LOI DE FINANCES POUR 1998

Discussion d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, un certain atavisme, la formation que j'ai reçue et la fierté que j'ai d'exercer un mandat parlementaire après un autre mandat d'élu font que je ne voue pas un culte excessif à la précaution oratoire ou à la « langue de bois ».
Je me sens donc tout à fait libre de vous adresser un discours qui sera un peu le contrepoint de celui que j'adressais l'année dernière, à pareille époque du haut de cette tribune, à vos prédécesseurs, monsieur le secrétaire d'Etat, discours dans lequel je n'avais pas exagérément mâché mes mots pour dire ce que je pensais du budget qu'ils nous présentaient.
M. le rapporteur général s'en souvient peut-être, j'avais été amené à dire au ministre de l'économie et des finances et au secrétaire d'Etat au budget de l'époque à quel point j'étais frappé de constater, alors qu'ils nous présentaient un budget que je jugeais bon, qu'ils n'avaient eux-mêmes pas l'air d'y croire ; et je le leur reprochais.
J'avais en effet le sentiment que, dans les projections de l'évolution des recettes et de l'économie pour l'année qui s'annonçait, ils avaient tendance à ne pas présupposer que les qualités de la politique qu'ils nous proposaient permettraient d'améliorer la situation.
Or, si je devais aujourd'hui vous faire un reproche, monsieur le secrétaire d'Etat, ce serait de trop y croire ! (M. le secrétaire d'Etat lève les bras au ciel.) Ceux qui n'y croyaient pas, je le constate,...
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Ont été battus !
M. Paul Girod. ... ont dû quitter le pouvoir au moment où l'effet de leur politique nous donnait un taux de croissance de 1 % sur un trimestre !
M. Alain Lambert rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Ça va, ça vient ! (Sourires.)
M. Paul Girod. Vous, vous y croyez tellement que vous êtes parti sur des hypothèses - que je souhaite que ce soient les bonnes pour mon pays - d'un taux de croissance de 3 %, d'un taux d'inflation de 1,4 % et d'un dollar à 6 francs, le tout reposant sur une économie qui reprend son essor. Qui ne souhaiterait que vous ayez raison ?
L'ennui, c'est que vous y croyez tellement qu'avant même que vos prévisions ne se soient réalisées, vous avez déjà, du moins dans votre esprit, me semble-t-il, redistribué pour une bonne part les fruits de cette croissance, et ce avec une ardeur théologique qui me fait frémir.
Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est bien de croire à la croissance de l'économie, mais il faut d'abord commencer par ne pas la casser ! Or, je ne suis pas persuadé que certaines des annonces qui ont été faites ces derniers temps aillent dans ce sens.
Remettre en cause, sans le dire, l'avance technologique que nous avons en matière nucléaire en arrêtant le programme Superphénix, remettre en cause, sans le dire, le dynamisme de nos entreprises en annonçant, dans les conditions que l'on sait et avec le côté contraignant que l'on sent, les trente-cinq heures obligatoires pour un certain moment, tout cela me semble un peu aventuré.
J'ai écouté avec attention M. le ministre de l'économie tout à l'heure : discours de grande qualité, certes, mais dans lequel un point précis me gêne. Vous comprenez, nous a-t-il dit, la « confiscation » que nous allons en quelque sorte opérer sur les fruits de l'expansion de la France en 1998 ne sera que de 41 %, alors qu'elle a été de 86 % il y a quelque temps.
Voilà une manipulation que l'on peut faire avec certitude a posteriori sur des chiffres avérés, mais qu'il est peut-être un peu risqué de faire a priori sur des chiffres futurs, surtout quand on est soi-même maître, au moins dans la projection, et du numérateur et du dénominateur de la division.
Or, je crains que ce ne soit là que l'effet de votre confiance, de votre volonté d'y croire et que tout cela ne vous mène sur des voies curieuses. Pourquoi ? Parce que vous sacrifiez à l'idéologie, et je vais vous en donner un exemple.
Dans les toutes premières pages d'un des rapports accompagnant le projet de loi de finances, vous écrivez que ce budget se caractérise tant par ses ambitions pour l'emploi que par sa volonté de justice sociale.
Dès lors, je vous pose une question simple, monsieur le secrétaire d'Etat : un emploi est-il bon quand vous le trouvez idéologiquement justifié et mauvais quand vous le trouvez idéologiquement discordant par rapport à vos convictions ? Pour être plus précis, comme je l'ai déjà dit à Mme Aubry de haut de cette tribune, où est la logique ?
Est-ce de préférer un emploi rémunéré totalement sur fonds publics, qui coûte au budget de l'Etat 80 000 francs, le reste étant à la charge des collectivités locales, et dans des domaines d'activité flous ? Est-ce de considérer que cet argent public dépensé pour une part au détriment des collectivités locales est justifié parce que l'emploi est créé par la collectivité, et par conséquent économique ? Est-ce de considérer comme injuste, scandaleux et invraisemblable que l'on finance par une réduction d'impôt de 45 000 francs au maximum un véritable emploi créé par une famille ? Expliquez-moi pourquoi dépenser 100 000 francs, c'est bien, tandis que dépenser 40 000 francs c'est mal, et ce pour crééer un emploi dans les deux cas !
De la même manière, vous avez tendance à nous dire qu'il faut « charger la barque » des grandes entreprises. Moi je veux bien, c'est facile à dire, mais nos grandes entreprises françaises sont-elles, par rapport à leurs concurrentes mondiales, en situation de se faire ponctionner encore un peu plus, au motif qu'elles sont grandes ? Je n'en suis pas persuadé, et je constate que, pour l'instant, on voit plus d'OPA étrangères sur des entreprises françaises en mal de finances que d'OPA françaises sur des sociétés étrangères que l'on devait à je ne sais quelle prospérité fantastique des entreprises françaises. D'ailleurs, le deuxième assureur français en est réduit à appeler les Allemands au secours pour résister aux Italiens !
M. Philippe Marini. Oui, ce n'est pas merveilleux !
M. Paul Girod. Cela ne me semble pas être le signe de perspectives financières remarquables pour nos assureurs.
Tout cela me donne à penser, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous avez davantage mis l'accent sur ce que vous appelez la « justice sociale », ce qui, dans bien des cas, n'aura d'autre résultat que l'inefficacité économique. Ce que vous croyez être une politique au service de l'emploi n'est raisonné qu'à partir d' a priori idéologiques sur ce qu'est le bon emploi.
Moi, je ne suis pas du tout persuadé - le monde entier a fait la preuve du contraire - que ce soit l'emploi collectivement décidé et publiquement financé qui soit le vrai emploi pour les années qui viennent.
Or, tout votre projet de budget - je ne parle pas ici des grandes masses, ni du fait qu'on prenne de l'argent aux militaires pour le distribuer à je ne sais qui - est fondé sur cette présupposition, affichée dès la première page comme étant sa colonne vertébrale.
Monsieur le secrétaire d'Etat, quelle que soit votre bonne volonté, dont je ne doute nullement, quelle que soit la sincérité de vos convictions, je crains qu'à force de vouloir avoir raison contre le monde entier pour élaborer le budget de la France, vous ne nous entraîniez, nous et notre peuple, une nouvelle fois, comme en 1988, quand on a rétabli la priorité de la dépense publique par rapport à l'économique, sur de curieuses voies. Et un jour ou l'autre, à force, vous, d'y avoir cru trop, comme à force, pour vos prédécesseurs, d'y avoir cru insuffisamment, nous risquons d'un camp à l'autre, d'en payer le prix politique, quand le pays tout entier devra payer le prix de l'inefficacité fondamentale de ces mesures.
Voilà ce que je voulais dire en guise de réflexion générale.
Permettez-moi maintenant une réflexion plus particulière sur les collectivités locales, domaine que je connais un peu, dans lequel, certes, je peine parfois,...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Ne soyez pas trop modeste !
M. Paul Girod. ... mais dans lequel aussi, sous la conduite éclairée du président du comité de finances locales et du président de la commission des finances du Sénat, je fais chaque jour des découvertes supplémentaires.
Je suis quelque peu sidéré. Vous dites ne pas diminuer les transferts de ressources, ou à peine, et encore avec des compensations de l'Etat en direction des collectivités locales. Je ne reviens longuement ni sur l'historique de l'affaire, ni sur la discussion quasi théologique de savoir ce qui appartient vraiment aux collectivités locales et ce qui appartient à l'Etat, ni sur la manière abusive avec laquelle la comptabilité publique, en particulier, et l'ensemble du ministère des finances, en général, ont tendance à considérer les flux financiers qui vont de l'Etat vers les collectivités territoriales, oubliant souvent ceux qui vont en sens inverse. Je relève seulement que, dans le même temps où, dites-vous, vous ne diminuez pas les concours de l'Etat, vous multipliez allègrement les charges qui vont s'imposer aux collectivités territoriales.
Je ne parle même pas de l'emploi des jeunes. Tout le monde le sait, les 2 milliards de francs, au moins, que coûtera la mesure seront prélevés sur les impôts locaux, parce qu'il n'y a pas d'autres moyens d'arbitrer.
Tout le monde sait aussi que le climat de laxisme vis-à-vis des syndicats qui préside à la mise en oeuvre de la loi sur les services de secours et d'incendie, dont vous n'êtes pas les auteurs, je vous le concède, va faire peser sur les départements et les communes des charges nouvelles très différentes de celles qui avaient été envisagées au moment du vote de la loi.
M. Philippe Marini. Hélas !
M. Paul Girod. De surcroît, j'ai entendu M. Allègre nous promettre ici même un plan pour l'Université, dont le financement, comme il nous l'a déjà laissé entendre, exigera probablement que nous mettions « la main à la poche », et c'est une litote !
Quant à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, vous êtes peut-être les premiers à avoir inventé le pompage, même si vous n'êtes certainement pas les seuls à l'avoir poursuivi. Or, cette fois-ci, comme il n'y a plus rien à pomper, vous allez pomper à l'extérieur pour endetter le système, et l'on retrouvera tout cela évidemment l'année prochaine. Cela permet un effet d'annonce pour 1997 ; cela promet aussi quelques perspectives difficiles pour 1998.
Soit ! Seulement tout l'équilibre de ce que l'on a appelé le pacte financier entre l'Etat et les collectivités territoriales - vous dites que vous le maintenez, et je vous en remercie - repose sur le fait que la compensation des réductions financières décidées par l'Etat et mises à la charge des collectivités locales est financées en partie par une taxe professionnelle minimale dont le taux a été fixé voilà maintenant deux ans à un niveau relativement faible.
Nous devions disposer des leçons tirées de cette affaire. Je n'ai pas le sentiment, mais peut-être ai-je mal lu vos documents budgétaires, que quoi que ce soit y figure sur le sujet et encore moins que l'on en tire quelque leçon que ce soit.
Par conséquent, de deux choses l'une : ou la discussion qui va se dérouler tout au long de l'année 1998 sur le renouvellement ou la sortie du pacte va intégrer les dimensions de cette nouvelle taxe professionnelle nationale minimale, destinée à alimenter l'Etat alors que, en principe, c'est un impôt local - dans ce cas-là, nous sommes évidemment preneurs d'éclairages et de réponses - ou il n'y a rien et, d'avance, nous sommes déçus et surtout inquiets de l'avenir des rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales.
Voilà donc, monsieur le secrétaire d'Etat, une observation sur la théologie et des questions sur les finances locales.
Je crains que vous ne tombiez, avec ce projet de budget, sur l'un des grands défauts que j'ai tendance à reprocher à votre famille de pensée : vous prenez une photo de la société française et vous y repérez un certain nombre d'anomalies que vous réparez en vous plaçant de votre point de vue, en particulier celui de la justice sociale.
Ce faisant, vous oubliez qu'une photo est un instantané, alors que la vie, c'est du cinéma, au sens de l'évolution des choses ( M. le rapporteur général rit ), et vous ne vous préoccupez guère des dérivés se situant derrière les anomalies de la photo, dérivés qui sont beaucoup plus positifs que vous ne l'admettez.
Le plus bel exemple en est la société économique américaine, qui a redémarré avec ce que l'on a appelé « les petites boulots », mal payés peut-être mais qui ont remis tout le monde au travail. Ces petits boulots ont abouti à ce que tous les emplois créés aux Etats-Unis soient aujourd'hui payés largement au-dessus de la moyenne des rémunérations de ce pays ; ils ont redonné aux Etats-Unis une dynamique économique, après une période certes difficile, mais au cours de laquelle tout le monde, individus compris, a été contraint de prendre ses responsabilités.
Je crains que vous n'ayez oublié cette leçon-là et que, pour des motifs tout à fait louables sur le plan sentimental - j'allais presque dire moral - de redistribution, ...
M. Michel Sergent. Quarante millions d'Américains vivent en dessous du seuil de pauvreté ! Quel exemple !
M. Paul Girod. ... vous n'arriviez qu'à casser le système et à nous faire rater une nouvelle fois le train d'une modernisation générale du monde, qui aurait pu se faire avec nous, qui se fera sans nous et dont je crains qu'elle ne se fasse contre nous ! ( Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. ) M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lors des dernières élections législatives, nos concitoyens ont rejeté le précédent gouvernement et la suffisance dont il faisait preuve. A un nouveau tour de vis de la rigueur, les citoyens ont répondu par la priorité à l'emploi et par la réponse à la lancinante question sociale. A la manoeuvre que constituait la dissolution de l'Assemblée nationale, ils ont opposé la transparence. A la mondialisation et à la dictature des marchés, les citoyens de notre pays ont préféré la République et la nation.
En posant quatre conditions au passage à l'euro, dont trois avaient d'ailleurs été proposées au débat, à gauche, par le Mouvement des citoyens, lors de son congrès de Saint-Nazaire, à l'automne 1996, Lionel Jospin a permis la victoire de la nouvelle majorité plurielle et a retrouvé la confiance du peuple.
Tout cela, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, n'est pas sans rapport avec le projet de loi de finances pour 1998. En effet, ce dernier, dont j'analyserai un peu plus loin l'impact sur les collectivités locales, repose sur une hypothèse de reprise de la croissance d'environ 3 %. J'en dirai quelques mots.
La reprise de l'activité économique demeure fragile,...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Ah !
M. Paul Loridant. ... car elle est, jusqu'à ce jour, essentiellement stimulée par des facteurs exogènes à l'économie française. Notre croissance repose essentiellement sur la demande étrangère, c'est-à-dire sur les exportations, tirées entre autres par une série de réajustements de parités monétaires, notamment l'appréciation du dollar.
M. Philippe Marini. Tout à fait !
M. Paul Loridant. Ceux qui, comme les membres du groupe communiste républicain et citoyen, ont dénoncé depuis de nombreuses années le monétarisme et la politique du franc fort ne peuvent que se réjouir de cette reprise annoncée de la croissance. La preuve a été donnée qu'un léger réajustement des parités monétaires permet une meilleure compétitivité de la France.
A ce titre, les membres du groupe communiste républicain et citoyen regrettent vivement le relèvement des taux d'intérêt directeurs décidé par le conseil de la politique monétaire, alors que, à notre avis, absolument rien ne justifiait cette décision,...
M. Michel Sergent. Ça, c'est la Banque de France !
M. Paul Loridant. ... et certainement pas la loi qui fait obligation à la Banque de France d'accompagner l'économie...
M. Michel Sergent. Eh oui !
M. Paul Loridant. ... et non pas de suivre béatement la Bundesbank . En effet, cela est lourd de conséquences, aussi bien pour les entreprises que pour les ménages ou les finances publiques.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous connaissez mieux que moi cette réalité : la charge de la dette payée aux banques et aux institutions financières représente, hélas ! aujourd'hui, la troisième dépense du budget de l'Etat et équivaut au budget de la défense nationale.
La reprise de la croissance sur des bases saines nécessite, selon nous, une relance de la demande interne. Cela suppose une poursuite de la revalorisation des salaires engagée par le Gouvernement, en juillet dernier, avec la hausse de 4 % du SMIC. La plupart des économistes soulignent aujourd'hui la faiblesse de la consommation, qui résulte, en grande partie, de la politique de rigueur salariale. Selon une étude publiée par l'INSEE le 2 octobre dernier, le salaire net a baissé de 1,3 % en France en 1996.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen ne sauraient trop encourager le Gouvernement à poursuivre les efforts de revalorisation du pouvoir d'achat. Et que l'on ne vienne pas nous parler, comme à chaque fois, de la compétitivité des entreprises confrontées à la compétition internationale ! Si l'on prend en compte le coût unitaire des marchandises, c'est-à-dire le coût corrigé par la productivité des salariés qui les fabriquent, l'Europe est actuellement plus compétitive que la Malaisie ou l'Indonésie.
J'en viens au pacte de stabilité et aux collectivités locales.
Le Gouvernement va vraisemblablement bénéficier d'une conjoncture économique favorable - je le souhaite, en tout cas - bien que fragile. Il convient tout de même de rappeler que l'exercice n'était pas aisé, voire jugé comme impossible sans un nouveau tour de vis, notamment à l'égard des salariés par le gouvernement Juppé . C'est à partir de ce constat que la décision de dissoudre l'Assemblée nationale a été prise par le Président de la République.
Ce projet de budget est donc critiquable sur certains points. Il est en effet trop économe et centré sur le respect scrupuleux, pour ne pas dire comptable, des 3 % de déficit budgétaire, critère principal du passage à la monnaie unique.
Ce projet de budget présente néanmoins, à mes yeux, deux aspects positifs.
En premier lieu, un rééquilibrage de l'effort de solidarité est consenti au profit des salariés et des ménages modestes.
Lors de la discussion du projet de loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, le groupe communiste républicain et citoyen avait approuvé la démarche du Gouvernement visant à demander aux grandes entreprises un effort de solidarité par le relèvement du taux de l'impôt sur les sociétés.
En second lieu, une véritable priorité est donnée à la création d'emplois et à la jeunesse.
M. le ministre de l'économie et des finances a été maire d'une commune de banlieue.
M. Philippe Marini. Il est toujours premier adjoint au maire !
M. Paul Loridant. Vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, avez été préfet de la région d'Ile-de-France. Vous connaissez donc aussi bien que nous les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Sur fond d'aggravation de la crise économique et du développement du chômage, les élus font face à des situations souvent difficiles à gérer.
Je limiterai mon propos aux conséquences financières pour les communes, bien que les élus de ces dernières aient également à gérer les tensions sociales, notamment avec les jeunes.
A titre d'exemple, aux Ulis, ville dont je suis maire, les dépenses consacrées à l'action sociale tendent, hélas ! à croître chaque mois, et ce beaucoup plus vite que les recettes. De nouvelles couches sociales s'adressent aujourd'hui aux services sociaux pour trouver une solution à leurs problèmes de loyers impayés, de dettes à EDF, ou pour exposer des situations de surendettement dont mon collègue Jean-Jacques Hyest et moi-même avons pu mesurer la progression, à l'occasion du travail réalisé en vu de la rédaction d'un rapport.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Travail très sérieux et important, monsieur Loridant ! Il convient de le souligner devant notre assemblée !
M. Paul Loridant. Je vous remercie, monsieur le président de la commission des finances.
Dans un contexte de désengagement financier et de transfert de charges qui demeure, les communes se trouvent parfois obligées de choisir entre la réduction de leurs interventions et la hausse de la fiscalité locale. Parfois, elles doivent assumer les deux.
De l'aveu de nombre de mes collègues maires, certains de ces derniers se retrouvent contraints de choisir entre l'important et l'essentiel. J'ajoute que la réduction drastique des ressources des collectivités locales explique en partie l'atonie de la demande et la crise du secteur du bâtiment et des travaux publics. Quand reconnaîtra-t-on enfin le rôle important que jouent les collectivités locales dans l'économie, notamment par leurs investissements ?
Depuis quelques années, grâce à une gestion active de la dette, les collectivités territoriales sont parvenues à réduire leurs charges en ce domaine.
Toutefois, je me permets d'insister à nouveau sur le coup d'arrêt donné par le gouverneur de la Banque de France et par le Conseil de la politique monétaire à la baisse des taux d'intérêt, et ce sans aucune justification macro-économique. Ce coup d'arrêt sera lourd de conséquences si, comme je le crains, il devait se renouveler et provoquer un processus de remontée des taux.
Lors du débat sur la modification du statut de la Banque de France, j'avais insisté sur la nécessité de maintenir le contrôle du politique sur l'économique ; que n'avais-je alors entendu sur l'incontournable indépendance ! Mais de quelle indépendance parle-t-on ? La Banque de France est simplement passée de la tutelle du pouvoir politique, c'est-à-dire du peuple, à travers vous, monsieur le secrétaire d'Etat, à la tutelle des marchés financiers, qui exigent des taux d'intérêt élevés pour rémunérer la rente. Voilà la réalité que nous vivons !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. Paul Loridant. Monsieur le secrétaire d'Etat, nous tenons à saluer les efforts du Gouvernement en matière de création d'emplois pour les jeunes. Le plan emplois-jeunes, toujours perfectible, est la première tentative sérieuse depuis longtemps de répondre aux attentes de la jeunesse, même si cela ne va pas sans poser des interrogations pour les collectivités locales, notamment en ce qui concerne la charge qui leur incombera.
De la même manière, nous saluons les efforts budgétaires en faveur de l'éducation nationale, notamment la création du fonds d'aide pour les cantines scolaires, car, dans notre pays, mes chers collègues, des familles ne peuvent plus assumer financièrement le déjeuner de leurs enfants.
L'impulsion donnée à la création de postes dans le domaine de la recherche est une mesure tout à fait positive, car elle concourt au rayonnement scientifique de notre pays.
De même, la décision de réhabiliter des logements sociaux va dans le bon sens.
Les collectivités locales - en tout cas celles que nous administrons - sont prêtes à assurer la réussite du plan emplois-jeunes.
Les attentes et les espoirs sont énormes, et vous devez comprendre l'inquiétude des collectivités locales qui auront à prendre en charge 20 % du salaire, les frais de formation et d'encadrement inhérents à ce plan emplois-jeunes dans un contexte financier difficile pour elles. Le groupe communiste républicain et citoyen proposera donc des amendements raisonnables afin d'accroître leurs ressources, ce qui est d'ailleurs légitime, compte tenu des pertes qu'elles ont dû assumer au cours des dernières années avec le désengagement de l'Etat.
Nous avions pris l'habitude de nous attendre au pire en matière d'évolution des dotations de l'Etat. Je dois dire que nous avons rarement été déçus !
Le gouvernement Juppé avait en quelque sorte imposé aux collectivités locales le pacte de stabilité. J'avais, à l'époque, dénoncé ce marché de dupes, puisque l'Etat assurait aux collectivités locales la stabilité d'une enveloppe financière globale sans garantir la stabilité des règles.
Comme le souligne l'Association des maires de France, le pacte de stabilité, dans sa lettre, est respecté dans le projet de loi de finances pour 1998, et nous ne pouvons que nous réjouir de l'absence de nouveaux transferts de charges. Par ailleurs, nous apprécions que les collectivités locales ne fassent pas l'objet d'une tentative de réduction des compensations versées au titre de la fiscalité locale.
Nous apprécions également la stabilisation des cotisation à la CNRACL, même si le procédé pour y parvenir - des avances de trésorerie pouvant aboutir à la levée d'un emprunt - soulève quelque méfiance...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Ah oui !
M. Paul Loridant ... et ne fait peut-être que repousser l'heure des échéances.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Pas « peut-être » ! Sûrement !
M. Paul Loridant. Doit-on engager une réflexion de fond sur les mécanismes de solidarité financière entre les différents régimes sociaux concernés ? C'est sans doute nécessaire. Le Gouvernement a tenu à poursuivre la mise en oeuvre du pacte de stabilité afin de respecter les engagements pris unilatéralement par l'Etat envers les collectivités locales. Dont acte !
Cependant, monsieur le secrétaire d'Etat, nous tenons à attirer votre attention sur l'absolue nécessité d'engager des discussions avec les collectivités locales, pour gérer la sortie de ce pacte et en négocier éventuellement un nouveau. En tout cas, il ne devra pas être imposé comme le précédent. Mais j'ai bien compris, à la suite du propos tenu par M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, que telle était bien l'intention du Gouvernement.
A notre sens, la réflexion sur les relations futures entre l'Etat et les collectivités locales devra s'articuler autour de trois points : la question des institutions et des compétences, la question des concours financiers de l'Etat, qui devront prendre en compte la progression réelle des charges des collectivités locales et reconnaître leur rôle en matière économique et sociale, et, enfin, la question de la réforme de la fiscalité. A cet égard, le futur système fiscal devra assurer une plus grande justice sociale.
Le groupe communiste républicain et citoyen a l'intention de voter ce projet de budget, monsieur le secrétaire d'Etat, si toutefois la majorité du Sénat ne le modifie pas de façon fondamentale. (Sourires.)
Nous le voterons parce qu'il marque un réel effort de justice sociale, une priorité accordée aux questions essentielles de l'emploi, de la solidarité et de la jeunesse. C'est sur ces points que nous serons jugés par nos concitoyens. Aussi serons-nous attentifs, monsieur le secrétaire d'Etat, au respect des engagements pris.
L'urgence absolue, à nos yeux, c'est l'emploi et la question sociale. C'est pourquoi, s'il le faut, nous resterons des adversaires résolus d'une construction européenne si elle se confirme dans son rôle de cheval de Troie de la mondialisation libérale. Nous ne ménagerons pas nos efforts auprès du Gouvernement afin d'aider à la réussite du pacte républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.) M. le président. La parole est à M. Marini. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Michel Sergent. C'est le libéralisme pur et dur qui arrive !
M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues...
M. René Régnault. Allez-vous citer M. Attali ?
M. Philippe Marini. Je n'ai pas l'intention de citer M. Jacques Attali ; il a déjà été cité très opportunément tout à l'heure par M. Josselin de Rohan.
M. Michel Charasse. Ce n'est pas forcément une bonne référence ! (Sourires.)
M. Philippe Marini. Il écrit bien et il est agréable à lire. Par les temps qui courent, cela mérite d'être souligné, surtout lorsqu'on est d'accord sur le fond.
M. René Régnault. Vous manquez de références chez vous !
M. Philippe Marini. Mes chers collègues, nous avons entendu tout à l'heure M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie exposer les grandes lignes du projet de budget...
M. René Régnault. Brillamment !
M. Philippe Marini. Je vous en prie, ne m'interrompez pas sans cesse !
M. René Régnault. Exposer brillamment !
M. Philippe Marini. J'allais le dire !
Vous me permettrez sans doute de poursuivre, mon cher collègue !
M. le président. Monsieur Régnault, si l'on vous avait aiguillonné ainsi pendant votre intervention, qu'en auriez-vous pensé ?
Veuillez poursuivre, monsieur Marini.
M. Philippe Marini. Nous avons donc entendu tout à l'heure M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie présenter les grandes lignes de son projet de budget. Il l'a fait avec beaucoup de brio, puis il est parti. J'espère que nous le reverrons dans le cours de la discussion de ce projet de loi de finances, notamment lors de l'examen des articles !
Bien entendu, mon propos ne doit pas être mal interprété, et je voudrais saluer l'écoute très attentive et les contributions très concrètes que M. le secrétaire d'Etat nous a déjà apportées dans cet hémicycle, lorsqu'il y est venu, à plusieurs reprises, nous présenter un certain nombre de textes.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Philippe Marini. Je voudrais toutefois souligner, à la suite de l'exposé, en effet très brillant, que nous avons entendu cet après-midi, que le projet de budget pour 1998, tel qu'il est conçu, me semble, en forçant à peine le trait, pouvoir se résumer par deux termes : illusionnisme et facilité. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. René Régnault. Ce n'est pas sérieux !
M. Philippe Marini. Je commencerai par l'illusionnisme, c'est-à-dire par la faculté de présenter de manière brillante...
M. René Régnault. La vérité !
M. Philippe Marini. ... des données qui sont souvent assez éloignées de la réalité ou qui, en tout cas, la sollicitent de manière assez prononcée.
Le ministre s'est appuyé sur les résultats de l'exécution de l'exercice 1997, sur le solde à la fin de l'année -, qui est tenu, en effet -, pour nous présenter les options retenues par le Gouvernement pour 1998, et il s'est félicité à cette tribune d'être parvenu à atteindre, dès le 31 décembre 1997, les fameux 3 %.
J'ai sous les yeux un commentaire assez élogieux qui s'intitule : Le miracle budgétaire de Dominique Strauss-Kahn, et quand je lis le contenu de l'article, je commence à m'expliquer les choses - vous verrez, à ce propos, à quoi je veux en venir avec le terme d'« illusionnisme ».
« La croissance n'a, semble-t-il, pas suffi à juguler tous les dérapages, notamment celui des comptes de la sécurité sociale, dont le montant estimé à 20 milliards de francs n'a jamais été budgétisé. Cela est un satisfecit. C'est pourquoi le Gouvernement s'est vu contraint de compléter la croissance des recettes par la réduction de ses dépenses - très bien ! - mais il ne faut y voir aucune volonté politique claire. En effet, quand on passe les différentes coupes budgétaires au crible, il ressort que la majorité des économies sont plus automatiques que choisies - l'auteur de l'article en apporte une excellente illustration - meilleur exemple, les 7 milliards de francs d'économies réalisés sur les charges financières ». Bravo ! Pourquoi ? « Baisse des taux d'intérêt,...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Philippe Marini. ... 3,5 % de référence de taux courts, hypothèse d'ailleurs transposée sur 1998 alors que ce niveau de 3,5 % est aujourd'hui inférieur au taux du marché. Donc heureuse opportunité sur 1997, pari hasardeux sur 1998 et, en effet, M. Strauss-Kahn a raison de relier la considération du résultat 1997 et la prévision de 1998. »
Je passe sur un certain nombre d'autres exemples, et je cite simplement la conclusion du journaliste, parce que je l'approuve totalement : « Le miracle ressemble plus à une habile communication politique qu'à un réel exploit comptable. »
A l'appui toutefois du premier terme que j'ai utilisé, je voudrais, mes chers collègues, reprendre quelques points qui ont été évoqués tout à l'heure par M. le ministre dans son exposé. Cela me permettra de montrer que la présentation qu'il a faite de certains sujets prend quelque liberté avec la réalité, notamment avec la réalité des comptes publics.
M. Jacques Legendre. C'est bien dit !
M. Philippe Marini. En ce qui concerne, précisément, ce solde au 31 décembre 1997, il nous a dit en substance qu'il avait tenu les dépenses - nous avons vu pour partie ici ce qu'il convient d'en penser - et que, ayant exécuté avec rigueur et avec vertu le budget de 1997, il avait constaté au total que l'exercice n'était pas si difficile que cela, en particulier pas aussi difficile que le prétendait l'ancien Premier ministre en quittant ses fonctions.
M. René Régnault. Ce dernier s'est trompé, alors !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il a été trompé !
M. Philippe Marini. Mais il faut quand même se souvenir, mes chers collègues, que l'ancien Premier ministre n'avait pas, à sa disposition, lui, 24 milliards de francs de recettes supplémentaires, qui proviennent, sur l'année 1997, de la loi dite « MUFF » - que j'appelle souvent, parce que je ne me souviens pas toujours de cet intitulé, le « DDSK » : « diverses dispositions Strauss-Kahn ». (Sourires.) Ce n'est pas une critique, c'est une simple appellation facile à mémoriser.
Je rappelle la réalité comptable : 24 milliards de francs de recettes supplémentaires. Certes, avec une telle somme il n'est sans doute pas si difficile que cela, monsieur le secrétaire d'Etat, d'améliorer de 14 milliards de francs le solde budgétaire ! Sans ces 24 milliards de francs, eh bien, arithmétiquement, le solde budgétaire se serait dégradé de 10 milliards de francs ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur Marini, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Philippe Marini. Je vous en prie.
M. René Régnault. La ficelle est trop grosse !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur Marini, je ne peux pas vous laisser dire qu'avec 24 milliards de francs de recettes supplémentaires tout s'arrange !
Je dois vous rappeler que les deux auditeurs - que, je crois, personne ne conteste - ont conclu qu'il manquait à l'Etat quelque 16 à 17 milliards de francs de recettes au milieu de l'année 1997 : 17 milliards de francs de moins et 24 milliards de francs de plus, cela ne fait pas 24 milliards de francs de recettes nouvelles !
Il est clair, d'après les chiffres dont nous disposons, qu'il manquera effectivement, par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale de 1997, environ 15 à 16 milliards de recettes.
Les 24 milliards de francs que vous qualifiez de miraculeux viennent, pour les trois quarts, combler un déficit de recettes qui avaient été prévues et qui n'ont pas été effectivement perçues.
M. Michel Sergent. Très bien !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Marini.
M. Philippe Marini. Je veux vous rappeler, pour ma part, que le précédent gouvernement avait gelé 10 milliards de francs de crédits qui ont été remis au pot...
M. Jean-Pierre Fourcade. Exact !
M. Philippe Marini. ... et que des dépenses ont été engagées, dépenses qui n'ont sans doute pas contribué à relancer la consommation comme vous l'eussiez espéré !
Mais arrêtons là et reconnaissons simplement que les choses sont complexes, en tout cas beaucoup plus complexes que ne nous l'a dit M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, cet après-midi, dans sa présentation très habile...
M. René Régnault. Vous êtes bien placé pour parler d'habileté !
M. Philippe Marini. ... mais, à mon avis, quelque peu tronquée par rapport à la réalité.
Je veux aussi rappeler, sur un autre point - je passe maintenant à 1998 - que la hausse des charges réelles du budget est de 1,87 % - confer la page 103 du tome I du rapport général - alors qu'en 1997 elle était de 0,81 %.
Il est donc faux de prétendre que le budget de 1998 est un budget plus vertueux ou au moins aussi vertueux, du point de vue de la hausse des dépenses, que celui de 1997.
J'ajoute que ces chiffres comprennent bien les comptes d'affectation spéciale, comme cela est indiqué très clairement par notre rapporteur général, je le répète, à la page 103 de son rapport.
S'agissant du taux des prélèvements obligatoires, M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie nous demande d'être admiratifs, car celui-ci serait en baisse en 1998.
Cela semble heurter un peu l'entendement, mais c'est néanmoins la thèse qu'il soutient.
M. René Régnault. C'est pourtant la réalité !
M. Michel Sergent. C'est de l'arithmétique !
M. Philippe Marini. Ecoutez, mes chers collègues, la série de chiffres suivante !
Avec 45,9 % de prélèvements obligatoires, chiffre que je ne conteste pas pour 1998, le Gouvernement est, en effet, au-dessus du taux de 1996, qui était de 45,7 %, et un peu au-dessous de celui de 1997, qui, en exécution, sera probablement de 46 %. Mais pourquoi ? Parce que, en 1997, par la loi MUFF, on a prélevé 24 milliards de francs supplémentaires. Quand on évalue une fraction, il faut regarder le numérateur et le dénominateur ! Cela est encore, mes chers collègues, de l'arithmétique élémentaire.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Et voilà !
M. René Régnault. Ce n'est pas la réalité !
M. Philippe Marini. Cela étant, ne nous battons pas sur les chiffres. C'est la réalité.
Vous ne pouvez le contester, les choses sont plus complexes que n'a bien voulu le dire, avec son talent et son brio, à certains égards d'illusionniste - j'admire la technique - M. le ministre. Les choses sont plus complexes que ce qui nous a été dit. Il y a un certain nombre d'effets de manche qu'il vaut mieux ne pas laisser passer.
M. Michel Sergent. C'est vous qui compliquez les choses !
M. Philippe Marini. J'en viens maintenant à mon second terme : la facilité.
L'Etat utilise des prévisions économiques dont on peut espérer qu'elles se réalisent, en effet, et qui lui donnent de nouvelles marges de manoeuvre.
Quelles sont les prévisions économiques pour 1998 ?
D'abord une croissance de 3 %. Aujourd'hui, beaucoup d'observateurs sont partagés sur ce taux et les instituts de conjoncture présentent des pourcentages compris dans une fourchette dont le taux de 3 % est plutôt la branche haute.
On prévoit également un taux d'investissement des entreprises de 4 %. Y croit-on vraiment lorsque l'on entend nombre de chefs d'entreprise exprimer leur attentisme, notamment parce qu'ils craignent de devoir réorganiser leur processus de production du fait de l'obligation, d'ici peu, de calculer différemment les heures de travail et, concrètement, de passer aux trente-cinq heures hebdomadaires obligatoires ?
Croit-on que l'instabilité fiscale, que les doutes que l'on peut avoir sur l'évolution du droit du travail, croit-on que l'évolution très défavorable de la fiscalité sur les sociétés puissent entraîner autre chose que l'attentisme chez les chefs d'entreprise ? Et imagine-t-on que cet attentisme puisse se traduire par autre chose que par un chiffre un peu moins favorable que les quelque 4 % d'augmentation des investissements des entreprises ?
S'agissant de la consommation des ménages, on anticipe une hausse de 2 %, soit un doublement du taux de croissance enregistré en 1997. Peut-être un tel taux est-il avéré sur les trois derniers mois, mais de là à le transposer sur toute l'année 1998, il y a peut-être un pas un peu audacieux !
Pour ce qui est des exportations, la prévision de croissance est de près de 6 %. Je souhaite que nous y parvenions, mais nous allons subir les conséquences de la crise économique et financière que connaissent l'Asie du Sud-Est et le Japon. Cette crise peut se traduire par une dépression des courants d'exportation qui affectera au moins certaines professions. Atteindra-t-on les 6 % ? Il n'y a rien là de bien certain.
De la même façon, un dollar à six francs est une hypothèse que l'on pouvait sans doute raisonnablement faire au moment où le projet de loi de finances a été préparé, mais qui est aujourd'hui entourée d'un certain nombre d'incertitudes, chacun en conviendra.
La conjoncture des taux d'intérêts doit également être considérée comme incertaine pour l'année 1998. Nous souhaitons tous que les structures financières du Japon tiennent le coup et qu'une fragilisation du système financier international ne soit pas induite par la crise qui est survenue inopinément en Asie du Sud-Est. Mais, s'il devait y avoir de graves tensions sur les marchés internationaux, liées en particulier à des besoins de financement des administrations publiques au Japon, il est clair que les taux d'intérêt se tendraient et que nous en subirions les conséquences, à tous les échelons, y compris au niveau du budget de l'Etat.
A travers cette énumération, je veux montrer que ce qui était sans doute raisonnable l'été dernier l'est peut-être un peu moins aujourd'hui et qu'on a pris des hypothèses économiques assez favorables, permettant de dégager des marges de manoeuvre.
Ces marges de manoeuvre, qu'en a-t-on fait ? A mon avis, elles sont bien mal mises à profit dans ce budget. C'est ce que j'appelle la facilité.
J'ai en effet le sentiment, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'en ce début de législature vous êtes à peu près dans la même position que le gouvernement de M. Michel Rocard en 1988-1989 : devant une tendance porteuse de la conjoncture, on avait laissé dériver la dépense publique. A l'époque, on parlait même de « réhabilitation de la dépense publique », expression aujourd'hui un peu obsolète.
M. Michel Charasse. Elle est tout à fait d'actualité !
M. Philippe Marini. Que s'est-il passé ensuite ? Lorsque les chiffres de la croissance et d'autres variables économiques ont été moins bons, on a constaté un déséquilibre extrêmement difficile à corriger, compte tenu de ce qu'avait été la dérive de la dépense publique. Et il a fallu plusieurs années pour revenir à un déficit public un peu plus raisonnable par rapport au PIB : pour être précis, il a fallu attendre 1993. Cela était largement lié à l'emballement qui s'était produit au début de la législature 1988-1993.
Pour ma part, monsieur le secrétaire d'Etat, je crains que vous ne soyez, par excès d'optimisme, sur la même pente.
Lorsqu'on examine le projet de budget, on constate que les dépenses d'intervention progressent de 1,6 % et les dépenses de fonctionnement de 2,8 %, soit deux fois plus vite que l'inflation.
Le ministre de l'économie a raisonné sur les charges totales de l'Etat, qui augmentent de 1,8 %. Moi, je vous parle des dépenses de fonctionnement. Or, une progression qui représente le double de l'inflation, ce n'est assurément pas la rigueur.
Quant aux dépenses d'investissement, le président Poncelet l'a relevé très justement, elles sont en recul de plus de 4 %.
Il est clair que, dans ces conditions, nous sommes bien loin des réformes de fond qu'il faudrait réaliser, notamment en ce qui concerne l'organisation de l'Etat.
Au lieu d'alléger l'Etat pour lui permettre de bien réaliser ses missions cruciales, nous créons, à la frontière entre emplois publics et emplois privés, quelque chose de très original, de très innovant et même d'« émergent », en termes de quasi-fonction publique : les emplois-jeunes.
Ceux-ci répondent sans doute à des préoccupations justifiées de la part de ceux qui vont en bénéficier, mais ils vont se traduire, en année pleine, par une dépense de l'ordre de 35 milliards de francs, ce qui sera un facteur important de réduction de nos marges de manoeuvre pour l'avenir.
Ces 35 milliards de francs, il faudra bien les compenser par ailleurs, si vous entendez, monsieur le secrétaire d'Etat, rester fidèle aux objectifs de convergence européenne que vous affirmez viser. Il faudra les compenser dans les délais impartis pour rejoindre le groupe des pays susceptibles de bénéficier de la monnaie unique. Or, avec des prévisions conjoncturelles fragiles, avec de nouvelles rigidités dans notre budget, avec une marge de manoeuvre réduite pour l'avenir, nous prenons des risques.
Nous prenons en particulier le risque de devoir un jour donner un sérieux coup de frein qui sera nécessairement très pénalisant, et ce sera un tournant terriblement difficile non seulement pour votre gouvernement mais aussi pour les Françaises et les Français.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Et c'est nous qui devrons l'opérer, ce tournant !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Ce n'est pas sûr !
M. Philippe Marini. Ce n'est pas un cas de figure théorique. Vous savez comme moi, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'emballement des chiffres peut produire des effets tout à fait inattendus.
Je voudrais évoquer brièvement la dérive concernant les effectifs de la fonction publique, même si nous allons y revenir lors de la discussion des articles de la seconde partie.
Bien sûr, il faut dénoncer la bombe à retardement que représentent les emplois dits « emplois Aubry ».
Mais il faut aussi rappeler que la France est un pays où 25 % des actifs vivent de l'Etat, soit en qualité de fonctionnaire, soit en qualité de bénéficiaire de rémunérations versées à un titre ou à un autre par l'Etat.
Parmi les pays européens, la France est dans doute le seul dont les fonctionnaires ont vu, au cours de la période récente, leur rémunération moyenne augmenter par rapport au PIB.
Sur la longue période, tous gouvernements confondus, entre 1980 et 1995, le nombre des fonctionnaires engagés en France a atteint 1,1 million, alors que, dans le même temps, les effectifs du secteur marchand chutaient de 900 000 unités. Est-il fortuit de rapprocher ces deux chiffres ? Je ne le crois pas lorsque j'observe que, ailleurs, les diminutions éventuelles des effectifs du secteur marchand sont bien moindres et que ce chiffre de 900 000 fait de nous les détenteurs du record d'Europe en la matière.
Je remarque également que tous les pays où les dépenses publiques ont été réduites ont vu s'accroître très significativement leur emploi productif, quelles que soient les équipes au pouvoir. Vous savez fort bien, mes chers collègues, que, parmi les pays qui ont fait cette expérience, figurent autant de pays dirigés par des équipes social-démocrates ou de gauche que de pays dirigés par des gouvernements conservateurs, libéraux ou démocrates-chrétiens.
En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, je me bornerai à rappeler que, pour 1998, en additionnant les différents textes habilement scindés qui nous ont été présentés - MUFF, financement de la sécurité sociale, budget - il y a bien 65 milliards de francs de prélèvements supplémentaires. Et je vous fais grâce de la taxe sociale sur le tabac, du relèvement de la TIPP et du prolongement de la CRDS ! Vous en conviendrez, ces 65 milliards de francs de prélèvements supplémentaires témoignent d'un certain dérapage et peuvent nous inspirer quelques craintes pour l'avenir.
Monsieur le secrétaire d'Etat, lors de la discussion des articles, nous aurons l'occasion de revenir sur bon nombre de dispositions qui apparaissent critiquables, notamment dans le domaine de la fiscalité de l'épargne.
A cet égard, je voudrais saluer l'exercice remarquable qui a été effectué par M. le rapporteur général dans le cadre du rapport qu'il vient de diffuser à la presse (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste) et qui montre bien que, en matière de fiscalité de l'épargne, il faut s'en tenir à quelques règles fortes - les sept piliers de la sagesse, comme il les a appelées - en particulier la non-rétroactivité. Si ces règles ne sont pas respectées, cela se paie en termes de confiance, d'investissements et d'emplois. (M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie regagne l'hémicycle.)
M. Alain Lambert, rapporteur général. M. le ministre est arrivé à votre demande, mon cher collègue ! (Sourires.)
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen. Bis ! Bis !
M. Michel Sergent. Il faut recommencer votre exposé !
M. Michel Moreigne. L'« illusionniste » est de retour !
M. Philippe Marini. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne crois pas que vous toléreriez que je reprenne mon exposé, d'autant que plusieurs collègues de mon groupe doivent encore intervenir. Je vais donc interrompre mon propos, en regrettant que M. le ministre de l'économie et des finances n'ait pas pu entendre les quelques commentaires que je me suis permis d'énoncer, mais je suppose qu'ils lui seront rapportés.
Je voudrais simplement ajouter que je souscris à la ligne très claire qui a été définie par la majorité de la commission des finances : ne pas aggraver le déficit public, maintenir les dépenses publiques en francs courants au niveau de 1997, procéder aux économies nécessaires. Mieux vaut, monsieur le ministre, les décider au Parlement que de les voir intervenir au Journal officiel, quelques jours après le vote de la loi de finances, à travers des mesures de régulation budgétaire.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ça, vous savez faire !
M. Philippe Marini. Notre principe est un principe de transparence, et nous nous efforçons de le respecter.
Par ailleurs, ne décourageons pas l'épargne, l'investissement et l'emploi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, Dominique Strauss-Kahn et moi-même comptions répondre à la fin de l'ensemble des interventions aux remarques constructives ou aux critiques formulées sur ce projet de budget. Cependant, dans la mesure où nous venons d'être qualifiés d'illusionnistes par M. Marini, je voudrais tout de suite apporter un certain nombre de rectifications.
Si je restais sur le mode badin qui a été celui de M. Marini, je lui dirais que la soulte de France Télécom est un gros lapin qui a été tiré d'un chapeau, un lapin de 37,5 milliards de francs. (Sourires sur les travées socialistes.) Il est bien vrai que nous n'avons pas été capables de trouver une ressource équivalente !
Puisque M. Marini a principalement évoqué l'année 1997, réservant sans doute ses remarques sur le projet de budget pour plus tard, je veux rappeler que, en 1997, il y a eu 24 milliards de francs de recettes supplémentaires, qui sont venues compenser 16 milliards de francs de recettes manquantes, du fait d'une surestimation des recettes de TVA. Le chiffre que vous avez cité n'est donc pas exact.
M. René Régnault. Faites chercher M. Arthuis ! (Sourires.)
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. S'agissant des dépenses, les auditeurs, que tout le monde respecte, ont souligné qu'il y avait 30 milliards de francs de dépenses non couvertes.
L'illusionnisme, me semble-t-il, c'est d'avoir fait le budget de l'an dernier et de s'être retrouvé en juillet sur une trajectoire qui, puisque vous aimez les métaphores, ne conduisait pas du tout à l'orbite de l'euro, qui nous envoyait complètement à l'extérieur.
L'illusion, c'était le budget de l'an dernier. La réalité - nous aurons l'occasion d'en reparler à propos du collectif budgétaire -, c'est que nous sommes parvenus, comme l'a dit si bien M. Strauss-Kahn, en gageant les dépenses non gagées par des économies, à stabiliser les dépenses de 1997 et à entrer ainsi dans la perspective de l'euro, ce à quoi, je pense, vous êtes attaché, monsieur Marini.
Au lieu de dénoncer les illusions du Gouvernement, vous devriez saluer la réalité d'un effort qui a été accompli en 1997 et qui va être prolongé en 1998 pour atteindre cet objectif que nous partageons : que la France fasse partie du peloton des monnaies européennes qui vont se rallier à l'euro.
M. Michel Sergent. Très bien !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Dominique Strauss-Kahn et moi-même répondrons aux autres intervenants, notamment à Mme Beaudeau et à M. Régnault, le moment venu. Mais vous avez commis trop d'erreurs, monsieur Marini ; vous avez employé un langage trop persifleur pour qu'on puisse laisser passer cela sans réagir immédiatement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Egu.
M. André Egu. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il ne me paraît pas nécessaire d'insister sur les différentes raisons qui motivent notre soutien au projet de budget corrigé par la commission des finances et l'ensemble de la majorité sénatoriale ; de nombreux intervenants les ont évoquées et mon collègue Xavier de Villepin les a très bien explicitées, au nom du groupe de l'Union centriste, tout à l'heure.
Plusieurs réunions d'élus à l'échelon national et local, en particulier le congrès des maires, m'ont permis de noter un certain nombre d'interrogations et d'inquiétudes de nos collègues élus locaux. J'essaierai de m'en faire l'écho dans mon intervention, qui portera donc sur les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales.
M. Michel Moreigne. Ah !
M. André Egu. Les concours de l'Etat aux collectivités locales atteindront 250 milliards de francs environ en 1998, soit une progression de 0,28 % par rapport à la loi de finances de 1997 révisée, alors que le taux d'inflation prévisionnel est de 1,4 %. Toutefois, si l'on prend comme référence les concours inscrits dans la loi de finances initiale pour 1997, la progression s'élève à 2,8 %.
Les parlementaires et élus locaux que nous sommes apprécient à sa juste valeur l'effort financier accompli par l'Etat en direction des collectivités locales dans un contexte économique difficile.
Cependant, il convient de rappeler que les lois de décentralisation ont eu pour effet d'importants transferts de charges - d'autres intervenants l'ont dit avant moi, sur toutes les travées - de l'Etat vers les collectivités territoriales, sans que les moyens financiers, matériels et techniques correspondants aient pu être transférés.
Les collectivités, grâce à la maîtrise de leurs dépenses de personnel, à la rationalisation de la gestion des services sociaux et malgré un effort sans précédent d'équipement scolaire, ont réussi, jusqu'à une période récente, à contrôler la croissance de leurs dépenses de fonctionnement.
Néanmoins, depuis lors, cette maîtrise des dépenses a été compromise du fait, d'une part, de la situation économique et sociale et, d'autre part, de la diminution des concours financiers de l'Etat.
Monsieur le ministre, comme vous le savez, les dépenses d'aide sociale des départements augmentent de manière très inquiétante.
Par ailleurs, de nouvelles charges pèsent de plus en plus sur les budgets des communes : il s'agit, notamment, des dépenses qui résultent de normes d'origine nationale ou européenne en matière de sécurité, d'assainissement et d'environnement.
Selon mes informations, la mise aux normes des services publics d'eau et d'assainissement devrait coûter au moins 200 milliards de francs d'ici à 2005 : 60 milliards de francs pour les seuls investissements en matière de traitement des déchets ménagers ! Quant à la mise aux normes des équipements sportifs, son coût dépasserait 30 milliards de francs.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour aider les collectivités à procéder à ces mises aux normes ?
Comment réagissent les élus face à ces perspectives ? Les maires sont de plus en plus conscients de leurs responsabilités en matière de sécurité à l'égard de l'ensemble de leur population, mais ils veulent que tout se fasse dans la concertation, la transparence et dans la durée.
On peut néanmoins s'interroger sur l'influence de tels ou tels industriels ou techniciens qui contribuent parfois à certains excès normatifs.
S'agissant du traitement des déchets, la suppression, à l'horizon 2002, des décharges contrôlées semble utopique dans certaines régions. Effectivement, ces décharges n'ont jamais été aussi bien contrôlées et elles rendent de grands services.
Sommes-nous vraiment certains qu'il s'agisse d'une mauvaise solution sur le plan technique et environnemental ? Aujourd'hui, des experts particulièrement avertis pensent le contraire !
Le précédent gouvernement avait demandé qu'une étude d'impact des mesures concernées soit effectuée de façon précise par l'administration. Par ailleurs, il avait apporté aux communes des aides pour la mise en oeuvre des mesures urgentes, par exemple pour le désamiantage, et une réponse avait été donnée à propos du problème de l'équarrissage.
De son côté, l'actuel gouvernement a annoncé que le calendrier de mise en application des nouvelles normes d'environnement serait respecté, ces dernières étant peut-être un peu allégées, nous a dit le ministre de l'intérieur. C'est également ce qu'a indiqué récemment Mme Dominique Voynet. Il reste au Gouvernement à traiter le problème du financement, qui demeure le plus important et le plus inquiétant pour les communes.
On parle aussi d'une réforme de la taxation, en 1998, dans le secteur des déchets, ainsi que des financements publics concernant la politique de l'eau. Force est de constater que ce problème essentiel n'est pas pris en compte dans le projet de budget.
Il faut également noter d'autres dépenses induites, comme celles qui résultent de la départementalisation des services d'incendie et de secours ou de la création des emplois-jeunes.
A propos du plan emplois-jeunes, il sera difficile pour les employeurs locaux de ne pas intégrer les titulaires desdits emplois dans la fonction publique territoriale quand ils seront arrivés au terme de leur contrat.
Monsieur le ministre, je souhaite vous faire part de l'inquiétude de nombreux élus locaux du fait de l'écart croissant entre l'évolution des recettes et l'évolution des charges des collectivités, ce qui crée un « effet de ciseaux », qui devient quelquefois difficilement supportable.
C'est ce que mettent en lumière très clairement le rapport de l'observatoire des finances locales, présenté en 1997 par notre collègue Paul Girod, ainsi que les différents rapports budgétaires de la commission des finances sur la décentralisation, réalisés par notre autre collègue Michel Mercier.
Nous risquons donc d'assister, dans les prochaines années, à une nouvelle hausse des impôts locaux et, pour les collectivités qui en ont la capacité, à un recours plus important à l'emprunt. Rappelons que la hausse des impôts locaux devrait atteindre près de 10 milliards de francs cette année.
Par ailleurs, en raison des restrictions budgétaires, les élus locaux sont obligés de limiter au minimum les dépenses d'investissement, ce qui n'est pas sans conséquence pour les carnets de commandes des entreprises et la situation de l'emploi. D'autant que l'Etat a tendance, lui aussi, à réduire ses propres dépenses en capital depuis plusieurs années.
Dans un contexte aussi incertain, comment évolueront les dotations de l'Etat en 1998 ? Nous avons besoin d'être rassurés sur ce point !
M. René Régnault. C'est votre pacte de stabilité !
M. André Egu. Je dirai tout d'abord un mot du pacte de stabilité financière, institué en 1996 sous l'ancien gouvernement et visant à lier pour trois ans l'Etat et les collectivités locales.
Il s'agit, en fait, d'assurer à l'enveloppe constituée par les concours de l'Etat et la dotation de compensation de la taxe professionnelle une progression indexée sur l'évolution des prix à la consommation hors tabac, le Gouvernement s'engageant à ne pas modifier cette indexation pendant la durée du pacte.
A cet égard, j'ai bien entendu, monsieur le ministre, votre proposition de consultation et d'échanges avec les représentants des élus et avec, je l'espère, l'Association des maires de France et le comité des finances locales.
Le pacte de stabilité sera globalement respecté en 1998.
En revanche, certaines des modalités d'application de ce pacte appellent quelques réserves.
Ainsi, pour 1998, la dotation globale de fonctionnement sera calculée par rapport au montant de 1997, révisé à la baisse sur la base des derniers indices connus, soit environ 308 millions de francs de manque à gagner pour les collectivités locales. La DGF devrait donc augmenter de 1,38 % seulement si l'on prend pour référence la DGF initiale pour 1997.
M. René Régnault. C'est l'effet de l'amendement Auberger !
M. André Egu. Je signale que cette hausse ne représente que 0,7 % pour les communes qui bénéficient de la seule dotation forfaitaire.
Conséquence de la régularisation négative de la DGF, la dotation de compensation de la taxe professionnelle est en baisse de 4,85 %, hors compensation de la réduction pour embauche et investissement.
S'agissant des compensations d'exonérations et de dégrèvements, il faut noter une réduction globale de 2,9 %, la baisse atteignant 25,78 % pour la contrepartie de l'exonération de taxe foncière et 19,1 % pour les compensations des cotisations relatives à la fiscalité locale. L'Etat marque ainsi sa volonté de limiter au minimum les effets sur le budget de ce que l'on appelle les « dotations passives ».
Quant au fonds de compensation de la TVA, le FCTVA, il est évalué à 20,72 milliards de francs, soit un montant supérieur aux crédits qui devraient être consommés en 1997, à savoir 20,3 milliards de francs.
En ce qui concerne le FCTVA, notre ami Alain Lambert, rapporteur général, a été notamment à l'origine, l'année dernière, d'un amendement qui accordait le bénéfice du fonds aux communautés de communes pour les travaux sur la voirie, même lorsqu'elles n'en sont pas propriétaires. Il s'agit d'une mesnure de simplification très appréciée des élus.
Par ailleurs, je note que l'Assemblée nationale a adopté un article 18 septies qui élargit le bénéficie du FCTVA aux communautés de communes pour toutes les opérations dont elles ont la compétence.
Nous attendons de connaître la position du Gouvernement sur cet important dossier.
S'agissant également de la fiscalité et du délicat problème des bases locatives, je vous rappelle qu'il est toujours question du dépôt d'un projet de loi portant incorporation dans les rôles d'imposition des nouvelles évaluations cadastrales issues de la loi du 30 juillet 1990 : lors de la dernière réunion du comité des finances locales, son examen a été annoncé par le Gouvernement pour le printemps 1998, pour une mise en application en 1998-1999. Nous en prenons acte !
Si cette réforme aboutit, elle le devra pour beaucoup au comité des finances locales, présidé par notre collègue Jean-Pierre Fourcade, qui avait émis des remarques très judicieuses sur le contenu du projet alors préparé par l'ancien ministre, M. Dominique Perben.
Quant à la taxe professionnelle, il conviendrait de parvenir à plus d'équité dans les taux, car les écarts demeurent toujours trop importants, malgré les aménagemente effectués par les gouvernements précédents.
Un moyen efficace pour permettre le rapprochement des niveaux de taxation est, selon nous, l'institution d'une taxe professionnelle au niveau des regroupements intercommunaux.
Qu'on le veuille ou non, la taxe professionnelle unique au même taux, répartie équitablement sur le territoire d'un établissement public de coopération intercommunale, est le meilleur vecteur d'une solidarité intercommunale. Il faut en terminer avec les chasses gardées et les égoïsmes financiers !
M. René Régnault. Très bien !
M. André Egu. C'est ce que nous pratiquons dans l'ensemble des dix-neuf communes qui appartiennent au pays de la Roche aux Fées, en Ille-et-vilaine, je peux donc témoigner de la satisfaction unanime de mes collègues maires !
Un amendement présenté par M. le rapporteur général va dans le sens d'un déverrouillage des taux de taxe professionnelle au sein des regroupements de communes à fiscalité propre.
M. René Régnault. Nous en avons aussi déposé un ! Vous pouvez le voter !
M. André Egu. Comme nous parlons de la taxe professionnelle, qui est source de convoitise et d'inégalité, j'ajouterai qu'il est urgent d'augmenter la cotisation minimale pour la porter à 1 %, afin de favoriser la péréquation au profit des régions et des communautés les plus pauvres. En effet, nous attendons toujours une véritable et grande réforme de la taxe professionnelle pour en faire un impôt plus juste, mieux réparti et plus efficace ; mais nous aurons l'occasion d'en reparler.
Peut-être sa mutualisation et sa transformation en un impôt national redistribué équitablement constituent-elles des voies intéressantes à explorer, avec évidemment une assiette revue et modernisée.
En ce qui concerne la CNRACL, la non-augmentation des cotisations des collectivités locales en 1998, comme en 1997, fait suite à un dérapage des taux les années passées, sans que les collectivités locales aient été consultées. Cela étant, les problèmes financiers de la caisse demeurent : l'année prochaine, le déficit sera encore très élevé. Notons que le Gouvernement a annoncé une concertation, au printemps prochain, en ce qui concerne la pérennisation de la CNRACL.
Dans l'immédiat, la majorité sénatoriale a, encore récemment, exprimé son désaccord avec des solutions à court terme, qui ne règlent en rien le grave problème du déséquilibre financier du régime. Le 14 novembre dernier, le Sénat a marqué avec raison son désaccord avec la disposition de la loi de financement de la sécurité sociale autorisant la caisse à emprunter dans la limite de 2,5 milliards de francs par an.
Tout comme l'année dernière, nous estimons qu'il convient de corriger le système des compensations entre les régimes de retraite qui est à l'origine de la moitié des dépenses de la CNRACL.
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. André Egu. Le dernier sujet que je souhaite évoquer concerne le statut des maires sur les plans financier et fiscal. En 1992, le Parlement a adopté un projet de loi relatif à l'exercice des mandats locaux qui n'a que partiellement répondu à l'attente des élus.
La charge de travail et le poids de plus en plus lourd des responsabilités civiles et pénales liées à la gestion d'une commune, même petite, sont trop souvent mal récompensés.
Les indemnités, même revalorisées, sont encore faibles ; au-delà d'un certain niveau, elles sont fiscalisées. Le système de crédit d'heures mis en place est difficilement praticable, notamment dans les entreprises privées. Il est très difficile d'être maire lorsque l'on relève du secteur privé.
Cette situation n'est pas saine, car une partie des forces vives de notre pays peut ainsi difficilement s'engager dans la vie locale.
Nonobstant les améliorations apportées au statut des élus en 1992, il convient donc, dès que possible, d'aller plus loin, dans l'intérêt même de la démocratie locale.
En conclusion, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, la mise en oeuvre d'une décentralisation efficace suppose le respect par l'Etat de trois principes fondamentaux : tout d'abord, le maintien des règles d'indexation des dotations allouées aux collectivités, afin de favoriser la planification budgétaire de celles-ci ; ensuite, le principe d'automaticité dans la répartition ; enfin, l'efficience dans cette répartition, c'est-à-dire la réalisation effective des objectifs de péréquation.
La mise en oeuvre du pacte de stabilité financière est un pas important dans cette direction. Néanmoins, les transferts de charges et l'augmentation constante des dépenses, notamment sociales, rendent probablement nécessaire une réforme plus profonde des dispositifs existants. En tout état de cause, la sortie du pacte de stabilité financière en 1999 impose une remise à plat.
A ce sujet, j'approuve la proposition de la commission des finances du Sénat et de M. Michel Mercier tendant à élargir la notion de pacte de stabilité aux transferts de charges nouvelles.
Une autre piste à explorer est probablement le développement de l'intercommunalité qui permettrait sans doute de très importantes économies d'échelle. Un projet de loi devrait nous être présenté en ce sens au cours de l'année prochaine, ce dont, bien évidemment, nous nous réjouissons.
Nous souhaitons vivement que ce texte s'inspire du projet de votre prédécesseur et dont mon collègue et ami Daniel Hoeffel a été l'un des principaux inspirateurs.
Pour conclure, je tiens à rendre hommage à l'excellent travail d'ores et déjà accompli par la commission des finances, notamment par son président et son rapporteur général. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après tant d'excellentes interventions, notamment celles de M. le président et de M. le rapporteur général de la commission des finances, je limiterai mon propos à deux questions essentielles.
A cette fin, j'examinerai simultanément le projet de loi de finances qui nous est soumis et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont nous avons longuement débattu la semaine dernière.
Laissant de côté les hypothèses macroéconomiques, les rapports entre l'Etat et les collectivités locales, sujets que des esprits très autorisés ont évoqué tout au long de la journée, et les problèmes particuliers soulevés par tel ou tel crédit, j'exprimerai deux inquiétudes.
En premier lieu, la stratégie en matière de lutte contre le chômage qui sous-tend ce projet de loi de finances sera-t-elle efficace ?
En second lieu, l'orientation choisie en matière de prélèvements fiscaux et sociaux qui résulte de ces deux textes va-t-elle dans le bon sens ?
S'agissant de la stratégie en matière de lutte contre le chômage, nous constatons aujourd'hui que l'économie française a recommencé à créer des emplois. En effet, près de 100 000 emplois ont été créés au cours des douze derniers mois. Ce n'est toutefois pas suffisant pour faire face à l'augmentation naturelle de la population active, qui est de l'ordre de 150 000, mais les bons indices conjoncturels sur lesquels est fondé ce budget montrent que, en dépit de la crise intervenue sur les marchés asiatiques et d'autres problèmes auxquels nous sommes confrontés, nous devons être capables de créer 200 000 emplois, en solde net, au cours des douze prochains mois. Et c'est là que nous commencerons à voir le chômage diminuer.
La hausse du dollar, les bonnes performances de nos exportations et la bonne tenue de la consommation, à l'exception du secteur automobile qui continue à stagner, m'amènent à ne pas remettre en cause les deux paris du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Le premier pari consiste à dire que les prélèvements obligatoires n'augmenteront pas en 1998. Effectivement, si le taux de croissance atteint 3 %, ce pari sera gagné, ce que nous souhaitons tous.
Le second pari, toujours sous réserve que le taux de croissance atteigne 3 %, est de limiter le déficit budgétaire à 3 %.
Je pars donc de ces constatations pour m'interroger sur l'emploi.
L'accent mis par le Gouvernement sur les emplois-jeunes, d'une part, et sur la réduction de la durée du travail, d'autre part, ne me paraît pas aller dans le bon sens.
En effet, les emplois-jeunes, dont nous avons longuement débattu en cette enceinte, risquent d'accroître le poids du secteur public dans la population active. Je rappelle que, en France, un peu plus de 6 millions de nos concitoyens travaillent aujourd'hui dans le secteur public et parapublic, contre seulement 13,4 millions dans le secteur privé marchand, auxquels s'ajoutent un peu plus de 2,2 millions de travailleurs indépendants. Or, ce sont ces quelque 16 millions de Français qui tirent toute l'activité.
Tous les problèmes liés à la création d'emplois et à l'alimentation des caisses publiques de l'ensemble des structures, qu'il s'agisse de l'Europe, de l'Etat, des régions, des départements ou des communes, sont fonction de l'activité de ces 16 millions de Français, qui se demandent parfois si l'effort qui leur est demandé n'est pas trop important.
Or, s'agissant des emplois-jeunes dont la création vient d'être adoptée, les calculs effectués à partir des mesures annoncées par le ministre de l'éducation nationale, le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice montrent que près de la moitié des emplois financés jusqu'à la fin de 1998 seront des emplois de parafonctionnaires, le coût s'élevant à 4 milliards de francs.
C'est une mauvaise méthode que d'utiliser les emplois-jeunes pour renforcer les effectifs déjà trop nombreux de la fonction publique.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Par ailleurs, ce qui est encore plus grave, pour financer les huit milliards de francs de crédits affectés aux emplois-jeunes, le Gouvernement a redéployé les 150 milliards de francs de crédits affectés à l'emploi. Or, ce redéploiement, qui aurait pu concerner certains mécanismes que la Cour des comptes, la commission des finances et nous-mêmes avons jugés trop peu efficaces ou tout au moins comme présentant un rapport coût-avangage assez faible - je pense notamment aux contrats initiative-emploi - a porté principalement sur l'allègement des charges sociales sur les bas salaires et sur le financement de l'alternance.
Or, mes chers collègues, le fait de réduire de 130 000 à 100 000, de 1997 à 1998, le nombre des contrats de qualification est une erreur, en matière d'emploi. Cette réduction du nombre des contrats de qualification et l'augmentation parallèle du nombre des emplois dans la fonction publique ne permettront pas d'apporter des solutions durables au problème de l'emploi, d'autant que l'on pourrait aussi mentionner la réduction de 7,5 % des crédits destinés aux indemnités versées aux entreprises qui embauchent des apprentis et d'autres mécanismes qui se sont traduits par des redéploiements de crédits.
S'agissant des trente-cinq heures, autre volet de la politique gouvernementale, la méthode adoptée n'est pas bonne. La loi Robien que nous avons votée commence à produire des résultats parce qu'elle est fondée sur une négociation,...
M. Philippe Marini. Au niveau de l'entreprise !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... parqu'elle est facultative, qu'elle se situe au niveau de l'entreprise et parce qu'il existe une aide budgétaire certes importante, mais moins que celle qui est allouée aux emplois-jeunes ou à d'autres mécanismes, tels les contrats initiative-emploi ou les contrats emploi-solidarité.
Les crédits prévus dans le budget de 1998 pour l'application de la loi de Robien s'élèvent à 2,2 milliards de francs. Il eût été préférable de laisser ce dispositif s'appliquer, quitte à voir, au bout d'une ou de deux années, s'il est possible, à travers une loi-cadre, de réorganiser ce mécanisme et de rendre obligatoire la négociation pour un certain nombre d'entreprises qui n'y auraient pas adhéré.
Le dispositif annoncé à la fin de la fameuse conférence qui s'est tenue le mois dernier a, quant à lui, le double inconvénient de geler les négociations sociales - la reprise des négociations sur l'UNEDIC n'est pas du tout certaine, ce qui retardera le redémarrage de l'économie - et d'entraîner des augmentations de charges que la mondialisation de l'économie rendra très difficiles à supporter.
Permettez-moi d'ajouter à ce tableau la réduction de la déduction fiscale accordée pour les emplois familiaux. J'ai longuement évoqué l'aspect anti-familial de cette mesure dont nous avons débattu la semaine dernière.
Mais enfin, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, cette déduction fiscale instituée en 1992 a permis de créer chaque année, depuis 1993, quelque 50 000 emplois !
Etait-il réellement nécessaire de revenir sur cette déduction ? Etait-il nécessaire de supprimer l'aide à la création d'activités par les travailleurs indépendants ? Etait-il nécessaire de réduire l'allocation de garde d'enfant à domicile ?
Toutes ces mesures auront un effet négatif sur l'emploi, effet qui sera compensé, nous dit-on, par les emplois-jeunes. Je crois que c'est une erreur. C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je suis inquiet. Vous prenez en effet un risque en truffant l'objectif de relance de l'emploi d'une série de mesures négatives qui casseront des mécanismes qui fonctionnent au profit de formules dont on ignore les effets, qu'il s'agisse des emplois-jeunes ou de la réduction du temps de travail. La croissance devra être forte et durable...
M. Philippe Marini. Espérons-le !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... pour que les 200 000 emplois que l'on s'apprête à créer l'année prochaine entraînent une diminution réelle du taux de chômage.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Ma seconde question a trait aux prélèvements fiscaux et sociaux, auxquels j'associerai l'impôt sur le revenu, la CSG et tous les prélèvements, taxes et contributions, qui sont le fruit d'une imagination débordante.
Je me demande si l'orientation, choisie depuis quelques mois, ne risque pas de faire de notre pays un cas particulier en Europe. Bien entendu, je n'évoquerai pas le poids total des prélèvements obligatoires. Qu'il s'agisse de 45,9 % ou de 46 %, peu importe ! Nous sommes parmi les trois ou quatre pays de l'Union européenne à avoir le taux de prélèvements le plus élevé.
Je reviens d'une mission sénatoriale au Danemark. J'ai pu me rendre compte de quel paradis il s'agissait ! En effet, la pression fiscale dépasse 50 %. Le régime en vigueur est merveilleux, si ce n'est que les Danois quittent leur pays, que le système de santé entièrement gratuit se traduit par un blocage absolu et des problèmes chroniques dans les hôpitaux, qu'il n'est pas possible de créer des activités privées dans le secteur de la santé et que les responsables de ce pays sont extrêmement marris de constater que, depuis quinze ans, les prévisions de durée de vie des hommes et des femmes ont reculé,...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... alors que dans tous les autres pays elles avaient augmenté.
Cependant, si je regarde en même temps le budget de la sécurité sociale et celui de l'Etat, je constate que c'est toujours le contribuable qui paie et que ce contribuable n'a que faire de nos débats sémantiques pour savoir si ce qu'il paie est un impôt, une cotisation, une taxe ou une redevance. Ce qu'il voit, c'est l'addition, et celle qu'il va connaître du fait des décisions que vous avez prises, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, risque d'être assez difficile à supporter.
Le plan Juppé de réforme de l'impôt sur le revenu, que vous avez arrêté, avait une logique. Il baissait le barème applicable à la généralité des revenus et il supprimait un certain nombre d'avantages ou de niches fiscales.
Je salue l'astuce consistant à supprimer la réduction des taux du barème général tout en conservant la surveillance et la démolition de l'ensemble des niches fiscales.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Pour l'instant !
M. Jean-Pierre Fourcade. Voyez les retraités : on leur a dit que le taux global de l'impôt allait baisser et qu'en même temps on réduirait la déduction de 10 % pour frais généraux, puisqu'ils n'en supportent pas. Aujourd'hui, on leur confirme la réduction de la déduction de 10 %, mais il n'est plus question de baisse du barème général. Par conséquent, je crois qu'ils ne seront pas très contents. Mais passons ! Il s'agit de détails, et les esprits qualifiés de la commission des finances vous feront sur ce point leurs observations en temps utile.
Je constate qu'il existe en Europe deux grands systèmes d'organisation des prélèvements obligatoires.
Il y a, d'une part, le modèle anglo-nordique, qui prévaut en Grande-Bretagne, en Suède, au Danemark et en Finlande et qui fait peser sur les ménages la plus grande partie du financement de l'Etat et des collectivités locales, ainsi que celui de la protection sociale.
Il y a, d'autre part, le système franco-allemand, dans lequel une séparation existe entre le financement des collectivités publiques et celui de la protection sociale, le financement des collectivités publiques étant plutôt assuré par l'impôt, avec quelques exceptions, et celui de la protection sociale résultant de cotisations fondées sur les salaires ou sur une base un peu plus large.
Chacun des systèmes a ses avantages et ses inconvénients.
Dans le système anglo-nordique, les entreprises, si elles supportent un impôt sur les sociétés élevé, ne paient pas de charges sociales, et la totalité du financement de la protection sociale repose sur les ménages. Dans le système français ou allemand existait un mécanisme de partage des charges entre les entreprises et les ménages. Cependant, je constate que, à l'heure actuelle, l'orientation que vous prenez, monsieur le ministre, nous mène vers un système mixte, qui consiste à transférer une partie du financement de la protection sociale sur les ménages, par le développement de la CSG, tout en laissant inchangées les cotisations pesant sur les entreprises, aussi bien pour la famille, pour la maladie que pour la vieillesse.
M. Philippe Marini. C'est additionnel !
M. Jean-Pierre Fourcade. Vous êtes déjà à un taux de CSG de 7,4 %. C'est un taux très élevé. Il est tellement élevé qu'il n'est applicable ni aux retraités, ni aux fonctionnaires, ni à un certain nombre de catégories de travailleurs indépendants. Aussi, il faudra fixer des taux différents ou prévoir des astuces sur l'assiette, ou encore des compensations pour les uns ou pour les autres.
Je constate que ce développement de la CSG, donc ce transfert sur les ménages, ne s'est pas accompagné d'une diminution des cotisations pesant sur les entreprises. Par conséquent, nous allons vers un système mixte, unique en Europe, dans lequel nous aurons à la fois une forte imposition des ménages, d'une part pour les collectivités locales et l'Etat et, d'autre part, pour le financement de la sécurité sociale, et une forte imposition des entreprises, également pour ces deux financements.
Nous serons les champions toutes catégories de ce système mixte, que tout le monde regarde en Europe avec des yeux étonnés.
Je sais bien que mon éminent ami, le président Poncelet vous dit : « Tant que nous y sommes, revenons à la période d'avant 1959 et transformons la CSG en taxe proportionnelle, l'impôt sur le revenu devenant une surtaxe progressive. » C'est une thèse, mais elle ne va pas avec le maintien des cotisations patronales au niveau actuel.
D'autres, au contraire, disent : « Laissons à la CSG son côté de contribution sociale et rendons la entièrement déductible.» Mais alors, faut-il conserver une assiette spécifique pour le remboursement de la dette sociale, dont notre ami Adnot a parlé tout à l'heure ? Faut-il avoir une CSG qui frappe l'épargne, l'ensemble des revenus, etc ?
Ce sont des sujets tout à fait importants.
Ma crainte est qu'en semant à tout vent des mécanismes fiscaux sans ne jamais rien supprimer nous ne nous condamnions, d'une part, à avoir un système tout à fait hétérodoxe par rapport au système européen - dans la perspective de l'euro, c'est inquiétant - et, d'autre part, comme il faudra bien réagir à la compétition européenne, à obliger l'Etat, qui, déjà, dépense 46 milliards de francs pour compenser l'excès de charges sociales, à prendre demain en charge un certain nombre d'autres cotisations pour rétablir l'équilibre.
Je rappelle en effet que seules les entreprises sont créatrices d'emplois véritables. Or, dans la situation actuelle - des cotisations à base trop étroite, à taux trop élevé pour la famille, pour la maladie et pour la vieillesse - elles ne résisteront pas à la création de l'euro et à l'harmonisation des politiques économiques.
Les initiatives de cette année ont sans doute été prises pour des raisons d'équité, mais il faudra rapidement leur tourner le dos pour des raisons d'efficacité, sinon le système ne fonctionnera pas, sauf à renoncer à l'ensemble de nos objectifs européens.
Telles sont les deux questions que je voulais exposer, de manière sommaire et forcément grossière, mais elles sont primordiales étant donné la voie dans laquelle nous nous sommes engagés.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Ce sont des questions à régler d'urgence !
M. Jean-Pierre Fourcade. Le Gouvernement s'est donné les moyens de réduire le déficit du budget à 3 % du produit intérieur brut. Je lui en donne acte et l'en félicite, car c'était difficile.
Certains disaient même, dans les services de votre administration, monsieur le ministre, que c'était impossible.
M. Philippe Marini. Il ne faut jamais les croire !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il ne faut, en effet, jamais les croire. Ils le disent tous les ans, et ce depuis un temps immémorial.
M. Christian Sautter, sécrétaire d'Etat. Qui les a crus ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Je suis plus âgé que vous et je l'ai toujours entendu dire. Leur métier est d'affoler le pouvoir politique pour qu'il prenne un certain nombre de mesures.
Ainsi, Pinay avait un jour, sur une note de la direction du budget, supprimé la retraite des anciens combattants parce que ses services lui avaient expliqué que cette mesure permettrait de sauver le franc. (Sourires.) C'était évidemment une bêtise. On devrait raconter cette histoire à tout ministre des finances prenant ses fonctions. Elle est en effet intéressante et permet d'éviter un certain nombre d'erreurs.
Le projet de budget que nous examinons taxe les entreprises et l'épargne, M. Marini l'a dit, et il crée un certain nombre de difficultés pour les familles. Il ne va pas dans le bon sens en ce qui concerne tant la lutte contre le chômage que l'orientation de la politique fiscale. C'est pourquoi il faut le corriger, et c'est la raison pour laquelle je soutiendrai, comme la majorité du Sénat, les propositions courageuses qui sont présentées par la commission des finances. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Merci !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je voudrais d'abord m'excuser de n'avoir pas pu entendre M. Marini qui, si j'ai compris ce qui m'a été rapporté, méritait d'être entendu pour être critiqué.
Je souhaite, en l'instant, répondre à M. Fourcade dont j'apprécie la modération, quand bien même je ne partage pas un certain nombre d'opinions qu'il a émises.
Vous avez terminé, monsieur le sénateur, en parlant de la fiscalité de l'épargne. Vous n'avez pas développé ce point, mais j'ai compris que votre prédécesseur l'avait fait. J'ai compris, en entendant la phrase un peu lapidaire qui a été la vôtre, qu'il l'a évoquée pour la critiquer, ce qui, dans une certaine mesure, n'est pas, de ma part, une déduction très difficile.
M. Philippe Marini. Le contraire nous surprendrait !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. On peut gloser à l'infini sur l'intérêt qu'il y a à fiscaliser plus l'épargne au motif que, dans notre pays, les revenus du capital ne le sont pas assez, ou, au contraire, à ne pas le faire. C'est un problème d'orientation politique ; chacun prend sa responsabilité ; il est bien normal que nous puissions avoir des opinions divergentes.
M. Michel Charasse. C'est comme la religion : on y croit ou on n'y croit pas !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce que je ne voudrais pas, c'est qu'il y ait une erreur sur l'ampleur du mouvement.
Les quatre points de CSG - car je suppose que c'est de cela qu'il s'agit principalement - représentent, sur un rendement hypothétique de 5 % pour un produit d'épargne, 20 points de base, c'est-à-dire 0,2 point sur les 5 %.
Un financier averti comme l'est M. Marini - mais comme le sont, par définition, tous les sénateurs - consulte sans doute régulièrement les statistiques que publient les journaux financiers sur les rendements, par exemple, des SICAV. Or, on constate que, sur les quelques centaines de SICAV qui existent en France, entre la plus rentable et la moins rentable, la différence se situe entre 200 et 300 points de base.
Pourtant, personne ne considère qu'il y a là une mise à mort de l'épargnant, alors qu'il risque de s'orienter vers la SICAV la moins rentable plutôt que vers celle qui est la plus rentable. Eh bien ! celui-là est finalement rémunéré 300 points de base en dessous de celui qui a eu la chance de choisir la meilleure SICAV, S'agissant de ce dernier, vous me rétorquerez que c'est la récompense de son génie et du bon choix qu'il a fait. Certes, mais cela signifie que dans la mesure où le choix d'un produit d'épargne plutôt qu'un autre peut entraîner, sans que cela mette à mal l'économie dans laquelle nous sommes, une différence de rendement de l'ordre de 300 points de base, on peut difficilement prétendre que les 20 points de base de prélèvements supplémentaires liés à la CGS déstabilisent notre système.
M. Philippe Marini. Vous irez jusqu'où avec ce raisonnement ? Jusqu'à 15 % ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Que l'on dise qu'il faille aller dans l'autre sens, c'est, je l'ai dit, un choix politique, et chacun a le droit de le défendre. Mais on ne peut pas prétendre qu'avec 20 points de base, comme je l'ai entendu dire, peut-être pas par M. Marini - je n'étais pas présent et je m'en excuse - mais, en d'autres occasions, par certains commentateurs de l'opposition nationale, l'épargne française est matraquée. Il faut raison garder.
M. Philippe Marini. Ce qui est en cause, c'est la confiance !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Marini, vous évoquez la confiance. Tous les indicateurs sur la confiance des consommateurs et des épargnants sont à un niveau environ deux fois supérieur à ce qu'ils étaient il y a un an.
M. Philippe Marini. C'est une mauvaise référence ! (Rires sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certes, je ne vous le fais pas dire !
M. Fourcade a abordé deux questions : l'emploi à travers les emplois-jeunes et les trente-cinq heures, ainsi que les prélèvements obligatoires.
S'agissant des emplois-jeunes, si je comprends bien l'esprit de votre remarque, monsieur Fourcade, ce n'est pas une mauvaise mesure en soi. En effet, la préoccupation pour les jeunes existe dans votre propos. Vous dites que les emplois-jeunes vont augmenter le poids du secteur public. Je veux à la fois vous rassurer et vous interroger indirectement.
Cela n'augmentera pas le poids du secteur public. Ce sont certes des emplois qui sont financés par de l'argent public, mais il s'agit d'emplois temporaires. D'ailleurs, j'espère que la plupart de ces jeunes n'utiliseront pas la totalité de la durée possible et qu'ils iront avant les cinq ans qui leur sont offerts se présenter sur le marché du travail parce qu'ils auront eu une expérience d'un an de deux ans ou de trois ans. Tel est l'esprit de la mesure.
En tout état de cause, au pire, au bout des cinq ans, il faudra bien qu'ils quittent cette situation qui leur est faite pour un temps puisque d'autres viendront derrière.
M. Christian Poncelet, M. le président de la commission des finances. Cela ne sera pas facile !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Rien n'est facile, monsieur le président ! C'est évidemment difficile mais, de mon point de vue, c'est encore plus difficile, de ne rien proposer tout de suite !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. L'entrée est facile, mais la sortie sera particulièrement difficile, ce qui pourra entraîner des mouvements extrêmement importants de la part de la population !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est le contraire du Sénat, où l'entrée est difficile. (Sourires.)
M. Michel Charasse. Entrez ou sortez, mais cessez ce va-et-vient ridicule ! (Nouveaux sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En tout cas, nous essayerons de faire en sorte que la situation et la formation qui leur seront données pendant ces cinq ans leur permettent d'aller sur le marché du travail dans de meilleures conditions qu'avant.
Vous le savez comme moi, parce que vous êtes tous des élus, nous rencontrons des jeunes, par dizaines, qui nous disent : « J'ai envoyé mon curriculum vitae et l'on m'a répondu que l'on cherchait quelqu'un possédant deux ans d'expérience professionnelle ». Comment voulez-vous que ces jeunes aient deux ans d'expérience puisque personne ne les a jamais embauchés ? Après avoir travaillé dans les associations, dans les collectivités locales, dans les différentes structures susceptibles de les accueillir, ils pourront alors se présenter sur le marché forts d'une expérience de deux ou trois ans.
Ce ne sera pas facile, monsieur Poncelet, j'en suis d'accord, mais ce sera plus facile qu'aujourd'hui, et, honnêtement, je crois qu'il ne faut pas être trop inquiet de ce point de vue.
En revanche, vous avez déploré, monsieur Fourcade, la diminution de la réduction d'impôt s'agissant des emplois à domicile. J'ai du mal à comprendre pourquoi, lorsque 50 000 francs ou 60 000 francs d'argent public sont utilisés pour diminuer le coût d'un emploi à domicile, ce serait une bonne utilisation de l'argent public pour l'emploi, alors qu'à l'inverse, quand la somme est utilisée pour payer le salaire d'un jeune, ce serait une mauvaise utilisation de l'argent public en faveur de l'emploi. Honnêtement, ce ne sont pas les questions de statut et de durée qui sont ici en cause !
Que l'on refuse toute aide à l'emploi, soit ! C'est une position ultralibérale - ce n'est d'ailleurs pas celle que vous défendez - mais elle a le mérite de la cohérence. Toutefois, à partir du moment où l'on accepte l'idée que l'argent public peut être efficacement utilisé en direction de l'emploi - ce qui n'est pas toujours le cas : il arrive que ce soit inefficace - alors pourquoi considérer qu'il vaut mieux 60 000 francs de réduction d'impôt en faveur d'un ménage plutôt aisé pour lui permettre d'embaucher une personne à domicile plutôt que de créer directement un emploi pour un jeune ? Certes, je veux bien admettre que l'embauche de l'employée de maison n'aurait peut-être pas eu lieu sans l'aide de l'argent public, mais pourquoi l'embauche direct d'un jeune, avec ce même argent, serait-elle une mauvaise mesure ? Il n'y a pas une différence fondamentale !
La seule question qui se pose, c'est qu'au bout du compte, si nous voulons faire un effort pour les jeunes, l'effort doit alors cibler directement les jeunes, et c'est bien ce qu'a fait le Gouvernement : la conception qui nous a guidés, dans l'élaboration du plan pour les jeunes, c'est que, au-delà de l'emploi, c'est bien autre chose qui est en cause. C'est en effet un devoir moral qui nous incombe à nous, adultes, que de ne pas laisser les jeunes entrer dans l'âge adulte par le chômage, sans savoir ce qu'est l'emploi, avec des parents qui sont souvent eux-mêmes au chômage, avec un frère ou une soeur aînée qui ne travaille peut-être pas non plus, en ignorant donc ce qui fait notre vie quotidienne : se lever tous les matins pour aller travailler. Voilà ce qui structure notre société, c'est ainsi que l'on gagne sa vie.
C'est pourquoi, si je considère volontiers comme équivalentes les deux sommes que j'évoquais tout à l'heure, je préfère, à un moment où le problème de l'emploi des jeunes est aussi aigu, consacrer cet argent à l'emploi des jeunes plutôt qu'à un autre emploi. Non pas que ce soit meilleur par nature, mais parce que le problème du chômage des jeunes dans notre société, aujourd'hui, est extrêmement grave.
Vous avez évoqué les contrats de qualification en regrettant qu'ils soient passés de 130 000 à 100 000. Mais, si 130 000 contrats avaient été prévus pour l'année dernière, seuls 100 000 ont été réalisés. Le raisonnement que nous avons tenu est qu'il n'y en aurait pas plus l'année prochaine, malheureusement, qu'il n'y en a eu l'année dernière. Si, d'aventure, les contrats de qualification se développaient à un point tel que, finalement, l'ajustement à la dépense réelle auquel nous avons procédé cette année se révélait trop sévère, n'ayez crainte, je serais trop content d'avoir à financer le complément.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je le comprends !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Honnêtement, je crois qu'il vaut mieux procéder ainsi plutôt que de multiplier les CES. Je comprends bien votre critique, monsieur le sénateur, mais tout de même ! De 1992 à 1995, le nombre de CES est passé de 400 000 à 750 000, et vous conviendrez avec moi qu'ils ont les mêmes défauts que ceux que vous dénonciez tout à l'heure, plus d'autres encore, car ils ne comprennent qu'une formation dérisoire - quand il y en a une ! - parce qu'ils sont beaucoup plus précaires, parce que, dans l'ensemble, ils n'ont pas toutes les qualités que l'on peut attendre des emplois-jeunes.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais certainement, monsieur le sénateur !
M. le président. La parole est à M. Fourcade, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, je vous remercie de me répondre aussi complètement.
Je ne dirai qu'un seul mot : le Sénat a bataillé contre le Gouvernement et contre l'opposition sénatoriale pour introduire la notion de formation dans les emplois-jeunes. Mais nous avons été battus par la majorité de l'Assemblée nationale.
Mais nous estimions que le progrès considérable qu'il fallait réaliser dans ce cadre consistait à obliger les employeurs à donner une formation à ces jeunes. Mais personne ne nous a écoutés, ni la majorité de l'Assemblée nationale ni le Gouvernement.
Aussi, ne venez pas nous dire maintenant qu'il fallait prévoir la formation ! Persuadez Mme Aubry de la nécessité d'inclure cette formation auprès des employeurs des emplois-jeunes !
M. Philippe Marini. Ce n'est pas si facile !
M. le président. Monsieur le ministre, veuillez poursuivre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Fourcade, je partage votre préoccupation sur la formation, à ceci près que, nous le savons, la plupart des employeurs seront des collectivités locales et que le Sénat est le Grand Conseil des communes de France. Par conséquent, si telle est votre orientation, je suis sûr que les maires la suivront et que la formation qui est prévue dans le texte se déroulera, même si quelques personnes sont réticentes.
J'évoquerai d'un mot les trente-cinq heures. Vous semblez attribuer beaucoup de mérites à la loi Robien. Personnellement, j'en vois au moin un : la loi Robien a convaincu les partis de l'ex-majorité - de l'opposition d'aujourd'hui - qu'une réduction du temps de travail avait quand même du bon.
On peut préférer tel mécanisme ou tel autre, on peut préférer la loi Robien.
M. Philippe Marini. Il ne faut pas de couperet !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Marini n'a pas été convaincu ? Quoi qu'il en soit, une majorité suffisante a été convaincue pour adopter cette loi contre l'avis de M. Marini.
M. Philippe Marini. Non !
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Très volontiers !
M. le président. La parole est à M. Marini, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Philippe Marini. J'ai toujours été favorable à la loi Robien, monsieur le ministre. Je me suis permis - veuillez me le pardonner : c'est le fait de mon tempérament peut-être un peu fougueux - de vous interrompre en refusant tout couperet, parce que je visais ce que vous vous apprêtez à faire, vous.
Mais je considère, comme M. Fourcade, que la loi Robien a une grande vertu, qui est de permettre la négociation dans l'entreprise.
M. le président. Monsieur le ministre, veuillez poursuivre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. La loi qui sera votée permettra de la même manière la négociation d'entreprise ! L'entreprise est le seul niveau où la négociation peut être conduite correctement, vous le savez, et il n'est pas nécessaire d'avoir étudié la question bien longtemps pour être d'accord sur ce point.
M. Jean-Pierre Fourcade. Cela, c'est bien !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Fourcade a dit en substance qu'une adaptation de deux ans aurait été nécessaire avant, éventuellement, d'élaborer une loi-cadre qui puisse être imposée aux entreprises réticentes.
Mais c'est ce qui s'est passé : il y a eu deux ans de loi Robien, et maintenant nous faisons la loi-cadre ! Cela devrait vous convenir puisque c'est exactement votre mécanique que nous mettons en oeuvre, à cette différence près qu'au lieu d'attendre encore deux ans, nous considérons que les deux premières années, qui sont les deux ans de loi Robien, se sont écoulées et que le moment est venu de faire la loi-cadre.
En tout cas, n'ayez crainte pour ce qui est du blocage que vous appréhendez dans la négociation puisque l'une des grandes fédérations professionnelles, l'Association française des banques a d'ores et déjà engagé - il ne s'agit donc pas de projet - la négociation avec ses syndicats, afin de réviser la convention collective de la banque en incluant, évidemment, la question des trente-cinq heures dans cette négociation.
Si nous voulions bien tous ici regarder les choses positivement et voir dans l'instrument qui est en train de se mettre en place une incitation pour que la négociation sur la réduction du temps de travail, au niveau le plus décentralisé, s'engage, je suis convaincu que nous obtiendrions gain de cause.
Si seule la majorité mène le combat, elle sera la seule à en recueillir les fruits, mais je suis prêt à partager avec l'opposition les bienfaits qui résulteront de la réduction du temps de travail.
M. Philippe Marini. Sans parler du prix que cela coûtera !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cela coûtera moins cher que la loi Robien !
Sur les prélèvements obligatoires, il est vrai que la notion de frais professionnels des retraités a été jugée un peu surprenante.
Vous avez dit que certains avantages avaient été supprimés avec la réforme Juppé en échange de la baisse des impôts, mais que cette baisse n'a pas été opérée cette année. Or, cette année, il y a eu une baisse de 25 milliards de francs ! Je me permets en effet de vous rappeler que le Gouvernement a considéré que, la parole de l'Etat étant engagée, la baisse de l'impôt sur le revenu qui avait été votée pour cette année serait mise en oeuvre. Chacun en convient, et, par conséquent, il fallait prendre des mesures pour financer cette baisse.
En réalité, vous le savez bien, cette baisse de 25 milliards de francs de l'impôt sur le revenu n'était pas financée...
M. René Régnault. Eh oui !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... et, si l'on fait les comptes globalement, que constate-t-on ? La réalité fiscale de l'année 1997 est simple : la baisse de l'impôt sur le revenu - 25 milliards de francs - était, pour quelques milliards de francs, compensée par les mesures en question. Il fallait donc bien les prendre. Après, il manquait, en gros, une vingtaine de milliards de francs, et ce sont ceux que nous avons dû aller chercher auprès des entreprises. Nous l'avons fait en augmentant l'impôt sur les sociétés au mois de juillet, mesure qui n'a été rien d'autre que le financement de la baisse de l'impôt sur le revenu que vous aviez votée sans en prévoir le financement. Pourquoi, en effet, manquait-il, aux termes mêmes de l'audit, tellement de milliards de francs à l'arrivée ? Parce que la baisse de l'impôt sur le revenu n'était pas financée dans le projet de loi de finances initial !
Au total, il y aura donc bien eu baisse de l'impôt sur le revenu cette année.
J'en viens à la famille, qui constitue un sujet très important.
Je voudrais rappeler au Sénat, et à M. Fourcade en particulier, que les mesures concernant la famille ont été nombreuses : le gel des prestations, en 1996, a fait perdre 7 milliards de francs de pouvoir d'achat aux ménages, chacun s'en souvient ; la revalorisation trop faible des allocations familiales, en 1995 - ce qui était d'ailleurs contraire à la loi - a conduit à la condamnation de l'Etat, qui a dû rembourser 3 milliards de francs, chacun le sait aussi ; la fiscalisation des indemnités de maternité a rapporté 5 milliards de francs à l'Etat, et vous conviendrez avec moi que ce n'est pas ce gouvernement qui a décidé cette mesure - il n'aurait pas osé, d'ailleurs ! - non plus que la suppression de la déduction des frais de scolarité, pour 1,4 milliard de francs, que nous avons rétablie.
Honnêtement, on ne peut pas dire que nous sommes des « famillicides » et vouloir présenter la majorité précédente comme ayant tout fait pour la famille ! A la lumière de la liste que je viens d'évoquer, on peut quand même avoir quelques doutes et relativiser...
Enfin, vous avez fait une analyse intéressante de l'évolution de la mixité de notre système de prélèvements. Cela mérite réflexion.
Ce sujet, certes un peu académique, a aussi des conséquences pratiques et vos remarques semblent fondées. Il faut en effet choisir un système, tant il est vrai que le mélange des genres ne favorise pas la clarté ; je partage votre sentiment sur ce point.
Au-delà de la beauté du système fiscal, à laquelle certains de mes conseillers sont très attachés, ce qui compte, économiquement parlant, c'est le total des prélèvements. Il est préférable que le système soit simple et homogène, mais, je le répète, c'est le total réel des prélèvements qui compte.
Or, j'ai trouvé, monsieur le sénateur - vous avez commencé par là et c'est par là que je terminerai - votre réquisitoire sur le niveau des prélèvements obligatoires plus sévère que celui que j'aurais osé faire moi-même.
En 1992, nous étions en dessous de 44 %. C'était déjà beaucoup ! Puis vous avez voté, au début de l'année 1997, une loi qui portait ce taux à 46 %. Ainsi, au cours des années 1993, 1994, 1995 et 1996 et compte tenu de la loi de finances qui a été votée par la précédente majorité pour 1997, les prélèvements obligatoires auront augmenté de plus de deux points.
Les critiques que vous avez faites sont donc extrêmement sévères, me semble-t-il, à l'égard de la majorité précédente. Je ne crois pas, pour ma part, que j'aurais pu aller aussi loin. Mais venant de vous, cela ne m'étonne pas, car vous êtes un esprit à la fois acéré et indépendant.
Quoi que ce soit, ceux de mes prédécesseurs qui ont présenté des projets de loi de finances organisant à ce point la hausse des prélèvements obligatoires doivent frémir en vous entendant ! En effet, vous venez de faire de leur gestion la critique la plus dure que j'ai entendue depuis longtemps.
Mais il me semble que c'est un genre dans lequel vous vous plaisez, car vous avez aussi fait une critique extrêmement sévère... j'allais dire du Président de la République ; je ne me le permettrais pas : disons du précédent Premier ministre, en affirmant qu'il ne faut jamais croire les services. Peut-être avez-vous raison. Mais qui les a crus, sinon le précédent gouvernement qui, abusé, semble-t-il - c'est votre thèse, en tout cas - par les services, a décidé de dissoudre l'Assemblée nationale ? Par chance, cette dissolution n'a pas atteint la Haute Assemblée, ce qui nous vaut le plaisir d'être ensemble aujourd'hui...
M. Michel Charasse. Nous n'aurions pas marché !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Là encore, vous avez été d'une férocité à l'égard du chef du gouvernement précédent - encore que ce ne soit pas vraiment lui qui a signé le décret de dissolution - dont je vous savais certainement capable, mais qui en tout cas n'était pas habituelle dans votre bouche.
M. Jean-Pierre Fourcade. Ce n'était pas la vraie raison !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si je me suis permis de prendre la parole aussi longtemps, c'est parce que je voulais saluer la lucidité, mais aussi le dureté avec laquelle M. Fourcade a jugé les années qui viennent de s'écouler, que ce soit en termes de politique de la famille - j'ai rappelé tout à l'heure les méfaits qui ont été accomplis puisque des milliards de francs se sont évaporés des poches des ménages - que ce soit en matière de prélèvements obligatoires - M. Fourcade a fustigé la hausse très importante de ces dernières années - ou que ce soit, enfin, en termes d'erreurs politiques d'un gouvernement qui, croyant par mégarde ou par inconscience les services administratifs, s'est laissé aller à des gestes politiques que certainement je ne réprouve pas - puisque, encore une fois, ce serait mal venu de ma part - mais qui, je le comprends, vous ont déçus. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Miquel.
M. Gérard Miquel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la discussion budgétaire est traditionnellement l'occasion pour les parlementaires de parler de fiscalité, et plus précisément de réforme fiscale. Chacun la souhaite, tout le monde en parle, mais force est de constater que, sur ce sujet, les mêmes mots ne recouvrent pas le même contenu.
Pour la droite, le précédent gouvernement nous l'a montré sans ambiguïté aucune, la réforme fiscale est synonyme de baisse d'impôts pour les entreprises et pour les ménages les plus aisés.
L'idée communément défendue par les libéraux en matière fiscale est celle d'une relance de l'économie couplée à la lutte contre le chômage. La diminution des charges des entreprises doit permettre de relancer l'offre ; la diminution des taux d'imposition des ménages assujettis aux taux marginaux les plus élevés, seuls capables d'investir, doit permettre, elle, une relance de la demande.
Pour pallier les pertes de recettes correspondantes, car tout cela comporte un coût, le gouvernement de M. Juppé, comme on le sait, a accru les prélèvements indirects et a ponctionné ainsi tous les contribuables, y compris les plus pauvres, au point d'ailleurs de porter à un niveau sans précédent nos prélèvements obligatoires et de freiner en parallèle la consommation et la croissance.
Notre approche de la réforme fiscale est tout autre. Ce budget ne pouvait à lui seul réformer l'ensemble des dispositions dont nous souhaitions la modification. Pour être acceptée, une réforme fiscale doit être expliquée et traduite de manière progressive dans les faits. Avec deux mois seulement pour préparer ce projet de loi de finances, il aurait été illusoire de vouloir tout et tout de suite.
Néanmoins, une première étape nous est proposée, et nous l'approuvons sans réserve.
Avant de revenir sur les axes de nos choix présents et à plus long terme dans ce domaine, je voudrais insister sur deux points.
D'une part, la fiscalité, selon nous, doit aller de pair avec la justice sociale, pour des raisons d'équité, mais également parce que la croissance est générée par l'ensemble des Français, y compris les plus modestes. Durant trop longtemps, la fiscalité a servi de levier économique au profit de ceux qui avaient déjà la capacité de s'enrichir, sans qu'au total notre pays, dans son entier, en voie le retour.
D'autre part, il conviendrait enfin que, dans notre pays, chacun s'interroge sur le rôle de l'impôt. Les comparaisons internationales dont on nous rebat les oreilles, à droite, au motif que notre taux de prélèvements obligatoires par rapport à notre PIB est beaucoup trop élevé, n'ont pas de sens.
Certes, en 1995 - au passage, c'était sous la droite - notre taux de prélèvements était de 44,5 %, contre 35,3 % pour le Royaume-Uni et 27,9 % pour les Etats-Unis. Mais à quoi sert de comparer ce qui n'est pas comparable ? Dans les pays cités, toutes sortes de dépenses courantes, en matière de santé ou d'éducation, par exemple, sont prises en charge par la sphère privée.
Par ailleurs, la proportion de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté est gigantesque, dans ces pays-là.
Le niveau des prélèvements obligatoires doit donc être apprécié par rapport au niveau des dépenses collectives. Nous préférons offrir aux Français un bon niveau de service public, qui résulte de l'histoire de notre pays, parce que nous savons que c'est ainsi que les couches les plus modestes de notre population seront en mesure d'avoir, tout simplement, accès à ce type de dépenses.
Comparons le sort de deux chômeurs malades et ayant des enfants scolarisés, l'un aux Etats-Unis et l'autre en France. Chacun voit aisément combien notre système est nécessaire pour prendre en compte les cas les plus dramatiques !
A quoi sert de diminuer les charges des entreprises si c'est pour offrir du travail précaire et mal payé ?
A quoi sert de réduire outrageusement les dépenses publiques si c'est pour empêcher le plus grand nombre de profiter de ce que notre société peut offrir de meilleur ?
Aucune étude n'a démontré les relations entre le taux de croissance et le pourcentage des prélèvements obligatoires. Un changement brutal du taux des prélèvements obligatoires est, en revanche, le signe d'un changement de société.
On voit bien, d'ailleurs, l'incohérence des tropismes de la droite, qui plaide pour le moins-disant fiscal tout en laissant déraper à la fois déficits et prélèvements.
Voilà à quoi mène une politique qui n'est orientée qu'en faveur d'un petit nombre de Français !
Ce qu'il importe de juger, comme le soulignait le rapport Ducamin, c'est le degré de satisfaction, qui résulte, pour la population, de ce taux de prélèvements obligatoires.
En réalité, bien plus que de savoir si l'on paie trop d'impôt, il s'agit de se demander si, en retour, chacun reçoit, en termes de redistribution, un niveau acceptable de service public.
Au total, les prélèvements doivent être maîtrisés, mais ils ne doivent pas être stigmatisés, comme ils le sont par la droite, parce qu'ils servent d'outils à une politique.
Je tracerai maintenant quelques-uns des principaux axes de réflexion en matière fiscale sur lesquels nous devrions réfléchir dans les prochaines années.
Tout d'abord, notre fiscalité est trop complexe. Non seulement nous avons beaucoup d'impôts, peut-être trop, mais, qui plus est, pour chacun, il existe trop de régimes dérogatoires. Nos mesures fiscales sont souvent trop interventionnistes et donc discriminatoires. Ce sont ces discriminations qui aggravent les injustices.
Pour prendre l'exemple de l'impôt sur le revenu, l'actuelle opposition nationale s'est toujours émue des taux marginaux trop élevés. Cela, en fait, relève de la théorie.
En effet, par le jeu subtil de ce que l'on appelle pudiquement « l'optimisation fiscale », les contribuables les plus riches, parce qu'ils ont les moyens d'effectuer un certain nombre de dépenses, échappent au barème voté par le Parlement. Les cas les plus flagrants sont connus ; il arrive même à certains, qui bénéficient pourtant de revenus considérables, de ne pas payer d'impôt du tout. En parallèle, les contribuables qui ont juste de quoi vivre et qui ne peuvent s'offrir de telles dépenses paient au taux plein leur impôt sur le revenu, sur la base de ce barème.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Supprimez les niches et diminuez les taux marginaux !
M. Gérard Miquel. Vouloir le baisser, comme s'y était engagée la droite, sans prévoir au préalable une réforme d'assiette, relevait d'un choix contestable.
Le Gouvernement a pris, en la matière, une excellente mesure dans ce projet de loi de finances, qui consiste à diminuer de moitié la réduction d'impôt pour l'emploi de personnel de maison, laquelle, on s'en souvient, avait été instaurée par le gouvernement de M. Balladur pour diminuer, en fait, insidieusement le taux marginal de la plus haute tranche du barème.
Que l'on ne nous parle pas de classes moyennes sur ce sujet ! C'est pourtant ce qui a été dit, hélas ! et nous l'avons encore entendu aujourd'hui. Chacun sait qui emploie à plein temps un employé à domicile : pas les smicards ! Le même raisonnement vaut pour les investissements quirataires.
Nous souhaitons, pour notre part, aller plus loin et raisonner de manière globale. Nous vous proposerons un amendement tendant à limiter, dans des proportions raisonnables, le champ de l'ensemble des réductions d'impôt en fonction de l'impôt lui-même.
L'outil fiscal, en matière de levier, doit avoir un rôle incitatif et ne pas être simplement synonyme d'effet d'aubaine.
Les réductions d'impôt ou les déductions du revenu imposable ne sont pas les seules à venir amoindrir la progressivité de l'impôt sur le revenu. Il y a aussi le fait que cet impôt est calculé sur un revenu global, certes, mais qui n'est que la somme algébrique de revenus issus de différentes catégories, fiscalement traitées de manière différente.
Le Gouvernement a pris de bonnes mesures sur l'assurance vie, sur l'avoir fiscal, sur le plan d'épargne en actions. Il convient de poursuivre à l'avenir et d'empêcher les nombreux montages astucieux permettant au total d'échapper à cet impôt.
Pour ce qui concerne la fiscalité des revenus du capital, et afin de limiter les risques de fuite des capitaux, seule la création d'une retenue à la source au niveau européen, notamment sur les revenus d'obligations, permettra de rééquilibrer le système. A cet effet, il sera nécessaire de mener à bien des négociations avec nos partenaires européens.
L'impôt sur le revenu est le seul impôt progressif, nonobstant ces mesures d'allégement. Il est donc le seul qui tienne compte de l'ensemble de la situation du contribuable. C'est le seul qui puisse réduire les inégalités de revenus. Son niveau est déjà faible en France. Il convient d'endiguer les évasions et d'arrêter de le diminuer davantage. Il représente 13,9 % de nos recettes, contre 36,3 % aux Etats-Unis, 27,4 % au Royaume-Uni et 26,4 % en moyenne dans l'Union européenne.
Si l'on réfléchit à l'orientation d'une fiscalité spécifique propre à relancer la croissance en temps de crise, il nous semble qu'il faut relancer la consommation, c'est-à-dire la demande. Mais pas, comme le fait la droite, au profit de ceux qui ont déjà beaucoup ; en faveur de ceux qu'un petit coup de pouce fiscal pourra amener à réaliser des dépenses qu'ils n'auraient pas décidées sans cela.
De ce point de vue, la TVA est un bon instrument fiscal à encourager. Le Gouvernement a pris une excellente mesure sur les logements sociaux. Nous proposerons des amendements allant dans le même sens, même si le passage au taux réduit impose à notre pays des négociations avec ses partenaires européens. Il convient de fixer une ligne et de s'y tenir.
J'ajouterai que favoriser fiscalement la consommation va dans le bon sens puisque cela permet de réduire l'écart de traitement fiscal entre ceux qui peuvent épargner et les autres.
Voilà, brièvement résumées, quelques-unes des pistes de réflexion que je voulais lancer. Ce budget constitue une première étape. Il sera suivi par d'autres, qui permettront, j'en suis sûr, sur la durée de la législature, de poursuivre notre chemin vers plus d'efficacité et plus de justice. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, c'est toujours avec le même intérêt que nous sommes amenés, chaque année, à exposer notre point de vue sur l'équilibre général de la loi de finances.
Acte majeur parmi nos activités parlementaires, l'examen du budget est un moment fort attendu, particulièrement cette année puisque le projet de loi de finances a été élaboré par un gouvernement issu d'une nouvelle majorité.
C'est un budget qui rompt avec les précédents, si ce n'est juste peut-être un point commun dans les principes ; je veux parler des critères de convergence. Ils imposent à nos dirigeants, quelle que soit leur sensibilité, la maîtrise des finances publiques. L'actuel gouvernement n'est donc pas le premier à devoir suivre cette ligne, mais il sera, je le crois, le premier à s'y tenir.
Je considère personnellement que c'est une bonne chose, car, au-delà de la monnaie unique et des impératifs européens, nous ne devons pas faire peser sur la jeunesse, sur nos enfants, donc sur l'avenir, les risques afférents à un trop lourd endettement de l'Etat.
Si l'Europe nous incite donc à la parcimonie, il y a plusieurs façons de gérer le budget. Et là, l'étiquette politique reprend le dessus en déterminant telle ou telle priorité.
Je dois dire que, pour ma part, je préfère les choix opérés cette année à ceux qui ont été effectués auparavant, et ce pour plusieurs raisons.
La première, mes chers collègues, c'est qu'on nous présente enfin un budget sincère, sans artifices comptables. Il fut une époque, qui n'est pas très éloignée, où les tours de passe-passe budgétaire étaient coutumiers. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous l'avoir rappelé. Parfois, on utilisait, sans le dire, les recettes des privatisations pour minorer le déficit de l'Etat. Parfois encore, on reculait les échéances en omettant, par exemple, d'inscrire les quelques milliards de francs dus à l'UNEDIC. Cette année, la vérité des comptes a été rétablie, et je m'en félicite. La Cour des comptes devrait apprécier.
Il est un deuxième point positif, qui n'est pas directement lié au contenu du présent texte, mais qui mérite néanmoins d'être souligné, M. le ministre lui-même en a parlé dans son intervention. Je veux parler du projet qui consiste à associer davantage députés et sénateurs à l'élaboration du projet de budget.
Je ne peux que me réjouir de cette idée sur laquelle, je crois, tout le monde ici peut s'accorder. Il est en effet temps de nous céder une plus grande marge de manoeuvre dans la préparation du budget de l'Etat. La nouvelle procédure que vous envisagez devrait permettre d'améliorer notre information, nos délais et, par conséquent, notre capacité de réponse aux grandes lignes initialement fixées. Le rôle du Parlement ne peut que s'en trouver valorisé et, bien entendu, renforcé.
Je voudrais maintenant m'arrêter sur les raisons fondamentales qui me poussent à juger le texte sous un jour favorable.
Sur le plan strictement comptable, la réduction du déficit du budget de l'Etat à 3 % est une sage décision. Comme je viens de le dire, il est important à la fois de respecter nos engagements européens et de ne pas hypothéquer l'avenir.
C'est, de plus, un budget de redéploiement en ce qui concerne les dépenses. S'agissant des prélèvements au titre des recettes, on peut remarquer avec satisfaction que le Gouvernement arrive à les contenir. A partir d'une masse identique, l'effort est redistribué dans la perspective d'une meilleure justice sociale, ce dont nous pouvons nous féliciter.
Ensuite, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez rappelé que le budget reposait sur deux principes : l'emploi comme finalité de la croissance et la solidarité comme moteur. Je souscris bien évidemment à ce projet. La France a atteint un ...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Yvon Collin. ... niveau insupportable de chômage : 12,5 %, cela correspond à plus de trois millions de personnes en difficulté, à deux points de plus que la moyenne des pays européens et à un taux de chômage nettement plus élevé qu'aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. La France est à la traîne. L'emploi est un point noir pour nos concitoyens, particulièrement pour notre jeunesse.
L'emploi doit donc être une priorité. Il faut d'ailleurs reconnaître que ce n'est pas une préoccupation nouvelle : tous les gouvernements affichent de bonnes intentions en ce domaine, ce qui est bien normal. La différence réside dans les moyens choisis.
Avec plus de 155 milliards de francs de crédits, le projet de budget consacré à l'emploi augmente de plus de 3,5 %. La loi relative à l'emploi des jeunes devrait profiter de cette manne. Ce texte démontre à lui seul, par son audace et son volontarisme, la vigueur de l'effort consenti pour lutter contre le chômage. On devrait passer enfin d'une déclaration de priorité à une réalité, ce qui serait nouveau, tant les effets d'annonce se sont trop souvent soldés par des mesurettes inefficaces, mais pourtant servies et resservies.
Je constate, pour l'approuver, que cette nouvelle approche en faveur de l'emploi n'a pas oblitéré les dispositifs classiques destinés aux personnes qui connaissent des difficultés d'insertion en raison de leur âge, de leur handicap ou de la durée de chômage.
Les augmentations de crédits accordées à l'éducation, à la justice, à la recherche et au développement, à l'aménagement du territoire, à la santé, à la solidarité et à la ville me semblent toutes déceler une volonté de répondre aux besoins les plus fondamentaux de notre société.
Qu'est-ce qu'une société avec une école appauvrie ? Qu'est-ce qu'une société avec une justice encombrée ? Qu'est-ce qu'une société en panne de recherche ? Qu'est-ce qu'une société avec un territoire dense d'un côté et un désert de l'autre ? Qu'est-ce qu'une société avec une santé à deux vitesses ? Qu'est-ce qu'une société avec une exclusion croissante ? Enfin, qu'est-ce qu'une société avec des banlieues au bord de l'explosion ?
C'est une société qui régresse, c'est un pays qui n'offre plus à ses citoyens le minimum de bien-être, c'est un pays qui quitte la modernité pour s'enfoncer vers le déclin.
Heureusement, ce tableau est exagérément noirci, et l'on n'en est pas là. Mais je veux dire qu'il faut choisir les bonnes priorités pour ne pas s'approcher du modèle que je viens de décrire. Et le projet de loi de finances pour 1998, même s'il ne règle pas tout, prend en tout cas la bonne direction, celle d'une société moderne, juste et solidaire.
Je voudrais toutefois vous faire part de quelques inquiétudes qui, si elles ne remettent pas en cause mon adhésion au projet de budget, me tiennent néanmoins à coeur.
La première concerne l'hypothèse de croissance retenue pour arrêter le projet de budget. La croissance française se situerait à 3 %. C'est une très bonne nouvelle pour notre pays puisque c'est deux fois plus que ces dernières années. Les consommateurs et les investisseurs devraient reprendre confiance.
Toutefois, nous devrions nous méfier des excès d'optimisme. En 1995, le budget avait été bâti sur une prévision de croissance située autour de 2,8 %. Or, la croissance n'avait finalement été que de 1,3 %. Pour l'année dernière, la prévision a été un peu meilleure, mais tout de même la croissance réalisée a été inférieure à la croissance prévue. Il serait donc souhaitable de faire preuve d'une grande prudence en ce domaine, car les conséquences sont connues : les recettes sont moins élevées que prévu et, en cours d'année, interviennent des gels de crédits ou des collectifs un peu douloureux. Je souhaite, bien sûr, que ces prévisions soient bonnes, mais l'expérience passée m'invite à la prudence, monsieur le secrétaire d'Etat.
Ma seconde inquiétude - mais c'est plutôt un souhait - concerne la réforme fiscale.
Voilà maintenant un bon moment que l'on entend parler de réforme fiscale et que l'on ne voit toujours rien venir. Vous avez abordé ce point, monsieur le secrétaire d'Etat, et j'ai cru comprendre, à travers les documents budgétaires, que cette réforme se ferait de façon graduelle.
Il est certain que le niveau de complexité de notre fiscalité impose un certain temps pour la réformer. Toutefois, outre le problème de la pression fiscale et de la mauvaise répartition du fardeau, il faudrait dès aujourd'hui clarifier notre fiscalité en fusionnant certains de ses éléments : ainsi, la contribution sociale généralisée, le remboursement de la dette sociale et l'impôt sur le revenu ne devraient faire qu'un.
Une fiscalité complexe, ce n'est pas seulement une question de manque de lisibilité, c'est aussi un problème de justice dans la mesure où elle offre le moyen à certains de minorer leur revenu. Or, cette possibilité n'est ouverte qu'à une poignée de privilégiés : ceux qui peuvent s'offrir un expert-comptable talentueux pouvant les faire bénéficier de niches fiscales.
Pour toutes ces raisons, il faudrait une réforme urgente. Je comprends que, comme l'a dit, M. le ministre, il n'y aura pas de « grand soir fiscal ». En effet, c'est un chantier impressionnant. Toutefois, il est vraiment plus que nécessaire d'engager cette réforme.
En tout cas, en attendant, je me réjouis aussi de votre projet de réforme des impôts locaux. Trop longtemps retardée, cette réforme est également indispensable. Je suis certain que la commission des finances du Sénat participera activement à ce travail, sous l'autorité bienveillante de son talentueux président, M. Christian Poncelet.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Merci !
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, parce qu'il marque une rupture avec les précédents budgets, parce qu'il met l'accent sur la solidarité et l'emploi et, enfin, parce qu'il maîtrise les finances sans offrir la rigueur aux plus démunis, mes collègues radicaux et moi-même soutiendrons le projet de loi de finances pour 1998. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en ouvrant ce débat, nous avons au moins trois certitudes.
La première, c'est que la France se trouve dans le peloton de tête des pays européens pour l'importance des taux de prélèvements obligatoires. Nous en avons longuement parlé, et c'est pourquoi je n'insisterai pas.
Toutefois, je m'étonne toujours de cette logique dépensière qui imprègne à la fois nos esprits et tous nos rouages administratifs et politiques. Chaque fois qu'un ministre affirme qu'il a un bon budget, il sous-entend que ce dernier est en augmentation. J'avoue que cela me fait parfois frémir !
L'un de vos prédécesseurs s'enorgueillissait de « réhabiliter les dépenses publiques ». L'addition de toutes les lois récentes aboutit à 80 milliards de francs de prélèvemens supplémentaires.
Le débat que nous avons eu récemment sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale a encore été un exemple de cette logique dépensière. Alors que le taux d'augmentation de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM, était fixé, cette année, à 1,7 %, il sera l'année prochaine de 2,2 % ; de surcroît, de nombreux fonds spéciaux ont été ajoutés autour de cet objectif. De nouvelles taxes ont été créées : il en est ainsi de la taxe sociale sur le tabac, qui vient s'ajouter aux droits de consommation.
Bref, nous avons désormais, monsieur le secrétaire d'Etat - vous le savez bien, puisque vous êtes en charge des problèmes budgétaires et fiscaux - deux centres de décision en matière de taxes sociales et fiscales : Bercy et le ministère des affaires sociales, et, au Sénat, la commission des finances et la commission des affaires sociales. Cela fait beaucoup, et cela crée parfois certaines incohérences. Je ne crois pas que nous pourrons continuer à ce rythme et à ce niveau.
L'épargne des sociétés, comme celle des particuliers, est l'une des plus taxées d'Europe, dans un marché particulièrement ouvert où la mobilité des capitaux et des investissements sera très grande. Cela peut susciter certaines inquiétudes.
Je voudrais vous faire part de notre deuxième certitude. Elle concerne notre tare en matière d'investissement.
Au niveau atteint par les déficits publics et en raison de la rigidité des dépenses de fonctionnement, nous constatons depuis plusieurs années une baisse des investissements publics de l'Etat et, maintenant, une stabilisation de ceux des collectivités locales.
Mais c'est de l'investissement privé et surtout de l'investissement industriel que je voudrais parler.
C'est un point sur lequel la quasi-totalité des analystes économiques sont d'accord : le taux d'investissement de l'industrie française est à un point bas historique. Il ne représente désormais plus que 2,6 % du produit intérieur brut, contre 3,5 % dans les années soixante-dix et 3 % au cours de la décennie quatre-vingt.
Certes, nous constatons une légère reprise, mais nous souffrons d'un retard chronique sur tous nos grands concurrents : les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, le Japon et même l'Italie.
Il est vrai que la croissance mondiale tire notre propre croissance ; mais cette croissance appelle des investissements, et près de la moitié des investissements des soixante-sept plus grands groupes français s'effectue désormais à l'extérieur de nos frontières.
Dans un monde ouvert, cela n'a rien d'anormal ; mais ce qui est critiquable, c'est que notre politique de surtaxation et de surcoûts pousse les entreprises à réduire leur croissance au niveau national.
Moins de croissance, moins d'investissements, c'est forcément moins de créations d'emplois. Cela m'amène à notre troisième certitude : la France demeure l'un des pays développés où le taux de chômage est parmi les plus élevés.
La création d'emplois publics, ou aidés, ne pourra apporter aucune solution durable à ce drame national - notre collègue Yvon Collin vient de le souligner - sans le dynamisme des entreprises du secteur marchand, bref, sans le soutien et la confiance des entreprises privées.
Or, nous devons bien constater qu'actuellement cette confiance fait quelque peu défaut.
Ces trois faiblesses structurelles - prélèvements publics trop élevés, chômage trop important, investissements insuffisants - ne disparaîtront pas rapidement.
C'est donc avec ces lourdeurs et ces handicaps que nous nous dirigeons vers une Europe ouverte, avec une monnaie unique. Dans l'économie unifiée qui sera celle de demain, je crains que nos faiblesses n'apparaissent de façon éclatante et n'entraînent plus de délocalisations de nos capitaux, de nos entreprises, voire de nos cadres, bref de nos forces vives.
M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général ont formulé des analyses convergentes que nous partageons.
Il y a toutefois une évidence : il faut mettre au point une politique fiscale qui puisse drainer l'épargne et stimuler les investissements dans certains secteurs.
Vous l'avez d'ailleurs compris, puisque vous adopté cette démarche pour les petites entreprises. Mais pourquoi ne l'avez-vous pas fait également pour les autres ?
Si un aménagement fiscal permet de développer des investissements et de créer des richesses ou des emplois, il serait regrettable d'y renoncer.
Je crois d'ailleurs plus à l'efficacité du levier fiscal qu'à celle des subventions : le premier est un instrument actif, les secondes sont plutôt passives.
Le premier exemple que je voudrais donner est celui de notre politique fiscale dans le domaine maritime. Par l'article 8 du projet de loi de finances, le Gouvernement supprime le dispositif fiscal qui avait été mis en place en faveur du financement des navires par la loi de juillet 1996.
Il s'agit d'ailleurs là d'une particularité bien française : nous avons incontestablement la médaille d'or de l'instabilité fiscale, ce que certains appellent le « yo-yo » fiscal.
M. René Régnault. C'est ce que vous aviez commencé à faire !
M. Jacques Oudin. Nous défaisons avec une rapidité prodigieuse ce que nous venons de mettre en oeuvre.
Nous estimons que cette décision est une mauvaise action.
Personne ne peut contester le déclin considérable de notre flotte de commerce, passée en moins de trente ans de la cinquième à la vingt-huitième place mondiale. Nous disposons de 210 navires marchands, alors que l'Allemagne en possède plus de 1 400, ainsi que la flotte la plus moderne de porte-conteneurs.
Il y a une explication à cette situation : l'insuffisance du système fiscal d'incitation à l'investissement dans ce secteur. Tous les pays qui ont su développer leur flotte de commerce n'ont pu le faire que grâce à un système d'aménagement fiscal.
La comparaison des différents systèmes montre que celui que nous avions mis en place était loin d'être le plus généreux et qu'il était, de surcroît, particulièrement encadré, puique toutes les décisions étaient soumises à l'agrément du ministre de l'économie et des finances. Ce dernier avait donc la possibilité de mesurer parfaitement l'ampleur de l'investissement et de ses retombées économiques et sociales.
En quelques mois, le nombre de projets s'est développé, l'espoir est revenu, et le dynamisme renaissait dans le monde maritime.
Pour des raisons idéologiques,...
M. René Régnault. D'équité !
M. Jacques Oudin ... vous souhaitez supprimer ce dispositif qui, au-delà des grands navires, commençait à susciter un nombre important de petits projets dont beaucoup auraient été financés par les fonds communs de placement maritime mis en place par la loi.
Pour justifier votre décision, vous avez avancé des arguments non fondés : le faible nombre de navires construits dans nos chantiers navals, alors que ceux-ci sont spécialisés dans les bâtiments à haute valeur ajoutée ; le coût par emploi créé, alors que vous n'avez comptabilisé que les emplois de navigants et non tous les emplois induits à terme ; enfin, le coût global du dispositif qui serait plutôt à l'inverse, la démonstration de son intérêt et de son efficacité.
Le deuxième exemple concerne la loi Pons. Ce système fiscal mis en oeuvre depuis dix ans, même s'il est perfectible, permet de drainer chaque année vers nos départements d'outre-mer autant d'épargne que l'Etat distribue de subventions. Et, là encore, le ministre des finances est au coeur de la procédure d'agrément.
Vous avez certainement compris qu'il existe un lien étroit et profond entre notre politique maritime et notre politique en faveur du développement de nos départements et territoires d'outre-mer. Si vous freinez l'une, vous allez forcément freiner la seconde.
Enfin, mon troisième exemple concernera le secteur autoroutier.
Votre administration n'a jamais beaucoup aimé les autoroutes. Et pourtant, voilà un secteur qui joue un rôle économique majeur dans notre développement économique et dans l'aménagement du territoire.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Comme vous avez raison !
M. Jacques Oudin. La France est une des principales plaques autoroutières de l'Europe. Avec le réseau autoroutier qui structure notre territoire national, nous drainons 50 % du trafic - avec moins de 5 % des accidents mortels - et la quasi-totalité de l'augmentation de ce même trafic.
Voilà, de surcroît, un secteur qui s'autofinance complètement grâce à une politique intelligente de concession et de péréquation des péages.
Grâce à la réforme engagée en 1993 par le gouvernement de M. Balladur, nous avions pu annoncer l'achèvement du réseau autoroutier dans un délai de dix ans.
M. René Régnault. Non financé !
M. Jacques Oudin. Mais vous avez trouvé tous les défauts à notre système autoroutier, alors même que d'autres pays commencent à nous envier : les sociétés seraient trop endettées, alors que nous finançons avec des emprunts sur quinze ans des équipements qui dureront plus de cent ans ; le kilomètre d'autoroute coûterait trop cher - 45 millions de francs - alors que nous avons nous-mêmes largement suscité ces augmentations avec la loi sur les paysages, la loi sur l'air ou la loi sur l'eau ; enfin, les nouvelles sections ne seraient pas rentables parce qu'elles desservent des régions enclavées ou éloignées.
Mais c'est justement là, monsieur le secrétaire d'Etat, la logique de l'aménagement du territoire et la justification de la politique de péréquation des péages ! Ce sont les sections les plus rentables qui financent les sections les moins rentables, ce sont les riches qui financent les pauvres.
M. Paul Loridant. Normal !
M. Jacques Oudin. Bref, grâce à ce levier extrêmement puissant qu'est le comité des investissements économiques et sociaux, le CIES, et à la participation active du ministère de l'environnement, ce sont près de 500 kilomètres d'autoroutes qui seraient actuellement en passe d'être gelés.
Voilà un bilan qui touche tous ceux qu'intéresse l'aménagement du territoire !
M. Alain Lambert, rapporteur général. On ne peut imaginer que ce soit possible ! M. Jacques Oudin. C'est une mauvaise action envers l'aménagement du territoire, envers nos entreprises et envers l'emploi, bref, envers toute notre économie.
Rappelez-vous en effet, monsieur le secrétaire d'Etat, que peu d'entreprises acceptent désormais de s'installer ou de se développer dans des zones éloignées d'un échangeur autoroutier.
Nous avons toujours constaté que l'investissement était au coeur de la croissance et que cette dernière était la condition essentielle des créations d'emplois.
Or, votre politique n'est pas favorable à l'investissement, en dépit de taux d'intérêt tout à fait attractifs. Elle aura donc des conséquences tout à fait négatives sur l'emploi.
Les exemples que j'ai cités sont parfaitement illustratifs d'une politique qui obère les chances de la France dans une Europe et un monde en évolution rapide.
Comment voudriez-vous, dans ces conditions, que nous puissions approuver un tel projet de budget ? (Applaudissements sur le banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous semblez avoir utilisé la totalité des marges de manoeuvre offertes par la baisse des taux d'intérêt et par une croissance plus soutenue en cette fin d'année. Et vous affichez un objectif auquel nous souscrivons, à savoir le respect des critères permettant l'entrée dans l'union monétaire. Mais, comme je le disais déjà lors du débat sur le MUFF, cette exigence représente vraiment un minimum compte tenu de la situation de nos finances publiques !
N'oublions pas en effet qu'un déficit de 3 % du PIB, c'est toujours 260 milliards de francs d'emprunts nouveaux qui vont venir peser sur l'encours de notre dette. A ce rythme, la France voit un autre critère - l'encours de la dette rapporté au PIB - continuer à se détériorer. Il approche aujourd'hui dangereusement le seuil de 60 % à ne pas dépasser !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Exact !
M. Denis Badré. Il y a bien là, en fait, un problème franco-français dans lequel ni l'Europe ni Maastricht n'ont la moindre part de responsabilité. Ne disons donc surtout pas que nous ramenons notre déficit à 3 % à cause de l'Europe, ni même que nous le faisons pour l'Europe. Disons plutôt que nous le faisons pour la France !
Notre déficit, qui était de 1,5 % du PIB en 1990, a explosé entre 1990 et 1993 pour atteindre un maximum de 5,6 % à cette dernière date, installant ainsi la France dans la spirale infernale : déficit, dette, prélèvements.
Voilà un an, nous avions procédé à une analyse distinguant, dans le budget, les dépenses d'investissement et les dépenses de fonctionnement. Une telle approche amène à constater que la France emprunte pour couvrir ses dépenses de fonctionnement, ce qui est absolument interdit à nos communes !
Le rapprochement de deux chiffres du budget est à cet égard saisissant : en dépenses, apparaît une annuité de 238 milliards de francs à régler ; en recettes devrait apparaître, si on ne l'appelait pudiquement déficit, un emprunt d'une somme à peine supérieure de 260 milliards de francs pour équilibrer le budget.
Nous savons bien que les recettes ne sont pas affectées. On peut cependant considérer que, s'il n'y avait pas d'annuité à régler, l'emprunt serait lui-même à peu près inutile. Un mauvais esprit pourrait donc tout de même être tenté de dire que nous empruntons pour acquitter notre dette. Nous sommes dans la spirale ! Nous sommes surtout dans une position impossible dans laquelle ni nos communes ni les particuliers n'ont le droit de se mettre. Quel banquier prêterait à son client pour que celui-ci lui rembourse sa dette ?
Ramener le déficit à 3 %, c'est donc bien. C'est poursuivre la décélération engagée depuis 1993 par les gouvernements de MM. Balladur et Juppé. Mais ce n'est pas suffisant ! En 1993, à 5,6 % de déficit, l'encours de la dette enflait très vite et, avec l'encours, l'annuité à payer l'année suivante aussi. Et le budget correspondant était chaque année encore plus difficile à boucler. A 3 %, l'aggravation est simplement moindre. Mais il s'agit toujours d'une nouvelle aggravation de l'annuité qui continue à progresser.
Dans les conditions actuelles de configuration de notre dette et de structure des taux d'intérêts, il faudrait encore réduire de moitié notre déficit, de plus de 100 milliards de francs donc, pour que l'encours soit simplement stabilisé ! Et il faudrait faire encore mieux pour commencer seulement à redresser la situation.
Encore faut-il noter que la baisse des taux d'intérêt est venue opportunément à notre secours. L'annuité à régler a doublé depuis 1990, passant de 120 à 240 milliards de francs. Elle aurait triplé si les taux d'intérêts étaient restés ceux de 1990. Si vous aviez eu à régler 360 milliards de francs et non 240 milliards de francs, monsieur le secrétaire d'Etat, vous auriez dû trouver 120 milliards de francs supplémentaires. Auriez-vous, pour ce faire, choisi d'augmenter encore l'impôt - il aurait fallu majorer de 50 % l'impôt sur les sociétés ou de 40 % l'impôt sur le revenu - ou bien auriez-vous enfin décidé de vous attaquer à la dépense publique ?
En fait, nous pensons qu'il est possible de réduire le déficit en agissant sur la dépense publique et de retrouver ainsi le chemin de l'emploi en profitant d'un redémarrage de la croissance.
Un exemple éminent : entre 1992 et 1996, les Etats-Unis ont ramené leur déficit de 4,5 % à 1,5 % du PIB, en réduisant notamment leur effectif de fonctionnaires de 270 000. Eh bien, cela n'a pas empêché l'économie américaine de créer 10 millions d'emplois.
Mes chers collègues, c'est avéré : la réduction de la dépense publique contribue à ramener la confiance, et la volonté et le pragmatisme valent toutes les idéologies.
C'est dans cette logique, monsieur le secrétaire d'Etat, que s'inscrit la démarche de la commission des finances, démarche qu'ont très clairement présentée son président M. Christian Poncelet, et le rapporteur général, M. Alain Lambert.
L'objectif de réduction du déficit n'étant contesté par personne, cette démarche repose sur quatre principes : moins de déficit, moins de dépenses publiques, des prélèvements allégés et, parmi les dépenses, priorité aux moyens destinés à l'exercice des missions régaliennes de l'Etat et aux investissements créateurs d'emplois. Je souscris évidemment sans réserve et aussi activement que possible à cette démarche.
Pour terminer sur le sujet du déficit, je répète que ce n'est pas l'Europe qui a mis la France en difficulté. C'est bien plutôt la France qui doit d'urgence recoller au peloton de ses partenaires européens si elle veut éviter le déclin susceptible de découler plus rapidement qu'on ne pense d'une fuite des capitaux et des cerveaux.
C'est avec un peu d'amertume que j'entendais, voilà quelques semaines, Vitautas Landsbergis, président du parlement lituanien, me dire, sur le ton de la boutade, que, lorsque la France serait revenue à 1,5 % de déficit, chiffre atteint aujourd'hui par la Lituanie, la Lituanie pourrait l'accueillir dans l'Europe qu'elle envisage de construire autour de Vilnius.
Monsieur le secrétaire d'Etat, réduire la dépense publique est une nécessité absolue. Je ne vois évidemment pas d'autre solution, alors que nous voulons par priorié et simultanément réduire les déficits et alléger les prélèvements.
Il me semble que ce n'est pas ce que vous faites. Il y a un an, M. Jupé réduisait de 7 000 les effectifs de la fonction publique. Tous redéploiements inclus, vous choisissez maintenant de l'augmenter.
Plus généralement, non seulement vous ne réduisez pas les dépenses, mais vous les augmentez de 2,6 %, si l'on excepte les crédits de la défense, dont la malheureuse diminution risque d'être très grave pour notre sécurité et pour l'emploi. On doit pouvoir faire mieux. C'est le sens de la démarche engagée par la commission des finances.
Bien sûr, réduire la dépense publique, c'est s'obliger à engager l'indispensable réforme de l'Etat. La majorité d'hier avait mesuré la difficulté de cet exercice. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous ne pourrez éluder cette réforme !
Réduire la dépense publique, c'est aussi faire le choix d'une autre spirale, vertueuse celle-ci : confiance, croissance, emploi.
Qu'il s'agisse de l'Etat ou des entreprises, il n'y a pas d'autre voie. Vous savez bien aussi que les citoyens eux-mêmes n'attendent pas d'autres choix de notre part. Veillons à ce que les prélèvement obligatoires n'asphyxient ni les Français ni la France !
En ce qui concerne les recettes, derrière l'annonce d'une légère baisse des taux de prélèvements obligatoires, se profile en réalité une augmentation très importante : près de 80 milliards de francs, ainsi que le rappelait le rapporteur général.
Les prélèvements nouveaux, très ciblés sur les entreprises et les catégories que vous avez décidé de désigner comme relativement aisées, créent, au-delà de leur effet direct, un climat d'insécurité juridique et d'attentisme peu favorable à l'investissement, d'autant plus que l'objectif d'un allégement du taux marginal de l'impôt sur le revenu est remis en cause.
Au niveau de la dernière tranche, ce qui reste un effort supplémentaire demeurera donc taxé à 54 % au titre de l'impôt sur le revenu, auxquels il faudra ajouter 7,5 % de CSG, 0,5 % de CRDS et, dans certains cas, le nouveau prélèvement social unifié de 2 %. Voilà qui nous mène à 64 %, de quoi décourager les plus entreprenants !
Pour certains, il s'agit donc bien d'un « matraquage ». Elu de la région parisienne, j'ai l'occasion de croiser un grand nombre de familles, de celles que vous qualifiez d'« aisées ». Avez-vous vraiment chiffré l'impact de toutes les mesures prises, en ajoutant à la réduction de l'aide aux emplois familiaux les mesures de votre projet de loi de financement de la sécurité sociale ?
La vraie question ne serait-elle pas d'abord de comparer, à revenus égaux, les niveaux de vie d'un célibataire et d'une famille nombreuse ? Vous passez votre temps, au contraire, à opposer entre elles les familles ayant des revenus différents ! Le vrai problème n'est ni de dresser les familles les unes contre les autres ni, bien sûr, d'appauvrir tout le monde. Il vaudrait mieux encourager le maximum de Français à faire le choix de la famille. Ce choix est vital pour notre pays !
Et c'est bien dans ce contexte qu'il faut analyser les mesures du projet de loi de finances touchant à l'impôt sur le revenu, sur le détail desquelles je ne reviens que très rapidement l'heure l'exige.
J'évoquerai brièvement la suppression du remboursement de l'avoir fiscal lorsque le montant de l'impôt sur le revenu est insuffisant pour l'imputer. Cette suppression diminuera considérablement l'intérêt de ce mécanisme et aboutira à modifier le rendement brut d'un titre selon la situation de l'actionnaire au regard de l'impôt sur le revenu. Voilà qui est très peu satisfaisant pour les entreprises et très surprenant pour l'esprit !
J'évoquerai, enfin, le régime de l'assurance vie qui voit fondre ses avantages fiscaux. Ce durcissement, intervenant après celui qui a été opéré en 1996, compromettra l'intérêt de ce type de placement qui, rappelons-le, constituait aussi une source importante et intéressante pour le financement de la dette publique.
Cela risque, en outre, d'entretenir des tensions sur les taux longs et de diriger l'épargne soit vers des produits liquides, soit vers des destinations étrangères.
De plus, il devient désormais très difficile de constituer une retraite régulière par la capitalisation. Cela rend plus urgente la mise en place effective des fonds de pension. A la suite des déclarations faites hier par M. Strauss-Kahn, j'aimerais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous puissiez nous rassurer, en confirmant qu'elle ne souffrira plus de retard.
Mes chers collègues, nous déplorons tous le retard de notre industrie en termes d'investissements. Le vieillissement de notre appareil de production est effectivement préoccupant.
Un tel phénomène s'explique essentiellement par la médiocre rentabilité du capital en France. Meilleure, c'est vrai, qu'au début de la décennie, elle demeure beaucoup trop faible par rapport aux performances de nos concurrents étrangers, notamment anglo-saxons.
Ce constat relativise, monsieur le secrétaire d'Etat, la thèse de l'« excellente santé » des entreprises et de leur capacité à absorber toute nouvelle augmentation du coût du travail.
Nous sommes forcés d'admettre que la France a perdu de son attractivité auprès des investisseurs étrangers. Depuis 1996, les investissements directs de nos entreprises hors de nos frontières se sont intensifiés, alors que ceux des étrangers dans l'Hexagone se tassent. Cette dégradation manifeste bien un handicap en termes de coût du travail. M. Michel Sergent. Apocalypse Now ! (Rires sur les travées socialistes.)
M. Denis Badré. Le commissaire Mario Monti, auditionné par notre commission des finances, reprenait avec force, il y a quelques jours, l'idée selon laquelle il faut aujourd'hui rééquilibrer la fiscalité des revenus du travail et celle des revenus du capital.
Malheureusement, là où tous les partenaires de la France choisissent de le faire en allégeant la fiscalité des revenus du travail, vous, seul contre tous, vous choisissez plutôt le rééquilibrage par l'alourdissement de la fiscalité pesant sur les revenus de l'épargne.
Ainsi, chez nous, tout sera plus lourd qu'ailleurs ! Nous ne pourrons donc plus, désormais, nous contenter d'être meilleurs que les autres, ce qui reste le cas : il nous faudra être bien meilleurs pour supporter ce nouveau handicap, pour pouvoir continuer à rivaliser, donc à exister.
Je crois, monsieur le secrétaire d'Etat, que votre politique économique pèche par une forme de refus de la réalité économique mondiale et par une confiance inébranlable en l'« exception française ».
Ainsi, selon vous, la politique libérale menée depuis dis-sept ans en Grande-Bretagne sous les gouvernements conservateurs et travaillistes serait inapplicable en France parce que les Français ne pourraient accepter la « flexibilité » ! (Protestations sur les travées socialistes.)
Quant au dialogue social à la néerlandaise, la réponse est la même : nos compatriotes ne supporteraient pas une telle discipline !
Rêvons pourtant un instant : nous serions tous heureux que puisse voir le jour, chez nous, un accord entre patronat et syndicats du type de celui qui a permis aux Pays-Bas de ramener en quinze ans le chômage de 11 % à 6 %.
M. Michel Sergent. Mais nous n'avons pas le même patronat !
M. Denis Badré. Nos amis néerlandais, avec un grand pragmatisme, et sans recourir à la loi, ont su combiner réduction de la durée du travail, développement du temps partiel et modération des salaires. En France, au contraire, nous sommes condamnés à penser que tout doit passer par l'Etat, que tout doit être formalisé dans la loi. Non, on ne gouverne pas l'économie par décrets. On fait plutôt progresser les sociétés avec des idées, des projets, du travail, des investissements, donc avec les hommes. ( Exclamations sur les travées socialistes. ) Et les femmes ! ( Ah ! sur les mêmes travées. )
L'ancienne majorité gouvernementale avait essayé de sortir de cette logique en engageant courageusement, mais peut-être trop tôt ou trop vite, des réformes de structures. Elle n'a pas été comprise. Sans doute une autre « manière » aurait-elle été nécessaire, compte tenu de la difficulté de l'entreprise. Mais il est toujours facile de juger après. Je pense, en tout cas, que nous devons tous regretter les occasions manquées. Il faudra y revenir tôt ou tard, monsieur le secrétaire d'Etat, et le plus tôt sera le moins mal.
La préparation des esprits impliquera sans doute un très gros effort d'explication. A nous, sénateurs, de contribuer, par des propositions courageuses et cohérentes, à la prise de conscience indispensable au redressement de notre pays.
Mes chers collègues, l'avenir dépend de notre aptitude à analyser avec lucidité les difficultés du moment. Il dépend aussi de notre capacité à centrer nos choix sur l'essentiel. ( M. le président de la commission des finances applaudit. )
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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