LOI DE FINANCES POUR 1998

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale. [N°s 84 et 85 (1997-1998).]
Dans la discussion générale de ce projet, moment toujours très important de la vie du Sénat, la parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget étant une véritable somme de chiffres, de prévisions et d'analyses, comment en proposer une lecture simple qui le rende intelligible et révèle l'orientation politique qui l'inspire ?
Ce souci aura guidé nos travaux, ceux que nous menons depuis plusieurs semaines, sous la bienveillante, éminente et rassurante autorité de Christian Poncelet, avec tous les commissaires de la commission des finances, auxquels je veux exprimer ici ma gratitude.
Afin de donner un caractère plus concret à l'exercice qui nous réunit aujourd'hui, j'ai choisi de conserver un fil conducteur tout au long de mon propos, en cherchant à répondre à cette double question : d'une part, ce budget prépare-t-il ou non la France à son ouverture sur le monde et, d'autre part, donne-t-il à notre jeunesse toutes les chances pour réussir son avenir ?
Tout d'abord, il convient de souligner que ce budget s'inscrit dans un espace économique qui est devenu sans frontières, aussi bien pour les marchés que pour les hommes.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, votre hypothèse de 3 % nous semble un pari, risqué, car fondé sur l'accélération de la croissance pour atteindre un niveau que nous n'avons pas connu depuis longtemps et qui est supérieur à notre potentiel.
Le timide mouvement de reprise amorcé se confirmera-t-il, alors que les pays d'Asie du Sud-Est sont ébranlés par la crise financière que l'on sait, alors que les prévisions de croissance outre-Atlantique se détériorent, alors que le passage à la troisième phase de l'Union économique et monétaire peut se révéler difficile pour les pays européens dont les monnaies ne sont pas à l'abri d'un mouvement de spéculation et alors que, en France, le Gouvernement introduit, selon la commission des finances, des facteurs aléatoires supplémentaires ?
Il le fait, d'abord, en prévoyant une reprise de la consommation des ménages, alors qu'il décide, dans le même temps, une surtaxation de l'épargne qui suscitera des réflexes d'épargne de précaution supplémentaire et alors qu'il remet en cause la politique de la famille.
Il le fait, ensuite, en espérant une reprise de l'investissement, alors que, dans le même temps, il resserre l'étau fiscal sur les entreprises par des prélèvements supplémentaires, alors qu'il ouvre, sous la menace d'une loi, le débat sur les trente-cinq heures, alors qu'il remet en cause les exonérations de charges sur les bas salaires, alors qu'il envoie aux investisseurs étrangers des signaux aussi négatifs que la suppression des provisions pour licenciement.
Certes, la prévision est par nature aléatoire. Mais était-il bien opportun, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, quand la France doit montrer sa capacité à s'imposer dans « une économie de marché ouverte », de vouloir faire la morale au monde en se prétendant capable de modifier seul le partage de la valeur ajoutée ?
Si j'ai voulu insister sur la fragilité de cette hypothèse de croissance, c'est parce que tous nous connaissons son importance décisive sur nos finances et nos déficits publics ; souvenons-nous de 1992 !
J'en viens à l'équilibre budgétaire. Je m'attacherai d'abord au solde fixé à 3,05 % du produit intérieur brut.
Dans le contexte que je viens de décrire, un tel solde devient fragile, alors qu'il est le garant de notre crédibilité dans le monde, en particulier vis-à-vis de nos principaux partenaires, crédibilité relative puisque nous occupons l'avant-dernier rang dans les prévisions de l'Union européenne.
Pourtant - faut-il le rappeler, mes chers collègues ? - contrairement à ce que l'on peut dire parfois ici, ce solde n'est pas une coquetterie comptable. Il n'est pas non plus la punition d'une imprudente promesse faite à Maastricht. Il est une impérieuse nécessité de saine gestion, une obligation morale absolue à l'endroit de nos enfants et de nos petits-enfants ; c'est un engagement qui doit être partagé par la nation tout entière et rassembler toutes les sensibilités politiques républicaines.
Ne nous leurrons pas, la signification réelle qui s'attache au déficit est claire je pense en particulier ; au déficit de fonctionnement du budget de l'Etat, qui atteindra encore cette année 100 milliards de francs. Elle révèle cruellement que nous n'osons pas prélever sur nos compatriotes ce que nous nous croyons autorisés à dépenser en leur nom.
Faut-il rappeler que 3 % du PIB, c'est 16 % du budget de l'Etat, c'est encore 100 milliards de francs de trop pour simplement stabiliser la dettes et non pas même la réduire - et que ces 3 % du PIB conduisent à accroître encore, en 1998, notre stock de dette de 257 milliards de francs ?
Il ne suffit plus que les gouvernements se rejettent mutuellement la responsabilité de la dette. Cette dette, il faut la réduire ; ce budget n'y parvient pas, et la trajectoire qu'il dessine n'annonce pas sa stabilisation avant l'an 2000.
La France de demain, celle de nos jeunes, se voit donc invitée une nouvelle fois à se préparer au remboursement de ce qui s'apparente bien, disons-le, à une forme de lâcheté de nos générations.
Si la nécessité impérieuse de réduire nos déficits n'a plus à être démontré, il faut proclamer bien haut qu'il ne faut surtout pas les réduire en alourdissant davantage les prélèvements.
Cela me conduit directement à parler des recettes pour constater que, contrairement à la présentation qui en a été faite, les prélèvements obligatoires, selon la commission des finances, ne baisseront pas en 1998. L'évolution présentée par rapport au PIB ne change rien à la réalité des faits : les cotisations et les impôts prélevés sur les Français augmentent bel et bien en 1998.
Et, pour être mieux mesurée, cette augmentation doit être analysée à législation constante afin de ne pas encourager les gouvernements, pour l'avenir, à répartir les augmentations d'impôts dans trois textes différents ; je pense à ce que nous appelons vulgairement le MUFF, c'est-à-dire le projet de loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, au projet de loi de financement de la sécurité sociale et au présent projet de loi de finances.
Mes chers collègues, si l'on tient compte de l'effet des mesures fiscales du MUFF - 24 milliards de francs en 1997 et 17 milliards de francs en 1998 - de la suppression de l'allégement de l'impôt sur le revenu votée l'an passé - 17 milliards de francs - des effets du projet de loi de financement de la sécurité sociale - 12,7 milliards de francs - et des effets du projet de loi de finances pour 1998, le total des nouveaux prélèvements instaurés par l'actuel Gouvernement depuis sa prise de fonctions sera de 80,2 milliards de francs.
Voici enfin élucidé le mystère du budget « infaisable » !
Voilà comment un budget réputé « infaisable » devient soudain un budget « faisable », presque « simple » à boucler - je parle sous votre contrôle, monsieur le président de la commission des finances.
Les vives critiques que vous avez émises, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, à l'encontre du précédent gouvernement, sur les augmentations qu'il avait décidées, sont apparemment déjà oubliées puisque ces hausses sont non seulement maintenues mais doublées, selon les calculs que je viens de faire.
La France est désormais seule à s'engager dans cette fuite en avant fiscale ; elle est seule à assurer l'équilibre par l'accroissement de l'impôt ; elle est seule à ne pas croire aux vertus de la diminution de la dépense.
« L'exception française » - pour reprendre l'expression désormais consacrée - devient celle où les prélèvements sont les plus lourds du G7, celle ou la dépense y est aussi la plus forte.
A l'heure où les entreprises réexaminent leur localisation, c'est-à-dire la localisation de leurs emplois, en Europe et dans le monde, est-il réaliste, est-il prudent, est-il responsable d'ajouter toujours de nouveaux prélèvements ?
A l'évidence, la spirale infernale de l'augmentation des prélèvements ne sera jamais brisée dans notre pays sans un engagement politique formel de tenir la dépense. Tel sera, si vous en êtes d'accord, mes chers collègues, l'un des messages forts du Sénat.
J'en viens précisément aux dépenses.
Les dépenses sont en augmentation de 26 milliards de francs, dont 21 milliards de francs au titre du budget général.
Cette progression de 21 milliards correspond, pour 19 milliards de francs, aux dérives spontanées des frais de personnel et, pour 2 milliards de francs, à la charge de la dette. Elle confirme une rigidité - une sorte de fatalité - de la dépense que le Sénat connaît bien puisque sa commission des finances l'a souvent analysée.
Le Gouvernement pourrait méditer utilement ce que MM. Nasse et Bonnet ont préconisé dans leur rapport d'audit : « Agir sur la dépense est le seul moyen de réduire les déficits. »
M. Jean Delaneau. Très bien !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Le Gouvernement pourrait également méditer utilement ce que la commission des finances avait écrit et que vous aviez approuvé à plusieurs reprises, mes chers collègues, à savoir : « Lorsque l'essentiel des diminutions de dépenses provient des baisses de transfert et des salaires publics, l'ajustement connaît la réussite ; lorsque les dépenses se maintiennent, lorsque les investissements accusent une chute importante, c'est l'échec ! ».
Hélas, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le projet de budget qui nous est présenté ne répond pas à ces recommandations, qui sont pourtant un préalable au succès.
Alors même que le Sénat avait regretté la croissance des effectifs publics en 1996, qu'il avait apprécié la diminution inscrite en 1997, le projet de budget pour 1998 opère un nouveau changement de cap en prévoyant la création de 6 500 emplois nouveaux. La pression sur la dépense va s'accroître encore avec la création annoncée de 350 000 emplois jeunes.
Dans ces conditions, comment ne pas redouter, que, à l'instar de ce qui eut lieu dans les années quatre-vingt, le Gouvernement laisse filer la dépense, laisse se creuser le déficit ?
Je rappelle que les crédits civils de rémunérations et charges sociales se sont accrus, entre 1987 et 1996, de près de 120 milliards de francs et que les retraites ont augmenté de 58 milliards de francs sur la même période.
Parallèlement, les dépenses d'intervention de l'Etat, qui représentent près de 500 milliards de francs, continuent d'augmenter, conséquence de l'empilement de mesures et de l'incapacité à choisir et à évaluer l'efficacité.
Ainsi, les transferts sociaux ne sont toujours pas sous contrôle. Un exemple en témoigne : le total des crédits consacrés au RMI, à l'allocation pour adultes handicapés et aux aides personnelles au logement augmente encore de façon très sensible - de 5 milliards de francs - ce qui porte leur augmentation depuis 1992 à près de 70 %.
Il résulte de ce qui précède que le seuil de 3 % est atteint de la pire manière, c'est-à-dire en coupant dans les dépenses d'investissement.
L'investissement, surtout l'investissement militaire - je ne traiterai pas de ce point ; le président Xavier de Villepin le fera, comme d'habitude, excellemment - devient la variable d'ajustement et continue d'être réduit de 8 milliards de francs.
La politique de baisse du coût du travail est sérieusement infléchie - de 6,5 milliards - et les économies présentées comme telles ne sont souvent que des jeux d'écriture ou de simple constatation.
Le constat est clair : la maîtrise des dépenses n'est pas au rendez-vous. On mesure ce contresens historique à l'aune de l'intransigeance budgétaire de nos partenaires, qui, il faut le rappeler, sont aussi nos concurrents.
Face à ce constat, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le message de la commission des finances du Sénat est clair : une autre politique budgétaire est nécessaire ; une autre politique budgétaire est possible : elle passe par une vraie politique de réduction de la dépense publique.
La commission des finances, mes chers collègues, ne peut donc vous recommander d'adhérer aux choix du Gouvernement, qui vont à l'encontre des conclusions qu'elle a sans cesse formulées depuis 1992.
Aussi ai-je mandat de vous proposer de marquer, sans ambiguïté, la volonté du Sénat de persévérer avec constance dans la voie de la maîtrise des dépenses et d'inscrire l'oeuvre de redressement dans la durée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Aussi ai-je mandat de vous proposer de ramener le montant des dépenses du budget général à celui de la loi de finances initiale pour 1997 et de geler, par voie de conséquence, les 21,3 milliards de francs de dépenses supplémentaires.
La commission des finances vous propose d'engager deux démarches complémentaires : d'une part, d'opérer des économies sur des crédits consacrés à des éléments que nous jugeons contestables de la politique du Gouvernement dans trois domaines principaux, la fonction publique, l'emploi, l'éducation nationale ; d'autre part, d'opérer une réduction forfaitaire aux titres III et IV des budgets sans affecter les dépenses en capital ni celles qui sont affectées aux missions régaliennes de l'Etat.
Cette solution est la seule qui soit à la portée du Parlement, celui-ci ne disposant pas, comme l'exécutif, des instruments d'expertise et de synthèse budgétaires qui permettent l'ajustement des économies par chapitre. Celles-ci seront donc adoptées par titre.
Quels sont les éléments contestables de la politique du Gouvernement ?
Trois politiques méritent de faire l'objet d'une vive contestation de la part du Sénat, dans l'optique que j'indiquais au début de mon propos, à savoir l'avenir de la France et l'avenir des jeunes.
La première politique contestable est celle de la fonction publique.
Comment ne pas s'inquiéter de voir notre pays emprunter une voie exactement opposée à celle de ses concurrents ?
Avec le quart de ses emplois occupés par des fonctionnaires, la France se retrouve leader européen en la matière.
De 1973 à 1996, la France aura créé 1 600 000 emplois publics et détruit quelque 600 000 emplois dans le secteur privé.
Parallèlement, depuis 1987, les emplois publics auront diminué de 22 % en Angleterre ; l'Allemagne en aura supprimé 250 000 et les Pays-Bas les auront réduits de 0,4 % par an.
Comment s'obstiner au point de ne déceler aucun lien entre la montée du chômage et la progression des emplois publics ?
Comment rester sourd aux mises en garde successives faites par des experts ? Sans même parler de M. Choussat, je citerai M. Jean Picq : « L'Etat ne connaît pas le nombre de ses fonctionnaires ». Je citerai également M. Alain Minc : « La fonction publique a le choix entre évoluer aujourd'hui avec intelligence ou subir demain un séisme statutaire ».
M. Gérard Delfau. C'est un expert en faillites !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Non, décidément, il ne sera pas possible de rendre la France compétitive, conquérante, si une grande partie de son potentiel humain reste confiné dans un système étatique ancien, antérieur à l'ouverture de nos frontières. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Mme Hélène Luc. Monsieur Lambert, nous aurions aimé vous l'entendre dire plus tôt !
M. Alain Lambert, rapporteur général. La deuxième politique contestable est celle de l'emploi.
Mes chers collègues, le fléau du chômage, avec son cortège de drames humains, est insupportable, et tout le monde en est d'accord.
Evitons néanmoins que notre hâte, que notre aspiration sincère à mettre fin à cette situation ne nous conduisent à empiler chaque année des mesures nouvelles qui, par leur coût et leurs effets pervers, aggravent encore le mal.
Comment ne pas remarquer que la courbe des dépenses affectées à l'emploi est sans effet sur la courbe du chômage ?
Le moment n'est-il pas venu de dire non à la création de nouveaux emplois publics ?
Le temps n'est-il pas venu pour nous de dire clairement que la politique préconisée par le Sénat, c'est : moins d'emplois publics, pour plus d'emplois privés ; moins de dépenses publiques, pour moins d'impôts sur le travail ; moins de lois, moins de réglementations, pour moins de rigidité du marché du travail ?
Le moment n'est-il pas venu de dire au pays que la politique pour l'emploi traduit un arbitrage sournois au bénéfice de ceux qui ont un emploi contre ceux qui n'en ont pas ?
Qui aura le courage de dire au pays, sinon le Sénat, que chaque relèvement du SMIC, pour favorable qu'il soit à ceux qui travaillent, éloigne, chaque fois davantage de l'accès à l'emploi ceux qui n'en ont pas ?
Qui osera dire que la France est, dans bien des secteurs, plus robotisée que le Japon, parce que le coût du travail peu qualifié y est excessif ?
M. Gérard Delfau. Il fallait y remédier !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Mes chers collègues, la politique du Gouvernement en matière d'emploi n'est pas celle qui permettra à la France de réussir son ouverture, l'ouverture de son économie sur le monde, celle qui offrira un avenir aux jeunes. Cette politique ne peut être la nôtre !
M. Claude Estier. C'était celle de M. Juppé !
M. Alain Lambert, rapporteur général. La troisième politique qui me paraît contestable concerne l'éducation nationale.
En ce domaine, pourquoi ne pas tout simplement suivre M. Christian Sautter lui-même, qui, dans son livre La France au miroir du Japon,...
M. René Régnault. Bonne lecture !
M. Alain Lambert, rapporteur général. ... dont je vous recommande la lecture, préconise de « diminuer les effectifs de l'Etat, en ne remplaçant qu'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, au motif que nous avons bien assez de fonctionnaires pour assumer les tâches traditionnelles et prendre en charge les responsabilités nouvelles » ?
MM. Charles Descours et Philippe Marini. Bravo !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Vous pouvez en effet applaudir, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Ivan Renar. Allez les choeurs !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il est vrai aussi qu'il assortit sa proposition d'une mise en garde dont je n'ai sans doute pas assez tenu compte : « Quiconque suggérerait qu'en raison de l'évolution démographique il serait sage de diminuer le corps des instituteurs et des professeurs de collège pour accroître le nombre d'enseignants dans les lycées ou dans l'enseignement supérieur se ferait critiquer de tout côté. »
Eh bien, monsieur le secrétaire d'Etat, chiche !
J'en arrive à ma conclusion.
La politique traduite dans le budget qui nous est présenté aurait pu légitimement justifier un rejet du Sénat. Mais c'eût été priver ce dernier de la possibilité de proposer des solutions alternatives souhaitables et possibles.
Aussi, mes chers collègues, la commission des finances vous proposera-t-elle d'adopter un budget corrigé, comportant les ajustements nécessaires.
Ce faisant, le Sénat fera apparaître les vrais enjeux ; il proposera une autre politique, une politique qui marque la volonté que la France reste un grand pays, la quatrième puissance industrielle du monde.
Non, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le Sénat ne vous suivra pas dans ce qu'on appelle à tort « l'exception », mais qui n'est que « l'illusion » française.
M. Daniel Goulet. Très bien !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Non, mes chers collègues, n'engageons pas notre jeunesse dans cette voie sans issue de l'exception française.
Comme nous avons pu le constater lors des journées mondiales de la jeunesse, les jeunes n'ont pas peur. Ce sont nos générations qui ont peur. Les jeunes, eux, ont l'audace et le courage pour inventer l'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Ils ne se font aucune illusion sur le mirage des « droits acquis », car ils savent que ces droits sont « acquis » contre eux.
La France sait, au fond d'elle-même, qu'il lui faut se réformer. Elle en a le génie. Mais encore faut-il que ses gouvernements abandonnent leurs mauvaises habitudes, à savoir dépenser plus et donc imposer plus, reporter les déficits sur les générations futures, freiner le dynamisme des entreprises et pratiquer la traque fiscale sur les plus courageux de nos compatriotes, au risque de les encourager à fuir à l'étranger.
La politique préconisée par la commission des finances vise à donner à la France et aux Français l'ambition, l'envie d'entreprendre, à donner à notre jeunesse l'envie de partir à la conquête du monde, non pour imposer un modèle économique périmé, mais pour éclairer le chemin, non pas celui de l'exception, mais celui de l'identité française, cette identité qui sait concilier performance et cohésion, efficacité économique et harmonie sociale, cette identité qui saura faire partager à l'Europe et au monde une des valeurs essentielles de notre République, à savoir la primauté et la dignité de la personne humaine. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à l'orée du troisième millénaire, la France doit rompre définitivement avec toute tentation de rester immobile dans un monde en révolution.
La France doit vaincre sa propension naturelle à fuir la réalité, combattre sa tendance spontanée à se réfugier dans une prétendue singularité - la trop fameuse « exception française » - et lutter contre son aptitude éprouvée à rechercher, lorsqu'elle se trouve confrontée à des difficultés, des boucs émissaires pour justifier ses atermoiements et ses peurs.
La mondialisation induite par la victoire du marché, accélérée par l'ouverture des économies et amplifiée par l'explosion des nouvelles technologies de l'information constitue, à l'évidence, un phénomène inéluctable, irrésistible et surtout irréversible.
Plutôt que de diaboliser cette nouvelle donne économique, notre pays doit se préparer à l'affronter pour, en quelque sorte, l'apprivoiser, en tirer parti et renouer de manière durable avec la croissance.
Au-delà des différences dans nos sensibilités politiques, en demeurant bien légitimes dans une démocratie, c'est notre devoir et notre honneur de femmes et d'hommes politiques que de promouvoir une pédagogie du réveil, du sursaut et du redressement de la France.
Cette adaptation de la France à son nouvel environnement économique et géopolitique passe, nous le savons tous, par des réformes structurelles dont la conception et l'application exigent de tous, sans exception, du courage et de la détermination.
A mes yeux, le prélude à cette indispensable mutation de notre pays réside, d'une part, dans l'urgente nécessité de « dégraisser le mammouth » que constitue l'Etat et, d'autre part, dans l'ardente obligation de réussir l'euro, qui devrait faire de l'Union européenne un bouclier contre les excès de la mondialisation. (Applaudissements sur quelques travées du RPR ainsi que sur les travées de l'Union centriste.)
M. Xavier de Villepin. Très bien !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est à l'aune de ce double impératif catégorique, la réduction des dépenses publiques et la réussite de la monnaie européenne, que je voudrais, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, porter une appréciation, la plus objective possible, sur votre projet de budget.
Mais auparavant, monsieur le ministre, je tiens à saluer l'habileté médiatique dont vous avez fait preuve lors de la présentation de ce budget.
M. Josselin de Rohan. Il est bien placé ! (Sourires.)
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Par la magie du nombre trois, érigé pour l'occasion en nombre d'or - 3 % de croissance, 3 % de déficit - et par le prompt renfort de prélèvements supplémentaires, un budget réputé infaisable s'avère un exercice aisément surmontable, presque un jeu d'enfant ! Le parcours du combattant s'est transformé en une promenade de santé ! (Sourires.)
M. Roland du Luart. Pas pour le contribuable !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Cela mérite que nous y réfléchissions. Comme disent les paysans de chez moi, il y a là quelque chose qui n'est pas très clair. Mais ainsi qu'on l'a sussuré, les contribuables vont bientôt découvrir ce qu'il en est exactement.
M. René Régnault. Certains contribuables !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Comme vous le savez, monsieur le ministre, la commission des finances est très attachée à la réduction des dépenses publiques ; M. le rapporteur l'a rappelé avec force, persuasion et compétence dans son excellente intervention.
Nous sommes en effet persuadés que la croissance molle que connaît la France depuis le début des années quatre-vingt-dix trouve son origine dans l'excès de nos dépenses publiques, qui asphyxie notre économie.
Lourdes au point de représenter 55 % du produit intérieur brut, les dépenses publiques ne peuvent qu'alimenter les prélèvements obligatoires, nourrir les déficits, grossir l'endettement de l'Etat, gonfler la charge de la dette, restreindre les marges d'action des gouvernements et hypothéquer l'avenir de nos enfants et petits-enfants. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Les Français doivent savoir que le montant des prélèvements obligatoires opérés sur leurs revenus, soit 46 % du produit intérieur brut, excède de près de quatre points la moyenne des pays de l'Union européenne. C'est, à l'évidence, un handicap.
Cet écart équivaut - on ne le sait pas assez - à une ponction supplémentaire, à un surcroît de prélèvements de plus de 300 milliards de francs par an.
M. Roland du Luart. Et l'on s'étonne que la croissance soit molle !
M. Michel Moreigne. Mais vous en êtes largement responsables !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Pour ma part, je ne peux m'empêcher d'effectuer un rapprochement entre ce triste record en matière de prélèvements obligatoires et le niveau de notre chômage, qui est supérieur de deux points à la moyenne européenne.
M. Michel Sergent. Et l'augmentation de la TVA ? C'est vous !
M. René Régnault. C'est votre héritage !
M. Claude Estier. Tout cela, il fallait le dire l'année dernière !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. A un niveau aussi exorbitant, les prélèvements obligatoires...
M. René Régnault. Ils sont la conséquence de la politique que vous avez conduite et qui a été sanctionnée !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. ... étouffent l'initiative privée, démotivent les forces vives de la nation et poussent les jeunes talents à l'exil, ce qui est encore plus grave pour l'avenir de notre pays.
M. Charles Descours. Eh oui !
M. Philippe Marini. Même M. Attali le dit !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Les Français doivent également savoir qu'en 1998 l'Etat consacrera près de 100 milliards de francs, sur les centaines de milliards qu'il empruntera, à la couverture d'une partie de ses dépenses de fonctionnement.
Mes chers collègues, Maastricht ou pas Maastricht, l'entreprise France ne peut plus continuer à vivre au-dessus de ses moyens et tenter de survivre à crédit.
Il est donc impératif de réduire les dépenes publiques. Telle est la démarche que, dans l'intérêt du pays, devra emprunter, bon gré mal gré, tout gouvernement. Cette cure d'amaigrissement permettra d'alléger la pression fiscale, de libérer l'initiative privée et de rapprocher la croissance de notre économie de son rythme de progression potentiel, afin de faire, enfin, reculer le chômage.
Or, sur le front de la maîtrise des dépenses publiques, ce projet de budget nous semble, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, faire preuve de trop de timidité.
En effet, les charges de l'Etat augmentent plus rapidement que l'inflation, alors que le gouvernement précédent avait, lui, procédé à leur gel.
Pour les dépenses de fonctionnement, la dérive est plus inquiétante, car elles progressent plus de deux fois plus vite que la hausse des prix.
En revanche, les dépenses d'investissement, alors que ce sont elles qui préparent l'avenir, continuent de diminuer. Ainsi, sur un budget d'environ 1 600 milliards de francs, à peine 10 % seront consacrés à l'investissement public, lequel est, au demeurant, pour l'essentiel, assumé par les collectivités territoriales. Cela n'est pas suffisant pour préparer l'avenir.
De plus, le projet de budget comporte des « bombes à retardement ». Tel est le cas, à mes yeux, de l'arrêt du processus de diminution des effectifs des fonctionnaires et, surtout, du début de financement des emplois-jeunes, qui déboucheront inéluctablement sur une intégration dans la fonction publique d'Etat et dans la fonction publique territoriale.
M. Josselin de Rohan. Bien sûr !
M. René Régnault. Vous ne préféreriez tout de même pas que ces jeunes soient au chômage !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il est vrai qu'on ne tire pas sur le père Noël, même si l'on n'y croit plus ! (Sourires.)
Il reste que nous vivons dans un pays où les emplois publics représentent plus du quart des emplois salariés. C'est le taux le plus élevé au sein de l'Union européenne.
En définitive, le Gouvernement s'est contenté d'un service minimum pour se conformer, ric et rac, à l'impératif de bonne gestion d'un déficit public à 3 %.
M. Claude Estier. Ce n'est déjà pas si mal !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Et encore ce résultat minimaliste n'est-il obtenu que grâce à l'excédent de trésorerie - de 0,2 % - dégagé par les collectivités locales et par le renfort d'un recours à l'impôt pour obtenir, et assez rapidement, des recettes supplémentaires.
A cet égard, deux observations s'imposent.
En premier lieu, l'ampleur des prélèvements supplémentaires est masquée par la dispersion des diverses mesures entre le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Au-delà du manque de lisibilité que provoque cet éparpillement, il entraîne une multiplication des intervenants dans le processus d'élaboration et de discussion de la loi fiscale.
Désormais, deux ministères et deux commissions par assemblée, aux logiques et aux cultures différentes - monsieur le ministre, vous ne sauriez me démentir sur ce point - cohabitent pour la confection de la norme fiscale.
Cette parcellisation des tâches ne semble pas constituer un facteur d'efficience législative et il faudra, j'en suis convaincu, revenir sur ce schéma.
En second lieu, le choix des « cibles » mises à contribution témoigne de la rémanence de certaines pesanteurs idéologiques que je croyais rangées dans les oubliettes de l'histoire.
A qui demande-t-on des sacrifices ? Aux entreprises, aux épargnants, grands et petits, et surtout aux désormais fameuses « classes moyennes supérieures »...
M. Jean-Pierre Fourcade. Les « aisés » !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. ... puisqu'on appelle maintenant ainsi les classes moyennes.
Ces dernières sont, en effet, victimes d'un tir groupé avec l'abandon du processus quinquennal d'allégement de l'impôt sur le revenu, la diminution de la réduction d'impôt afférente aux emplois à domicile, la mise sous condition de ressources des allocations familiales et la réduction du montant de l'allocation de garde d'enfant à domicile.
L'objectivité commande toutefois de reconnaître que le projet de budget contient, en revanche, des mesures potentiellement positives. Tel est le cas des dispositions destinées à favoriser l'éclosion et à assurer l'essor des entreprises innovantes, notamment dans le domaine des technologies de l'information, où se situent les emplois de demain.
Cependant, ces mesures ne pourront produire leur plein effet que si leurs aspects positifs ne sont pas contrariés par un environnement fiscal, juridique et culturel globalement défavorable à la création de richesses. On paraît, en quelque sorte, vouloir une chose et son contraire.
Je ne manifeste pas d'hostilité de principe à un basculement des cotisations salariales sur la contribution sociale généralisée, à condition que cette montée en puissance de la CSG s'accompagne d'un allégement de l'impôt sur le revenu, conçu comme un prélude à la réforme de celui-ci.
A maints égards, la CSG constitue un impôt moderne, avec son assiette large, sa mise à contribution de tous les Français et de presque tous les revenus, ainsi que son prélèvement à la source.
Le temps me semble donc venu de faire preuve d'audace fiscale, et je propose de fusionner la CGS et l'impôt sur le revenu pour donner naissance à une nouvelle contribution, dont le socle serait constitué d'une cotisation forfaitaire du type CSG, à assiette élargie, sur laquelle viendrait se greffer une surtaxe progressive.
En définitive, la commission des finances regrette que la solution de facilité du recours à des recettes supplémentaires ait dispensé le Gouvernement d'un réel effort d'économies.
Bien plus, la commission considère que la maîtrise des dépenses publiques passe par la recherche d'économies structurelles, qui ne peuvent résulter que d'une approche nouvelle de la dépense et, surtout, d'une réforme de l'Etat.
A ce sujet, trois pistes doivent être explorées.
Tout d'abord, les dépenses publiques doivent faire l'objet d'une mise à plat et d'une évaluation systématique de leur efficacité. A cet égard, les aides à l'emploi, qui se caractérisent par un phénomène d'empilement, de stratification et de sédimentation, constituent, à l'évidence, une terre d'élection pour l'évaluation. C'est ce à quoi il faudra que les uns et les autres, exécutif et législatif, nous nous consacrions.
Il nous semble pour le moins curieux, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'on rogne sur les crédits alloués à la politique d'allégement du coût du travail peu qualifié dans le secteur marchand sans en avoir évalué au préalable les effets et de surcroît, afin de commencer à financer les emplois-jeunes, qui constituent l'antichambre de l'intégration dans la fonction publique et qui, bien sûr, ne procurent pas de richesses à répartir.
Par ailleurs, il nous paraît indispensable de procéder à une nouvelle délimitation du périmètre d'intervention de l'Etat et à une nouvelle définition de ses modalités d'action. Il s'agit de dépouiller l'Etat des missions dont il s'acquitte si mal, celles d'Etat gestionnaire et d'Etat actionnaire.
Il est donc indispensable de poursuivre jusqu'à son terme le processus de privatisation de toutes les entreprises publiques du secteur concurrentiel, sans s'arrêter au « et, et » - et privé et public - qui a remplacé le « ni, ni » d'hier - ni privatisations ni nationalisations. Cela constitue, en quelque sorte, un prétexte pour nous conduire à l'immobilisme.
En l'occurrence, le Gouvernement doit laisser vivre les fonds de pension, qui, en dégageant une épargne motivée, permettront tout à la fois d'absorber les privatisations et d'assurer la pérennité française de nos principales sociétés industrielles et financières.
Peut-être pourriez-vous nous dire, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, où vous en êtes en ce qui concerne ces fonds de pension, pour lesquels nous attendons les décrets d'application, sauf à modifier le texte initial.
M. Philippe Marini. Ce serait tout à fait opportun !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il s'agit enfin, et surtout - M. le président du Sénat le répète sans cesse, et je reprends son propos - de relancer la décentralisation, qui est au milieu du gué, en ouvrant aux collectivités locales de nouveaux territoires d'intervention.
Bien sûr, ces avancées ne pourront avoir lieu que si l'Etat respecte un code de bonne conduite dans ses relations financières avec les collectivités territoriales.
A ce propos, force est de constater que le projet de budget, qui respecte l'esprit, sinon la lettre, du pacte de stabilité, ne comporte pas de turpitudes pour les budgets locaux. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Gérard Delfau. Quelle objectivité !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Effectivement ! Je vous remercie de le souligner, mon cher collègue ! Vous voyez que l'opposition s'efforce de faire preuve d'objectivité !
M. René Régnault. On fera le bilan !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Si je fais le bilan de l'action passée, je crois que vous aurez des regrets à exprimer !
M. Claude Estier. Tout n'est pas noir !
M. Jean-Pierre Fourcade. Tout n'est pas noir, mais tout n'est pas rose non plus !
M. Josselin de Rohan. C'est un tour de passe-passe !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Toutefois, le projet de budget soulève des interrogations et suscite des inquiétudes.
La principale interrogation porte sur le mécanisme de remplacement du pacte de stabilité, qui arrive à échéance à la fin de l'année 1998.
Je souhaite que vous nous indiquiez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, comment vous allez construire le prochain pacte de stabilité, si toutefois vous avez l'intention de maintenir un pacte de stabilité entre les collectivités locales et l'Etat.
L'inquiétude majeure concerne l'avenir de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales...
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. ... et le devenir de la cotisation patronale après le sursis qui a été accordé, sursis destiné à assurer le succès du plan emplois-jeunes.
M. Josselin de Rohan. Des élections aussi !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. D'après les informations que nous avons pu recueillir, au terme de l'exercice 1998, après la ponction effectuée sur les crédits de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales au bénéfice de la compensation démographique et après la réduction des actifs par rapport aux retraités, nous risquons de nous trouver en présence d'un déficit d'environ 3 milliards de francs, ce qui conduira tout naturellement à une augmentation des cotisations patronales.
Le second élément auquel il convient de se référer pour porter une appréciation sur ce projet de budget, c'est dans son degré de contribution à la réussite de l'euro.
En effet, un fonctionnement harmonieux et efficace de l'union monétaire européenne repose sur une convergence fiscale et sociale pour conjurer le risque d'une concurrence stérile entre les pays membres de l'Union européenne. Prenons garde aux délocalisations intra-européennes, faute d'avoir harmonisé les régimes fiscaux et sociaux !
Or, dans cette nouvelle donne européenne, qui constitue une nouvelle frontière, la France est, à l'évidence, handicapée par un coût du travail plus élevé que dans la plupart des pays européens et par le poids des prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises.
La France doit donc relever le défi de sa compétitivité fiscale et sociale.
Au regard de cet impératif, le projet de budget s'apparente davantage à un budget de résignation à l'euro qu'à un budget de préparation de notre pays à ladynamique de l'euro. En effet, loin de promouvoir l'indispensable convergence fiscale, le budget organise, au contraire, la divergence.
C'est ainsi que le Gouvernement a choisi de relever le taux de l'impôt sur les sociétés au moment même où le libéral de gauche qu'est Tony Blair préfère, lui, le baisser. La décision du Gouvernement français sera lourde de conséquences, car elle risque de prolonger la panne de l'investissement des entreprises, de différer le retour de la croissance et de rendre virtuelle l'hypothèse des 3 % sur laquelle il a bâti son projet de budget pour 1998.
En outre, le vieillissement de l'appareil productif ne pourra manquer d'entraîner un retard technologique, qui se traduira par la fabrication de produits moins performants.
Ce phénomène d'obsolescence induira, à terme, des pertes de parts de marchés, alors que l'exédent commercial dégagé par la France représente, depuis 1992, le principal, sinon l'unique, moteur de notre faible croissance.
La compétitivité de nos entreprises ne pourra, en outre, qu'être affectée par les trente-cinq heures, qui renchériront les coûts de production, si cette réduction de la durée hebdomadaire du travail est imposée de manière autoritaire et uniforme, sans négociation décentralisée et sans répartition équitable de sa charge entre l'Etat, les entreprises et les salariés.
Enfin, l'abandon du processus quinquennal d'allégement de l'impôt sur le revenu, le relèvement du taux de l'impôt sur les sociétés et l'alourdissement de la fiscalité de l'épargne constituent trois séries de mesures qui alimentent l'instabilité de la règle fiscale.
Cette insécurité, qui s'accompagne parfois d'effets « économiquement » rétroactifs, est condamnable : elle brouille les choix des agents économiques, qu'elle incite à l'attentisme, et elle risque de dissuader les investisseurs étrangers, qu'elle invite à la prudence.
Le monde évolue rapidement, mais la France semble prendre son temps. Elle musarde et s'offre même le luxe d'aller à contre-courant de ses partenaires européens, comme dans l'aventure des trente-cinq heures.
C'est précisément pour appeler l'attention de nos concitoyens sur les risques lénifiants et anesthésiants de ce budget que la commission des finances a décidé de proposer au Sénat d'infléchir, de corriger le projet de loi de finances dans le sens de ses préoccupations, en cohérence, je le rappelle, avec ses propositions des années précédentes.
Utilisant toute la mince marge de manoeuvre dont elle dispose, la commission des finances a adopté une démarche qui repose sur ce que j'appellerai trois « commandements » : sanctuariser le montant du déficit budgétaire au niveau fixé par le Gouvernement ; éliminer, dans toute la mesure du possible, les prélèvements fiscaux supplémentaires et préserver le processus quinquennal d'allégement de l'impôt sur le revenu ; enfin, et surtout, geler, en francs courants, le montant des dépenses au niveau atteint en 1997.
Rompre avec le cercle vicieux du toujours plus - toujours plus de dépenses, toujours plus d'impôt - tel est le message que le Sénat souhaite adresser aux Françaises et aux Français.
N'ayons pas peur, mes chers collègues, de défendre avec force nos convictions. La démocratie exige que nos concitoyens disposent aujourd'hui d'une alternative crédible. (M. du Luart fait un signe d'approbation.)
Le Sénat a un devoir d'alerte.
Rappelons à nos concitoyens les exigences du principe de réalité.
Refusons que des utopies généreuses, qui auraient dû rester des slogans à finalité électorale, se transforment en drames économiques et en erreurs historiques.
Tous ensemble - je dis bien « tous ensemble » - luttons pour que la France conserve toute sa place dans le concert des nations libres, prospères et solidaires. (Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Guy Fischer. C'est la lutte finale !
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, sous l'autorité du Premier ministre, Christian Sautter et moi-même vous présentons aujourd'hui, après son examen par l'Assemblée nationale, le premier projet de loi de finances de cette législature.
Il a pour vocation, vous en conviendrez, de traduire, dans les faits et dans les chiffres, les engagements que la nouvelle majorité a pris devant le peuple à l'occasion de la dernière campagne électorale.
M. René Régnault. C'est vrai !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ces engagements concernent principalement l'emploi. C'est en effet notre préoccupation à tous, sur l'ensemble des travées, j'en suis sûr, même si nous n'avons pas tous les mêmes méthodes ou les mêmes propositions pour tenter de porter remède au chômage.
L'emploi est clairement la finalité de la croissance. Toutefois, notre action doit également s'orienter dans une autre direction, celle de la solidarité : la solidarité est un moteur de la croissance, dont nous ne pouvons pas nous passer,...
M. René Régnault. Tout à fait !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... tant il est vrai que notre pays n'est jamais aussi beau et aussi puissant que lorsqu'il est juste.
M. René Régnault. Très bien !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est la raison pour laquelle le projet de loi de finances que nous vous présentons comporte des mesures tendant à la fois à assainir la situation de l'emploi et, parallèlement, à améliorer parfois, à magnifier, lorsque cela a commencé bien avant nous - les différentes composantes qui permettent d'en affirmer la solidarité.
Je souhaite exposer brièvement ce projet devant vous, en formulant cinq remarques.
Premièrement, s'agissant de la méthode, Christian Sautter et moi-même désirons modifier, avec votre accord et avec votre participation, le calendrier un peu traditionnel de la préparation de la loi de finances.
En effet, il nous apparaît que celui-ci est beaucoup trop tardif et qu'il entraîne des débats trop précipités. Tous ceux qui, à la commission des finances, participent ou ont participé dans le passé à la discussion des projets de loi de finances reconnaîtront volontiers que leurs conditions d'examen ne sont pas satisfaisantes ; M. le rapporteur général l'indiquait encore tout à l'heure au début de son intervention.
En outre, cette année, le décalage de quelque huit semaines avec lequel ce projet de loi de finances a été préparé en raison des élections législatives - au demeurant, je ne m'en plains pas, mais le temps de travail s'en est trouvé raccourci - nous a conduits, les uns et les autres, à oeuvrer dans des conditions encore plus difficiles que par le passé.
La proposition que nous formulons n'est pas révolutionnaire. Néanmoins, elle peut améliorer les choses. Elle se résume en trois points.
Tout d'abord, dès le mois de juin, le Gouvernement transmettra aux assemblées une situation des finances publiques sur laquelle, si elles le désirent - je le souhaite ! - les commissions des finances pourront entendre les explications des responsables des finances publiques. Ainsi, un débat aura lieu sur la situation à mi-année et sur la situation prévisionnelle pour l'année suivante.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est ce que demande la commission des finances, monsieur le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'en suis ravi, monsieur le président !
Ensuite, le Gouvernement rendra public, avant la fin du mois de juillet, le cadrage général de la loi de finances qu'il se propose de présenter au Parlement pour l'année suivante, c'est-à-dire le niveau des dépenses, des recettes, et donc du déficit.
Enfin, nous pourrons ainsi déposer, dans les tout premiers jours du mois de septembre, sur le bureau des assemblées, le projet de loi de finances, de sorte que les commissions concernées puissent travailler pendant tout ce mois et mieux s'informer sur le maquis des chiffres évoqué tout à l'heure par M. le rapporteur général.
Seule la difficulté à comprendre parfois certains chiffres peut d'ailleurs expliquer les critiques qui ont été émises et auxquelles je voudrais maintenant répondre !
Ma deuxième remarque a trait, bien évidemment, à la croissance. Celle-ci joue un rôle extrêmement important, surtout pour l'emploi, mais aussi, dans une certaine mesure, moindre il est vrai, pour le budget.
Comme vous le savez, la prévision de croissance sur laquelle a été établi ce budget est de 3 %.
M. Philippe Marini. C'est très optimiste !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est beaucoup par rapport au passé, mais c'est sans doute, encore trop peu par rapport à ce qu'il nous faudrait, et la croissance trop faible des années qui viennent de s'écouler est l'une des causes, même si c'est loin d'être la seule, chacun le reconnaîtra, de l'augmentation du chômage pendant la même période.
Cette prévision de 3 % est jugée par certains trop optimiste. Or, la Commission européenne vient d'estimer que la croissance atteindrait 3,1 % en France, et le Fonds monétaire international, généralement peu soucieux de faire des cadeaux aux gouvernements qui annoncent un taux de croissance, a validé ce taux de 3 %.
Néanmoins, il s'agit, j'en conviens, d'une prévision, et certains peuvent faire observer, à juste raison d'ailleurs, que, depuis l'établissement de celle-ci, certains événements se sont produits. Ceux-ci ne remettent-ils pas en cause le taux annoncé ?
Un événement majeur est notamment survenu ; je veux parler de la crise financière en Asie. Il convient donc de nous interroger ensemble, et je le fais devant vous, sur les conséquences prévisibles à ce jour pour notre taux de croissance de ce qui s'est passé sur les places financières asiatiques.
En réalité, comme chacun peut le pressentir, la crise financière asiatique aura sans doute des conséquences sur le taux de croissance des pays concernés. La croissance très élevée qu'ils enregistraient va certainement être freinée de façon significative durant quelques mois, voire peut-être un an.
Mais, comme vous le savez aussi, la part de nos exportations vers ces pays est assez modeste ; elle varie, selon les pays, entre 3 % et 5 %. Le passage de 8 % à peut-être 3 % ou 4 % du taux de croissance de ces pays n'aura, en fin de compte, que des conséquences assez marginales sur nos exportations. Ne convient-il pas cependant d'en tenir compte ?
Il s'avère que, dans le même temps, l'hypothèse de croissance sur laquelle le budget a été bâti se fondait sur un ralentissement des économies anglo-saxonnes plus important que celui que nous constatons. En fait, ces économies n'ont pas connu de ralentissement. Nous avons même constaté avec surprise que l'économie américaine continuait d'avoir un cycle de croissance extrêmement long. Il en est de même pour nos amis britanniques. Dans ces conditions, ceci compensant cela en termes d'effet direct réel sur la croissance, nous n'avons pas aujourd'hui à modifier notre prévision.
Pour autant, n'y-aura-t-il pas un effet financier en dehors des exportations ? On pourrait l'imaginer, mais un examen attentif de la situation - à cet égard, nous pouvons nous référer à la crise de 1987 - nous permet de constater que, tout comme cette année-là, les pertes enregistrées par les épargnants sur les marchés boursiers ne font que compenser la hausse très rapide enregistrée depuis le début de l'année et que, au total, le bilan reste largement positif.
D'autre part, nous pouvons également constater que la crise de 1987, qui a été pour le moment plus profonde que celle que nous connaissons, n'a pas entraîné, en 1988, bien au contraire, un ralentissement de la croissance.
Il ne convient pas de sous-estimer ce qui se passe sur les marchés asiatiques, mais il ne convient pas non plus pour le moment d'en surestimer l'importance sur notre croissance ni sur celle de nos voisins européens. Je maintiens donc, évidemment avec les réserves d'usage s'agissant d'une prévision, le taux de 3 % qui vous a été annoncé.
M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général, ce dernier avec plus d'inquiétude encore, se sont interrogés sur notre taux de croissance. Je veux croire que leurs questions témoignaient d'une certaine inquiétude et n'étaient pas un motif de réjouissance.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il faut toujours souhaiter le succès de la France !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Telle est mon opinion, et je ne voudrais pas que l'on puisse reprocher au rapporteur général de la commission des finances du Sénat, comme Chateaubriand l'écrivait à propos de Charles X, d'avoir parfois compté les malheurs de son pays au nombre de ses espérances.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je le répète, je ne souhaite que le succès de la France !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'en suis certain, monsieur le rapporteur général, et, dans ces conditions, puisque nous souhaitons tous ici que cette prévision de croissance se réalise, ne laissons pas accroire l'idée que c'est impossible. Nous atteindrons, l'année prochaine, ce taux de 3 %.
M. Roland du Luart. L'ennui, c'est que Bercy se trompe toujours !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Par ailleurs, il faut prendre en compte la réalité. Or, nous constatons que la consommation redémarre : le troisième trimestre enregistre une croissance de 2,7 % par rapport au deuxième trimestre, ce qui est important. Je sais, comme vous, que les statistiques sur la consommation sont assez fluctuantes, mais, enfin, mieux vaut qu'elles soient positives !
Tout laisse donc à penser que nous connaissons bien un redémarrage de la consommation. La politique du Gouvernement a d'ailleurs beaucoup accompagné ce redémarrage de la consommation par différentes mesures concernant le SMIC, l'allocation de rentrée scolaire ou d'autres domaines.
Plus inattendu est le redémarrage plus précoce que prévu de l'investissement. La croissance assez sensible des importations de biens d'équipemement est bienvenue. Les statistiques tendent à prouver - je le dis encore une fois avec les réserves d'usage s'agissant de prévisions - que la reprise de l'investissement pourrait être plus rapide que nous ne l'avions prévu, ce qui laisse à penser, là encore, que notre prévision n'a pas de raison d'être remise en cause.
M. le rapporteur général a déclaré que les mesures proposées à l'Assemblée nationale par le Gouvernement dans le projet de budget, en ce qui concerne notamment la fiscalité de l'épargne, risquaient, de manière paradoxale mais intéressante, de gonfler celle-ci alors qu'elle est moins rémunérée en termes nets puisque plus imposée, parce que les épargnants auraient plus besoin d'épargner.
Ce raisonnement que ceux qui connaissent bien ces problèmes ont reconnu trouve son origine dans une thèse développée en 1954 dans la revue américaine d'économie par deux économistes au nom italianisant, Endo et Modigliani, thèse selon laquelle, contrairement à une idée courante, l'épargne est d'autant plus abondante qu'elle est mal rémunérée.
Cette thèse est intéressante et je salue là, d'ailleurs, la référence implicite de M. le rapporteur général. Malheureusement, force est de reconnaître qu'elle n'a jamais été vérifiée dans les faits et que, beaucoup plus traditionnellement, les Français épargnent seulement quand leur placement rapporte.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Nous dresserons un bilan dans un an !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Dans ces conditions, la fiscalisation accrue de l'épargne, sur laquelle je reviendrai, tendrait plus à accroître la consommation qu'à la diminuer.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Ou alors les épargnants délocalisent leurs placements !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est un autre sujet, monsieur le président, mais vous avez raison et nous pourrons y revenir. En tout cas, je ne crois pas beaucoup à la thèse de la reconstitution de l'épargne.
Pour conclure sur la croissance, je dirai que, bien évidemment, nul ne peut garantir un taux de croissance. J'entendais tout à l'heure un sénateur dire que Bercy s'est souvent trompé. Certes ! Mais peut-être m'autoriserez-vous à dire que, parfois, le Sénat aussi ! (Sourires.)
En tout état de cause, l'expérience la plus récente n'est pas mauvaise, car la prévision de croissance établie pour 1997 par les mêmes services mais sous un autre gouvernement se réalisera. Espérons donc que l'habileté dont ont fait preuve les fonctionnaires des finances dans les prévisions pour 1997 ne sera pas démentie par leur analyse pour 1998.
Le troisième point que j'aborderai, après la méthode et la croissance, concerne le déficit. Celui que nous vous proposons dans ce projet de loi de finances s'élève à 3 %. Je ne sais, monsieur le président, si le chiffre 3 a un caractère magique, mais les mathématiciens savent bien qu'il a des propriétés particulières. En tout cas, nous ne l'avons pas choisi.
Ramener le déficit à 3 %, contrairement aux affirmations que je viens d'entendre était une opération délicate. En effet, il est apparu en milieu d'année, grâce à la fois à l'audit des finances publiques réalisé par MM. Bonnet et Nasse, auquel on a fait référence tout à l'heure, et aux déclarations faites par le Premier ministre sortant au nouveau Premier ministre - chacun les connaît puisqu'elles ont été publiées par la presse - que le déficit serait plutôt situé entre 3,5 % et 3,7 %.
Revenir à un déficit de 3 % n'était pas nécessairement une opération simple, d'autant que ce taux, vous le savez comme moi, doit être augmenté de 0,4 à 0,5 point du PIB en raison du versement de la soulte de France Télécom. Par conséquent, il s'agissait de faire passer le déficit de 4 %, et non de 3,6 %, à 3 %.
Certains ont parfois mis en doute le travail accompli par les fonctionnaires de la Cour des comptes. Je ne pense pas que ce soit le cas de l'un d'entre vous et l'esprit républicain qui prévaut dans notre société veut que, fort heureusement, les fonctionnaires sont rarement critiqués. Certains avaient peut-être cette tentation, mais, en tout cas, nul ne mettra en doute les déclarations de M. Juppé.
Nous avions donc, quelles que soient nos sources, la certitude, au milieu de l'année, que le déficit réel était de l'ordre de 4 %.
Nous voulons le ramener à 3 % pour deux catégories de raisons.
La première, qui a été évoquée par les orateurs précédents, a trait à nos engagements européens. Oui, il est vrai que nous voulons faire l'euro parce que nous avons une certaine idée de la France, selon laquelle la souveraineté que nous aurons du point de vue monétaire, et qui sera partagée avec nos partenaires autour d'une monnaie devenue unique, vaut mieux qu'une apparente souveraineté sans partage lorsque notre monnaie n'est gérée que par nous et que nous savons bien, en réalité, à quel point elle est dépendante d'autres décisions.
M. Jacques Genton. Très bien !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous voulons faire l'euro parce que nous avons aussi une certaine idée de l'Europe, selon laquelle ce grand continent a sa place. Par conséquent, les efforts qui ont été entrepris jusqu'à maintenant et qui se poursuivent pour lui donner un marché unique, un marché intérieur sans frontières, une normalisation industrielle, doivent porter leurs fruits. Ceux-ci ne seront véritablement à notre disposition que si nous détenons le dernier élément qui complète le marché unique, à savoir une monnaie pour tous.
La monnaie unique permettra aux entreprises, notamment aux plus petites d'entre elles, d'éviter les risques de change - les petites et moyennes entreprises n'ont pas les moyens de gérer leur trésorerie en devises. Elle permettra aussi d'éviter les dévaluations compétitives, dont nombre de nos secteurs ont souffert, au cours des dernières années, parce que tel ou tel pays de l'Union européenne recourait à cet artifice pour rendre ses exportation plus compétitives. Elle présentera donc beaucoup d'avantages pour nos entreprises, comme pour nos concitoyens.
Enfin, vous voulons également l'euro parce que nous avons une certaine conception du monde, selon laquelle l'Europe n'est pas appelée à jouer les rôles de second rang.
Si nous voulons que notre continent dispose d'un moyen d'intervention économique, d'une présence monétaire sur la planète qui lui permette non pas de combattre mais de contrebalancer la puissance des Etats-Unis d'Amérique et du dollar, nous devons disposer ce cet instrument monétaire, sinon nous renonçons, pour une durée que je ne peux pas évaluer,...
M. Roland du Luart. C'est vrai !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... à faire entendre sur la scène économique du monde la voix de l'Europe.
Voilà pourquoi nous voulons que la monnaie unique se réalise. Il faut, à cette fin, vous le savez comme moi, remplir un certain nombre de critères et force est de reconnaître - je le dis sans esprit polémique - que la situation que nous avons trouvée après les élections disqualifiait la France.
Il fallait donc prendre des mesures. Je reviendrai peut-être sur ce point brièvement tout à l'heure. Ces mesures ont été prises et doivent nous permettre de parvenir à un déficit qui n'excède pas 3 %.
Vous aurez d'ailleurs à examiner, dans quelque temps, le collectif budgétaire que M. Christian Sautter et moi-même vous soumettrons pour boucler cette année et vous pourrez constater que l'effort qui a été entrepris - chose rare dans les annales de la République, en tout cas au cours de ces dernières années - permettra aux dépenses publiques de se situer en fin de compte, en 1997, à un niveau indentique à celui qui a été voté par le Parlement.
Cette situation devrait sembler à tous naturelle, mais nous savons bien que l'exécution des lois de finances a malheureusement donné lieu, année après année, à des dépassements que tous les sénateurs s'accorderont sans doute volontiers à juger inconsidérés. Eh bien, cette année, le collectif que nous vous présenterons sera équilibré, comme l'ont été d'ailleurs les décrets d'avance ! Dans ces conditions, les dépenses nouvelles ayant toutes été financées par des annulations de crédits, vous trouverez bien, au bout du compte, un total de dépenses publiques égal à celui qui a été voté par le Parlement.
Aurai-je la facétie de rappeler que, parmi les dépenses nouvelles qu'il a fallu financer, quelques-unes n'incombaient pas vraiment au nouveau gouvernement et relevaient peut-être parfois d'une certaine sous-estimation des dépenses initiales ? Certaines étaient évidemment imprévisibles : je pense aux opérations militaires extérieures ; c'est bien normal. D'autres étaient tout de même plus prévisibles.
Vous constaterez que 650 millions de francs sont inscrits dans le collectif pour rendre compatibles les charges de l'Etat en matière de retraite des fonctionnaires avec ce qui, évidemment, était calculable dès le début de l'année et qui avait pourtant été omis.
De la même manière, les sommes nécessaires à la réévaluation du traitement des fonctionnaires n'étaient pas toutes présentes. De même, ce que le prêt à taux zéro dit « prêt Périssol » nécessitait a été sous-estimé de quelque 2 milliards de francs, si j'ai bonne mémoire.
Bref, vous trouverez, au total, un ensemble de dépenses que, bonne fille, le nouveau gouvernement solde au nom du précédent. Mais il le solde sans augmenter le total des dépenses. Je pense que tous ceux qui, ici, à l'instar du président de la commission des finances et de M. le rapporteur général, souhaitent une maîtrise des dépenses publiques reconnaîtront l'effort qui a été fait en la matière ! Mais nous y reviendrons lors de l'examen du collectif.
M. Philippe Marini. C'est grâce au contribuable ! (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Non, monsieur le sénateur ! Pendant quelques instants, vous avez dû penser à autre chose. En effet, je ne peux pas imaginer que vous n'ayez pas compris que, lorsque le total des dépenses est le même que celui qui a été voté en début d'année, le contribuable n'a rien à voir dans l'affaire. Ce sont des dépenses en moins qui compensent des dépenses en plus. Cela me semble un équilibre dont vous conviendrez.
M. Philippe Marini. On l'obtient par des recettes supplémentaires !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il n'y a pas de recettes supplémentaires en cause lorsque l'on parle d'une égalité entre le total des dépenses réalisées et le total des dépenses votées ! Cela veut dire que les dépenses nouvelles ont été compensées par des annulations de dépenses.
M. Gérard Delfau. C'est évident !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si vous souhaitez argumenter ainsi sur le déficit, nous y reviendrons tout à l'heure. Reconnaissez avec moi - ou alors, le dialogue devient difficile, si l'on remet en cause les axiomes de l'arithmétique ! - que lorsque la dépense totale est égale à celle qui a été votée, c'est qu'il n'y a pas de dépenses supplémentaires et que, par conséquent, tout ce qui pouvait venir en excédent a été financé par la diminution d'autres dépenses. Jusque-là, il me semble, honnêtement, que la position du Gouvernement est solide.
Seconde catégorie de raisons conduisant à ramener le déficit à 3 % : nous ne pouvons pas continuer, nous tous, quelle que soit notre couleur politique, à avoir un budget dans lequel le service de la dette est passé, en quelques années, d'environ 10 % à près de 20 %, limitant par là de plus en plus, et à terme totalement, les capacités d'intervention de l'Etat.
M. Claude Estier. C'est exact !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. le président Poncelet rappelait tout à l'heure, à juste raison, que l'investissement public est insuffisant. Je n'entre pas dans son raisonnement en disant qu'il aurait pu être beaucoup plus élevé cette année. Je crois que, malheureusement, c'était impossible. Toutefois, je concède qu'il est aujourd'hui insuffisant par rapport aux besoins de notre pays. En effet, chacun le sait, le service de la dette croît fortement et « mange » toutes les possibilités.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il est donc impératif que nous soyons capables de limiter le service de la dette. Or, nous ne pouvons pas raisonnablement espérer le limiter à l'avenir par la baisse des taux, car ceux-ci sont déjà très faibles. Par conséquent, la seule vraie manière pour limiter le service de la dette, c'est de limiter la dette elle-même, et, pour ce faire, il faut limiter le déficit. Il y a là un impératif pour nous tous.
Plus on croit - peut-être pas de la même manière sur toutes les travées - que le budget de l'Etat doit servir au fonctionnement de l'économie et est un instrument dont le Gouvernement doit utiliser chacune des possibilités en faveur de l'économie, plus on doit être favorable à la réduction du déficit pour permettre de dégager de nouvelles marges de manoeuvre.
Ceux qui sont très libéraux - il y en a sans doute parmi vous - peuvent dire : peu importe, laissons le déficit augmenter, laissons le service de la dette exploser, l'Etat ne pourra plus intervenir ; c'est tant mieux, moins il intervient, mieux c'est ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Josselin de Rohan. On ne peut pas raisonner comme cela !
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est une caricature du libéralisme !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est en effet une caricature !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous ne le dites même pas ! S'il y avait des extrêmistes au Sénat, ils le diraient peut-être, mais il n'y en a pas !
En tout cas, je me tourne vers ceux qui, dans cette assemblée, souhaitent, comme moi, que la dépense publique soit efficace au service du pays. Pour cela, il faut que le Gouvernement en retrouve la maîtrise et, pour ce faire, le service de la dette doit diminuer !
Mais on peut aller plus loin. Dans notre pays, la dette publique rapportée au PIB est passée en quinze ans - sous différents gouvernements, de toutes les couleurs ; la question n'est pas de chercher les responsabilités - de 20 % à 57 %. Comparé à celui d'autres pays, ce taux se regarde encore avec une certaine admiration. Certains pays sont à plus de 100 %, mais nous ne sommes pas obligés de nous comparer aux plus mauvais.
Ce qui est important, c'est que ce taux baisse. Nous ne pouvons laisser - et là aussi cela dépasse les clivages politiques (M. le président de la commission des finances fait un signe d'assentiment) - aux générations qui suivent, à nos enfants, à nos petits-enfants, une situation dans laquelle la dette publique augmente, signifiant par là que nous avons financé nos propres dépenses sur des impôts qu'ils devront payer.
Dans ces conditions, je considère que c'est un devoir absolu de l'ensemble de notre collectivité nationale, et donc du Gouvernement qui est là pour la représenter, de se mettre en situation de faire baisser le ratio de la dette publique par rapport au PIB.
Si nous continuons au rythme que nous avons engagé cette année, le ratio de la dette publique par rapport au PIB commencera à baisser en l'an 2000, pour la première fois de notre histoire. Je ne sais quel sera le Gouvernement en place à ce moment-là et je sais encore moins quel sera alors le ministre de l'économie et des finances, mais si, d'aventure, je devais être celui-là, ce serait pour moi - et je pense pour vous qui peut-être voterez le projet de budget, aujourd'hui ou demain - une grande satisfaction de constater que nous aurons rendu, par ce biais-là, à notre pays, un véritable service en faisant en sorte que, autant que faire se peut, chaque génération assume ses propres charges et ne reporte pas sur les générations suivantes des charges indues.
Cela suppose, évidemment, que nous diminiuons notre déficit, et c'est donc une raison qui, pour moi, vaut au moins autant que celle que j'énonçais tout à l'heure.
C'est pourquoi ce projet de budget vous est présenté avec un déficit de 3 %, et, encore une fois, l'effort à faire était considérable compte tenu du dérapage à mi-année et de la disparition de la soulte de France Télécom.
Pour y parvenir - ce sera ma quatrième remarque - nous avons, autant qu'il était possible, maîtrisé la dépense.
J'ai bien entendu les remarques faites par M. le rapporteur général et par M. le président Poncelet. J'en vois quelle est la part naturelle dans une assemblée comme la vôtre. Je considère toutefois que l'effort qui a été fait - jamais suffisant, me dira-t-on, très bien ! - est considérable.
C'est la première fois depuis vingt ans que les dépenses du budget général s'accroissent au même rythme - à vrai dire un tout petit peu moins, mais ne chicanons pas - que les prix, autrement dit que leur croissance en francs constants sera nulle.
M. Alain Lambert, rapporteur général. C'est la deuxième fois !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'espérais que cette remarque qui me donne l'occasion de faire un commentaire (Sourires), ou plutôt deux, que j'aurais peut-être trouvé malvenus - parce que je ne prends pas plaisir à critiquer mes prédécesseurs - si vous ne m'y aviez pas incité. Toutefois, devant une telle provocation, je ne peux que réagir. (Nouveaux sourires.) C'est la deuxième fois, dites-vous, monsieur le rapporteur général, et vous pensez sans doute à l'année dernière.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Nous verrons !
M. Philippe Marini. A l'année 1987 !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je suis moins formel que vous ; il faudrait que je vérifie. Pour être tout à fait honnête, j'avais le sentiment que cela remontait à vingt ans mais peut-être est-ce dix ans.
En tout cas, pour l'année dernière, chacun de vous aura noté - car aucun sénateur ne peut se laisser abuser de cette manière - que la notice explicative du budget de 1997 qui a été diffusée à la presse ne comportait pas les mêmes chiffres que le budget qui a été présenté. Le décalage de 10 milliards de francs qui existait entre les deux pouvait donner le sentiment, lorsqu'on lisait la notice explicative, qu'il y avait effectivement une croissance très faible des dépenses, mais la réalité était un peu différente. Si, d'aventure, certains d'entre vous n'avaient pas fait ce constat à l'époque, je les invite à le faire dans les jours à venir ; c'est toujours extrêmement instructif.
Autre remarque : un calcul qui introduirait les comptes d'affectation spéciale, les comptes spéciaux du Trésor, peut conduire, en effet, à une comparaison qui met à égalité l'année dernière et cette année. Toutefois, nous le savons tous, l'estimation des comptes spéciaux du Trésor est pour le moins aléatoire. Ils peuvent varier d'un jour à l'autre. Dans ces conditions, il est raisonnable de considérer les dépenses réelles du budget.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Nous verrons lors de l'examen des articles !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous verrons à l'arrivée ! Dans ces conditions, je ne retiens même pas ce que je disais tout à l'heure sur la sous-estimation d'un certain nombre de dépenses. En effet, vous pourriez me dire que, cette année, certaines dépenses ont peut-être été sous-estimées. Je ne retiens donc pas cet argument.
La présentation qui a été faite l'année dernière, d'une part, et la volonté de mêler aux dépenses réelles du budget ce qui se passe sur les soldes et les comptes spéciaux du Trésor, d'autre part, font que, lorsque l'on regarde véritablement les chiffres - je suis sûr que vous aurez tous à coeur de le faire - on constate que cette année - je n'en tire pas une gloire excessive, mais cela a été difficile -, pour la première fois depuis vingt ans - quelqu'un a dit 1987, je vérifierai - nous avons une croissance nulle de la dépense en termes réels.
J'ai bien entendu que le Sénat proposait de la rendre nulle non pas en francs constants mais en francs courants. Comme, en francs courants, elle augmente de 21 milliards de francs, à savoir 18 milliards de francs pour l'augmentation de la rémunération des fonctionnaires induite par les procédures existantes et 3 milliards de francs pour l'augmentation du service de la dette, donc deux augmentations qui étaient inévitables, vous proposez de diminuer la dépense de 21 milliards de francs. Nous verrons comment vous les imputez ces 21 milliards de francs.
Vous avez dit tout à l'heure que vous ne disposiez pas de la possibilité de faire une imputation par chapitre. Toutefois, je suis sûr que, au cours de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances, vous aurez à coeur de nous dire, sur tel sujet ou sur tel autre : si nous le pouvions, nous retirerions telle somme.
En effet, 21 milliards de francs, cela ne se trouve pas facilement, mesdames, messieurs les sénateurs. Lorsque l'on veut les retirer, il faut vraiment dire où on les prend.
Au demeurant, pardonnez-moi cette facétie, mais vous vous souvenez sans doute que l'accroissement du budget de 1997 sur 1996 était de 25 milliards de francs. Honnêtement, vous seriez plus crédibles si, l'année dernière, vous aviez empêché cette augmentation. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes. - M. Renar applaudit également.)
Nous avons fait ce qui était en notre pouvoir pour maîtriser la dépense, et d'autres efforts devront encore être consentis. Dans le collectif, vous verrez que, pour 1997, l'effort de maîtrise est de l'ordre de 40 milliards à 50 milliards de francs par rapport à l'estimation de l'audit.
Certes, il n'y a pas de secret : diminuer la dépense de quelques dizaines de milliards de francs par rapport à l'estimation figurant dans l'audit, cela signifie des économies sur certains postes, et ce n'est pas indolore. Néanmoins, on ne peut pas vouloir que les dépenses publiques soient maîtrisées sans qu'aucun budget soit touché. Nous verrons donc dans le détail, budget par budget, quelles décisions ont été prises.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que la dépense publique est par nature mauvaise, au contraire. Je pense cependant qu'elle ne se justifie que quand elle est efficace. Chaque franc que les Français paient au titre de leur impôt doit être employé de la façon la plus efficace possible, et ce qui compte, c'est l'efficacité de cette dépense publique.
Vous ne pourriez, pas plus que moi, je pense, mesdames, messieurs les sénateurs, accepter un budget qui serait deux fois moins important, mais dont la moitié serait gaspillée ou utilisée sans efficacité. Le problème est non pas tellement de savoir si la dépense publique est supérieure ou inférieure de 1 % à celle de nos voisins, mais de savoir si l'utilisation que nous faisons des deniers publics est efficace. De ce point de vue, le débat que nous aurons, je l'espère, tout au long de l'année qui vient pour la préparation du projet de loi de finances pour 1999 nous permettra d'avancer sur cette question de l'efficacité de la dépense publique.
Je conclurai mon propos par une cinquième remarque, en vous priant, mesdames, messieurs les sénateurs, de m'excuser d'avoir été long.
Cette remarque touche, bien entendu, puisque j'ai évoqué le déficit et la dépense, à la fiscalité. Sur ce sujet, le Gouvernement ne croit pas à la théorie du « grand soir fiscal », qui ferait que l'on déposerait d'un seul coup, sur le bureau des assemblées, un gros dossier entouré d'une faveur rose, rouge ou verte (Sourires) , en disant : « Voici la réforme fiscale ! ».
La réforme fiscale est quelque chose qui se fait en continu ; d'autres l'ont engagée avant nous - pas toujours dans les directions qui nous conviennent, mais c'est cela la démocratie. Nous avons donc commencé, à travers ce projet de budget, un début de réforme, et d'autres sujets - j'y viendrai tout à l'heure - devront être abordés plus tard.
Ce début de réforme vise à rééquilibrer les prélèvements sur le travail et le revenu du capital.
Tout à l'heure, M. le président de la commission des finances s'insurgeait contre l'existence d'une loi de financement de la sécurité sociale telle qu'elle existe. Je ne veux pas, du haut de cette tribune, me prononcer pour ou contre, mais je crois me rappeler que cette modification résulte d'un vote des assemblées réunies en congrès, à laquelle la majorité sénatoriale n'a pas dû être absente.
Un sénateur socialiste. Eh oui !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous en prie, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Sur ce point, la commission des finances, dans les travaux préparatoires comme en séance publique, avait émis les plus expresses réserves, au motif qu'il risquait d'y avoir des télescopages préjudiciables aux contribuables. Aujourd'hui, cela se vérifie !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne suis pas en désaccord avec ce qu'a pu penser la commission des finances du Sénat et je regrette que, dans sa sagesse - et dans sa majorité -, le Sénat n'ait pas suivi sa commission des finances.
M. Jean-Pierre Fourcade. Pas moi !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous n'allons pas entamer ce débat maintenant, monsieur Fourcade !
M. Jean-Pierre Fourcade. On ne peut pas toujours revenir en arrière !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certes ! Au demeurant, personne ne propose de revenir en arrière : allons de l'avant !
Mais je ne veux pas m'immiscer dans un débat entre deux éminents sénateurs qui, de surcroît, ont été tous les deux nos prédécesseurs à Christian Sautter et à moi-même. Donc, vous traiterez ce débat à l'intérieur d'un huis clos sénatorial. (Sourires sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Il reste que le rééquilibrage de la pression fiscale entre les revenus du travail et les revenus du capital est une orientation que le Gouvernement souhaitait mettre en oeuvre. Il le fait, et, si je comprends que certains puissent critiquer cette orientation, elle n'en est pas moins sans doute la principale caractéristique de l'évolution de la fiscalité retenue au travers de ce budget.
Une autre caractéristique est le refus de l'aggravation du déséquilibre, déjà trop fort dans notre pays, entre la fiscalité indirecte et la fiscalité directe.
Je voudrais, là aussi sans facétie, relever une contradiction entre le président de la commission et le rapporteur général, d'une part, et le Gouvernement, d'autre part.
J'ai entendu que la commission proposait de diminuer de 21 milliards de francs les dépenses - j'ai dit tout à l'heure quel était mon scepticisme à cet égard - et d'utiliser la ressource ainsi dégagée à poursuivre la baisse de l'impôt engagée par le gouvernement précédent - je ne me trompe pas ? - ... (M. le rapporteur général sourit.)
Vous ne confirmez pas ?... C'est pourtant bien ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur général !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Nous y viendrons lors de la discussion des articles !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous attendez la suite ? Vous avez raison ! (Rires.)
J'ai entendu dans la même déclaration qu'il convenait de poursuivre l'harmonisation fiscale entre les pays européens, car c'était un point important.
Je suis d'accord avec vous sauf que, comme vous le savez, notre pays est celui dans lequel la fiscalité directe est la plus faible et la fiscalité indirecte la plus forte.
M. Michel Sergent. Eh oui !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il faut donc quand même savoir vers quoi nous voulons converger ! Si nous voulons que notre structure de prélèvements en direction des ménages converge vers la moyenne européenne, alors c'est le chemin inverse qu'il faut prendre : il faut diminuer la TVA - ce à quoi le Gouvernement est favorable - et l'obtenir soit par la baisse des dépenses - c'est le mieux, et c'est ce que le Gouvernement veut essayer de traduire dans les budgets à venir - soit par l'augmentation des impôts directs, ce que je ne recommande pas. Mais, à tout le moins, ne baissons pas les impôts directs, car, si nous les baissons, nous nous éloignons de ce que font tous nos partenaires européens.
M. Michel Sergent. Evidemment !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si l'on veut la convergence, on ne peut pas vouloir la réforme Juppé ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. M'autorisez-vous à vous interrompre de nouveau, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Convenez, monsieur le ministre, que, en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, l'harmonisation est intervenue à une certaine époque, mais que l'on s'en écarte aujourd'hui. Le gouvernement précédent en porte peut-être une responsabilité, mais le vôtre davantage, monsieur le ministre, car hier, c'était 10 %, alors qu'aujourd'hui, c'est 15 % en plus.
La fiscalité d'ensemble sur les sociétés représentait hier 33,3 ; aujourd'hui, nous en sommes à 41,6.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous remercie, monsieur Poncelet, de me rappeler ce point. Nous avons déjà eu ce débat à propos du MUFF, mais il mérite d'être repris à l'instant, et j'allais l'oublier.
Cependant, avec la surtaxe de M. Juppé et celle que le Gouvernement vient de mettre en oeuvre, nous serons à 41 %, soit un taux inférieur à celui de l'Allemagne et de l'Italie.
Par ailleurs, la surtaxe de 15 % que le Parlement a votée au titre du MUFF est, comme vous le savez, temporaire ; dans deux ans, elle aura disparu, car vous l'avez votée temporaire. (Murmures sur les travées du RPR.) Or, l'habitude du Gouvernement, vous le constaterez, est de respecter ce que fait le Parlement. Il le fait même pour des dépenses que vous avez votées l'année dernière, sous un autre gouvernement. Dès lors, vous pensez bien qu'il le fera pour ce qu'il a proposé lui-même !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il faut le faire pour la réforme fiscale et pour les réductions qui ont été décidées !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne peux pas vraiment vous garantir que le caractère temporaire vaille autant pour la réforme de M. Juppé, et je ne me souviens d'ailleurs pas qu'à l'époque le Sénat ait refusé de voter cette surtaxe au nom de sa pérennité.
M. René Régnault. Absolument !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Dans ces conditions, reconnaissez que la réforme de cette année a quand même meilleure allure que celle des années précédentes !
M. Josselin de Rohan. Parce que c'est vous qui la proposez ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Pourquoi ne pas supprimer la surtaxe de l'année précédente, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Parce qu'elle est temporaire, monsieur le rapporteur général !
Quoi qu'il en soit, continuez à soutenir le Gouvernement dans son effort sur la dépense et nous pourrons baisser les impôts, y compris, peut-être, la surtaxe de M. Juppé. Mais, ce jour-là, que me direz-vous ? Qu'il ne faut pas la supprimer parce que c'est celle de M. Juppé, ou qu'il faut la supprimer parce que c'est de l'impôt ? Cruel dilemme que nous aurons à examiner plus tard, lorsque les ressources que nous aurons dégagées par la maîtrise des dépenses le permettront.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Les contribuables ne feront pas la différence !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En attendant, il est certain - et j'en terminerai sur ce sujet - qu'il faut tout de même couper la tête à un canard qui court depuis un peu trop longtemps, celui de la hausse des prélèvements.
Lorsque la somme des prélèvements fiscaux est, au bout d'une année, celle qui a été votée par le Parlement en début d'année, je vois mal comment on peut dire qu'il y a hausse des prélèvements. Que certains prélèvements se soient substitués à d'autres, que certains aient moins rapporté que prévu et que d'autres les aient remplacés, certes ; que, éventuellement, ce ne soient pas les mêmes contribuables qui soient touchés et que l'on veuille critiquer cela, c'est tout à fait loisible. Mais, lorsque la masse des impôts ne varie qu'à 2 ou 3 milliards de francs près, alors les prélèvements sont les mêmes.
M. Philippe Marini. La pression fiscale, c'est ce que paient les contribuables ! Que paie chacun d'eux ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certains paient plus, d'autres paient moins !
M. Hilaire Flandre. Allez voir sur le terrain !
M. Philippe Marini. Ce n'est pas une abstraction, la pression fiscale !
M. Roland du Luart. Ce sont toujours les mêmes qui paient !
M. Hilaire Flandre. Nous vous amènerons des feuilles d'impôts !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ce ne sont pas les mêmes qui ont payé !
M. Philippe Marini. Justement !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Oui, justement !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'ai plaisir à cet échange entre sénateurs ! Mais je dois dire que je rejoins plus volontiers ce que j'ai entendu sur ma gauche que ce que j'ai entendu sur ma droite.
M. Philippe Marini. Le contraire vous créerait des problèmes !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pas du tout ! Je sais avoir la même objectivité que M. Poncelet. (Sourires.) Or, en l'occurrence, force est de reconnaître que ce ne sont pas les mêmes. Mais personne n'a prétendu que nous souhaitions que ce soient les mêmes !
M. Philippe Marini. C'est plus pour les entreprises !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce que nous disons, c'est que la pression globale d'ensemble n'a pas augmenté, et les statistiques de l'INSEE le montrent.
Certes, au sein de la pression d'ensemble, ce ne sont pas les mêmes qui sont touchés, mais si vous croyez, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, que c'est une critique que vous nous adressez là, vous vous trompez. Nous considérons, au Gouvernement - et, je pense, dans l'opposition sénatoriale - que c'est un compliment que vous nous faites que de nous reprocher d'avoir su ainsi modifier la structure du prélèvement fiscal. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Josselin de Rohan. Notamment sur l'impôt !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pour 1998, la recette fiscale augmente de 3,1 %, tandis que la croissance nominale augmente de 4,2 %. Chacun d'entre vous pourra assez rapidement en déduire que la pression fiscale va diminuer, et il aura raison.
M. Philippe Marini. CSG non comprise ! Vous « saucissonnez » !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. CSG non comprise, en effet. Mais laissez-moi terminer : si vous me « saucissonnez » moi aussi, je ne pourrai plus produire mes arguments ! (Rires.)
Pour ce qui est de la pression fiscale d'Etat, je maintiens les chiffres que je viens d'évoquer. Lorsque l'on introduit ce qui se passe pour la CSG, le constat est que cela ne change pas beaucoup, puisque, comme chacun le sait, la CSG représente pour sa plus grosse masse un transfert de cotisations maladie, ce qui ne change rien au prélèvement total. Mais, comme il ne s'agit que de sa plus grosse masse et qu'il y a un petit prélèvement en plus, M. Marini n'a pas tout à fait tort et, effectivement, la baisse de la pression fiscale que nous pouvons attendre en 1998 n'est pas aussi importante que le laissaient entendre les chiffres que j'évoquais à l'instant. Elle passera cependant - ce sont des chiffres prévisionnels, j'en conviens - de 46 % à 45,9 %.
Vous me direz que ce n'est pas beaucoup. Mais c'est beaucoup mieux que la croissance régulière du taux de pression fiscale depuis quatre ans, qui est passé de 42 % à 46 % dans le budget que vous avez voté l'année dernière, à la même époque.
M. René Régnault. Eh oui ! Cela va dans la bonne direction.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Christian Sautter détaillera devant vous, en dépenses comme en recettes, les priorités qui ont été choisies, et chacun constatera qu'elles sont conformes aux engagements du Gouvernement.
Avant de terminer, je voudrais rappeler à ceux d'entre vous qui voudront bien l'entendre que ce gouvernement n'est en place que depuis six mois. Or, voilà neuf mois, presque jour pour jour - c'était le 21 février, nous sommes le 20 novembre - une rumeur commençait à enfler dans l'ensemble du pays - elle allait devenir une décision - celle de la dissolution.
Lorsque les Français - comme vous, sans doute, et comme moi - se sont interrogés sur les raisons de cette dissolution, nombreuses ont été les hypothèses. L'une a pris force dans l'esprit de nos concitoyens, selon laquelle le budget serait tellement difficile à boucler pour 1997 et à préparer pour 1998 qu'il valait mieux organiser les élections avant qu'après. Les confidences faites par M. Juppé à M. Jospin, lorsqu'il lui a transmis ses pouvoirs, n'ont d'ailleurs fait que renforcer, après les élections, il est vrai, cette impression.
Pourtant, nous vous présentons ce projet de budget sans drame, avec un déficit de 3 %, avec des priorités financées, avec probablement une baisse des prélèvements obligatoires - avec en tout cas une stabilisation - et je ne vois pas ce qu'il y a là de miraculeux. Il n'y a pas de miracle budgétaire dans cette affaire ! Il n'y a pas non plus d'artifices budgétaires, il y a simplement une maîtrise très rigoureuse de la dépense.
M. Josselin de Rohan. Il y a la croissance, aussi. Cela peut aider !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le sénateur, j'avais scrupule à parler trop longtemps, mais puisque vous m'y invitez si gentiment,...
M. Josselin de Rohan. Mais oui : je vous écoute sans me lasser !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... je vais me livrer à un petit calcul que vous aurez le loisir de vérifier.
L'année dernière, vers février-mars, les prévisions de croissance établies par l'administration s'élevaient à 2,7 %. Aujourd'hui, j'estime cette croissance à 3 % - vous me dites que c'est trop optimiste, mais là n'est pas le débat - et je prévois donc un supplément de croissance de 0,3 %, ce qui équivaut à 24 milliards de francs de PIB puisque, vous le savez, le point de PIB peut être évalué à 80 milliards de francs. Or, il faut savoir que cette hausse de 24 milliards de francs du PIB représente, dans la mesure où le prélèvement de l'Etat est grosso modo de 15 %, près de 3 milliards de francs de recettes fiscales supplémentaires. Et encore, je le voudrais bien car, comme vous le savez, une part du PIB provient de l'exportation et l'exportation ne rapporte pas de TVA.
Comme vous le savez aussi, une bonne part de notre système fiscal voit ses recettes assises sur l'activité de l'année précédente. L'impôt sur le revenu, ou encore l'impôt sur les sociétés, se fondent sur l'activité de l'année passée. La croissance de 1998 n'a donc rien à voir avec les recettes de 1998. Pour 1999, vous aurez raison, mais pour 1998 le supplément de croissance rapportera, selon les calculs du ministère des finances, environ 1 milliard de francs de recettes fiscales supplémentaires. Vous voyez que nous sommes loin de la cinquantaine de milliards de francs qu'il a fallu trouver !
C'est donc bien la maîtrise des dépenses et non pas la croissance qui est à l'origine du résultat que nous vous présentons.
J'ai cité beaucoup de chiffres, je m'en excuse auprès de vous, mais permettez-moi d'en citer encore une série qui, sur le plan économique - mais il n'y a pas, Dieu merci ! que l'économie - me semble illustrer l'histoire de notre pays au cours de ces dernières années.
Chaque année, il est intéressant d'examiner ce qui, dans l'accroissement du produit intérieur brut, c'est-à-dire dans celui de la richesse nationale, est prélevé par le secteur public. Vous trouverez sans doute que ce prélèvement est toujours trop élevé, mais je n'entrerai pas dans ce débat.
En 1994 - je ne remonte pas plus loin - 48 % de l'accroissement de la richesse produite ont été ponctionnés par le secteur public : Etat, sécurité sociale, collectivités locales... Comme le taux de prélèvement obligatoire était, à l'époque, inférieur à 48 %, cet incrément a entraîné logiquement la hausse des prélèvements obligatoires que nous avons connue pendant cette période.
En 1995, ce ne sont plus 48 %, mais 57 % de l'accroissement de la richesse nationale de l'année qui ont été prélevés par le secteur public. Ce chiffre de 57 %, nettement supérieur au taux de prélèvement obligatoire moyen, a conduit à un alourdissement supplémentaire de la pression fiscale.
En 1996, année dont tous les Français se souviennent, que s'est-il passé ? La TVA a augmenté de 2 %, tandis que 89 % de l'accroissement de la richesse nationale ont été prélevés par le secteur public. Et l'on s'étonne que la croissance ait été cassée ! Et l'on s'étonne que les Français aient trouvé insupportable que l'effort supplémentaire fourni pendant l'année ait été intégralement ponctionné par la sphère publique !
En 1997, nous allons revenir à un taux de 57 % ou 58 %.
Mais, en 1998, mesdames, messieurs les sénateurs, nous passerons à 41 %, soit un taux inférieur à celui des prélèvements obligatoires, ce qui est une autre manière de montrer que ce dernier baissera. Pour la première fois, l'incrément sera moindre que la moyenne, et c'est pour cela que le taux de prélèvement obligatoire baissera.
Pour la première fois donc, depuis de nombreuses années, nous sommes à 40 % ou à 41 %, résultat que, sans doute, nous pouvons encore améliorer, mais qui n'avait pas été atteint dans le passé, surtout pas cette fameuse année 1996, de triste mémoire pour les Français, singulièrement pour la majorité de l'époque, qui lui doit pour beaucoup, je pense, son échec électoral subséquent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de budget n'est pas la quadrature du cercle. Il est l'expression de choix difficiles sur les dépenses, d'orientations politiques sur la structure des recettes et de la volonté de s'engager dans une politique budgétaire différente.
Année après année, le Gouvernement vous présentera un budget qui poursuivra dans la même direction.
L'année prochaine, je l'ai dit devant la commission des finances, nous souhaitons travailler sur la fiscalité locale. Si le Sénat et sa commission des finances en sont d'accord, nous travaillerons pendant toute l'année en relation étroite. Certes, au bout du compte, le Gouvernement tranchera, mais nous aurons ainsi tracé ensemble les voies de la réforme de cette fiscalité locale dont chacun s'accorde à reconnaître, sans doute surtout au Sénat, qu'elle mérite quelques aménagements.
Tel est donc le chantier que nous ouvrons pour cette année et sur lequel j'invite la Haute Assemblée à travailler avec nous. De la sorte, maîtrisant la dépense, diminuant le déficit, réformant la structure des prélèvements obligatoires, année après année, le Gouvernement sera en situation de fournir au pays le budget dont il a besoin.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en vous priant de pardonner la longueur de mon propos, je laisse maintenant à M. Sautter le soin de vous donner de plus amples détails sur la structure des dépenses comme sur la structure des recettes. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, laissez-moi vous dire d'emblée l'honneur que j'éprouve à vous présenter, pour la première fois, le projet de loi de finances.
Ainsi que l'a dit à l'instant M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le projet de budget pour 1998 est tout à la fois économe et conforme aux priorités du Gouvernement : priorité à l'emploi et à la création d'activités, priorité aux équipements collectifs, priorité à la solidarité et aux grands services publics de la vie quotidienne.
Ces priorités figuraient dans le projet initial du Gouvernement, mais elles sortent renforcées de la première lecture à l'Assemblée nationale.
Monsieur le rapporteur général - parviendrai-je à vous en convaincre - le projet de budget qui vous est présenté est bien un projet en faveur de la jeunesse, car il donne la priorité à la croissance. Or, la langueur dont souffrait à cet égard notre pays depuis six ans ouvrait peu de perspectives à la jeunesse. C'est donc un projet de budget pour la croissance, pour l'emploi, pour la formation, pour la recherche.
Un budget pour l'emploi, disais-je. Les dépenses en faveur de l'emploi s'élèvent en effet à 156 milliards de francs environ et connaissent une progression de 3,6 %.
Vous vous préoccupez, monsieur le rapporteur général, de l'emploi des jeunes. Nous mobiliserons 8 milliards de francs pour 1998, ce qui devrait permettre à 150 000 jeunes d'accéder non pas à un emploi de fonctionnaire, mais à un véritable emploi d'intérêt général, bien rémunéré et formateur. Cette décision du Gouvernement, qui a été préfinancée pour la fin de l'année 1997, a été saluée par une première réaction très encourageante des élus locaux et de nos concitoyens - les jeunes, leurs parents, leurs grands-parents. Il y a là un progrès à souligner.
Vous avez insisté, monsieur le rapporteur général, sur l'augmentation des dépenses. Fallait-il donc, pour financer ces investissements utiles en faveur de l'emploi des jeunes, tailler dans les dispositifs d'aide aux chômeurs de longue durée, ces personnes qui, en raison de leur âge, de leur handicap, de leur longue inactivité, ont quelques difficultés à retrouver un emploi ? Le Gouvernement a décidé, et il assume ce choix avec une certaine fierté, de conserver ces dispositifs, de façon qu'aucun Français, quel qu'il soit, ne reste au bord de la route.
Le deuxième budget en augmentation est celui de l'éducation nationale. Il s'élève à 334 milliards de francs, en hausse de 10 milliards de francs, soit 3,1 % de plus que l'année précédente. On relève la création de 1 537 postes budgétaires, dont 1 354 dans l'enseignement supérieur. Ces créations sont indispensables pour assurer le bon fonctionnement de nos écoles et de nos universités, pour renforcer notre capacité d'enseignement et de recherche, pour lutter contre l'exclusion en milieu scolaire et pour familiariser nos jeunes à l'usage des nouvelles technologies.
Dans un exposé particulièrement charpenté, monsieur le rapporteur général, vous avez fait allusion à la fonction publique et, en particulier, à l'éducation nationale. L'administration centrale de l'éducation nationale est, certes, fort étoffée et le ministre compétent a d'ailleurs pour ambition de redéployer sur le terrain un certain nombre de postes budgétaires de l'administration centrale.
J'adopte un instant votre raisonnement : vous souhaitez diminuer de 21 milliards de francs les dépenses de l'Etat prévues dans le projet de budget que nous présentons. J'ai lu dans la presse que vous proposiez de réduire de 10 milliards de francs le budget de l'éducation nationale, mais je vous accorde que vous n'avez pas repris ce chiffre aujourd'hui. Un observateur peu avisé - mais il n'y en a pas ici - dirait qu'il est facile de trouver 10 milliards de francs d'économies sur un total de 335 milliards de francs. Or, ce n'est pas si simple.
Je vous suggère donc plusieurs pistes, que nous pourrons explorer ensemble dans les jours qui viennent.
Si l'on veut diminuer le budget de l'éducation nationale de 10 milliards de francs, on peut, première solution, réduire les effectifs d'enseignants et de personnels techniques de 58 000 personnes. Est-ce ce que souhaite la majorité sénatoriale ? Deuxième solution, on peut supprimer l'ensemble du système des bourses et les aides apportées notamment aux cantines. Cela fait aussi 10 milliards de francs, mais est-ce ce que vous souhaitez ? Troisième solution - il y a peut-être là une piste intéressante -, on peut réduire d'un quart les aides à l'enseignement privé ! Est-ce vraiment ce que vous souhaitez ? (Sourires.)
Enfin, dernière solution qui mérite méditation, on peut transférer aux collectivités locales le fonctionnement et l'équipement de l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur !
D'ailleurs, si, comme vous l'avez dit à juste titre, monsieur le rapporteur général, il ne faut pas toucher aux missions régaliennes, j'estime avec le Gouvernement et, j'en suis sûr, avec la majorité de la Haute Assemblée, que l'éducation nationale est bien une mission régalienne de l'Etat dans notre pays et qu'elle n'a pas à être confiée au secteur privé, comme cela peut se faire au-delà des océans.
Ces solutions esquissées et ces questions posées, nous somme impatients, M. Strauss-Kahn et moi-même, de débattre des 21 milliards de francs d'économies que vous allez suggérer !
M. Alain Lambert rapporteur général. Je n'ai jamais parlé de 10 milliards de francs !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Si vous ne les prenez pas sur l'éducation nationale, vous les prendrez ailleurs. Mais nous aurons l'occasion d'en discuter.
Mme Hélène Luc. Monsieur le rapporteur général, vous vous plaignez chaque année de la faiblesse des crédits. Où allez-vous trouver ces économies ?
M. Jean Chérioux. Votre catalogue est bien choisi, monsieur le secrétaire d'Etat, mais on ne peut pas dire qu'il soit sans arrière-pensées !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. On a le catalogue que l'on peut, monsieur le sénateur !
Ce projet de budget consacre une vraie progression des dépenses en faveur de la recherche. L'enveloppe allouée au budget civil de recherche et de développement technologique, qui atteint 53 milliards de francs, progresse de 6,2 %. Est-ce une dépense inutile, alors que l'on sait qu'aux Etats-Unis - référence qui n'est pas mauvaise en la matière - la conjugaison de financements d'Etat et de financements privés pour la recherche industrielle est une source de compétitivité ?
Je n'aurai garde d'oublier, dans ce projet de budget, les dispositions visant à aider à développer les activités des entreprises petites et moyennes, qui sont les principales créatrices d'emplois, comme il est facile de le constater.
A cet instant, je souhaite m'élever contre certaines affirmations que l'on peut lire ici ou là et auxquelles M. Poncelet a fait écho quand il a parlé d'exil. Il est très important - c'est un point sur lequel nous pourrons, me semble-t-il, être unanimes - que la « natalité » d'entreprises en France, particulièrement dans le domaine des hautes technonologies, progresse par rapport à ce qu'elle a été dans un passé récent ou lointain.
Aussi avons-nous prévu deux dispositions pour encourager fiscalement les créateurs d'entreprises. Il s'agit, d'une part, de bons de souscription d'actions bénéficiant d'un régime fiscal favorable, d'autre part, de la possibilité offerte à ces créateurs d'entreprise de différer l'imposition des plus-values qu'ils pourraient réaliser lorsqu'ils vendent une entreprise qu'ils ont lancée avec succès, dans le cas où les sommes sont réinvesties dans des entreprises dynamiques.
Je mentionnerai également l'institution d'un crédit d'impôt-emploi de 10 000 francs par emploi supplémentaire créé, dans la limite de cinquante emplois chaque année. Voilà une mesure qui favorise les PME et qui pourrait « diffuser » sur l'ensemble du territoire.
A la suite d'objections sévères formulées par Bruxelles, nous avons pris des dispositions importantes en faveur des petites entreprises du textile, de l'habillement, des cuirs et peaux, secteurs d'activité auxquels, je le sais, vous êtes nombreux à être attachés. Sachez que le Gouvernement partage votre préoccupation.
Après avoir insisté sur l'importance des mesures fiscales et des dépenses en faveur de la croissance, je rappelle que ce projet de budget est aussi consacré à l'investissement collectif.
M. Poncelet a déploré, à juste titre, la diminution des investissements civils. Je pense que nous aurons l'occasion de constater que, tous financements confondus - moyens budgétaires et comptes d'affectation spéciale -, ces investissements civils progresseront l'an prochain, c'est une bonne nouvelle, de 5,6 % en autorisations de programme et de 2,4 % en crédits de paiement. J'ajoute que ces investissements supplémentaires seront principalement consacrés aux transports, notamment les transports collectifs, au patrimoine culturel ainsi qu'à la justice.
Par ce projet de budget, nous cherchons à renforcer la solidarité entre les Français car, M. Strauss-Kahn l'a dit, le développement de notre pays repose sur sa cohésion. Le projet de loi de finances pour 1998 comporte donc ces dépenses à finalité sociale auxquelles M. le rapporteur général a fait allusion ; il conforte le budget de la santé, de la solidarité, de la ville - ces budgets augmentent de 3,1 % - et reprend une tendance à la hausse des aides personnalisées, qui ont été revalorisées en juillet 1997 et qui vont croître encore en 1998.
Cet accent mis sur la solidarité est maintenant encore plus appuyé, et ce sous l'impulsion de la majorité de l'Assemblée nationale. J'en donnerai deux illustrations.
Tout d'abord, les retraites les plus faibles des actifs agricoles ont été majorées très sensiblement ; il s'agit des conjoints qui ont travaillé sur les exploitations agricoles ou d'aides familiaux qui n'ont pas suffisamment cotisé. A ce titre, 680 millions de francs ont été ajoutés. J'espère que vous confirmerez cette augmentation.
Ensuite, vous trouverez dans le projet de budget d'importantes mesures en faveur des anciens combattants d'Algérie. Là aussi, nous pourrons sans doute facilement nous entendre.
En ce qui concerne la fiscalité, comme M. le ministre de l'économie l'a précisé, nous avons limité les inflexions fiscales en ce qui concerne les entreprises et les particuliers dans le sens d'une plus grande équité, de façon que l'impôt soit payé d'abord et avant tout en fonction du montant des revenus et non pas seulement en fonction d'héritages du passé et, parfois, de l'habileté de tel ou tel.
Le pacte républicain suppose, comme cela figure dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'équité fiscale. Un certain nombre de mesures qui vous sont proposées vont dans ce sens.
Je ne peux toutes vous les présenter aujourd'hui - nous aurons l'occasion d'y revenir - mais j'en détaillerai une : il s'agit de la souscription des parts de copropriété de navires.
Cette mesure était a priori intéressante. Néanmoins, son coût, estimé à quelque 400 millions de francs, s'est finalement élevé à 2 milliards de francs. De plus, contrairement à ce qui était espéré, la construction navale et la marine marchande françaises n'ont pas bénéficié considérablement de cette disposition.
Par conséquent, nous cherchons en la matière une manière de dépenser mieux, tout en soutenant notre construction navale et notre marine marchande.
Il en va de même dans d'autres domaines : je pense, par exemple, à la déduction des investissements réalisés dans les départements et les territoires d'outre-mer.
Sur ce point, si le principe d'un investissement privilégié dans les DOM-TOM est bon, il faut cependant accroître le rendement en termes d'emplois. C'est pourquoi l'agrément prévu par la loi sera délivré véritablement en fonction de l'impact effectif sur l'emploi dans les DOM-TOM, impact qui sera contrôlé a posteriori.
De plus, quelques dispositions mineures ont été ajoutées pour éviter que certains contribuables ne profitent de cette loi pour s'exonérer, par exemple, de l'impôt de solidarité sur la fortune. Ainsi, l'Assemblée nationale a conservé le caractère entièrement déductible de l'investissement dans les DOM-TOM, mais a décidé que les déficits d'exploitation ne pourraient être imputés que sur des revenus de même nature.
M. Roland du Luart. Cela vide la disposition de sa substance !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Mais nous aurons l'occasion de reparler de tous ces points.
Il est important de constater que, après la première lecture du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, la part des ménages dans les 14 milliards de francs de recettes supplémentaires est passée de 5 milliards de francs, ce qui était déjà extrêmement modeste, à 2,5 milliards de francs, et ce grâce à des prélèvements supplémentaires limités sur les entreprises, la suppression de la déductibilité des provisions pour licenciements étant la mesure essentielle.
La non-augmentation des prélèvements sur les ménages français, en 1998, permettra à ces derniers de retrouver, après impôt, les hausses de revenus qu'ils avaient avant impôt. L'analyse budgétaire rejoint ainsi l'analyse économique. Je citerai deux chiffres pour bien montrer le contraste : en 1998, nous prévoyons - certains économistes prévoient même davantage - une hausse de revenu disponible des ménages, après inflation, de 2,3 %. Or, en 1996, après une formidable ponction fiscale sur les ménages, le pouvoir d'achat des familles françaises avait baissé de 1,6 %, et la langueur de la croissance y trouve facilement une explication.
Ce projet de budget vise également à améliorer la vie quotidienne de tous les Français et à permettre à tous les citoyens ou les résidents de notre pays, où que soit leur domicile - cela fait partie du modèle français et peut-être de l'exception française - d'avoir accès à une même qualité de services collectifs. Il y a là un point important de notre civilisation et il n'y a aucune raison de jeter le service public avec l'eau du bain de la mondialisation !
Pour illustrer ce point, je citerai le budget de la culture, qui est en hausse de 3,7 %, si on laisse l'audiovisuel de côté. S'élevant actuellement à 0,95 % du budget de l'Etat, il atteindra rapidement 1 %, comme la majorité s'y est engagée. Il est important de constater que l'effort de restauration du patrimoine est repris, que la démocratisation de l'accès à la culture est renouvelée : l'éducation artistique va être renforcée et une action en vue de la diffusion de la politique culturelle sur l'ensemble du territoire est entreprise.
Le budget de la justice est également très important pour la vie quotidienne des Français : il est en progression de 4 % avec - c'est vrai, et il ne faut pas, à mon avis, le regretter - 762 créations d'emplois. Je dirai d'ailleurs à M. le rapporteur général que le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, auquel il a fait une allusion bienveillante, supprime, quant à lui, 550 emplois. Nous sommes donc dans une logique de redéploiement des effectifs de fonctionnaires et non dans une logique de progression de ces derniers.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Puissiez-vous être imités.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Les Français sont également attachés à la sécurité, et le budget du ministère de l'intérieur va connaître une croissance de 3,6 %. Faut-il le regretter ? Personnellement, j'assume pleinement le fait que 8 250 agents de sécurité financés grâce à la nouvelle procédure des emplois-jeunes assurent la sécurité aux abords des écoles et rétablissent le droit dans les zones urbaines sensibles. Ce sont, à mon sens, de bonnes décisions, que vous aurez à coeur, j'en suis sûr, de voter lorsque le projet de budget correspondant viendra en discussion devant vous.
Le projet de budget de la défense suit, c'est vrai, les injonctions de M. le rapporteur général, puisqu'il diminue de 2,1 % par rapport à 1997. Toutefois, cette réduction ne remet pas en cause le processus de professionnalisation des armées, qui se poursuit, la création d'effectifs militaires expliquant le chiffre de 6 500 que vous avez cité, monsieur le rapporteur général.
Les moyens de fonctionnement baissent de 1,3 milliard de francs, ce qui est conforme à la réduction du format des armées. Quant à la dotation en crédits d'équipement - nous aurons l'occasion de revenir sur ce point - elle est cohérente avec la poursuite de la réalisation des objectifs stratégiques de la loi de programmation, qu'il s'agisse de la modernisation de nos forces ou de nos capacités opérationnelles.
J'aborderai un dernier point : le projet de budget des collectivités locales, auquel M. le président de la commission des finances a bien voulu faire allusion en disant qu'il ne comportait pas de turpitudes, ce que j'ai pris comme un compliment.
C'est un point important. M. le Premier ministre a effectivement décidé de ne pas majorer, en 1998, les cotisations des collectivités locales à la CNRACL, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales.
Cela dit, le problème de la CNRACL est posé : l'évolution démographique pèse sur cette caisse, et je ne peux évidemment, par fonction et par conviction personnelle, que m'associer à l'appel lancé par M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie à votre Haute Assemblée, en particulier à la commission des finances, pour que nous trouvions ensemble des solutions.
Monsieur Poncelet, vous m'avez interrogé sur la suite donnée au pacte de stabilité. M. le Premier ministre a eu l'occasion de dire, lors du congrès de l'Association des maires de France, que nous chercherions ensemble, par la méthode du dialogue et non par celle de la décision unilatérale, qui avait été employée en 1995, à nouer une convention conciliant les objectifs de l'Etat et ceux des collectivités locales en la matière.
J'ajouterai que l'Assemblée nationale, à la demande de sa majorité - certaines dispositions ont d'ailleurs été adoptées à l'unanimité - a pris trois mesures importantes pour les collectivités locales.
Premièrement, le Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée, le FCTVA, est maintenant accessible immédiatement aux groupements de communes, alors que, jusqu'à présent, seules les communes pouvaient en bénéficier, et ce, avec un retard de deux ans. Il s'agit là d'une disposition coûteuse pour l'Etat, mais la dépense a été inscrite dans le projet de budget.
Deuxièmement, les bases d'imposition sur les propriétés bâties, qui auraient dû rester stables, si l'on avait prolongé la référence, traditionnelle depuis 1981, à l'indice de la construction, progresseront - le Gouvernement, après mûre réflexion, a accepté cette augmentation - de 1,1 %.
Troisièmement, afin de favoriser les zones de revitalisation rurale, revitalisation à laquelle le Gouvernement, comme beaucoup d'entre vous, est attaché, il est prévu, dans le prolongement de la loi d'orientation sur le développement et l'aménagement du territoire, que, désormais, les sociétés voulant reprendre des entreprises en difficulté ou décentraliser des établissements industriels, bénéficieront pendant cinq ans d'une exonération de la taxe professionnelle.
J'ajoute - c'est, je crois, une disposition novatrice - que, lorsque des artisans employant des salariés créeront de nouvelles activités dans ces zones de revitalisation rurale, ils bénéficieront, eux aussi, de l'exonération de taxe professionnelle pendant cinq ans, l'Etat prenant à sa charge la différence.
En conclusion, sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que le projet de budget soumis à votre examen - j'espère d'ailleurs que vous voudrez bien l'approuver - constitue une première étape pour vivifier la croissance, pour renforcer l'emploi et la justice sociale dans notre pays, tout en assurant pleinement nos engagements européens, auxquels nombre d'entre vous sont très fortement attachés.
Ce projet de budget vise à accompagner la reprise de l'activité économique et à redonner confiance à tous ceux qui, dans notre pays, consomment, investissent, embauchent et créent des richesses. Dans cette perspective, il maîtrise les dépenses et stabilise les prélèvements obligatoires.
L'Etat va donc retrouver donc peu à peu des marges d'action pour redonner espoir à la jeunesse et pour détromper tous les sceptiques qui ne voient dans le chômage et l'accroissement des inégalités qu'une fatalité à subir. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 104 minutes ;
Groupe socialiste : 85 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 69 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 55 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 26 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 14 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon propos portera sur les conditions dans lesquelles le Gouvernement présente le projet de budget pour 1998, sur les orientations de celui-ci, sur les modifications apportées par l'Assemblée nationale, sur les propositions du groupe communiste républicain et citoyen et sur celles de la majorité de la commission des finances.
Le 2 mai prochain, nous connaîtrons le nom des pays qui entreront dans l'euro. La Grande-Bretagne a renoncé. L'Allemagne est à la recherche de 58 milliards de recettes supplémentaires. Mais on peut d'ores et déjà affirmer que la France sera présente. Telle est la volonté du gouvernement français.
Les choix budgétaires du Gouvernement expriment cette volonté. Le déficit, en pourcentage par rapport au produit intérieur brut, se montait à 4,1 %, en 1996, et à 3,1 % en 1997. Il sera de 3 % en 1998. Un premier objectif est atteint.
Mais les chiffres sont là : cette diminution est obtenue par une modération des dépenses de l'Etat décrétée artificiellement. Il s'agit bien, en effet, d'une décision très artificielle. Rien ne justifie la diminution des dépenses de onze budgets civils, ni une diminution des besoins, ni une croissance à 3,1 %, ni une baisse de l'inflation.
C'est une véritable loi d'airain du déficit à réduire qui est le moteur de ce budget. Cette course effrénée à la réduction des dépenses se révèle malthusienne, inefficace et perverse pour le niveau de vie des Français.
Les grands équilibres du budget sont fixés par une limitation globale d'augmentation des dépenses de 1,4 %, soit le taux d'inflation envisagé.
De plus, le projet de loi de finances entérine un arrêt du processus engagé de baisse de l'impôt sur le revenu et revalorise de 1,1 % le barème. Ce sont l'impôt sur le revenu et l'ensemble des seuils indexés sur le barème qui sont concernés. Ce sont des mesures contestables pour la plupart. Mais le budget comprend, en revanche, des propositions nouvelles exprimant un début de modification du traitement fiscal, de l'épargne et des revenus du travail.
Nous sommes donc encore assez loin de ce qui est nécessaire en matière de justice fiscale et sociale. L'absence de mesures plus audacieuses par extension de l'assiette des prélèvements prive le budget de ressources nouvelles.
Un problème majeur se pose alors. En quinze ans, la part des salaires dans les richesses est tombée de 68 % à 62 % ; celle des profits a progressé de 25 % à 31 % ; celle du chômage de 7,3 % à 12,5 %.
Le budget de 1998, faible par les ressources nouvelles, n'aura d'influence sur la stabilisation du chômage qu'à la fin de l'année 1998. La contribution sociale généralisée rapportera, en 1998, de 300 milliards de francs à 350 milliards de francs, c'est-à-dire autant, sinon plus, que l'impôt progressif. Or, avec la contribution sociale généralisée, ce sont les salariés et les retraités qui sont touchés et mis à contribution. Dans le même temps, encore trop de revenus financiers sont exonérés. Du fait de cette insuffisance des ressources, les collectivités locales se retrouvent, une fois de plus, cette année, dans le cadre étroit du pacte de stabilité.
La dotation globale de fonctionnement forfaitaire n'augmente que de 0,55 % et l'enveloppe du pacte de stabilité de 1,36 % ; la dotation de compensation de taxe professionnelle sert, une fois de plus, de variable pour ajustements avec une baisse globale de 4,85 % de son montant en francs constants.
A l'Assemblée nationale, les députés du groupe communiste et apparenté ont présenté de nombreuses propositions pour infléchir certains choix et décider d'autres mesures financières complémentaires ou modificatives.
Elles portaient notamment sur une réforme démocratique de la fiscalité, la création de tranches supplémentaires sur les plus hauts revenus, la remise en cause de la mise sous condition de ressources des allocations familiales dans la loi de financement de la sécurité sociale. La TVA pourrait être réduite sur les abonnements EDF-GDF et sur un minimum de consommation d'énergie par foyer.
La fiscalité peut être un levier pour l'emploi. Nous sommes partisans des aides aux petites et moyennes entreprises, dont les ressources pourraient être relevées par l'augmentation des plafonds des CODEVI.
L'injustice de la taxe d'habitation doit être réduite et le mode de calcul sur le foncier bâti revu pour les revenus les plus modestes.
Pour réduire de façon non pas formelle mais efficace l'endettement de l'Etat, ne serait-il pas possible d'instaurer un emprunt obligatoire à faible taux par mise à contribution des banques, des compagnies d'assurances et des hauts revenus que fait prospérer l'endettement de l'Etat ?
Une réforme du crédit est vitale pour une relance de l'investissement civil qui ne dépassera pas 70 milliards de francs. Sans investissement, aucune production nouvelle ou accrue, aucun plan de relance de notre économie ne sont possibles.
De même, dégager des moyens nouveaux pour la santé et les hôpitaux, accorder les allocations familiales dès le premier enfant ne suppose-t-il pas que l'on instaure des cotisations sur les revenus financiers, notamment ceux des entreprises, et que l'on taxe les laboratoires pharmaceutiques, qui réalisent des profits exorbitants ?
Voilà, monsieur le ministre, ce que proposaient mes amis à l'Assemblée nationale. Vous n'avez pas répondu.
Ces modifications au projet de budget initial restent toujours à faire. Vous avez d'ailleurs reconnu que celles qui ont été apportées à l'Assemblée nationale ont été mineures et ne portaient que sur cinq milliards de francs au plus. Vous reconnaissez, en outre, que le projet de loi de finances repose sur une hypothèse de croissance économique dont la réalisation était par nature aléatoire.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Eh oui !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il est vrai que, sans volonté politique affirmée, il est difficile de faire naître une croissance nouvelle.
Vous avez précisé, monsieur le ministre, que « la prévision de croissance établie pour 1997 se confirmait aujourd'hui et laissait présager que l'objectif de 3 % de croissance serait tenu pour 1998 ». Vous avez même indiqué que « cet objectif était inférieur au chiffre de 3,1 % de croissance envisagé par la Commission européenne ». Autrement dit, la France atteindra l'objectif du déficit maîtrisé, mais ne pourra pas atteindre l'objectif de croissance proposé.
Il s'agit d'un problème politique majeur : soit la réduction des dépenses maintient la France dans la médiocrité - ce sont les propositions que vous faites, messieurs Lambert et Poncelet - soit cette réduction des dépenses de fait est le terreau sur lequel peut se développer une politique de croissance nouvelle et de développement économique.
J'insisterai sur cette seconde partie de l'alternative.
Comment, avec des dépenses à volume constant, peut-on avoir comme objectif une nouvelle réduction des déficits ?
La gestion active de la dette a des limites. En 1989, l'écart entre le coût moyen de la dette et le taux de croissance était nul. L'effet boule de neige des charges de la dette était coûteux. Mais, en 1996, cet écart atteint 4,5 %. Il faut donc que la croissance en volume progresse d'au moins 4 % pour réduire la différence. Les effets de la dette ne sont négociables, de l'avis des experts, qu'à un niveau de 85 %. Le Gouvernement le dit, et là, bien entendu, il a tout à fait raison. C'est la progression de la croissance qui stabilisera le stock de la dette, contiendra l'effet boule de neige de la charge d'intérêts et mobilisera les ressources fiscales pour financer le budget pour 1998 en maintenant à l'identique le taux des prélèvements obligatoires.
Comment fabriquer cette croissance qui ne peut pas être espérée de façon providentielle ?
La réduction des déficits avec un minimum de relance ne produira pas une croissance nouvelle. Il faut bien voir également que la croissance n'a plus un rendement aussi fort en recettes fiscales.
Le pari sur l'exportation produit une croissance affaiblie en rendement, car cette dernière ne génère pas de TVA ; la stagnation des revenus des salariés actifs ne permet plus de progression des recettes fiscales ; la consommation, ralentie, porte prioritairement sur des produits de première nécessité, donc, comme chacun sait, moins taxés ; la politique menée ces dernières années visait surtout à réduire les produits financiers et à accorder des privilèges fiscaux renouvelés.
Comment, dans un tel environnement, la croissance pourrait-elle naître sous forme de génération spontanée ?
Nous pensons que la France a aussi besoin d'un grand projet national de mobilisation de ses ressources pour le développement économique et la production de la richesse. D'ailleurs, dans son histoire, elle a démontré que c'était toujours autour d'une politique audacieuse de renaissance ou de développement fondée sur les atouts et les richesses du pays que l'on pouvait non pas attendre, mais fabriquer de la croissance.
Nous déposerons donc un certain nombre d'amendements pour favoriser cette marche du pays vers la croissance, notamment par des mesures favorables au pouvoir d'achat et à la consommation, à l'emploi, au logement, aux collectivités territoriales et à l'allégement de la pression fiscale. Nos amendements se répartiront en cinq catégories.
Un premier groupe portera sur la suppression de certains plafonnements concernant les veuves et les retraités, sur la fiscalisation des allocations maternité, sur la suppression des abattements forfaitaires accordés à certaines professions, ainsi que sur la déclaration commune d'union de fait, sur laquelle nous reviendrons.
Un deuxième groupe portera sur des recettes nouvelles, à savoir la taxation des mouvements de capitaux, l'amortissement des investissements immobiliers privés, la majoration de l'impôt sur les sociétés, la remise en cause de l'avoir fiscal et la non-restitution de celui-ci, et enfin l'extension de l'assiette pour le calcul de l'impôt sur la fortune et la suppression de l'allégement pour personnes à charge.
Un troisième groupe visera à proposer des abaissements de taux de TVA et le relèvement du plafond des CODEVI, les comptes pour le développement industriel.
Un quatrième groupe portera sur les finances locales et tendra à relever le plancher de la taxe professionnelle et le plafonnement de la taxe professionnelle à la valeur ajoutée, à augmenter la dotation globale de fonctionnement, à modifier le taux de remboursement du fonds de compensation de la TVA.
Un dernier amendement, de caractère très politique, visera à réduire la contribution française au budget de l'Union européenne.
Je me permettrai d'insister sur ce dernier amendement. Actuellement, la France, dans la répartition des charges européennes, donne plus qu'elle ne reçoit. C'est déjà beaucoup, certains disent beaucoup trop. Mais l'élargissement de l'Union entraînera des charges nouvelles. A combien se monteront-elles pour notre budget : 30 milliards de francs, 40 milliards de francs, 50 milliards de francs ? Peut-être 60 milliards de francs, annoncent certains !
Quelles seront, en la matière, les nouvelles attributions du conseil de l'euro qui est en voie de création ? Est-ce lui qui décidera ou avalisera-t-il les exigences financières de la banque centrale ?
La question est politique, mais aussi budgétaire, et même économique. N'envisage-t-on pas, actuellement, des réductions de 30 % du prix de la viande bovine ?
Confirmez-vous que la France devrait, de plus, rembourser environ 500 millions de francs payés aux agriculteurs et que Bruxelles trouverait injustifiés ?
Si nos amendements étaient retenus, un pas nouveau serait fait en direction d'une croissance nouvelle qui, pour commencer à être efficace, devrait atteindre les 4 %.
Notre groupe se situe dans une gauche plurielle, qui cherche une politique nouvelle. Il est lui-même un groupe pluriel. Nos analyses et nos propositions sont donc forcément nuancées, voire différentes, mais elles sont toujours fondées sur un objectif unique d'importance majeure : une politique de progrès s'appuyant sur un budget novateur et ambitieux.
A ce propos, je veux donner notre avis sur les propositions faites par vous, messieurs Lambert et Poncelet, et par la majorité de droite de la commission des finances.
Vous allez présenter un contre-budget. Celui-ci comporte, en fait, un seul terme au niveau de l'objectif et une méthode simpliste !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Simple ! Pas « simpliste »...
Mme Marie-Claude Beaudeau. ... et inefficace au niveau de la construction budgétaire.
Vous l'écrivez, votre politique se résume simplement : dépenser moins pour prélever moins ; donner à la France et aux Français l'ambition, l'envie d'entreprendre et de partir à la conquête du monde ;...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Bonne idée !
Mme Marie-Claude Beaudeau. ... ouvrir le chemin qui concilie performance et cohésion, efficacité économique et harmonie sociale en France et en Europe.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Parfait !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le rapporteur général, avec tout le respect que je vous dois, je suis obligée de rappeler que vous osez écrire que ce serait le devoir et l'honneur du Sénat d'incarner une telle politique, car ce serait celle de la responsabilité et du progrès.
M. Alain Lambert, rapporteur général. En effet !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous vous trompez, et vous le savez.
Il ne faut pas que votre contre-budget puisse faire illusion.
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau. La politique que vous proposez est celle du renoncement et du recul pour la France. Le rapport que vous avez présenté est bien, en effet, celui du renoncement.
Je me suis efforcée de démontrer que la croissance, contrôlée et mise au service du pays et des Français, était notre chance.
A la page 33 du tome I du rapport général, vous affirmez, au contraire, que la progression éventuelle de la croissance française remet en cause l'insertion de l'économie française dans son environnement international.
Vous écrivez : « C'est évidemment préoccupant, d'autant plus que le Gouvernement devrait avoir pleine conscience de l'inopportunité d'une gestion économique et sociale isolée de celle des partenaires, c'est-à-dire non coordonnée avec eux. »
A la page précédente de ce même rapport, pour étayer votre raisonnement, vous partez d'un tableau dans lequel l'évolution du produit intérieur brut des pays industrialisés démontrerait que notre pays connaîtrait une activité plus soutenue que les autres.
M. Alain Lambert, rapporteur général. C'est ce qu'il faut souhaiter !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je me demande si vous le souhaitez !
Cette évolution de plus de 3 % est supérieure à celle de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de l'Italie, de la Belgique, des USA, du Canada ou du Japon.
Vous semblez le regretter. N'est-ce pas du renoncement ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Non !
Mme Marie-Claude Beaudeau. J'estime, nous estimons, notre groupe estime - et, je pense, la gauche tout entière ainsi, je le sais, que d'autres collègues sur d'autres travées - que si cette prévision de croissance se réalisait, ce serait un bon point pour la France et le niveau de vie des Français.
Votre diminution systématique des prévisions budgétaires ne serait pas seulement une politique de renoncement, voulant moins de croissance et de progrès. Ce serait aussi une politique de recul pour le pays.
Onze budgets civils dans ce projet de loi de finances sont déjà en baisse. Avec votre réduction systématique de dépenses, combien d'autres voulez-vous voir diminuer ?
Vous finiriez par faire plonger l'ensemble du budget dans le recul. Nous avons déjà, avec ces onze budgets en diminution, une situation inédite. M. le ministre de l'économie et des finances le reconnaît.
Depuis cinquante ans, nous n'avions pas connu une telle situation. Mais la commission des finances souhaite aller plus loin encore. Renoncer à un projet de croissance, de produit intérieur brut plus important, c'est en fait - je vous renvoie ici au dictionnaire, messieurs de la majorité - un abandon, une démission.
Votre projet de réduction du budget est l'antithèse de l'ambition pour la France. Nous ne vous suivrons pas et, sans attendre, nous affirmons que nous voterons contre votre contre-budget parce qu'il ne sert pas les intérêts de notre pays, parce qu'il ne sert pas son avenir. A moins que la sagesse ne vienne, mais nous en doutons ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. de Rohan. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voilà un budget authentiquement socialiste, garanti d'origine...
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est gentil !
M. Josselin de Rohan. ... dans sa conseption, dans son élaboration et, bien entendu, demain, dans son application.
Le projet de loi de finances soumis à notre examen n'est pas le reflet du socialisme rampant, du socialisme « dégriffé » des années quatre-vingt-dix, mais bien un retour du socialisme à la française le plus authentique.
Grâce à lui, nous constituerons une exception que l'Europe ne nous enviera pas.
Nous retrouvons dans ce budget les caractéristiques traditionnelles des budgets de la gauche, plurielle ou singulère : accroissement de la dépense publique, aggravation des prélèvements obligatoires et accentuation du tout-Etat.
M. Marc Massion. Vous ne l'avez pas lu !
M. Josselin de Rohan. Nous sommes reconnaissants à M. le président de la commission des finances et à M. le rapporteur général d'avoir su, dans leurs très remarquables analyses orales et écrites du projet de loi de finances, démonter ou mettre en lumière les artifices, les tours de passe-passe et les mécanismes sur lesquels repose le budget ainsi que les dangers auxquels il nous expose.
Ils ont notamment montré combien aléatoires étaient les prévisions de croissance sur lesquelles est fondée la loi de finances et combien elles risquaient, en dépit des affirmations de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - j'espère n'avoir oublié aucun qualificatif - d'être contredites par les turbulences financières de ces dernières semaines et par les variations du cours du dollar.
Ils ont décrit les dispositions contestables utilisées par le Gouvernement pour équilibrer ce budget, telle l'imputation de 20 milliards de francs aux dotations en capital destinées aux entreprises publiques non privatisables sur le compte d'affectation spéciale du produit des entreprises privatisables, telle la débudgétisation que constitue la prise en charge de l'entretien du réseau routier national par le FITTVN, le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables.
Ils ont dénoncé, à juste titre, le montage en trompe-l'oeil que représente l'affichage d'une croissance de la dépense publique de 1,36 % obtenue grâce à une diminution massive de crédits de la défense qui affectera durement la capacité opérationnelle de nos armées, réduira sévèrement l'emploi dans nos industries de l'armement et videra de sa substance la loi de programmation militaire.
M. Serge Vinçon. Ô combien !
M. Josselin de Rohan. M. le président de la commission des finances, qui est un homme dont je salue l'indulgence, n'a pas voulu parler de « turpitude » à propos de la CNRACL, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.
M. Paul Loridant. Nous n'avons pas de leçon à recevoir dans ce domaine !
M. Josselin de Rohan. Il est vrai qu'il n'y a pas, pour l'instant, d'augmentation de la cotisation !
Je ne veux pas croire que celle-ci soit différée seulement pour des raisons bassement électorales. J'ai cependant le sentiment, compte tenu de l'équilibre prévisible de cette caisse, que nous reculons pour mieux sauter.
M. Marc Massion. Vous en avez usé et abusé !
M. Josselin de Rohan. Je crains malheureusement que l'augmentation ne soit différée.
M. Jacques Oudin. C'est un risque !
M. Josselin de Rohan. Mais quoi que puissent dire ou écrire les analystes et les observateurs les plus avertis des questions financières, rien ne vient ébranler les certitudes de nos gouvernants.
J'ai la faiblesse de penser que ses années sabbatiques n'ont pas appris grand-chose à la majorité plurielle. Elle revient aux affaires avec la même vision passéiste du développement économique que jadis, avec la même constance dans l'erreur.
Revêtons-nous de nos préjugés, disait Jean Cocteau, ils nous tiennent chaud.
Pourtant, les mêmes causes ayant les mêmes effets, ce budget est lourd de conséquences pour l'avenir, par ce qu'il présage autant que par ce qu'il engage.
Cette fois-ci, la dépense publique n'est pas réhabilitée, elle est magnifiée.
Sans attendre la loi de finances, deux entreprises publiques, la SNCF et La Poste ont été « incitées » à accroître leurs recrutements sans aucune considération pour les engagements contractés en vue de rationaliser une gestion qui coûte très cher aux contribuables.
M. Serge Vinçon. Cent cinquante milliards de francs !
M. Josselin de Rohan. Grâce au zèle ardent de son très médiatique cornac, le « mammouth » a gonflé les effectifs de l'éducation nationale de 40 000 unités.
Les efforts de redéploiement et de meilleure organisation des agents de la fonction publique esquissés par le gouvernement Juppé sont réduits à néant.
Pourtant, 27 % des emplois en France ressortissent au secteur public, contre 16 % chez nos partenaires de l'Union européenne. Si nous arrivions simplement à la moyenne européenne, nous réaliserions une économie de 400 milliards de francs, représentant 25 % du budget.
Comme l'écrit dans sa note au Gouvernement l'inspecteur général des finances Jean Choussat : « Il est vain d'imaginer que l'on parviendra à améliorer la compétitivité de notre économie, à relancer la croissance, à résorber les déficits, tant que l'on continuera à ignorer superbement les enjeux qui s'attachent à la principale entreprise du pays ? »
La réponse nous est apportée par la loi de finances : en 1998, les dépenses de fonctionnement croîtront de 3,15 %, soit deux fois plus vite que le taux d'inflation. L'Etat ne diminue pas son train de vie.
La conséquence de l'augmentation de la dépense publique, c'est une hausse des prélèvements obligatoires.
Cette hausse ne saurait être justifiée par le manque de rentrées fiscales prévues pour l'exercice 1997 puisque le rendement des impôts est bien supérieur à ce qui était attendu, du fait d'une reprise de la croissance.
Rapporté au PIB, les prélèvements seront supérieurs à 45,9 %, taux qui nous range parmi les pays où les prélèvements sont les plus lourds. Pour en prendre la mesure réelle, monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, il faut prendre en compte les majorations intervenues en 1997 au titre non seulement des mesures d'urgence d'ordre financier, mais également le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, qui représente 4,5 milliards de francs qui s'ajoutent aux 24 milliards de francs prévus par les MUFF.
Il est, enfin, audacieux de laisser présager une baisse de la fiscalité locale sachant que les transferts de l'Etat vers les collectivités locales croîtront de 1 % et que ces dernières devront assurer 20 % du financement des emplois-jeunes.
Plutôt que de réduire le déficit des finances publiques en réduisant la dépense, le Gouvernement choisit de maintenir ou d'augmenter ces dernières et de recourir, une fois encore, à l'impôt, au risque de provoquer, un jour, la révolte des contribuables.
Toute révérence gardée, M. Strauss-Kahn, dans l'exercice auquel il se livre à propos du budget, nous fait penser, comme le rappelait complaisamment un journaliste, au clown Albert Grock.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Me permettez-nous de vous interrompre, monsieur le sénateur ?
M. le président. Monsieur de Rohan, autorisez-vous M. le ministre à vous interrompre ?
M. Josselin de Rohan. Quand j'aurai terminé mon propos, M. le ministre pourra dire tout ce qu'il a à dire.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous êtes donc deux fois grossier, monsieur le sénateur !
Mme Hélène Luc. Cela ne se fait pas !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Quoi qu'il en soit, Grock était un très grand artiste.
Dans un numéro célèbre, il s'efforçait, en vain, en dépit de gants d'une longueur immense, d'atteindre, à partir de son tabouret, un piano à queue dont il était séparé par une très grande distance.
M. Marc Massion. C'est passionnant !
M. Josselin de Rohan. Au lieu de rapprocher le tabouret du piano, il entreprenait à grand-peine et avec force mimiques, de rapprocher le piano du tabouret, à la grande joie du public.
C'est l'exercice auquel vous vous livrez, monsieur le ministre, en refusant de diminuer la dépense publique et en augmentant les impôts.
La fiscalité frappera trois cibles privilégiées : les grandes sociétés, la famille et l'épargne.
En accroissant de 24 milliards de francs la fiscalité sur les entreprises, le Gouvernement va à l'encontre de ce qui se fait dans les pays voisins, notamment en Grande-Bretagne ou en Allemagne, qui envisagent d'alléger l'impôt sur les sociétés.
De nouveau, nos entreprises figureront, en Europe, dans le quart le plus imposé.
Leur compétitivité en sera affectée, surtout si, de surcroît, elles doivent supporter les conséquences d'une diminution du temps de travail.
Leurs investissements seront sans doute réduits, alors que tout le monde s'accorde à reconnaître la faiblesse du niveau des investissements en France.
M. Marc Massion. Ça repart !
M. Josselin de Rohan. C'est, une fois encore, l'emploi qui fera les frais de cette décision car, selon une formule célèbre, les investissements d'aujourd'hui sont les emplois de demain.
La faiblesse des fonds propres de nos entreprises, jointe à une rentabilité nettement inférieure à celle de leurs concurrents étrangers, en fait des proies faciles pour des groupes étrangers.
Enfin, les surcoûts auxquels elles sont astreintes conduiront à de nouvelles délocalisations et à de nouveaux exodes à l'étranger de jeunes entrepreneurs ou de jeunes cadres, dont notre pays a cependant un cruel besoin.
M. Philippe Marini. Comme le dit M. Attali !
M. Josselin de Rohan. Le Gouvernement atteint, en second lieu, les familles.
La loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale conjuguent des dispositions qui frapperont la classe moyenne. On peut la baptiser « classe moyenne supérieure », c'est tout de même la classe moyenne.
Cette catégorie de la population sera touchée par la suppression de la demi-part du quotient familial accordée aux personnes seules ayant élevé leurs enfants. Un million de Français devraient être affectés par cette décision, comme ils le seront par l'abandon des réductions d'impôts décidées par le gouvernement précédent.
Nous avons eu récemment l'occasion de discuter longuement des conséquences pour les familles de la division par deux de l'AGED et du versement des allocations familiales sous condition de ressources, qui pénalisent respectivement 65 000 et 450 000 familles.
Nous avons dénoncé ces atteintes au principe de l'égalité et de l'universalité de la sécurité sociale.
Les deux mesures entraîneront des difficultés sérieuses pour les ménages désireux d'accéder à la propriété et qui, pour obtenir un prêt bancaire, ont fait figurer ces ressources dans leur plan de financement.
Elles conduiront des mères de famille à renoncer à leur travail faute de pouvoir rémunérer une garde.
Elles pourraient aussi conduire des personnes ayant à charge un conjoint handicapé nécessitant une aide soignante à domicile à faire hospitaliser le malade où elles seraient dans l'impossibilité de payer la garde.
Où est l'économie pour les finances publiques ?
Votre dernière cible, c'est l'épargne. En 1998, l'épargne sera taxée de 20 milliards de francs supplémentaires.
La pénalisation de l'assurance vie et les prélèvements arrêtés par la loi de financement de la sécurité sociale répondent à des préoccupations moins économiques qu'idéologiques : il faut alléger la pression sur le travail en augmentant celle qui pèse sur le capital.
En outre, l'idée selon laquelle, en taxant l'épargne, on incitera nos compatriotes à consommer davantage est un leurre, ainsi qu'en témoigne l'évolution de l'ARS, l'allocation de rentrée scolaire.
L'épargne des Français est trop largement encore une épargne de précaution, une assurance contre la précarité de l'emploi ou contre les perturbations économiques et sociales.
En imposant à l'excès l'épargne, le Gouvernement s'expose à trois risques : la délocalisation, la mobilisation des épargnants et la chute de l'investissement.
Dans une Europe sans barrières, la délocalisation de l'épargne n'est qu'une formalité.
Il n'y a pas de croissance sans investissement, ni d'investissement sans épargne. Comme le notait fort judicieusement M. Izraelewicz dans un remarquable article paru dans Le Monde : « L'épargne exige un effort, un renoncement. Sa diabolisation comme l'instabilité fiscale risquent à terme d'assécher cette source de la croissance... et de favoriser aussi le passage sous capitaux étrangers de nombre d'entreprises françaises. »
M. Philippe Marini. Très juste !
M. Josselin de Rohan. Le « tout Etat » est, enfin, l'une des caractéristiques saillantes de cette loi de finances. A l'ère de l'économie mondiale et de l'euro, dans un univers où la circulation des biens et des capitaux ne rencontre plus guère de barrières, la France continue à privilégier l'étatisme.
Le ralentissement ou l'arrêt des privatisations ne permettra pas à nos entreprises publiques appartenant aux secteurs concurrentiels de bénéficier des capitaux ou des partenariats nécessaires pour conserver ou conquérir des parts de marché. La gestion de ces entreprises demeurera, hélas ! encore trop soumise à des considérations politiques et non aux impératifs de leur développement.
Quels investisseurs étrangers accepteront d'être, même indirectement, les partenaires de l'Etat français quand il s'agira de s'allier à une entreprise publique ?
Pouvons-nous durablement continuer à être les seuls en Europe à conserver un transport aérien public, une entreprise de télécommunications publique, une industrie aéronautique au sein desquels l'Etat conserverait une part majeure du capital ?
Pendant que le Gouvernement freine ou tergiverses un peu partout des alliances se nouent au-dessus des frontières, des conglomérats se constituent qui, parce qu'ils seront plus puissants et plus riches que nos entreprises nationales, priveront ces dernières de leurs débouchés et les marginaliseront.
C'est, une fois de plus, l'emploi qui sera victime de l'idéologie.
La logique à laquelle obéit la politique économique de la gauche plurielle nous semble bien singulière.
Elle entend privilégier l'emploi, mais elle fait peser de lourdes contraintes sur les entreprises du secteur marchand en accroissant les prélèvement obligatoires et en leur imposant une réduction de la durée du travail, ce qui accroîtra leurs coûts et affectera leur compétitivité, au risque, bien sûr, de les amener à freiner les embauches.
Bien pis, elle affecte au financement d'emplois publics des sommes destinées à compenser les charges d'entreprises qui appartiennent à des secteurs exposés à une concurrence étrangère anormale.
Au lieu d'abaisser les charges pesant sur les employeurs de main-d'oeuvre non qualifiée, ce qui permettrait la création d'emplois, l'Etat s'apprête à consacrer 35 milliards de francs au financement d'emplois qui sont pudiquement qualifiés d'émergents et d'utilité sociale, mais qui sont des emplois publics à peine masqués.
Un gouvernement de gauche se devrait de militer pour plus d'égalité. Or, que constatons-nous ?
Chaque jour, l'écart se creuse davantage entre un secteur public rigide, protégé par ses statuts et ses avantages divers, et pesant lourdement sur les finances publiques, et un secteur marchand, exposé à la concurrence et toujours plus sollicité pour combler les déficits : d'un côté la sécurité, de l'autre la précarité ; d'un côté la dépense, de l'autre les charges.
On mesure mal l'amertume et les rancoeurs que suscite cette situation ainsi que les risques, à terme, pour la cohésion sociale. On ne mesure pas encore non plus les conséquences sur notre économie.
N'est-ce pas l'un des bons esprits de la gauche, conseiller du défunt président Mitterrand, qui décrit de manière saisissante l'émigration à l'étranger des jeunes informaticiens, des chefs d'entreprise et des innovateurs, parce qu'ils ne trouvent pas, dans notre pays, l'environnement ou le climat propice à leur épanouissement ?
A terme, la chape de plomb qui pèse sur notre pays aura les mêmes conséquences que la révocation de l'édit de Nantes, qui a fourni à la Prusse, la Hollande et l'Angleterre des élites dont la France a été cruellement privée par l'intolérance de son roi. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Enfin, on ne saurait proclamer son adhésion au renforcement de la construction européenne et à l'instauration de l'euro, et mener une politique qui soit, en fait, contraire à de tels objectifs.
La limitation du déficit budgétaire, critère de qualification pour l'euro, a été acquise au prix d'un relèvement sensible des prélèvements fiscaux. Elle ne saurait être indéfiniment reconduite.
Il n'y a pas, à terme, de salut possible sans diminution de la dépense publique. Tous les pays d'Europe l'ont entreprise, sauf la France.
Il n'y a pas de perpective de développement possible, tant pour les entreprises que pour les particuliers, sans une réforme de la fiscalité conduisant à son allégement et à sa simplification. Tous nos partenaires en sont convaincus, sauf nous. Nous passons peut-être pour une exception, mais, hélas ! pas pour un exemple. Singulière originalité que celle qui risque de nous exposer à la compassion plutôt qu'à l'admiration !
M. le rapporteur général du budget, M. le président de la commission des finances et les membres de la commission se sont livrés à un effort très méritoire pour montrer ce que devrait être un budget répondant aux impératifs réels de notre économie.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Merci !
M. Josselin de Rohan. Nous sommes sans illusions sur le sort réservé à cette construction, mais elle permet à tout le moins de montrer qu'une autre gestion des finances publiques est possible, à condition que prévale une autre conception de l'économie.
Cette conception est fondée sur la conviction que la voie de la croissance et de la prospérité passe par celle de la liberté.
Il faut cesser de décourager, de pénaliser et de contraindre tout ce qui, dans ce pays, innove, crée et produit. Il faut profiter des perspectives que nous offre la mondialisation de l'économie ou l'élargissement de l'Europe pour ouvrir à nos entreprises de nouveaux marchés. Pour ce faire, le rôle de l'Etat est bien moins d'aider nos entreprises que de créer autour d'elles un environnement favorable à leur expansion.
Il faut cesser de consacrer des sommes considérables aux aides à l'emploi, qui, contrairement aux déclarations publiques, continuent de s'empiler les unes sur les autres sans résultats probants. Il faut, au contraire, consacrer la plus grande partie de ces crédits à l'allégement des charges sociales. Il faut, enfin, que l'Etat cesse de prélever, pour le financement de ses dépenses, des capitaux dont nos entreprises ont un besoin essentiel pour investir.
C'est assez dire combien nous sommes éloignés de la vision du Gouvernement et peu enclins à émettre un jugement favorable sur sa politique.
M. Marc Massion. On l'avait compris !
M. Josselin de Rohan. « Au-delà des chiffres, c'est un état d'esprit qu'il faut changer. Retrouver un projet, redonner le sentiment que l'avenir du monde se joue ici, que la France dans vingt ans aura quelque chose de neuf à dire aux autres parce qu'elle aura su recevoir, accueillir et choyer ceux qui risquent. »
Qui s'exprime de la sorte ? Un ultralibéral, un suppôt du capitalisme et des puissances d'argent ? C'est M. Jacques Attali, dans un article auquel j'ai fait allusion et qui résume avec lucidité la conjoncture que nous affrontons et la direction dans laquelle il faut que nous nous engagions. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
C'est assez dire que nous ne trouvons, dans ce projet de budget, aucun motif d'espérer, aucun remède aux difficultés de notre économie, aucune réforme des structures périmées.
Nous voterons le budget rectifié issu de nos délibérations, comme nous repousserons tout projet qui ne prendrait pas en compte nos avertissements, nos préoccupations et nos suggestions.
Mais au-delà des péripéties du débat parlementaire, c'est au pays que nous nous adressons...
M. René Régnault. Vous vous êtes déjà adressés à lui, et il vous a répondu !
M. Josselin de Rohan. ... pour le mettre en garde contre les illusions entretenues par la démagogie, les séductions de la facilité et les tentations du reconcement. Si nous censurons la politique actuelle, c'est parce qu'elle nous paraît contraire à l'intérêt national, en ce qu'elle masque aux Français la réalité et qu'elle tourne le dos au futur ! (Protestations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
La vérité se fera un jour. Fasse pour la France qu'elle ne soit pas trop cruelle ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - Nouvelles protestations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Un sénateur sur les travées du RPR. La vérité, ça fait mal !
M. René Régnault. Quelle vérité ? La vôtre ?
M. le président. La parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, lors du récent débat sur le projet portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même vous avions exprimé notre vive inquiétude au vu des premières orientations budgétaires du Gouvernement.
Notre assemblée est à présent saisie du projet de budget pour 1998, dont la préparation a été accompagnée d'un audit des finances publiques et de nombreuses concertations. Malgré ces précautions, il faut reconnaître, malheureusement, que ce projet confirme nos craintes quant à la volonté réelle du nouveau pouvoir de continuer la courageuse action de ses prédécesseurs contre les principaux maux dont souffre notre pays depuis de trop longues années.
Or, en cette fin de vingtième siècle, la croissance constante des dépenses et de l'emploi publics n'est pas, ou n'est plus, un soutien efficace à la croissance et une solution au problème du chômage.
Cette progression constante des dépenses est une des causes majeures de l'augmentation des prélèvements obligatoires qui ont servi à les financer.
La pression fiscale, dans notre pays, a un effet négatif sur l'activité, sur le dynamisme des acteurs susceptibles d'investir et de créer des emplois : son augmentation va de pair avec l'augmentation dramatique du chômage.
Ce Gouvernement ne semble pas avoir réellement conscience de cette situation puisque sa politique tend, au contraire, à aggraver la taxation du capital productif.
Le projet de budget a, selon nous, trois défauts rédhibitoires.
D'abord, il se fonde sur des hypothèses économiques incertaines.
Ensuite, l'effort de maîtrise des dépenses publiques est insuffisant.
Enfin, du fait de ce laxisme budgétaire relatif, le Gouvernement est contraint d'accroître sensiblement les prélèvements sur les entreprises, les épargnants et les ménages, ce qui laisse prévoir des conséquences préjudiciables, à la fois sur l'investissement et pour la consommation intérieure.
En premier lieu, le projet de budget pour 1998 repose sur des prévisions de croissance aléatoires.
Certes, prévoir l'évolution de l'économie est devenu un art difficile pour tous les gouvernements depuis le début de la crise, dans les années 1973 et 1974. Depuis cette période, nous vivons une suite de récessions et de reprises économiques cycliques. Ces perturbations économiques sont de plus en plus rapprochées, compte tenu à la fois de l'ouverture des marchés, de la grande sensibilité de l'investissement, et donc de l'emploi par rapport à la demande extérieure, et, enfin, de la fluidité des capitaux au niveau mondial.
Ainsi, derrière l'optimisme affiché par leurs chiffres, les experts, y compris ceux du ministre des finances, reconnaissent que la reprise actuelle reste vulnérable. Ils redoutent, en particulier, un choc boursier plus important encore que celui que nous vivons à cause de la crise asiatique.
Ce nouveau krach pourrait avoir pour conséquence, notamment, une chute du dollar, dont la hausse, ne l'oublions pas, a stimulé nos exportations. Tabler dans le projet de budget sur un maintien du dollar à six francs au cours de l'année 1998 paraît donc, monsieur le secrétaire d'Etat, un pari audacieux. Il en est de même pour les taux d'intérêt, annoncés stables, quand il est possible qu'ils progressent, notamment sur le long terme.
Une chose est fort probable : selon l'OCDE, l'impact négatif de la crise en Asie du Sud-Est sur la croissance des vingt-neuf pays occidentaux pourrait être d'ores et déjà de 0,2 % cette année et en 1998. Le niveau de la demande extérieure en 1998 est donc incertain.
Plus grave encore, la demande intérieure, qui devrait, selon les instituts de conjoncture, assurer 90 % de la croissance en France, risque, de son côté, de pâtir des importantes ponctions que les responsables gouvernementaux envisagent, malheureusement, au détriment de certaines familles. Je pense aux 5 milliards de francs d'économies opérées sur les prestations familiales et également à un certain nombre de mesures fiscales contenues dans ce projet de budget. Quant aux retombées positives éventuelles de la conférence salariale, elles restent pour le moment problématiques.
Au-delà de ces incertitudes, le tort majeur de ce gouvernement est de consentir un effort insuffisant de maîtrise des dépenses publiques, malgré ce que vous nous avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat.
En dehors même de la contrainte européenne, le devoir de tout gouvernement devrait être d'accentuer l'effort de réduction du déficit public, réduction engagée dès 1993.
Il nous faut impérativement assainir et moderniser notre économie face aux mutations que connaît l'environnement international ; pour les marchés financiers, toute politique laxiste est interprétée comme un signe de faiblesse de l'économie.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est juste !
M. Xavier de Villepin. Une politique budgétaire rigoureuse est la condition sine qua non de la baisse des taux d'intérêt. Cette baisse est aujourd'hui essentielle pour notre économie dans la mesure où c'est un moyen de favoriser l'investissement privé et, en même temps, de réduire la charge de la dette.
Au-delà des tendances politiques des gouvernements des uns et des autres, l'ensemble des pays de l'Union sont d'accord pour mener une politique d'assainissement des finances publiques. Il en va ainsi de l'Allemagne,...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Contrairement à ce que l'on dit !
M. Xavier de Villepin. ... notre principal partenaire, de l'Espagne, dirigée par un premier ministre de centre droit, ou de l'Italie, dont le gouvernement de centre gauche est soutenu par le parti communiste.
M. Jacques Legendre. Voilà qui est intéressant !
M. Xavier de Villepin. Avec ou sans le traité de Maastricht, les pays de l'Union européenne auraient été contraints de mener une politique de rigueur ; l'endettement public était devenu trop insupportable : il était passé de 56,1 % du PIB à 73,2 % en 1996.
En second lieu, la réduction du déficit est effectivement nécessaire au respect des critères permettant la réalisation de la monnaie unique, qui est une vraie chance pour la France et pour l'Europe.
A ce sujet, je dirai que le Gouvernement entend respecter les engagements européens, mais, monsieur le secrétaire d'Etat, dans une version minimale. Ainsi, nonobstant le caractère aléatoire des prévisions économiques retenues, le budget devrait, sur le papier, respecter le critère des 3 % du PIB pour les déficits publics.
Cependant, l'effort de redressement des comptes devrait en rester là, alors que le montant du déficit budgétaire est nettement supérieur aux dépenses en capital et à la charge de la dette.
Ainsi, notre pays va continuer à financer des dépenses de fonctionnement par des recettes d'emprunt et le stock de la dette continuera à croître en 1998, en valeur absolue comme en proportion du PIB.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Et consacrer une partie de l'emprunt au financement de dépenses de fonctionnement est tout à fait contraire aux principes de bonne gestion !
M. Xavier de Villepin. La maîtrise des dépenses, dans ce budget, risque donc de se révéler insuffisante, alors que, contrairement aux souhaits de certains, le futur euro devrait constituer une monnaie forte, ainsi que le remarquaient récemment MM. Raymond Barre et Jacques Delors dans un éditorial commun.
C'est d'ailleurs la motivation du futur pacte de stabilité monétaire, dont le principe a été adopté par la France et qui sera imposé à tous les membres de la future Union économique et monétaire.
L'effort que notre pays n'accomplira pas en 1998. lui sera demandé, tôt ou tard, dans les années à venir.
M. Roland du Luart. Assurément !
M. Xavier de Villepin. Il n'en sera que plus douloureux.
Le retour aux vieux démons de la dépense publique était perceptible dès les premières décisions prises par le Gouvernement. Je pense à la réutilisation des 10 milliards de francs de crédits gelés en février 1997 par le précédent gouvernement et aux premières embauches dans le secteur public.
Dans le projet de loi de finances pour 1998, on note également un certain relâchement en matière de dépenses, notamment de dépenses de fonctionnement.
Selon le Gouvernement, les dépenses de l'Etat, dont la croissance est fixée à 1,36 % pour une inflation de 1,4 %, connaîtraient « la plus faible évolution depuis quinze ans ». Or, le taux de 1,36 % est déjà trois fois supérieur à la tendance effectivement enregistrée entre juillet 1996 et juillet 1997, période pendant laquelle on n'a pas dépassé 0,5 %.
Je rappelle que, sur ce plan, l'évolution n'était que de 0,8 % en 1987, sous le Gouvernement de M. Chirac.
Ce qui est plus inadmissible encore, c'est la progression des dépenses de fonctionnement de l'Etat : celles-ci augmentent en effet de 1,4 % en francs constants, contre 0,5 % seulement en 1996, sous le gouvernement de M. Juppé.
Quant aux dépenses d'investissement, créatrices d'emplois, elles sont sacrifiées, en particulier celles qui touchent à la défense nationale. Conséquence de ces arbitrages : la loi de programmation militaire ne sera pas respectée en 1998. Nous le déplorons très fortement et nous ne manquerons pas de le dire à l'occasion du débat sur le budget de la défense.
Non seulement aucune politique de réduction des dépenses courantes n'est envisagée, mais les bénéfices des efforts entrepris par les précédents gouvernements sont anéantis du fait, notamment, d'une reprise du recrutement dans la fonction publique.
Or, selon l'OCDE, les effectifs des administrations publiques en France représentent déjà 25 % environ de l'emploi total, contre 16 % en RFA et 14,5 % en Grande-Bretagne. Cette différence explique en grande partie l'écart qui existe entre notre pays et ses partenaires en matière de dépenses publiques !
De 1993 à 1997, les précédents gouvernements ont commencé, avec un courage certain, à réduire les effectifs de la fonction publique ; ainsi, 5 000 postes ont été supprimés en 1996, principalement grâce au non-remplacement des personnes partant à la retraite.
M. Roland du Luart. Très juste !
M. Xavier de Villepin. Voilà à présent que notre pays est en train de recourir de nouveau à cette vieille recette keynésienne consistant à créer des emplois en grande partie artificiels et rémunérés par la collectivité nationale.
C'est le cas des 350 000 emplois-jeunes qui doivent être créés sur cinq ans. Or, nous ne sommes plus, monsieur le secrétaire d'Etat, en 1932 ou 1933. Dans l'histoire récente de l'économie française, chaque fois que l'on a accru les effectifs des agents publics, ce fut au détriment du nombre des emplois productifs.
Comme le montre M. Jean Choussat dans sa récente note sur les effectifs de l'administration, « quand la population d'âge actif y a augmenté de cent, la France a détruit dix-huit emplois privés et créé vingt-sept emplois publics, quarante-cinq chômeurs et quarante-six inactifs ».
Loin de réduire le chômage, le recrutement de nouveaux fonctionnaires tend, à terme, à l'aggraver.
L'autre défaut de ce budget découle logiquement de ce qui précède : l'excès de dépense publique entraîne une augmentation sensible des impôts et taxes. La croissance des recettes fiscales nettes sera, en 1998, de 4 % environ par rapport à la loi de finances initiale pour 1997 et de 3,1 % par rapport à la loi de finances de 1997 révisée, soit une hausse de plus de 51 milliards de francs, comme l'a justement indiqué notre rapporteur général dans le tome I de son rapport.
A titre de comparaison, dans le projet de budget précédent, les recettes nettes ne connaissaient qu'une évolution très faible, de 0,4 % environ. Si cette hausse très sensible des recettes provient en partie de la croissance économique, elle a aussi pour origine des mesures fiscales dont les principales cibles sont les familles, les épargnants et, avant tout, les entreprises.
A lui seul, en 1998, le secteur productif risque d'être ponctionné de 31 milliards de francs, si l'on ajoute les 9 milliards de francs prévus dans le budget aux 22 milliards de francs de prélèvements contenus dans le projet portant diverses mesures urgentes. Et je n'intègre pas le coût, à terme, du passage aux trente-cinq heures, problème sur lequel notre collègue Jean Arthuis et le groupe de l'Union centriste ont demandé la création d'une commission d'enquête.
Alors que les gouvernements de MM. Balladur et Juppé avaient consacré près de 43 milliards de francs supplémentaires à l'allégement du coût du travail pour les bas salaires, vous vous apprêtez, monsieur le secrétaire d'Etat, à limiter ou à remettre en cause certains dispositifs d'exonérations, comme celui qui est applicable au secteur textile.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Eh oui !
M. René Régnault. Il y a une directive européenne !
M. Xavier de Villepin. Certes, tout en augmentant a priori la pression fiscale, pour les entreprises comme pour les ménages, ce gouvernement annonce des allégements pour 1999 et l'an 2000. Mais la question est de savoir si, dans ce délai, il disposera des marges nécessaires à de telles mesures, qui pourraient toucher, s'agissant des entreprises, et en particulier des PME, la taxe professionnelle ou les cotisations patronales.
Dans l'immédiat, nos gouvernants semblent compter sur une supposée santé financière des entreprises, qui pourrait permettre à celles-ci « d'assumer » sans encombre ces majorations d'impôt.
En réalité, que constate-t-on actuellement ?
Il est vrai que les entreprises se sont désendettées, ces dernières années. Leur structure financière reste cependant toujours moins favorable que celle de leurs concurrentes étrangères : les dettes représentent 58 % de leurs bilans, contre 34 % seulement en Allemagne. Par ailleurs, elles ne sont pas complètement à l'abri d'une augmentation des taux d'intérêt dans les prochains mois ou les prochaines années.
C'est donc un pari dangereux que prend le Gouvernement : le risque de dispositions fiscales comme celles que vous nous proposez est d'accroître encore l'écart existant, en termes de prélèvements pesant sur les entreprises, entre la France et ses principaux partenaires et concurrents européens.
Déjà, les entreprises de dimension internationale prennent leurs dispositions afin de revoir à la baisse leurs bases imposables en France.
Je ne m'étendrai pas sur le grand péril que constitue la délocalisation des activités et des entrepreneurs, sans oublier, bien entendu, la fuite de l'épargne,...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Cela, c'est grave !
M. Xavier de Villepin. ... cette épargne qui est pourtant indispensable à une réelle reprise de l'investissement, dont la France a impérativement besoin.
Simultanément, nos voisins conduisent une politique inverse, en allégeant les charges sur les sociétés privées.
Parmi les « nouveaux dragons », ces partenaires européens qui attirent un nombre croissant d'entreprises de haute technologie, on trouve des pays comme les Pays-Bas ou l'Irlande. L'un est dirigé par un social-démocrate, l'autre par un conservateur. Leurs remèdes contre le chômage, fort efficaces dans les deux cas, se recoupent : ils comprennent une baisse massive des charges, corrélative à un effort de rationalisation des dépenses publiques et des transferts sociaux, la maîtrise des coûts salariaux et un effort particulier en matière de formation professionnelle.
Nous ne devons pas sous-estimer les conséquences négatives sur la consommation et l'investissement de l'augmentation des impôts acquittés par les ménages et les épargnants. Si l'on intègre les mesures figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale, ce sont au moins 20 milliards de francs qui vont être prélevés directement sur les Français. L'année dernière, le budget adopté pour 1997 prévoyait a contrario des allégements de 16 milliards de francs.
A ce sujet, le Gouvernement a décidé de remettre en cause la réforme sur cinq ans de l'impôt sur le revenu, que la majorité sénatoriale avait soutenue l'an dernier. Cette réforme avait un double avantage : un allègement sans précédent, dans notre pays, de l'impôt et la suppression d'un certain nombre de niches fiscales qui nuisent à son rendement.
Prétextant une « dérive » du déficit au premier semestre de 1997, vous avez décidé, monsieur le secrétaire d'Etat, de remettre en cause le vote du Parlement. Nous le regrettons vivement. En revanche, le groupe parlementaire auquel j'appartiens soutiendra l'amendement de la commission des finances tendant à rétablir le barème de l'impôt sur le revenu proposé par le gouvernement Juppé.
Voilà donc pour l'analyse non exhaustive d'une loi de finances qui ne peut manifestement pas satisfaire mon groupe et notre majorité sénatoriale.
A ce stade de mon intervention, je souhaite rendre hommage à la démarche réfléchie et ouverte de la commission des finances du Sénat. De concert avec les autres commissions du Sénat et les groupes de la majorité, elle est parvenue à élaborer un projet de budget corrigé dont nous partageons tout à fait la philosophie.
Se situant clairement dans la continuité des budgets précédents, ce projet allie lucidité et rigueur, face aux défis auxquels notre pays est confronté, tant il est vrai que la mondialisation des marchés, l'évolution rapide des techniques et l'émergence de nouveaux concurrents industriels génèrent à la fois d'immenses opportunités mais aussi des difficultés certaines.
Il est donc primordial de réformer, dès que possible, nos structures économiques et sociales, issues de l'après-guerre, afin de permettre à la France de disposer d'un maximum d'atouts dans un contexte inédit. A la veille, nous l'espérons, de l'instauration de la monnaie unique européenne, le projet de loi de finances pour 1998, monsieur le secrétaire d'Etat, vous en offrait l'opportunité. Malheureusement pour notre pays, vous ne l'avez pas saisie.
Il appartient à présent à l'opposition et à sa représentation parlementaire au sein du Sénat d'offrir aux Français un projet économique alternatif. Ce sera l'objet de nos débats.
Sous le bénéfice de ces observations, et après avoir rendu de nouveau hommage à l'excellent travail réalisé par la commission des finances, à son président, M. Christian Poncelet et à son rapporteur général, notre ami Alain Lambert, le groupe de l'Union centriste soutiendra le budget corrigé proposé par l'ensemble de la majorité sénatoriale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, m'exprimant au nom de l'union des sénateurs non inscrits, je souhaite indiquer d'emblée que nous nous situons dans la ligne définie par la commission des finances, sous la houlette de son très puissant président, M. Poncelet (Rires sur les travées de l'Union centriste et du RPR) , et à la lumière de l'avis éclairé de son rapporteur général, M. Lambert.
Nous tenons à souligner le courage politique de cette ligne en ce qui concerne la maîtrise des équilibres financiers, sachant combien il eût été plus confortable de nous contenter de critiquer l'insuffisance des crédits ou l'augmentation des prélèvements obligatoires.
Nous soutenons cette ligne responsable. A titre personnel, voilà plusieurs années que je présente l'examen du fascicule budgétaire dont j'ai la charge en rappelant qu'un bon budget est non pas celui qui augmente le plus, mais celui qui utilise au mieux les crédits dont il dispose.
M. Alain Lambert, rapporteur général. C'est vrai !
M. Philippe Adnot. Pour autant, cette attitude doit être approfondie et étendue à l'analyse des conséquences du projet de budget sur les entreprises et les particuliers : le niveau des prélèvements aura des répercussions sur l'emploi, par la diminution de la compétitivité des entreprises ou la baisse du pouvoir d'achat des citoyens.
A ce sujet, il nous paraît important de souligner que ce projet de budget, après les mesures prises dans le MUFF, consolide et alourdit les prélèvements décidés par le gouvernement précédent. En effet, ce dernier avait accru l'impôt sur les sociétés de 10 % ; son successeur le consolide et l'accroît de 15 %, ce qui représente 25 %.
En matière de pression fiscale, le gouvernement de M. Jospin, c'est « Juppé plus » : 120 milliards de francs pour M. Juppé ; 120 milliards de francs plus 50 milliards de francs pour M. Jospin.
M. Hubert Durand-Chastel. Très bien !
M. Philippe Adnot. Nous devons également appréhender ce budget sous l'angle de la pertinence de l'utilisation des crédits de l'Etat, notamment de l'investissement et des conséquences des choix opérés.
Force nous est de constater que l'apparent équilibre a primé sur toute autre considération.
Dans tous les budgets, priorité a été donnée à l'augmentation des dépenses de fonctionnement. Jamais la dépense n'a été considérée pour ce qu'elle engageait comme transformation de la société, comme évolution qualitative de notre activité économique, donc d'avenir pour notre jeunesse, alors même que, sous nos yeux, nous pouvons mesurer les effets des choix opérés par le tandem Clinton Al Gore en faveur des métiers de l'avenir et leurs implications en termes de valeur ajoutée.
Au-delà de ce budget, de son évolution qualitative et quantitative, nous souhaitons attirer votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, mais aussi la vôtre, la nôtre, mes collègues, sur l'inefficacité de la maîtrises des équilibres budgétaires si, ensuite, au fil des textes, nous laissons se développer tous les ingrédients d'une société de plus en plus pesante, rigide et suradministrée.
Nous venons d'examiner le texte relatif au financement de la sécurité sociale : l'allongement de la durée de vie de la Caisse d'amortissement de la dette sociale est une véritable bombe à retardement pour les générations suivantes. Je prends date pour constater les méfaits du manque de volonté d'expliquer la vérité aux Français.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il est important de la dire !
M. Philippe Adnot. Il n'est pas un texte, qu'il soit d'origine parlementaire ou gouvernementale, qui ne crée les conditions de nouvelles réglementations, de nouvelles charges. Les motivations sont toujours généreuses. Les obligations normatives décidées par Bruxelles sont, bien souvent, à l'origine de ces nouveaux textes. Ce n'est pas une excuse !
Nous tenons à réaffirmer ici que le problème majeur du chômage et de son cortège de difficultés ne pourra trouver de solution que dans l'allégement des contraintes fiscales et administratives, que dans la libération des énergies créatrices, que dans l'affirmation d'une dépense publique orientée vers la création de richesse collective.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. Philippe Adnot. Tout le reste, même marqué du sceau des bonnes intentions, est illusoire. Cette ligne de conduite suppose l'effort de tous, le vôtre aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, le nôtre demain. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, face à nos compatriotes, face à nos enfants, face à notre histoire, nous avons pour mission d'inscrire notre pays parmi ceux qui relèveront les défis d'une économie mondialisée toujours plus exigeante.
Cette réussite, c'est la clef de l'emploi, de la prospérité et de l'harmonie sociale.
Cette réussite, que nous appelons tous de nos voeux, conduit à opérer des choix difficiles, parfois douloureux. Mais différer ces choix, c'est les rendre demain encore plus difficiles, encore plus douloureux.
La caractéristique essentielle de ce projet de budget et, précisément, de retarder ces choix, voire d'aggraver les contraintes qui entravent notre dynamisme économique.
Ce projet de budget retarde les choix nécessaires en aggravant la pression fiscale et sociale sur les cadres, fer de lance de notre économie, et sur les classes dites « moyennes supérieures », qui sont la cible naturelle de toutes les ponctions nouvelles. Cette attitude dogmatique est dangereuse dans une économie ouverte, européenne, mondiale.
En interrompant la réforme quinquennale de l'impôt sur le revenu, en maintenant des taux marginaux très élevés, en ponctionnant l'épargne, en démantelant la politique familiale applicable à ces catégories de revenus, on offre sans doute à une partie de l'électorat une satisfaction d'ordre politique.
Mais est-ce ainsi que l'on motivera les cadres, les professions libérales et les entrepreneurs individuels, bref tous ceux dont dépendent directement les performances de nos entreprises ? Est-il vraiment responsable de pénaliser le travail, le risque et la réussite ?
Peut-on, dans le même temps, signer le traité d'Amsterdam, qui défend - ce sont ses propres termes ! - « une économie de marché ouverte où la concurrence est libre » et prendre des mesures nationales incompatibles avec l'esprit d'entreprise ?
M. Jacques Oudin. Très juste !
M. Roland du Luart. Pour ma part, je considère que le volet fiscal du projet de budget qui nous est soumis n'est pas favorable à notre économie, et que, de fait, il est en contradiction avec nos engagements européens. Ses effets négatifs s'additionneront à ceux d'un système fiscal qui, aux dires de tous les experts que la commission des finances a entendus, a déjà pour effet de procurer un rendement réel négatif au patrimoine d'un grand nombre de ménages, dès lors que l'on prend en compte la cascade d'impositions qui lui sont attachées.
En France, hélas ! la fiscalité des revenus et celle du patrimoine incitent à la délocalisation, à l'optimisation, à l'évasion et, je le déplore, au travail clandestin. Politiquement correcte ou non, cette réalité incontournable, nous feignons de l'ignorer parce qu'elle nous dérange.
La commission des finances a régulièrement averti les gouvernements précédents des risques encourus, avec, il est vrai, un succès modeste l'an dernier. Elle est donc parfaitement dans son rôle lorsqu'elle réitère ses avertissements : notre système fiscal conduit à la fuite légale des capitaux et - ce qui est plus grave - à l'évaporation de l'assiette imposable.
D'ailleurs, je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous indiquiez le nombre de personnes qui ont quitté la France depuis le déplafonnement décidé par M. Juppé l'an dernier.
Regardons quelques instants autour de nous : les cadres français les plus performants se tournent vers l'étranger ; nos concurrents anglais viennent en France vanter les charmes fiscaux de la région du Kent ; les entreprises sont contraintes de se livrer à des contorsions juridiques pour minorer la part des salaires versés en France ; pis encore, nombre d'élèves, parmi les plus brillants, à peine sortis de nos universités ou de nos grandes écoles, ont désormais pour priorité de trouver un emploi à l'étranger, notamment sur la place de Londres. Quand nous en discutons avec eux, ils nous accusent de « ringardise », de ne rien comprendre à l'économie mondiale. Ont-ils vraiment tort, mes chers collègues ?
Les éléments de fiscalité des entreprises contenus dans ce projet de loi de finances participent de cette « exception française », que M. le rapporteur général a raison de rebaptiser « illusion française ».
Là encore, il suffit de parcourir la presse ou de constater ce qui se passe dans nos départements pour mesurer les évolutions de notre système productif : les PME françaises les plus dynamiques - notamment celles du secteur agro-alimentaire - sont absorbées par leurs concurrentes européennes ; les grandes sociétés délocalisent à l'étranger des pans entiers de leur activité ; les investisseurs étrangers détiennent près de la moitié de la capitalisation boursière de nos plus belles valeurs.
Quelles réponses apportons-nous à cette perte de substance économique ?
Nous aggravons l'impôt sur les sociétés. Nous incitons les grandes entreprises de transformation des métaux, du raffinage pétrolier ou de vente par correspondance à se redéployer à l'étranger.
Nous faisons entendre aux investisseurs étrangers que la France sera désormais le seul pays développé à ne plus admettre la déductibilité des provisions pour licenciement et que son Gouvernement veut contraindre les entreprises à modifier la répartition de la valeur ajoutée.
Nous incitons les épargnants à souscrire des contrats d'assurance vie auprès de compagnies étrangères.
Nous modifions, enfin, la fiscalité de l'épargne dans un sens défavorable aux actions, à l'épargne à risque, qu'il faudrait justement encourager.
Mes chers collègues, je ne veux nullement jouer les Cassandre, car j'ai confiance dans les réserves d'énergie de notre vieille nation. Toutefois, mon devoir de lucidité me commande d'énoncer devant vous les risques que la politique d'aggravation des prélèvements obligatoires du Gouvernement fait courir à notre économie.
Sans vouloir polémiquer, je rappellerai que, pour les années 1997 et 1998, les prélèvements obligatoires s'élèvent à 80 milliards de francs et que, pour la seule année 1998, ils représentent indiscutablement 56 milliards de francs.
Nous affaiblissons l'esprit d'entreprise et nous divisons le pays en dressant les employés des secteurs « exposés » contre les fonctionnaires du secteur « abrité ».
Nous instituons un système fiscal radicalement différent de celui de nos partenaires européens et nous aggravons les prélèvements qui font fuir l'emploi.
Nous orientons notre épargne nationale vers les emplois les moins productifs, en nous refusant tant à créer des fonds de pension dynamiques qu'à réviser les mécanismes de l'épargne administrée.
Pourtant, dans le même temps, le Gouvernement signe le traité d'Amsterdam, réaffirme son attachement à l'euro et préconise une harmonisation fiscale européenne. Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour prédire que cette politique du « grand écart » ne pourra pas être menée pendant très longtemps et que les réalités les plus évidentes ne pourront être occultées durablement.
Ni la croissance des investissements étrangers en France, ni les excédents de notre balance commerciale, ni même les résultats financiers de nos entreprises ne doivent nous bercer d'illusions. Comme l'Allemagne, car nous conduisons la même politique que celle qu'elle a menée depuis une dizaine d'années, nous allons voir les investissements étrangers en France décroître et les investissements français à l'étranger se développer.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Cela a déjà commencé !
M. Roland du Luart. Absolument, je vous l'accorde. Nous le constatons, précisément, parce qu'il ne fera plus bon produire en France. Il suffit d'interroger certains grands chefs d'entreprise pour s'apercevoir qu'ils vont prendre des décisions.
Comme en Allemagne, nos grandes entreprises trouvent dans leurs filiales étrangères l'essentiel de leurs profits, ce qui poussera les fonds de pension actionnaires à exiger d'elles de « réduire la voilure » en France.
Quant aux excédents de notre balance commerciale, ils proviennent, pour une très large part, de la forte croissance de la demande mondiale et de la faiblesse de nos investissements.
Mes chers collègues, ces indicateurs ne sauraient susciter l'optimisme béat. Ils doivent nous convaincre que la France va perdre de sa substance industrielle et de son dynamisme économique. L'étude que la commission des finances a commandée à l'institut Rexecode le démontrerait, si jamais nous en doutions.
En matière de dépenses, le projet de loi de finances qui nous est transmis ne correspond pas non plus aux dures exigences de l'heure.
Sans doute la croissance assez élevée du PIB en 1998 pourra-t-elle masquer provisoirement cette absence de maîtrise de la dépense publique.
Mais, dès lors que nous retrouverons le sentier de notre croissance potentielle, ce que les simulations de l'OFCE prévoient, apparaîtront des déséquilibres graves ; ce seront les mêmes que ceux que nous avons connus depuis 1993, quand la « réhabilitation de la dépense publique », lancée en période de forte croissance, a montré ses graves conséquences en période de croissance ralentie. L'histoire budgétaire de notre pays sera ainsi faite d'erreurs renouvelées. Quel dommage, assurément !
Les facteurs d'emballement de la dépense publique sont réunis dans le projet de budget que nous examinons.
Les effectifs de la fonction publique repartent à la hausse, alors même que les dépenses de personnel et de retraite se sont accrues de 200 milliards de francs en dix ans. Il faut se souvenir que le non-remplacement du départ en retraite d'un fonctionnaire sur cinq pendant dix ans ne représenterait qu'une économie de 16 milliards de francs en 2007, alors que les 350 000 emplois-jeunes nous coûteront, à court terme, 35 milliards de francs de plus.
Rien n'est fait, par ailleurs, pour réformer les régimes spéciaux de retraite des fonctionnaires, alors que le poids de ces retraites se sera accru en francs constants, en 2010, de 70 milliards de francs. Il y a pourtant urgence, compte tenu de l'inertie de ces dispositifs et de la pyramide des âges ; ainsi, une réforme qui réduirait de 1 % chaque année pendant dix ans le montant moyen des nouvelles pensions concédées ne procurerait que 3,9 milliards de francs d'économies en 2007, soit 2,5 % du montant total des pensions.
Le courage montré en son temps par le gouvernement de M. Balladur pour les retraites du secteur privé n'a pas fait d'émules, c'est le moins que l'on puisse dire. Or, nous savons tous, depuis le Livre blanc de M. Michel Rocard, que ce dossier sera explosif dans les dix prochaines années.
Rien n'est fait non plus, bien au contraire, pour réduire la part de l'Etat dans la prise en charge de la fiscalité locale. Même si les mesures prises en matière de taxe d'habitation sont généreuses, elles se traduisent par plus de un milliard de francs de prise en charge supplémentaire par l'Etat, ce qui rend encore plus préoccupante l'évolution des concours passifs de l'Etat aux collectivités locales.
En effet, la véritable question est la suivante : peut-on être généreux quand on finance cette générosité par le déficit budgétaire et par l'emprunt ? Cette question vaut, mes chers collègues, pour l'ensemble des dépenses sociales de l'Etat, pour lesquelles notre rapporteur général nous a cité des chiffres fort préoccupants. La générosité à crédit est-elle autre chose que l'habillage comptable de la faiblesse et de l'irrésolution ?
M. Denis Badré. C'est une bonne formule !
M. Roland du Luart. De surcroît, je constate que le Gouvernement accélère les débudgétisations de dépenses, qu'il s'agisse des aides personnelles au logement, des subventions aux entreprises publiques, des crédits routiers ou des aides à la presse.
Les transferts de crédits budgétaires vers des comptes spéciaux du Trésor ont un effet optique bienvenu sur la croissance des dépenses, mais ils participent néanmoins de cette absence de maîtrise de la dépense que nous ne pouvons que déplorer. Notre rapporteur général a raison de souligner que les charges réelles de l'Etat s'accroîtront plus en 1998 qu'en 1997. Pour illustrer cet exemple, il suffit de prendre en compte les conséquences de l'augmentation de la durée de vie de la CADES.
Le groupe des Républicains et Indépendants ne peut donc se rallier aux orientations d'un gouvernement qui n'améliore le solde budgétaire que grâce à une ponction fiscale considérable, masquant ainsi l'accroissement préoccupant de la dépense.
Pour ma part, je suis sincèrement inquiet des effets de cette politique, effets que nous ne percevrons que dans quelques mois, lorsque les contribuables auront pris la mesure des efforts nouveaux qui leur sont demandés.
M. Marc Massion. Quels contribuables ?
M. Roland du Luart. Ceux qui paient l'impôt !
M. René Régnault. Ceux qui ne peuvent pas se débrouillent pour ne pas le payer !
M. Roland du Luart. Vous savez fort bien que seuls 48 % de Français paient l'impôt. Il s'agit d'un problème d'assiette.
Je pense notamment aux retraités, qui subiront à la fois la diminution de la déduction de 10 % non compensée par la baisse du barème, le plafonnement de la demi-part des personnes seules ayant élevé des enfants, le plafonnement de la restitution de l'avoir fiscal, qui touchera des dizaines de milliers de retraités modestes, et la diminution de 50 % de la réduction d'impôt pour les emplois à domicile, si nécessaires à nombre de nos anciens, sans oublier l'aggravation de la CSG, qui viendra ponctionner le revenu de leur épargne. L'ensemble de ces mesures, prises, hélas ! sans aucune concertation ni vision d'ensemble, auront des conséquences que nous aurons bientôt, mes chers collègues, à mesurer.
Je pense également à toutes les personnes physiques et aux entreprises qui se verront appliquer des prélèvements fiscaux et sociaux considérablement alourdis sur les plus-values qu'ils auront pu réaliser en 1997.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je dois vous avouer que cette rétroactivité de fait me choque profondément, qu'elle s'applique aux ventes de fonds de commerce ou à des réalisations d'actifs rendues nécessaires par les accidents de la vie. L'Etat ne s'honore guère lorsqu'il reprend sa parole et qu'il change les règles du jeu en cours de partie.
Je comprendrais très bien que des nouvelles mesures s'appliquent à compter du dépôt de la loi de finances. Mais il n'est pas normal de changer la donne, à partir du 26 septembre, pour des dispositions qui ont été prises par les contribuables sur la base de la précédente loi de finances.
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est vrai !
M. Roland du Luart. Le Gouvernement ne s'honore pas davantage lorsqu'il applique aux ménages recourant à des emplois à domicile une rigueur qu'il se garde bien de s'imposer à lui-même, puisqu'il augmente le nombre des emplois publics. S'il fallait une preuve supplémentaire que l'emploi public chasse l'emploi privé, elle serait ainsi apportée.
Parce qu'il ne maîtrise pas la dépense et qu'il accroît les prélèvements obligatoires en valeur absolue, ce projet de budget ne peut être accepté en l'état par le Sénat. Le rapporteur général et le président de la commission des finances du Sénat l'ont démontré tout à l'heure avec précision et persuasion. Au nom du groupe des Républicains et Indépendants, je leur apporte donc tout notre soutien dans cette entreprise difficile mais salutaire de correction de ce budget.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce n'est qu'en maîtrisant la dépense que nous pourrons baisser les impôts et relancer la croissance. Ce n'est qu'en maîtrisant la dépense que nous cesserons de sacrifier les intérêts légitimes des générations à venir.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Très bien !
M. Roland du Luart. Ce n'est qu'en maîtrisant la dépense que nous accomplirons notre mission de rétablissement des grands équilibres, condition indispensable de notre compétitivité dans l'Europe de la monnaie unique et donc de la préservation du pacte social à la française. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)

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