M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'emploi et la solidarité : I. - Emploi.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Philippe Marini, en remplacement de M. Emmanuel Hamel, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je vais donc, au nom de la commission des finances et en remplacement de notre collègue M. Emmanuel Hamel, présenter ce projet de budget de l'emploi et formuler quelques interrogations.
Je dirai tout d'abord quelques mots du contexte de ce projet de budget pour l'emploi. Les dernières statistiques sont tombées voilà quelques jours, madame le ministre. Le taux de chômage s'établit, dans notre pays, à 12,5 % et la tendance, si elle semble s'améliorer pour les plus jeunes, devient de plus en plus préoccupante pour certaines catégories de chômeurs, notamment pour les plus âgés ou pour ceux qui sont le plus longtemps dans cette situation.
Par ailleurs, nous savons, pour élargir un peu la perspective, que de 1973 à 1996, c'est-à-dire sur un peu plus de vingt ans, notre économie a compté 4 millions d'actifs supplémentaires alors que 900 000 emplois seulement ont été créés. Nous connaissons durablement des inadaptations structurelles de notre marché du travail et tous les gouvernements sont aux prises avec cette réalité.
Pour 1998, le projet de loi de finances a été établi à partir d'un certain nombre d'hypothèses économiques, notamment une croissance de 3 % du produit intérieur brut, croissance que l'on espère plus riche en emplois. Par ailleurs, nous connaissons les options de l'actuel gouvernement, qui se traduisent par le dispositif des emplois-jeunes, dont il a été longuement question dans cette Assemblée, et par un freinage des allègements sur les bas salaires. C'est donc dans ce contexte, madame le ministre, que nous examinons vos crédits.
Tout d'abord, les crédits consacrés au service public de l'emploi s'élèvent à 13,5 milliards de francs et représentent moins de 10 % du total de votre budget. Leur progression paraît raisonnable. La subvention de fonctionnement concernant l'ANPE est stable. Dans le cadre de cette stabilité, et en veillant à améliorer sa gestion et le bon usage des deniers publics, l'ANPE va devoir faire face à des missions sans cesse plus complexes.
Sur le fond des choses, je voudrais m'attarder sur un certain nombre de rubriques : la formation et l'adaptation des salariés, l'aide au départ et l'indemnisation, les publics prioritaires, soit les jeunes et les différentes catégories de demandeurs d'emplois, enfin, l'allègement du coût du travail.
J'examinerai d'abord la formation et l'adaptation des salariés. En ce domaine, notre système franco-français paraît bien complexe. Depuis 1983, la formation est décentralisée mais l'Etat continue d'intervenir, pour près de 2 milliards de francs.
Cela me conduit à poser quelques questions.
Tout d'abord, en ce qui concerne la politique contractuelle avec les entreprises, madame le ministre, quel bilan peut-on faire, quel avenir envisagez-vous pour cette politique contractuelle et quelle articulation imaginez-vous avec les négociations qu'entreprendront, aux divers échelons, les partenaires sociaux ?
M. Guy Fischer. Demandez à M. Seillière !
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Par ailleurs, s'agissant de l'articulation des compétences entre l'Etat et les régions, domaine bien complexe et bien confus pour les demandeurs d'emplois et pour les usagers du système de formation, quelles appréciations portez-vous et quelles sont vos options en vue de clarifier un tel domaine ?
En ce qui concerne la formation et la conversion, j'observe une progression significative. En effet, les crédits s'établissent globalement à 5 milliards de francs, soit une augmentation de 6,5 %.
Là aussi, je souhaite poser des questions.
Tout d'abord, pour ce qui est des conventions de conversion dont le coût budgétaire s'alourdirait de plus de 11 %, et comme je n'ai pas très bien compris, je souhaiterais savoir quelles sont les prévisions, notamment en matière de licenciements économiques, qui sous-tendent une telle évaluation.
La loi de Robien, dont le coût budgétaire s'établirait à 2,1 milliards de francs en 1998, semble avoir eu des effets très positifs sur l'emploi et sur la négociation sociale dans de nombreuses entreprises. Comment voyez-vous la coexistence entre ce mécanisme et le dispositif légal qui est en cours de finalisation et qui vise à réduire autoritairement le temps de travail dans de nombreuses entreprises, celles dont les effectifs se situeraient au-delà d'un certain seuil ? A l'égard de ce dernier, quelques différences se sont d'ailleurs exprimées au sein de votre majorité plurielle.
Quittant la formation et l'adaptation des salariés pour aborder l'aide au départ et l'indemnisation, je voudrais tout d'abord évoquer les préretraites. Bien que diminuant de plus de 15 %, cette rubrique n'en représente pas moins 11,4 milliards de francs. La comparaison de ce chiffre avec l'exécution de 1997, qui a fait apparaître une annulation de plus de 1 milliard de francs, me conduit à vous demander quelles sont les hypothèses économiques qui sous-tendent le chiffre que vous avez retenu et quelle relation vous faites entre ce budget et la réforme de 1994 en ce domaine.
S'agissant des dépenses d'indemnisation, je relève que la retraite à soixante ans continue de coûter à l'Etat des sommes importantes : plus de 700 millions de francs en 1998. Je relève aussi que les ressources affectées au Fonds de solidarité représentent plus 8 milliards de francs, soit une augmentation de 7 %. Sur ces deux sujets, je souhaiterais que vous nous apportiez, sinon immédiatement, du moins au cours du débat, quelques éléments globaux concernant le coût pour l'Etat de l'abaissement de l'âge de la retraite à soixante ans et quelques précisions sur la revalorisation annoncée de l'allocation de solidarité spécifique.
Je passe à présent aux publics prioritaires, c'est-à-dire à l'aspect le plus important de votre budget puisqu'il mobilise près de 70 milliards de francs sur 155 milliards de francs au total. Au premier rang de ces publics prioritaires se trouvent, bien sûr, les jeunes, auxquels seraient consacrés 25,6 milliards de francs.
La première question concerne la formation décentralisée, qui apparaît pour un montant de 4,4 milliards de francs. A-t-on une idée précise de la manière dont s'articulent les compétences avec les régions et quelles sont vos options en ce domaine ?
S'agissant de la formation en alternance, les chiffres dont je dispose montrent une diminution de 30 000 entrées en contrat de qualification, ce qui, pour moi, est un signe négatif, et une augmentation de 20 000 entrées en apprentissage, ce qui traduit les effets positifs de la loi que nous avons votée en 1996.
Toutefois, se pose le problème de la ponction de 500 millions de francs effectuée sur les fonds consacrés à la formation en alternance, qui vient après un prélèvement de 1,4 milliard de francs en 1997. Où en est la situation financière de ces fonds mutualisés au sein de l'Association de gestion du fonds des formations en alternance, l'AGEFAL ?
J'évoquerai brièvement les emplois-jeunes pour rappeler les inquiétudes qu'ils nous inspirent, inquiétudes liées à la compétition avec de vrais emplois de fonctionnaire, d'une part, avec de vrais emplois dans les entreprises, d'autre part.
Les hypothèses sur lesquelles travaillent les préfets me semblent très volontaristes, et l'on aura sans doute bien de la peine à situer des activités émergentes sur des métiers nouveaux pour atteindre les objectifs quantifiés qui semblent être assignés aux préfets en vue de la mise en oeuvre de la loi.
Passant des jeunes aux demandeurs d'emploi, je signale que l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, voit ses crédits simplement maintenus en francs courants.
Quelle est, madame le ministre, votre opinion en ce qui concerne l'évolution du statut de l'AFPA. Cette dernière doit-elle rester une association ? N'est-il pas préférable de la transformer en établissement public ? Dans cette hypothèse, quelles seraient les options retenues pour le statut de ses personnels ?
Les crédits de l'allocation formation-reclassement augmentent de 10 %. L'Etat doit-il continuer à financer 40 % d'un tel dispositif, alors que l'UNEDIC dégage des excédents financiers ? Se pose aussi le problème de l'efficacité, voire de l'utilité, du dispositif en termes de reclassement et d'insertion professionnels, comme il se pose pour les stages pour chômeurs de longue durée, dont la note augmente de 17 % à 3,8 milliards de francs.
Enfin, j'aurais souhaité également obtenir quelques précisions sur les contrats initiative-emploi, toujours au regard de l'insertion professionnelle réelle.
Je termine, madame le ministre, en évoquant l'allégement des coûts du travail.
Cet allégement des coûts du travail se situe pour l'essentiel, budgétairement parlant, au budget des charges communes. Ce n'est pas très normal, car il s'agit bien de mesures relevant de la politique de l'emploi. Il serait donc souhaitable que ces mesures soient restituées à votre budget et que les changements de base nécessaires soient opérées.
Le solde de plusieurs mesures complexes se traduit par une diminution de près de 4 milliards de francs du poste : « Allégement des coûts du travail ». Je relève notamment - cela me paraît essentiel - l'inscription, au sein du budget des charges communes, d'une provision pour le passage aux trente-cinq heures, provision illisible à la lecture des documents budgétaires, non signalée dans la masse de la progression des crédits et reposant sur des hypothèses de calcul implicites.
Nous avons tâché de reconstituer ces hypothèses, mais j'aurai souhaité que vous puissiez nous donner des éléments plus autorisés et plus clairs à ce sujet.
J'observe aussi que l'abaissement du plafond des salaires concernés par la ristourne - il passe de 1,33 à 1,3 SMIC - se traduit par une économie d'un peu plus de 2 milliards de francs.
Du point de vue de la commission des finances, madame le ministre, ces choix sont très contestables. En effet, nous voyons, d'une part, se ralentir l'effort d'allégement des charges sociales sur les bas salaires et, d'autre part, apparaître, avant même que la loi sur les trente-cinq heures ne soit votée par le Parlement, une provision qui ne nous paraît pas reposer sur des éléments chiffrés bien précis et qui, selon nos calculs, concernerait 700 000 salariés sur une demi-année.
Sur le plan des principes, l'annonce d'un texte coercitif en ce domaine, alors que les entreprises ont besoin de développer leur esprit d'initiative et de responsabilité pour faire face à la compétition internationale, nous paraît de nature à renforcer l'attentisme des nombreux décideurs en matière d'emploi et nous semble, vous le savez, aller à rebours de ce qu'il faudrait faire.
Au total, madame le ministre, votre budget, qui reflète l'une des priorités essentielles de l'Etat, est un budget fort complexe, touffu et qui appelle des questions multiples. En ce qui concerne tant les emplois-jeunes que l'aide à l'insertion dans les entreprises ou l'allégement du coût du travail pour les emplois pas ou peu qualifiés, il reflète des priorités que nous ne partageons pas.
Tel est l'essentiel du message que je souhaitais, à ce stade, transmettre à notre Haute Assemblée, à la suite des travaux de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Souvet, rapporteur pour avis.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour le travail et l'emploi. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, il est bien difficile de succéder à M. le rapporteur spécial de la commission des finances, à qui rien n'a échappé, sans courir le risque de redites !
Vous connaissez, mes chers collègues, le contexte dans lequel s'inscrit le projet de loi de finances pour 1998.
A la fin du mois d'octobre, malgré une diminution du nombre des chômeurs de 0,1 %, le taux de chômage reste à 12,5 % de la population active, inchangé depuis plusieurs mois. Les chômeurs de longue durée représentent 36,4 % des demandeurs d'emploi et le taux de chômage des jeunes actifs est de 24,7 %.
Le nombre des demandeurs d'emploi est aujourd'hui de 3 123 600 pour la catégorie 1 et de 3 562 400 si l'on y ajoute ceux qui ont travaillé plus de soixante-dix-huit heures dans le mois.
Ces mauvais chiffres ne sont pas sans incidence sur l'équilibre financier de l'UNEDIC, qui aura du mal à assurer le financement de l'allocation de remplacement pour l'emploi, dont le succès est certain, des conventions de coopération ou encore de l'allocation aux chômeurs âgés.
L'emploi salarié a cependant augmenté de 98 900 en un an, en progression de 0,7 %, et s'établit désormais à 13 396 200. Sur douze mois, le secteur industriel a perdu 42 000 emplois et la construction 27 600, tandis que le tertiaire progressait de 168 700. Mais cette hausse n'est évidemment pas suffisante pour combler les pertes de l'industrie et de la construction, ni pour absorber l'excédent naturel de population, de l'ordre de 150 000 personnes par an en moyenne.
Il faut aussi savoir que les entrées dans les dispositifs « emploi » n'ont cessé de diminuer, et l'on constate, en outre, une remontée des retours sur le marché du travail, en raison de l'amélioration perceptible de la conjoncture.
Je ne veux pas rester sur un constat complètement pessimiste ; il y a en effet de nombreux signes de reprise de l'activité et d'amélioration de la situation du marché du travail. Les prévisions tablent sur une croissance de l'emploi qui oscillerait entre 135 000 et 180 000 personnes, cette année, et 210 000 ou 220 000 l'année prochaine. Quant au chômage, il progresserait de 130 000 cette année, mais diminuerait de 50 000 l'année prochaine.
L'amélioration du marché du travail est favorisée par deux dispositifs : l'allégement des charges sociales sur les bas salaires et le développement du travail à temps partiel, qui concerne désormais 16,6 % des actifs. Il y a aussi le recours à une plus grande flexibilité.
Or, ce sont ces dispositifs favorables à l'emploi que vous allez, selon nous, déstabiliser, madame la ministre, avec les trente-cinq heures et les emplois-jeunes, alors même que la croissance et l'emploi restent très fragiles. Je rappelle que, déjà, certains instituts de conjoncture révisent leurs prévisions à la baisse, à la suite de la crise financière en Asie.
J'évoquerai d'abord les trente-cinq heures.
Nous ne pouvons être suspectés d'opposition à la réduction et au partage du travail puisque nous avons voté la loi de Robien. Mais le dispositif de Robien suppose une négociation et il n'a aucun caractère obligatoire. Il est purement incitatif, « pédagogique », avait dit M. Fourcade ; il a d'ailleurs facilité la modernisation et la réorganisation de l'outil de travail et favorisé la relance du dialogue social.
Tout autre est le dispositif que vous proposez, madame la ministre. En effet, il s'agit d'un abaissement « autoritaire » à trente-cinq heures, qui plus est sans perte de salaire. Certes, une loi proposera un dispositif incitatif avec un abattement de charges sociales en contrepartie d'une réduction négociée du temps de travail et d'embauches compensatrices, mais elle redéfinira le travail à temps partiel et encadrera plus strictement les heures supplémentaires. Les entreprises subiront donc une très forte pression pour s'engager dans cette voie.
Certaines d'entre elles pourront sans doute négocier, si elles font vite, des aménagements du temps de travail. Mais les autres, celles qui n'auront pas voulu ou pas pu le faire, se retrouveront dans une situation difficile. Un groupement patronal a même calculé que le surcoût horaire serait de 11,4 % ou l'équivalent de cinq semaines de congé.
Et je ne parle pas des conséquences indirectes, par exemple dans le cadre du chômage partiel, qui sera de facto plus restrictif ! M. le rapporteur spécial a d'ailleurs souligné ce point à l'instant. En effet de nombreuses entreprises ne travaillent que vingt-huit à trente heures par semaine, dans l'automobile par exemple. Si l'aide au chômage partiel devait disparaître, la seule variable d'ajustement resterait les effectifs. On assisterait alors à de nombreux licenciements secs.
Le dispositif crée, en outre, chez les chefs d'entreprise un climat d'incertitude et d'inquiétude qui aura des conséquences néfastes en termes d'embauche et même d'investissement. Déjà, l'annonce gouvernementale a entraîné un raidissement compréhensible - je n'ai pas dit « excusable » - du patronat, dont la conséquence est le blocage des négociations en cours.
Enfin, les trente-cinq heures isolent la France au sein de l'Europe puisque nos partenaires n'entendent nullement conduire une politique de l'emploi sur de telles bases.
Il s'agit donc d'un pari risqué, qui fragilisera un peu plus l'économie, et d'un pari coûteux pour l'Etat : 3 milliards de francs, avec un effet sur l'emploi dont plusieurs membres du Gouvernement reconnaissent eux-mêmes qu'il sera quasiment nul.
Mais ce n'est pas tout. Aux charges nouvelles imposées aux entreprises par les trente-cinq heures va s'ajouter une augmentation des prélèvements obligatoires sur l'ensemble des acteurs économiques, au titre des emplois-jeunes, cette fois.
L'idée de favoriser des activités nouvelles n'était pas mauvaise, dès lors que ces activités avaient vocation, pour leur plus grande part, à être pérennisées dans le secteur privé et marchand. Mais le système a été détourné de son but puisque les emplois-jeunes servent à engager des fonctionnaires sous-payés qu'il faudra intégrer à un moment ou à un autre.
C'est exactement ce que l'on trouve dans le budget. On constate en effet que, sur les 150 000 emplois-jeunes prévus pour la fin de l'année 1998, 40 000 relèvent directement de l'éducation nationale et 8 250 de l'intérieur, soit au total 48 250 emplois de fonctionnaires.
Or ces emplois seront financés, pour 20 %, sur les heures supplémentaires des enseignants et sur des crédits s'élevant à 117 millions et inscrits au titre III du budget de l'intérieur, et, pour 80 %, sur les 8 milliards de francs inscrits au budget de l'emploi. Il s'agit en effet de crédits à répartir.
A 92 000 francs par emploi, les 40 000 « emplois Allègre » coûtent, sur un an, au budget de l'emploi 3,68 milliards de francs et les 8 250 « emplois Chevènement », sur six mois, 379 millions de francs. Au total, ces emplois consomment 4,059 milliards de francs, soit plus de la moitié des 8 milliards de francs inscrits au budget de l'emploi. C'est dire qu'il reste assez peu pour les 100 000 emplois-jeunes « classiques ». Les crédits des emplois-jeunes servent donc, en grande partie, à financer des emplois relevant de la fonction publique d'Etat, avec in fine une augmentation des prélèvements obligatoires.
Mais l'effet néfaste du financement de ces mesures phares se fait déjà sentir. Pour éviter une trop forte augmentation du budget, le Gouvernement a dû procéder à des redéploiements, ce qui est en soi une bonne initiative.
Malheureusement, ces redéploiements portent principalement sur deux dispositifs que la commission juge essentiels : l'allégement des charges sociales sur les bas salaires et la formation en alternance.
Je n'aborderai ici que les actions relevant strictement du domaine de l'emploi, laissant à Jean Madelain le soin de développer ce qui relève de la formation professionnelle.
L'allégement des charges sociales constitue une mesure essentielle si l'on veut que la croissance se traduise rapidement en emplois. Or l'article 65 du projet de loi de finances, qui pérennise le dispositif de ristourne dégressive fusionnée avec l'abattement famille, abaisse le seuil d'exonération des bas salaires de 1,33 SMIC à 1,30 SMIC. Avec les mesures réglementaires qui l'accompagnent - l'exonération ne sera plus revalorisée avec le SMIC - l'économie sera de 2,5 milliards de francs ; autrement dit, les entreprises auront à assumer une charge supplémentaire du même montant.
Il en va de même pour le temps partiel. Je rappelle que le travail à temps partiel ouvre droit, pour l'employeur, sous certaines conditions, à un allégement de 30 % des charges sociales. S'y ajoute la ristourne dégressive pour les salaires inférieurs à 1,33 SMIC. C'est cette dernière disposition, très favorable au temps partiel parce qu'elle n'est pas proratisée au nombre d'heures de travail, qui est aujourd'hui remise en cause par le même article 65. Ce dispositif avait été adopté afin de simplifier le mode de calcul de l'exonération, notamment en cas d'annualisation du temps partiel et, naturellement, afin de le favoriser. L'allégement sera donc « reproratisé », si je peux me permettre ce néologisme !
Le Gouvernement en attend 4 milliards de francs d'économies. J'admets que ces fortes incitations au travail à temps partiel ne sont pas exemptes d'effets d'aubaine. Mais alourdir les charges des entreprises de 4 milliards de francs ne me paraît pas opportun dans la conjoncture actuelle.
Au total, ce sont 6,5 milliards de francs d'exonération de charges sociales qui sont ainsi supprimés, dont 4 milliards de francs vont servir à financer les emplois de fonctionnaires « Allègre et Chevènement ». En raccourci, on peut affirmer que ce sont les entreprises qui financent les emplois dans l'éducation nationale et la police.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Très bien !
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Une quarantaine de milliards de francs sont inscrits au budget, au lieu des 47 milliards de francs qui auraient été nécessaires à législation inchangée.
J'en viens rapidement à deux autres mesures, plus limitées, mais dont les incidences négatives en termes d'emploi ne doivent pas être sous-estimées. Il s'agit de l'abaissement du plafond de la réduction d'impôt au titre des emplois familiaux et de la suppression de l'exonération de charges sociales en faveur des travailleurs indépendants créant ou reprenant une entreprise.
Sur le premier point, je me limiterai à donner quelques chiffres : l'allégement du coût du travail domestique, grâce à la réduction d'impôt à partir de 1992, a permis de créer en moyenne 57 700 emplois nouveaux par an. Depuis 1996, les emplois de gré à gré classiques ont augmenté de 85 % et le nombre d'employeurs de 294 %. D'après l'institut Rexecode, la baisse de 50 % du coût du travail domestique a entraîné une augmentation de l'emploi de 65 %. Et l'institut de conclure que la réduction de l'aide fiscale aura un effet destructeur « massif ». Que dire de plus, sinon que le Sénat a bien agi en rétablissant la réduction d'impôt comme elle était.
Quant à la suppression de l'aide à la création d'activité par les travailleurs indépendants, soit un montant de 400 millions de francs, qui est justifiée par les effets d'aubaine et les abus auxquels elle donnerait lieu, elle laisse perplexe, au moment où l'on dépense 8 milliards de francs pour créer des activités nouvelles en faveur des jeunes.
Pour justifier les économies permettant de financer les emplois-jeunes, le Gouvernement invoque aussi un effort de rationalisation. Pourquoi pas ? Le précédent gouvernement l'avait déjà fait l'année dernière. Encore faut-il s'entendre sur ce que signifie rationaliser : il ne faut pas que cela se traduise par un désengagement, que nous estimons malvenu. Je bornerai mon propos à deux observations, renvoyant pour le reste au rapport écrit.
La première est qu'une fois encore, madame le ministre, vous privilégiez l'insertion dans le secteur non marchand, au détriment du secteur marchand, puisque vous ne touchez pas aux CES, mais vous diminuez de façon importante les CIE. Pour la commission, l'effort de rationalisation ne va pas dans le bons sens.
La seconde observation est inspirée par les mesures que nous estimons antiéconomiques - les trente-cinq heures et les emplois-jeunes - que vous mettez en oeuvre : si l'effet négatif de ces mesures se manifeste très rapidement, ce que nous craignons, vous ne disposerez pas, madame le ministre, des moyens de combattre l'augmentation du chômage.
D'une façon générale, le budget, hors mesures prioritaires, s'inscrit dans une certaine continuité. C'est vrai de la participation de l'Etat au financement du retrait d'activité et encore plus de la prévention et de l'accompagnement de restructuration. On remarque une importante montée en charge de la loi de Robien, à laquelle sont consacrés 2 138 millions, preuve qu'une incitation non coercitive peut être efficace.
Continuité également pour la gestion de la politique de l'emploi, dont les moyens diminuent de 0,7 %. Au sein de cet agrégat, les évolutions sont très contrastées : je mentionnerai seulement la création de deux cent vingt-cinq emplois, dont cent quatre-vingt-cinq liés à la régulation des coordonnateurs emploi-formation et quinze inspecteurs du travail. L'ANPE voit son budget de fontionnement reconduit et ses crédits d'investissement diminués de 50 %. Le deuxième contrat de progrès, qui s'achève en 1998, a permis de nombreuses réformes, et une bonne partie des objectifs - pas tous, hélas ! - ont été atteints. Le transfert des inscriptions à l'UNEDIC a aussi favorisé une amélioration de l'activité de placement et de recherche d'offres. Il semblerait cependant que l'agence arrive au bout de ses possibilités, faute de moyens supplémentaires. Il faudra sûrement réfléchir au rôle futur de l'ANPE dans un marché du travail plus fluide.
Vous aurez compris, monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, que, même si ce budget s'inscrit dans une certaine continuité, les deux mesures prioritaires qui le caractérisent, les trente-cinq heures et les emplois-jeunes, ont conduit la commission des affaires sociales à formuler un avis défavorable sur l'adoption des crédits de l'emploi et du travail. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Madelain, rapporteur pour avis.
M. Jean Madelain, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la formation professionnelle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, compte tenu du temps limité qui m'est imparti, je me bornerai à souligner les points principaux qui ont retenu l'attention de la commission des affaires sociales.
M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. On vous écoute avec attention ! (Sourires.)
M. Jean Madelain, rapporteur pour avis. En ce qui concerne la formation des jeunes, j'insisterai d'abord sur les formations en alternance, dont l'intérêt et l'efficacité sont reconnus de tous. Cependant, les crédits inscrits à ce titre, soit 12 089 millions de francs, accusent une baisse de 4,1 %. Celle-ci tient d'abord au recul des contrats de qualification, pour lesquels 100 000 entrées nouvelles ont été prévues au lieu de 130 000 en 1997, en raison du moindre succès de cette formule.
Cette baisse d'intérêt pour le contrat de qualification peut s'expliquer par la concurrence du contrat d'apprentissage mais, surtout, pensons-nous, par les incertitudes liées à l'existence de la prime de 5 000 francs ou de 7 000 francs, selon la durée du contrat, versée à l'employeur. Supprimée en principe le 31 décembre 1996, la prime n'a été reconduite par décret que le 26 mars 1997, et ce jusqu'au 31 décembre. Pour 1998, nous constatons qu'aucun crédit n'est prévu à ce titre. Cela risque de porter préjudice à un type de contrat créé sur l'initiative des partenaires sociaux et auquel nous sommes attachés, car il répond à un besoin spécifique.
La baisse des crédits de la formation en alternance s'explique aussi par une réduction de la dotation pour les indemnités compensatrices forfaitaires versées par l'Etat aux employeurs d'apprentis, en application de la loi du 6 mai 1996, à savoir une prime de 6 000 francs par apprenti et une indemnité de soutien à la formation de 10 000 francs ou de 12 000 francs suivant l'âge, versée à l'issue de chaque année du cycle de formation.
Inscrits l'année dernière au budget des charges communes pour un montant de 5 274 millions de francs, ces crédits ont été transférés dans le budget du ministère de l'emploi pour un montant de 4 874 millions de francs, subissant ainsi une diminution de 400 millions de francs. Ces 400 millions de francs devraient être mis à la charge, dans des conditions juridiques relativement floues, des organismes collecteurs des fonds de l'alternance, c'est-à-dire de l'AGEFAL. Je reviendrai sur ce point.
Ces indemnités forfaitaires mises à part, l'apprentissage bénéficie de crédits en hausse pour la compensation des charges de 16,3 %, passant de 4 261 millions de francs à 4 955 millions de francs. Cette hausse, qui aurait dû logiquement s'accompagner d'une augmentation proportionnelle de la dotation pour les indemnités forfaitaires, correspond à 240 000 entrées nouvelles en contrat d'apprentissage, c'est-à-dire 20 000 de plus qu'en 1997.
Mais il faut rappeler que ces crédits d'exonération de charges seront, à la suite d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale, amputés de 400 millions de francs pour le plan en faveur du textile. Ces crédits ne seraient plus nécessaires, puisque l'Etat n'a plus à compenser la totalité de l'exonération de charges sociales salariales des apprentis, à la suite du transfert des cotisations d'assurance maladie sur la CSG. En fait, cela revient à faire supporter une partie du financement du plan en faveur du textile par les apprentis eux-mêmes, puisqu'ils ne sont pas exonérés de CSG, alors qu'ils le sont, je le rappelle, de cotisations sociales. Curieuse façon d'encourager l'apprentissage ! Si l'on veut maintenir à leur niveau actuel les rémunérations des apprentis, il faudrait les exonérer de CSG. J'ose espérer, madame la ministre, que vous y porterez attention.
Quant aux stages d'insertion des jeunes non qualifiés, leur financement est stabilisé à hauteur de 5 077 millions de francs, soit une hausse de 0,50 %. On y trouve d'abord les actions de formation et d'accompagnement de type préqualifiant, déléguées par convention de façon anticipée à vingt-trois régions sur vingt-six, en application de la loi quinquennale.
Figurent ensuite les financements des ateliers pédagogiques personnalisés et des structures de réseaux d'accueil, qui regroupent trois cent trois missions locales et trois cent quarante PAIO, les permanences d'accueil, d'information et d'orientation, deux cent trente-six de ces structures ont reçu le label « espaces-jeunes ».
Pour la formation des adultes, l'AFPA continue à jouer un rôle déterminant. En application du contrat de progrès signé avec l'Etat en 1994, l'AFPA a poursuivi la réalisation de ses deux objectifs : augmenter le nombre de ses prestations et se réformer, en ce qui concerne tant son organisation que ses règles et ses modalités de fonctionnement. L'Etat, de son côté, s'engageait à définir ses propres objectifs en matière de commande publique et à garantir l'apport des ressources nécessaires à l'association pour qu'elle atteigne ses objectifs.
Les buts fixés sont en passe d'être atteints. Bien que la subvention de fonctionnement soit stabilisée par rapport à celle de 1997, il faut se féliciter que les crédits de paiement, en hausse de 9,5 %, permettent à l'AFPA le maintien ou la modernisation de ses outils pédagogiques et de formation. Au cours de l'année 1998, sera discuté et mis au point le second contrat de progrès avec l'Etat, qui s'appliquera dès le 1er janvier 1999.
Il nous faut maintenant revenir sur les fonds de l'alternance et sur l'organisation qui les centralise et les régule, l'Association de gestion du fonds des formations en alternance, l'AGEFAL. J'ai dit plus haut que l'AGEFAL devra abonder de 400 millions de francs le crédit nécessaire au versement des indemnités forfaitaires aux maîtres d'apprentissage. Avec, il convient de le rappeler également, la ponction supplémentaire de 100 millions de francs, cela fait, au total, 500 millions de francs. Il est incontestable que l'on modifie ainsi la destination des fonds recueillis par les organismes paritaires collecteurs agréés, les OPCA. Certes, des prélèvements de même nature ont été effectués en 1996 et en 1997, et nous les avions alors dénoncés. On les justifiait par l'existence d'importants excédents de trésorerie. Ces excédents étaient essentiellement de caractère conjoncturel, comme il est expliqué dans le rapport écrit, mais ils n'existent plus aujourd'hui.
En fait, l'AGEFAL est victime de règles comptables inadaptées. En effet, la collecte de l'année est rattachée à l'année en cours, alors qu'elle doit financer les actions de formation de l'année suivante, d'où des excédents momentanés de trésorerie.
Il faut bien reconnaître que les prélèvements ainsi opérés périodiquement sur les fonds de l'alternance ne sont pas sains : on ne peut combler les trous du budget en détournant de leur objet une partie des fonds affectés à l'alternance !
Au vu des ces différents éléments, la commission des affaires sociales formule plusieurs suggestions qu'elle souhaiterait voir reprises par le Gouvernement.
Il lui semble, en premier lieu, qu'un bilan approfondi devrait être fait de la réforme de la collecte, des grandes orientations définies par les OPCA, des conditions d'utilisation des 35 % réservés à l'échelon interrégional et de la mise en oeuvre des formations interbranches. La question des surplus de collecte, les règles de rattachement de la collecte pour l'année suivante à l'année en cours pourraient, notamment, être examinées à cette occasion.
Il serait également opportun de repenser le congé individuel de formation - 2,8 milliards de francs de collecte - dont le dispositif date de 1982, et ce afin de l'adapter aux nouveaux besoins de formation. Rappelons que cette mesure coûteuse ne profite qu'à 8 % des salariés.
Il serait également souhaitable d'examiner les conditions de la collecte de la taxe d'apprentissage dans le prolongement de la loi du 6 mai 1996.
Plus généralement, la complémentarité des différents contrats comme des différents intervenants pourrait être réexaminée pour répondre au mieux aux besoins des entreprises et à la situation des jeunes à former, dont 40 % ont un niveau de qualification inférieur au niveau V. L'articulation de ces formations avec la formation professionnelle continue pourrait aussi être envisagée en reprenant certaines suggestions du rapport de Virville.
En fait, c'est tout le système de la formation professionnelle, initiale et continue, qu'il faudrait revoir, en tenant compte des réflexions actuelles sur la diminution du temps de travail, sa modulation sur l'année, voire sur plusieurs années ou sur toute une vie, sur le contrat d'activité, sur des dispositifs encore peu utilisés, comme le compte épargne-temps.
La loi sur la formation professionnelle date de 1971. Or, depuis près de trente ans, la situation du marché du travail comme les conditions de travail et de production ont considérablement changé. Cette réforme serait aussi l'occasion de simplifier les dispositifs. Des textes enchevêtrés, pratiquement incompréhensibles - je n'en veux pour exemple que le crédit d'impôt-formation, toujours aussi opaque - conduisent les entreprises à se détourner de mesures dont le poids administratif est devenu dissuasif.
Il apparaît donc qu'au delà de la poursuite des réformes initiées par la loi quinquennale la formation a besoin d'une véritable impulsion nouvelle. Au lieu de quoi, et malgré certains propos annonçant une réflexion et des concertations sur ces questions, ce projet de budget donne le sentiment d'un certain désengagement de l'Etat sur des mesures pourtant jugées prioritaires, à commencer par la formation en alternance.
Compte tenu de ces observations, et en concordance avec les conclusions présentées par notre collègue Louis Souvet sur les crédits de l'emploi, la commission des affaires sociales s'est déclarée défavorable à l'adoption des crédits consacrés au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après les excellents rapports de nos collègues MM. Marini, Souvet et Madelain, mon propos sera destiné à manifester notre inquiétude.
Cette inquiétude, qui résulte non seulement de l'examen du budget que vous nous présentez, madame la ministre, mais également des textes qui l'on précédé et de ceux qui sont en gestation, je me dois aujourd'hui de vous l'exprimer, car, depuis quatorze ans que je préside la commission des affaires sociales, alors que nous avons eu de nombreux dialogues avec différents ministres chargés de l'emploi, je crois pouvoir dire que nous sommes dans une période où des choix vont de plus en plus s'imposer.
Bien sûr, madame la ministre, je reconnais volontiers qu'il ne vous était pas possible, en si peu de temps, de remettre à plat les 155 milliards de francs d'aides à l'emploi et à la formation que vous devez gérer. Il est clair que, compte tenu du caractère sédimentaire de beaucoup de ces mesures et des crédits correspondants, il faudra du temps pour les réaménager et pour leur donner l'efficacité à laquelle nous sommes tous attachés.
Mais vous êtes au coeur, madame la ministre, d'une situation parfaitement contradictoire, et c'est sur cette contradiction que je voudrais un instant me faire l'interprète du Sénat, tout au moins de sa majorité. En effet, le gouvernement auquel vous appartenez a clairement choisi de s'engager, sans réticence et sans faux-semblant, en faveur de la monnaie unique, l'euro. Nous vous en savons gré, car nous pensons, ici, malgré quelques avis divergents...
M. Maurice Schumann. Il y en a !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. ... que l'euro sera de nature à conforter la position de notre économie face à la concurrence des Etats-Unis et des pays d'Asie, même si, pour l'instant, ces derniers connaissent quelques difficultés.
Nous soutenons donc l'action du Gouvernement en faveur de l'euro. Dans quelques mois, les parités de change seront définies, la liste des pays éligibles à la monnaie unique sera déterminée, et nous entamerons alors le processus définitif.
Toutefois, l'économie française souffre de trois handicaps sérieux.
Le premier est que le taux d'activité de notre pays est faible comparé à celui qu'enregistrent nos partenaires de l'Union européenne. Ainsi, chez nous, le rapport entre la population au travail ou au chômage et la population en âge de travailler est de 65 %, alors que, chez la plupart de nos partenaires, ce ratio dépasse 70 à 75 %. Cette situation résulte de la longueur de nos processus de formation des jeunes - elle continue d'ailleurs à s'allonger - et de la précocité du départ à la retraite. C'est ainsi que, dans la classe d'âge de cinquante à soixante-cinq ans, nous connaissons le plus bas taux d'activité des Quinze.
Notre deuxième handicap tient au fait que la durée du travail effectif figure également parmi les plus faibles d'Europe. Elle a été, en moyenne, en 1997, de 1 630 heures en France - si mes chiffres sont exacts - contre 1 735 heures pour nos amis britanniques et 1 950 heures pour nos concurrents américains. De plus, cet écart ne cesse de s'aggraver.
Je n'ai pas tenu compte des chiffres des économies asiatiques, puisque nous savons tous que le droit du travail chez les « dragons » asiatiques est beaucoup moins élaboré que chez nous, mais cet écart de 100 heures par an entre la France et la Grande-Bretagne explique un certain nombre de différences.
Enfin, le troisième handicap est que nous connaissons un taux d'emplois publics très élevé : il est, chez nous, proche de 25 %, alors que la moyenne européenne est à 18 %, ce qui entraîne évidemment, chacun le comprend, un taux de prélèvements obligatoires qui nous classe parmi les pays européens où le total des dépenses publiques et le poids des prélèvements sur le PIB sont le plus élevés. Nous sommes, certes, derrière la Suède, le Danemark et la Finlande, mais nous somme bien au-delà de tous les autres, Allemagne et Grande-Bretagne notamment.
Moralité, nous avons un taux de chômage qui est parmi les plus élevés d'Europe - 12,5 % de la population active, juste derrière l'Espagne et l'Italie - et la question qui se pose est de savoir comment concilier l'objectif européen de création de la monnaie unique et l'atténuation des handicaps que je viens de rappeler et qui sont tout à fait spécifiques à notre pays.
Nos trois rapporteurs l'ont bien montré, ni les décisions qui ont été prises avant l'élaboration de ce budget ni celles qui sont en gestation ne vont dans la bonne direction ; elles vont plutôt conforter nos difficultés et nos spécificités.
On l'a bien vu lors du sommet de Luxembourg : on a passé toute une nuit pour savoir si, dans la résolution finale, on parlerait de « flexibilité » ou de « souplesse » - c'était, certes, un débat tout à fait intéressant et, finalement, on a tranché pour la souplesse à la demande instante du gouvernement français - mais il est clair que, si l'on veut obtenir la fluidité du marché du travail et une amélioration de l'activité économique et sociale dans les différents pays, il ne s'agit pas de se contenter de résoudre des problèmes sémantiques.
« Moderniser l'organisation du travail », trouver des « formules souples » « inciter réellement les chômeurs à chercher un emploi ou une formation », développer la formation « tout au long de la vie et pendant les interruptions de carrière », voilà les expressions que nous trouvons dans le texte de la résolution finale du sommet de Luxembourg. Or ce programme, il faut le reconnaître, est assez peu compatible, madame la ministre, avec les principales orientations d'un projet de budget qui est fondé sur les trente-cinq heures, sur les emplois-jeunes et sur une certaine diminution, MM. Madelain et Marini l'ont bien dit, des crédits consacrés à la formation par l'alternance, mesure qui nous paraissait pourtant, aussi bien en ce qui concerne les contrats de qualification que les contrats d'apprentissage, une solution susceptible de raccourcir la durée des formations et d'améliorer l'insertion des jeunes dans notre société.
En ce qui concerne les trente-cinq heures, nous attendrons l'examen du projet de loi que vous comptez déposer.
Nous avions pensé ici, en dépit de quelques réticences et de quelques difficultés avec les organisations patronales, que la loi Robien, que nous avons votée, permettrait de développer la négociation contractuelle entreprise par entreprise. Son application était facultative et assortie d'avantages qui étaient peut-être trop importants - il était toujours possible, au demeurant, de revenir sur ces avantages - mais cette loi nous paraissait présenter un caractère incitatif et intelligent, car elle favorisait une négociation, un approfondissement du dialogue social.
Comme vous le savez, la loi Robien avait un côté offensif et un côté défensif. S'agissant du côté offensif, elle permettait de créer des emplois supplémentaires et, pour ce qui concerne le côté défensif, elle permettait, à l'imitation de l'accord « Volkswagen », célèbre dans l'Europe entière, de bloquer un certain nombre de licenciements et de sauvegarder des emplois.
Poursuivre une ou deux années cette expérience aurait permis, nous semble-t-il, d'économiser des textes autoritaires et des mesures qui pourraient se révéler contraires à la convergence européenne, conséquence inéluctable de la création de l'euro.
Sur les emplois-jeunes, nous avons eu le temps, au cours de longs débats, de nous expliquer. Vous connaissez notre position. Mais la manière dont les commissaires de police, les proviseurs de lycée, les magistrats ou d'autres fonctionnaires sollicitent les collectivités territoriales pour les inciter à financer une partie des emplois supplémentaires qu'ils demandent montre bien que l'on se préoccupe beaucoup moins d'emplois émergents que d'emplois auxiliaires de la fonction publique, ce qui va dans le mauvais sens. J'ose espérer que le Gouvernement réagira et qu'il essaiera de donner aux préfets des instructions pour éviter ce genre de manifestations parfois assorties de chantage : je pense aux sollicitations du ministère de l'intérieur sur les contrats locaux de sécurité.
Notre objectif était de dégager des emplois émergents, de consacrer un financement public pour permettre à des jeunes de s'engager dans une activité. Je constate, à l'expérience, que, de plus en plus, on crée une sous-fonction publique qui va aggraver l'un des handicaps et l'une des spécificités de notre structure économique actuelle.
Sur l'alternance, sur la formation professionnelle, sur la taxe d'apprentissage, sur les rapports entre l'Etat et les régions, les départements, les collectivités territoriales, les chambres de commerce et d'industrie, les chambres de métiers, on constate les mêmes rigidités, les mêmes mauvaises habitudes que celles que nous avons connues avec l'application du code du travail. Il est évident que nous devrons ici faire oeuvre de modernisation, d'assouplissement - j'allais dire de flexibilité, mais non : d'assouplissement, puisque c'est le terme à la mode ! - pour essayer de mieux faire converger l'effort de tous.
Le présent projet de budget, dont nos trois rapporteurs ont détaillé les crédits et les spécificités, ne favorise pas la recherche d'emplois nouveaux, notamment dans les secteurs de l'audiovisuel et des nouvelles technologies, pourtant très porteurs. Ainsi, aux Etats-Unis, il manque, à l'heure actuelle, comme le dit souvent notre collègue Pierre Laffitte, une centaine de milliers d'emplois dans les secteurs des techniques nouvelles.
Il aurait fallu instiller dans l'économie française des incitations pour créer des emplois nouveaux dans les secteurs prometteurs plutôt que de compléter les services des ATOSS ou des surveillants de l'éducation nationale.
C'est en adoptant une résolution et une orientation nettement modernes, en essayant de s'occuper des emplois de demain et non pas des emplois d'avant-hier, en essayant d'assouplir l'ensemble de la réglementation, que nous pourrons parvenir à des résultats.
De même, était-il nécesssaire, cette année, de supprimer un certain nombre de dispositifs qui permettaient de créer des entreprises nouvelles ? Etait-il nécessaire de diminuer les crédits de l'alternance ? Tout cela va dans le mauvais sens !
Vous êtes, madame la ministre, au coeur d'une contradiction fondamentale de l'économie française : on ne peut pas à la fois - vous l'avez bien vu vous-même à Luxembourg - être porteur d'une structure européenne telle que la monnaie unique pour développer la compétitivité de notre économie dans le cadre de l'économie mondiale et se retrancher derrière un certain nombre d'archaïsmes : dans notre pays, on travaille moins longtemps qu'ailleurs.
En outre, la plupart des emplois créés depuis dix ans l'ont été dans la fonction publique. Ce n'est pas dans ces conditions que nous pourrons répondre au défi de l'an 2000 !
C'est la raison pour laquelle votre projet de budget ne suscite pas chez nous, comme nos trois rapporteurs l'ont dit, une adhésion spontanée. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Gérard Larcher remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 20 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 20 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 10 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 13 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Madame la ministre, je n'entrerai pas dans le détail du budget que vous nous présentez. M. le président Fourcade et MM. les rapporteurs l'ont fait, et je partage leur analyse.
Ce budget, votre budget, madame la ministre, semble ignorer le contexte et les réalités de notre économie et de notre pays. J'y reviendrai dans quelques instants.
Vous vous réjouissez peut-être d'une augmentation budgétaire de 3,8 % par rapport à 1997. Pour ma part, je ne m'en satisfais aucunement, au contraire ! En effet, la situation de l'emploi est souvent inversement proportionnelle à l'effort budgétaire consenti par l'Etat.
Les chiffres le prouvent. Ainsi, le montant des aides à l'emploi a été multiplié par huit en vingt ans et le nombre de chômeurs par plus de sept durant la même période : 76 milliards de francs ont été investis en 1990 alors que le chômage atteignait 9 %, 150 milliards de francs l'ont été en 1997 avec un chômage dépassant 12,5 %, et plus de 155 milliards de francs le seront l'an prochain.
A l'heure où chacun s'accorde à reconnaître que le problème de l'emploi est lié à la mondialisation du marché et à l'instantanéité de l'information, il est temps de sortir d'une vision hexagonale et de regarder la réalité en face. Or, quelle est la réalité ?
Elle ressort d'une enquête de l'OCDE, dont personne n'a parlé, et pour cause, à l'exception d'un article paru dans l'Express le 30 octobre dernier. Selon cette organisation, de 1979 à 1995, « chaque fois que la population d'âge actif a augmenté de 100, les pays du G7 pris dans leur ensemble ont créé 68 emplois privés, 11 emplois publics, 18 chômeurs et 3 inactifs. Quant à la France, elle a détruit 18 emplois privés, créé 27 emplois publics, 45 chômeurs et 46 inactifs ». Voilà le contexte.
Certes, madame la ministre, j'ai l'honnêteté de reconnaître que, pour une bonne part, vous héritez de cette situation. Je l'ai dit à cette même tribune lors du débat sur les emplois-jeunes : nous assumons une part des responsabilités.
Mais personne n'oublie aussi que, durant cette période 1979-1995, vous avez exercé le pouvoir. Je rappellerai que c'est sous un gouvernement socialiste que la spéculation a été la plus forte et les investissements productifs les plus réduits. Chacun sait que l'économie de production crée l'expansion alors qu'un contexte de spéculation génère l'exclusion.
Or, madame la ministre, vous êtes en train de refaire la même erreur. Votre projet de budget est un retour au passé. Vous ne créez pas les conditions de l'expansion et de la croissance économique, conditions essentielles à la pérennité de l'emploi.
Je prendrai trois exemples, si vous me le permettez.
Le premier concerne le plan emploi-jeunes.
Si les contrats sont de droit privé, ils s'inscrivent pourtant dans le secteur public. Le financement est assuré aujourd'hui par l'Etat et, demain - je le crains - par les collectivités locales. Les élus locaux partagent cette crainte.
Vous aggravez encore le poids des dépenses publiques, qui dépassent aujourd'hui 54 % de notre PIB, alors que la plupart des pays qui ont réduit ces dépenses, comme la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, ont enregistré la plus forte progression de l'emploi productif.
De 1990 à 1995, nous avons engagé 1 100 000 fonctionnaires et perdu 900 000 emplois dans le secteur marchand. Permettez-moi cependant d'ajouter qu'en 1996 l'emploi salarié avait augmenté de 98 900.
Le deuxième exemple concerne la formation professionnelle.
Malgré votre volonté affichée de développer l'apprentissage, force est de constater, pour reprendre les propos tenus en commission par le rapporteur pour avis, notre collègue Jean Madelain, que « le système de formation en alternance reste plongé dans l'opacité la plus totale ».
Ce projet de budget marque même des infléchissements négatifs et comporte des incertitudes qui m'amènent à penser que certains crédits pourraient être affectés au financement des emplois-jeunes.
La loi Barrot de 1996 a, certes, commencé à clarifier un domaine marqué par la complexité. Ce texte n'était, à mon sens, qu'une étape. Il me semble urgent de poursuivre dans cette voie, car la situation paradoxale du développement entre contrats d'apprentissage et contrats de qualification va générer des situations difficiles à gérer.
Le troisième exemple, enfin, est relatif aux trente-cinq heures.
Autant, il est souhaitable de favoriser l'aménagement du temps de travail par la voie conventionnelle, autant il est absurde de décréter autoritairement la durée du travail au 1er janvier 2000, comme le précise dans son rapport écrit notre collègue Emmanuel Hamel, rapporteur spécial, suppléé à cette même tribune par notre collègue Philippe Marini.
Par ailleurs, je partage tout à fait l'avis et les inquiétudes du rapporteur pour avis Louis Souvet sur les conséquences désastreuses d'une telle mesure qui ne favorise pas l'emploi, mais qui au contraire risque, par l'alourdissement des coûts, d'obliger des entreprises à licencier.
A ce propos, votre collègue Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, a déclaré le 24 novembre dernier à Albi « qu'il n'était pas certain que le passage aux trente-cinq heures créera beaucoup d'emplois ».
M. Alain Lambert, rapporteur général. Un homme très lucide !
M. Jean-Claude Carle. Voilà trois mesures - auxquelles j'aurais pu ajouter celle qui est relative à la famille - qu'il faudra financer mais qui vont pourtant à l'inverse du développement de l'emploi.
La situation de l'emploi ne s'améliorera que si nous avons le courage d'entreprendre trois réformes essentielles s'inscrivant dans le long terme.
La première réforme est celle des charges qui pèsent sur les personnes morales et physiques.
Sur l'entreprise, plus qu'un allégement des charges sur les bas salaires, qui montre rapidement ses limites et engendre des effets pervers, il me semble indispensable de trouver une nouvelle assiette de la collecte des charges sociales.
La situation actuelle conduit à constater que « l'homme coûte cher ». Nos entreprises peuvent être tentées - voire contraintes - de délocaliser et d'automatiser à grande échelle. Cela a sûrement conduit le même Jacques Dondoux à ajouter : « C'est vrai, je suis désolé de dire aux élus qu'avec la mécanisation il y aura moins d'emplois ».
Lorsque l'on sait que la fiscalité locale, via la taxe professionnelle, vient encore aggraver la situation, il est urgent, contrairement à ce que pensent certains hauts fonctionnaires, non pas d'attendre mais bien d'agir. A nous d'avoir le courage politique de mettre en place un calcul plus favorable aux entreprises de main-d'oeuvre.
De même est-il normal que, dans une nation qui se veut solidaire, un foyer fiscal sur deux n'acquitte pas l'impôt sur le revenu ? Là encore, plutôt que de relever sans cesse les taux, il me paraît plus souhaitable d'élargir l'assiette.
Si ces deux mesures ne sont pas rapidement mises en place, nous verrons s'opérer - c'est déjà le cas - un exode de nos richesses, des capitaux, comme des savoir-faire et des cerveaux.
La deuxième réforme est celle de la législation des entreprises, en l'adaptant à celles qui créent l'emploi, c'est-à-dire nos PME et PMI.
Rappelons que 80 % des emplois sont créés dans les entreprises comptant moins de cinquante salariés et 65 % dans celles de moins de vingt salariés. Aujourd'hui, elles sont encore trop assaillies de formalités administratives, juridiques et fiscales.
Dans un monde économique où la qualité première est la réactivité, des mesures autour de l'entité qu'est l'entreprise me sembleraient aussi nécessaires que celles qui sont relatives aux branches ou interbranches et, en tout cas, meilleures et bien plus efficaces que des mesures décrétées autoritairement.
La troisième réforme est celle du système éducatif.
Nous ne réduirons pas le chômage des jeunes tant que ce système, malgré des efforts financiers sans précédent, conduira un jeune sur quatre, à l'issue de ses études, à pousser la porte de l'ANPE. Cela constitue un formidable gâchis financier, mais surtout un formidable gâchis humain.
Certaines propositions ou déclarations de M. Claude Allègre vont dans le bon sens, notamment lorsqu'il déclare qu'il faut allier culture générale et formation technique ou professionnelle. Nous attendons en vain des actes concrets.
Or, madame la ministre, à l'heure où la plupart des pays industrialisés ont déjà engagé ces réformes et retrouvé l'emploi là ou il se trouve, c'est-à-dire dans le secteur marchand, vous nous proposez l'inverse.
A l'heure où, comme vient de le rappeler le président Monory, il faut s'ouvrir sur le monde, développer la créativité, laisser respirer les personnes physiques et morales, « libérer tout le génie des Français pour s'investir dans la nouvelle société, les nouvelles technologies et les nouveaux métiers seuls créateurs d'emplois durables, ceux que nous voulons pour nos enfants », vous mettez notre économie sous poumon d'acier et nos concitoyens sous Temesta.
Nous refusons catégoriquement un tel traitement.
Nous ne voulons pas que la France s'endorme.
Nous ne voterons pas en l'état ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chaque année, la discussion budgétaire revêt un caractère nécessairement technique, souvent convenu. Pourtant, il s'agit bien là d'un acte politique essentiel, qui, au-delà des déclarations d'intention, traduit la détermination du Gouvernement et du Parlement à répondre aux attentes de nos concitoyens.
Elle met aussi en évidence les divergences qui nous opposent au sein de cet hémicycle. L'examen des crédits consacrés à l'emploi et à la formation professionnelle est, à cet égard, particulièrement significatif.
Nous avons tous pris connaissance des évaluations, terribles dans leur brutalité, du Commissariat général au Plan, qui constate un phénomène de « décomposition de la relation au travail et de précarisation de la société française dans son ensemble », alors que c'est autour du travail que se forge la personnalité d'un individu, que se décide son intégration dans la société ou sa marginalisation, que se délivre son statut social.
Je ne citerai que quelques chiffres : l'année dernière, plus de 30 % des jeunes étaient au chômage deux ans après la fin de leurs études.
Les chômeurs, découragés de chercher un emploi - je pense notamment aux plus âgés d'entre eux ou aux femmes - sont désormais une catégorie à part entière, répertoriée. Ils seraient plus de 240 000.
Le récent rapport de la Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, précise que 2,8 millions de personnes ne perçoivent pas un salaire suffisant pour les mettre à l'abri de la pauvreté.
Au quotidien, la traduction de ces données statistiques, c'est l'impossibilité de faire face à des dépenses élémentaires comme l'eau, le loyer, l'électricité ; c'est la montée du désespoir et de la violence chez certains de nos concitoyens ; c'est la fragilisation de notre cohésion sociale.
Le Gouvernement a donc fait du budget de l'emploi et de la formation professionnelle une priorité. Celui-ci augmente de 3,6 %, avec 155,8 milliards de francs, alors que ce projet de loi de finances 1998 est placé nécessairement sous le signe d'une extrême rigueur.
J'analyserai tout d'abord les crédits consacrés à l'emploi, mon collègue Georges Mazars abordant, quant à lui, les crédits consacrés aux handicapés.
Je relèverai trois grandes évolutions qui caractérisent votre démarche, madame la ministre, marquant ainsi une rupture avec les budgets précédents. Elles cristallisent nos approches radicalement différentes sur le problème de la lutte contre le chômage, monsieur le rapporteur.
Il s'agit de l'innovation des mesures destinées à la réduction du temps de travail et à la création de nouveaux emplois pour les jeunes ; du renforcement de l'effort en faveur de certains publics fragilisés ; de la rationalisation des dispositifs d'allégement du coût du travail pour les bas salaires.
Ce projet de budget amorce en effet la réalisation de deux engagements forts et « phares » de la nouvelle majorité à l'égard des Français : le plan emploi-jeunes et le passage de la durée du temps de travail à trente-cinq heures à l'horizon 2000 et 2002.
Monsieur le rapporteur spécial, vous considérez ces orientations comme « hasardeuses » ; permettez-moi de les qualifier plutôt d'audacieuses et de réalistes.
En effet, elles portent en elles les fondements d'un nouveau partage du travail. Elles encouragent la création de nouveaux métiers, devenus nécessaires pour l'amélioration de notre qualité de vie et pour leur apport au renforcement de notre cohésion sociale.
Chacun peut mesurer l'espoir qu'a fait naître chez les jeunes et leurs proches le plan emploi-jeunes.
La plupart d'entre nous, j'en suis persuadée, s'attachent déjà a en trouver des applications concrètes sur le terrain, quelle qu'ait pu être leur prise de position lors de notre récent débat sur ce texte.
M. Guy Fischer. C'est vrai !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Ce plan va bénéficier, au titre de 1998, d'une enveloppe de plus de 8,35 milliards de francs, auxquels s'ajoutent les 2 milliards de francs débloqués pour la fin de cette année. Dès 1998, ils devraient permettre de financer 150 000 postes.
Il faut ajouter que l'encouragement à l'initiative individuelle des jeunes est également présent dans ce projet de budget avec la création de l'encouragement au développement d'entreprises nouvelles, l'EDEN, qui prévoit l'octroi d'une avance remboursable et un accompagnement indispensable par des experts agréés avec un crédit de 200 millions de francs.
Des sondages récents nous révèlent que 60 % des jeunes achevant leurs études supérieures envisagent leur avenir professionnel dans la fonction publique. Si l'extrême précarité de notre époque peut expliquer cette recherche de sécurité, nous nous devons de les rassurer et de les encourager.
Evoquant les dotations affectées à la réduction du temps de travail, vous nous précisez, monsieur le rapporteur spécial, que vous ne pouvez pas être suspecté d'y être hostile puisque vous avez défendu le dispositif de la loi Robien dont la continuité du financement sera assurée grâce à 2,139 milliards de francs.
En revanche, vous contestez la démarche généralisée que permettra d'enclencher la future loi sur les trente-cinq heures, pour laquelle sont d'ores et déjà budgétés 3 milliards de francs. Elle devrait concerner de 700 000 à 1 million de salariés.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. C'est une autre logique !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Effectivement !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Nous savons que la négociation est la pierre angulaire de tout aménagement du temps de travail.
Mais nous avons pu constater le peu de résultats probants liés aux dispositions de l'article 39 de la loi quinquennale, et l'application de la loi de Robien, en dépit d'un certain succès, demeure trop limitée.
C'est pourquoi le nouveau gouvernement a souhaité insuffler une nouvelle dynamique.
En ce qui concerne les publics les plus fragilisés, il faut se féliciter de l'engagement du Gouvernement de conforter les dispositifs existants, tout en les recentrant sur leur vocation initiale.
Une telle correction avait déjà été apportée par M. Barrot pour le CIE. Il est urgent de contenir le recours abusif aux CES, qui doivent renouer avec leurs missions d'origine.
Ainsi, le Gouvernement nous propose de renforcer les dotations en faveur des dispositifs d'insertion. Avec plus de 11,6 milliards de francs, les contrats emploi solidarité devraient accueillir 500 000 personnes.
Le Gouvernement élargit par ailleurs les possibilités de poursuivre le parcours d'insertion depuis les CES et grâce aux CEC, avec une augmentation conséquente des crédits, pour un montant de 3,144 milliards de francs.
Les moyens consacrés aux entreprises d'insertion, aux associations intermédiaires et aux entreprises d'intérim d'insertion s'élèvent à près de 348 millions de francs après quelques années de stagnation en francs courants.
A cet égard, madame la ministre, il conviendrait d'exercer une grande vigilance afin que les champs d'activités couverts par ces structures n'entrent pas en concurrence avec les emplois-jeunes.
Les mesures de prévention des licenciements et d'accompagnement des restructurations mobilisent des moyens importants. Nous mesurons combien ces mesures sont indispensables. Il arrive cependant que des entreprises les utilisent trop facilement comme des outils de flexibilité.
C'est pourquoi vous avez souhaité, madame la ministre, clarifier les conditions d'octroi de certaines de ces aides afin de juguler le recours excessif aux préretraites, aux allocations spéciales du Fonds national de l'emploi, par exemple. Dans certains cas, ces aides ont en effet profité à des entreprises parfaitement saines qui ont fait peser sur la collectivité le coût du rajeunissement de la pyramide des âges de leur personnel.
La question de l'extension de l'allocation de remplacement pour l'emploi - on connaît l'intérêt de cette allocation en termes de contrepartie d'embauche - aux personnes âgées de cinquante-six ans ayant cotisé pendant quarante ans demeure du ressort de la négociation entre les partenaires sociaux. Lors de la conférence du 10 octobre, le Gouvernement a cependant souhaité faire connaître son intention de participer au financement de ces départs.
La situation des chômeurs âgés est particulièrement douloureuse et délicate : les portes des entreprises leur sont pratiquement fermées et les initiatives que nous prenons en faveur de certaines catégories de chômeurs, les jeunes par exemple, peuvent renforcer le sentiment d'injustice qu'ils éprouvent.
Ce risque de fracture, il nous faut le combattre, notamment grâce à la revalorisation de leurs revenus de remplacement.
Ainsi, le Gouvernement s'est engagé à revaloriser l'allocation spécifique de solidarité de 1 500 francs à compter de 1998, et ce alors qu'il n'avait été procédé à aucune revalorisation depuis 1994. Les 460 000 allocataires actuels percevront donc 4 500 francs en 1998.
Parallèlement, la mise en place, par les partenaires sociaux, de l'allocation pour chômeurs âgés permet à plus de 43 000 personnes de percevoir l'allocation unique dégressive à taux plein jusqu'à soixante ans, dès lors qu'ils ont cotisé pendant quarante annuités.
La complémentarité de ces deux initiatives permet d'enrayer l'appauvrissement de cette génération.
Par ailleurs, le Gouvernement entend enfin rationaliser les exonérations de charges sociales contribuant à alléger le coût du travail, en particulier pour les bas salaires.
Les représentants de l'opposition que nous venons d'entendre en font un axe majeur de leurs propositions pour la relance de l'emploi. Vous venez de nous le rappeler, messieurs les rapporteurs. Mais quatre ans après l'instauration de la ristourne dégressive sur les bas salaires, l'efficacité de cette mesure, à la lumière du rapport entre les emplois ainsi créés et son coût, plus de 40 milliards de francs, est discutable.
Le Gouvernement nous propose donc d'abaisser à 1,3 fois le niveau du SMIC le plafond qui enclenche le mécanisme, et nous soutiendrons cette proposition. Par ailleurs, il instaure la proratisation des avantages liés au recours au travail à temps partiel.
Il s'agit, pour nous, d'une mesure de moralisation indispensable afin de maîtriser les dérives auxquelles a donné lieu ce dispositif particulièrement attractif.
Des employeurs ont multiplié ces emplois à temps partiels, notamment en direction des femmes, qui occupent 85 % d'entre eux. Et les salaires ainsi versés permettent à peine d'assumer un niveau de vie décent. Le « cas » hollandais, je ne parlerai pas volontairement d'« exemple », revient souvent dans les démonstrations. Pour ma part, je ne pense pas que notre pays doive chercher à imiter ce modèle.
M. Jean Chérioux. C'est dommage !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Certes, nous sommes convaincus qu'une modernisation de notre système de financement de la sécurité sociale est nécessaire si l'on veut sauvegarder notre protection sociale - nous l'avons d'ailleurs initiée grâce à la CSG - mais nous estimons que cette modification n'en représente qu'un volet et que nous devons réfléchir et mettre en oeuvre une réforme plus globale.
J'en viens maintenant aux crédits consacrés à la formation professionnelle. Ils augmentent globalement de 2 % pour atteindre 34 milliards de francs.
M. Jean Madelain, rapporteur pour avis, indique que ce projet de budget s'inscrit dans une continuité par rapport à 1997. Mais, au-delà des chiffres, comment ne pas noter que l'accès à la formation professionnelle demeure pronfondément inégalitaire ?
Cette inégalité se décline sous de multiples facettes. Ainsi, les crédits profitent essentiellement aux salariés, et de façon presque résiduelle aux demandeurs d'emploi. Par ailleurs, un salarié d'une PME a huit fois moins de chances d'accéder à un dispositif de formation que celui qui travaille dans une grande entreprise, encore qu'il existe, à ce niveau, des disparités selon le secteur professionnel concerné. En outre, ce sont les cadres qui accèdent majoritairement à des parcours de formation, alors que les ouvriers qualifiés ne bénéficient que de 16 % des actions. Enfin, une application à géométrie variable de la décentralisation dans ce domaine conduit à des disparités dans la mise en place d'actions préqualifiantes et qualifiantes, en particulier pour les jeunes les plus en difficulté. Mais nous avions déjà dénoncé ce risque lors du débat sur la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle.
Par ailleurs, l'architecture de notre système de formation professionnelle est particulièrement alambiquée : certains dispositifs s'adressant à des publics pratiquement identiques se superposent. En revanche, il existe des carences évidentes, notamment pour ce qui concerne certains jeunes en grande difficulté. J'y reviendrai.
Enfin, la collecte des fonds de l'alternance est parasitée par des luttes d'influence et la question de la séparation entre collecteurs et opérateurs n'est toujours pas réglée, ce qui ralentit l'assainissement de ce secteur.
Ces constats, que nous dressons déjà depuis un certain temps, nous conduisent tous à la même conclusion : le système mis en place par la loi de 1971 n'est pas adapté aux nouvelles exigences du monde du travail. A ce propos, je constatais tout à l'heure, en entendant M. Madelain, que nous étions sur la même longueur d'onde, si je puis dire.
La formation en alternance est déterminante pour la bonne intégration de certains jeunes dans l'entreprise. Elle ne peut toutefois se résumer au seul apprentissage.
Il est vrai que cette option connaît un regain d'intérêt depuis deux ou trois ans : on compte actuellement plus de 320 000 jeunes sous contrats d'apprentissage. Ils devraient être 240 000 en 1998, soit 20 000 de plus qu'en 1997.
Tous budgets confondus, y compris celui du commerce et de l'artisanat, ce sont donc 10 373 millions de francs qui seront consacrés à son financement.
C'est pourquoi je ne comprends pas votre analyse, monsieur le rapporteur, quant à la « canibalisation » qu'opérait le plan emplois-jeunes sur leur insertion professionnelle.
Les problèmes que nous soulevions lors de notre débat sur la réforme du financement de l'apprentissage restent d'actualité : trop de contrats, soit 25 % d'entre eux, sont rompus en cours d'application et le taux de chômage des apprentis à l'issue de leur formation est passé en quatre ans de 17 % à 35 %.
Si on ne peut que se réjouir de l'élévation du niveau des diplômes préparés par cette voie en 1996 - le niveau baccalauréat représentait 21 % - on ne doit pas sous-estimer le phénomène inverse qui se dessine : pour certains jeunes en situation d'échec scolaire, l'apprentissage n'est plus une solution, les chefs d'entreprise préférant accueillir des jeunes de plus en plus formés.
Dès lors, les pistes qui restent ouvertes à ces jeunes sont restreintes, puisque le programme PAQUE, la préparation active à la qualification à l'emploi, a disparu, que les contrats de qualification, dont on connaît les performances, traversent malheureusement une crise puisqu'ils sont financièrement moins avantageux pour l'employeur, et que les itinéraires personnalisés d'insertion professionnelle n'en sont qu'au stade expérimental.
Pour la formation professionnelle des adultes, les moyens de l'AFPA sont consolidés et il faut saluer l'augmentation très nette de 17 % de la dotation des stages d'insertion et de formation à l'emploi, les SIFE, qui seront offerts à 160 000 personnes au total.
Les SIFE permettent en effet d'intégrer dans un parcours des personnes particulièrement fragilisées telles que les chômeurs de longue durée ou certains allocataires du RMI, qui représentent près du quart des stagiaires et parmi lesquels figurent une proportion importante de femmes isolées.
Quant aux allocations de formation reclassement, les AFR, les modifications intervenues dans leur financement avaient suscité de nombreuses protestations, car la diminution de la contribution de l'Etat avait conduit l'UNEDIC à restreindre les critères d'acceptation dans ces stages et leur rémunération, si bien que certains stagiaires renonçaient alors à poursuivre leur formation.
Les crédits pour 1998 augmenteront de 10 % et l'AFR devrait être revalorisée.
Les conclusions du récent sommet de Luxembourg consacré à l'emploi placent la formation professionnelle au centre des engagements pris par les exécutifs européens pour encourager l'embauche de jeunes et améliorer les chances des chômeurs de longue durée.
M. Jean Chérioux. Si on peut parler d'engagements !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Les analyses récentes, dont celle de M. de Virville, mettent par ailleurs l'accent sur la nécessité d'imaginer de nouvelles formules, dont le compte épargne temps peut apparaître comme une illustration, afin d'encourager la mobilité fonctionnelle des salariés, afin de leur donner une chance supplémentaire ainsi qu'à leur entreprise.
Cette réflexion devrait prendre une dimension nouvelle dans la perspective de la généralisation de la réduction du temps de travail. Il s'agit pour la relance de l'emploi, de deux chantiers essentiels qu'il faut entamer en coopération avec les partenaires sociaux.
Le projet de budget que vous nous présentez, madame la ministre, permet de poser les premières pierres de ces chantiers ambitieux auxquels nous nous associerons, nous le voterons donc avec confiance, si tant est qu'il demeure en l'état. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Madame le ministre, monsieur le président, mes chers collègues, il y a une dizaine de jours, le sommet spécial pour l'emploi, tenu à Luxembourg, fixait un triste constat : 18 millions de chômeurs dans l'Union européenne, dont 5 millions de moins de vingt-cinq ans. La France occupe le troisième rang des pays ayant les taux les plus élevés, soit 12,6 % de sa population active si l'on retient le chiffre de 3 millions de personnes concernées par la chômage. Or le Centre d'études des revenus et des coûts et le Bureau international du travail estiment que ce n'est là que le noyau dur et que ce phénomène touche près de 7 millions de personnes, sans compter l'environnement familial immédiat.
Avec une évolution favorable des crédits, à quoi tend le projet de budget de l'emploi ? Il prévoit la réduction et la suppression de mesures incitatives faisant appel à l'initiative et la mise en place d'un programme qui est détourné de l'objectif posé.
La population active s'accroît de 150 000 personnes par an. Le Gouvernement propose la création de 350 000 emplois-jeunes sur cinq ans. A cette fin, 8 milliards de francs sont inscrits au budget de l'emploi. L'Etat financera donc un aide égale à 80 % du SMIC, soit 92 000 francs par emploi-jeune en 1998. L'embauche se fera sous contrats de droit privé avec des fonds publics. De plus, ces contrats seront conclus en majorité par des collectivités locales. Il y a matière à s'interroger sur la validité, pour ne pas dire la légalité du montage !
Par ailleurs, il est apparu que cette mesure d'insertion servira à financer des emplois de fonctionnaires, principalement dans l'éducation nationale. En effet, sur les 150 000 créations de postes programmées pour 1998, près d'un tiers seront des emplois de fonctionnaires intégrés aux ministères de l'éducation nationale et de l'intérieur. Ils seront rémunérés pour 80 % sur les 8 milliards de francs inscrits au budget de l'emploi et, pour le reste, sur les crédits affectés au paiement des heures supplémentaires des enseignants et sur des crédits inscrits au titre III du budget du ministère de l'intérieur.
Ces créations d'emplois vont entraîner un accroissement des prélèvements obligatoires qui pèsera sur la croissance et sur l'emploi, puisque ces emplois n'ont pas vocation à être pérennisés dans le secteur privé.
Cet effet pervers est renforcé par les conséquences des contrats à durée déterminée qui alimentent un sous-emploi massif. Ainsi, une personne qui a accupé un emploi précaire bascule très vite dans le régime de solidarité qui relève de l'Etat. Il en résulte que le nombre des chômeurs indemnisés par le régime d'assurance chômage est tombé de 54 % de demandeurs d'emploi en 1992, à 47,5 % en 1995 et devrait chuter cette année à 46,7 %. Toujours selon l'UNEDIC, seulement 1,7 million des chômeurs sont indemnisés par le régime de l'assurance chômage, dont 55 % touchent moins de 4 000 francs. Finalement, ce sont les effectifs des personnes qui perçoivent le RMI qui augmentent.
Ce dispostif emploi-jeunes fait face, dans le court terme, à une situation de détresse. Il privilégie un traitement social au détriment d'une démarche économique générant concomitamment la réponse sociale.
Trois orientations du projet de budget de l'emploi pour 1998 ne laissent pas de m'inquiéter à cet égard : la suppression de l'aide pour la création d'entreprises par des travailleurs indépendants, l'inscription d'une provision de 3 milliards de francs pour le financement de la future loi sur les trente-cinq heures et, enfin, l'abaissement à 1,30 SMIC du plafond des salaires concernés par la ristourne dégressive des charges sociales.
Des réformes structurelles avaient été entreprises dès 1993, et la politique d'abaissement des charges sur les bas salaires avait commencé à porter ses fruits. Notre éminent rapporteur spécial, notre collègue Emmanuel Hamel, a indiqué en commission - le bulletin fait foi - que 50 000 créations d'emplois avaient été obtenues par dizaine de milliards de francs dépensés.
Les entreprises espéraient une accentuation de l'effort d'allégement des charges sur les bas salaires. Au lieu de cela, on constate l'abaissement du plafond des salaires éligibles à la ristourne des charges sociales. La mesure n'est pas anodine, ni dans l'esprit ni dans la forme ; les vieux démons idéologiques permettent de récupérer 2 milliards et demi de francs !
Même justification pour l'extinction de l'aide aux travailleurs indépendants créant ou reprenant une entreprise, la « loi Madelin ». Si l'on ne parle par d'interventionnisme, le libéralisme est malgré tout suspect.
Avec l'inscription des crédits destinés à financer les trente-cinq heures, on privilégie l'obligation pour ce qui devrait rester du ressort de la négociation dans l'entreprise. Que va-t-il advenir des dispositions de la loi de Robien, dont vient de parler Mme Dieulangard ?
Après dix mois d'expérimentation, cette loi présente un bilan positif. Il a en effet été établi que 1 200 entreprises y ont eu recours, dont 70 % de PME-PMI. Dans un tiers des cas, il s'est agi de préserver des emplois menacés, mais les deux autres tiers relèvent de la volonté d'innover dans l'organisation du travail. Ce sont 120 000 salariés qui ont été concernés et environ 15 000 emplois qui ont été sauvés ou créés.
Le coût moyen unitaire de ces actions s'établit entre 25 000 et 60 000 francs selon leur nature. En rapportant ce coût à celui d'un chômeur pour la collectivité, à savoir de 120 000 à 140 000 francs, chacun peut tirer la conclusion qui s'impose en ayant présent à l'esprit l'élément humain indissociable du travail.
Que reproche-t-on à cette loi libérale et sociale qui apporte une réponse aux nouvelles donnes et exigences instituées par la mondialisation de l'économie ? La flexibilité et le réaménagement des horaires permettent de satisfaire les pics de production tout en évitant le chômage technique lorsque la tendance s'inverse.
Cette politique de la responsabilisation et de l'engagement a permis aux Pays-Bas de se situer dans les Etats ayant le plus bas taux de chômage. Plutôt que de se voir imposer une réforme par le Gouvernement, les partenaires sociaux ont préféré trancher eux-mêmes, et ont opté clairement pour l'emploi au prix d'une modération salariale négociée. Les syndicats ont fait le premier pas en admettant que le coût du travail était trop élevé, et le patronat a fait l'autre en acceptant, dès lors qu'il n'y avait pas hausse des coûts, une réduction progressive de la durée du travail vers trente-six heures et un développement du temps partiel.
C'est dans cette voie que j'aurais voulu voir les efforts concentrés. Les régions pourraient également participer utilement, comme entités coordonnatrices et incitatives, aux actions à mener en faveur de l'emploi. La Franche-Comté, par exemple, qui compte encore 13 000 demandeurs d'emploi de moins de vingt-six ans, a, depuis 1986, lancé des actions qui s'avèrent positives. Ces résultats s'obtiennent à partir de bassins cernés, d'opérations ciblées et d'implication des acteurs. La proximité permet l'interaction conjuguée sous des formes variées de partenariat, de parrainage et d'accompagnements divers.
Cette prévention au colbertisme supposé du libéralisme, qui sous-tend la démarche du Gouvernement dans le traitement du chômage, ne permettra pas à la majorité du Rassemblement démocratique et social européen de voter les crédits du budget de l'emploi tels qu'ils sont présentés. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'an dernier, la seule priorité clairement affichée par le budget de l'emploi était la baisse du coût du travail. Cela se traduisait pour l'essentiel par une diminution de tous les crédits, à l'exception de ceux qui étaient consacrés à l'allégement des charges des entreprises et des primes accordées à celles-ci.
Tout au cours de ces dernières années, l'incidence sur l'emploi fut pratiquement nulle.
Dénonçant les effets négatifs d'une telle politique, soucieux de renverser ce dogme, le groupe communiste républicain et citoyen est, a priori, favorable aux orientations du projet de budget de 1998 relatif à l'emploi et à la formation professionnelle, budget qui s'inscrit, même si ce n'est pas assez selon nous, dans une optique différente, notamment au niveau de l'incitation, des aides publiques à l'emploi. Une inflexion est constatée.
Enfin, comme le titraient récemment Les Echos, le ministère de l'emploi va-t-il mériter son nom ?
Marquée par une forte dégradation du chômage, par une accélération de la diminution de la rémunération salariale et par une baisse des investissements des entreprises, l'évolution de notre économie reste modérée. Il convient donc de la dynamiser.
Depuis 1995, le ralentissement de la croissance a différemment affecté l'emploi selon les secteurs. Le secteur marchand, les secteurs de l'industrie manufacturière et du bâtiment ont été touchés, alors que le secteur textile tire son épingle du jeu, enregistrant une hausse sensible. La seule évolution constatée s'appuie sur les services.
En un an, l'emploi n'aurait progressé que de 0,7 %. Le blocage du patronat est grand, et ce n'est pas M. Ernest-Antoine Seillière qui, nous semble-t-il, « poussera » dans le bon sens.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. C'est le mur de l'argent !
M. Guy Fischer. Selon les chiffres publiés par l'INSEE, révélateurs d'une inversion de tendance, 35 000 emplois salariés auraient été créés au deuxième trimestre 1997 contre 18 000 au premier trimestre. Cependant, compte tenu de la nature de ces emplois et surtout de l'ampleur du problème, la situation demeure préoccupante.
De surcroît, la situation des salariés est loin de s'améliorer. D'une part, le temps partiel atteint aujourd'hui 16,6 % d'entre eux, touchant en priorité les femmes ; d'autre part, la pauvreté chez les salariés ne cesse de gagner du terrain, puisque 2,8 millions d'entre eux, vivant avec un salaire net mensuel inférieur à 3 650 francs ou s'échelonnant jusqu'à 4 866 francs, sont recensés parmi les pauvres.
Comment décemment rester plus longtemps insensibles, et surtout inactifs, face aux chiffres accablants, tant du chômage que de la pauvreté, et aux conséquences dramatiques qu'ils engendrent ? Drame social, drame humain et personnel, le chômage et la précarité rongent notre société et la poussent à l'explosion.
Si l'année 1996 fut, comme d'habitude, favorable à la bourse - plus de 20 % de progression, monsieur Chérioux ! - elle fut particulièrement médiocre pour les salariés, et terrible pour les chômeurs.
Le taux de chômage ne diminue pas. Il s'élève toujours à 12,5 % de la population active, touchant de manière accrue les jeunes de moins de vingt-cinq ans, les femmes, les immigrés...
Que ce soit aux niveaux national ou européen, la priorité doit être donnée à l'emploi. L'exigence de solutions nouvelles et fortes pour lutter contre le chômage est telle que nous devons intervenir pour orienter différemment les politiques afin qu'elles soient effectivement créatrices d'emplois.
Conditionnées par la nécessaire application des critères de convergence préparant l'union monétaire, les politiques économiques des Etats membres ont échoué.
L'Europe compte malheureusement 18 millions de chômeurs et 50 millions de pauvres. Nous saluons l'initiative du Gouvernement français, qui a contribué à la tenue d'un Conseil européen sur l'emploi.
Vous savez qu'à notre sens la construction européenne ne pouvait se concevoir sans l'adjonction au volet monétaire d'une dimension sociale. De plus, si l'une des conditions posées par le parti socialiste pour l'adhésion de la France à la monnaie unique était l'instauration d'un pacte de croissance et de l'emploi, aujourd'hui cette condition ne nous semble pas remplie. C'est pour cela que, le 18 janvier prochain, nous organisons une manifestation importante afin de réclamer un référendum sur le passage à la monnaie unique européenne.
M. Jean-Claude Carle. Et sur la nationalité ?
M. Guy Fischer. Evidemment, les intentions affichées lors du sommet de Luxembourg des 20 et 21 novembre derniers sont bonnes. Comment ne pas être d'accord avec l'idée de réduire à 7 % le chômage, de s'attaquer en priorité au chômage des jeunes en le diminuant de moitié d'ici à l'an 2000, de favoriser l'insertion professionnelle, d'assurer la formation ?
Les lignes directrices adoptées sur l'insertion des chômeurs retiennent toute notre attention. Elles tendent à offrir un nouveau départ à tout jeune avant qu'il n'atteigne six mois de chômage par le biais de formation, de reconversion, d'expérience professionnelle ; la même démarche est conseillée pour les chômeurs adultes avant qu'ils n'atteignent douze mois de chômage.
Seulement, nous jugeons les moyens avancés insuffisants : aucune contrainte et encore moins de sanctions.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Ce n'est que littérature !
M. Guy Fischer. L'accord auquel sont parvenus les Etats membres s'inspire largement, à notre sens, de la logique et des propositions de la Commission de Bruxelles. C'est, selon nous, le coeur du problème.
Bien que l'Europe semble se tourner vers les trente-cinq heures, le sujet n'a pas été évoqué. Pour la Commission, le travail demeure un coût et non une richesse. Fondées sur la compétitivité, appuyées sur l'adaptabilité et l'employabilité, concepts « à la mode », derrière lesquels se cache en fait la flexibilité, les propositions de la Commission sont étrangères au droit de chacun à un emploi stable, rémunéré correctement et conciliable avec une vie familiale.
Avant tout, la politique de l'emploi et de la formation professionnelle demeure une compétence nationale. Aujourd'hui, en examinant les crédits que le Gouvernement entend lui consacrer pour l'année 1998, nous nous attacherons à ce qu'ils soient à la hauteur des attentes de chacun.
Les crédits s'élevant à 155,6 milliards de francs, dont 112 milliards de francs sont prévus dans le budget de l'emploi et 43,2 milliards de francs dans celui des charges communes, enregistrent une hausse de 4,4 %.
Cette progression sensible des crédits, tant pour l'emploi que pour la formation professionnelle, nous l'apprécions d'une façon générale. Toutefois, permettez-moi, madame la ministre, d'affiner mon jugement sur votre bubget et sur le volet emploi, tout d'abord, au regard de ces axes principaux.
Depuis longtemps, nous appelons de nos souhaits une politique novatrive et volontariste. C'est pourquoi nous prenons acte des crédits nouveaux prévus pour financer l'emploi des jeunes, le partage du temps de travail, mais aussi la création de richesses.
Votée récemment par le Parlement, la loi « emploi-jeunes » a suscité l'engouement que nous connaissons tous, doublé d'un espoir que nous n'avons pas le droit de décevoir.
En affectant plus de 8 milliards de francs au financement de ces emplois-jeunes, vous contribuez, madame la ministre, à réaliser effectivement le développement d'activités nouvelles d'utilité sociale et de proximité.
Comme j'ai eu l'occasion de le faire tout au long des débats sur cette question, je rappelle qu'à l'occasion de ce type de contrats nous devons offrir aux jeunes une solide formation et faire en sorte qu'à l'issue des cinq ans l'emploi soit pérennisé. Il faut éviter de retomber dans le piège des petits boulots et dans les errements du passé.
A noter aussi qu'en prévoyant 200 millions de francs pour encourager le développement d'entreprises nouvelles - dispositif EDEN - le budget de l'emploi vise aussi, parallèlement au traitement de l'insertion des jeunes, à promouvoir le savoir-faire et les initiatives des jeunes ; c'est la preuve que l'Etat entend aussi promouvoir l'initiative individuelle créatrice de richesses par le biais d'avances remboursables.
L'autre point fort qui retient toute mon attention, c'est le financement de la réduction du temps de travail à hauteur de 5,1 milliards de francs : 3 milliards de francs budgétés aux charges communes et 2,1 milliards de francs dans ce budget pour assurer la poursuite de la loi de Robien.
Ces crédits permettront le passage aux trente-cinq heures, en 1998, de 700 000 à 1 million de salariés.
Ce grand chantier entrepris par le Gouvernement, nous entendons l'accompagner et l'enrichir.
Suite aux conclusions positives de la conférence nationale du 1er octobre 1997, le projet de loi d'orientation et d'incitation qui nous sera bientôt présenté prévoit, d'ici à l'an 2000 : l'abaissement négocié de la durée légale hebdomadaire du travail, aidé à hauteur de 9 000 francs par salarié, à condition que la baisse soit d'au moins 10 % du temps de travail et s'accompagne d'un accroissement d'effectifs d'au moins 6 %.
Répondant à nos revendications, à celles des travailleurs, cette logique, qui ouvre réellement la perspective de moins travailler pour mieux vivre, doit corrélativement être accompagnée d'un geste pour l'augmentation du pouvoir d'achat, afin que chacun puisse jouir de son temps libre. C'est primordial !
Madame la ministre, vous avez annoncé récemment que cette loi-cadre sur les trente-cinq heures s'appliquerait aux transports urbains.
Evidemment, nous nous réjouissons de cette extension, mais nous regrettons que vous la conceviez strictement, étant entendu que cette dérogation ne bénéficiera qu'aux traminots.
Les entreprises publiques, la SNCF, France Télécom, Air France n'auraient aucun droit à une telle mesure.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. La fonction publique non plus.
M. Guy Fischer. Certes.
Au cours des derniers arbitrages, vous avez réglé la question du seuil à partir duquel le passage aux trente-cinq heures sera impératif d'ici à l'an 2000 en le fixant à vingt salariés.
Mais, sur d'autres points, notamment sur le contingent légal d'heures supplémentaires, sur le repos compensateur, rien ne semble arrêté dans l'immédiat. De plus, cette loi-cadre, de par sa souplesse, laisserait une large part de manoeuvre aux entreprises pour les négociations qui, très décentralisées, risqueraient de conduire à une modulation excessive du temps de travail.
Nous dénonçons les dangers de la flexibilité et de l'annualisation du temps de travail. Je reviendrai plus tard au cours du débat sur notre souci d'assurer aux salariés une totale représentativité lors de ces négociations.
Mon appréciation se porte maintenant sur le deuxième volet de votre projet de budget, qui s'efforce de consolider les crédits d'insertion des personnes en difficulté.
Les mécanismes traditionnels des contrats aidés sont recentrés sur leurs véritables missions ; c'est le cas notamment des CIE, qui supportent une baisse de dotation, et des contrats emplois-villes qui sont amenés à disparaître.
L'objectif est d'inciter fortement les jeunes titulaires d'un CIE à s'orienter vers les emplois-jeunes. Nous ne pouvons qu'être favorables à cette démarche, notre approche des CIE étant très négative. En effet, ces contrats ont abouti à une création nette d'emplois très faible par rapport à leur coût exorbitant, en raison surtout de l'absence de conditions à l'attribution de l'aide.
Les entrées en CES sont maintenues à un niveau identique alors que 10 000 CEC supplémentaires sont prévus. Je ne vais pas ici me livrer à un bilan coût-avantages pour juger de l'efficacité de ces dispositifs d'aides à l'emploi. Je me contenterai de rappeler que nous sommes très attachés à convertir ces aides en emplois stables.
Moyens d'insertion dans le monde du travail pour les jeunes, les femmes, les chômeurs de longue durée, les RMIstes, ces aides ont été malheureusement trop souvent détournées, servant seulement l'objectif d'abaissement du coût du travail.
Sur ce point, nous avons été très fermes, et cela me conduit, madame la ministre, à rester réservé sur le troisième volet de votre budget pour l'emploi.
Je salue toutefois votre volonté de réexaminer dans son ensemble les mécanismes d'aide à l'emploi dans le secteur privé. Je rejoins votre appréciation sur la nécessité de revoir avec les différents partenaires tant les aides accordées au secteur textile que les avantages, jugés parfois excessifs par les organisations patronales elles-mêmes, accordés aux emplois à temps partiel.
Vous contenez la dépense budgétaire servant à compenser les exonérations de charges sociales et diverses primes octroyées aux entreprises à hauteur de 40 milliards de francs, vous abaissez le plafond de la ristourne dégressive de 1,33 à 1,30 fois le SMIC, mais nous attendons de vous un signe fort témoignant d'un changement de cap de la politique de baisse du coût du travail.
Jusqu'à présent, et j'insisterai sur ce point lors de l'examen de l'article 65, les politiques publiques d'incitation à l'emploi n'ont eu qu'un seul effet : elles ont cassé la demande et la croissance.
Nous ne sommes pas farouchement opposés au concept même d'aides publiques aux entreprises, mais ces aides doivent être dirigées autrement : au lieu d'inciter l'entreprise à baisser ses charges sociales, elles devraient la conduire à utiliser autrement l'argent pour l'emploi, pour les salaires et la formation.
Le dossier de la formation, qu'il s'agisse des jeunes pour qu'ils entrent bien armés sur le marché de l'emploi ou des salariés, doit être évoqué avec beaucoup de sérieux et d'ambition, tant les enjeux sont grands.
Selon une nouvelle enquête de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, une large frange de la population serait privée d'accès au marché de l'emploi faute d'un niveau de compétences de base suffisant.
Or, dans le climat actuel de modernisation, de compétitivité à outrance et d'évolution constante des technologies, être qualifié et le rester en se formant continuellement est une condition d'accès à l'emploi.
Cette année, le budget consacré à la formation professionnelle progresse de 2 %, ses crédits s'élevant à 34 milliards de francs, subventions à l'AFPA, l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes, et à la formation des demandeurs d'emploi comprises. J'aurai peut-être l'occasion d'y revenir : compte tenu des efforts consentis, il est évident que nous aurions voté ce projet de budget (Exclamations sur les travées du RPR) s'il était resté en l'état, mais, compte tenu de l'opposition idéologique de la majorité sénatoriale,...
MM. Alain Gournac et Jean Chérioux. Voilà !
M. Guy Fischer. ... nous nous opposerons fermement à la tentative de celle-ci d'instaurer un contre-projet marqué par l'austérité. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Madame le ministre, vous avez déclaré que votre projet de budget cherchait à encourager la création d'emplois sous toutes ses formes.
Vous voulez créer des emplois qui n'existent pas. Pourquoi pas ? Ce n'est pas critiquable en soi, bien au contraire, s'il s'agit de véritables emplois qui offrent, par les contrats mis en place, des garanties, des possibilités de formation et des perspectives d'évolution.
Créer de nouveaux emplois, pourquoi pas ? disais-je. Cependant, je m'interroge, essayant de comprendre votre méfiance obstinée envers le secteur privé, seul véritable créateur de richesses, et donc d'emplois.
Vous avez mis en place le plan « emplois-jeunes » et sa kyrielle de nouveaux métiers virtuels, mais ceux-ci, à supposer qu'ils soient viables, impliquent-ils nécessairement que l'on se désintéresse de l'emploi privé, que l'on en diminue les aides ? Vous savez ce qu'en pense la majorité sénatoriale.
J'ai l'impression que vous êtes persuadée que, quelles que soient les conséquences négatives de vos mesures, et de manière plus générale de votre politique, vous resterez dans l'esprit des Français celle qui a créé des emplois, le chômage dût-il augmenter et les entreprises licencier demain. A croire que vous attendez plus d'une politique d'image que d'une réelle politique !
Pourquoi votre plan emplois jeunes doit-il s'accompagner nécessairement d'une pénalisation du secteur privé ?
Je comprends bien qu'il vous faille trouver de quoi financer ce plan - manière de dire, toutefois, car je ne comprends vraiment pas que vous vous entêtiez à créer des emplois parapublics au détriment du secteur privé !
Ainsi, pourquoi remettez-vous en cause l'allégement du coût du travail ? Pourquoi touchez-vous au dispositif de réduction dégressive des cotisations patronales de sécurité sociale sur les bas salaires, en abaissant de 1,33 fois à 1,30 fois le SMIC le plafond de salaire donnant lieu à l'application de la ristourne ?
Différence minime ? Non ! Car cela se traduira par une charge supplémentaire de 2,5 milliards de francs pour les entreprises et entraînera inévitablement des licenciements, au mieux des embauches différées.
Si l'on ajoute la contribution exceptionnelle de 10 % de l'impôt sur les sociétés - exception dont il serait exceptionnel qu'elle reste exceptionnelle - on peut craindre que nos chefs d'entreprise ne perdent confiance dans les capacités de notre pays à faire face, demain, à la concurrence européenne et mondiale qui ne les ménagera pas.
Pourquoi votre plan emplois jeunes doit-il nécessairement s'accompagner également d'une pénalisation des emplois familiaux ?
Vous dites vous-même que le gisement dans ce domaine se situe entre 1 million et 1,2 million d'emplois. Permettez-moi d'ajouter : d'emplois réels.
Madame le ministre, cela ne vaut-il pas toutes les aides que vous êtes prête à consentir pour faire émerger ce que vos conseillers appellent de « nouveaux métiers » ?
Entre fin 1994 et fin 1996, ce sont 202 000 emplois familiaux qui avaient été crées par 590 000 employeurs particuliers. D'après l'IRCEM, l'institution de retraite complémentaire des employés de maison, auquel vous faites vous-même référence, ce sont 133 000 emplois qui risquent d'être supprimés par la mise en oeuvre de vos mesures et 26 500 nouveaux emplois par an qui ne seront pas créés.
Pour justifier la diminution des aides qui incitaient à la création de ces emplois, vous brandissez l'emblème idéologique - mais qui fait son effet - des plus grandes fortunes de France, et vos amis, eux, brandissent l'emblème des bourgeois de Neuilly-Auteuil-Passy, qui se voient remboursés à hauteur de 85 % le coût salarial de leurs employés de maisons.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je n'ai pas dit cela !
M. Alain Gournac. Je l'ai entendu à plusieurs reprises, et encore samedi matin, dans la bouche de vos amis !
Précisons par honnêteté que, pour bénéficier de cette aide, il faut obéir à des conditions strictes : que les deux parents travaillent, qu'ils aient au moins un enfant de moins de trois ans et qu'ils emploient une assistance maternelle. Nous sommes bien loin de l'employée de maison !
Madame le ministre, je défends l'emploi et je soutiens le secteur privé parce que je défends notre jeunesse, son avenir et celui de notre pays.
J'en profite pour vous poser une question précise dont la réponse est très attendue : il s'agit de la désaffection que rencontrent les contrats de qualification.
Ce type de formation, quand il est correctement dispensé, mène directement à un emploi véritable. Cela est unanimement reconnu. Or cette formation supérieure courte est menacée : le nombre de contrats de qualification diminue de façon inquiétante chaque année à cause, principalement, de l'incertitude pour l'employeur qui accueille un « étudiant salarié » de percevoir la prime de 7 000 francs.
Cette prime, éteinte au 31 décembre 1996, n'avait été reconduite que le 26 mars 1997. Cet atermoiement - vous voyez que je ne suis pas sectaire ! - fut regrettable. Pour 1998, quelle décision allez-vous prendre ?
Rendez-vous compte ! Les jeunes qui sont attirés par cette voie parce qu'elle débouche sur un emploi se mettent en quête d'une entreprise dès le mois de juillet, au lendemain de la publication des résultats du baccalauréat, pour une formation qui commence au mois d'octobre.
Comment voulez-vous que des employeurs puissent s'engager pour deux ans dans un contexte aussi incertain ?
Je connais beaucoup de jeunes qui ont profité de cette formation et qui en ont été pleinement satisfaits.
J'ai rencontré de nombreux chefs d'entreprise qui ont joué le jeu et qui n'ont pas eu à le regretter puisque, dans la plupart des cas, ils ont embauché, en pleine connaissance de cause, le jeune dont ils avaient eux-mêmes assuré la formation.
Combien de secrétaires bureautiques, de secrétaires bilingues, de secrétaires de direction, de comptables, d'agents commerciaux ont ainsi été engagés, dans certaines sociétés que je connais bien, sur un contrat de deux ans avec la perspective d'obtenir un brevet de technicien supérieur et la certitude de trouver un emploi dès l'obtention de leur diplôme ?
Bien sûr, il fallait que les deux parties y trouvent leur intérêt : le jeune, dans l'alternance école-entreprise et le salaire perçu, l'employeur dans la prime versée à l'entreprise et dans le temps investi dans la formation d'un futur salarié.
Cette prime est, bien entendu, chargée de dédommager le temps passé par le maître de stage auprès de son étudiant. Je ne reviendrai pas sur le rôle primordial et l'efficacité de ce véritable tutorat.
Madame le ministre, je suis heureux d'apprendre que vous avez signé, avec la région Poitou-Charentes, un contrat pour 1 000 emplois. Immédiatement, la région a mis en place ce fameux tutorat que je défends depuis des années. Ainsi, comme nous l'avions proposé lors de l'examen du projet de loi emploi-jeunes, de jeunes retraités, des préretraités vont se rendre auprès de ces jeunes pour les aider à saisir leur chance.
M. Jean-Claude Carle. Absolument ! Excellente initiative !
M. Alain Gournac. Pour encourager nos employeurs à embaucher massivement ces jeunes en contrat de qualification, ne pourrait-on pas, madame le ministre, reconduire cette prime une fois pour toutes, sans la remettre en cause chaque année ?
Votre politique est éloignée des réalités. Il m'est, en conscience, impossible d'y adhérer. Je crains que vos effets d'annonce et ceux de tout le Gouvernement ne vous entraînent dans des dérapages inquiétants.
Quand on compare ce que, sur scène, vous prétendez bâtir et ce que, en coulisse, vous détruirez immanquablement à terme, il y a vraiment de quoi s'inquiéter !
Quand on voit cette proposition utopique et floue d'abaissement à trente-cinq heures de la durée du temps de travail évoluer au gré des déclarations,...
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Tantôt dix, tantôt vingt !
M. Alain Gournac. ... quand on voit cette promesse électorale s'interpréter différemment au gré des réactions du public, quand on voit combien votre effet d'annonce a du mal à faire face, non pas aux pesanteurs de notre société, comme vous aimeriez nous le faire croire, mais aux dures réalités économiques de la mondialisation, on ne peut, là non plus, vous suivre, madame le ministre.
Pour toutes ces raisons, et parce que vos choix relèvent selon moi d'une imprévoyance économique qui découle d'une bévue idéologique, madame le ministre, je ne voterai pas ce projet de budget relatif à l'emploi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Mazars.
M. Georges Mazars. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste tient d'abord à féliciter le Gouvernement pour l'ensemble du projet de loi de finances pour 1998. En effet, l'équilibre budgétaire et la volonté de respecter les critères de Maastricht sont autant d'éléments positifs dans les propositions budgétaires du Gouvernement.
Maîtriser les dépenses publiques tout en orientant les moyens budgétaires prioritairement en faveur de l'emploi, du logement, de la recherche, de l'éducation, de la justice et de la solidarité : tel a été l'objectif du Gouvernement. Ainsi, les axes prioritaires dégagés montrent la voie d'une nouvelle politique, une politique de gauche.
L'emploi se trouve au coeur des préoccupations de ce projet de loi de finances puisque le budget du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle est en augmentation de 3,6 %. La précarisation de la société française et le taux inquiétant du chômage exigent des mesures d'urgence, des efforts particuliers.
La hausse des crédits en faveur de l'emploi, le plan emploi-jeunes et la mise en route d'un processus conduisant à la réduction du temps de travail sont autant de dispositions significatives pour répondre avec efficacité à l'urgence sociale : nous ne pouvons qu'en féliciter le Gouvernement.
Par ailleurs, le sommet européen sur l'emploi, qui fut, rappelons-le, organisé sur l'initiative de la France, a eu le grand mérite de dégager, à l'échelon européen, des objectifs en faveur de l'emploi.
Les Français, si l'on en croit notamment les sondages, sont sensibles à ces orientations et semblent bien approuver cette nouvelle politique. Le groupe socialiste du Sénat entend manifester son soutien et encourager le Gouvernement dans cette voie.
Je voudrais m'attacher ici plus particulièrement aux mesures qui, dans le projet de loi de finances pour 1998, concernent les personnes handicapées.
Le chômage touche toujours plus durement les plus fragiles d'entre nous. Les personnes handicapées, que leur handicap soit mental ou physique, se trouvent ainsi victimes entre les victimes de la situation socio-économique.
Nous avons donc, madame la ministre, accueilli très favorablement les nouvelles dispositions budgétaires proposées par le Gouvernement à cet égard. Vous avez manifesté un intérêt particulier pour l'emploi de ces personnes, et nous vous en félicitons.
Les crédits dévolus à en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés sont nettement en hausse. La somme dégagée pour 1998 sera destinée à financer les programmes départementaux d'insertion professionnelle ; elle permettra surtout d'achever la nécessaire couverture du territoire.
De plus, les crédits affectés au reclassement des travailleurs handicapés s'élèvent à 5,228 milliards de francs, contre 4,944 milliards de francs en 1997, soit une hausse de 5,7 %. Comme l'an dernier, 500 nouvelles places en ateliers protégés pourront être financées. Quant aux crédits destinés aux équipes de préparation et de suite du reclassement, les EPSR, ils passeront de 50 millions à 53,38 millions de francs, ce qui améliorera les conditions de placement des candidats à l'emploi. Est par ailleurs prévue la création de 2 000 places en centre d'aide par le travail, les CAT.
Ainsi, le nombre total de personnes placées sera de 111 850, se répartissant ainsi : 85 450 en CAT, 13 600 en ateliers protégés et 12 800 en milieu ordinaire.
En outre, la garantie de ressources est en significative augmentation : elle passe de 4,712 milliards de francs en 1997 à 4,981 milliards de francs pour 1998.
Par ailleurs, dans le budget de l'action sociale et de la solidarité, est notamment prévue une augmentation des crédits affectés à l'allocation aux adultes handicapés, qui s'élèveront en 1998 à 23,4 milliards de francs, contre 22,3 milliards de francs en 1997. Nous nous en réjouissons.
Toutes ces mesures sont positives. Néanmoins, elles ne sauraient être suffisantes, tant la situation de nos compatriotes handicapés est préoccupante. Nous savons que ce budget a été élaboré en un temps restreint et que les tâches du Gouvernement, depuis son arrivée, ont été considérables. Ce budget, nous le comprenons bien, n'est qu'un budget de transition. Ce n'est donc qu'en vue d'une politique globale à venir concernant les personnes handicapées que nous souhaiterions émettre quelques observations.
Je formulerai d'abord, un certain nombre de remarques sur l'association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, l'AGEFIPH.
Rappelons que l'obligation d'embauche de 6 % de personnes handicapées par les entreprises privées n'est pas respectée. La situation est pire dans le secteur public. De plus, nous pensons que l'AGEFIPH a, non pas à financer la garantie de ressources, mais à servir le développement de l'insertion professionnelle. Pourtant, comme le disait naguère le député Michel Berson, le rôle de l'Etat est de mobiliser les ressources pour faire appliquer la loi, et non de ponctionner les ressources pour financer autre chose.
Il s'agit là d'un choix politique : le groupe socialiste souhaite que soit favorisé le travail en milieu ordinaire afin de promouvoir l'insertion des personnes handicapées. C'est donc une remise à plat de cet aspect de la politique en faveur des personnes handicapées qu'il faudra envisager à l'avenir.
Par ailleurs, une revalorisation de l'allocation compensatrice des frais professionnels s'impose : il faudrait rehausser le plafond pour aider les personnes handicapées à s'insérer dans des professions valorisantes.
Quant aux commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel, les COTOREP, même si leur travail est allégé parce qu'elles ne prennent plus en charge l'allocation compensatrice pour les personnes de plus de soixante ans, le problème de la qualité de l'équipe technique reste entier. De nombreuses orientations sont décrétées trop hâtivement. Surtout, l'examen à partir du seul dossier est inacceptable : un entretien avec la personne handicapée, pour le moins, est indispensable. Il faut donc contrôler ces institutions. De plus, une amélioration des conditions de fonctionnement des COTOREP se révèle nécessaire.
Par ailleurs, le temps est venu d'évaluer les lois de 1975 et de 1987. Il faut aussi expertiser le fonctionnement du placement en CAT, en atelier protégé, en foyer occupationnel. Est-on certain que l'on n'oriente pas un peu vite en CAT des personnes qui pourraient aller en milieu ordinaire ou moins protégé ? Il convient de rappeler que chaque place de CAT coûte, en moyenne, 67 500 francs à la collectivité.
Ne cède-t-on pas, en l'occurrence, à la facilité ? Ne serait-il pas préférable d'utiliser les fonds disponibles, par exemple à l'AGEFIPH, pour compléter la formation professionnelle des travailleurs handicapés et leur insertion dans l'entreprise, les collectivités territoriales ou la fonction publique ?
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Très bonne question !
M. Georges Mazars. J'ajoute que, dans les CAT, aucun contrôle sur la destination des bénéfices n'est effectué.
Il ne s'agit là que de quelques exemples. Plus généralement, le temps nous semble venu de procéder à une refonte de l'ensemble de la politique en faveur des handicapés. Plutôt que d'augmenter les sommes qui leur sont consacrées, il convient, à mon sens, d'évaluer les dispositifs en place, de revoir les diverses affectations budgétaires et de rendre plus cohérent l'ensemble de la politique menée en faveur de ce public.
M. Jean Chérioux. Très juste !
M. Georges Mazars. Cette politique mérite d'être pleinement axée sur la solidarité mais, loin d'être un assortiment de mesures caritatives, elle doit avoir pour objectif la lutte contre l'exclusion et marquer une volonté d'intégration de cette population dans notre société.
A une logique de prise en charge, indispensable pour quelques-uns, il faut substituer une dynamique d'intégration pour le plus grand nombre, seule susceptible de valoriser les potentialités, exprimées ou cachées, des personnes handicapées et de conduire à une citoyenneté plus achevée dans les faits.
En ce début de législature, madame la ministre, il est souhaitable d'évaluer les dispositifs en place en matière de handicap. Forts de ces évaluations, nous serons mieux à même d'orienter la politique en faveur des personnes handicapées vers une réelle intégration.
Le handicap est un problème de société qui nous concerne tous. Autant qu'il est possible, nous ne devons plus raisonner en termes de simple prise en charge, comme si les handicapés formaient une population passive. Nous devons exprimer notre solidarité envers eux en déterminant avec eux leur propre projet de vie et en les aidant à le réaliser.
A l'avant-veille de la Journée internationale des personnes handicapées, les acteurs sociaux et les associations concernés attendent avec impatience que le Gouvernement annonce les grands axes de sa politique à venir en matière de handicap. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, si le budget du travail et de l'emploi fait partie des budgets qui progressent sensiblement, force est de constater que ces crédits sont essentiellement consacrés à une politique sociale de l'emploi, le secteur économique étant pour sa part pénalisé.
En effet, vous consacrez, madame le ministre, plus de 8 milliards de francs au plan emplois-jeunes et 3 milliards de francs au dispositif des trente-cinq heures, mais vous réduisez dans le même temps l'allégement des charges sur les bas salaires, réduction accentuée pour le travail à temps partiel.
L'article 65 du projet de loi de finances, qui remet en cause la politique de baisse du coût du travail et qui rétablit la proratisation des réductions de charges pour le temps partiel, portera inévitablement atteinte à la création d'emplois, comme l'a souligné M. Souvet, rapporteur pour avis.
Je vous rappelle que 80 % des emplois à temps partiel sont créés par les entreprises de moins de cinquante salariés. En les pénalisant, vous pénalisez donc également un potentiel notable de création d'emplois. De plus, les associations comme les associations d'aides ménagères, qui ne travaillent pratiquement qu'à temps partiel, ne seront-elles pas concernées ?
Il est du reste paradoxal de vouloir, d'une part, réduire absolument le temps de travail et de supprimer, d'autre part, les avantages liés au temps partiel. Vous préférez imposer de manière unilatérale et autoritaire le passage aux trente-cinq heures, et donc le partage du travail, plutôt que de favoriser la création d'emplois à temps partiel. N'est-ce pas contradictoire ?
Madame le ministre, je crains que les trente-cinq heures payées trente-neuf ne créent pas d'emplois supplémentaires. Au contraire, ce dispositif ne fera qu'augmenter considérablement les coûts de production et diminuer ainsi la compétitivité des entreprises. Il provoquera, par conséquent, à terme, une aggravation du chômage. Il risque aussi d'inciter aux délocalisations et, surtout, de freiner l'installation d'entreprises étrangères dans notre pays.
Si la baisse du temps de travail est inscrite dans l'histoire, elle doit s'opérer à raison des gains de productivité. Elle ne peut être décrétée par une loi qui porte atteinte à l'autonomie des salariés et des entreprises sur ce sujet capital.
Du reste, à cet égard, la communication du Gouvernement gagnerait à plus de clarté sur certains points.
Ainsi, le passage aux trente-cinq heures s'effectuera-t-il avec ou sans perte de salaire ?
Comment pourront s'organiser les toutes petites entreprises, pour lesquelles le passage aux trente-cinq heures n'équivaut à la création d'un emploi qu'à partir de neuf salariés ?
Ce passage entraînera-t-il des modifications dans la législation concernant le temps partiel et les heures supplémentaires ?
Vous avez décidé de pénaliser les très petites entreprises également en supprimant l'exonération de 30 % sur les cotisations d'assurance maladie des travailleurs indépendants. Cette disposition va limiter la création d'entreprises individuelles, domaine dans lequel la France est déjà très en retard, et donc, là encore, la création d'emplois.
Il est évident que ce projet de budget fait le choix du traitement social du chômage contre la création véritable d'emplois, en préférant subventionner plutôt que poursuivre une politique de baisse du coût du travail. Ce choix idéologique, je le récuse. D'autant que, selon un économiste bien connu, l'allégement des charges a permis la création de 350 000 emplois depuis 1993 dans les secteurs des services et de la distribution.
Oui, votre choix est idéologique. C'est votre droit le plus strict ! Je reconnais votre détermination, votre volonté à lutter contre le cancer de ce siècle qu'est le chômage. Mais votre stratégie n'est pas la bonne.
L'expérience et les études montrent que les emplois type collectivités ou associations - ces dernières n'interviennent pas dans le secteur marchand - que les réductions de la durée du travail et les départs anticipés à la retraite, n'ont des effets positifs qu'à court terme sur le niveau du chômage. En revanche, à long terme, ils détruisent des emplois dans le secteur marchand et entraînent donc nécessairement de nouveaux plans sociaux, alors que c'est l'inverse qui se produit si l'on pratique des allégements de charges.
Une autre politique est donc possible. D'ailleurs, votre projet de budget en contient une esquisse, madame le ministre. En effet, le Gouvernement a créé un avantage en crédit d'impôt pour les entreprises qui créeraient de nouveaux emplois. Encore faut-il que l'entreprise réalise des bénéfices. En outre, cet avantage est très peu incitatif.
Mais il s'agit quand même d'une timide avancée. Elle est cependant loin d'une proposition, que je défends depuis deux ans, d'activer les dépenses passives du chômage en les utilisant pour créer des emplois nouveaux. Je vous ai écrit à ce sujet, madame le ministre, mais je n'ai pas obtenu de réponse. Il est vrai que vos prédécesseurs, en dehors d'encouragements de façade, n'ont rien fait non plus. Ne pourrait-on pas, au moins, expérimenter cette idée, en particulier pour les entreprises dont parlait M. Fourcade voilà un instant ?
Je suggérerai une autre piste pour créer des emplois. Nos entreprises, en particulier les plus petites, ne peuvent employer à temps plein des techniciens ou des cadres qui pourraient seconder le responsable de l'entreprise, lequel doit tout faire.
Le multisalariat pourrait constituer une solution, à condition que cette solution soit simple pour l'entreprise et offre toutes garanties pour l'employé. Il semblerait que des obstacles juridiques en empêchent le développement. Ne serait-il pas urgent de les lever ?
Enfin, le contenu de votre projet de budget en matière de formation m'inquiète. La formation en alternance n'est pas votre souci primordial, particulièrement en ce qui concerne les contrats de qualification, comme le soulignait M. Madelain, rapporteur pour avis. Les très intéressantes propositions du rapport de Virville seront-elles mises en oeuvre ?
Ne va-t-on pas, enfin, parler de compétences plutôt que de formation, qu'il s'agisse des compétences nécessaires à l'entreprise ou de la mise en évidence et du développement des compétences des individus, salariés ou au chômage ? Ne faut-il pas créer un véritable marché des compétences pour favoriser l' « employabilité » ?
Telles sont les pistes d'une autre politique inspirée par le principe que la croissance entraîne la solidarité, et non pas l'inverse comme le proclamait votre collègue le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie à l'ouverture de la séance budgétaire à cette même tribune.
Je sais que vous n'aimez pas que l'on vous cite l'exemple américain, mais, selon une étude récente publiée par le journal Le Monde , la France compterait 25 % d'emplois par habitant en moins que les Etats-Unis, résultat qui est dû, surtout, au coût du travail.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Absolument !
M. André Jourdain. Vous faites fausse route ! Mon opposition est donc une opposition de fond.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je ne voterai pas ce budget. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de budget de l'emploi, comme celui de la solidarité d'ailleurs, est porteur des priorités les plus fortes qui ont été affirmées par M. le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale : priorité à l'emploi, priorité à la prévention et à la lutte contre les exclusions.
Ce projet de budget doit donc contribuer à réaliser les ambitions contenues dans le pacte de développement et de solidarité qui a été proposé par le Gouvernement aux Français, en favorisant l'émergence d'un nouveau modèle de développement plus solidaire et plus riche en emplois.
Je n'ignore pas que vous avez placé votre démarche sous le signe de la maîtrise des dépenses publiques - comme nous d'ailleurs ! - et que vos commissions portent un regard critique sur la progression des crédits : plus 3,6 % pour le budget de l'emploi, avec 155,8 millions de francs ; 4,4 % si on ne prend pas en compte les charges communes.
Je souhaite néanmoins vous rappeler que si ce budget augmente, c'est parce qu'un certain nombre de ministères - le nôtre aussi, d'ailleurs ! - ont réalisé des économies pour pouvoir financer ces priorités en faveur de l'emploi et de la lutte contre les exclusions, malgré une augmentation des dépenses publiques qui, cette année, je vous le rappelle, sera inférieure à l'inflation, ce qui n'était pas arrivé depuis quinze ans.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Ce n'est pas exact !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. M. Barrot lui-même, rapporteur spécial à l'Assemblée nationale, l'a souligné ! Mais peut-être se trompe-t-il tout comme moi, monsieur le rapporteur spécial !
J'espère cependant vous convaincre que cette progression est mise au service d'une action publique nouvelle, comme l'a très bien souligné Mme Dieulangard, qui produira de l'activité et qui permettra de changer l'approche traditionnelle des aides à l'emploi.
Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'un budget élevé est le signe d'un bon budget.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial, et M. Jacques Oudin. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je pense simplement qu'un bon budget est un budget qui correspond à des besoins à un moment donné, qui fait en sorte que chaque franc dépensé soit le mieux dépensé possible et qui répond correctement aux attentes de nos concitoyens. J'espère que c'est le cas de ce budget !
Cette volonté de répondre aux souhaits de nos concitoyens passe par le fait de casser cette spirale du chômage, de l'exclusion, de l'isolement, de la crainte de l'avenir qui, malheureusement, fait partie de l'état d'esprit actuel de notre pays.
Aujourd'hui, nous savons que, pour accroître la croissance, il faut d'abord relancer la consommation. C'est ce que nous avons entrepris, en redonnant du pouvoir d'achat à ceux qui en ont le plus besoin : augmentation du SMIC, augmentation de l'allocation de rentrée scolaire, revalorisation de l'APL, basculement des cotisations d'assurance maladie vers la CSG.
C'est pourquoi, quant M. Carle me dit que « nous ne créons pas les conditions de la croissance », je souhaite lui demander si le précédent gouvernement, en prélevant 120 milliards de francs sur les ménages, en faisant en sorte que la consommation soit en baisse l'année dernière et que notre croissance soit inférieure de 0,5 point à l'ensemble de la moyenne européenne, a effectivement mis en marche ce pays.
Vous nous dites, monsieur le sénateur, que nous mettons la France sous Témesta ! J'ai l'impression qu'elle était sous un traitement beaucoup plus dur ces dernières années et qu'elle essayait d'avancer tous freins serrés. C'est en tout cas ce que nous disent l'ensemble des experts économiques ! C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il faut relancer la consommation. C'est d'ailleurs là que se trouvent les premiers résultats de l'action du Gouvernement ; les derniers chiffres viennent d'être publiés.
Monsieur Gournac, je continue à ne pas comprendre vos attaques. Avez-vous soutenu un gouvernement qui a réussi à lutter contre le chômage ? Ce gouvernement a-t-il fait preuve d'imagination ? Les Français n'ont-ils pas choisi ? Ne faut-il pas aujourd'hui essayer autre chose ? C'est ce que nous tentons de faire, avec modestie, mais aussi, je l'ai dit, avec détermination.
Une lutte sans merci contre le chômage passe donc non seulement par un approfondissement de la croissance, mais également par une action sur l'offre, en facilitant le développement des petites entreprises, notamment par des simplifications administratives : je rejoins là ce qu'a dit M. Jourdain.
Le Gouvernement annoncera d'ailleurs le 3 décembre prochain, c'est-à-dire cette semaine, un important programme de simplifications administratives. Toutefois, l'aide aux PME passe aussi par un crédit d'impôt pour l'embauche de nouveaux salariés, par l'aménagement de la fiscalité des entreprises innovantes, toutes choses qui se trouvent dans le budget du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie pour 1998.
Le budget pour l'emploi est un budget de rupture, a dit Mme Dieulangard, par rapport à la démarche traditionnelle du ministère, qui est essentiellement centrée sur le traitement et l'accompagnement social. Elle a raison !
Non pas qu'il faille mettre fin à ces dispositifs qui préparent ou permettent d'attendre une réinsertion sur le marché du travail. Mais l'accompagnement social n'a de véritable sens que s'il débouche sur de vrais emplois, car l'emploi reste la clé pour trouver sa place dans la société.
Deux mesures novatrices illustrent ce tournant vers une politique offensive de l'emploi. Elles s'accompagnent d'autres dispositions, notamment pour le développement des PME et des technologies nouvelles, qui figurent dans le projet de budget du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
Le dispositif en faveur des jeunes va accélérer l'émergence des nouveaux métiers de demain, des métiers durables et potentiellement solvables, car ils correspondent à de vrais besoins.
Je sais que nombre d'entre vous en doutent. Mais, à la lecture des premiers accords que nous signons, je suis de plus en plus convaincue que cette démarche est la bonne. D'ailleurs, de nombreux élus, qu'ils soient maires, présidents de conseil général ou de conseil régional, signent aujourd'hui des contrats avec nous, et ils siègent sur toutes les travées de cette assemblée.
Le tour de France que mes collaborateurs et moi-même avons effectué, rencontrant non seulement tous les préfets, mais aussi plus de vingt mille élus, nous a permis de faire passer la logique qui est la nôtre à cet égard, et que vous partagez, à savoir que ces emplois ne doivent pas entrer dans le champ des emplois publics et qu'ils ne doivent pas non plus faire concurrence aux entreprises privées. J'en ai pris l'engagement !
Je peux vous faire part d'une anecdote qui me paraît intéressante : dans les premières lettres que j'ai reçues des élus, ceux-ci me disent : « Cela ne va pas ; le préfet m'empêche de développer tel ou tel type d'emploi, parce qu'une entreprise privée exerce la même activité à côté ou parce qu'il considère que cela fait partie de mon rôle de maire. »
Eh bien ! je me félicite d'une telle attitude des préfets. En effet, peut-être pour la première fois depuis des années, nous leur avons dit que nous attendions d'eux non pas du quantitatif, mais bien une approche qualitative de ces emplois et que c'est là-dessus qu'ils seront jugés.
Les emplois-jeunes ne doivent pas faire concurrence aux emplois publics ; ils ne doivent pas faire concurrence non plus aux emplois privés ; ils doivent être potentiellement solvables et pérennisables, même si j'ai conscience qu'à la marge nous pouvons nous tromper - nous devons avoir la conviction, quand nous signons ces accords, qu'il existe des marges de solvabilisation - et ils doivent être professionnalisés. C'est tout l'esprit de ce que nous faisons actuellement.
Je citerai quelques chiffres : 8,35 milliards de francs sont consacrés, au total, aux emplois-jeunes, dont 300 millions de francs affectés aux DOM. Cette enveloppe a été précédée par l'ouverture de 2 milliards de francs par décret d'avance en juillet dernier.
Sur le fond, je conteste l'affirmation de M. Souvet, rapporteur pour avis, selon laquelle l'objet de la mesure est moins de créer des activités nouvelles que d'offrir aux jeunes des perspectives d'emploi dans le but d'engranger, dans un court laps de temps, des bénéfices immédiats en termes de statistiques et de politique.
Je souhaite rassurer M. Souvet - si tant est que ce soit le rassurer - en lui disant que la plupart des jeunes aujourd'hui au chômage ne sont pas inscrits à l'ANPE. J'ai demandé aux préfets d'accorder une priorité aux jeunes de nos campagnes, à ceux des quartiers en difficulté, qui sont loin de l'emploi et qui ne sont pas inscrits à l'ANPE. Cela ne fera pas baisser les chiffres du chômage, mais redonnera espoir à ces jeunes et à leur famille. C'est ce que nous essayons de faire !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Les contrats d'objectifs que j'ai déjà signés ou qui le seront dans les prochains jours démontrent d'ailleurs abondamment ce fait. Jeudi dernier, j'ai signé des contrats d'objectifs avec les présidents des conseils régionaux de Poitou-Charentes et du Limousin, MM. Raffarin et Savy.
J'ai également signé des contrats d'objectifs avec six conseils généraux, avec des dizaines de villes ou des structures intercommunales, mais aussi avec les grands réseaux associatifs et les employeurs publics.
Les premiers accords ont été conclus dans différents secteurs : le tourisme, les sports, les loisirs, l'éducation populaire, l'environnement.
D'autres accords seront conclus dans les prochains jours dans les domaines de la justice - dès demain - de l'action sociale et de l'insertion, du logement social, ainsi qu'avec de grands organismes publics. Ces grands réseaux apporteront à leur structure locale un soutien à la fois dans la définition de ces nouveaux métiers et dans leur capacité à les professionnaliser, donc à entraîner des formations.
L'ensemble de ces contrats porte déjà à cinquante-deux mille les engagements de créations d'emplois sur l'ensemble de la période. Le sens même de ces contrats d'objectifs est de s'engager à assurer la solvabilité et la pérennité des emplois-jeunes. Ce sont les critères essentiels.
En outre, une multitude de projets d'intérêt local arrivent actuellement dans nos services, qui sont étudiés de manière très attentive.
Sommes-nous les seuls ? J'ai entendu, en effet, de nombreuses critiques sur ces emplois-jeunes, considérant que les nouveaux besoins n'existaient pas, que l'on ne savait pas très bien si ces emplois virtuels allaient devenir des emplois réels.
Je tiens à préciser que le gouvernement des Pays-Bas, dont la tonalité libérale ne vous aura pas échappé, vient d'annoncer un programme de même nature financé totalement par l'Etat pour 100 000 chômeurs. Sur 350 000 chômeurs aux Pays-Bas, plus de 100 000 chômeurs seraient concernés, ce qui représente, dans notre pays, l'équivalent de 1 million au lieu de nos 350 000 emplois-jeunes.
Puis-je vous dire aussi que les gouvernements espagnol et italien viennent de nous demander de préparer un séminaire pour leurs collaborateurs, car ils s'intéressent à l'expérience française ? Peut-être n'y aura-t-il qu'en France que l'opposition continuera à considérer que ces emplois sont virtuels et qu'ils n'ont aucun sens dans un nouveau modèle de développement européen, que pourtant nous recherchons et qui est d'ailleurs fortement inscrit dans le compte rendu de la conférence des 20 et 21 novembre dernier en Europe.
Voilà donc ce que je souhaitais vous dire en la matière. M. Mazars a eu raison d'insister sur le fait qu'il s'agit bien d'une vision européenne de nos sociétés de demain qui seront plus porteuses de services et d'une meilleure qualité de vie pour tous.
Il ne s'agira pas non plus de « petits boulots ». J'ai insisté sur la nécessité d'assurer la pérennité et la solvabilité des emplois-jeunes. M. Fischer a souligné ce point avec juste raison.
Sachez enfin, monsieur Jourdain que nous sommes incontestablement là au coeur de l'activation des dépenses passives. Quand nous nous employons à améliorer la sécurité de proximité pour éviter d'affecter des crédits au traitement de la délinquance, quand nous nous efforçons d'améliorer la qualité des services rendus aux personnes âgées à domicile plutôt que d'hospitaliser celles-ci, nous sommes bien en train d'activer les dépenses passives que paie aujourd'hui la collectivité sur le budget de l'Etat ou en matière de sécurité sociale. Mais nous le faisons, me semble-t-il, d'une façon économique et sans prêter le flanc à la critique sur le plan social.
Par ailleurs, la loi du 16 octobre 1997 a créé un dispositif d'encouragement des jeunes à la création d'entreprises. Une ligne nouvelle, dotée de 200 millions de francs, est ouverte à cet effet.
La seconde piste nouvelle est la réduction de la durée du travail. Je n'insisterai pas longuement sur ce thème car nous aurons l'occasion d'y revenir au début de l'année prochaine.
Je rappellerai simplement que la France se situe dans la moyenne européenne. Les Français travaillent moins que les Anglais, mais plus que les Allemands, les Néerlandais, les Belges et les habitants de l'ensemble des Etats du Nord. Nous nous situons aujourd'hui au même niveau que l'Italie. La réalité, la voilà ! Cessons de répéter que, non contents d'être ceux qui travaillent le moins, nous allons encore moins travailler. L'Italie se dirige vers les trente-cinq heures. L'Autriche est en train de préparer un accord interprofessionnel national sur les trente-quatre heures. L'Allemagne en est déjà à trente-cinq heures dans l'industrie, tandis que la Belgique est aujourd'hui à 35,6 heures.
Telle est la réalité. On peut se boucher les yeux, mais elle existe. Ce sont des faits démontrés par les statistiques de l'OCDE.
Le Gouvernement s'est engagé à passer aux trente-cinq heures au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de vingt salariés et en 2002 pour l'ensemble des entreprises.
Je ne reviendrai pas ici sur le dispositif que nous mettons en place. Il s'agit d'un dispositif souple, qui fait la part belle aux négociations puisqu'elles dureront plus de deux ans. Par ailleurs, il apporte, sous forme d'abattements forfaitaires des cotisations sociales, une aide importante de l'Etat proportionnelle à l'effort réalisé en matière d'emploi. Le bilan qui sera dressé à la fin de 1999 permettra de préparer le projet de loi définitif pour le 1er janvier 2000.
Dans cette perspective, une provision de 3 milliards de francs est constituée, sans être individualisée, au sein des 43,2 milliards de francs inscrits aux charges communes, sur la ligne de l'allégement de cotisations sur les bas salaires. Cette provision permettra de financer le passage aux trente-cinq heures pour un million de salariés environ.
Cette loi, selon le calendrier parlementaire actuel, devrait être votée au début du mois de mars.
Cette provision s'ajoute à l'enveloppe de 2,14 milliards de francs prévue pour financer la loi de Robien, soit 1,3 milliard de francs de plus que la dotation de 1997. Nous avons, en effet, ménagé les moyens nécessaires à l'ensemble des conventions déjà signées ou qui le seront jusqu'à l'entrée en vigueur du nouveau dispositif, soit environ 1 500 conventions.
Bien évidemment, le nouveau dispositif remplacera la loi de Robien lorsqu'il sera voté, s'il l'est.
J'ajoute que la mesure incitative que la loi mettra en place comportera plusieurs avantages par rapport à la loi Robien. Je crois savoir que, sur certains de ces points, M. Gilles de Robien n'est pas en désaccord avec nous.
Cette mesure incitative sera forfaitaire et non, comme ce dispositif, proportionnelle aux cotisations sociales et donc aux salaires. Ainsi, elle contribuera à réduire le coût du travail sur les bas salaires que vous réclamez par ailleurs. Elle sera dégressive entre 1998 et 2002, au lieu d'être stable de la deuxième à la septième année, ce qui laissera le temps aux entreprises de s'adapter. Enfin, elle sera permanente puisqu'une aide structurelle est prévue in fine qui permettra de diminuer effectivement le coût du travail.
A l'offensive pour l'emploi par ces nouvelles activités et la réduction de la durée du travail répond l'offensive pour la prévention et la lutte contre les exclusions. Les dispositifs traditionnels de traitement social du chômage sont replacés dans cette perspective. Nous savons bien en effet que nombre de ces dispositifs ont été dévoyés et utilisés pour des demandeurs d'emploi qui n'étaient pas en situation de difficulté.
J'ai voulu que les programmes de contrats aidés ne fassent pas les frais, si je puis m'exprimer ainsi, des emplois-jeunes, non pas pour maintenir coûte que coûte des formules dont on a trop longtemps usé pour contenir parfois, d'ailleurs, les statistiques du chômage ou pour compléter les emplois publics, mais parce qu'il faut impérativement offrir des solutions d'insertion et d'accompagnement social aux publics en difficulté.
Nombre d'entre vous ont souligné l'augmentation qui continue à être importante du chômage de longue durée. Nous devons absolument continuer à aider les jeunes trop éloignés du monde du travail et qui ont besoin qu'on leur remette le pied à l'étrier ainsi que les adultes chômeurs de longue durée à qui il faut ménager un sas entre la période de chômage et celle où ils retrouveront un emploi durable.
Ainsi, les contrats emploi-solidarité seront maintenus au niveau de 500 000 entrées. Comme l'a souligné Mme Dieulangard, il est temps de réorienter ces contrats vers les personnes les plus en difficulté. Je m'apprête à donner pour 1998 des instructions extrêmement claires sur ce point.
Les contrats consolidés à l'issue d'un CES sont renforcés de 50 % et passent de 20 000 à 30 000. Tout le monde s'accorde à dire que, pour les chômeurs âgés, ces contrats constituent une bonne solution après les CES.
Seuls les emplois de ville, qui n'ont d'ailleurs pas répondu aux ambitions initiales, puisque leur nombre s'est élevé à 12 000 au lieu des 25 000 espérés, sont supprimés parce que englobés en grande partie par les emplois-jeunes. Nous avons, néanmoins, conservé 414 millions de francs de crédits pour ceux qui ne pourraient pas remplir les conditions pour occuper un emploi-jeunes. L'accent est résolument mis sur l'insertion des personnes les plus défavorisées.
J'en veux encore pour preuve l'augmentation des crédits de l'insertion par l'activité économique ; 700 postes en entreprises d'insertion seront créés en 1998, soit 10 % du nombre de postes existants. L'insertion par l'activité économique, qui a beaucoup souffert ces dernières années, disposera d'une enveloppe en hausse de 6 %, ce dont je me félicite, car, je tiens à le dire, je me suis battue à cet effet.
Je souhaite, moi aussi, comme Mme Dieulangard, que les emplois-jeunes ne fassent pas concurrence aux entreprises d'insertion ni aux entreprises privées. A cet égard, la circulaire envoyée aux préfets est très claire.
Les contrats initiative-emploi entrent désormais dans cette logique d'insertion des plus défavorisés. Ce dispositif très coûteux au départ - nous l'avions critiqué pendant la campagne de l'élection présidentielle - et sans contrepartie de la part des entreprises a produit des effets pervers si évidents que le gouvernement précédent l'a profondément recentré sur les publics prioritaires. Finalement, le CIE est proche du contrat de retour à l'emploi, tel que nous l'avions mis en place les années précédentes.
Deux cent mille entrées sont prévues en 1998, monsieur Marini, ce qui correspond au niveau atteint cette année. Il ne s'agit pas de la manifestation d'une volonté de réduire leur nombre, monsieur Souvet ; nous tenons simplement à tenir compte de la réalité. En effet, nous ne croyons pas que, cette année, nous pourrons aller au-delà. Bien évidemment, si nous y parvenions, je serais très heureuse de revenir sur cette question lors du collectif de juin prochain. Il ne sert à rien de « budgéter » des crédits dont nous savons pertinemment qu'ils ne seront pas dépensés ou, en tout cas, qui ne le seront pas convenablement.
Il faut inclure, parmi les mesures d'aide à l'insertion, le programme du FNE en faveur des chômeurs de longue durée. La capacité d'accueil dans les SIFE est portée à 160 000 places, soit 30 000 places de plus que ce qui était budgété en 1997, mais ce chiffre est calé sur les besoins tels qu'ils ont émergé.
Telle est, monsieur Marini, la réponse essentielle que nous apportons aux chômeurs de longue durée. Vous vous êtes demandé si, effectivement, ces SIFE étaient utiles. Qu'ils soient individuels ou collectifs, ils constituent aujourd'hui le seul moyen dont dispose le service public de l'emploi pour donner une formation à des chômeurs de longue durée.
En outre, le taux d'insertion à la sortie de ces stages, qui est de 40 %, prouve leur utilité, même s'il faut toujours, bien entendu, faire en sorte que ce taux soit encore plus élevé.
L'orientation de la politique de l'emploi vers les plus défavorisés s'adresse également aux travailleurs handicapés. Il s'agit là d'une priorité, comme l'a indiqué M. Mazars. Je développerai tout à l'heure la mesure tendant à créer 2 000 places en CAT. Mais les moyens imputés sur le budget de l'emploi sont significatifs et en hausse de plus de 5 %. Ainsi, cinq cents places en ateliers protégés sont créées, la garantie de ressources des travailleurs handicapés augmente de manière concomitante et les aides individuelles sont renforcées puisque 10,5 millions de francs supplémentaires sont consacrés aux plans départementaux d'insertion des personnes handicapées et aux équipes de préparation et de suivi du reclassement professionnel.
Il faut travailler, de manière plus large, à la politique d'insertion des handicapés. Nous devons - M. Mazars l'a bien expliqué - mener en faveur de ceux-ci un travail identique à celui que nous avons commencé de réaliser en faveur des personnes âgées.
A l'instar de la grille AGGIR qui a été mise en place pour la prestation spécifique dépendance, nous devons mesurer réellement le handicap en prenant en compte la personne dans son intégralité, dans sa vie quotidienne, en envoyant une équipe multidisciplinaire à sa rencontre et non pas en se forgeant une opinion à partir d'un simple dossier, comme vous l'avez souligné.
Nous devons être capables de mesurer l'aide qui doit être apportée par l'Etat, qu'il s'agisse du maintien à domicile ou du placement en établissement, en prenant en compte les capacités financières de l'intéressé et de sa famille, lorsque c'est nécessaire.
Dans quelques jours, je confierai à un expert une mission sur l'aide à domicile afin que nous travaillions dans le même cadre pour les personnes âgées et les personnes handicapées. Vous avez eu raison d'insister sur la nécessité de mettre en place cette grande politique.
Je redis devant le Sénat que j'ai demandé à une mission conjointe de l'IGASS et de l'IGF de faire le point sur le fonctionnement actuel des COTOREP et de nous expliquer les causes de l'évolution extrêmement préoccupante du nombre de personnes handicapées. Je ne suis pas persuadé que cette évolution corresponde toujours à la réalité mais, en tout cas, elle prive les handicapés d'une revalorisation importante de leurs allocations.
C'est aussi la priorité de la lutte contre les exclusions qui éclaire les choix budgétaires en matière de préretraite et d'indemnisation du chômage.
M. Marini nous a demandé le nombre de licenciements que nous prévoyions pour 1998. On a dénombré 450 000 licenciements en 1995 et 480 000 en 1996. Nous ne connaissons pas encore le chiffre pour 1997 mais il se situera probablement dans cette fourchette. En 1998, ce chiffre se situera aux alentours de 450 000, peut-être sera-t-il inférieur, toutes choses égales par ailleurs, c'est-à-dire sans crise majeure, bien évidemment !
S'agissant des préretraites, mon souci est d'éviter que la collectivité n'assume la charge des restructurations pour des entreprises qui n'ont pas besoin d'une aide de l'Etat. Le rapport public de la Cour des comptes atteste d'ailleurs la réalité des usages abusifs de l'allocation spéciale du FNE, notamment dans le secteur de la construction automobile. Il s'ensuit, poursuit la Cour, « un déséquilibre entre les aides au maintien dans les entreprises et les aides à la sortie, au bénéfice de ces dernières ». C'est pourquoi, cette année, nous passons, en moyenne, de 30 000 à 20 000 entrées en préretraite.
En revanche, les préretraites progressives, les moins coûteuses pour la collectivité et les plus utiles, sont maintenues, en 1998, au niveau de 1997, c'est-à-dire à 25 000.
La contribution des grandes entreprises aux préretraites totales du FNE sera augmentée de façon à cibler les mesures sur les entreprises en difficulté, les régions en crise et les salariés qui ont accompli des travaux pénibles et qui ont donc besoin de partir en préretraite.
Je me suis aperçue, en prenant mes fonctions, que de grandes entreprises qui réalisaient des bénéfices importants avaient eu, lors de plans sociaux, de 70 % à 80 % de préretraites payées à concurrence de 90 % par la collectivité nationale.
Je souhaite en revenir à la situation qui était celle que j'avais laissée en 1993, à savoir une moyenne de 30 % de préretraites payées par rapport au nombre de salariés concernés par le plan social et non de 80 % comme c'est parfois le cas aujourd'hui. L'aide demandée aux entreprises sera d'autant plus importante qu'elles se situent dans un secteur qui fonctionne bien et qu'elles ont une situation convenable. J'ai noté avec satisfaction que la commission des finances et la commission des affaires sociales approuvaient cette orientation.
M. Marini m'a interrogée sur les congés de conversion. Nous en prévoyons 120 000, comme en 1997. L'augmentation du budget de 11,2 %, pour atteindre 980 millions de francs, est essentiellement due au fait que, en 1996 et en 1997, le financement de ce dispositif avait été assuré, à concurrence de 830 millions de francs, par un prélèvement sur les réserves de l'Association de gestion des conventions de conversion, l'AGCC. Il s'agissait donc d'une « queue de crédits » importante.
En 1998, ce prélèvement sera limité à 100 millions de francs, ce qui explique l'augmentation du montant des crédits inscrits au budget du ministère de l'emploi. Je reconnais que ce point méritait d'être précisé.
Par ailleurs, l'objectif du développement solidaire exige de permettre aux salariés âgés qui ont commencé à travailler jeunes et qui ont cotisé pendant quarante ans de pouvoir cesser leur activité. Tel est le sens de l'extension de l'ARPE à laquelle le Gouvernement est prêt à contribuer à concurrence de 40 % dès lors que les partenaires sociaux auront conclu des négociations à l'échelon interprofessionnel ou par branche. Je crois d'ailleurs savoir qu'une réunion interprofessionnelle se tiendra le 12 décembre prochain.
La même procédure sera suivie s'agissant du régime de solidarité d'indemnisation du chômage : les 8,115 milliards de francs prévus à ce titre permettront à la fois de couvrir la revalorisation générale de l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS, et une majoration spéciale pour les allocataires de celle-ci et du RMI âgés d'au moins cinquante-cinq ans et ayant validé quarante annuités de cotisations. Les modalités précises seront annoncées dans les prochains jours.
Enfin, je tiens à signaler à M. Madelain, à propos des crédits de l'allocation formation-reclassement, l'AFR, que les difficultés soulevées ces dernières semaines par les modifications des règles d'indemnisation sont dues aux décisions prises par les partenaires sociaux de l'UNEDIC.
A cet égard, les difficultés rencontrées par un certain nombre de bénéficiaires de l'AFR, qui s'étaient vu annoncer des indemnités de l'ordre de 4 000 francs et qui, au début du mois de septembre, ont reçu des chèques de 2 000 francs, m'ont amenée à intervenir auprès de l'UNEDIC. Les partenaires sociaux ont alors pris immédiatement une mesure conservatoire pour annoncer que ceux qui s'étaient vu notifier des montants les percevraient et pour porter le minimum de 2 200 francs à 3 200 francs. Cela est correct si nous essayons de garder une logique entre toutes les mesures de pure assistance et celles qui concernent les chômeurs faisant un effort important en matière de formation.
J'en viens à l'allégement du coût du travail.
La problématique est évidemment très différente. Je fais partie de ceux qui, comme je l'ai dit devant vos commissions, pensent que s'il n'y a pas de problème de coût net du travail dans notre pays, puisque les salaires nets se situent dans une moyenne européenne correcte, se pose effectivement un problème de charges sociales sur les bas salaires.
Fallait-il prendre les mesures qui ont été retenues par le Gouvernement et dont M. Fischer a dit, à juste titre, qu'elles constituaient la seule mesure importante des budgets de 1996 et 1997 ?
Avec cette ristourne dégressive sur les salaires jusqu'à 1,33 SMIC, les précédents gouvernements avaient porté l'effort d'allégement de charges au niveau de 40 milliards de francs.
Aujourd'hui, les experts évaluent - et il n'y a pas de doute sur ce point - à environ 45 000 en 1997 les emplois dont la création peut être attribuée à ces 40 milliards de francs.
Je ne veux pas déclencher de polémique ici, mais quand j'entends les critiques sur les emplois-jeunes - 92 000 francs par an - que je vois que, cette année, ces 45 000 emplois nouveaux ont coûté 1 million de francs à la collectivité nationale et que ces mesures de 40 milliards de francs doivent se poursuivre dans le temps alors que nous n'avons prévu pour les emplois-jeunes que cinq ans pour le financement public, je comprends assez mal, je dois le dire, la virulence de ces propos. Personnellement, je ne critique pas globalement ces baisses de charges ; je pense qu'il faut poursuivre l'expertise car nous étions dans une période de croissance insuffisante, comme je l'ai dit tout à l'heure, et je considère que ces mesures peuvent avoir un effet à moyen terme.
En tout état de cause, ceux qui, l'année dernière, ont choisi de consacrer 40 milliards de francs à la création de 45 000 emplois - soit à peu près 1 million de francs l'emploi ! - devraient sans doute être plus mesurés à l'égard de l'actuel gouvernement quand il tente, pour un coût plus de dix fois inférieur, de créer des emplois qui profiteront à l'ensemble de la collectivité nationale ou permettront une meilleure répartition du travail.
Si, sur ces sujets, nous privilégions les débats réels sur les polémiques inutiles, nous avancerions davantage.
Je n'oppose pas la baisse du coût du travail des bas salaires à l'ensemble des autres mesures. Notre pays va trop mal pour qu'on ne s'engage pas sur l'ensemble des pistes et pour qu'on n'ait pas un vrai débat sur ces questions, au lieu d'entendre des propos qui sont souvent peu conformes à la réalité. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. C'est aussi vrai d'un côté que de l'autre !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le rapporteur, vous me répondrez tout à l'heure si vous le souhaitez ! Je réponds à ce que j'ai entendu tout à l'heure, et vous verrez par la suite que certains éléments qui ont été avancés ne sont pas vérifiés.
Dans ce contexte, dans lequel nous ne savons pas encore ce que seront véritablement les effets de la réduction des charges sur les bas salaires, j'ai pris le parti du statu quo : l'enveloppe consacrée à la ristourne dégressive est maintenue à 40 milliards de francs.
C'est la situation réelle, et il est excessif d'évoquer un alourdissement des charges sur les entreprises, d'autant plus que le transfert des charges sociales sur la CSG, qui augmentera de 1,1 % le pouvoir d'achat des salariés, va peser en moins dans les négociations salariales au sein des entreprises et que les exonérations de charges que nous mettons en place par la réduction de la durée du travail va aussi réduire ces charges sociales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous donne rendez-vous en juin prochain. Nous ferons un bilan, nous verrons où sont intervenues les plus fortes baisses sur les bas salaires et quels ont été les effets en matière d'emploi. Dans ce domaine aussi, il faut un peu de modestie et un peu moins d'assurance.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Vous critiquez la mesure de proratisation des montants exonérés pour les emplois à temps partiel. Je suis d'autant plus étonnée qu'aucune organisation, même les organisations patronales, n'a critiqué cette mesure, qui est un avantage totalement excessif accordé aux emplois à temps partiel.
Peut-être modérerez-vous vos critiques lorsque vous aurez entendu l'exemple que je vais vous donner pour illustrer mon propos.
Deux emplois à mi-temps, rémunérés sur la base d'un salaire mensuel de 6 660 francs bruts, donc deux SMIC horaire, ouvraient droit à une exonération de deux fois 1 200 francs au titre de la ristourne et de deux fois 600 francs au titre de l'exonération temps partiel, soit au total 3 600 francs, ce qui représente environ 20 % d'allégement du coût du travail par rapport à un emploi à temps plein à deux SMIC. Cela signifie qu'une entreprise avait tout intérêt à embaucher deux salariés à temps partiel plutôt qu'un salarié au SMIC, sans qu'aucun autre avantage le justifie.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Effectivement !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Cet avantage excessif a été critiqué jusque dans les rangs des organisations patronales.
La deuxième mesure vise à ramener le plafond de l'exonération de 133 % à 130 % du SMIC. L'effet de cette mesure sur le montant en francs de l'exonération est atténué par la revalorisation du SMIC de 4 % intervenue en juillet. La « barre », avant la revalorisation, s'établissait à un salaire mensuel de 8 521 francs. Elle s'établira, après notre mesure, à 8 663 francs, soit au-dessus du montant de l'année dernière. Là encore, les chiffres sont là et il faut les reconnaître.
Le statu quo sur la ristourne ne signifie pas l'interruption du processus d'allégement des charges qui pèsent sur les salaires, je l'ai dit à propos du basculement des cotisations d'assurance maladie sur la CSG. Comme M. Fischer, je pense que le changement de l'assiette des cotisations patronales, qui pénalise aujourd'hui l'emploi, ira dans le sens de ce moindre coût, et de manière beaucoup plus juste sur les salaires, et favorisera l'emploi.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Enfin, vous savez que nous sommes contraints de mettre fin au plan d'allégement de charges pour le secteur textile-habillement-cuir, mis en place par le précédent gouvernement bien que la Commission de Bruxelles eût clairement prévenu du caractère illicite de ce plan et mis en garde contre le risque de devoir rembourser ces sommes, à moins d'étendre le dispositif à l'ensemble des secteurs, ce qui l'aurait porté à 80 milliards de francs.
J'imagine que, tout comme moi, vous pensez bien que le précédent gouvernement, qui devait déjà trouver 80 milliards de francs pour remplir les critères de Maastricht, aurait eu du mal à trouver une somme complémentaire. Je doute que votre commission des finances, si soucieuse de réduire les dépenses de l'Etat, aurait approuvé le doublement du coût de la mesure.
Cela étant, les inquiétudes des professionnels du secteur, que je connais et que je comprends parfaitement, ont été entendues. Nous avons obtenu de poursuivre l'application du plan dans les limites autorisées dans le cadre de la règle de minimis , c'est-à-dire à hauteur de 650 000 francs par entreprise sur trois ans. C'est l'objet d'un amendement du Gouvernement voté en première lecture par l'Assemblée et qui vous sera proposé.
Cette mesure est évaluée à quelque 500 millions de francs en 1998 et son financement est assuré par une réduction des crédits d'exonération de charges sociales des contrats d'apprentissage à hauteur de la diminution de la partie salariale de ces charges dans le cadre du basculement des cotisations maladie sur la CSG. A cet égard, je voudrais rassurer M. Souvet : les apprentis sont exonérés de la CSG et de la CRDS, et ce basculement n'aura aucun effet sur leur rémunération. C'est le 5° du III de l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale, qui dispose que ne sont pas inclus dans l'assiette de cette CSG les salaires versés au titre des contrats conclus en application de l'article L. 117-1 du code du travail, c'est-à-dire des contrats d'apprentissage. Il n'y aura donc aucun effet sur la rémunération des apprentis. Nous ne l'aurions évidemment pas fait si cela avait été le cas.
Les mesures d'allégement de charges inscrites sur le budget de l'emploi ont fait l'objet d'un traitement différencié en fonction de leur pertinence et de leur efficacité. Nous avons, par exemple, maintenu, tant que le bilan n'est pas fait, les exonérations sur les zones de redynamisation urbaine et sur les zones franches.
En revanche, le Gouvernement a décidé de mettre fin à l'exonération de 30 % de la cotisation minimale d'assurance maladie des travailleurs indépendants pendant les deux premières années de leur installation, qui avait été instituée par la loi Madelin de février 1994, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, la mesure n'a pas produit les effets attendus sur la création d'entreprises.
Ensuite, la mesure a été utilisée pour contourner le droit du travail par le biais d'une fausse sous-traitance imposée par des employeurs. Au cours d'un conflit récent qui a eu lieu à Roissy, nous avons constaté que les bagagistes s'étaient vu imposer par leur entreprise de s'installer en profession libérale au titre de la loi Madelin pour ne pas avoir à payer les cotisations sociales et qu'ils louaient leur porte-bagages à leur employeur. Voilà les effets de cette loi Madelin, à savoir un contournement du droit du travail et, en tout cas, pas une aide à ceux qui souhaitent vraiement créer des entreprises, aide que nous avons mise en place dans le projet de budget pour 1998 et que nous allons conforter, vous le constaterez, par les annonces du 3 décembre prochain.
En tout état de cause, le problème sera en grande partie réglé par le transfert des cotisations vers la CSG, puisque, du fait de ce transfert, la cotisation minimale de 7 600 francs pour les travailleurs indépendants est réduite de moitié et que la hausse concomitante de la CSG ne touche pas les bas revenus. Donc, nous aidons effectivement ceux qui s'installent et qui ont des revenus peu importants, sans entraîner le détournement qui existait jusqu'à présent.
Enfin, un dispositif d'exonération au profit du secteur des hôtels, cafés et restaurants a été prévu dans le projet de budget, pour 160 millions de francs, qui trouvera son assise juridique si l'amendement du Gouvernement, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, est voté. Il consiste à étendre le bénéfice de l'exonération de charges, à hauteur de 25 % pour 1998, aux rémunérations en nature sous la forme des repas fournis aux salariés. Là, nous reprenons à notre compte un engagement du précédent gouvernement, auquel je souscris totalement puisqu'il s'agit de suivre un accord de branche qui a été conclu par les organisations patronales et syndicales dans un secteur qui en est peu fourni, et qui avait pour contrepartie cette décision prise par l'Etat.
J'en viens à la politique de la formation professionnelle, qui est au coeur de la dynamique de l'emploi et qui, elle aussi, a besoin d'une impulsion nouvelle.
A champ constant, les crédits de la formation professionnelle augmentent de 2 %, avec un montant de 24,5 milliards de francs, dont la moitié pour les contrats en alternance.
Il est logique d'y ajouter le financement des formations AFPA, composé de la subvention de l'Etat et des rémunérations des stagiaires. Ainsi le budget de la formation professionnelle est-il porté à 30 milliards de francs, soit près de 30 % du budget de l'emploi hors charges communes. Je précise que la subvention à l'AFPA est maintenue. Cela étant, la poursuite des progrès de productivité engagés permettra de remplir les objectifs fixés.
Les enjeux de la formation professionnelle sont d'une importance capitale pour l'emploi. Développer l'accès à la qualification, assurer son entretien et son développement sont une priorité du Gouvernement. La qualification professionnelle est elle-même la garantie d'une mobilité professionnelle réussie dans l'entreprise et sur le marché du travail, et donc un facteur évident de sécurité de l'emploi.
Il faut développer la formation en alternance. Je voudrais apaiser les craintes de MM. les rapporteurs car je partage entièrement cette conviction, ils le savent bien puisque nous avons beaucoup travaillé ensemble sur ce point entre 1991 et 1993.
C'est une tâche à laquelle doivent s'attacher tous les acteurs, notamment les entreprises. Le nombre de jeunes actifs de moins de vingt-six ans diminue régulièrement dans les entreprises : moins 600 000 depuis 1990, alors que les emplois nets ont augmenté de 700 000. Il devient donc urgent de dresser un bilan par branche de cet état de fait et d'en tirer un plan d'action. Les organisations patronales et syndicales se sont mises d'accord le 10 octobre dernier. Les bilans commencent à être réalisés branche par branche et devront donner lieu à un plan d'action qui prendra en compte la place des jeunes dans les embauches, le problème de la pyramide des âges et la formation en alternance. Je souhaite que ce processus débouche sur des mesures qui alimenteront la création des 350 000 emplois-jeunes dans le secteur privé.
Vous l'avez souligné, le nombre de contrats d'apprentissage passe de 220 000 à 240 000, alors que les contrats de qualification sont ramenés de 130 000 à 100 000. N'y voyez aucune volonté de ma part de réduire les contrats de qualification. Il s'agit tout simplement du chiffre auquel nous allons peut-être arriver en 1997 - encore n'en suis-je même pas sûre - car nous savons bien aujourd'hui - j'essaie de répondre à M. Gournac - que les contrats de qualification n'ont plus le succès espéré et attendu dans les entreprises.
M. Alain Gournac. C'est dommage !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est effectivement dommage.
Tout d'abord, les entreprises ne s'engagent pas suffisamment. J'espère toutefois que ces accords de branche permettront à nouveau un accroissement des contrats de qualification.
Ensuite, vous avez été nombreux à le dire, la réorganisation de la collecte des fonds de formation professionnelle mise en oeuvre en 1995 et 1996, et ce n'est pas anormal, a perturbé le travail de proximité nécessaire au développement de ces formes de contrats.
Enfin, la qualité de l'offre de formation des contrats de qualification n'est pas toujours au rendez-vous. Le manque de lisibilité des dispositifs est aussi en cause, ainsi que le manque d'information sur les métiers auxquels préparent les contrats de qualification et très souvent, bien évidemment, une concurrence avec le contrat d'apprentissage.
C'est la raison pour laquelle je souhaite que nous travaillions à recréer une véritable cohérence entre ces deux dispositifs - nous avons besoin de l'un et l'autre - pour pouvoir effectivement relancer les contrats de qualification.
Je veux aussi rassurer : la prime pour ces contrats de qualification n'est pas remise en cause. Comme chaque année, elle fera l'objet d'un décret, et non d'un article de la loi de finances. Ce décret, en cours de préparation, prévoira les mêmes éléments que l'année passée.
Les rapporteurs s'inquiètent du montant des fonds qui seront consacrés au développement des formations en alternance et s'interrogent sur l'opportunité de prélever 500 millions de francs sur ces fonds - je pense, bien évidemment, à l'AGEFAL.
Là aussi, je veux rassurer M. Marini et M. Madelain. L'AGEFAL est aujourd'hui le dispositif le plus excédentaire en matière de prélèvement de la collecte pour la formation en alternance. Le prélèvement de 500 millions de francs auquel nous allons procéder, et qui a d'ailleurs déjà été réalisé par le passé, ne met en cause ni le développement du dispositif de formation alternée ni l'équilibre de l'AGEFAL.
En outre, la trésorerie de l'AGEFAL aura un excédent, au 31 décembre 1997, de 1,7 milliard de francs et les prévisions de dépenses données par les OPCA eux-mêmes sont de 1 milliard de francs. Enfin, selon les prévisions, la trésorerie oscillera, au 31 décembre 1998, entre 900 millions et 1,2 milliard de francs.
Il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir en la matière. Jusqu'à présent, le ministère du travail ne s'est pas trompé dans les prévisions de dépenses puisqu'elles sont faites en liaison très directe avec les partenaires.
Le recul des contrats de qualification, je l'ai dit, s'explique aussi par l'attrait de l'apprentissage. Nous allons essayer de travailler à une meilleure régulation de ces éléments.
Quant aux régions, elles n'ont pas toujours assumé, vis-à-vis des jeunes en grande difficulté notamment, les responsabilités qui allaient de pair avec la décentralisation. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
M. Gérard Delfau. C'est vrai !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je répondrai, là aussi, à MM. Marini et Madelain que l'évaluation faite par le comité de coordination montre du doigt un certain nombre de régions, qui ont, je dirai presque, abandonné les jeunes en qualification, alors que d'autres ont continué à réaliser un travail important, notamment en reprenant à leur compte le programme PAQUE, préparation active à la qualification et à l'emploi, que M. Balladur avait supprimé alors qu'il portait véritablement ses fruits.
Chacun s'accorde à reconnaître que la formation est un ressort essentiel du développement économique. Celle-ci est cependant encore fréquemment contestée, vous l'avez dit : manque de lisibilité des politiques et des dispositifs, opacité des circuits de financement, inégalité d'accès, mais aussi caractère trop souvent « occupationnel » et non pas « qualifiant » des dispositifs de formation.
L'accès à la formation dans l'entreprise reste très inégalitaire, selon la taille de l'entreprise, le secteur ou le niveau de formation initiale. Le diplôme acquis en formation initiale reste encore la référence qui marque les trajectoires professionnelles tout au long de la vie.
Cela n'est pas normal. Nous devons réfléchir à un droit à se former, à évoluer tout au long de la vie active. Cela fait partie des réflexions que nous allons mener.
J'ai l'intention de mettre ces réformes structurelles en chantier avec l'ensemble des partenaires de la formation, en m'appuyant notamment, d'ailleurs - M. Souvet l'a souligné - sur les conclusions du rapport de Virville, qui a été remis à mon prédécesseur, M. Jacques Barrot, et qui fournit des bases de travail très intéressantes.
Ainsi, cette réforme pourrait être conduite autour de trois préoccupations : développer en quantité et en qualité les formations alternées sous contrat de travail ; instituer un droit effectif à la qualification dans les entreprises en privilégiant l'individualisation de l'accès à la formation et en développant les outils de l'épargne-temps de formation ; promouvoir un dispositif de validation des acquis plus ouvert, intégrant les nouvelles compétences et qualifications résultant de l'expérience du travail.
Bien évidemment, nous travaillerons avec l'ensemble des acteurs et nous réorganiserons avec eux les moyens financiers.
J'en terminerai, pour cette première partie de nos débats sur l'emploi, par les moyens du service public de l'emploi.
M. Hamel, dans son rapport, a relevé, pour le saluer, « le louable souci d'économie concernant le fonctionnement du service public de l'emploi ». Cette analyse est juste, mais je dirai, pour ma part, que j'ai cherché à ajuster les moyens du service public de l'emploi au niveau de ses missions, compte tenu des efforts engagés et attendus pour développer son activité et ses performances.
J'ai demandé, par exemple, à l'AFPA de ne pas se mettre en concurrence, sur le marché, avec les organismes privés de formation, car ce n'est pas son travail. Il lui revient plutôt de s'adresser aux publics au chômage, qui sont et doivent reste sa priorité.
Pour ce qui concerne l'ANPE, 1998 sera la dernière année du contrat de progrès conclu en 1994 avec l'Etat. Dans l'attente de l'évoluation complète du contrat de progrès, la subvention de l'ANPE a été maintenue à 5,2 milliards de francs, soit le même niveau qu'en 1997, et l'ANPE a été autorisée à créer soixante-dix emplois.
Monsieur Marini, le contrat fixait à l'agence trois objectifs majeurs : trouver, susciter et satisfaire davantage d'offres d'emplois ; mieux aider les personnes à chercher et à trouver un emploi ; développer le partenariat avec les autres acteurs du service public de l'emploi.
Le premier objectif, axé sur les offres d'emploi, supposait que l'ANPE se tourne vers les entreprises, travaille avec elles et prenne en charge leurs besoins. Cela représentait un changement de culture, que l'agence a su conduire avec beaucoup de détermination, depuis les deux contrats de progrès, de sorte que les objectifs sont atteints et même dépassés puisque la part de l'ANPE dans la collecte des offres d'emploi atteint 40 % en moyenne aujourd'hui.
L'appui à la recherche d'emploi a également progressé, même s'il faut poursuivre l'effort, notamment auprès des chômeurs de longue durée.
Quant au développement du partenariat, il s'est déjà traduit par le transfert des inscriptions aux ASSEDIC, l'organisation d'antennes dans les mairies et la mise en place des espaces jeunes avec les missions locales et les PAIO. Aujourd'hui, 236 missions locales sont habilitées à recevoir et à traiter les offres d'emploi et de formation que détient l'ANPE.
Le nouveau contrat de progrès devra, bien sûr, poursuivre sur cette lancée.
En ce qui concerne l'AFPA, le contrat de progrès, qui s'achève également en 1998, a vu des efforts significatifs en matière d'accueil des publics et de qualité des formations.
Un point très positif, à mes yeux, est la gestion du personnel de l'AFPA, dont la modernisation était un objectif central, puisque le statut a changé. Un pas essentiel a été fait, mais le statut général de l'AFPA a été maintenu.
Monsieur Marini, jusqu'à preuve du contraire, je ne vois pas d'avantage complémentaire à changer le statut de l'AFPA pour le transformer en un EPIC. Cela étant, je suis disposée à étudier de nouveau cette question, qui est d'ailleurs récurrente puisque nous l'examinons année après année.
La gestion des ressources humaines est un élément essentiel de la performance de l'AFPA. La Cour des comptes donne acte, d'ailleurs, dans son rapport public, de cet élément de clarté et de rigueur qui caractérise maintenant le fonctionnement de l'AFPA.
La Cour fait en revanche, des observations sur la gestion budgétaire, comptable et financière de l'AFPA. C'est, là aussi, un phénomène récurrent. Je veux simplement signaler, sans me prononcer sur le fond de ces observations, les efforts engagés par l'AFPA dès 1996 pour se doter d'outils de gestion et d'un système d'information de meilleure qualité. Ces efforts ont d'ailleurs été mentionnés par les rapporteurs.
J'ai par ailleurs demandé à la direction générale de l'AFPA de poursuivre son travail, notamment sur le système de gestion et sur le système financier.
Les services de l'Etat - je conclurai sur ce point - sont, eux aussi, très fortement sollicités. Comme pour l'administration sanitaire et sociale, j'ai pu obtenir qu'il soit dérogé à la norme de stabilité des effectifs budgétaires pour éviter et résorber l'emploi précaire, en partie dans le cadre général de la loi de décembre 1996, et pour régulariser la situation particulière des coordonateurs emploi-formation, jusqu'ici maintenus sur des emplois précaires : 185 emplois d'agents contractuels de l'Etat seront ouverts à ce titre en 1998, et ce processus sera complété en 1999.
Par ailleurs, j'ai souhaité renforcer l'ancadrement des services par l'ouverture de quinze emplois supplémentaires d'inspecteurs du travail, qui s'ajouteront aux quarante-trois emplois prévus dans le concours habituel, recrutés selon une procédure particulière.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, la présentation que je voulais faire de ce budget de l'emploi et les réponses que je pouvais apporter à vos principales questions.
MM. les rapporteurs se sont inquiétés des infléchissements qui ont été apportés au budget de l'emploi. Ils les ont qualifiés de « hasardeux » et même de « dangereux ». Je préfère, pour ma part, retenir les qualificatifs « ambitieux » et « volontaristes » utilisés par M. Fischer ou encore « réalistes » et « audacieux » employés par Mme Dieulangard.
Nous ne devons pas insulter l'avenir. Nous avons tous échoué dans la lutte contre le chômage ; il faut donc, à cet égard, être modestes.
Nous avons la conviction qu'en renforçant la croissance, qu'en aidant à la création de nouveaux emplois, notamment dans les nouvelles technologies, dans les PME, mais aussi dans les services, qu'en réduisant la durée du travail, qu'en continuant à apporter une aide importante à ceux de nos concitoyens qui sont exclus, notamment les chômeurs de longue durée, nous pouvons améliorer la situation de l'emploi.
D'ailleurs, nombreux sont ceux qui, maintenant, sur le terrain, nous accompagnent dans cette action. Alors que j'ai trouvé ce pays relativement bloqué en matière d'emploi, j'ai l'impression que, aujourd'hui, bien des initiatives commencent à se faire jour venant des entreprises, des associations et des élus. Je m'en félicite.
Il faut, là aussi, faire en sorte que le plus de pistes possibles soient ouvertes, mais avec une grande rigueur économique et une ambition sociale qu'attendent les Français. C'est ce que nous avons essayé de faire. J'espère que l'avenir nous donnera raison. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant l'emploi et la solidarité : I. - Emploi.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III, 147 506 848 francs. »
Par amendement n° II-24, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose de réduire les crédits du titre III de 105 000 000 francs.