CONDITIONS DE STATIONNEMENT
DES GENS DU VOYAGE

Adoption des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 283, 1996-1997) de M. Jean-Paul Delevoye, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur :
- la proposition de loi (n° 240, 1994-1995), de MM. Louis Souvet, Michel Alloncle, Jean Bernard, Eric Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Gérard César, Désiré Debavelaere, Jacques Delong, Alain Dufaut, Alain Gérard, Daniel Goulet, Georges Gruillot, Hubert Haenel, Emmanuel Hamel, Jean-Paul Hammann, Roger Husson, André Jarrot, André Jourdain, Lucien Lanier, Marc Lauriol, Jean-François Le Grand, Dominique Leclerc, Jacques Legendre, Maurice Lombard, Max Marest, Paul Masson, Mme Hélène Missoffe, MM. Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Mme Nelly Rodi, MM. Michel Rufin, Maurice Schumann, Alain Vasselle et Serge Vinçon, visant à clarifier les conditions d'accueil des gens du voyage sur le territoire des communes de plus de 5 000 habitants.
- la proposition de loi (n° 259, 1994-1995), de MM. Philippe Marini, Honoré Bailet, Jacques Bérard, Jean Bernard, Mme Paulette Brisepierre, MM. Robert Calmejane, Auguste Cazalet, Gérard César, Jean Chérioux, Désiré Debavelaere, Jean-Paul Delevoye, Roger Fosse, François Gerbaud, Daniel Goulet, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Emmanuel Hamel, Jean-Paul Hammann, Jean-Paul Hugot, Roger Husson, André Jarrot, René-Georges Laurin, Marc Lauriol, Jacques Legendre, Joseph Ostermann, Michel Rufin, Martial Taugourdeau et Alain Vasselle, relative au stationnement des gens du voyage.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de remercier nos collègues MM. Louis Souvet et Philippe Marini d'avoir, par leurs propositions de loi, ouvert une discussion qui a été très riche au sein de la commission des lois. Je tiens également à remercier nos collègues de la commission ainsi que l'ensemble du personnel qui nous a assisté, car le rapport qui vous est soumis a été accepté à l'unanimité.
Nous discutons aujourd'hui d'un sujet éminemment difficile, sur lequel la tentation est grande de ne rien faire. Mais, ne rien faire, nous entraînerait dans une spirale infernale, et nous ne connaissons que trop l'engrenage de la violence, du laxisme, de la lassitude.
La population fait pression sur les élus locaux pour obtenir de plus en plus de tranquillité, tandis que les maires se réfugient derrière la loi pour tenter d'échapper à leurs obligations. Par ailleurs, les nomades sont furieux, car ils ne trouvent pas d'aires de stationnement.
Exercer ses responsabilités, c'est au contraire regarder le problème en face et tenter d'y apporter une solution. Celle-ci ne peut être justifiée que si elle est équilibrée, pleine de bon sens. Dans ces conditions, il nous faut sensibiliser les maires, les nomades et l'Etat.
Quelle est la situation aujourd'hui ? Quelle est l'ampleur du problème ?
Nous estimons que, globalement, 220 000 à 250 000 personnes sont concernées, soit environ 70 000 itinérants, 70 000 semi-sédentaires et 110 000 sédentaires.
Ces chiffres me permettent de relever un aspect négligé par la loi mais qui est de votre compétence, monsieur le secrétaire d'Etat, et qui mérite que nous poursuivions la réflexion : la sédentarisation. Comment l'accompagner par une politique qui englobera, bien évidemment, les problèmes de logement, d'éducation, de scolarisation, d'insertion, qui sont de la compétence des départements ?
Différentes catégories sont concernées et elles relèvent de différents statuts. Ainsi, la loi du 3 janvier 1969 énumère les commerçants ambulants, les caravaniers et les nomades.
A cet égard, je crois, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il nous faut procéder à la simplification du régime juridique applicable en matière de titres de circulation. Actuellement, celui-ci est compliqué, mal adapté, et il nuit à la nécessaire transparence des contrôles.
Mais il est une autre source de différence : les gens du voyage suivent des parcours divers, des parcours internationaux, régionaux ou locaux et ils participent à de grands pèlerinages.
Je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que, à l'époque de la discussion de la loi du 31 mai 1990, vous vous étiez opposé à l'amendement qui visait à imposer l'élaboration d'un schéma départemental obligeant toutes les communes de plus de 5 000 habitants à établir des aires de stationnement.
Le bilan de ces schémas départementaux est d'ailleurs très mitigé, et il suscite de grandes réserves. La grande majorité d'entre eux n'ont été approuvés ni par le préfet ni par le président du conseil général.
Le bilan sur la mise en oeuvre de l'obligation de créer des aires de stationnement appelle aussi une grande « réserve », dirais-je, pour m'exprimer pudiquement.
Les raisons en sont multiples. Certains invoquent l'insuffisance des crédits de l'Etat, d'autres des problèmes de tensions locales, d'autres encore la pénurie foncière.
Par ailleurs, chacun reconnaît que le seuil de 5 000 habitants est aujourd'hui quelque peu inadapté et injuste. En effet, une commune de 5 000 habitants d'une zone urbanisée ne peut pas répondre à la demande. En revanche, une commune de 500 habitants située sur un lieu de passage traditionnel est bien évidemment concernée.
Aux termes de la loi, toute commune, quelle que soit sa dimension, est tenue d'assurer le stationnement des gens du voyage par un équipement minimum, les communes de plus de 5 000 habitants, pour leur part, étant tenues d'élaborer des aires de stationnement.
Quant aux moyens de coercition, ils sont, à l'évidence, insuffisants.
Ainsi, pour le stationnement illégal, les sanctions sont relativement faibles et, en aucun cas, elles ne sont dissuasives. Il nous faudra donc réfléchir également sur ce point.
Quant aux procédures judiciaires, chacun en connaît la lenteur et leur incapacité à régler les problèmes concrets.
Après avoir procédé à de nombreuses auditions, qui nous ont d'ailleurs permis de constater qu'à certains endroits cela fonctionne bien alors qu'à d'autres on est au bord de l'explosion de violence, il nous a paru cohérent de proposer une architecture globale.
Les grands pèlerinages ou les grandes migrations dépassant la capacité des communes et des départements ; il convient donc que l'Etat s'implique totalement dans la gestion de ces parcours prévisibles.
Je rappelle à ce sujet que 3 000 Tsiganes se rassemblent à Lourdes, 15 000 aux Saintes-Maries-de-la-Mer et que 30 000 Tsiganes évangélistes se réunissent en convention.
On peut parfaitement imaginer, en concertation avec le conseil national de l'aménagement du territoire et la commission consultative des gens du voyage, l'élaboration d'un répertoire des sites aménagés et d'un schéma national de ces migrations ainsi, bien évidemment, que l'implication totale du préfet en matière de police et d'environnement pour ces lieux de stationnement.
Je le dis d'autant plus volontiers qu'il nous paraîtrait curieux que l'Etat, à l'occasion d'événements de dimension internationale et concernant le territoire national, comme les Journées mondiales de la jeunesse ou la Coupe du monde de football, ne s'implique pas, n'entre pas en relation avec les élus départementaux pour tenter de maîtriser ces flux.
De la même manière, il nous paraît curieux que l'Etat estime ne pas pouvoir faire face à ses responsabilités en matière de pèlerinages des Tsiganes, c'est-à-dire de migrations organisées et programmées et non pas de rassemblements spontanés pour des événements non prévisibles.
J'en viens au maintien des schémas départementaux.
Le niveau départemental est une bonne échelle et ces schémas constituent donc une bonne base de réflexion. Toutefois, il conviendrait, pour l'Ile-de-France, d'imaginer un schéma pluridépartemental.
La commission vous propose la suppression du seuil de 5 000 habitants, la mutualisation des coûts entre les différents partenaires - conseils municipal, général, voire régional, établissements intercommunaux - et la recherche d'un équilibre entre l'offre et la demande d'aires d'accueil qui doivent être adaptées - plutôt de petites dimensions - et, bien évidemment, souvent gardées.
Il serait judicieux que l'Etat imagine un moyen d'inciter les départements à réaliser le plus rapidement possible les investissements nécessaires. A l'heure actuelle, sa participation s'élève à 35 %. Il ne serait pas inintéressant de réfléchir à une participation dégressive - 75 %, 50 %, 35 %, 0 % - en fonction de la rapidité avec laquelle ces schémas seraient réalisés. Une prime serait donc accordée aux départements les plus actifs.
La réussite de cette future loi dépend - j'en parlais tout à l'heure avec M. Peyronnet - de la mise en place concordante, dans tous les départements, de tels schémas. Sinon, bien évidemment, le vice serait récompensé plus que la vertu, c'est-à-dire que le département qui aurait réalisé des aires d'accueil verrait y affluer la totalité des nomades, alors que le département qui n'aurait rien fait serait momentanément soulagé de leur présence ! Voilà pourquoi il convient de réfléchir à la mise en place de tels schémas au même rythme.
Par ailleurs, nous proposons la création d'une commission consultative qui rassemblerait toutes les personnes concernées - gens du voyage, élus, forces de police et forces de justice - et qui serait un lieu de concertation sur la qualité des aires d'accueil et les meilleures méthodes de gestion, ainsi, bien évidemment, qu'un lieu de médiation en cas de conflits afin d'apporter, sur le terrain, une réponse à ces conflits.
Enfin, la création des aires d'accueil doit engendrer ipso facto la création de zones d'interdiction sur lesquelles le maire pourrait exercer ses pouvoirs de police. L'article 6 de la proposition de loi prévoit ainsi que le maire pourra saisir le tribunal de grande instance pour demander l'évacuation de caravanes stationnant irrégulièrement sur le domaine privé de la commune ou sur des terrains privés, après en avoir bien évidemment averti le propriétaire.
Cette proposition de loi permet, je crois, un équilibre entre l'offre et la demande, entre le nombre de places d'accueil et les besoins des nomades, grâce à une consultation en amont et à un équilibre entre zones d'accueil et zones d'interdiction. Cela n'exclut pas toutefois l'accompagnement en matière de scolarisation, ainsi que nous l'évoquions tout à l'heure. Nous devrons donc poursuivre notre réflexion sur l'équilibre entre droits et devoirs, de façon à ne pas pratiquer un amalgame entre celles et ceux qui cherchent à se réfugier dans des zones d'accueil et à commettre des actes délictueux, laissant croire à l'opinion publique qu'il y aurait deux lois selon la situation dans laquelle on se trouve.
La commission des lois a adopté un texte équilibré, qui clarifie la responsabilité de l'Etat dans les grands pélerinages, qui associe les élus locaux et les nomades dans l'élaboration d'un schéma équilibré entre l'offre et la demande, et qui, en outre, permet aux communes de ne pas être isolées dans la recherche d'une solution à ce problème et aux nomades de trouver une réponse normale à leur besoin d'accueil. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, mon intervention sera brève, puisque nous aurons l'occasion, lors de la discussion des articles, de nous exprimer les uns et les autres. Elle le sera d'autant plus que l'introduction de M. le rapporteur m'a beaucoup facilité la tâche.
En soulignant la difficulté du sujet, le courage qu'il faut pour l'aborder et le souci que vous avez de trouver une solution équilibrée tout en responsabilisant les parties - et vous n'en avez, je crois, oublié aucune - vous me permettez d'indiquer que les réflexions du Gouvernement vont tout à fait dans le même sens et que son souhait est d'avancer dans la résolution de ce problème qui, parce qu'il nécessite que nous reconnaissions la dignité des personnes et des familles en cause, exige que nous trouvions effectivement des solution adaptées.
A partir du moment où des solutions seront mises en oeuvre d'une manière concertée, après participation de tous les partenaires responsables, nous pourrons annoncer à nos concitoyens, en contrepartie de leur propre effort, une amélioration sensible de la situation.
Vous avez bien fait, monsieur le rapporteur, d'indiquer aussi que plusieurs points méritent d'être approfondis afin de compléter cette proposition de loi qui a été très travaillée, très approfondie par la commission des lois.
Ainsi, vous avez notamment cité les problèmes posés par l'accompagnement de la sédentarisation, par la diversité des situations que l'on peut rencontrer et aussi par la multiplicité des parcours suivis, et même par l'évolution de ceux-ci. En effet, on ne peut bien évidemment pas assigner un parcours à quelqu'un comme on l'assignerait à résidence, ce qui oblige à approfondir ce dossier pour trouver les réponses les plus adaptées aux besoins qui s'exprimeront, et qui évolueront.
En nous présentant, monsieur le rapporteur, l'architecture de ce texte, vous avez affirmé que l'échelon départemental - même si la situation de la région parisienne est spécifique, je vous l'accorde tout à fait - est sans doute le bon.
Nous aurons l'occasion d'étudier plus en détail quelques-uns des points qui constituent cette première avancée lors de l'examen des articles.
Les nombreuses auditions auxquelles vous avez procédé vous ont permis de constater que, dans certains départements, les choses se passent bien, et que, dans d'autres, en revanche, la tension est extrême. Bien évidemment, c'est de l'exemple des premiers que nous devons tirer les meilleurs enseignements, afin de leur donner, si possible, une portée générale. Cela exigera vraisemblablement la coopération de tous les partenaires que vous avez cités.
Je vous donne l'assurance qu'à cette occasion nous verrons ce que nous pouvons faire, notamment pour prendre en compte votre suggestion d'instaurer une participation dégressive de l'Etat afin d'inciter à une mise en oeuvre et à une adoption, dans un délai aussi court que possible, des schémas à partir desquels nous pourrons progresser, ce que le Gouvernement souhaite avec vous.
Telles sont, monsieur le président, les quelques rélexions que je tenais à livrer en écho aux propos de M. le rapporteur.
Je me permets d'en rester là. En effet, l'organisation des travaux parlementaires est telle que je dois me rendre à dix-huit heures à l'Assemblée nationale pour défendre le budget du logement, et je vous prie par avance de bien vouloir m'en excuser. Je m'efforcerai donc d'être synthétique, mais croyez bien que, malgré la brièveté de mon propos, je serai toujours disponible pour continuer à travailler avec vous et progresser sur ce dossier qui revêt toute l'importance que vous lui avez donnée.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord saluer le travail d'écoute, de concertation et d'analyse de la commission des lois du Sénat, en particulier de son rapporteur.
En effet, cette dernière est partie de deux propositions qui avaient, en quelque sorte, valeur d'interpellation. Ces propositions sont issues de l'expérience d'un grand nombre de maires et, avec plusieurs de nos collègues, j'ai cru devoir appeler l'attention avec quelque solennité sur les graves risques sociaux que nous courons en ce domaine.
Je voudrais, monsieur le secrétaire d'Etat, insister très brièvement sur quelques points.
Je commencerai par le caractère explosif, ou potentiellement explosif, de certaines situations. Naturellement, je ne porte aucun jugement de valeur sur le mode de vie des uns ou des autres. L'existence de populations nomades est une donnée, un fait de société que nous devons assumer, au même titre que tous les autres, dans nos diverses communes soumises, ces temps derniers, à de nombreuses tensions.
Le fait de connaître sur nos espaces publics ou privés, ou encore aux portes de nos villes, des situations potentiellement explosives est grave. Il est donc de la responsabilité du législateur de trouver des solutions pour mettre un terme à ces tensions inéluctables, voire au moins les atténuer.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous devons assurer le respect des biens et des personnes tout en évitant le développement de l'intolérance. Nous devons également éviter les amalgames liés à l'existence et aux habitudes de vie de telle ou telle catégorie de nos compatriotes.
Il faut bien reconnaître que l'Etat de droit dans lequel nous nous trouvons ne permet pas de réduire les risques ni d'éviter le développement de l'intolérance, qui, malheureusement, ne fait que s'accroître chaque jour.
Nous devons aussi constater que cet état de droit n'améliore pas les chances d'intégration des gens qui veulent s'intégrer. En effet, les concentrations, dont l'importance est souvent considérable sur les aires de stationnement et le fait que les missions éducatives sont souvent très mal assumées par rapport aux besoins spécifiques des populations concernées ne vont assurément pas dans le sens d'une intégration aussi bonne que possible en pareille matière.
Je voudrais aussi témoigner, comme pourraient le faire un très grand nombre de nos collègues, qu'ils soient maires ou simplement parlementaires, de la situation extrêmement inconfortable des élus communaux, des maires en particulier. Les propositions de loi que nous avons déposées sur le bureau de notre Haute Assemblée représentent, par la voix notamment du président de l'Association des maires de France, un cri de détresse des maires face à des situations qu'ils contrôlent de moins en moins.
En effet, aux yeux de leurs concitoyens, les maires sont considérés comme coupables, sans être en quoi que ce soit responsables.
La vision que nous avons de ce problème nous a conduits à formuler des propositions visant à rendre aux maires les moyens d'assumer leurs responsabilités. C'est notamment parce que nous nous sommes fixés de tels objectifs que nous soutenons l'idée des schémas départementaux, tout en souhaitant la suppression du seuil de 5 000 habitants, et que nous sommes favorables à la mutualisation des coûts, et donc à la multiplication de petites installations d'accueil plutôt qu'à la constitution de ghettos aux conséquences sociales très difficiles à assumer.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, nous avons constaté certaines impossibilités ou, plus exactement, certains vides juridiques.
Depuis le vote de la loi du 2 février 1995, un maire est en mesure, pour des motifs d'environnement, de notifier par arrêté à un propriétaire qui n'entretient pas son terrain l'obligation d'exécuter à ses frais des travaux de remise en état, après mise en demeure non suivie d'effet. C'est là la seule base légale sur laquelle un maire peut s'appuyer pour mettre fin à une situation inacceptable sur un terrain privé.
Lorsqu'il s'agit d'un terrain public, il est loisible de saisir en référé le tribunal du lieu pour solliciter une ordonnance d'expulsion. Cette procédure a beau être relativement lourde, et de plus coûteuse pour les finances des communes, elle porte ses fruits.
S'agissant des nomades qui stationnent sur des terrains privés, elle n'est pas utilisable et il faut passer par les aléas et les délais d'une législation qui a été conçue pour d'autres situations.
C'est ce vide de la loi que mes collègues et moi-même, en déposant notre proposition de loi, souhaitons combler en accordant au maire un pouvoir de substitution au propriétaire défaillant et en lui permettant de l'exercer dans les meilleurs délais pour faire face aux besoins manifestes, prendre en charge les nuisances et trouver rapidement des remèdes aux nuisances provoquées par des stationnements illicites sur des terrains privés.
Les propositions de la commission des lois contiennent bien d'autres excellents éléments que M. le rapporteur a explicités et qui le seront davantage encore lors de l'examen des articles.
En terminant, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous ferai part de mes interrogations et de ma surprise à l'écoute des propos que vous avez tenus tout à l'heure alors que les amendements que vous avez déposés sont plutôt de nature à refermer immédiatement un dialogue à peine esquissé.
En prenant connaissance de ces amendements, j'ai eu le sentiment - mais peut-être l'examen des articles m'amènera-t-il à le tempérer - que vous nous teniez quelques propos aimables ou de circonstance mais que, sur le fond des choses et dans l'examen précis du dispositif que nous préconisons, vous nous opposez une fin de non-recevoir ou, tout au moins, une appréciation extrêmement négative.
Monsieur le ministre, j'espère que nous vous convaincrons grâce aux nombreux exemples qui vont à présent être développés à cette tribune. Je ne vous ai pas parlé de mon département, car M. Michel Souplet le fera mieux que moi. Nous partageons la même expérience de terrain, qui nous conduit, cet après-midi, à lancer, très solennellement et avec beaucoup de conviction, le cri d'alarme qui est à l'origine de nos propositions de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.).
M. le président. La parole est à M. Souvet.
M. Louis Souvet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, qu'il me soit permis en préliminaire, de remercier la commission des lois et son président, M. Jacques Larché, d'avoir bien voulu examiner ma proposition de loi ainsi que celle de M. Marini et de saluer la qualité et le sérieux, reconnus de tous, du rapport de notre collègue Jean-Paul Delevoye, président de l'Association des maires de France.
Si j'ai déposé une proposition de loi sur ce sujet, c'est parce que, au contact des réalités, j'ai été, en tant que maire et président d'un organisme de coopération intercommunale, confronté à la dure réalité des faits.
En dépit de l'importance des moyens à ma disposition, j'ai pu constater quelles étaient mes difficultés face à un rassemblement de 1 000 personnes sur un terrain qui n'était pas prévu à cet effet, avec, par exemple, un chapiteau non conforme et qui aurait engagé la responsabilité du maire que je suis en cas d'incident important, alors que ledit chapiteau avait été installé sans autorisation. J'ai donc vécu personnellement les angoisses de mes collègues maires des communes de taille modeste.
Je sais donc que ce texte est très attendu par tous les élus, répondant à ce que M. Marini a appelé, à deux reprises, un cri de détresse.
Il s'agit pour moi non de favoriser les uns ou de compliquer la vie des autres, mais, bien au contraire, de faire en sorte que, selon les principes républicains auxquels nous sommes tous attachés, les uns et les autres puissent vivre normalement côte à côte, dans le respect mutuel et dans le respect des lois qui régissent notre système. Ce n'est pas parce que l'on se considère comme un « Enfant de Dieu » que l'on peut échapper aux lois qui organisent notre vie collective !
Je me permets d'ajouter, monsieur le secrétaire d'Etat, que j'ai été heureux d'entendre vos propos précisant que cette proposition de loi va dans le sens que souhaite le Gouvernement, ce qui démontre que, sur certains sujets, il peut y avoir consensus à la fois entre les maires, mais aussi entre le Gouvernement et le Parlement. Je souhaite que ce consensus perdure jusqu'à la fin de l'examen du texte, car, à l'instar de Philippe Marini, la nature des amendements que j'ai lus m'inquiète au plus haut point.
Je rejoins donc l'analyse de M. le rapporteur quand il insiste sur la nécessité d'associer à la présente réforme législative une réflexion globale sur la sédentarisation ainsi que sur la transformation du régime des titres délivrés aux gens du voyage. Le statut des gens du voyage, inutilement complexe, comme le rappelle notre collègue, ne correspond plus à la réalité.
La législation actuelle, nous en sommes tous bien conscients, ne permet pas de résoudre l'ensemble des problèmes liés à l'accueil des gens du voyage. Pour autant, soyons réalistes, si nous pouvons apporter des correctifs, des améliorations, nous ne résoudrons pas ces problèmes d'un coup de baguette magique. J'emploie le pluriel à dessein. En effet, le terme « gens du voyage » regroupe de multiples sous-ensembles, qu'il s'agisse des Manouches ou Sinti, des Gitans, des Roms, pour ne citer que les principaux groupes tsiganes. Ce terme englobe une population difficilement quantifiable. Notre collègue M. Delevoye situe entre 220 000 et 250 000 le nombre des Tsiganes ; les organismes associatifs, quant à eux, font état de 400 000 personnes.
Face à cette diversité ethnique, il est souvent difficile de rencontrer des interlocuteurs parfaitement représentatifs de populations nomades, par essence diversifiées et très mobiles.
Les problèmes ne sont pas non plus du même ordre lorsqu'il s'agit d'un déplacement de quelques caravanes ou lorsqu'il s'agit d'un pèlerinage, d'une convention biblique regroupant, par exemple, plusieurs centaines de caravanes. Les déplacements en nombre sont devenus la règle, car le nombre est synonyme de force. Ils se disent : on ne pourra rien contre nous !
Les moyens financiers dont disposent les communes sont également très inégaux selon leur taille. Leurs finances et leurs capacités d'investissement ne sont pas conditionnées par le fait qu'elles sont situées sur tel ou tel axe de pèlerinage.
L'importance et la dimension de la commune doivent être nécessairement, d'une manière ou d'une autre, prises en compte. Ne pas inclure ce paramètre économique et financier serait irréaliste. Les maires des communes aux moyens modestes du fait de leur potentiel démographique ne comprendraient pas que leur soient imposées des charges supplémentaires, charges que les communes en question ne pourront raisonnablement pas honorer. Est-il utile de rappeler que le coût d'une place dans une aire d'accueil peut-être évalué à 100 000 francs en investissement et à 20 000 francs en fonctionnement annuel.
Cet impact financier pour les communes de taille modeste doit retenir notre attention. Il serait assurément irréaliste de leur imposer la charge de plusieurs places. Les communes de moins de 5 000 habitants ne faisant pas partie d'un établissement public de coopération intercommunale devront réaliser à leur charge des équipements d'accueil. Il convient donc de préciser très clairement quelles seront les conditions financières incluses dans les conventions conclues entre l'Etat, le département et la commune d'accueil. Il n'est pas certain, en ces temps de rigueur budgétaire, que l'Etat ou les conseils généraux soient prêts à accorder des subventions permettant de telles réalisations ! Prenons garde de ne pas retomber dans le défaut de la loi du 31 mai 1990, à savoir une grave inadéquation entre la théorie et les réalités du terrain.
J'ai relevé avec plaisir que la commission des lois a retenu la disposition que je proposais en donnant le pouvoir aux maires des communes membres d'un établissement public de coopération qui a réalisé ladite aire d'accueil d'interdire par arrêté le stationnement des gens du voyage sur le reste du territoire communal ou intercommunal. De ce fait, la commission des lois souscrit à une mutualisation des coûts, seule solution susceptible de répondre aux communes de dimension modeste. Il est temps d'adopter des règles qui puissent matériellement être appliquées.
Aujourd'hui, environ un département sur deux est doté d'un schéma d'accueil, alors que l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 préconisait ce type de schéma pour tous. C'est la raison pour laquelle je propose l'institution d'un répertoire national, le fonctionnement des schémas d'accueil départementaux augurant mal de la viabilité et de la pérennité d'un schéma national.
La mutualisation des coûts entre les communes ne deviendra effective que si l'Etat assume clairement et pleinement ses responsabilités dans ce domaine qui est par excellence celui de la préservation de l'ordre public et de la salubrité publique. Après nombre de mes collègues maires, dont je me fais ici l'écho, je rappelle que le stationnement prolongé de caravanes sur un espace non équipé en installations sanitaires, notamment, pose rapidement des problèmes de salubrité publique.
Lorsqu'une difficulté survient du fait d'un campement sauvage, il est nécessaire de pouvoir s'adresser rapidement à un interlocuteur unanimement reconnu par les siens. Il n'est pas certain qu'une instance telle que la commission consultative départementale, même si elle a vocation à associer les différentes parties concernées, puisse jouer pleinement son rôle dans un schéma de concertation et de médiation à l'échelon local.
Il conviendrait d'affiner les modalités de fonctionnement d'une telle structure afin de l'adapter aux réalités concrètes puisque c'est l'inadéquation du précédent texte qui nous amène aujourd'hui à débattre d'un problème de société. Sans vouloir jouer les rabat-joie, nous devons prendre en compte tous les paramètres susceptibles d'enrayer le dispositif proposé sous peine de retomber dans les erreurs du passé, tout en étant bien conscients qu'il est absolument inutile d'exiger des communes un effort financier dépassant leur capacité budgétaire.
De même, pour rendre viable ce système de mutualisation des coûts, l'Etat doit apporter des garanties formelles de sa participation effective à la mise en oeuvre de la nouvelle législation visant à mutualiser le coût des aires d'accueil. Les préfectures reconnaissent d'ailleurs elles-mêmes l'insuffisance des crédits destinés à la réalisation et au fonctionnement de telles aires.
Il convient d'ajouter que, au sein des pays concernés par l'application de l'accord de Schengen, la suppression des contrôles aux frontières intérieures constitue un facteur qui, à terme, peut amplifier le phénomène du parcours international. La dimension européenne de la présente problématique doit être prise en compte dans nos travaux. La liberté d'aller et venir est, certes, un droit fondamental, mais ce droit doit se conjuguer avec les impératifs d'hygiène et d'ordre public liés à l'arrêt et au stationnement prolongé de caravanes. Nous limiterons ainsi considérablement les heurts que nous déplorons traditionnellement dans nos villes et nos villages, heurts qui quelquefois dégénèrent malheureusement en tragédies.
Les gens du voyage sont des citoyens comme les autres. Dans un état républicain tel que la France, ils ont des droits, mais ils ont également des devoirs : par exemple, le devoir de respecter, comme tout citoyen, les règles de la République, les décisions de justice qui peuvent, en cas de non-respect de la législation et de la réglementation, être prononcées à leur encontre. Il est nécessaire, à cet effet, de prévoir un renforcement des pouvoirs de police du maire. Sur ce point, le consensus me paraît général et dépasse largement les clivages partisans, comme le prouvent les lettres ouvertes cosignées par plusieurs de mes collègues maires appartenant, bien sûr, à toutes les tendances politiques.
En conclusion, je me félicite que la commission envisage, comme je le préconisais, un accroissement des pouvoirs de coordination du préfet en matière de prise en charge des grandes migrations, ainsi que la possibilité, pour les maires des communes membres d'un établissement public de coopération intercommunale qui a réalisé une aire d'accueil, de pouvoir interdire par arrêté le stationnement des gens du voyage sur le reste du territoire communal ou intercommunal, proposition que j'avais également formulée.
La possibilité de saisir le président du tribunal de grande instance lors d'un stationnement irrégulier de caravanes sur un terrain privé ou sur le domaine privé communal constitue également une avancée significative.
Je suis, en revanche, beaucoup plus réservé quant à la suppression du seuil de population dans le futur dispositif, et je m'interroge sur le contenu du schéma national et du nouveau schéma départemental ou, plus exactement, sur les moyens financiers que l'Etat mettra en oeuvre, ainsi que sur ceux que pourront consentir les collectivités locales. De ces deux inconnues dépend la réussite d'une telle réforme.
Pour ma part, j'insisterai sur le fait que l'Etat ne doit en aucun cas se décharger de la gestion d'une telle problématique sur les collectivités locales, qu'il ne doit pas être exigé de ces dernières des prestations qui dépasseraient leur capacité et que, en tout état de cause, il ne faudra pas hésiter à apporter rapidement des correctifs si le dispositif que nous allons adopter venait à se révéler, par certains aspects, inadapté à une réalité très complexe et subtile : il ne faudra pas attendre sept ans avant de rectifier, éventuellement, ses modalités d'application.
Enfin, j'ajouterai que c'est par souci de « coller à la réalité » et de perfectionner le texte que j'ai pris l'initiative de déposer deux amendements ; je m'en expliquerai le moment venu.
Je souhaite, mes chers collègues, que nos travaux contribuent à la recherche d'un équilibre dans les relations entre une population nomade qui, depuis cinq cents ans, se sent rejetée de partout et une administration communale qui n'a pas trouvé le fil de son intégration. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il est des circonstances dans lesquelles, à l'évidence, la loi ne suffit pas, à elle seule, à apporter une solution acceptable et pérenne à un problème.
Ce peut être du fait de la loi elle-même, lorsqu'elle est inadaptée, au moins partiellement, ou trop imprécise.
Cela peut tenir à des difficultés techniques et financières rencontrées sur le terrain.
Cela peut être lié à des pesanteurs sociologiques, que l'on connaissait au moment du vote de la loi mais dont on n'avait pas mesuré, alors, à quel point elles étaient un facteur d'inertie.
Cela peut provenir de la mauvaise articulation entre ceux qui ont, à un titre ou à un autre, à intervenir dans la mise en application de la loi.
Dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui, toutes ces causes conjuguées me semblent devoir être incriminées.
La loi de 1990 semblait, a priori , répondre à la préoccupation de la répartition géographique des gens du voyage sur le territoire national dans des conditions satisfaisant au respect de la dignité auquel nous sommes attachés.
En ne tenant pas compte des différents types de migrations, en ne quantifiant pas les emplacements à réaliser, en laissant en dehors du dispositif des secteurs moins fortement urbanisés, où l'accueil serait parfois plus facile, en ne prévoyant aucun système de péréquation financière, la loi portait déjà en elle les germes de toutes les difficultés qui ont effectivement empêché, dans de nombreux cas, la mise en place des schémas départementaux d'accueil des gens du voyage et, presque toujours, lorsque leur élaboration a pu être conduite à bonne fin, leur mise en oeuvre sur le terrain.
L'échec, aujourd'hui, est patent. L'excellent rapport de notre collègue Jean-Paul Delevoye le souligne avec mesure, mais sans ambiguïté.
Sur 1 739 communes soumises à l'obligation, seules 378 ont mis la loi en application, dont une cinquantaine dans un cadre intercommunal.
Certaines, et leur nombre n'est pas négligeable, ont renoncé à maintenir leur aire d'accueil, alors même qu'elles s'étaient engagées dans la procédure avec conviction et détermination.
Les autres constatent avec dépit et colère que l'existence d'une aire d'accueil n'empêche pas les gens du voyage, sous les prétextes les plus divers, de s'installer en d'autres lieux du territoire communal, aussi bien sur des terrains publics que sur des terrains privés.
La municipalité de Strasbourg - même elle ! - se bat depuis des mois pour libérer des espaces publics, alors qu'elle est, pour ce qui la concerne, en pleine conformité avec la loi.
Mais c'est déjà en amont que se pose le problème, souvent quasi insurmontable en zone urbaine ou périurbaine, du choix de l'emplacement de l'aire d'accueil. Celle-ci doit être située en zone constructible, desservie par la voirie, les réseaux d'eau, d'assainissement, d'électricité, Elle est donc nécessairement proche des secteurs habités.
Que l'on s'oriente vers un quartier difficile de la ville, dont on accentue encore ainsi la marginalité, ou vers un quartier plus résidentiel, la seule annonce de cette éventualité - j'en fais l'expérience dans ma ville - déclenche des avalanches de protestations, la création de collectifs, la mise en route de procédures.
Reste, bien sûr, la solution intercommunale, que chacun applaudit des deux mains, car chacun l'appelle de ses voeux.
Comme pour le centre de tri, le centre d'enfouissement, la plate-forme de compostage, l'usine d'incinération ou la voie de contournement, l'unanimité se fait pour réaliser ensemble ; l'unanimité finit aussi par se faire, moins facilement, pour arrêter les clés de répartition financière. Mais personne ne veut de cet équipement chez soi !
Dans l'agglomération mulhousienne, dont je préside le syndicat intercommunal à vocation multiple, plusieurs équipements intercommunaux ont ainsi connu de nombreuses localisations virtuelles avant d'arriver à se « poser » sur le terrain.
Les élus locaux sont d'autant plus difficiles à convaincre qu'ils voient bien que ceux qui ont obtempéré en ont souvent été très mal récompensés : dégradations, rotations non contrôlées, droits de place non réglés, enfants non scolarisés, extension sauvage de l'aire d'accueil bien au-delà de ses limites, coûts de fonctionnement considérables, conflits entre agents communaux et gens du voyage, refus de cohabiter avec d'autres groupes, difficulté d'identifier les interlocuteurs. Et l'on pourrait allonger la liste !
Mais il y a plus grave encore : le stationnement anarchique en d'autres lieux publics et privés, sans que les élus locaux ou les propriétaires puissent compter sur quelque appui que ce soit pour mettre un terme à cette occupation de fait. Bien sûr, la loi donne au maire la faculté de signer un arrêté interdisant le stationnement hors de l'aire d'accueil aménagée, mais le maire ne dispose absolument pas des moyens nécessaires pour faire respecter cet arrêté.
La situation est telle qu'elle accrédite auprès de nos concitoyens l'idée que la stratégie du fait accompli est infiniment plus efficace que celle du respect des procédures réglementaires.
C'est souvent le cas s'agissant des manquements aux règles d'urbanisme ou des problèmes de mise en décharge, de bruit et de pollution, pour lesquels des pouvoirs relativement importants ont été donnés aux maires - on en a abondamment informé l'opinion publique - alors qu'en fait le maire se trouve le plus souvent démuni puisqu'il peut réglementer mais non sanctionner. Et c'est dans ce contexte-là que l'on s'apprête encore à limiter le pouvoir déjà bien restreint des polices municipales !
Face à cette situation, l'armée des braves gens qui se plient aux règles, qui s'acquittent de leurs contributions, qui paient leurs contraventions, est indignée par ce qui lui apparaît à juste titre comme un traitement différencié.
Aussi les maires et les conseils municipaux qui ont le courage politique d'assumer, devant leurs concitoyens, la mise en place d'une aire d'accueil des gens du voyage doivent-ils impérativement, au moindre débordement, se sentir assurés du plus ferme soutien.
Il faut progressivement mettre en place un dispositif de péréquation financière, au moment où nos concitoyens sont particulièrement attentifs à l'utilisation qui est faite de leur contribution fiscale.
Il faut faire vérifier systématiquement que l'obligation pour les gens du voyage de choisir une commune de rattachement est bien remplie.
Il faut surveiller d'une manière beaucoup plus stricte la réalité de la scolarisation des enfants des familles concernées.
Il faut, enfin, que le problème de leurs ressources et de leur éventuelle fiscalisation fasse l'objet d'investigations aussi rigoureuses que celles qui concernent les autres habitants de notre pays.
C'est uniquement si cette volonté de rigueur est clairement affirmée et si les maires sont intimement convaincus qu'on ne les laissera pas seuls face au problème des gens du voyage - car, seuls, ils l'ont généralement été jusqu'à présent - que leurs réticences faibliront, qu'ils participeront avec un esprit constructif à l'élaboration des schémas départementaux d'accueil des gens du voyage et qu'ils contribueront ainsi à un cheminement conduisant vers une plus grande tolérance réciproque.
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui s'inscrit dans une telle perspective. C'est la raison pour laquelle, avec les membres du groupe du Rassemblement pour la République, je lui apporterai mon soutien. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'approuve, bien entendu, les conclusions de notre rapporteur, le président Jean-Paul Delevoye. Elles sont le fruit d'un travail de concertation intense sur les conditions d'accueil et de stationnement des gens du voyage, réalisé à la suite des propositions de loi de MM. Souvet et Marini.
Je vous ai écouté, monsieur le secrétaire d'Etat, avec beaucoup d'attention, vous qui avez, dès 1990, posé des jalons permettant la recherche de solutions pratiques.
Notre débat intervient à un moment où ce problème se pose dans de très nombreuses communes avec une grande acuité, à un moment aussi où les maires, dans bien des régions, se sentent seuls, face à des difficultés qui irritent de plus en plus nos concitoyens.
Dans certaines zones géographiques, et je pense en particulier aux départements frontaliers - mais les témoignages que nous entendons aujourd'hui montrent qu'ils sont loin d'être les seuls concernés - le stationnement sauvage et le non-respect du droit prennent une tournure qui peut avoir des conséquences imprévisibles, ou plutôt, hélas ! trop prévisibles.
La solution réside dans une législation efficace, mais aussi et surtout dans la capacité des pouvoirs publics à la faire respecter.
En vertu de la loi du 31 mai 1990, des schémas départementaux devaient être élaborés d'un commun accord entre l'Etat et les départements. Certains l'ont été, d'autres non, et là où les schémas ont vu le jour, leur application sur le terrain a été inégale.
Souvent, d'ailleurs, la crainte de provoquer un afflux supplémentaire de gens du voyage ou la peur de ne pas voir les conditions d'accueil respectées se révèlent dissuasives pour des communes qui seraient en mesure d'offrir des terrains.
Les propositions qui nous sont soumises aujourd'hui me paraissent réalistes et de nature à améliorer la situation : l'établissement d'un schéma national, à l'élaboration duquel les élus seraient associés, la confirmation des schémas départementaux, la création d'une commission consultative regroupant tous les partenaires, l'assouplissement du seuil du nombre d'habitants, la mutualisation du coût sont autant de mesures susceptibles de contribuer à la solution concrète des problèmes posés.
Mais la meilleure loi ne suffira pas si, parallèlement, les maires n'ont pas le sentiment que tous les moyens seront mis en oeuvre pour la faire respecter et - il faut y insister - pour endiguer la montée de l'intolérance.
Occupations illicites de terrains, infractions à l'ordre public, dégradations, saccages, voire menaces physiques deviennent fréquents. Or, en face, le maire n'a pas toujours le sentiment de pouvoir compter sur l'appui de la force publique.
Théoriquement, le maire peut utiliser la voie du référé, obtenir un jugement, puis recourir à l'huissier et à la force publique. Malheureusement, des exemples montrent que, dans la pratique, le refus du concours de la force publique, conséquence du refus de la justice de considérer le stationnement illicite comme une infraction pénale, est loin d'être exceptionnel.
Le maire - et je peux, moi aussi, citer l'exemple de Strasbourg - se trouve alors isolé face à une opinion publique qui ne comprend plus, qui se demande si la loi est encore égale pour tous.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Or ce problème ne connaîtra pas de solution si préfets, justice, police, gendarmerie, départements, maires et mouvements associatifs ne travaillent pas main dans la main pour veiller non seulement au respect de la loi mais aussi au respect de l'ordre public.
Ne pas arriver à cette coordination étroite, c'est ouvrir la porte à tous les abus, c'est provoquer l'arrivée en France de gens du voyage supplémentaires parce que, en Europe, le laxisme aspire et le respect du droit dissuade.
Veillons à ce que la France ne soit pas, sur ce plan, le maillon faible en Europe, qu'elle ne soit pas le pays où l'autorité de l'Etat s'exerce moins qu'ailleurs, qu'elle ne soit pas le pays maîtrisant moins que ses partenaires le flux de ceux qui viennent et qui passent.
Il faut, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'une étroite coordination soit assurée à l'échelon national entre vous-même, le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux pour sceller la nécessaire coopération sans laquelle les dispositions que nous adoptons aujourd'hui, qui sont nécessaires, risqueraient, hélas ! de rester lettre morte. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Dupont.
M. Ambroise Dupont. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, de plus en plus mal considérés par les populations locales, les gens du voyage forment un groupe marqué, on l'a dit, par une grande diversité des modes de vie et activités pratiquées.
Accusées, à tort ou à raison, de toutes les infractions survenant pendant leur passage, ces populations nomades connaissent de véritables difficultés d'insertion, auxquelles s'ajoute un problème de stationnement.
La loi du 3 janvier 1969, par laquelle leur statut est principalement régi, n'aborde en effet pas vraiment ce problème, qui est pourtant à la source des conflits avec les populations d'accueil et, partant, des difficultés des maires, accusés par ces dernières de ne pas les défendre.
La loi du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement - loi adoptée alors que vous étiez en charge du logement, monsieur le secrétaire d'Etat - a tenté d'apporter une solution à cette situation en imposant, dans son article 28, l'établissement d'un schéma départemental, dont M. Eckenspieller a dit tout ce qu'il fallait dire.
Obligation est ainsi faite à toute commune de plus de 5 000 habitants d'aménager des terrains pour accueillir les gens du voyage, ce qui permet au maire concerné d'interdire le stationnement sur le reste du territoire communal.
Cependant, ce dispositif s'est révélé, dans la pratique, mal adapté à la réalité. Se trouvent en effet en présence, d'une part, une communauté qui n'accorde pas au droit la même importance que les populations locales et, d'autre part, des autorités qui disposent de moyens juridiques insuffisants pour sanctionner les contrevenants ; de sorte se produisent régulièrement des conflits que les procédures judiciaires ne résolvent pas de façon satisfaisante car, bien souvent, il est déjà trop tard !
J'en prends pour exemple les incidents qui se sont produits en août dernier dans mon département du Calvados. Des gens du voyage, avec plus de 120 caravanes, se sont installés par effraction sur un terrain privé situé en zone naturelle protégée et où des bêtes étaient en pâture, alors même qu'une aire d'accueil était aménagée et se trouvait alors aux deux tiers vide.
Par la suite, se sont produits différents troubles que l'on peut imaginer, comme on peut imaginer les craintes ressenties tant par les habitants que par les vacanciers : bris de clôtures, déplacements de bovins, envahissement des sanitaires des campings - ce qui a fait fuir des campeurs - et je ne citerai pas tous les méfaits, parfois violents, qui ont été commis l'été dernier, mais ces exemples illustrent combien le séjour des gens du voyage pose de réels et graves problèmes aux communes.
Risque de pollution, danger en matière d'hygiène, conflits avec le voisinage, insécurité, telles sont les situations auxquelles doivent faire face les autorités locales.
Le sentiment d'insécurité grandissant rend le développement, année après année, de ce phénomène de plus en plus insupportable. Or, en la matière, les maires ne peuvent que constater leur impuissance. Tous soulignent à quel point il est difficile d'agir dans un bref délai pour faire expulser les gens du voyage installés illégalement. Tous aussi se sentent seuls, mes collègues l'ont très bien dit avant moi.
Le séjour des gens du voyage demeure donc un « casse-tête », et les populations s'exaspèrent chaque jour davantage de voir que coexistent deux sortes de citoyens, ceux qui respectent la loi et ceux qui ne la respectent pas mais ne semble pas pénalisés pour autant.
Les présentes propositions de lois sont donc bienvenues et je me félicite des très remarquables conclusions présentées, au nom de la commission des lois, par notre rapporteur, M. Jean-Paul Delevoye, qui est à l'écoute de tous les maires de France, unanimement d'accord sur ce sujet.
Je ne reviens ni sur l'obligation pesant sur les municipalités d'aménager des aires d'accueil appropriées aux besoins des nomades, ni sur les pouvoirs accordés au maire pour faire cesser le stationnement illicite, ni encore sur la création d'une commission consultative agissant comme instance de conciliation et associant les gens du voyage, ce qui me paraît une très bonne chose.
Je m'arrêterai seulement sur l'article 6. Si je me réjouis du fait que les maires vont maintenant pouvoir engager des actions en justice sous forme de référé pour permettre l'évacuation des véhicules en cas de stationnement illicite, je me permets de souhaiter que la mise en oeuvre de cet article soit effective et rapide ! En effet, si l'exécution devait prendre trois ou quatre jours, les nomades seraient entre-temps partis, les dégradations témoignant seules de leur passage.
L'article 6 répond cependant exactement aux attentes des élus locaux, qui veulent disposer de réels moyens d'action.
Le système du « donnant-donnant » me paraît satisfaisant et plus apte à résoudre les situations conflictuelles, hélas ! trop fréquentes. Je souligne toutefois que l'harmonie entre populations sédentaires et gens du voyages ne peut passer que par le respect de règles communes.
La commission, dans ses conclusions, propose un engagement de l'Etat plus important de deux points de vue.
D'une part, du point de vue de l'organisation, elle a envisagé que soient dressés un répertoire national des terrains aménagés et un schéma national pour l'ordonnancement des grandes migrations traditionnelles.
Ce dernier point est important car ces migrations prennent de telles proportions qu'elles sont ingérables par les seuls maires. Il est donc indispensable que le représentant de l'Etat participe à leur prise en charge.
D'autre part, du point de vue financier, la commission a avancé l'idée d'un versement par l'Etat de subventions dégressives et proposé qu'une convention soit conclue entre tous les partenaires concernés, dont l'Etat, pour la réalisation d'aires d'accueil, notamment afin de permettre une meilleure répartition des coûts d'investissement et de fonctionnement.
Je suis favorable à toutes ces propositions. Je considère en effet que, compte tenu de ses missions régaliennes, l'Etat doit s'impliquer davantage en la matière et mieux veiller au respect de la loi.
Les maires ont d'ailleurs demandé que les lois existantes soient appliquées et que la force publique puisse être utilisée en cas d'infraction grave, lors de l'assemblée générale qui s'est tenue très récemment dans le Calvados.
Tout cela correspond parfaitement aux aspirations actuelles en matière de sécurité. On ne peut laisser impunément bafouer l'autorité publique sous peine de la décrédibiliser, et c'est bien de la volonté clairement exprimée de faire appliquer la législation proposée que dépendra le succès de cette dernière.
Pour toutes ces raisons, je voterai les conclusions du rapport de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Louis Boyer.
M. Louis Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, notre assemblée aborde aujourd'hui le délicat sujet des « gens du voyage », ou « nomades ».
Ces termes, qui qualifient les populations se déplaçant sur le territoire d'Etats auxquels elles peuvent être étrangères ou non, sont porteurs d'une connotation de rêve, le voyage ; pourtant, ils sont bien souvent associés, pour les populations et les autorités locales, à des opinions négatives, synonymes de problèmes.
Qu'il s'agisse ou non de préjugés, la situation des gens du voyage est préoccupante et les gouvernements successifs se sont efforcés de définir la politique à suivre en la matière.
Quelles sont les données actuelles ?
Nous avons, en premier lieu, une minorité hétérogène - particularisée cependant par certaines caractéristiques communes - dont nous devons respecter l'identité et les spécificités culturelles et morales.
Leur condition, sur le plan social et humain, s'est considérablement améliorée, notamment depuis la loi du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe depuis plus de six mois.
Cette loi, qui a abrogé la loi du 16 juillet 1912, dont le caractère était purement répressif, définit le statut juridique des gens du voyage, notamment en ce qui concerne leurs titres de circulation et leur rattachement à une commune.
Par ailleurs, l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement a créé l'obligation pour toute commune de plus de 5 000 habitants de prévoir « les conditions de passage et de séjour des gens du voyage sur son territoire, par la réservation de terrains aménagés à cet effet ».
A priori, la contrepartie prévue par le troisième alinéa de cette disposition est le pouvoir conféré aux maires d'interdire le stationnement des nomades sur le reste du territoire communal dès lors que l'obligation légale d'accueil est respectée.
Tel est le dispositif en place de nos jours. On pourrait donc penser que notre arsenal législatif aménage un équilibre satisfaisant entre les droits et les obligations réciproques des nomades et des collectivités locales. En réalité, des problèmes subsistent et l'exaspération de la population confrontée à ces peuples marginaux est croissante.
Les pouvoirs publics tentent de favoriser l'insertion sociale de ces communautés tout en respectant leur différence alors que, de leur côté, les nomades, de par leur culture, ne connaissent et ne respectent la loi que lorsqu'elle leur convient ou leur est favorable.
Des moyens juridiques existent bien pour les sanctionner quand cela est nécessaire, mais ils sont souvent insuffisants ou inappliqués. Les gens du voyage le savent et abusent de leur impunité. Dans ces conditions, est-il bien utile de légiférer à nouveau ?
Le véritable problème est celui de l'application de la loi. Les dispositions qu'il nous est proposé d'adopter sont louables. Cependant, elles visent à imposer de nouvelles obligations aux communes, qui rencontreront des difficultés techniques et financières pour les mettre en oeuvre. A quoi cela servera-t-il si le laxisme des autorités, en particulier du ministère de l'intérieur, persiste en faveur des populations en cause ?
Je suis intervenu le 1er juin 1990 sur un cas précis, celui de la commune de Nevoy, commune du Loiret comptant 860 habitants, où un terrain privé a été acquis par l'association « Vie et Lumière ».
L'occupation de ce terrain contrevient aux règles de l'urbanisme mais, s'il appartient au maire d'assurer la police municipale au sens de l'article L. 132-2 du code des communes, ce dernier ne concerne que les lieux publics et ne peut donc s'appliquer à une propriété privée.
La commune de Nevoy a un plan d'occupation des sols et le terrain en question, qui abrite chaque année, depuis 1990, des rassemblements groupant jusqu'à 30 000 personnes, est classé comme terrain ayant une vocation agricole. Il ne comprend ni point d'eau ni sanitaires en rapport avec la population qui y séjourne.
De plus, les propriétés environnantes sont régulièrement pillées, les demeures fracturées, les arbres coupés et le gibier braconné. Ces propriétés ont donc perdu toute valeur marchande.
Depuis 1990, quelques mesures ont été prises, mais très peu l'ont été au titre du non-respect de la loi. S'il s'était agi d'un camping classique, il aurait été fermé depuis longtemps. Des CRS sont envoyés pendant les périodes de grosses concentrations, ce qui rassure un peu les populations locales, mais les déprédations persistent. Imaginez l'atmosphère quand 30 000 personnes, pendant huit à dix jours, font leurs besoins dans la nature !
Ces dernières années, des faits nouveaux ont été signalés avec l'apparition de nomades originaires de pays de l'Est, Roumanie, Hongrie, ex-Allemagne de l'Est. Ceux-ci sont particulièrement agressifs. Ils refusent de payer les commerçants locaux et les menacent avec des armes blanches.
Après avoir connu plus de sept ans cette situation, les populations locales sont exaspérées. Il est évident qu'un jour ou l'autre, un drame se produira, drame dont l'Etat portera la responsabilité.
Je rappellerai également des faits survenus récemment dans une autre commune du département du Loiret.
Le jeudi 2 octobre 1997, une quinzaine de gens du voyage sont venus chasser sur une propriété privée. Six d'entre eux ont été interpellés par les gardes nationaux, qui ont dressé un procès-verbal. Les gendarmes, qui avaient été appelés, ont constaté que leurs papiers étaient en règle. Les numéros des fusils et des voitures n'ont pu être mentionnés par les gardes et les chasseurs ont pu emporter le gibier qu'ils avaient tué.
Le dimanche 5 octobre 1997, des gens du voyage, au nombre d'une trentaine - dont ceux qui avaient été verbalisés le 2 octobre - sont venus pour chasser sur la propriété citée précédemment et sur deux propriétés voisines. Le garde a voulu relever le numéro des voitures. Deux coups de fusil ont été tirés, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche. L'un de ces hommes l'a menacé avec un revolver et on lui a dit : « Si vous persistez, demain nous reviendrons à cent. »
Nous sommes loin des théories, c'est la situation sur le terrain.
Cela se passe bien dans certains départements et moins bien dans d'autres, avez-vous dit, monsieur le secrétaire d'Etat. Malheureusement, je suis dans un département où cela se passe vraiment moins bien.
Je souhaite que ne se reproduise pas ce qui s'est passé dans une commune de mon département où, quarante-huit heures après l'inauguration d'un magnifique terrain par le préfet, toutes les installations ont été démontées et vendues chez des brocanteurs, évidemment sans qu'aucune sanction ne soit prise.
Cette proposition de loi sera contraignante pour les communes, mais elle est nécessaire. Je la voterai donc, en souhaitant qu'elle ne demeure pas lettre morte. Les autorités doivent avoir le courage de sanctionner les contrevenants. La loi doit être appliquée pour tous, et non seulement pour certains. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui ne manque pas d'originalité. Il traite d'une population dont le genre de vie, nomade parmi les sédentaires, a très tôt été remarqué et souvent réprouvé - ce n'est pas nouveau - par les habitants et les autorités. Cette réprobation explique l'abondance de la réglementation locale qui les concerne, réglementation qui a tenté de canaliser le phénomène, alors même que la législation sur le sujet est, somme toute, assez peu importante. Elle explique aussi les souvenirs douloureux, la répression ayant pris parfois, hors de France il est vrai, une tournure raciste appuyée ; nous ne devons pas oublier ces souvenirs historiques.
Les interventions précédentes ont bien montré que ce n'est pas ce côté répressif - et encore moins raciste - qui anime nos collègues, et c'est bien ainsi. Mais il est urgent d'agir pour éviter que les manquements de la population concernée ne provoquent une réaction telle qu'elle entraînerait une simple chasse à l'autre uniquement parce qu'il est différent.
Cependant, une loi - celle-ci en particulier - peut-elle résoudre cette question ? Je n'en suis pas convaincu. Il existe effectivement un problème, et loin de moi l'idée de me voiler la face. Les autorités départementales et locales responsables de la police de la circulation, du stationnement et de l'hygiène s'en font l'écho de façon quasi permanente. Je comprends donc, monsieur le rapporteur, que le président de l'Association des maires de France y porte une attention soutenue, reflet de celle qui anime la plupart des élus de ce pays. A quelques jours de l'ouverture du congrès des maires de France - et même si votre texte n'est pas un texte d'opportunité car nous l'avons examiné en commission des lois en mars dernier - il est assuré de soulever l'intérêt. Aussi est-il d'autant plus important que ce texte ne suscite pas d'illusions.
Cela étant, monsieur le rapporteur, vous êtes dans une situation singulière. En effet, vous rapportez deux textes fondus en un seul, fort différent des deux propositions de loi initiales et dont vous êtes en partie l'inspirateur. Ne voyez dans cette remarque aucune critique, bien au contraire : je sais le travail que vous avez réalisé.
La proposition de loi que vous rapportez, comme la présentation que vous en avez faite, est certes fort louable sur le plan des intentions. Cependant, elle ne fait guère avancer les choses sur le plan de l'efficacité. Aussi, je serai conduit à vous proposer des modifications, même si je n'ai guère d'illusion sur leur adoption ; mais il est parfois utile de prendre date. En ce qui concerne les intentions, je ne peux que souscrire à la proposition de la commission visant à « rompre l'isolement des communes en parvenant à un juste équilibre entre des conditions d'accueil satisfaisantes des gens du voyage et une sanction effective du stationnement illicite ». Monsieur Delevoye, si vous annoncez, lors du congrès des maires de France, en séance plénière, que vous avez réussi tout cela, vous allez faire un tabac ! Je ne suis pas cependant sûr que la loi vous permette de réussir parfaitement sur ce point.
Toutefois, vous avez raison, monsieur le rapporteur, de souligner l'injustice de l'isolement dans lequel se trouvent les maires, en particulier ceux qui ont fait l'effort de satisfaire aux obligations de la loi.
De même, impliquer d'autres acteurs - les communes non sièges d'aire d'accueil, les conseils généraux, le conseil régional, même je suis plus réservé sur ce dernier car je me demande si c'est bien sa mission, les établissements publics de coopération intercommunale et l'Etat - est une bonne idée.
La presse spécialisée a surtout retenu l'idée de mutualisation, qui ne peut que séduire un vieux pays comme le nôtre, lequel en parle beaucoup mais en fait très peu.
Je remarque cependant que l'article 4 de la proposition de loi, qui institue ce que j'appellerai plutôt une coopération par convention entre les parties que je viens de citer, n'est assorti d'aucune contrainte, même pas en termes de délai. Dans ces conditions, les conventions proposées, qui seront, avez-vous dit dans votre intervention liminaire, « obligatoirement » signées ne le seront en réalité pas plus que n'ont été respectées les prescriptions de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990, dite « loi Besson ». En la matière comme dans bien d'autres, il n'est pas d'obligation sans sanction ! Dire le contraire, c'est se bercer d'illusions, et je crains, en effet, que les bonnes intentions de ce texte ne se révèlent bien illusoires.
J'en viens aux insuffisances - permettez-moi d'appeler ainsi les défauts que je trouve à ce texte - de la proposition de loi.
Vous énumérez, dans votre rapport, les diverses catégories de gens du voyage et les types de parcours qu'ils effectuent. Tout le monde est d'accord pour distinguer les itinérants, les semi-sédentaires et les sédentaires effectuant des parcours régionaux, locaux et de grands pèlerinages. Toutefois, une catégorie n'est pas traitée dans le texte et elle est à peine évoquée dans le rapport : celle des sédentaires ou quasi-sédentaires que j'appellerai « contraints », c'est-à-dire des gens qui sont sédentaires ou en voie de sédentarisation en raison des difficultés économiques. Ils posent des problèmes particuliers, et ils sont de plus en plus nombreux. Cette question devra être traitée.
Quoi qu'il en soit, vous avez choisi de distinguer deux grandes catégories auxquelles sont consacrées les deux parties de votre texte : d'une part, les grandes migrations et le schéma national dans lequel vous laissez une part prépondérante, voire quasi exclusive à l'Etat ; d'autre part, les migrations plus limitées, avec leur traitement départemental et local, ainsi que les pouvoirs de police du maire.
Sur le plan intellectuel, la distinction peut se justifier. Cependant, je conteste la méthode employée pour résoudre le problème des grandes migrations. Elles sont connues et parfaitement prévisibles, à la réserve près qu'il peut y avoir des rassemblements religieux fort nombreux et non répertoriés à l'avance : certains orateurs les ont évoqué tout à l'heure. De même, des événements familiaux comme les enterrements ou les fêtes peuvent rassembler un nombre impressionnant de caravanes. Tout cela n'est guère prévisible, et ne sera pas traité par la loi.
Pour le reste, la méthode très centralisée qui est proposée me semble fort contestable. A première vue, il peut en effet sembler séduisant de décharger les autorités locales de l'essentiel des contraintes, qui sont ainsi transférées à l'Etat. Cependant, je ne vous apprendrai pas, monsieur le rapporteur, que l'Etat, c'est loin, et que tout stationnement est par nécessité réalisé sur le territoire d'une commune dans laquelle le maire a, au premier chef, des responsabilités de police. Il sera donc de toute façon, et quoi que vous fassiez, en première ligne. Mieux vaudrait donc l'associer dès le début, intimement, dans un cadre départemental.
Je propose donc que, chaque département connaissant les lieux et les périodes de passage, les schémas départementaux, établissent les conditions d'accueil de ces grandes migrations et que le répertoire national n'étant que l'agrégation des propositions départementales, validées par l'Etat après avis de la commission consultative nationale.
Je comprends bien dans quelle logique se situe la proposition qui est faite. Cependant, appliquer aux personnes qui sont concernées par cette proposition de loi cette pure logique d'aménagement du territoire me semble contestable.
Enfin, la formulation de l'article 3, prévoyant que le préfet « peut prendre les mesures nécessaires à une répartition équilibrée des gens du voyage sur les terrains », est assez déplaisante. Elle donne l'impression que les hommes sont des pions - « des billes dans des cases », ont dit les associations ou les représentants des gens du voyage - ce qui n'est pas le cas, quels que soient leurs défauts. Ils sont, peut-être plus que d'autres, jaloux de leurs possibilités de mouvements et du choix de leurs voisins. Dans cette population, les solidarités mais aussi les inimitiés familiales sont essentielles, et je ne conçois pas une répartition autoritaire. Quand bien même les préfets le voudraient - ce qui n'est pas assuré - ils n'auraient pas les moyens de mettre en oeuvre dans de bonnes conditions de telles dispositions.
J'en viens au second objet de la proposition de loi, qui concerne les mouvements de moins grande ampleur et le renforcement apparent des pouvoirs du maire. Je dis bien « apparent » !
Vous constatez, monsieur le rapporteur, que l'article 28 de la loi Besson n'a pas donné de bons résultats, et vous avez raison. Pour autant - et vous avez tout aussi raison - vous maintenez la procédure du schéma départemental, mais en suppprimant au passage le seuil de 5 000 habitants. J'y reviendrai.
Ne fallait-il pas aller plus loin dans l'analyse et essayer de comprendre pourquoi la loi est aussi peu appliquée ? Peu de départements disposent d'un schéma départemental, et encore faut-il constater que le fait d'avoir validé un tel document ne garantit pas son application. A cet égard, je sais de quoi je parle puisque, dans mon département, alors qu'un tel schéma existe depuis plus de dix-huit mois - les discussions ont duré tout de même quatre ans - il se passe finalement assez peu de choses en matière de stationnement des gens du voyage.
En effet, tout dispositif doit être assorti de contraintes et d'incitations. Ainsi, les aires d'accueil, les terrains sont forcément situés sur un territoire communal. Or, même si, après concertation, la création d'une aire d'accueil dans telle ou telle commune a été proposée, rien ne peut se faire si le conseil municipal ne le décide pas. Et l'on constate que, d'une commune à l'autre, on observe ce qui se passe là où ont été créées des structures d'accueil et, comme celles-ci sont peu nombreuses, elles sont trop petites et surchargées. Si, en outre, elles ne sont pas convenablement surveillées, elles sont saccagées, comme certains l'ont rappelé, et les maires des communes voisines restent dans leur coquille et ne réalisent pas les équipements prévus, parce que le spectacle des difficultés rencontrées par leurs voisins les inquiète.
Tout se passerait probablement de façon plus convenable si les aires prévues étaient toutes créées - ce qui est loin d'être le cas - car la capacité totale d'accueil suffirait alors à satisfaire les besoins et, avec une bonne gestion, les choses rentreraient dans l'ordre, du moins peut-on l'espérer.
Je résume : en premier lieu, il faudrait que tout schéma soit assorti d'une obligation de mise en oeuvre, d'une véritable contrainte, pour ne pas parler de sanctions. En effet, faire croire que tout se résoudra gentiment entre gens de bonne compagnie relève de l'illusion, voire de la démagogie.
En second lieu, il faudrait que le schéma s'applique de façon concomitante dans les différentes communes concernées, en tout cas selon un calendrier aussi serré que possible, afin que ceux qui acceptent de jouer le jeu ne soient pas pénalisés et par les dépenses engagées et par les désordres subis.
En troisième lieu, enfin, il faudrait que les aides soient plus importantes et les charges très légères, aussi bien en investissement qu'en fonctionnement. De ce point de vue, la mutualisation entre les communes et le département - j'ai émis des réserves s'agissant de la participation de la région - est une bonne idée. Cependant, j'observe, une fois de plus, qu'elle est fondée sur le volontariat et qu'elle risque fort de n'être qu'une illusion.
Quant à l'Etat, son intervention « renforcée », dites-vous, est nécessaire. Je le crois aussi. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous donniez votre sentiment sur cette question. N'est-il pas nécessaire de revoir le montant et les modalités de l'aide de l'Etat ? J'observe que des progrès importants ont été réalisés dans la mise à disposition du parc locatif privé lorsque les bailleurs ont pu percevoir directement l'aide au logement.
De la même façon, si l'on considère qu'une caravane est un logement situé sur un terrain percevant ou devant percevoir une redevance, ne peut-on concevoir qu'une aide au logement soit versée directement au gestionnaire de l'équipement ? Cela faciliterait beaucoup le fonctionnement, sans pour autant exonérer les occupants d'une part résiduelle, qui est nécessaire, ni, surtout, du versement d'une caution avant l'entrée dans les lieux. Là où le système a été mis en place, la situation est assez satisfaisante.
Au lieu de cela, que nous propose-t-on ? L'article 4 de la proposition de loi étend le dispositif de la loi Besson à l'ensemble des communes, alors même que l'application de celle-ci pour les communes de 5 000 habitants est, au bout de sept ans, très insuffisante. En contrepartie, il supprime l'obligation spécifique faite aux communes de plus de 5 000 habitants, au motif, certes louable, de favoriser l'intercommunalité et la mutualisation.
S'agissant du maintien ou non du seuil de 5 000 habitants, on peut discuter. Nous ne faisons pas de ce seuil une religion. Cependant, le supprimer, n'est-ce pas lâcher la proie pour l'ombre ? Notre préférence va au maintien de ce seuil.
Pourquoi serait-il plus facile de mettre en oeuvre la loi Besson en la généralisant à l'ensemble des communes, quelle que soit leur taille, alors que, même là où les schémas existent, c'est-à-dire dans les communes de 5 000 habitants et plus, elle n'a pas été appliquée ?
En quoi le seuil de 5 000 habitants empêche-t-il la coopération intercommunale et l'implantation d'une aire d'accueil sur une commune plus petite ?
Enfin, le seuil de 5 000 habitants - mais ce pourrait être aussi un seuil de 3 000, 4 000 ou 6 000 habitants - ne correspond-il pas, malgré tout, à une certaine réalité, dans la mesure où l'on observe que les gens du voyage privilégient, pour des raisons évidentes telle la présence de commerces et d'écoles, les villes ou leurs alentours ?
Vous l'avez compris, monsieur le rapporteur, la proposition de loi que vous nous présentez n'entraîne pas l'enthousiasme de mon groupe, et je dirai même, pour employer une litote, qu'elle suscite de fortes réserves.
Les maires, auxquels il est promis des pouvoirs de police renforcés, vont se trouver plus que jamais en première ligne. Le texte proposé par l'article 6 pour l'article L. 2213-6-2 du code général des collectivités territoriales est, à mon avis, de ce point de vue, très dangereux : le maire, en cas de stationnement sur un terrain privé, pourrait obtenir, sans même l'accord formel du propriétaire, un référé d'exclusion. Je lui souhaite bien du plaisir pour le faire appliquer ! Je crains que cette disposition n'entraîne une multiplication des contentieux, y compris, éventuellement, avec les propriétaires de terrains. (M. Marini proteste.)
Mais l'essentiel n'est pas là. Il est dans la tare initiale de cette proposition de loi, qui adopte une approche trop partielle pour traiter d'un problème qui est d'une grande complexité. Aborder cette grave question sous le seul angle du stationnement et de la police des maires - et encore, sans la résoudre à cet égard, à mon sens - c'est ne l'étudier que de façon sommaire et c'est oublier que les réels problèmes posés par cette population sont aussi d'ordre social, éducatif et sanitaire.
En un mot, l'approche doit être globale. Monsieur le rapporteur, vous écriviez d'ailleurs, en septembre 1996, dans un article paru dans le journal Les Echos , que « le traitement curatif ne peut se passer de traitement préventif ». Je reprends tout à fait cette approche et je souhaite qu'un texte futur, quelle qu'en soit l'origine, aborde cette question dans sa globalité. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. François.
M. Philippe François. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le stationnement des gens du voyage donne lieu depuis quelques années à des difficultés croissantes en Ile-de-France, notamment dans le département de la Seine-et-Marne, du fait de l'augmentation importante de cette population ainsi que du comportement de certains de ses représentants, qui n'entendent pas toujours - c'est le moins que l'on puisse dire - respecter les lois et règlements en vigueur.
La législation actuelle autorise le stationnement temporaire des gens du voyage dans les communes, sous réserve que ce stationnement soit pratiqué sur des terrains aménagés à cet effet. Ainsi les gens du voyage peuvent-ils faire étape dans des conditions satisfaisantes, tant pour la commune qui les accueille que pour eux-mêmes.
Mais cette situation devient malheureusement de plus en plus théorique en raison du nombre excessif de demandeurs par rapport au nombre de places disponibles dans les terrains aménagés par les communes.
Ces terrains sont naturellement d'une taille limitée afin de répondre à un besoin normal, ce qui est logique. Ils ne permettent pas aux communes de faire face à des concentrations excessives - notre collègue Louis Boyer a donné de ce point de vue un exemple particulièrement éclairant - surtout lorsque celles-ci s'accompagnent d'une durée de séjour abusive, ce que nous constatons de plus en plus. Lorsque tel est le cas, il s'ensuit une forte dégradation des terrains, à laquelle de nombreux maires sont de plus en plus souvent confrontés et qui coûte très cher.
Mais il y a beaucoup plus grave. Nous constatons en effet des occupations sauvages, par conséquent illégales, de terrains non aménagés pour ces groupes imposants de gens du voyage. Ces derniers s'installent fréquemment sur des terrains ruraux, sur des espaces verts communaux, sur des parcelles cultivables temporairement en jachère, sur des prairies destinées à la pâture du bétail, ou encore sur des terrains ayant cessé d'être cultivés parce que promis à une prochaine urbanisation. Dans tous les cas, non seulement les gens du voyage s'installent sans aucune autorisation, mais, au surplus, ils n'hésitent pas à braver les défenses affichées, voire à détruire les obstacles installés en vue d'empêcher une occupation illégale des terrains.
Il y a alors violation caractérisée du droit de propriété, occupation sans titre et, presque toujours, déprédation des terrains ainsi occupés en toute illégalité.
De surcroît, la présence de ces concentrations irrégulières de gens du voyage n'est pas sans poser des problèmes de voisinage, voire d'ordre public. Dans un certain nombre de cas, les terrains irrégulièrement occupés jouxtant des lotissements, c'est sur les réseaux desservant ceux-ci que se branchent les gens du voyage, dont la consommation est alors supportée par les riverains permanents.
Plus généralement, la présence temporaire de gens du voyage sur des terrains non aménagés, irrégulièrement occupés par leurs soins, est à l'origine de dépôts d'ordures sauvages dont les communes sont obligées ensuite d'assurer l'enlèvement après le départ de ces personnes. Je puis vous assurer que, en Seine-et-Marne, ce n'est pas simple, monsieur le secrétaire d'Etat.
L'enlèvement des ordures, le nettoyage et la remise en état des terrains après le stationnement irrégulier des gens du voyage constitue pour certaines communes une charge insupportable au regard de la modicité de leur budget. Lorsque l'événement se reproduit, comme c'est le cas dans plusieurs communes d'Ile-de-France, il n'est plus possible d'y faire face.
Dans un nombre de plus en plus important de communes, la présence irrégulière de gens du voyage est une source de tension avec les populations résidantes : les habitants n'entendent pas fournir gracieusement à ces personnes l'eau et l'électricité qui sont consommées à leurs dépens. Les riverains se plaignent à bon droit des déprédations causées par le stationnement sauvage des gens du voyage. Le trouble à l'ordre public est de plus en plus réel, de plus en plus fréquent.
Devant l'occupation sauvage et totalement illégale de terrains non aménagés, les maires sont désarmés. Les gens du voyage n'ont que faire de contraventions qu'en tout état de cause ils n'acquitteront jamais.
L'expulsion immédiate des terrains irrégulièrement occupés reste la seule ressource à la disposition des autorités municipales. Mais cette procédure fonctionne mal. La commune ne peut l'obtenir que par voie judiciaire, et donc à l'issue d'un certain délai. En outre, lorsque l'expulsion est ordonnée, elle n'est en général assortie d'aucune sanction.
C'est pourquoi il convient assurément de modifier la législation existante, d'une part, en facilitant la procédure d'expulsion des gens du voyage irrégulièrement installés en dehors des terrains aménagés à leur intention, et, d'autre part, en prévoyant des sanctions pénales s'ajoutant à l'expulsion proprement dite. De ce fait, ceux des gens du voyage qui n'hésitent pas, actuellement, à s'installer sans vergogne, de manière illégale et en bravant les interdictions - ils savent en effet qu'ils n'encourent aucun risque - seraient probablement, à l'avenir, beaucoup plus respectueux des lois et règlements et veilleraient à stationner exclusivement sur les terrains aménagés, dont l'existence traduit l'effort réel fourni par les collectivités publiques en leur faveur.
Telles sont toutes les raisons pour lesquelles nous soutiendrons les conclusions de la commission des lois sur les propositions de loi de MM. Marini et Souvet, qui nous sont aujourd'hui soumises et qui ont fait l'objet de l'excellent rapport de M. Jean-Paul Delevoye, président de l'Association des maires de France. Ce rapport répond, je vous l'assure, à l'attente des maires de Seine-et-Marne, que je représente ici, et à celle de la quasi-totalité des maires de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Souplet.
M. Michel Souplet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes confrontés depuis de nombreuses années à un problème qui s'aggrave de jour en jour : celui de l'accueil et de l'hébergement des gens du voyage. Je me réjouis donc de voir aborder cette question aujourd'hui, grâce à la commission des lois.
Les communes de plus de 5 000 habitants sont tenues de prévoir des terrains d'accueil équipés en eau, en électricité et en sanitaires ainsi que l'enlèvement des ordures ménagères. Ces équipements sont plus ou moins fréquentés, mais ils doivent permettre aux nomades de profiter d'un confort minimum, ce qui est une bonne chose.
Néanmoins, nous savons d'expérience qu'un grand nombre de gens du voyage répugnent à la moindre contrainte et préfèrent stationner sur des terrains vagues, des bordures de routes, voire dans des champs cultivés. Cette situation conduit à des heurts avec les propriétaires de ces terrains ou les usagers des routes et des chemins.
Mon intervention portera sur les répercussions de l'installation des gens du voyage sur le milieu rural. Les exemples que je vais vous présenter concernent bien évidemment mon département, particulièrement la région de Compiègne. Mon collègue et ami Philippe Marini connaît bien les difficultés rencontrées par la population citadine ; mais, de plus en plus, les habitants des communes environnantes, surtout les agriculteurs, se sentent désarmés par une jurisprudence totalement inefficace.
Je voudrais, en premier lieu, aborder le problème d'occupation et de dégradation des terres.
Dans la région de Compiègne, le gel des terres a affecté des surfaces importantes. Ainsi, lorsque celles-ci se trouvent à proximité de routes départementales ou nationales, elles sont fréquemment « squattées » pendant de longues semaines, voire des mois, de telle sorte que les exploitants se trouvent dans l'impossibilité d'entretenir leurs terrains. Outre les nuisances de proximité, on assiste à une dégradation des récoltes et des matériels agricoles : beaucoup d'agriculteurs sont dans l'obligation de nettoyer leurs terres avant d'envisager toute récolte, ou de retirer devant les machines agricoles les ferrailles, les cadres de vélo, les moteurs démontés et les bouteilles cassées qui jonchent le sol.
Le 30 octobre dernier, j'ai adressé à M. le préfet de l'Oise un courrier dans lequel je citais des exemples d'exactions commises récemment. Je vous en livrerai donc quelques extraits
« J'avais saisi votre prédécesseur, il y a deux ans, d'un incident sérieux qui eut lieu le jour de l'ouverture de la chasse. Plusieurs territoires de chasse - La Croix-Saint-Ouen, Le Meux, Jaux, Venette - avaient été ratissés par un commando d'une vingtaine de gitans armés et accompagnés de femmes, d'enfants et de chiens. A La Croix-Saint-Ouen, trois chasseurs, dont deux maires, ont été menacés, fusils sur le ventre, lorsqu'ils ont manifesté leur mécontentement. La gendarmerie, prévenue par un garde, ne s'est pas dérangée.
« Nos amis ont prié de laisser le gibier sur place. Les braconniers ont ostensiblement mis le gibier dans les voitures en ricanant et en déclarant : "Les gendarmes n'ont pas le droit d'ouvrir nos voitures, vous irez chercher les douaniers !" Il y a eu plainte, mais elle est restée sans suite.
« Cette année, au mois de juillet, à deux reprises, on a volé une voiture de l'exploitation dans une cour de ferme. La première fois, en plein jour, et à l'issue d'une chasse au voleur, le gitan cambrioleur » - c'était bien un gitan - « abandonna la voiture dans une flaque d'eau et s'échappa. Quarante-huit heures après, mais de nuit cette fois, la même voiture fut volée dans une cour de ferme et fut retrouvée vingt-quatre heures plus tard.
« Un agriculteur de Lachelle exploite l'une des parcelles qui jouxtent le camp des "gens du voyage" de Jaux. Régulièrement, la pièce est traversée en tous sens par des individus qui se complaisent à occasionner des dégâts, en proférant des menaces si l'on s'interpose.
« Voilà deux semaines, une centaine de caravanes ont envahi une gravière à Verberie. Le locataire de la chasse de ce plan d'eau n'a pu que constater que tous les canards avaient été braconnés, comme la société de pêche a pu constater que la plupart des poissons de l'étang avaient disparu. L'été dernier, toutes les parcelles en jachère furent « squattées » pendant plusieurs semaines malgré la réaction des agriculteurs.
« Enfin, dernièrement, sur le territoire de La Croix-Saint-Ouen, un agriculteur et les employés de la ferme ont été agressés verbalement alors qu'ils ensemençaient une pièce de blé après maïs. Cette parcelle, située entre l'Oise et la RN 20, est entourée d'un chemin. Une trentaine de caravanes installées en bordure de pièce depuis plusieurs semaines avaient causé des dégâts. Lorsque les ouvriers sont arrivés dans la parcelle, aussi bien les parents que les enfants les agressèrent verbalement dans des termes que je n'oserai répéter.
« Monsieur le préfet, trop c'est trop ! » écrirais-je.
Les quelques exemples que je viens de citer pourraient être multipliés par dix ou par cent, et le climat qui règne dans le proche environnement de Compiègne est devenu insupportable.
Nous subissons là non pas une grande migration mais plutôt une sédentarisation impressionnante et croissante. Les incidents sont non plus des épiphénomènes marginaux ou occasionnels mais des situations permanentes et très inquiétantes.
Les personnes concernées par ces exactions ont peur de porter plainte, car ces dernières sont souvent accompagnées de menaces verbales les visant, ainsi que leur proches : « Si t'insistes, on te fera la peau » ou « Surtout ne laisse pas traîner tes gosses dehors ! » sont des exemples de menaces proférées.
Quels sont alors les moyens mis à la disposition des communes et des individus pour éviter non seulement de tels comportements, mais aussi, quand ces derniers ont lieu, pour y remédier et pour rassurer les habitants ? Comme les intervenants précédents, je pense qu'une rigueur beaucoup plus grande quant à l'application des peines est nécessaire, car il est anormal que les auteurs de ces exactions ne soient pas punis.
Devant de tels agissements, les maires des communes concernées se sentent démunis et ne savent comment agir pour assurer l'ordre public ou décider d'une expulsion lorsqu'il y a atteinte à la sécurité ou dégradation.
Sur le plan financier, cela a été dit, les conséquences sont graves et les indemnisations par les assurances bien rares.
Sur le plan de la sécurité, ne peut-on envisager, dans les départements fortement concernés par le passage ou par la sédentarisation des gens du voyage, un renforcement important des effectifs locaux de police et de gendarmerie ? Dans ma région, compte tenu de la croissance démographique de l'Oise, comparée à celle de l'Aisne ou de la Somme, et compte tenu de la proximité de la région parisienne, il conviendrait d'augmenter les effectifs de policiers de plus d'une centaine de personnes.
M. Philippe Marini. Tout à fait !
M. Michel Souplet. Le président du conseil général, M. Jean-François Mancel, a d'ailleurs tout récemment adressé une pétition à cet égard au ministre de l'intérieur.
L'accueil des gens du voyage pose également problème en termes de coût et de gestion, je n'y reviens pas, car tout cela a été dit.
Monsieur le secrétaire d'Etat, avec ces quelques remarques, je suis certain d'être le porte-parole d'une population inquiète, désemparée, parfois terrorisée. Je souhaitais vous interpeller en prenant des exemples quotidiens qui sont mal vécus. Il doit être donné aux maires des moyens suffisants d'intervention, afin d'éviter des réactions violentes de personnes exaspérées.
Je comprends tout à fait que certains aiment vivre en nomades, et je respecte leur choix. Il en est d'ailleurs parmi eux qui travaillent et nous avons l'habitude d'en côtoyer : les vanniers, les rempailleurs de chaises, les vendeurs de dentelle passent ainsi régulièrement sans jamais créer le moindre problème. Or, depuis quelques années, bien des choses ont changé : la plupart de ceux qui conduisent des Mercedes tractant des caravanes de grande valeur semblent désoeuvrés et agressifs.
Le texte que nous examinons aujourd'hui me convient. Encore faut-il que les maires puissent agir vite, que les décisions de justice soient rapides et l'ordre respecté. N'attendons pas, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'on déplore des blessés ou des morts, ou que les gens se fassent justice eux-mêmes !
Sur l'article unique de la proposition de loi de M. Marini, j'avais envisagé le dépôt d'un amendement autorisant le maire à solliciter l'intervention immédiate de la force publique en cas de non-respect de ses arrêtés. Il m'a été objecté que cet amendement paraissait difficilement acceptable. Soit ! Mais faisons en sorte que, bien que non écrite, cette possibilité existe néanmoins.
Dans un Etat de droit, les pouvoirs publics doivent protection aux personnes et aux biens. L'Etat de droit est aujourd'hui bafoué. Monsieur le secrétaire d'Etat, pourquoi faire compliqué et lent, alors qu'il faut faire simple et efficace ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 a institué un schéma départemental d'accueil des gens du voyage, élaboré par le préfet et le président du conseil général.
Les communes de plus de 5 000 habitants ont donc l'obligation de réserver des terrains aménagés afin d'accueillir les gens du voyage qui sont de passage ou qui y séjournent. En contrepartie de cette obligation, les pouvoirs du maire en matière d'interdiction de stationnement sur le reste de la commune se trouvent renforcés.
Or force est de constater que, sept années après la promulgation de cette loi, la mise en place des schémas départementaux d'accueil, qui s'est faite avec beaucoup de disparités, accuse un sérieux retard ; en pratique, peu de communes de plus de 5 000 habitants ont aménagé de tels terrains d'accueil.
Ainsi, un département sur deux se serait doté d'un schéma d'accueil, ce qui n'est pas acceptable, et seul un petit millier de communes aurait mis des aires à la disposition des gens du voyage, soit environ dix mille places de caravanes, alors qu'il en faudrait, au bas mot, soixante mille.
Ces conditions d'accueil insuffisantes sont la première cause, en maints endroits, des rapports tendus que l'on constate entre la population locale et les gens du voyage, et elles ne favorisent pas la compréhension réciproque, même entre gens de bonne volonté, ce qui est fort heureusement le cas le plus fréquent.
Par ailleurs, compte tenu des difficultés financières que connaissent les collectivités locales, il est indispensable d'envisager de les aider financièrement, à la fois pour les inciter à aménager des terrains d'accueil mais aussi pour que les villes qui respectent la loi de 1990 ne se sentent pas pénalisées par rapport à celles qui ne le font pas.
L'accueil des gens du voyage soulève des questions très diverses qui ne trouvent pas, à notre avis, de réponse dans les propositions de loi de MM. Souvet et Marini non plus que dans les conclusions de la commission des lois. Par exemple, la scolarisation des enfants des gens du voyage ainsi que l'activité économique n'y sont pas du tout abordées.
Certes, les dispositions intéressantes élaborées par M. le rapporteur se veulent rassurantes pour les maires. Elles constituent ainsi un signal fort à leur intention.
Toutefois, les trois premiers articles du texte ne concernent que les grandes migrations qui, si elles entraînent des déplacements d'une ampleur particulière, soulevant ainsi des problèmes spécifiques de stationnement, ne constituent néanmoins que des déplacements ponctuels.
Or ce sont des déplacements plus réguliers et plus fréquents que les maires doivent gérer au quotidien. Sur ce sujet, le texte n'apporte pas de réponse innovante, de notre point de vue.
L'article 4, quant à lui, modifie le fameux article 28 de la loi de 1990 et, sous prétexte de ne pas retenir un seuil jugé « trop rigide et inadapté », se révèle nettement moins contraignant que l'ancien article, dont les circulaires d'application obligeaient les communes concernées à réaliser une aire d'accueil.
Aussi, cette nouvelle rédaction risque fort de compromettre davantage encore la mise en place des schémas départementaux ainsi que les initiatives déjà entreprises par les communes.
L'article 5 ouvre la « possibilité » de créer une commission consultative départementale des gens du voyage, dont le principe peut nous agréer. Cependant, s'agissant d'une simple faculté, on peut s'interroger sur sa réelle effectivité et, partant, sur son utilité. De plus, cette commission n'aura, semble-t-il, qu'un pouvoir consultatif, alors qu'elle devrait pouvoir faire des propositions.
Enfin, l'article 6 renforce les moyens du maire en matière d'interdiction de stationnement et d'expulsion des gens du voyage, ce qui pourrait s'avérer, mes chers collègues, dangereux à terme. Des excès sont à craindre, car les maires les moins enclins à l'accueil des gens du voyage - certes, ils sont minoritaires et transcendent tous les clivages politiques, mais ils existent, et les descriptions de MM. Louis Boyer et Michel Souplet m'ont semblé, à cet égard, très inquiétantes - pourront faire un usage systématique des mesures d'expulsion en urgence.
M. Philippe Marini. C'est le tribunal qui décide !
M. Michel Duffour. J'ai bien dit « inquiétantes » ! De toute façon, une critique du sénateur que je suis ne peut que vous satisfaire : elle vous permettra de montrer à vos collègues que vous avez été suffisamment excessifs pour pouvoir être critiqués à cette tribune.
En l'occurrence, il aurait mieux valu être patient et réfléchir à une mise à plat complète de la législation, afin de fixer les modalités de prise en compte et de réalisation de conditions de séjour et d'habitat adaptées aux gens du voyage, en pleine concertation avec les associations qui les représentent.
Il convient d'être d'autant plus vigilant que le sujet est délicat. Il faut se méfier d'une législation précipitée, qui ne ferait que renforcer le regard souvent négatif qui est porté sur les nomades, et donc leur exclusion.
Les gens du voyage ne doivent pas se sentir l'objet de dispositions législatives dérogatoires du droit commun. Leur mobilité est la marque de leur liberté et de leur mode de vie original. Toutefois, il faut prendre en compte leur désir d'avoir un point d'attache, de se sédentariser une partie de l'année. Sur ce dernier aspect, le texte reste muet.
Nous suivrons de très près le débat et la réaction de notre assemblée aux amendements que propose le Gouvernement. Mais, de toute façon, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne pourront pas adopter ce texte en l'état. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le stationnement des gens de voyage n'est pas un problème nouveau. Si l'on prend un département comme le mien, le Val-d'Oise, on constate des arrivées massives en mai ou en juin liées aux migrations religieuses ou aux différents pèlerinages des mois de Marie et de Pentecôte, avec les évangélistes et les pentecôtistes.
A l'automne, la foire de Saint-Martin, à Pontoise, ou la foire de Bezons attirent de très nombreux forains. La présence de tombeaux au cimetière d'Ezanville ou dans la région de Magny-en-Vexin et à Gisors, dans un département voisin, attire de nombreux Tsiganes. Les secteurs choisis par les gens du voyage sont connus ainsi que le mode de vie des semi-sédentaires, qui privilégient la sédentarité par rapport aux déplacements fréquents, mais en associant les deux.
La présence de villes près de zones agricoles fait que leur nombre est proportionnellement à peu près le double du nombre national. Les effectifs des gens du voyage se stabilisent et représentent 0,5 % de la communauté nationale, soit, pour la France, 250 000 à 300 000 personnes. Mais, pour un département de la grande couronne comme le mien, ce pourcentage atteint 1 % et concerne donc 10 000 personnes, puisque le Val-d'Oise compte un million d'habitants.
Le conseil général du Val-d'Oise et les préfets successifs ne sont pas restés insensibles aux problèmes posés depuis le vote de votre loi, monsieur le secrétaire d'Etat. Ils ont beaucoup travaillé et l'élaboration du schéma départemental pour l'accueil des gens du voyage a été lancée en juillet 1993.
Au début de l'année, cinquante et une des cent quatre-vingts communes que compte le Val-d'Oise étaient concernées par l'article 28 de la loi Besson. Seules six d'entre elles ont aménagé une aire de stationnement, représentant cent soixante places. C'est encore très peu. Une trentaine de projets communaux sérieux existent. Ils avancent très lentement et nombre de communes, il faut bien l'avouer, sont plutôt engagées dans la protection de certaines aires naturelles et non aménagées ou de certaines aires aménagées aux fins de réalisation de parkings commerciaux ou sportifs.
Autrement dit, malgré une bonne volonté générale, les solutions n'apparaissent que très lentement. Pourquoi ?
Je ne pense pas que la seule question du financement soit la cause d'un tel retard. Elle est cependant bien réelle. Pour des études préalables, seul le secrétariat d'Etat au logement intervient, en prenant 50 % à sa charge ; pour l'acquisition des terrains, il est aidé par le Fonds d'action sociale et par le conseil régional.
Les points faibles concernent la prise en charge des réseaux d'assainissement et des frais de fonctionnement des aires, à laquelle seul le conseil général participe. Mais d'autres questions se posent.
Tout d'abord, on ne travaille que sur des aires communales réduites, alors que les gens du voyage souhaitent de plus grandes concentrations, regroupant une centaine de caravanes, souvent avec un lieu de prière démontable. En effet, la communauté veut rester soudée. La solution n'est-elle pas dans des aires régionales plutôt que dans une poussière d'aires locales ? La desserte, l'assainissement, le confort, les sanitaires, tout en serait facilité.
A propos de la capacité d'accueil de ces aires, je souhaiterais vous lire un extrait d'une lettre, en date du 7 avril 1997, du maire de Villiers-le-Bel au préfet du Val-d'Oise : « Plusieurs centaines de caravanes ont investi le parc des sports et des loisirs dans la nuit du 4 au 5 avril dernier, entraînant ainsi et déjà des dégradations importantes qui seront loin de s'amoindrir dans le temps. « Aujourd'hui, ce sont plus de quatre cents caravanes, soit plus de mille cinq cents personnes, qui y sont installées à différents endroits. »
Le maire décrit les problèmes que pose cette situation et poursuit en formulant des propositions : « Je m'interroge sur les solutions à apporter à ces stationnements illicites à répétition au moment où la ville s'est engagée à réaliser une aire de stationnement, laquelle comptera, de par la loi, vingt-sept places, alors que quatre cents caravanes se sont introduites sur le parc des sports et des loisirs, pour la troisième fois. »
M. Philippe Marini. Eh oui !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Le maire de Villiers-le-Bel termine ainsi : « Cela pose donc une nouvelle fois la question de la pertinence de la création d'aires communales si elle n'est pas accompagnée, en parallèle, de la création d'aires de stationnement de grande envergure. »
Ne décide-t-on pas trop souvent à la place des gens du voyage ou sans eux ? Ne pas les entendre, c'est ne pas les comprendre, c'est mal choisir, mal organiser et, en fait, provoquer les tensions.
Ne faut-il pas travailler à un niveau qui ne serait ni exclusivement départemental ni exclusivement communal, mais plutôt - il reste à définir - conçu comme lieu de passage, de repos des gens du voyage ?
Enfin, le choix des emplacements qui consiste à rechercher le lieu désert, éloigné de la vie, est-il le bon ? Ne faut-il pas rechercher pour ces populations de nouveaux lieux de vie qui n'entraînent ni une intégration autoritaire ni une exclusion ?
Telles sont, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d'Etat, les quelques questions qui se posent dans un département comme le mien, situé aux portes de Paris et qui accueille de grandes voies de circulation.
Cela étant, en écoutant les autres intervenants, il m'a semblé comprendre que ce sont les mêmes questions qui appelaient des réponses dans d'autres départements, dans d'autres régions. Malheureusement, je ne suis pas persuadée, monsieur le rapporteur, que vous apportiez aujourd'hui ces réponses au travers des propositions que vous faites. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er