage confiance aux élus, car ce sont eux qui ont été choisis par les habitants des quartiers, et ce sont eux qui doivent dire, avec lesdits habitants, avec les acteurs de terrain, quelle est la stratégie de développement qui doit être choisie sur chacun des grands axes : développement économique et emploi, urabnisme, logement et environnement, action sociale, action culturelle et sportive, prévention de la délinquance et sécurité. Quelle sont les priorités ? Quels sont les objectifs ? Quels sont les moyens que l'on y met ?
C'est par des moyens globalisés que l'Etat doit aider les agglomérations et les villes à développer leurs quartiers. Si nous devons modifier les contrats de ville, ce n'est pas pour tout mettre en l'air, mais bien pour remettre de la cohérence, de la stratégie, afin de globaliser les crédits et de faire davantage confiance aux élus, qui ont été choisis démocratiquement pour représenter ces villes, mais aussi pour les modifier.
Ainsi, dans mon esprit, si le zonage peut rester pertinent pour quelques actions spécifiques, il ne doit pas être au coeur même de cette contractualisation entre l'Etat, les régions et les villes. Ce qui est important, pour nous, ce n'est pas que les jeunes et les habitants restent dans leur quartier, mais bien qu'ils circulent à travers la ville.
C'est bien pour cela, d'ailleurs, que les emplois-jeunes sont un progrès par rapport aux emplois de ville, car leurs bénéficiaires ne vont pas rester dans leur quartier pour y travailler : ils vont sortir, ils vont pouvoir circuler dans la ville, y être des citoyens à part entière.
J'ajouterai un dernier point : cette politique spécifique - M. Eckenspieller l'a très justement dit - doit entraîner, de la part de l'Etat et des régions, des paiements dans les délais. Nous l'avons vu aussi bien avec la Communauté européenne qu'avec l'Etat ou les régions, nous ne remplissons pas aujourd'hui les engagements que nous avons signés avec beaucoup d'acteurs, que ce soient des élus ou des associations.
Nous sommes ainsi responsables de beaucoup de désagréments et de désespérance quand, par exemple, les crédits ne sont versés qu'en fin d'année et non avant l'été et que, de ce fait, une association n'a pas pu envoyer des enfants en vacances. Je pourrais d'ailleurs multiplier les exemples, vous les avez vous-mêmes en tête.
Nous devrons, dans ce domaine, faire ce que nous avons fait pour les emplois-jeunes, c'est-à-dire nous montrer capables de payer à temps, et je dirai même avant, avec des contrats pluri-annuels, des objectifs, une évaluation, puis une sanction si cette évaluation n'aboutit pas aux résultats escomptés.
Voilà la réflexion que nous menons avec Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas une « petite réflexion d'attente », mais bien une réflexion profonde, au coeur de la politique de la ville.
Voilà pourquoi je souhaite que, sur ces sujets, nous ne nous opposions pas, et voilà pourquoi j'ai évité de dire ce que je pense fortement d'un certain nombre de dispositifs antérieurs que vous avez - ou que nous avons - mis en place. Je pense, en effet, qu'il ne faut pas déstabiliser ces quartiers, que les associations et les acteurs de terrain ont besoin de continuité, et je crois que ce serait une erreur majeure aujourd'hui que nous opposer en la matière, sauf si nous souhaitons que l'extrêmisme progresse encore, dans et autour de ces quartiers.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Pour le moment, vous lui rendez bien service, avec le texte qui vient d'être voté à l'Assemblée nationale !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous en reparlerons, si vous le voulez bien, monsieur le rapporteur spécial, mais ce n'est pas notre sujet aujourd'hui !
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. C'est pourtant vrai !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Allons ! monsieur Marini, c'est faux ! Et, en plus, c'est bête !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. En matière de sécurité, en matière de politique du logement et en matière de prévention de la délinquance, nous n'attendons évidemment pas la fin des contrats de ville pour agir, pas plus d'ailleurs que, dans l'insertion par l'économique, nous n'attendons le développement dans les quartiers des contrats emploi-solidarité ou des emplois-jeunes.
La prévention de la délinquance en est un exemple : lors du colloque de Villepinte, le Premier ministre a pris plusieurs engagements à effet immédiat et le conseil de sécurité intérieure a été installé le 19 novembre dernier. J'y participe auprès du ministre de l'intérieur et du garde des sceaux, et nous avons pu prendre d'ores et déjà un certain nombre de mesures.
Une mission vient par ailleurs d'être confiée à deux députés sur la délinquance des mineurs, et mon ministère va travailler en étroite collaboration avec ces députés.
Nous venons aussi de relancer les contrats locaux de sécurité avec les ministres de l'intérieur, de la justice, de la défense et de l'éducation nationale.
J'ajoute - mais vous le savez bien, car vous êtes des élus et des maires - que de nombreux personnels de police sont aujourd'hui redéployés dans ces quartiers et que les adjoints de sécurité vont y accomplir des tâches de police de proximité. C'est ainsi que nous utilisons, à cet égard, les emplois-jeunes.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais dire pour répondre aux critiques sur la politique de la ville.
Je pense qu'au moins sur ce sujet nous aurions pu éviter ces oppositions. En effet, nous avons tous intérêt à le traiter avec modération, après un bilan le plus ouvert possible.
Je suis moi-même allée devant le Conseil national des villes, auquel j'ai présenté mon programme d'action. Les élus, dans leur ensemble, toutes tendances confondues, ont considéré que c'était là ce qu'attendait le Conseil national et que c'était conforme au rapport qu'ils avaient réalisé en mai dernier.
Cette politique mérite beaucoup mieux que des critiques hâtives. Elle mérite une très grande détermination pour non seulement les deux ou trois années qui viennent, mais également pour les dix ans à venir. Les habitants de ces quartiers, qui sont actuellement tentés par la désespérance, et parfois même par la violence la plus dure, méritent bien une telle attention et un tel climat. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis.
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, pardonnez-moi de penser que nous n'avons pas eu recours à la diatribe, mais plutôt au débat parlementaire dans ce qu'il représente compte tenu de nos diversités d'approche.
Je constate que nous avons un certain nombre de points communs, que M. Daniel Eckenspieller a parfaitement relevés : nous avons la République en commun, et un certain nombre de valeurs qui nous rassemblent autour de principes qui font que l'Etat de droit - un état respectueux des citoyens et des autres - existe, qu'il est notre priorité et que, dans la République, il n'y a pas de zone où le droit serait différent, où le concept du rapport avec les citoyens serait différent.
Nous avons évoqué, en début de soirée, le droit à la santé, et l'accès de tous à des soins de qualité, mais je pense aussi au droit de tous les citoyens, quel que soient leur âge, leur niveau social, à la sécurité et à la tranquillité, que nous réaffirmons les uns et les autres comme un droit fondamental de la République.
Je me réjouis que la République nous rassemble autour de ces valeurs, et lorsque avec Jean-Pierre Fourcade nous avons ensemble préparé le pacte de relance pour la ville, la République et ses valeurs étaient au coeur de nos préoccupations.
Par ailleurs, madame la ministre, vous avez retenu l'agglomération comme un élément pertinent. Depuis longtemps, nous travaillons sur le sujet. La loi du 4 février 1995 portant aménagement et développement du territoire a défini le pays - nous l'évoquions pour la santé - et l'agglomération comme un lieu pertinent d'aménagement et d'équilibre du territoire, notamment urbain.
Vous avez parlé de la lutte contre la bureaucratie. Combien nous partageons cette préoccupation et combien l'an dernier, avec Jean-Pierre Fourcade, nous avons tenté de lutter contre ce fléau !
Permettez-moi de vous en soumettre tout de suite un exemple, avec les emplois-jeunes dans mon département des Yvelines. Je participe, en tant que président de l'union des maires, au comité de mise en place de ces emplois parce que - moi aussi - comme vous, madame la ministre, j'applique les lois de la République, que je les aie votées ou non. Eh bien, sachez que le recrutement d'un emploi-jeunes, à Rambouillet, représente douze exemplaires à remplir, puis cinq projets à rédiger ! Sachant que douze et cinq également dix-sept et qu'il faut multiplier ce nombre par 350 000 emplois, cela fait 5 450 000 formulaires à remplir !
La bureaucratie est partout, reprenant des forces au côté des ministres et des parlementaires. Pardonnez-moi, madame la ministre, d'illustrer mon propos par des faits concrèts observés voilà dix jours, mais sachez que le sous-préfet de Rambouillet, charmant au demeurant, était sidéré. Franchement, au lieu de remplir douze exemplaires, il devrait être possible de photocopier ce type de dossier dans les services ! Je vous en supplie : là aussi, luttez contre la bureaucratie !
Quant au pacte de relance pour la ville, assouplissons-le, mais laissons-le vivre et ne lui faisons pas un demi-procès en allusion !
Je regrette que vous ne reteniez pas la suggestion de la commission des affaires économiques et du Plan pour faire coïncider les échéances. Quelles difficultés, pour un élu, de gérer un contrat de ville, un contrat de plan et un contrat européen ! Je vous jure qu'il doit faire preuve d'un grand esprit de compréhension, sans parler des problèmes de lisibilité pour les citoyens vis-à-vis de l'action de l'Europe, de l'Etat, de la collectivité locale et des collectivités territoriales associées !
Pour construire une Europe de solidarité, il faut aussi que les citoyens comprennent clairement que la nation, l'Etat et l'Europe travaillent ensemble sur un même sujet et que l'on évite une addition des strates. Réfléchisson-y réellement !
Quant au zonage, pardonnez-moi, mais c'est un mal nécessaire, en tout cas un mal que l'on nous a exposé comme nécessaire pour prendre des mesures ficales d'exonération dans les zones de redynamisation urbaine, les ZRU, et dans les zones franches urbaines, les ZFU. Aujourd'hui, le Conseil d'Etat, consulté, ne nous a pas proposé d'autre solution ! Cela étant, madame la ministre, si on nous suggère une autre solution, nous sommes preneurs ! Nous avions même rédigé avec Jean-Pierre Fourcade une proposition allant dans ce sens. Mais on nous a renvoyés à nos études au nom de Bruxelles et du Conseil d'Etat !
Enfin, sur le conseil de sécurité, permettez-moi d'exprimer un peu plus haut mes convictions.
Je crois qu'il faut que la République comprenne qu'elle a des ennemis, et que ces ennemis sont les intégrismes, d'où qu'ils viennent. Or, l'intégrisme, c'est une conception dans laquelle, sur le fondement de pensées religieuses ou philosophiques qui sont par ailleurs respectables, on ne reconnaît pas la primauté des lois de la République.
Il nous faut, sur ce sujet, être sans faiblesse. Je crois que la République - je le dis parce que j'ai des convictions philosophiques et religieuses personnelles - ne sera forte que si elle sait imposer à certains moments ses valeurs sur toute autre valeur ; il est des valeurs inacceptables, et ces valeurs inacceptables ne doivent pas être acceptées par la République.
Je crois à la laïcité républicaine, creuset d'intégration. Je crois que la République est une chance, à condition que nous sachions la valoriser, y croire ensemble dans nos diversités.
C'est en tout cas, madame la ministre, au-delà de nos diatribes, ce qui nous rassemble. Mais permettez à la majorité sénatoriale d'avoir sur le sujet, parce qu'elle y a beaucoup travaillé, y compris avec la minorité sénatoriale - je me tourne vers M. Fischer - parce qu'elle ne croit pas que la discrimination positive...
M. le président. Il vous faut conclure, monsieur Larcher !
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. Pardonnez-moi, monsieur le président, j'abuse, mais je suis de plus en plus en forme dès que le matin arrive ! (Sourires.)
M. le président. Mais cela ne change pas le règlement !
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. Quoi qu'il en soit, la discrimination positive, pour nous, ce n'était pas montrer du doigt, mais donner une chance à ces quartiers. Telle était notre préoccupation, tel reste notre objectif, et nous le partageons, je crois. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Je voudrais tout d'abord faire une remarque sur les zones franches urbaines et sur les effets d'aubaine, sujets qui avaient bien sûr beaucoup retenu notre attention dans le cadre de la commission spéciale que présidait M. Jean-Pierre Fourcade.
Je retrouve dans le rapport de cette commission et dans le commentaire des articles du projet de loi des éléments dont j'avais gardé la mémoire un peu confuse, en particulier ceci : « Les aides aux entreprises existantes - quand on parle d'effet d'aubaine, il s'agit bien de viser des entreprises existantes qui chercheraient à se délocaliser - en matière de fiscalité locale, d'exonération de charges patronales et de sécurité sociale ont été limitées aux entreprises de moins de cinquante salariés exerçant leur activité à titre prépondérant sur le marché local ». Cela résultait aussi, je crois, de la négociation avec la Commission de l'Union européenne.
En outre, il existe une autre disposition spécifique qui, elle, concerne les exonérations des cotisations patronales de sécurité sociale et qui ne vaut que pour les entreprises installées ou s'installant sur le périmètre des zones franches urbaines dans la limite de cinquante salariés équivalent temps plein. En cas d'embauches nouvelles d'au moins cinq salariés, la mesure est subordonnée à l'embauche d'au moins un salarié pour les résidents du quartier concerné, ce que l'on sait et ce qui constitue une autre limitation que nous avions voulue, en particulier dans le cadre de la commission spéciale, et qui est rappelée dans les documents tout à fait clairs et excellents de la DIV.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Pas dans la loi !
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. La loi énonce des objectifs, puis elle précise : « Il est institué dans chaque zone franche urbaine un comité d'orientation et de surveillance chargé d'évaluer les conditions de mise en oeuvre des mesures dérogatoires prévues au profit de ces zones au regard des objectifs définis par l'article 1er. A cette fin, le comité d'orientation et de surveillance examine les effets. »
Alors, peut-être le préfet du Nord est-il insuffisamment volontariste dans l'interprétation de la loi !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Il applique la loi !
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Je pense qu'il en fait une application a minima, madame le ministre.
Je ne prétends pas détenir la vérité sur ce point, mais compte tenu du souci que nous avions exprimé à l'époque pour éviter les délocalisations issues de simples effets d'aubaine, il me semble que l'on doit pouvoir trouver, dans le texte de la loi et dans les travaux des comités d'orientation et de surveillance, un bon support pour poursuivre les entreprises qui chasseraient des primes en s'efforçant de s'implanter dans les zones franches urbaines. Le dispositif n'est absolument pas conçu pour cela et les situations critiquables qui apparaîtraient constitueraient de véritables abus de droit qu'il doit être possible, en termes de législation sur les charges sociales comme en termes de législation fiscale, de sanctionner. Il existe, en la matière, une législation, une réglementation et une jurisprudence !
Madame le ministre, je voudrais simplement, au moment où nous allons aborder le vote des crédits figurant aux titres III, IV, V et VI, préciser la position de la commission des finances car, la politique de la ville ne correspondant plus à un ministère, ne correspondant plus à un « bleu » budgétaire, les crédits de la ville dont nous venons de parler sont rattachés à ceux de la santé et de la solidarité.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. L'année dernière aussi !
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Je vais donc, madame le ministre, aller au devant de vos désirs et recommander un vote positif sur ces différents crédits, cela en fonction des décisions que nous avons déjà prises tout à l'heure sur le rapport de notre collègue Jacques Oudin puisque les réductions de crédits conformes à notre vision des choses en matière budgétaire, auxquelles il a déjà été procédé au titre de la santé et de la solidarité, tiennent compte des masses budgétaires de la politique de la ville.
Nous avons déjà voté les amendements, le vote sur les titres a été réservé et il va maintenant être procédé à leurs mises aux voix : compte tenu des amendements qui ont été adoptés, mes chers collègues, la commission des finances vous invite à émettre un vote positif.
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant la santé, la solidarité et la ville.
Je vous rappelle que le Sénat a déjà examiné aujourd'hui même les crédits affectés à la santé et à la solidarité inscrits à la ligne « Santé, solidarité et ville ».

ÉTAT B

M. le président. « Titre III, moins 33 075 171 francs. »