M. le président. Nous reprenons l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant l'enseignement scolaire.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord remercier MM. les rapporteurs, en particulier M. le rapporteur spécial de la commission des finances, M. Ostermann, et MM. les rapporteurs pour avis de la commission des affaires culturelles, M. Bernadaux, ainsi que, bien évidemment, M. Carrère. A travers lui, je remercie les sénateurs de la majorité gouvernementale du soutien qu'ils apportent à ce projet de budget.
Je remercie également l'ensemble des sénateurs qui ont contribué utilement au débat qui nous rassemble aujourd'hui, même si leurs votes n'iront pas toujours dans le sens que nous aurions souhaité ! (Sourires.)
A cet égard, je voudrais anticiper et m'arrêter quelques instants sur l'amendement de M. Ostermann.
Il nous est proposé de réduire de près de 2 milliards de francs les crédits de l'enseignement scolaire. Qui, en effet, pourrait être aujourd'hui hostile aux économies budgétaires dès lors qu'elles ont un intérêt général ? Or, à l'examen, je découvre dans la répartition des économies qui nous sont proposées l'abandon des créations d'emplois des personnels non-enseignants, des personnels médico-sociaux et des personnels ATOS.
Je m'adresse à M. le rapporteur spécial de la commission des finances.
M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Le rapporteur général assume aussi ! (Sourires.)
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Le rapporteur général aussi ? Donc, les choses sont claires ! (Nouveaux sourires.)
Monsieur le sénateur, nos établissements scolaires manquent cruellement d'infirmières, d'assistantes sociales, de personnels ATOS. Compte tenu du rôle que jouent ces personnels dans l'ensemble des établissements, et en particulier dans ceux qui sont situés dans des quartiers difficiles, compte tenu du travail qu'effectuent ces personnels, insuffisamment reconnu et peu valorisé, vous comprendrez bien que le Gouvernement ne puisse pas vous suivre sur la voie que vous préconisez.
Vous nous proposez ensuite de diminuer les recrutements de nouveaux enseignants. Ma surprise est encore plus grande, car je me suis livrée à un petit calcul : la proposition équivaudrait à fermer trois mille classes dans le premier degré et sept mille dans le second degré ! Mais il n'y a là rien d'anodin : on ne ferme pas impunément autant de classes ! Sachez que cela se traduirait par plusieurs centaines de fermetures d'établissement, en particulier de petits collèges dans les zones rurales.
Monsieur Ostermann, lorsque l'on fait des propositions de ce type, il faut aller jusqu'au bout de sa logique et indiquer à quel endroit on doit fermer des classes, où l'on doit supprimer des postes de personnels ATOS !
Mme Hélène Luc. Bonne question !
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. J'irai, moi, plus loin dans votre raisonnement. J'ai regardé... par hasard. ( Sourires ) ce qui avait été fait lors de la rentrée scolaire dans un département qui vous est cher, le Bas-Rhin.
Dans ce département, nous avons rouvert sept classes, annulé la fermeture de six classes, réalisé les ouvertures conditionnelles de sept classes et engagé quatre ouvertures nouvelles de classe, soit un total de vingt-quatre classes supplémentaires. ( M. le rapporteur spécial opine. )
En Meurthe-et-Moselle, département cher à M. Bernadaux, nous avons ouvert ou rouvert cinquante-deux classes !
M. René-Pierre Signé. Bravo !
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Si, à la prochaine rentrée scolaire, ces deux départements sont prêts à apporter leur contribution aux économies pour ce qui est des ouvertures de classe comme des personnels ATOS dans les établissements, nous ne manquerons pas d'accorder une bienveillante attention à leurs suggestions, messieurs les rapporteurs ! (Sourires.)
M. Emmanuel Hamel. Vous avez hélas, raison !
M. René-Pierre Signé. C'est une bonne réponse ! Ils en restent muets !
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. L'enseignement scolaire a connu dans notre pays de substantielles avancées et le Gouvernement a décidé de lui accorder les moyens nécessaires pour continuer en ce sens. Deux pourcentages témoignent de la remarquable avancée de notre système scolaire : au début des années quatre-vingt, 35 % seulement d'une génération atteignaient le niveau du baccalauréat, contre 70 % aujourd'hui. Il s'agit d'un formidable effort de la nation.
Néanmoins, trop d'élèves sortent encore du système scolaire sans qualification - 60 000 par an - et la réussite scolaire demeure encore trop largement inégalitaire. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de refaire de l'école une priorité, pour la réussite scolaire de tous, pour la lutte contre l'exclusion sociale et pour l'amélioration des conditions de vie à l'école.
Nous avons donc ouvert, avec M. Claude Allègre, un certain nombre de chantiers que la plupart d'entre vous ont évoqués de façon très complète et très intéressante. C'est pourquoi je m'en tiendrai simplement à quelques pistes d'orientation que nous avons décidé de suivre pour améliorer l'efficacité de l'école.
Dans le premier degré, par exemple, nous pensons qu'il faut recentrer l'enseignement sur les apprentissages fondamentaux, en particulier sur l'apprentissage des langages, notamment par le développement de la scolarisation précoce. Nous ferons un effort particulier pour l'accueil des enfants âgés de moins de trois ans, parce que nous savons que la maîtrise de l'expression orale et la richesse du langage dès le plus jeune âge sont le meilleur gage d'un apprentissage de la lecture réussi.
Nous voulons également apporter un soutien scolaire individualisé dès l'école élémentaire. Tous les élèves ne partent pas avec les mêmes chances mais, indépendamment de cette question de l'égalité des chances, chaque élève est unique et chaque élève a un rythme d'évolution particulier. Nous voulons donc réintroduire non seulement les évaluations, mais également leur utilisation pour aider le système scolaire à mettre en place, pour chaque élève, des itinéraires individualisés de soutien et de rattrapage.
Certains d'entre vous ont évoqué l'enseignement des sciences à l'école primaire. C'est également l'une de nos priorités, puisque l'opération « La main à la pâte », qui doit aussi être mise au service de l'apprentissage des savoirs fondamentaux, sera étendue et touchera mille classes.
Vous avez également fait référence, les uns et les autres, aux emplois-jeunes dont les bénéficiaires seront affectés en priorité dans le premier degré, afin de favoriser l'aménagement des rythmes scolaires.
Enfin, je voudrais souligner, toujours à propos du premier degré, l'effort consenti par le Gouvernement en faveur de l'école primaire, qui se traduit par le maintien d'un flux constant d'intégrations des instituteurs dans le corps des professeurs des écoles. L'ouverture de négociations sur la modification du rythme et des modalités d'intégration est liée à des décisions gouvernementales qui seront prises dans le cadre de la préparation du budget de 1999. Il s'agit d'un point très sensible, sur lequel nous sommes extrêmement vigilants.
En ce qui concerne le collège, nous avons engagé une réflexion sur l'adaptation de la réforme entamée par le précédent gouvernement, afin d'y distinguer les points positifs de ceux qui méritent un réexamen. Nous ne souhaitons pas bouleverser le collège, qui a besoin de continuité.
Comme je le disais voilà un instant, certains éléments introduits récemment sont positifs : il en est ainsi, par exemple, de la mise en place des études dirigées en sixième et en cinquième ou de l'introduction d'une certaine souplesse dans les horaires d'enseignement, ce qui facilite l'adaptation à la diversité des élèves.
En revanche, nous ne voulons pas que se reconstituent les filières. Or, ici et là, elles ont tendance à réapparaître subrepticement. Nous allons donc remettre à plat l'ensemble des dispositifs, afin de voir de quelle façon nous pouvons aider les élèves en retard, sans les orienter trop précocement vers des voies sans issue.
Dans le même esprit, nous demanderons aux établissements de ne conseiller les redoublements qu'à titre tout à fait exceptionnel. C'est l'une de mes préoccupations. En effet, d'une académie à l'autre, les taux de redoublement varient beaucoup et vont parfois du simple au quadruple. Il y a donc là matière à redéfinir les itinéraires des élèves dans ce lieu central qu'est le collège, puisque c'est dans ce dernier que nos enfants sont acheminés vers la fin de la scolarité obligatoire.
Je ne m'étendrai pas sur la question du lycée. Plusieurs d'entre vous ont évoqué l'organisation de la grande consultation nationale. Cette réflexion portera essentiellement sur l'équilibre entre les différentes disciplines, le contenu des programmes, la place des options. Le lycée constitue, en effet, la passerelle entre l'enseignement obligatoire, qui se termine avec le collège, et l'enseignement supérieur.
Je voudrais évoquer un peu plus longuement, à la suite de l'intervention de M. Jean-Louis Carrère, l'enseignement technique.
Avec plus de 1,7 million d'élèves scolarisés dans l'enseignement technique contre un peu plus de 1 million d'élèves dans l'enseignement général, il est clair que l'enseignement technique tient une place majeure dans notre réflexion et doit retenir toute notre attention. Vous avez d'ailleurs été plusieurs à intervenir sur ce sujet.
La loi-cadre de 1985 intervenait alors que les besoins de l'économie dictaient de prendre des mesures de développement. C'est d'ailleurs à cette époque que furent créés les baccalauréats professionnels dont personne, aujourd'hui, ne conteste la réussite.
Douze ans après, vous suggérez, monsieur Carrère, en fonction de l'évolution de la situation, une nouvelle loi-cadre. Pourquoi pas ? Nous pouvons en effet réfléchir ensemble à la nécessité de recadrer les objectifs globaux de l'enseignement technique. Contrairement d'ailleurs à ce que certains ont dit, nous ne nous sommes pas désintéressés de ce secteur. Un travail en profondeur a été engagé, puisqu'une série de réunions de travail se déroulent actuellement au ministère.
Cependant, dans ce secteur aussi, nous voulons éviter la précipitation, car il s'agit d'un chantier difficile et qu'il ne faut pas soulever de faux espoirs.
Il est toutefois vrai que la représentation nationale devra se prononcer. C'est donc une ouverture positive que je réserve à votre proposition, monsieur Carrère.
Je veux maintenant évoquer, à propos de la lutte contre l'exclusion sociale et de la promotion de l'égalité des chances, le chantier que nous avons lancé, s'agissant des zones d'éducation prioritaires.
Ce matin, un certain nombre d'intervenants se sont inquiétés de la refonte de la carte des zones d'éducation prioritaires, craignant que l'on ne reprenne à certains pour redonner à d'autres.
Je peux les assurer que, sur ce sujet qui fait actuellement l'objet d'une étude à l'intérieur de chacune des académies, notre objectif est non pas de retirer des établissements des zones d'éducation prioritaires, mais de raccorder sous forme de réseaux certains établissements qui, aujourd'hui, souffrent de l'effet de frontière.
Il s'agit d'établissements qui sont situés à l'extérieur des zones d'éducation prioritaires et qui, paradoxalement, se sont retrouvés au fil des ans dans des situations plus difficiles que certains établissements plus protégés installés à l'intérieur des zones d'éducation prioritaires. En effet, le nombre d'élèves par classe étant limité dans les zones d'éducation prioritaires, les inscriptions se reportent sur les collèges situés à l'extérieur de la zone ; ces derniers, petit à petit, finissent par connaître une situation plus dégradée que celle du collège situé à l'intérieur de la zone d'éducation prioritaire.
Par conséquent, grâce en particulier aux nouveaux moyens mis en place dans ce projet de budget, avec la création de postes de personnel non enseignant, je souhaite créer des réseaux d'éducation prioritaires, c'est-à-dire donner de nouveaux moyens là où de nouveaux établissements seront mis en réseaux, ce qui permettra une mise en commun des moyens existants sur telle ou telle zone. Je pense ici, en particulier, à la façon dont nous pourrions créer des pôles d'éducation prioritaires, avec des écoles autour des collèges, et consacrer des moyens supplémentaires à ces réseaux, permettant une mise en commun d'autres types de personnels qui ont affaire à la même nature de public scolaire.
Chaque zone d'éducation prioritaire et chaque réseau seront conduits à mettre en place un contrat de réussite pour lequel les recteurs ont déjà reçu des instructions. Le travail a donc d'ores et dejà commencé dans les académies. Il vous appartiendra de faire remonter les aspirations de tel ou tel établissement. Quant aux élus, ils seront conduits à participer à ce travail de concertation. Un forum académique aura lieu dans chaque académie avec une conclusion nationale sous forme d'états généraux des zones d'éducation prioritaires, au printemps prochain, afin que nous puissions décider ensemble des mesures concrètes à mettre en place pour la prochaine rentrée scolaire.
Par conséquent, là aussi, le chantier de réflexion est ouvert, et je pense que nous aurons l'occasion d'en reparler.
En ce qui concerne la lutte contre l'exclusion sociale et la violence, le Gouvernement a remis en place l'éducation civique et la morale civique. Là aussi, à partir d'un travail concret dans les établissements, chaque établissement scolaire est invité à mettre en oeuvre des initiatives citoyennes pour apprendre à vivre ensemble. Il s'agit en effet non pas d'imposer un dogme d'en haut, mais, au contraire, de s'appuyer sur les initiatives de terrain, là où se fait sentir la nécessité de remettre en place dans le système scolaire des règles d'organisation et de comportement pour se respecter mutuellement.
Le plan interministériel de lutte contre la violence qui a été mis en place est déjà opérationnel dans certains établissements scolaires, et je tiens à remercier ceux d'entre vous qui ont souligné toute la portée de ce dispositif.
Enfin, la médecine scolaire est également un chantier essentiel. La santé des élèves constitue l'une des conditions fondamentales de leur réussite scolaire ; on a constaté un recul de l'état sanitaire des élèves que l'on ne peut pas accepter. La création de vacations pour la médecine scolaire, de postes d'infirmières scolaires répond à cette préoccupation. J'ajoute que, en mars 1998, un concours de médecins de l'éducation nationale sera ouvert et qu'une soixantaine d'emplois seront proposés au recrutement.
Il reste aussi tout un travail à faire pour articuler la médecine de quartier et la médecine scolaire. Là aussi, des expériences, des réalisations seront lancées dans le cadre du travail sur les zones d'éducation prioritaires.
J'en viens à la modernisation du système éducatif.
Je ne ferai que citer l'introduction des nouvelles technologies, car Claude Allègre en a parlé tout à l'heure.
Des actions ont été mises en place pour l'ouverture de l'école sur la société.
A cet égard, j'évoquerai d'abord le nouveau partenariat que j'ai instauré avec les parents d'élèves, qui sont coéducateurs des enfants ; en effet, l'école remplira d'autant mieux sa mission que les parents d'élèves seront associés à la dynamique scolaire.
En outre, nous travaillons à la démocratisation du fonctionnement des conseils d'administration et des conseils de classe, notamment dans les lycées, afin que les élèves soient également acteurs de leur évaluation et responsables de leurs choix d'orientation.
Enfin, un certain nombre d'autres domaines font également l'objet d'un travail en profondeur. Il en est ainsi de l'aménagement des rythmes scolaires, que j'ai déjà évoqué tout à l'heure. Une évaluation des différentes expériences très disparates ayant lieu sur l'ensemble du territoire est en cours, en liaison avec le ministère de la jeunesse et des sports. Une fois qu'elle sera terminée, nous serons en mesure de tracer des perspectives prioritaires tout en maintenant - je tiens à le dire - une grande liberté d'initiative sur le terrain, puisque c'est l'intérêt de l'élève qui reste au coeur du dispositif de l'aménagement des rythmes scolaires.
Ces grandes orientations, ces chantiers qui ont été ouverts s'appuient sur un budget en progression, comme vous l'avez indiqué les uns et les autres - plus de 3 % - ce qui marque une rupture par rapport aux budgets précédents.
La fin des suppressions d'emplois enseignants, la forte reprise des créations d'emploi de personnel non enseignant, la consolidation du dispositif de réemploi des maîtres auxiliaires, la participation de l'éducation nationale à la mise en oeuvre du plan emplois-jeunes et la solution apportée à des problèmes d'urgence, avec le fonds social pour les cantines, constituent des actions qui justifiaient cette priorité budgétaire dans un contexte pourtant difficile.
Ce projet de budget traduit donc une forte volonté du Gouvernement de retrouver une nouvelle ambition pour l'école.
Certains d'entre vous ont exprimé l'idée que l'efficacité du système scolaire ne se mesure pas seulement aux efforts budgétaires. C'est vrai, mais il faut aussi les prendre en considération.
Notre souci, aujourd'hui, est d'entrer dans une phase qualitative, d'orienter correctement cet effort national qui pèse d'abord et avant tout sur tous les Français. N'oublions pas que le système scolaire accueille 12,5 millions d'élèves et compte 1,2 million de salariés. C'est donc bien la première mission de la nation et un enjeu essentiel pour tout le pays que d'acheminer ces élèves vers la réussite scolaire
Nous voulons, en retrouvant cette ambition pour l'école, former le mieux possible les élèves à devenir, demain, des citoyens libres et responsables. Tel est l'enjeu de ce projet de budget.
Je tiens, pour terminer, à remercier tous ceux d'entre vous qui ont contribué au travail que nous vous présentons aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : I. - Enseignement scolaire.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 1 768 000 360 francs. »