Par amendement n° II-8, MM. Lambert et Ostermann, au nom de la commission des finances, proposent de réduire les crédits figurant au titre III de 1 914 000 000 francs et, en conséquence, de porter le montant des mesures nouvelles à moins 145 999 640 francs.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons le premier amendement de réduction des crédits qui fait l'objet du débat démocratique entre la Haute Assemblée et le Gouvernement depuis le début de la discussion budgétaire.
L'amendement que j'ai l'honneur de présenter au Sénat est la traduction de la recommandation de la commission des finances à notre assemblée, qui a bien voulu, dans sa majorité, la suivre, visant à réduire les dépenses de l'Etat. Cette réduction doit être appliquée à la quasi-totalité des budgets.
Nous discutons aujourd'hui du budget de l'enseignement scolaire, au sein duquel, comme dans les autres budgets, peuvent être réduites certaines dépenses, tout en préservant les besoins soigneusement évalués d'encadrement des élèves.
En effet, le projet de loi de finances prévoit non seulement le maintien du nombre de recrutements au niveau de 1997, c'est-à-dire environ 25 000 nouveaux stagiaires, mais de surcroît la création de 1 320 emplois de personnel non enseignant.
Il a semblé à la commission des finances que ces réductions étaient possibles au regard, d'une part, de l'évolution prévisible des effectifs d'élèves scolarisés pour les années à venir et, d'autre part, de la progression très rapide du budget de l'enseignement scolaire, qui a augmenté de 100 milliards de francs en dix ans !
La commission des finances pense qu'il est possible de réduire d'un tiers le nombre des postes ouverts dans les différents concours de recrutement d'enseignants et de contenir le montant des crédits consacrés aux heures supplémentaires d'enseignement.
De l'avis de la commission des finances, quatre éléments autorisent ce choix.
Le premier est que la réduction d'un tiers du calibrage des concours est compatible avec les besoins d'enseignement à la rentrée 1998 tels qu'ils sont évalués par la direction de l'évaluation et de la prospective du ministère de l'éducation nationale.
Le deuxième élément, c'est que le ministre lui-même admet que des économies sont réalisables sur le mode de rémunération des heures supplémentaires - année, les HSA. Ainsi, les services de l'éducation nationale estiment que la rémunération de ces heures sur la base de trente-six semaines ouvrées, au lieu de quarante-trois comme c'est le cas aujourd'hui, permettrait une économie de 944 millions de francs. Au surplus, l'utilisation de 90 000 heures supplémentaires pour financer le réemploi de 25 000 maîtres auxiliaires prouve que des marges de manoeuvre existent sur ce poste budgétaire.
Le troisième élément tient au fait que la réduction des crédits de 2,1 milliards de francs préserve la croissance des crédits du budget de l'enseignement scolaire puisqu'ils continueront à progresser de 2,4 % au lieu de 3,15 %. Il s'agit en réalité de contenir la progression de ces crédits à 6,6 milliards de francs au lieu de 8,7 milliards de francs.
Enfin, et c'est là un argument de poids aux yeux de la commission des finances, le montant des annulations de crédits intervenues depuis le premier arrêté d'annulation du 9 juillet dernier atteint déjà, sur le budget de l'enseignement scolaire, 1,42 milliard de francs.
Je sais qu'il me sera objecté tout à l'heure que d'autres crédits ont été affectés à ce secteur. Mais ce montant représente plus des deux tiers des économies que la commission des finances propose au Sénat de faire aujourd'hui pour le budget de l'année prochaine. Sur ces annulations, 430 millions de francs de crédits ont porté sur le chapitre consacré à la rémunération des heures supplémentaires et 300 millions de francs sur les chapitres destinés à rémunérer les personnels enseignants.
J'ajoute à l'intention du Gouvernement que la commission des finances du Sénat est d'autant plus confiante dans la voie qu'elle propose que ce n'est pas une position nouvelle de sa part : elle la soutient sans réserve depuis plusieurs années déjà.
La qualité du débat démocatique ne sera pas enrichie par l'ironie que l'on peut être tenté de faire sur ces réductions de crédits : je suis prêt à lire devant le Sénat la liste des crédits du budget de l'éducation nationale qui ont été annulés par le gouvernement actuel depuis sa prise de fonction.
M. Alain Gérard. Ce serait intéressant !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire, monsieur le ministre, lors de votre audition avec Mme le ministre délégué devant la commission des finances du Sénat, la responsabilité que vous avez dans ce ministère est immense, et vous en êtes d'ailleurs tout à fait conscient. Vous aurez remarqué que vos propos ont été applaudis, ce matin, sur nombre de travées.
M. Jean-Louis Carrère. Pas pour les mêmes raisons !
M. Alain Lambert, rapporteur général. En effet, votre responsabilité est immense, d'abord parce que vous avez en charge la ressource humaine de l'Etat la plus nombreuse et, ensuite, parce que la mission qui lui est confiée est la plus importante de toutes : celle de former les jeunes, de les préparer à leur avenir et de préparer l'avenir de la France.
Devant un si grand enjeu, devons-nous résumer le débat exclusivement en termes quantitatifs, en termes de crédits budgétaires ? Je crois que ce serait ramener cet enjeu à un niveau certes important, mais qui n'est pas le sien.
Le bon emploi des crédits, l'optimisation des moyens mis en oeuvre pour assurer effectivement l'avenir des jeunes est une responsabilité collective dont nous devons pouvoir débattre sans nous excommunier respectivement. C'est ce que la commission des finances fait, sereinement, sans excès, avec la modération que vous lui connaissez.
La commission conçoit que sa proposition puisse faire l'objet de critiques. En effet, dans notre pays, un bon budget est un budget qui augmente. Mais cela n'est possible que lorsque la croissance le permet ; cela était plus facile encore lorsque l'inflation le permettait. Nous n'avons pas encore totalement intégré, certaines données nouvelles : la stabilité de nos monnaies, le fait que la croissance n'est plus ce qu'elle était et le fait que nous sommes aujourd'hui dans un monde ouvert.
Or, pour préparer nos jeunes à l'ouverture du monde, nous devons faire en sorte que les coûts fixes de leur pays ne soient pas plus élevés que ceux des autres pays, sinon nous aurons peut-être bien formé les jeunes mais ils vivront dans un pays qui ne sera plus compétitif et qui n'aura plus aucune chance. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Avis défavorable.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le rapporteur général, je vous dirai d'abord que ce budget est en augmentation raisonnable.
J'ajouterai que le Gouvernement intègre parfaitement deux éléments.
Le premier est la modération de la progression du budget de l'Etat. La preuve en est qu'il a réussi - ce que les précédents gouvernements n'avaient pas su faire - à respecter le critère de convergence de Maastricht, aux termes duquel la dette nationale ne doit pas dépassé 3 % du PIB. Je ne reviendrai pas sur les efforts que nous avons été obligés d'accomplir pour y parvenir.
Le second élément est que le Gouvernement est conscient que l'amélioration de la situation de l'éducation nationale ne se pose pas seulement en termes quantitatifs, je l'ai dit tout à l'heure, après l'avoir déjà dit devant les commissions du Sénat et également à l'occasion d'interventions publiques.
En l'état actuel des choses, compte tenu du fait qu'un certain nombre de postes ne sont pas transférables, qu'un certain nombre d'habitudes ont été prises et qu'un certain nombre de dysfonctionnements du système n'ont pas été corrigés, notamment pendant la période précédente, quand la croissance des populations commençait à se tasser, je pense qu'il n'est pas possible d'accepter les réductions que vous proposez. Je serai très explicite : il est impossible de transformer des professeurs d'éducation physique en professeurs de mathématiques et des professeurs de mathématiques en médecins scolaires, qui nous font cruellement défaut ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-8.
Mme Hélène Luc. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Je dois avouer mon étonnement face à l'amendement qui nous est proposé par la majorité sénatoriale car il ne vise à rien de moins qu'à réduire de 1,914 milliard de francs les moyens en personnels de l'éducation nationale.
L'argument, lapidaire dans sa formulation, s'appuie sur la notion combien de fois entendue au cours de ces dernières années, de maîtrise des dépenses de l'Etat. Outre que cela revient à considérer l'investissement éducatif comme une dépense - et, sur ce point, il y aurait beaucoup à dire - il me conduit à poser une question, la même que vous, madame la ministre : que faut-il, selon vous, supprimer, mes chers collègues ? Les postes d'infirmières, les postes de conseillers d'éducation ou de conseillers d'orientation, les postes d'enseignants ou de personnels qui doivent faire face, dans des conditions difficiles, à l'exercice d'un enseignement rendu périlleux du fait de la mal-vie dans notre société ? Dites-moi un peu !
Peut-on dire, comme je l'ai entendu ce matin, qu'il faut privilégier les ZEP et, dans le même temps, sous prétexte d'équilibre budgétaire, comptable très souvent, trop souvent même, à court terme procéder à des coupes claires dans le budget de l'enseignement scolaire ?
Peut-on s'alarmer, comme il convient d'ailleurs de la faire, de la montée de la violence dans les établissements scolaires et annihiler toute tentative de renforcer la présence du monde adulte auprès des jeunes ?
Il y a loin de ces mesures à la logique, mes chers collègues.
Nous ne demandons pas, nous, la suppression des heures supplémentaires. Nous demandons leur transformation en emplois, afin de promouvoir un enseignement de qualité. Nous souhaitons également une revalorisation suffisante des salaires des enseignants. C'est, vous en conviendrez, bien différent.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cet amendement et nous demandons d'ailleurs que ce vote fasse l'objet d'un scrutin public.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il a déjà été demandé !
Mme Hélène Luc. Ainsi, les familles et les parents d'élèves apprécieront à leur juste valeur l'intérêt accordé à la priorité de l'enseignement.
M. Ivan Renar. Très bien !
M. Pierre Laffitte. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Je fais partie, comme la majorité de mon groupe, de la majorité sénatoriale. Nous sommes parfaitement conscients de la nécessité de réduire les dépenses de l'Etat, en particulier sur les budgets qui ne présentent pas un caractère régalien. Il me semble que, compte tenu de l'importance de l'éducation nationale dans la nation, ce caractère régalien peut lui être appliqué.
Certes, l'augmentation du budget, même si elle est, comme le dit M. le ministre, mesurée, est importante.
Nous sommes tous conscients - M. le ministre l'a démontré - des dysfonctionnements du système. Pourtant, mes chers collègues, pour prendre une image nautique, un grand pétrolier ne peut pas virer de bord très rapidement : il lui faut de l'espace et du temps. Le système éducatif a commencé à virer de bord avec le ministère précédent ; François Bayrou, dont l'action a d'ailleurs été soulignée par les ministres actuels, avait déjà commencé à « virer de bord ».
Je pense qu'un bon budget de l'éducation ne correspond ni à un budget en croissance ni à un budget en décroissance, mais retrace des projets d'amélioration pédagogique, et j'ai salué ce matin certains aspects de rénovation pédagogique qui avaient été initiés par M. François Bayrou et qui sont poursuivis et développés par M. Claude Allègre.
M. le ministre a évoqué la formation des emplois-jeunes dans le secteur prioritaire des nouvelles technologies. Je souhaiterais qu'une part très notable des nombreux emplois-jeunes puisse être orientée vers ce secteur, où, nous le savons tous, la France va avoir besoin de centaines de milliers d'emplois ; nous savons aussi que les jeunes sont susceptibles d'apprendre très rapidement dans ce domaine, même lorsque leur niveau d'éducation de base n'est pas très élevé, et a fortiori s'ils détiennent déjà un diplôme.
Nous savons également tous que la déconcentration du système éducatif en vue d'une plus grande proximité vis-à-vis des populations et de plus de régionalisation est un élément important.
Compte tenu des initiatives déjà prises, je fais confiance à l'orientation donnée au budget et me prononcerai contre l'amendement de la commission, en regrettant, comme d'autres membres de mon groupe, de me séparer sur ce point de la majorité sénatoriale. J'indique cependant que, s'agissant de l'acte politique majeur qu'est le vote de l'ensemble d'un budget, je rejetterai finalement le projet de budget pour 1998 qui nous est présenté.
Mme Hélène Luc. Ça, c'est la sagesse du Sénat !
M. Jean-Louis Carrère. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Je suis un peu étonné que l'on mette tant de talent à défendre une argumentation qui est dépourvue de tout fondement. Je m'en expliquerai brièvement.
Je suis avec attention, pour des raisons à la fois professionnelles et culturelles, les travaux de tous les ministres de l'éducation nationale successifs. C'est la première fois, depuis que je m'y intéresse d'aussi près, c'est-à-dire depuis quand même de nombreuses années, que j'entends deux ministres dénoncer ce qu'il convient d'appeler les dysfonctionnements du système et essayer d'y porter remède, ce qui leur est d'ailleurs reproché par une fraction importante de la majorité sénatoriale, d'où une nouvelle incohérence, une nouvelle inconséquence : certains font grief au Gouvernement de son action, d'autres souhaitent que celle-ci soit plus rapide.
Le Président de la République a décidé de dissoudre l'Assemblée nationale au mois que vous savez. Il a fallu organiser des élections et élaborer un projet de budget. Sa progression est tout à fait maîtrisée puisqu'elle s'inscrit, comme l'a dit M. le ministre, dans une hausse globale qui nous permet tout à fait de satisfaire aux critères de convergence.
Les objectifs de ce projet de budget sont clairement énoncés : résorber les dysfonctionnements et, au-delà, assurer l'évolution de notre système éducatif et l'accomplissement de ses tâches essentielles.
Je ne peux pas croire que, pour des raisons politiciennes, on ampute purement et simplement les crédits d'un budget aussi important que celui de l'éducation nationale, d'autant plus que les moyens font défaut dans certains secteurs.
Je regrette qu'un tel amendement ait été déposé. Je m'en suis déjà expliqué devant la commission des affaires culturelles, avec une grande modération d'ailleurs. Je le redis en séance, avec modération également, parce que j'ai appris, après avoir passé quelques années parmi vous, à maîtriser mon ton.
Je reconnais objectivement, conscient de l'image de notre assemblée dans l'opinion publique, conscient du regard que portent les Françaises et les Français sur le Sénat de la République, que d'excellents arguments, une bonne méthode, un bon travail pourraient continuer de conférer à notre Haute Assemblée le prestige qu'elle a et qu'elle doit garder. En revanche, permettez-moi de le dire sans aucune irrévérence, un argument comme celui que vous employez me paraît de nature à porter un coup à la perception qu'auront les Françaises et les Français du Sénat de la République. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste, républicain et citoyen.)
M. Emmanuel Hamel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Je n'ai pas reçu mission de parler au nom des silencieux de mon groupe, mais je dois à la vérité de dire deux évidences.
La première, c'est qu'aucun d'entre nous ne peut douter de la loyauté, du désintéressement, du patriotisme tant du président de la commission des finances que de son éminent rapporteur général, notre ami Alain Lambert.
Mais que l'un et l'autre me permettent de leur dire que je ne partage pas les fondements de l'analyse intellectuelle qui leur fait considérer comme un devoir prioritaire, sur trop de budgets, au motif qu'il est nécessaire de réduire le déficit budgétaire, de sacrifier des dépenses qui sont vitales pour notre avenir ! Je crains d'ailleurs que leurs propositions de réduction ne soient très mal perçues de l'opinion publique !
Mme Hélène Luc. Ça, c'est clair !
M. Claude Estier. Très bien !
M. Emmanuel Hamel. Je ne suis pas par nature un démagogue. Vu mon âge, ma sénescence et ma déliquescence (Bruyantes dénégations), il m'est interdit de me représenter aux prochaines élections. Je suis donc totalement désintéressé dans mon propos.
L'idée que je me fais de la France est que, au-delà des nécessités évidentes, tenter de réduire l'évolution des dépenses publiques, tenter d'avoir une monnaie respectée, tenter d'alléger le poids croissant et douloureux de la dette publique, au-delà des considérations financières et monétaristes, au-delà de la prise en considération du regard des marchés financiers, nous avons le devoir vis-à-vis de nous-mêmes, pour notre France, de faire en sorte que le fondamental soit assuré et que ne soient pas sacrifiées des ambitions légitimes, notamment l'amélioration de l'éducation des enfants.
Oh ! je sais bien qu'il ne suffit pas d'accroître un budget pour qu'il soit bon. Mais ici, dans ce secteur, proposer au Sénat la réduction - presque systématiquement, en fonction d'une philosophie de réduction du budget - des crédits du ministère de l'éducation nationale, personnellement, je ne peux pas l'assumer !
Je déplore fondamentalement cette analyse car notre majorité sera jugée sur le fait qu'elle demande des réductions de crédits dans des secteurs que l'opinion nationale considère, à juste titre, comme vitaux. C'est la raison pour laquelle, à mon infini regret, je ne puis m'associer à l'amendement de réduction des crédits de ce ministère.
Je vous demande, monsieur le ministre, de gérer le mieux possible ces crédits. N'oubliez jamais, dans l'exercice de votre responsabilité relative à la promotion de l'éducation nationale, que celle-ci a un coût et qu'il faut, dans votre secteur comme dans tous les autres, gérer au mieux la dépense publique. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Adrien Gouteyron. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est vrai que nous sommes à un moment important du débat budgétaire - M. le rapporteur général l'a dit tout à l'heure - puisque nous assistons en fait à la première traduction de l'option qui a été prise et défendue lors de l'examen des crédits de la première partie du projet de loi de finances.
Il est vrai aussi que la majorité sénatoriale n'a pas choisi la facilité. Il est plus facile, on le sait, de dire : « toujours plus de crédits, toujours plus d'enseignants », que de se demander comment mieux éduquer, comment mieux encadrer, coment mieux guider, comment mieux former.
Je reconnais que la qualité du débat et l'absence d'acrimonie dans les interventions sont tout à fait remarquables. Mais on ne me fera pas croire que, sur un budget de presque 286 milliards de francs pour l'enseignement scolaire, il n'est pas possible de faire un certain nombre d'économies.
Mes chers collègues, nous sommes comptables du décalage entre les moyens que la nation accorde à l'éducation nationale et la manière dont ces moyens sont utilisés. Je vais prendre quelques précautions après avoir prononcé cette phrase, en m'appuyant d'ailleurs sur vos propos, monsieur le ministre, puisque vous êtes le premier à constater ce décalage et, souvent, à vous en irriter.
Si nous en sommes là, ce n'est évidemment pas la faute des enseignants, ce n'est évidemment pas la faute de tous ceux qui participent à l'action éducative, c'est le résultat de l'évolution d'un système qui a eu sa grandeur, qui l'a encore sans doute, mais qui a perdu beaucoup de son efficacité.
Je vais voter l'amendement de la commission des finances.
Monsieur le ministre, j'espère que vous avez été sensible aux applaudissements qui ont accueilli vos propos. Nous sommes nombreux, certainement une très grande majorité au Sénat, sans doute aussi à l'Assemblée nationale, plus encore dans le pays, à approuver la plupart de vos déclarations d'intention. Nous espérons que ces déclarations sont l'expression d'une véritable volonté.
Il n'empêche que le moment est peut-être venu, à l'occasion de ce signal que veut donner le Sénat, d'exprimer un certain nombre de souhaits.
Madame la ministre, monsieur le ministre, ne croyez-vous pas qu'il soit nécessaire de faire en sorte que vos propos foisonnants, votre démarche ambitieuse trouvent un sens plus profond et plus facile à saisir par l'opinion elle-même en les inscrivant dans un calendrier ? Il ne s'agit pas de nous enfermer dans un calendrier, mais de nous fixer des objectifs. En effet, on a parfois envie de vous dire, monsieur le ministre : « qui trop embrasse mal étreint ». Comment allez-vous faire pour mettre sur le métier tous ces ouvrages à la fois ?
Monsieur le ministre, vous lancez beaucoup d'idées et d'actions nouvelles qui sont nécessaires. Ne faut-il pas veiller à en préciser, au moins dans leurs grandes lignes, les modalités ?
Vous engagez une action en faveur des technologies de communication, des technologies nouvelles. C'est une nécessité, et les collectivités locales sont prêtes à relayer l'effort de l'Etat. Encore faut-il savoir exactement ce que l'on veut, quelles seront ses conséquences sur les programmes et avec quels enseignants cette action sera menée.
Par ailleurs, monsieur le ministre, pouvez-vous, s'il vous plaît, faire en sorte que vos décisions donnent lieu à un compte rendu précis devant le Parlement lorsqu'elles sont importantes, budgétairement importantes.
En disant cela, je pense au réemploi de 28 000 maîtres auxiliaires.
Il est dit, ici et là : attention, on ne sait que faire de ces personnels et certains restent chez eux. Les recteurs doivent vous informer. Vous leur avez d'ailleurs demandé, par circulaire, de faire remonter les informations et de vous rendre compte de la manière dont les choses se passent dans les académies. Vous devez, monsieur le ministre, faire remonter l'information jusqu'au Parlement car votre décision n'est pas budgétairement neutre.
Nous sommes intéressés par tout ce que vous pourrez nous dire à ce sujet.
Enfin, madame la ministre, monsieur le ministre, quand on traite de sujets aussi importants - et nous adhérons à vos propos - que la morale à l'école, l'éducation à la citoyenneté, l'instruction civique, il est nécessaire de bien préciser les choses, de distinguer ce qui relève de l'éducation et du comportement. Et l'on peut penser que l'essentiel, madame la ministre, se fait à l'école et au collège, même si, évidemment, on ne peut pas l'ignorer aux autres niveaux.
Il faut distinguer cette éducation comportementale - permettez-moi d'employer cette expression qui n'est pas belle - de l'instruction civique proprement dite, qui a été en effet trop longtemps négligée et qui, quand elle a été assurée, l'a été mal ; il faut vous donner les moyens de l'assurer.
Il faut enfin distinguer ces deux premiers plans d'un troisième dont a parlé, me semble-t-il, M. le ministre lors du débat sur l'éducation au Sénat, et qui est l'introduction de la philosophie à d'autres niveaux que celui de la classe de terminale. Ce sera l'occasion de donner le substrat sinon idéologique - le mot n'est pas beau non plus - au moins philosophique, les fondamentaux sur lesquels chacun peut s'appuyer.
Vous avez dit vous-même, madame la ministre, qu'il n'était pas facile de dégager dans un pays comme le nôtre des valeurs communes ; c'est vrai.
M. le président. Veuillez conclure, monsieurGouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Je conclus, monsieur le président.
C'est une raison supplémentaire pour bien associer toutes les parties intéressées afin que la nation tout entière se retrouve dans ce que vous voulez faire, bref y trouve son compte.
Je terminerai en disant...
M. le président. Monsieur Gouteyron, vous avez largement dépassé le temps de parole qui vous était imparti pour une explication de vote.
M. Adrien Gouteyron. ... que je souhaite que le vote du Sénat soit interprété comme un signal donné aux responsables de l'éducation, un signal donné également aux enseignants de la vigilance avec laquelle nous souhaitons suivre tout ce qui se passe dans les établissements scolaires, auxquels nous sommes si attachés. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Monsieur le ministre, vous avez indiqué tout à l'heure que les réductions de crédits qui sont proposées ne sont pas opératoires, qu'il ne vous semble pas possible de les appliquer telles qu'elles vous sont soumises.
Nous sommes dans un exercice budgétaire. Nous devons respecter les règles de la discussion budgétaire qui sont fixées par la Constitution et par l'ordonnance portant loi organique.
Nous essayons de nous y tenir, et ce loyalement, c'est-à-dire sans essayer ni de masquer ni de fuir nos responsabilités, l'honneur en politique étant effectivement d'assumer totalement ses responsabilités.
Cela étant, monsieur le ministre, si la croissance n'est pas au rendez-vous - ce qu'à Dieu ne plaise - si elle n'atteint pas le niveau que nous espérons tous, il faudra inévitablement procéder à des régulations dans un premier temps et à des annulations ensuite. Vous serez obligé, comme tous les autres ministères, de procéder à des ajustements, comme vous avez déjà été obligé de le faire !
S'il vous apparaît que de meilleurs arbritrages sont possibles, le Sénat lui-même sera à vos côtés pour les approuver. Vous êtes l'exécutif, et il est bon que vous puissiez employer les crédits au meilleur usage.
Monsieur Carrère, je voudrais vous dire que vous êtes plus redoutable quand vous êtes modéré que lorsque vous laissez exploser votre passion. (Rires sur les travées socialistes.)
Il y a un seul mot que je n'ai pas trouvé juste dans votre intervention, c'est le mot « politicien ».
En revanche, il y a une chose qui est vraie : vous avez signalé que la nation et le Parlement sont sensibles à la liberté de parole du ministre, qui suscite la sympathie.
Dans un vieux pays comme le nôtre, où nous sommes souvent contraints à un certain rituel, il est bon, parfois, que l'on nous secoue, pour que nous disions les choses un peu plus nettement et pour que nous fassions progresser le pays.
M. François Trucy. Très bien !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Monsieur Carrère, il faut que nous soyons conscients d'une chose - et cette remarque vaut pour M. Hamel et pour tous ceux de nos collègues qui se sont exprimés contre cet amendement - est-ce que ce que nous faisons, nous qui sommes souvent parents, parfois grands-parents, est bien pour nos jeunes ?
Mes chers collègues, le moment où j'ai le plus souffert - moment que j'ai qualifié de lâcheté dans mon intervention lors de la discussion générale - c'est lorsque, n'ayant pas voulu les supporter nous-mêmes, nous avons osé renvoyer aux générations futures, à partir de 2004, donc à nos enfants, 87 milliards de francs de dépenses de santé !
Mme Hélène Luc. On aurait pu faire autrement !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Vous vous indignez aujourd'hui, madame Luc, que nous retranchions deux milliards de francs de crédits alors que, sans aucun état d'âme, en quelques instants, nous avons renvoyé à nos enfants dont nous parlons aujourd'hui avec émotion, ces 87 milliards de francs que nous n'avons pas eu le courage d'assumer nous-mêmes !
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je n'ai pas honte, voilà pourquoi je pense, au contraire, assumer pleinement mes responsabilités au nom de la commission des finances en demandant que le Sénat, au moins dans sa majorité, adopte une telle réduction de crédits ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE).
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il y a des élections au mois de juin, et vous verrez que les Français veulent autre chose !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je crois que la représentation nationale sait combien je suis attaché au dialogue démocratique. Je l'ai démontré au Sénat, où je suis venu à plusieurs reprises, tant en commission, où j'ai répondu, avec ma collègue Mme Ségolène Royal, à toutes les questions que vous me posiez, où j'ai écouté vos observations, vos remarques, vos suggestions, dont j'ai tenu compte - et je vais vous le montrer dans un instant - qu'en séance publique, puisque j'ai accepté de participer à un débat préliminaire pour discuter, jusqu'à une heure avancée de la nuit, de questions essentielles concernant l'éducation ; ce débat fut grave et riche.
Tout à l'heure, vos interventions, leur tonalité, de même que - je ne sais pas si je peux m'en réclamer - vos applaudissements, ont traduit cette attitude ouverte de part et d'autre.
Alors, maintenant, j'avoue que je suis un peu surpris.
Je pourrais tout d'abord souligner le fait que votre amendement est juridiquement irrecevable. Il l'est en effet, puisque, pour qu'un amendement soit recevable, il doit préciser la réduction des crédits chapitre par chapitre ; les chapitres sur lesquels vous opérez des réductions doivent être identifiés précisément, ce qui n'est pas le cas.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Seule une juridiction constitutionnelle pourra statuer sur ce point !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Mais je ne vais pas me situer sur ce terrain.
A la seule lecture du compte rendu des débats, tout le monde comprendra, compte tenu précisément du climat extrêment détendu dans lequel se sont déroulés tous les débats que nous avons eus jusqu'à maintenant, que notre divergence tient non pas à un problème de fond, mais au fait que vous appartenez à une autre majorité politique.
Un orateur a employé le terme de « politicien ». Je n'irai pas jusque-là. Je préfère parler d'une majorité sénatoriale qui, obéissant à une certaine logique, est conduite, dans un certain nombre de discussions, à se contredire elle-même.
Je vais donc vous faire des propositions, parce que, toujours, je veux être positif et parce que notre intérêt n'est pas de nous livrer à une guerre politique ; il est bien plutôt d'améliorer le système éducatif de notre pays.
Monsieur Gouteyron, vous ne pouvez pas, dans le même discours, me demander des précisions sur ce que je compte faire dans les domaines des technologies nouvelles ou des programmes et réclamer que soient prises en compte les multiples expériences qui sont menées. Je ne peux pas vous donner de précisions, précisément parce que je veux tenir compte du débat démocratique, de la décentralisation et de toutes les expériences engagées ! Ne me demandez donc pas d'adopter une attitude jacobine : je ne suis pas jacobin ! C'est bien pourquoi je prends en compte les réalités du terrain, sur les nouvelles technologies comme sur les programmes !
Vous m'avez aussi demandé des informations exactes sur le réemploi des maîtres auxiliaires. Je considère que la représentation nationale a droit à toutes les informations, et je ferai en sorte que vous les obteniez !
Vous m'avez parlé de l'instruction et de la morale civiques. Je vais vous faire une proposition : je suis prêt à soumettre au Parlement les programmes de cet enseignement, afin que vous puissiez non seulement faire des remarques, tant sur la forme que sur le fond, mais aussi vous assurer qu'ils correspondent effectivement à l'idéal républicain. La morale civique étant fondamentale, je ne trouve pas anormal que la représentation nationale, qui, par nature, représente le pays, puisse se prononcer sur le contenu d'un tel enseignement.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je voudrais, en conclusion, vous laisser face à votre conscience.
M. le Président de la République, dans une expérimentation qui s'est avérée hasardeuse, a dissous l'Assemblée nationale. Mais il n'a pas dissous le Sénat ! Par conséquent, c'est bien le même Sénat qui a discuté et voté les budgets précédents ! Alors, je vous le demande : pourquoi avez-vous laissé M. Balladur vous présenter un déficit de 4,7 % deux années consécutives ?
M. Denis Badré. Il était de 5,6 % en 1993 !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Pourquoi avez-vous laissé M. Juppé proposer un déficit supérieur à ce que les critères de Maastricht autorisent ?
M. Denis Badré. Nous l'avons réduit de deux points en deux ans !
M. Emmanuel Hamel. Ils héritaient de votre gestion pendant la période 1988-1993 !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur Badré, vous me donnez l'occasion, et je vous en remercie, de vous dire que j'avance des éléments précis, car vous pensez bien que j'ai pris soin de vérifier : vous n'avez pas proposé de réduire les crédits du budget présenté par M. Bayrou !
M. Denis Badré. Parce que nous le trouvions bon !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Vous le trouviez bon ? Proportionnellement, il était le même !
Vous démontrez ainsi que votre vote est purement politique ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Claude Estier. Très bien !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. A vous d'assumer. Quant à moi, cela ne changera pas mon attitude de dialogue avec la représentation nationale, parce que je crois à la République.
Mais pour la recherche, la technologie et l'éducation, qui sont des priorités de la nation, ne croyez-vous pas - je vous renvoie à nouveau à votre conscience - qu'il serait bon de faire taire les divisions partisanes, afin que l'école de la France retrouve la première place ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-8, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, de la commission des finances, l'autre, du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 24:

Nombre de votants 318
Nombre de suffrages exprimés 308
Majorité absolue des suffrages 155
Pour l'adoption 205
Contre 103

Mme Hélène Luc. Les choses progressent, la sagesse gagne !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifiés, les crédits figurant au titre III.
M. Jean-Louis Carrère. Le groupe socialiste vote contre !

(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. « Titre IV : 1 319 147 181 francs. »