FONCTIONNEMENT
DES CONSEILS RÉGIONAUX

Suite de la discussion d'une proposition de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au fonctionnement des conseils régionaux.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme l'a fait ce matin, au nom du groupe des Républicains et Indépendants, notre collègue Jean-Pierre Raffarin, je voudrais, à mon tour, vous faire part de notre sentiment sur les conditions d'examen de ce texte.
Je fais partie de ceux qui, ce matin, ont écouté les remarquables développements de notre rapporteur, M. Paul Girod, et du président de la commission des lois, M. Jacques Larché. Après les avoir entendus, je crois que l'on peut considérer que la demande formulée par la commission des lois, qui a souhaité disposer de suffisamment d'éléments, qui a souhaité entendre les réponses aux questions que M. le rapporteur a posées en son nom, qui a donc souhaité disposer de suffisamment de temps pour se prononcer sur ce texte très important pour l'avenir et le fonctionnement de nos régions, était tout à fait justifiée.
Quoi qu'il en soit, je tiens à rendre hommage à la ténacité avec laquelle le président de la commission des lois et son rapporteur ont essayé de faire comprendre à chacun que l'on ne pouvait délibérer en quelques instants sur un tel sujet.
Il est vrai que l'idée est intéressante, mais il est non moins vrai que, si le texte qui nous a été transmis par l'Assemblée nationale devait être adopté en l'état, il n'aboutirait pas à l'effet escompté, car il ne favoriserait probablement pas une meilleure gestion et un meilleur fonctionnement des régions. Il s'agit en effet, pardonnez-moi l'expression, d'une véritable « usine à gaz » qui, je crois, provoquerait une paralysie dont la région n'a pas besoin, nous en sommes les uns et les autres convaincus.
Enfin, élément supplémentaire de difficulté, il n'était pas évident pour nous de travailler sans support, sans rapport écrit.
Mais j'en viens au fond de la présente proposition de loi.
Le Parlement est donc invité à décider que, avant chaque tour de l'élection à la présidence d'un conseil régional, les candidats devront adresser au doyen d'âge une déclaration écrite présentant les grandes orientations de leur action pour la durée de leur mandat ainsi que la liste des membres du conseil auxquels ils donneront délégation pour la constitution du bureau.
Une telle disposition, à l'évidence, serait tout à fait nouvelle. Elle serait choquante, et ce serait probablement, comme cela a été dit par le président Larché, une disposition de circonstance.
Dès lors, nous sommes fondés à penser que la présente discussion survient avant les élections régionales pour contraindre la droite à s'allier publiquement à l'extrême droite, mais peut-être davantage encore, par précaution et par prudence, pour pouvoir assurer la cohésion d'une majorité nationale aujourd'hui plurielle qui, dans bien des régions - je ne pense pas seulement au Nord - Pas-de-Calais - est parfois singulière.
Cela dit, tenons-nous-en à quelques éléments de droit.
Tout d'abord, il n'est pas obligatoire de former un bureau. Par ailleurs, un président peut n'accorder aucune délégation. Ensuite, un candidat à la présidence ne peut pas indiquer par avance la liste des membres du bureau ni les éventuelles délégations qui s'y rattacheraient dès lors que l'assemblée n'a pas encore décidé le nombre des membres de la commission permanente, qui peut varier de quatre jusqu'à l'effectif total des membres du conseil régional. Enfin, le président élu ne devient exécutif qu'à l'instant de son élection, et à cet instant-là seulement. Sous sa propre responsabilité, il accordera ou non, tout au long de l'exercice de sa présidence, des délégations à tel ou tel de ses collègues, et il pourra d'ailleurs les leur retirer en fonction de ce qu'il jugera utile, modifiant par la même, évidemment, la composition du bureau.
Cette proposition de loi accumule donc les anomalies juridiques, pour ne pas dire plus.
Les règles qu'elle édicte sont tout à fait inédites en droit français et s'écartent profondément du corpus cohérent et général des collectivités territoriales tel qu'il découle des lois de décentralisation et des codes actuels.
Pourquoi les conseils régionaux seraient-ils soudain régis par des règles profondément distinctes de celles qui sont appliquées dans toutes les assemblées françaises ?
Par ailleurs, l'interdiction de tout débat sous la présidence du doyen d'âge installant l'assemblée constitue une règle d'usage constante. S'il appartient sans doute au doyen d'âge d'en décider - le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 16 janvier 1987, a bien considéré qu'il appartenait au doyen d'âge de décider s'il y aurait débat ou non - nous savons bien les uns et les autres, pour siéger dans différentes assemblées, qu'il ne peut s'agir que d'un débat concis, limité, rigoureusement équilibré et encadré, et que c'est donc, à l'évidence, tout à fait exceptionnel.
Le législateur a ainsi voulu préserver la sérénité de l'élection du président d'une collectivité ou d'un maire.
Si la proposition de loi qui est soumise à notre examen devait être appliquée, il y aurait donc, me semble-t-il, sinon violation d'une règle républicaine, du moins évolution curieuse de cette règle, car on imagine mal qu'aucun débat ne puisse avoir lieu à la suite de déclarations faites par le doyen d'âge, qui, je le répète, n'a jamais reçu une telle mission.
Il me semble que ce dernier point est tout à fait négatif, en particulier au regard de la sérénité qui doit normalement présider à l'élection du président d'un conseil régional.
Par ailleurs, comment publier une liste de noms sans connaître de façon précise la réaction des intéressés, qui pourraient dès lors publiquement accepter cette délégation ou la refuser, créant ainsi une confusion supplémentaire qu'il n'est évidemment pas besoin d'organiser par une loi ?
Enfin, et pour conclure sur le fond, le mandat impératif est interdit en droit français. Sans doute concerne-t-il, selon l'article 27 de la Constitution, les seuls membres du Parlement, mais on aurait vraiment peine à comprendre pourquoi il ne s'appliquerait pas aux exécutifs des principales collectivités territoriales. Il y a là, me semble-t-il, une règle qui doit s'appliquer.
Dès lors, à quoi la déclaration que le candidat à la présidence devrait faire engagerait-elle celui-ci - s'il était élu - ou les éventuels titulaires des délégations qui seraient données à tel ou tel membre du conseil régional ?
Si l'on prend acte de l'interdiction de tout mandat impératif du président nouvellement élu, en fait, cela ne l'engagerait en rien et n'aurait aucune conséquence ; par conséquent, ce serait tout à fait inutile.
Si l'on accepte cette règle nouvelle et inédite, le président pourrait alors se trouver frappé, en quelque sorte, de sanction s'il modifiait, tout au long de son mandat, ses délégations, et probablement sa présidence s'en trouverait-elle déstabilisée.
Mes chers collègues, nous nous trouvons donc, me semble-t-il, dans une situation qui est confuse, invraisemblable et qui, en l'état, ne peut être acceptée par le Sénat.
M. Jean Chérioux. Monsieur de Raincourt, m'autorisez-vous à vous interrompre ?
M. Henri de Raincourt. Je vous en prie, mon cher collègue.
M. le président. La parole est à M. Chérioux, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean Chérioux. Mon cher collègue, ce que vous venez de dire concernant le mandat impératif me trouble énormément. Je me demande d'ailleurs s'il n'y a pas là matière à saisir le Conseil constitutionnel.
Vous avez dit vous-même que la Constitution n'interdisait le mandat impératif que pour les parlementaires, mais il est certain que, à l'époque où la Constitution a été élaborée, puis adoptée par le peuple français, il n'y avait pas d'exécutif dans les départements et les régions.
Par conséquent, il y a là un élément nouveau et l'on peut se demander s'il ne serait pas souhaitable de connaître la position du Conseil constitutionnel à ce sujet.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Mon cher collègue, je vous remercie. Naturellement, je n'ai pas qualité pour répondre en lieu et place de M. le rapporteur ou de M. le président de la commission des lois. Je crois, malgré tout, que ce que disait ce matin M. Larché est tout à fait exact : si nous avions travaillé d'une autre manière, à partir d'un projet de loi plutôt que d'une proposition de loi, nous connaîtrions déjà l'avis du Conseil d'Etat sur cette question.
M. Jean Chérioux. Tout à fait !
M. Henri de Raincourt. Par ailleurs, nous verrons bien, à l'issue des travaux parlementaires, ce que sera le texte et s'il y a ou non lieu de consulter le Conseil constitutionnel. Si cela est nécessaire, il sera alors possible, à mon avis, de trouver soixante sénateurs ou soixante députés pour introduire un tel recours devant le Conseil constitutionnel.
Le Sénat se doit donc d'affirmer avec une certaine fermeté, voire avec une certaine solennité - il s'agit en effet de la défense de la démocratie - qu'un membre d'une assemblée doit rester libre de son comportement politique tout au long de son mandat. Il en va de la dignité des élus, ainsi que de la crédibilité de nos différentes instances représentatives.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, s'il est intéressant que la discussion générale sur cette proposition de loi ait été engagée, il convient maintenant de donner à M. le rapporteur la possibilité d'en examiner toutes les implications afin que le texte qui résultera de nos travaux concoure, si tel est vraiment l'objectif, à l'amélioration du fonctionnement des conseils généraux et ne soit pas, en réalité, qu'une loi de circonstance à petit usage politique ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'Assemblée nationale a adopté, à la suite du dépôt de quatre propositions de loi, un texte relatif au fonctionnement des conseils régionaux dont l'objet est l'adoption sans vote du budget régionaux en cas de situation de blocage.
Ainsi se verrait transposé en droit français le mécanisme du vote de défiance constructif, bien connu non seulement de nos voisins allemands, même s'il n'a jamais été appliqué - tout comme l'article 49-3 de la Constitution, on sait qu'il existe, mais on l'utilise le moins possible ! - mais aussi de nos collègues corses. En effet, l'article L. 4422-20 du code général des collectivités territoriales dispose que « l'assemblée de Corse peut mettre en cause la responsabilité du conseil exécutif par le vote d'une motion de défiance. »
Je reviendrai ultérieurement sur les institutions corses. Après tout, pourquoi ne pas faire fonctionner l'ensemble des régions à l'image de l'assemblée de Corse ? Mais ce serait un autre système, puisque la Corse est dotée d'un conseil exécutif, qui n'existe pas dans les autres régions.
Certains sont même allés jusqu'à comparer ce nouveau dispositif à l'article 49-3 de la Constitution, qui permet au Gouvernement ne disposant pas de la majorité absolue d'engager sa responsabilité pour obtenir l'adoption d'un texte. Cette procédure a d'ailleurs bien fonctionné pendant quelques années.
Permettez-moi de dire, mes chers collègues, que cette comparaison n'a aucun fondement dans la mesure où la séparation des pouvoirs n'existe pas dans les collectivités : après avoir préparé son budget, le président le fait voter, puis l'exécute.
M. Henri de Raincourt. Voilà !
M. Jean-Jacques Hyest. D'ailleurs, j'irai plus loin en disant que je me pose de sérieuses questions sur l'ensemble de ce texte, qui vise à modifier le mode d'adoption du budget à la veille des prochaines élections régionales et dont la pertinence et la légitimité face aux problèmes des conseils régionaux ne me paraissent pas sauter aux yeux.
Certes, la région est la seule collectivité locale française dotée d'une assemblée élue au scrutin proportionnel. D'ailleurs, c'est peut-être son problème.
De plus, elle reste une collectivité jeune puisque, alors que la commune remonte à la nuit des temps - elle est l'héritière des paroisses - et que le département vient de fêter ses deux siècles d'existence, la région a été créée en tant qu'établissement public en 1972, même si quelques institutions existaient auparavant. En 1982, les lois de décentralisation lui ont accordé son statut actuel et, en 1986, elle est devenue une collectivité territoriale de plein exercice par l'élection de ses conseillers au suffrage universel direct. D'ailleurs, certains pensent que le système antérieur, sous la forme d'un établissement public regroupant les collectivités départementales et communales, avait sa légitimité et avait plutôt bien fonctionné en matière d'aménagement du territoire et de grands projets.
M. Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest. La création des régions a même failli ne jamais avoir lieu : il faut en effet se souvenir que les révolutionnaires craignaient - on sait pourquoi ! - les circonscriptions trop étendues qui auraient permis d'établir des corps administratifs assez forts pour entreprendre de résister au chef du pouvoir exécutif. Dieu nous garde de l'élection au suffrage universel direct des présidents de région !
On se souvient aussi du rejet du projet référendaire, le 27 avril 1969. Par conséquent, les régions ont connu des difficultés pour émerger et pour trouver leur place dans les institutions françaises.
Néanmoins, les régions ont vu leurs compétences, leurs responsabilités et leurs moyens budgétaires et financiers considérablement augmentés : le budget total des régions atteignait, en 1995, 70 milliards de francs, soit 10 % du total consolidé des budgets de l'ensemble des collectivités territoriales.
Institutionnellement, la région a évolué. Forte de son assemblée élue au suffrage universel direct et de son exécutif propre désigné par celle-ci, elle s'appuie sur une administration structurée et autonome ne dépendant plus en rien du préfet et des services de l'Etat.
Aujourd'hui, dans l'ensemble, les régions fonctionnent normalement, avec des majorités stables, même si elles sont parfois relatives, capables d'élaborer et d'adopter leur budget de façon satisfaisante.
Comme l'a indiqué M. le rapporteur, au cours de ces douze dernières années, seulement deux conseils régionaux sur vingt-deux se sont trouvés dans l'impossibilité de voter le budget présenté par leur président avant la date limite prévue par le code général des collectivités territoriales : la Haute-Normandie, en 1995 et 1996, et l'Ile-de-France, en 1997. On peut d'ailleurs se demander pourquoi, en 1997, le conseil régional d'Ile-de-France n'a pu adopter son budget dans les temps, alors qu'il y était toujours parvenu auparavant : la proximité d'une année électorale a sans doute rendu les choses plus difficiles, certains nourrissant l'espoir d'obtenir la majorité relative. Des tensions en sont résultées, alors que, précédemment, en grande majorité les élus du conseil régional étaient globalement d'accord sur les options importantes.
On peut, bien entendu, se demander pour quelles raisons le vote de défiance constructif est introduit subitement. Nous savons qu'il y a eu au sein de la majorité actuelle, comme au sein de la majorité précédente, un large débat sur le fait de savoir s'il conviendrait ou non de modifier le mode de scrutin pour les prochaines élections régionales. Comme il n'y a guère d'unanimité dans ce domaine, pratiquement sur toutes les travées d'ailleurs, le Gouvernement a finalement accepté une solution échappant au statu quo et parvenant à contenter les différentes composantes de sa majorité.
Si le Gouvernement estime qu'il n'a pas le temps, ce qui est largement critiquable, pourquoi ne pas attendre ? Peut-être parce que le parti socialiste considère que, dans un certain nombre de régions, la majorité plurielle ne recueillera pas, après les prochaines élections, la majorité absolue des voix, et donc des sièges. Or, pour pouvoir gouverner, il ne restait plus qu'une solution : un aménagement fonctionnel de la procédure d'adoption du budget.
Si tels sont bien les motifs de cette réforme, permettez-moi, mes chers collègues, de considérer que nous ne pouvons guère cautionner ce texte qui, tel qu'il est rédigé aujourd'hui, ne résout rien.
J'en viens au dispositif proposé. Concrètement, si le projet de budget présenté par le président du conseil régional n'est pas adopté à la date limite, celui-ci peut présenter un nouveau projet, c'est-à-dire le projet initial modifié, le cas échéant, par des amendements venus dans le débat. Le budget est alors considéré comme adopté douze jours après sa communication au conseil régional, sauf dépôt d'une motion de défiance présentée par un tiers des membres de ce dernier.
La proposition de loi introduit un verrou puisque la motion de défiance, qui doit présenter un contre-budget et une déclaration politique, doit être adoptée par la majorité absolue des membres du conseil régional. Cette disposition - on le voit bien - résoudrait peu de cas et serait à l'origine d'une pagaille considérable dans les conseils régionaux.
Si aucune motion de défiance n'est votée, le budget, considéré comme adopté, sera tout naturellement exécuté séance après séance, tout au long de l'année, par la commission permanente et, parfois, par le conseil régional, comme l'a fort bien expliqué M. le rapporteur. Or, cette commission, désignée pour partie à la représentation proportionnelle, peut, elle aussi, s'opposer à telle ou telle proposition du président. Dans ces conditions, le budget, bien que considéré comme adopté, ne pourra même pas être exécuté dans les faits.
Il y a un autre sujet d'inquiétude : en cas de budget de « substitution », celui-ci serait exécuté par le président du conseil régional en place. En effet, le texte adopté par l'Assemblée nationale écarte tout lien entre le maintien en fonction du président et le vote du budget. En définitive, le conseil régional pourrait donc être gouverné par une minorité.
Par ailleurs, comme l'a fort bien souligné M. le rapporteur, la loi fait obligation au conseil régional de saisir pour avis le comité économique et social de tout projet de budget. Rien de tel n'est prévu par la proposition de la loi votée par l'Assemblée nationale.
Enfin, la proposition de loi dispose - ce point nous a beaucoup perturbés, en raison de l'absence de lien direct avec le texte - que « les candidats à la fonction de président du conseil régional adressent au doyen d'âge une déclaration écrite présentant les grandes orientations de leur action pour la durée de leur mandat et la liste des membres du conseil auxquels ils donneront délégation en vue de la constitution de son bureau. »
D'une part, le président se trouve obligé de présenter pour le bureau le nom de candidats dont il n'a pas la certitude qu'ils seront élus membres de la commission permanente. D'autre part, cette disposition introduit le principe de collégialité dans la désignation du bureau du conseil régional, notion totalement inconnue de nos collectivités territoriales. Si certains ont peut-être en mémoire le Comité de salut public, les comités de sûreté générale ou le Consulat, un tel dispositif est cependant peu intégré dans nos institutions actuelles.
A propos du bureau, j'aimerais rappeler que la comparaison avec les institutions régionales de Corse n'est pas pertinente. En effet, comme je l'ai indiqué au début de mon propos, la Corse a la particularité d'avoir un conseil exécutif.
M. Daniel Eckenspieller. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est l'existence de ce conseil qui donne toute sa légitimité à la motion de défiance que peut voter l'assembée de Corse. Il faudrait donc, pour donner un semblant de cohérence aux dispositions adoptées par l'Assemblée nationale, prévoir un conseil exécutif pour tous les conseils régionaux.
M. Paul Girod, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est une autre chose !
M. Jean-Jacques Hyest. Cela pourrait être une autre proposition ! Après tout, on réfléchit.
Sans aller plus loin dans l'analyse du caractère largement improvisé du texte, nonobstant les efforts du rapporteur de l'Assemblée nationale, qui a essayé de rassembler des mesures relativement contradictoires, je voudrais terminer mon propos en suggérant une autre solution, et ce même si les propositions du rapporteur m'agréent. En effet, nous pouvons quand même formuler d'autres solutions en vue de poser les vrais problèmes des conseils régionaux !
M. Paul Girod, rapporteur. On peut toujours faire mieux !
M. Jean-Jacques Hyest. Ce texte n'apporte pas de solution de fond, et le seul motif qu'on puisse lui trouver est un but post-électoral. Or, je considère que le législateur doit traiter les problèmes sérieusement et éviter autant que faire se peut les lois de circonstance.
Si nous souhaitons vraiment que les régions soient plus fortes et mieux gouvernées, il n'y a pas d'autre solution que de leur donner une majorité cohérente et stable.
Pour ce faire, il faut changer le mode de scrutin. Il est encore temps, quoi qu'on en dise d'opérer cette modification, mais il faudrait une volonté politique commune ; or, je ne sais si elle existe.
Si l'on s'engageait sur cette voie, qui est bien plus sage que celle qui nous est proposée aujourd'hui, il nous faudrait encore être attentifs à la nature de la réforme suggérée. En effet, on se souvient des élections régionales de 1992 et des conséquences absurdes, pour ne pas dire ubuesques, entraînées dans certains cas par le système de la représentation proportionnelle : ainsi, certaines régions n'ont pu être gouvernées qu'après négociation avec des groupes charnières, ce qui a donné à des élus se réclamant d'une liste écologiste, d'une liste « Chasse, pêche, nature et traditions » ou, hélas ! du Front national, un pouvoir tout à fait exorbitant par rapport à leur représentativité réelle.
On ne pourra corriger ces défauts et revenir à plus d'efficacité et de démocratie qu'en modifiant fondamentalement le mode de scrutin. C'est dans ce sens que pourrait être adopté, pour les élections régionales, le système en vigueur pour les élections municipales dans les communes de plus de 3 500 habitants, et je proposerai un amendement sur ce point.
Il s'agirait d'un scrutin mixte à deux tours, alliant représentation proportionnelle et scrutin majoritaire. Un certain nombre de députés ont d'ailleurs également envisagé cette solution, notamment M. Adrien Zeller, président du conseil régional d'Alsace, et un certain nombre de membres du groupe de l'UDF à l'Assemblée nationale.
Je crois que, si l'on veut donner, comme nous le souhaitons tous, davantage de stabilité à la région - comme l'ont expliqué un certain nombre de collègues, cette institution doit avoir un avenir, compte tenu de l'environnement européen - il faudra mettre en oeuvre une réforme du mode de scrutin.
A cet égard, s'agissant des communes, rappelez-vous que la réforme qui avait été proposée à l'époque avait été très critiquée, alors que personne, aujourd'hui, ne voudrait remettre en cause le scrutin municipal.
Par conséquent, si l'on veut faire de la région une collectivité territoriale de plein exercice, assumant les responsabilités particulièrement importantes qui sont les siennes, et qui pourraient même l'être davantage si nous approfondissions la décentralisation, encore inachevée à ce jour, il faut engager cette réforme de fond.
Nul d'entre nous n'a intérêt à ce que les régions soient ingouvernables. C'est pourquoi notre groupe soutiendra le texte proposé par notre rapporteur, M. Paul Girod, mais en souhaitant que l'on aille jusqu'au bout et que l'on réforme en profondeur le mode de scrutin régional de façon que puissent se dégager des majorités stables, permettant ainsi aux régions de fonctionner convenablement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les régions sont devenues, depuis leur création, en 1972, grâce à leur dynamisme, des partenaires essentiels tant de l'aménagement du territoire que de la protection de notre environnement ou encore de la réalisation des grands équipements.
Les régions sont, en outre, les acteurs indispensables de la formation des jeunes, d'une part, avec la construction et l'équipement des lycées, d'autre part, avec l'organisation et le financement de la formation professionnelle et de l'apprentissage.
Les régions apparaissent donc aujourd'hui comme l'échelon le mieux adapté pour gérer certaines politiques, et notamment des sujets sensibles, particulièrement proches des préoccupations de nos concitoyens. Je pense, par exemple, aux transports.
Mais, en l'état actuel, certaines d'entre elles ne peuvent faire face avec toute l'ampleur et l'efficacité nécessaires à toutes ces missions. En effet, force est de constater que l'absence de majorité au sein des conseils régionaux suscite de graves difficultés de fonctionnement.
Cette absence de majorité, vous me permettrez de le rappeler, concerne la plupart des régions, puisque seules quatre régions disposent d'une majorité homogène : l'Auvergne, la Franche-Comté, la Basse-Normandie et les Pays-de-la-Loire.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Et la Guadeloupe !
M. Guy Allouche. Il parlait des régions métropolitaines !
M. Daniel Eckenspieller. Et la Guadeloupe, en effet.
Dans les autres conseils régionaux, la constitution d'une majorité passe obligatoirement par des accords avec un ou plusieurs groupes charnières très minoritaires, mais qui, par là même, jouent souvent un rôle clé disproportionné par rapport à leur représentativité réelle.
Je rappellerai qu'en 1992 vingt conseils régionaux n'ont élu leur président et leur exécutif qu'à la majorité relative.
Je rappellerai également que ces difficultés se retrouvent après l'élection du président, car de telles majorités de coalition associant des groupes très largement minoritaires sont, par nature, des majorités instables.
Cette instabilité compromet le fonctionnement et la saine gestion des régions. De plus, elle empêche la continuité et l'efficacité de l'action régionale.
C'est ce qu'ont fait valoir plusieurs présidents de conseils régionaux qui ont été entendus dans le cadre du groupe de travail constitué au sein de la commission des lois, groupe de travail présidé par notre collègue Lucien Lanier et dont notre excellent collègue Paul Girod était le rapporteur.
Ainsi, l'un d'entre eux, se référant à sa propre expérience, a déploré les difficultés permanentes que lui posait l'absence de majorité nette, notamment au moment du vote du budget. Il a évoqué les débats interminables que requièrent des modifications, même de portée modeste, au point qu'une véritable « quête aux voix », selon ses propres termes, est nécessaire sur chaque amendement, aussi mineur soit-il.
Il convient donc d'apporter des modifications substantielles au système actuel.
Deux solutions s'offrent à nous : ou bien réforme de fond, à savoir la réforme du mode de scrutin pour que l'exécutif régional puisse s'appuyer, au sein du conseil régional, sur une majorité stable et claire, mais où la représentation des minorités est assurée ; ou bien une « réformette » qui consiste à changer les modalités de vote des budgets en instaurant une sorte de vote de confiance des assemblées régionales en cas de non-adoption du budget régional dans les délais prévus par la loi du 2 mars 1982. Il s'agirait en quelque sorte de mettre en place un système proche de celui qui existe à l'Assemblée nationale avec l'article 49-3 de la Constitution.
S'agissant de la première solution, à savoir la réforme du mode de scrutin, ce sujet revient périodiquement à l'ordre du jour. Il a fait l'objet de nombreuses réflexions et négociations, au cours des dernières années, qui n'ont jusqu'à présent - je le reconnais bien volontiers - faute d'un certain courage politique, jamais abouti. Le groupe de travail préconisait, quant à lui, en mai 1997, de ne pas modifier le mode de scrutin d'ici aux prochaines élections régionales prévues en 1998, mais il ne rejetait pas formellement une telle hypothèse.
Si la réalisation « à froid », c'est-à-dire au cours des dernières années, était impossible, elle l'est, je le concède, encore plus « à chaud », c'est-à-dire à quelques mois du renouvellement des conseils régionaux.
Toutefois, elle est indispensable. L'extension des compétences régionales justifie un débat de fond, qui ne peut malheureusement pas avoir lieu aujourd'hui avec l'examen de cette proposition de loi.
Aussi, j'encourage vivement le Gouvernement à réunir toutes les formations politiques de ce pays pour rechercher un consensus aussi large que possible sur un type de scrutin régional qui permette la pérennisation, dans son principe, de la représentation des minorités, atténuée cependant dans son ampleur par une prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête.
La seconde solution consiste à changer les règles de la procédure budgétaire ; c'est ce qui nous est proposé dans le texte que nous examinons aujourd'hui. Si l'on considère que l'acte essentiel des conseils régionaux est le vote du budget, il peut apparaître en effet nécessaire de doter l'exécutif régional de procédures lui permettant d'organiser le vote d'un budget alternatif lorsque le projet qu'il a élaboré n'est pas adopté faute de majorité.
La procédure de règlement d'office du budget implique le dessaisissement des élus et risque, à terme, de laisser aux chambres régionales des comptes et aux préfets la possibilité d'exercer un véritable pouvoir de substitution.
Il est aisé de comprendre la tentation de certains de mettre en place cette pratique, contraire à la décentralisation et à notre conception de la démocratie locale, et de proposer une procédure tendant à modifier le fonctionnement des assemblées régionales en instaurant un système de vote de confiance en cas de non-adoption par les procédures ordinaires. Mais n'est-ce pas prendre le problème à l'envers ?
De plus, cette procédure ne va pas jusqu'au bout de sa logique puisqu'elle ne prévoit pas le corollaire du budget alternatif, c'est-à-dire l'élection d'un nouveau président.
Par ailleurs, vous me permettrez d'exprimer les plus grandes réserves sur l'article 3 du texte adopté par l'Assemblée nationale. En effet, cette disposition oblige chaque candidat à l'élection à la présidence du conseil régional à adresser une déclaration écrite présentant son programme, mais aussi, et surtout, la liste des membres du bureau qui l'entoureront le moment venu et auquel il donnera délégation.
Or, dans l'esprit de nos institutions, le président du conseil régional est le seul membre de l'exécutif. L'adoption de l'article 3 nous entraînerait vers la dérive d'un exécutif collégial qui ne correspond pas du tout à nos pratiques institutionnelles. De plus, n'oublions pas que le président demeure libre de retirer à tout moment leur délégation aux membres du bureau, ce qui vide de toute substance le dispositif de l'article 3 et frise l'incohérence.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, bien que ce texte vise à éviter les jeux subtils de majorités de circonstance qui risquent à terme de nuire à l'image même de la région, échelon important de nos institutions, seul, je le répète, un débat de fond précédant une réforme du mode de scrutin peut montrer à nos concitoyens que nous ne nous résignons pas à l'existence de régions difficilement gouvernables.
Dans ces conditions, notre groupe ne peut se prononcer favorablement sur cette proposition de loi telle qu'elle a été adoptée par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord, au nom du Gouvernement, à me féliciter que la discussion générale ait pu s'engager sur ce texte relatif au fonctionnement des conseils régionaux, sachant combien la Haute Assemblée, avec sa vigilance et toute sa compétence, s'intéresse à tout ce qui touche aux institutions locales.
A ce stade de la discussion, je souhaite répondre aux premiers intervenants, notamment à M. Paul Girod, rapporteur, et à M. Jacques Larché, président de la commission des lois, pour préciser la position du Gouvernement sur ce sujet, sachant que la suite de la discussion de ce texte sera renvoyée à une date ultérieure qui reste à déterminer.
Nombre d'orateurs l'ont souligné, le conseil régional élu au suffrage universel est une institution récente. Nous avons l'expérience de deux mandatures seulement. A partir de cette expérience, il faut donc essayer de tirer quelques conclusions pour assurer un meilleur fonctionnement de cette institution régionale.
J'ai entendu, dans le débat, deux diagnostics. Ainsi, M. Raffarin, président du conseil régional de Poitou-Charentes, a dit que les régions n'étaient pas malades, ce qui est la réalité, dans leur fonctionnement au quotidien.
Ainsi, depuis j'ai entendu M. Haenel qui disait très exactement que les régions avaient donné le spectacle désolant de conseils rappelant la IVe République. Il a également évoqué la mascarade des élections des présidents de conseils régionaux en 1992.
Les appréciations sont donc divergentes, au moins dans la majorité sénatoriale, s'agissant du fonctionnement de ces institutions. A certains moments, les institutions régionales ont effectivement pu connaître des crises profondes, des crises politiques.
Quelle est l'objet de la proposition de loi qui est présentée et que le Gouvernement soutient ?
Cette proposition de loi vise à consolider l'institution régionale, et non pas à la réformer en profondeur à travers la modification du mode de scrutin. Ainsi que le Premier ministre l'avait indiqué dès sa prise de fonction, si une réforme pouvait être envisagée, il fallait qu'elle fasse l'objet d'un large consensus.
Vous avez parlé de loi de circonstance. Mais qu'aurait-on dit si le Gouvernement avait présenté une réforme du mode de scrutin à quelques mois d'élections si importantes, sinon qu'il s'agissait d'une modification à la va-vite, pour des raisons d'opportunité politique ?
Le Premier ministre a donc souhaité que les groupes parlementaires représentant les différentes composantes politiques du pays se saisissent de cette question et parviennent à un consensus sur la réforme du mode de scrutin.
Ce consensus n'a pas pu être trouvé. Il est vrai que, souvent, des divergences traversent même les groupes politiques s'agissant du mode de scrutin pour la désignation des conseillers régionaux !
Le Gouvernement s'en est donc remis, plutôt que de réagir à chaud sur un sujet controversé, à l'initiative parlementaire.
Je dirai à M. Jacques Larché que, si l'on déplore trop souvent, dans le fonctionnement de nos institutions, que le Parlement joue un rôle insuffisant dans l'initiative de la loi, il y a lieu de se réjouir, en l'occurrence, d'avoir à légiférer aujourd'hui sur le fonctionnement des institutions régionales.
Le Parlement, à travers l'Assemblée nationale, a donc pris cette responsabilité, et je pense que cette dernière a été assumée de façon à régler a minima un certain nombre de problèmes de fonctionnement des institutions régionales.
Le Gouvernement soutient ce texte, qui est la synthèse d'un certain nombre de propositions de loi provenant d'horizons politiques différents.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition qui est soumise aujourd'hui à votre réflexion vise à conjuguer deux éléments : la clarté et la stabilité.
La clarté, d'abord, en ce qui concerne l'élection des présidents des conseils régionaux. Ainsi, l'article 3, dont nous avons longuement discuté, vise à assurer une plus grande transparence s'agissant du programme et de l'équipe sur laquelle le candidat à la présidence du conseil régional souhaite s'appuyer. Cette clarté me paraît nécessaire.
En tenant ces propos, je me réfère à l'année 1992, à cette année particulièrement riche en situations confuses pour l'opinion publique. Le citoyen qui s'exprime lors des élections régionales charge des élus de le représenter, il faut donc éviter toute confusion politique préjudiciable à l'analyse au moment où il exerce son choix.
En réponse aux inquiétudes qui ont été exprimées par votre rapporteur, M. Paul Girod, mesdames, messieurs les sénateurs, sachez que, si la déclaration et la liste constitueront une formalité nécessaire, elles ne modifieront néanmoins pas les pouvoirs reconnus au président en matière de délégation et ne porteront pas atteinte aux règles constitutives de la commission permanente. Il ne s'agit donc pas d'un mandat impératif, contrairement à ce qu'a dit M. de Raincourt.
M. Jean Chérioux. Alors, cela ne sert à rien !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Nous ne sommes pas dans ce contexte.
Le second élément, c'est la stabilité.
Il s'agit, d'abord, de la stabilité budgétaire, qui est nécessaire pour gérer les régions.
En effet, à l'occasion de l'adoption du budget de régions dont la gestion est assurée avec des majorités relatives, il y a eu des blocages, voire des marchandages. Ces derniers n'ont certes pas abouti à une crise contraignant l'institution préfectorale à régler le budget. Néanmoins, il n'ont pas contribué à la promotion de l'image des régions dans l'opinion publique.
Ainsi, dans un certain nombre de régions, chaque année, l'adoption du budget donne lieu à de très longues discussions. Je ne crois pas que l'image de ces régions en sorte grandie auprès des citoyens.
Les procédures du vote de défiance constructif et de l'article 49-3 de la Constitution ont également été évoquées.
Quant à la procédure qui vous est proposée par cette proposition de loi, elle tend à assurer, comme je l'ai déjà dit, la stabilité budgétaire, le vote du budget étant l'acte politique principal d'une assemblée élue.
Ce dispositif a évidemment un aspect dissuasif, monsieur Hyest, parce qu'il vise à éviter les coalitions de circonstance qui seraient organisées pour détruire, et non pour construire ou faire fonctionner l'institution régionale.
M. Guy Allouche. Très bien !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Il reste une question qu'après un long débat l'Assemblée nationale a tranchée d'une façon sur laquelle le Gouvernement a exprimé des réserves. En effet, l'Assemblée nationale a décidé que le vote du budget ne pouvait pas être l'occasion d'un changement d'exécutif.
Le Gouvernement s'interroge sur ce point, tout comme la commission des lois du Sénat.
Quelles seront les conséquences d'un échec du rejet de budget préparé par l'exécutif ? Peut-on admettre qu'un exécutif ait la charge d'exécuter un budget élaboré par une autre majorité ? Il y a là, effectivement, une contradiction sur laquelle la réflexion doit s'engager.
Quoi qu'il en soit, l'Assemblée nationale a privilégié la stabilité, c'est-à-dire l'efficacité et la rapidité de l'adoption d'un budget émanant d'une collectivité territoriale.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons l'occasion lors de la discussion des articles de la proposition de loi qui vous est soumise, de revenir sur différentes questions qui ont été abordées, notamment sur le rôle respectif du bureau et du président.
J'ai pris bonne note, par ailleurs, que la commission des lois du Sénat avait émis un avis globalement favorable sur cette proposition de loi, sous réserve de l'adoption d'un certain nombre d'amendements.
Cette proposition de loi peut effectivement être améliorée. Je souhaite donc que le débat devant votre assemblée se poursuive, d'abord lors de la discussion générale, ensuite à l'occasion de l'examen des différents articles. Ce texte pourrait ainsi obtenir un large assentiment.
C'est dans cet état d'esprit que le Gouvernement entend poursuivre la discussion de cette proposition de loi, qui doit permetre à la fois de garantir la stabilité des politiques régionales et d'assurer la clarté des choix politiques, et ce au moment où il va être procédé à un choix déterminant pour une période de six années, à savoir le choix d'un président.
Tel est l'esprit du texte adopté à une large majorité par l'Assemblée nationale et qui doit être retenu, sous réserve de l'adoption d'amendements constructifs, par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, je propose que nous entendions, en dernier lieu, M. Duffour, qui devra en avoir terminé avant seize heures.
M. Henri de Raincourt. Il faut le laisser utiliser son temps de parole !
M. Paul Girod, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur le président, je vous demande de ne pas déclarer close la discussion générale après l'intervention de notre collègue M. Duffour. En effet, d'une part, il n'est pas prévu de limitation des temps de parole dans cette discussion et, d'autre part, la commission aura probablement un certain nombre de précisions à apporter après l'intervention de l'ensemble des orateurs.
M. le président. Telle n'était nullement mon intention, monsieur le rapporteur.
Vous avez la parole, monsieur Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je n'avais, bien évidemment, pas du tout l'ambition de clore la discussion ! (Sourires.)
Depuis quelques jours et, ici même, hier, en séance publique, nous avons constaté que cette proposition de loi soulevait les passions.
Cette question, qui est d'une grande importance puisqu'elle a trait au fonctionnement de l'institution régionale et qu'elle constitue donc un élément de la démocratie, mérite un examen empreint d'une plus grande sérénité que celle qui a présidé, hier, à nos débats.
Je souhaite tout d'abord remettre en question l'équation, dangereuse de notre point de vue, que l'on pose ici et là : proportionnelle égale instabilité.
Comme l'indiquait le rapport de M. Girod du mois de mai 1996, qui découlait des travaux du groupe de travail sénatorial portant sur le mode de scrutin régional, sur 104 budgets examinés depuis 1993, deux seulement n'auraient pas été adoptés - dans le même département, d'ailleurs - soit moins de 2 % du total.
La France, aujourd'hui, ne souffre pas d'un excès de pluralisme. Cela doit être, selon nous, réaffirmé clairement. Ce qu'on appelle la « crise de la politique » réside non pas dans une instabilité découlant du scrutin à la proportionnelle mais, fondamentalement, dans les promesses non tenues ou même dans le sentiment de la population que les promesses ne peuvent être tenues aujourd'hui et que les politiques seraient impuissants.
Notre position est constante. Elle est certes minoritaire dans cette enceinte, mais je veux la réaffirmer. Nous estimons que la représentation proportionnelle, non caricaturée, n'a vraiment rien d'« ubuesque », comme l'a dit l'un de nos collègues, et qu'elle peut même constituer une grande expérience de citoyenneté.
L'exemple de la citoyenneté vient d'en haut et, pour faire vivre cette citoyenneté, ce pluralisme, efforçons-nous, en tous lieux, d'écouter les minorités et de constituer des majorités solides sur le plan des idées.
Nous sommes fermement convaincus que c'est le dialogue, et non pas une accumulation de verrous, qui peut faire vivre la démocratie.
Après une première analyse, le texte voté par les députés ne nous apparaît pas antinomique avec le souhait que je viens d'exposer.
S'il s'agit d'une adaptation pour renforcer, voire sauvegarder, le scrutin à la proportionnelle, nous ne nous en plaindrons pas, bien au contraire. Mais le mécanisme complexe et parfois peu limpide dans sa rédaction qui nous est proposé pourrait toutefois, s'il n'est pas amélioré, nous conduire sur des voies que nous ne souhaitons pas prendre.
L'article 3 de la proposition de loi va indéniablement dans le sens d'une clarification, ce que nous approuvons.
En effet, que le candidat à la présidence de la région précise les grandes orientations de son éventuel mandat et rende publique la coalition sur laquelle il veut s'appuyer donne davantage de sens à l'élection du président.
Au-delà de remarques techniques, souvent judicieuses d'ailleurs, présentées par notre rapporteur, le débat ne peut être déconnecté de la conjoncture politique.
Depuis des mois, la vie parlementaire est ponctuée de petites phrases de responsables politiques d'une partie de l'opposition qui banalisent d'éventuelles alliances avec le Front national.
Ce n'est pas un mince problème et les arrière-pensées ne sont donc pas du côté de la majorité de gauche, à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Sur l'article 4, notre jugement est plus mitigé que sur l'article précédent.
La procédure qu'il instaure comporte en effet, nous semble-t-il, beaucoup d'éléments qui, certes, pourraient éviter des blocages dans le fonctionnement des institutions, mais qui, dans le même temps, pourraient susciter une forte pression sur les minorités.
Nous ne pensons pas que le fait d'encourager des groupes à se transformer en lobby rende un grand service à la démocratie. Cependant, renforcer de manière trop drastique la mécanique majoritaire en négligeant le droit d'amendement des groupes d'opposition ne rend pas non plus service à la démocratie.
Quoi qu'il en soit, l'article 4 est loin de n'avoir que des défauts. Mais à force de vouloir peaufiner la proposition de loi, n'est-on pas amené à quelque peu la dénaturer, en fixant, par exemple, la barre des signataires à plus de 50 % ?
Ne la dénature-t-on pas également en ne laissant pas la possibilité à des opposants de convaincre leurs pairs par la discussion, par le dépôt d'amendements ?
Ne sous-estimons-nous pas l'esprit de responsabilité des élus en mettant en place des verrous aussi solides ?
Il est nécessaire - la proposition de loi va d'ailleurs dans ce sens - que le budget soit remanié et enrichi après le premier vote qui l'a sanctionné.
Que le bureau ait sa part dans ce travail nous semble indispensable. Mais pourquoi s'en tenir là ? N'y a-t-il pas intérêt à poursuivre le débat ?
C'est en ce sens que nous proposons, par la voie d'un amendement, d'instaurer une seconde lecture sur la base du budget amendé par le président et son bureau. Nous proposons, par ailleurs, que le droit d'amendement soit rouvert à cette occasion. Je crois que les assemblées régionales et les minorités s'en porteraient mieux.
Enfin, je ne pense pas qu'il soit juste, si le budget est rejeté une deuxième fois - c'est ce que vient de dire M. le secrétaire d'Etat - que le président soit chargé d'exécuter un budget qu'il n'a pas voulu. Selon nous, une nouvelle élection du bureau et du président devrait, dans ce cas, pouvoir se dérouler.
Sous toutes ces réserves, nous estimons ce texte acceptable dans son ensemble.
Il peut, il doit permettre d'apporter la preuve que la proportionnelle constitue le mode de scrutin le plus juste, favorisant l'expression du pluralisme et correspondant fondamentalement à l'idéal démocratique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à une séance ultérieure.

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