M. le président. Je suis saisi par M. Descours, au nom de la commission des affaires sociales, d'une motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
« Considérant qu'en première lecture, le Sénat a profondément modifié le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 selon trois orientations principales : sauvegarder la politique familiale, contenir l'aggravation des prélèvements sociaux et rétablir un véritable objectif de maîtrise des dépenses d'assurance maladie opposable à tous et d'économies de gestion ;
« Considérant que l'Assemblée nationale a adopté, en nouvelle lecture, deux amendements d'une exceptionnelle importance, l'un et l'autre pourtant déposés en séance par le Gouvernement, sans examen préalable de la commission compétente ; le premier supprime la taxe de santé publique sur les tabacs et aggrave ainsi dans l'immédiat le déficit de la sécurité sociale de 1,4 milliard de francs ; le second porte validation de la base mensuelle des prestations familiales pour 1996, justifie ainsi a posteriori l'évolution des prestations familiales, telle que le Gouvernement l'a arrêtée en 1998 dans son projet de loi initial mais conduit à s'interroger sur les conditions dans lesquelles le Parlement a débattu de l'équilibre de la sécurité sociale en première lecture ;
« Considérant que pour les autres dispositions du projet de loi l'Assemblée nationale est revenue pour l'essentiel au texte adopté par elle en première lecture ;
« Considérant qu'elle a notamment rétabli, à l'article 19 du projet de loi, la mise sous condition de ressources des allocations familiales, supprimant ainsi le droit à ces prestations pour les très nombreuses familles dont les ressources dépassent un plafond fixé par voie réglementaire ;
« Considérant que cette disposition a fait l'objet d'une opposition unanime des organisations familiales, patronales et syndicales au sein du conseil d'administration de la Caisse nationale d'allocations familiales au motif qu'il était grave pour l'avenir de la famille et l'avenir de nos systèmes de protection sociale qu'une partie des familles n'ait droit à aucune reconnaissance de la collectivité et aucun retour de son effort contributif, que d'autres déficits ou d'autres contraintes externes pourraient justifier demain de mêmes mesures dans les autres branches de la sécurité sociale créant les conditions d'une contestation de fond de tous nos mécanismes de solidarité ;
« Considérant que cet article remet en cause le principe ancien et constant de l'universalité des allocations familiales, selon lequel ces dernières constituent un droit attaché à l'enfant, du seul fait de son existence, et que ce droit est identique pour tous les enfants, quels que soient les revenus de leurs parents ; que ce principe, affirmé à maintes reprises, notamment dans le décret-loi du 12 novembre 1938 sur les allocations familiales, le décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité françaises et l'ordonnance du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale et jamais démenti depuis lors, s'est agrégé à la tradition juridique et constitue comme tel un principe fondamental reconnu par les lois de la République ;
« Considérant, en outre, qu'en privant certaines familles et donc certains enfants des allocations familiales, qui constituent à la fois un des instruments par lesquels la Nation assure à toutes les familles les conditions nécessaires à leur développement ainsi qu'un des moyens de la sécurité matérielle garantie à tous les enfants, l'article 19 méconnaît les droits de l'enfant et de la famille tels qu'ils sont proclamés par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, lequel affirme, dans son dixième alinéa, que "La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement" et, dans son onzième alinéa, qu'elle "garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs" ;
« Considérant pour ces deux raisons, que l'article 19 du projet de loi est contraire à la Constitution, dès lors, de surcroît, que sa portée effective sera déterminée par voie réglementaire ;
« Considérant que le rapport, annexé à l'article premier du projet de loi, relatif aux objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale pour l'année 1998 précise que "le Gouvernement entend (...) prendre les mesures qui permettent un équilibre financier durable... (qu'il) entend faire un effort net supérieur à 20 milliards de francs à travers des économies et des recettes nouvelles" ;
« Considérant qu'une part substantielle de cet "effort" repose précisément sur l' "économie" attendue de la mise sous condition de ressources des allocations familiales évaluée, par le Gouvernement lui-même, à 4 milliards de francs ;
« Considérant, sans qu'il soit besoin d'aborder, du point de vue de leur conformité à la Constitution, les autres articles du projet de loi, que cette seule disposition constitue un élément essentiel déterminant les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale soumis au Parlement et est, à ce titre, indissociable de l'ensemble du projet de loi ;
« Le Sénat, en application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, déclare irrecevable le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 adopté, avec modifications, par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture (108, 1997-1998). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la semaine dernière, en examinant le texte qui revenait de l'Assemblée nationale, la commission des affaires sociales a adopté une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité au présent projet de loi.
Cette motion s'explique par son texte même, les considérants en explicitant clairement l'objet. C'est pourquoi je la défendrai très brièvement.
La mise sous conditions de ressources des allocations familiales ne nous semble pas seulement une décision néfaste pour l'intérêt de notre pays, le devenir de notre politique familiale et l'évolution de notre système de prestations sociales, elle est, pour nous, contraire aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et au préambule de la Constitution de 1946, qui sont agrégés à notre bloc de constitutionnalité.
Cette motion d'irrecevabilité n'est pas une surprise. Le président de la commission des lois, notre excellent collègue Jacques Larché, a développé un point de vue identique et tout à fait autorisé lors du débat sur la famille qui s'est déroulé en votre présence, madame la ministre, au début du mois de novembre dernier.
Cette motion annonce le recours qui sera déposé par les groupes de la majorité sénatoriale à l'encontre du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
D'autres moyens seront naturellement développés dans ce recours, comme dans celui que nos collègues députés ont d'ores et déjà annoncé, mais l'atteinte portée à la famille et à l'enfant à travers la mise sous conditions de ressources des allocations familiales suffit, pour nous, à entacher d'irrecevabilité l'ensemble de la loi et à justifier la présente motion, que je vous demande, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires sociales, de bien vouloir adopter.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans la mesure où l'un des considérants de cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité porte sur la taxe de santé publique sur le tabac, je voudrais préciser certains éléments qui figureront dans un amendement que le Gouvernement va déposer, je le répète, au projet de loi de finances pour 1998.
Cet amendement tend, dans l'article 49 de la loi de finances pour 1997, à remplacer le pourcentage « 6,39 % » par le pourcentage « 9,1 % ». Nous avons dit à M. Fourcade qu'il conviendra d'en tirer les conséquences dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale en y faisant figurer les chiffres que je vais brièvement vous énumérer.
Sans ces précisions, le Gouvernement pourrait justement être accusé de ne pas faire assez pour la santé publique.
Le paquet de cigarettes brunes, qui coûte en moyenne 12,90 francs passerait, après la réforme fiscale proposée, à 13,90 francs, soit une augmentation de 8 % ; la cigarette blonde la moins chère passerait de 14,30 francs à 16,70 francs, soit une progression de 17 % ; la cigarette blonde dite à prix intermédiaire passerait de 17,50 francs à 18,40 francs, soit une augmentation de 6 % ; la cigarette blonde haut de gamme passerait de 19,30 francs à 19,40 francs, soit 1 % d'augmentation.
J'en arrive aux minima de perception. Ces minima sont actuellement de 380 francs pour les cigarettes brunes et passeront à 400 francs ; ils enregistreront donc une hausse de 5 %. Pour ce qui est des cigarettes blondes, les minima de perception passeront de 380 à 500 francs, soit une augmentation de 32 %.
Quant au tabac à rouler, lequel est l'objet de toutes vos préoccupations, mesdames, messieurs les sénateurs, et des nôtres d'ailleurs, les minima de perception passeront de 150 francs à 230 francs, soit une augmentation de 53 %.
Par conséquent, compte tenu du fait que nous maintenons l'augmentation de 20 millions de francs à 50 millions de francs de la somme que nous mettons à la disposition de la lutte antitabagisme, puisque nous sommes vraiment d'accord sur le fond, je crois, mesdames, messieurs les sénateurs, que cet argument n'a plus de fondement.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Mesdames, messieurs les sénateurs, tout d'abord, je souhaiterais répondre à M. Fourcade et à Mme Borvo concernant la validation de la base mensuelle des allocations familiales de 1996. Je voudrais vous rappeler le contexte dans lequel cette validation a eu lieu.
La majorité précédente, comme vous le savez, n'a pas appliqué, en décembre 1994, les dispositions de la loi qu'elle avait fait adopter cinq mois plus tôt, le 25 juillet 1994, concernant les règles de revalorisation de la base mensuelle des allocations familiales.
Le Conseil d'Etat a donc été amené à annuler, en mars 1997, la décision de décembre 1994. Or, la précédente majorité n'a pris aucune disposition technique conservatoire pour assurer l'exécution de cette décision de justice.
Le Gouvernement a pris immédiatement, dès juin 1997, les dispositions conservatoires nécessaires sur le plan technique puisque j'ai été conduite à demander à la CNAF de garantir les listes des personnes recevant ces allocations familiales, listes qui sont détruites chaque année au mois de juin, pour que nous puissions effectivement leur reverser ce à quoi elles ont droit. Ce faisant, nous appliquons, dans les limites exactes de la chose jugée, la décision du Conseil d'Etat.
L'opposition actuelle est donc, je crois, assez mal fondée à reprocher au Gouvernement de se prémunir maintenant pour l'avenir contre de nouveaux contentieux aux enjeux financiers très lourds et dont l'origine exclusive réside dans l'inconséquence de la décision qui a été prise en 1994.
Nous donnons aux Français ce à quoi ils ont droit, c'est-à-dire des allocations familiales dûment revalorisées, en application de la décision du Conseil d'Etat, mais nous nous garantissons pour l'avenir pour éviter de nouvelles difficultés.
Sur la forme, il me semble un peu étonnant que l'on nous reproche aujourd'hui un manque de sincérité du projet de loi de financement de la sécurité sociale, alors que, l'année dernière, le contentieux étant en cours sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, rien n'avait été prévu pour cette revalorisation qui, pourtant, était inéluctable puisque les règles de la loi n'avaient pas été respectées.
Je reviens quelques instants sur la politique familiale.
Il est vrai que le préambule de la Constitution dit très clairement que la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement et qu'elle garantit à tous, notamment à l'enfant, la protection, la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs.
Au demeurant, rien, dans ces notions, n'interdit une modulation en fonction des ressources. La nation intervient pour offrir des garanties, mais elle n'est pas, aux termes du préambule, obligée d'intervenir lorsque les ressources des parents sont suffisantes. D'ailleurs, le principe d'universalité des allocations familiales n'est pas un principe fondateur de la politique familiale. Je dois rappeler que, en 1945, le versement était subordonné à l'exercice d'une activité professionnelle et que son montant variait en fonction de la zone géographique, ainsi que Mme Derycke l'a rappelé. Le critère géographique a été abrogé en 1972, mais l'obligation d'exercer une activité professionnelle est demeurée jusqu'en 1978. Il n'y a donc pas, dans le principe de base historique fondateur de notre politique familiale, de principe d'universalité.
Vous le savez, nous en avons déjà beaucoup parlé, 40 % des prestations familiales sont d'ores et déjà versées sous conditions de ressources. Je ne crois pas que ce soit contraire à la Constitution. Le Conseil constitutionnel estime en effet que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit.
La mise sous conditions de ressources des allocations familiales est bâtie sur des critères objectifs et rationnels : le niveau de revenu, le nombre d'enfants, la mono-activité ou la bi-activité, la mono-parentalité. Nous sommes effectivement dans la ligne de cette jurisprudence.
J'ajouterai que nous ne sommes pas les seuls à prendre ce type de décision, puisque, sans que cela entraîne les mêmes polémiques qu'en France, l'Espagne, en 1991, puis la Grèce et l'Italie en 1995, le Portugal en 1996 ont été amenés à mettre sous plafond les allocations familiales. La raison en a été dans chaque cas identique : les prestations doivent être versées à ceux qui en ont le plus besoin. Là aussi, notre politique va dans le sens de ce qui se fait dans d'autres pays.
Madame Derycke, les crèches parentales sont bien évidemment l'un des modes de garde des enfants qui doivent être développés et aidés. Ils seront l'un des éléments de la réflexion globale que nous entendons mener sur les modes de garde des enfants.
Madame Borvo, le versement des allocations familiales pour le premier enfant, pour les personnes les plus en difficulté, sera également à étudier au cours de cette réflexion.
J'en terminerai en indiquant à M. Chérioux que, depuis qu'il m'a interrogée, nous examinons le problème des communautés religieuses. Comme je vous l'avais dit, j'ai été saisie du problème par l'évêque de Lille, qui a présidé le groupe de travail mené par l'Eglise. Nous avons repris intégralement les conclusions de ce dernier - ce dont l'évêque m'a félicitée directement. J'ai donc été quelque peu étonnée de ses réactions mais, puisque vous m'avez soumis ce dossier, nous l'analyserons, et j'espère que nous trouverons une solution dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne peuvent s'inscrire, je le répète, dans la logique de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité présentée par la majorité sénatoriale.
Notre attitude est sans équivoque. Comme nous l'avons indiqué tout au long des débats relatifs à ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, même si des engagements ont été pris par le Gouvernement pour accentuer, à l'avenir, une inflexion vers plus de moyens pour la sécurité, vers une gestion plus humaine et moins financière de la sécurité sociale, le projet actuel ne nous donne pas entièrement satisfaction. C'est la raison pour laquelle, à l'Assemblée nationale, les députés communistes se sont abstenus sur ce texte.
M. Philippe de Gaulle. Et voilà !
Mme Nicole Borvo. Pour autant, les manoeuvres de la droite, majoritaire dans notre assemblée, ne nous trompent pas. Bien entendu, nous ne sommes pas insensibles au rappel du principe, que nous estimons intangible, de l'universalité des allocations familiales.
Mais tout de même, comment oublier les années de restrictions, d'austérité en matière d'aides sociales et familiales ?
Comment oublier que c'est la majorité sénatoriale qui a joué un grand rôle dans la précipitation de l'adoption du plan Juppé au Parlement en décembre 1992, avec les suites que l'on connaît ?
Pour conclure, nous n'approuvons pas le projet de loi, mais nous ne souscrirons pas non plus aux gesticulations hypocrites d'une droite sénatoriale qui a systématiquement approuvé, ces dernières années, la réduction drastique des moyens affectés à la protecion sociale.
Par conséquent, nous voterons contre l'artifice de procédure de la majorité sénatoriale, qui masque mal sa volonté d'aller plus loin encore dans la réduction des dépenses de santé et de protection sociale et nous voterons donc contre cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
M. Louis Boyer. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Louis Boyer.
M. Louis Boyer. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au terme de ce débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, force est de constater que la cohérence du texte voté par notre assemblée a totalement échappé à la majorité de l'Assemblée nationale. Cette dernière a préféré s'en tenir à des positions dogmatiques, détachées de la réalité et des préoccupations de la population.
La pratique démontre ainsi combien sur ce sujet, malgré un objectif commun - la sauvegarde de notre système de protection sociale - les méthodes sont radicalement opposées.
Mais l'heure n'est plus au débat d'idées ou au constat simplement résigné des divergences entre nos deux cultures politiques.
Dans un contexte de grave péril pour notre système de protection sociale, nous devons nous prononcer aujourd'hui non pas sur la construction d'un équilibre financier, mais sur la destruction d'un autre équilibre, bien plus précieux, celui des relations entre la société et la famille.
Votre projet de loi, madame le ministre, tend à supprimer les droits constitutionnellement reconnus et à aggraver les prélèvements pour réduire le déficit.
Choisir la voie de la majoration des prélèvements, c'est oublier un peu vite que notre pays est déjà le champion d'Europe des impositions.
L'augmentation de la CSG aboutit à une rupture caractérisée de l'égalité de citoyens devant les charges publiques.
Le basculement aggrave les prélèvements pour une grande partie de la population : les retraités, notamment de l'artisanat ; les non-salariés dont le revenu est supérieur à 165 000 francs par an - leur nombre excède les 20 %, contrairement à votre évaluation, madame le ministre - ; les quatre millions de fonctionnaires dont les primes, représentant jusqu'au quart de leur traitement de base, vont basculer dans l'assiette de la CSG ; enfin, le million de salariés des régimes spéciaux dont les cotisations sont inférieures à l'augmentation de la CSG.
Dans ce sombre tableau, on pourrait voir une éclaircie avec l'augmentation du pouvoir d'achat d'une partie des salariés. Cependant, la taxation de l'épargne est à ce point aggravée que l'on retire d'une main ce que l'on a donné de l'autre.
Les libéraux que nous sommes pensent, au contraire, qu'il faut rétablir une véritable maîtrise des dépenses dans le domaine de l'assurance maladie. Le texte voté par notre Haute Assemblée fixait les moyens pour parvenir précisément à cet objectif. Ils n'ont pas été retenus.
Couplé avec la réduction d'impôt pour les emplois familiaux, la diminution de l'AGED est également facteur de destruction d'emplois, de développement du travail au noir et de bouleversements des rythmes familiaux.
Ces mesures priveront de travail des milliers de personnes sans qualification qui avaient accédé à un emploi et, bien plus, à une reconnaissance sociale, à la dignité.
Pourquoi, dès lors, madame le ministre, revenir sur ces piliers de la politique familiale grâce auxquels notre société a évolué et notre démographie a acquis un dynamisme que nos voisins européens nous envient ?
Ces principes ne supportent pas de dérogations, même transitoires, en attendant une remise à plat complète de la politique familiale, que vous entreprendriez l'an prochain.
En supprimant les allocations familiales - c'est bien d'une suppression dont il s'agit pour 300 000 familles - le Gouvernement vient de dénoncer un contrat qui liait l'Etat et l'ensemble des familles de France depuis plus de cinquante ans. Cette mesure confond politique familiale et justice sociale, et bafoue les principes constitutionnels.
Puisque les tentatives de dialogue constructif ont échoué, le groupe des Républicains et Indépendants considère que le Sénat doit s'opposer à ce projet de loi qui menace des droits fondamentaux.
Aussi fera-t-il siennes les conclusions de la commission des affaires sociales et votera-t-il la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Gournac. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Madame le ministre, votre majorité s'était violemment opposée à l'examen par le Parlement, au travers de la loi de financement de la sécurité sociale, des comptes de la protection sociale, qui représentent cependant plus de 1 700 milliards de francs, soit bien plus que le budget de l'Etat lui-même.
Ce débat est légitime et essentiel, et notre groupe souhaiterait y réaffirmer son attachement. Aussi, comment ne pas regretter les conditions dans lesquelles il s'est déroulé ?
En effet, ce projet de loi n'est ni sincère ni réaliste, et il ne comporte aucune vision d'avenir.
Il n'est pas sincère, car il a été impossible à la commission des affaires sociales d'obtenir des précisions sur certaines mesures, telles que le basculement brutal des cotisations sociales sur la CSG. Un basculement progressif aurait été plus efficace et ses effets plus faciles à gérer.
Il n'est pas sincère, puisque le peu d'informations transmises est en totale contradiction avec celles qui nous sont parvenues des non-salariés, notamment des artisans, qui subiront une large perte de leur pouvoir d'achat à partir d'un seuil de revenus largement inférieur à celui que vous avez avancé.
Il n'est pas sincère, parce que le déficit sera certainement plus important que prévu en 1998, car vous surestimez les recettes et sous-estimez les dépenses.
En 1997, le taux d'évolution de la masse salariale s'établissait à 3,3 points, ce qui était optimiste. Or vous prévoyez une augmentation de 4 points en 1998. Ce n'est pas en voulant imposer les 35 heures aux entreprises que vous allez améliorer les choses ! Madame le ministre, samedi matin, deux entreprises étrangères qui travaillent dans mon parc d'activités m'ont informé qu'elles voulaient le quitter à cause de ces 35 heures !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je ne vois pas le rapport !
M. Alain Gournac. Le projet de loi n'est pas réaliste, car de nouvelles taxes sont créées, qui ne rapporteront pas à l'Etat autant de recettes que vous l'escomptez : elles feront disparaître, en effet, l'assiette imposable. Il en est ainsi pour la taxe instituée sur les ventes directes des laboratoires. En outre, cela aura un coût en matière d'emplois pour les dépositaires des fabricants.
Il n'est pas réaliste non plus en prévoyant des objectifs de vente qui ne permettront pas de mobiliser les acteurs du secteur vers la maîtrise des dépenses de santé.
Il n'est pas réaliste, car il n'utilise pas les outils créés par la réforme Juppé pour réduire le gaspillage et accroître la qualité des soins, c'est-à-dire pour dispenser le juste soin. En outre, pour l'hôpital, il aurait été nécessaire de s'engager vigoureusement dans la correction des inégalités géographiques.
Il n'est pas réaliste car, au moment où le reste du monde réalise des économies, le Gouvernement français augmente les prélèvements, matraque les petits épargnants, prenant ainsi le risque d'entraîner une délocalisation de l'épargne.
En outre, en taxant l'épargne, vous allez retirer d'une main le pouvoir d'achat que vous donnez de l'autre.
Enfin, ce projet de loi ne comporte aucune vision d'avenir, car il n'aborde pas le problème des retraites et refuse l'excellente initiative de M. Descours, rapporteur, qui souhaitait que le Gouvernement entame une réflexion sur le problème des régimes spéciaux.
En refusant d'ouvrir les dossiers, madame le ministre, vous prenez le risque considérable d'aggraver la situation.
Quant à votre vision d'avenir de la politique familiale, je ne reprendrai pas l'explication claire et exhaustive de mon collègue Charles Descours, que j'approuve totalement. Je dirai simplement qu'il n'est pas de mots assez durs pour qualifier ce que vous êtes en train de faire, au nom d'une prétendue solidarité que l'on cherche encore dans vos actes.
Il est vrai que vous nous proposez une mise à plat de la politique familiale l'année prochaine. N'aurait-il pas fallu réfléchir et ouvrir le dialogue avant d'agir ? Les résultats sont souvent meilleurs !
En conclusion, vous n'avez rien voulu retenir du travail effectué par le Sénat, qui m'apparaissait riche et de qualité. Vous confirmez des mesures iniques et contraires à la Constitution.
Vous comprendrez donc que le groupe du Rassemblement pour la République ne peut accepter votre projet de loi et vote à l'unanimité la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Claude Estier. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier. Mme Derycke a expliqué les raisons pour lesquelles le groupe socialiste votera contre la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
J'indiquerai simplement que je regrette qu'un débat aussi important se termine par une motion de procédure, qui nous paraît d'ailleurs totalement infondée. En effet, comme l'a expliqué tout à l'heure madame le ministre, on ne voit pas quelles dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale qui nous est proposé seraient contraires à la Constitution.
M. Michel Souplet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Souplet.
M. Michel Souplet. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, afin d'éviter des redites, intervenant après mes collègues des autres groupes, j'indiquerai simplement que la commission a réalisé un travail très important sur ce texte. Elle y a apporté des corrections fondamentales qui, comme d'habitude, n'ont pas été retenues.
Le groupe de l'Union centriste, s'en tenant à la position adoptée par ses représentants au sein de la commission des affaires sociales, et écoeuré par la façon dont il a été traité, votera cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, repoussée par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des voix.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 30:

Nombre de votants 318
Nombre de suffrages exprimés 315
Majorité absolue des suffrages 158
Pour l'adoption 217
Contre 98

Le Sénat a adopté.
En conséquence, le projet de loi est rejeté.

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