FISCALITÉ APPLICABLE
EN POLYNÉSIE FRANÇAISE

Adoption d'une proposition de loi organique

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique (n° 261, 1996-1997), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la fiscalité applicable en Polynésie française. [Rapport (n° 370, 1996-1997)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée examine aujourd'hui la proposition de loi organique de M. Gaston Flosse relative à la fiscalité applicable en Polynésie française.
Je tiens à remercier tout particulièrement M. Lucien Lanier pour le caractère très exhaustif de son rapport et la clarté de ses analyses.
La proposition de loi organique soumise aujourd'hui à votre assemblée, après son adoption par l'Assemblée nationale le 13 mars 1997, porte sur deux sujets.
Le premier est celui de la contribution de solidarité territoriale.
En application de l'accord-cadre relatif au Pacte de progrès signé le 27 janvier 1994, le gouvernement du territoire s'était engagé à créer un système de protection sociale pour en faire profiter l'ensemble de la population.
Pour ce faire, deux délibérations de l'assemblée territoriale ont, en juin 1993, institué la contribution de solidarité territoriale, dite CST, ou plus exactement CST 1. En effet, ce dispositif a été annulé par le tribunal administratif de Papeete, décision confirmée par le Conseil d'Etat le 30 juin 1995, au motif essentiel que le système de prélèvement de la contribution portait grossièrement atteinte au principe de l'égalité du citoyen devant les charges publiques.
Parallèlement à cette procédure contentieuse, le gouvernement du territoire a alors fait adopter, en septembre 1994, une nouvelle délibération pour mettre en place la CST 2. Avant même sa mise en oeuvre, cette délibération a été de nouveau annulée par le tribunal administratif, pour vice de forme cette fois-ci.
Une nouvelle délibération a alors été prise par l'assemblée territoriale de Polynésie, le 8 décembre 1994, pour réinstaurer une nouvelle CST, dite CST 3.
La proposition de loi organique que vous examinez a pour objet de consolider cette CST 3 puisque l'article 1er consiste à valider la délibération du 8 décembre 1994, dont la légalité administrative a pu être de nouveau suspectée, et que l'article 2 consiste à valider les impositions prélevées en application de cette délibération.
Je mesure l'importance de la CST. Elle finance le régime de la solidarité territoriale, qui s'adresse à nos concitoyens de la Polynésie française les plus démunis, et instaure une solidarité par le recours à des prélèvements fiscaux. Le produit de la CST 3 représente ainsi un quart des ressources de ce régime.
Toutefois, je rappelle aussi que l'instauration de la CST ne peut méconnaître nos principes juridiques fondamentaux, en particulier celui de l'égalité devant les charges publiques.
Certes, le dispositif mis en place par la CST 3 paraît plus complet que celui de la CST 1.
Outre les traitements, salaires, pensions, rentes viagères et indemnités diverses, revenus des activités non salariées, la CST 3 concerne également les revenus des capitaux mobiliers et les revenus des activités agricoles et assimilées.
Mais des doutes peuvent encore demeurer sur le respect du principe de l'égalité devant les charges publiques. En tout cas, le commissaire du gouvernement du tribunal administratif de Papeete s'en était fait l'écho lors du recours exercé contre cette délibération instituant la CST 3, recours rejeté pour délais trop tardifs. Il avait alors relevé certaines imperfections du dispositif, notamment que les conditions d'imposition des quatre catégories de revenus ne sont pas parfaitement identiques et qu'il n'y avait pas de progressivité du taux d'imposition des seuls revenus mobiliers.
Je constate, cependant, que cette loi de validation doit bien revêtir un caractère organique puisqu'elle intervient sur un domaine de la compétence du territoire, celui de la fiscalité territoriale.
Si cette proposition de loi est adoptée, elle sera donc soumise à l'examen du Conseil constitutionnel. Il appartiendra, notamment, à ce dernier d'apprécier si la mesure qu'il vous est proposé de valider porte atteinte au principe de l'égalité devant les charges publiques.
Dans ces conditions, je m'en remets à la sagesse de votre assemblée sur les articles 1er et 2.
J'en viens au deuxième point important, à savoir les articles 3 et 4, qui concernent également la fiscalité, mais sur un deuxième sujet, celui de la fiscalité des communes de la Polynésie française.
Un décret du 5 août 1939 autorisait la seule commune de Papeete à prélever des taxes, dont il dressait la liste. Mais ce décret a été abrogé par la loi du 24 décembre 1971 relative à la création et à l'organisation des communes dans le territoire de la Polynésie française.
Or, certaines de ces taxes ont continué à être perçues. C'est le cas de la taxe sur la valeur locative des locaux professionnels, dont le tribunal administratif a conclu qu'elle était perçue irrégulièrement par la commune de Papeete au motif qu'elle était dépourvue de base légale depuis la publication de la loi du 24 décembre 1971.
L'article 3 de la proposition de la loi organique a pour objet d'inclure dans la fiscalité de l'ensemble des communes de Polynésie française les taxes énumérées dans le décret du 5 août 1939 qui autorisait initialement la seule commune de Papeete à les lever.
L'article 4 valide les taxes visées par ce même décret du 5 août 1939 et perçues par les communes en l'absence de base légale.
L'enjeu de ces dispositions est bien de permettre aux communes de Polynésie française de régulariser leur situation au regard de la perception de taxes dont la validité manquait de base légale et d'éviter la prolifération de recours contentieux risquant de mettre en péril l'équilibre financier de ces communes.
En ce sens, l'article 4, notamment, répond à ces préoccupations qui, en visant un objectif d'intérêt général, peuvent être de nature à justifier une validation législative.
On peut dès lors admettre la nécessité de valider les impositions et taxes ainsi perçues par les communes.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement s'en remet néanmoins, sur l'ensemble du texte, à la sagesse de votre assemblée. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi organique soumise aujourd'hui à notre examen a été adoptée par l'Assemblée nationale le 13 mars dernier, voilà donc plus de six mois. D'importantes circonstances ont retardé sa présentation devant le Sénat...
Ce texte, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, a pour objet essentiel d'instituer en Polynésie française une contribution de solidarité territoriale, appelée CST 3, constituée par quatre impôts cédulaires et destinée à financer le régime de protection sociale généralisé mis en place sur ce territoire d'outre-mer en application du Pacte de progrès conclu avec l'Etat le 23 janvier 1993 et de la loi d'orientation du 5 février 1994.
Avant de vous présenter l'économie de cette proposition de loi, nous souhaiterions rappeler brièvement le cheminement laborieux qui aboutit aujourd'hui à l'examen de ce texte.
La première initiative de financement territorial du système de protection sociale polynésien remonte à 1993. La contribution de solidarité territoriale alors instituée, dénomée CST 1, était constituée de deux impôts, vous l'avez fort pertinemment dit, monsieur le ministre, l'un assis sur les salaires et les pensions, l'autre sur la cotisation annuelle des entreprises à l'impôt sur les transactions.
Les revenus agricoles n'étaient donc pas touchés par ces nouveaux prélèvements fiscaux, et ce pour des raisons économiques évidentes. En effet, les entreprises agricoles, en très grande majorité artisanales et familiales, permettent le maintien des populations dans les archipels et sont donc indispensables à un développement économique équilibré de la Polynésie française, évitant ainsi qu'un certain nombre de gens affluent dans les bidonvilles de Papeete.
Gage de stabilité géographique sur un territoire constitué d'un éparpillement de 118 îles, dont 70 sont habitées, territoire grand comme l'Europe, ces nombreuses entreprises artisanales sont en outre un gage de stabilité sociale, dont la cellule familiale demeure encore le meilleur garant. La délégation qui a eu le bonheur de représenter le Sénat en Polynésie française avec notre collègue représentant la Polynésie dans cette enceinte peut en témoigner.
Enfin, si certaines activités telles que la fameuse perliculture, c'est-à-dire la culture de la perle noire, paraissent actuellement très relativement actives, rappelons que la perle noire constitue néanmoins le premier poste à l'exportation. Cependant, les entreprises qui les exercent sont soumises aux aléas du climat, et j'en veux pour preuve la tempête qui a détruit la plupart des fermes perlières implantées dans l'archipel des Tuamotu au cours de l'été 1996. Elles restent dont extrêmement vulnérables, mais elles n'en constituent pas moins un espoir pour l'économie polynésienne.
En considération de ces spécificités locales, les autorités territoriales avaient donc initialement renoncé, non sans raisons, à taxer les revenus agricoles. Cependant, le tribunal administratif de Papeete, saisi, comme M. le ministre l'a indiqué, d'un recours contre la délibération de l'assemblée territoriale, annulait, en juillet 1994, les dispositions instituant la CST 1. Considérant que le principe d'égalité devant les charges publiques avait été méconnu, dès lors qu'une catégorie de revenus échappait à l'impôt, le Conseil d'Etat, par un arrêt du 30 juin 1995, confirmait cette annulation, en dépit, je tiens à le souligner, des conclusions contraires du commissaire du Gouvernement.
Rappelons que cette décision a conduit l'Etat, c'est-à-dire le contribuable français, à rembourser au territoire plus de 120 millions de francs au titre des contributions déjà perçues, et que le jugement du tribunal administratif de Papeete, parce qu'il supprimait purement et simplement la contribution sociale de solidarité, avait provoqué de graves tensions sociales sur le territoire, allant jusqu'à la grève générale. Des heurts violents débordèrent à Papeete le service d'ordre : pillages et incendies en résultèrent, dont la ville garde encore les traces, nous en avons été les témoins.
Ainsi l'assemblée territoriale, réunie en session extraordinaire le 7 septembre 1994, a-t-elle pris une nouvelle délibération créant la CST 2, pour étendre l'assiette de cette nouvelle imposition aux revenus, cette fois-ci du secteur primaire. Mais cette délibération devait, elle aussi, être annulée par la tribunal administratif de Papeete, pour vice de procédure, la délibération ayant été prise par l'assemblée territoriale hors session ordinaire.
Les autorités territoriales ayant renoncé à faire appel, une troisième délibération fut adoptée le 8 décembre 1994, instituant une CST 3 applicable à compter du 1er janvier 1995. C'est cette dernière mouture que l'on nous propose d'examiner, aux fins de validation, dans cette proposition de loi organique.
Comment se présente-t-elle ?
La CST 3 recouvre quatre contibutions auxquelles sont assujettis, respectivement, les salaires et pensions, les revenus des professions et activités non salariées, les revenus des activités agricoles et les revenus des capitaux mobiliers.
Bien entendu, pour chacune de ces contributions, les modalités de détermination de l'assiette imposable et de calcul, en particulier les barèmes, diffèrent. Je n'entrerai pas ici dans le détail de ces modalités qui figurent dans le texte de la délibération de l'assemblée territoriale annexée au rapport de la commission des lois.
Je me bornerai simplement à préciser qu'avec le souci de ne pas pénaliser les activités du secteur primaire, souvent fragiles, nous l'avons dit tout à l'heure, et néanmoins cruciales pour le développement de l'économie des archipels, des conditions d'imposition plus favorables sont prévues pour cette catégorie de revenus. A titre d'exemple, je citerai l'exonération des revenus pour lesquels le montant de l'impôt serait inférieur à 40 000 francs Pacifique, soit environ 2 200 francs français, ainsi que l'application d'un coefficient modérateur de 80 % sur la base imposable pour les activités agricoles et primaires.
Or selon les informations fournies à notre commission des lois, plus de 300 millions de francs auraient déjà été perçus au titre de la CST 3 pour les exercices 1995 et 1996, et les recettes de l'année 1997 viendront majorer très substantiellement ce montant !
Ainsi, si le recours en annulation formé devant le tribunal administratif de Papeete contre la délibération du 8 décembre 1994 instituant la CST 3 a été rejeté pour cause de dépôt tardif au mois de décembre 1996, des recours incidents, excipant de l'illégalité de cette délibération, et tendant au remboursement des sommes perçues - soit, je le répète, plus de 300 millions de francs - ont été formés par plusieurs contribuables et sont actuellement en instance devant cette même juridiction.
Afin d'éviter que des troubles sociaux graves n'éclatent à nouveau et que l'Etat n'ait à assumer derechef la charge financière de remboursements dont le montant s'élèverait au triple de celui de la CST 1, il vous est proposé, mes chers collègues, de valider la délibération du 8 décembre 1994. Rendant ainsi incontestable le régime fiscal institué, cela permettrait d'assurer la continuité du financement de la protection sociale polynésienne, composante essentielle de l'autonomie territoriale par le statut du 12 avril 1996 que nous avons voté.
Les conditions de régularité de la validation proposée paraissent, en outre, satisfaites. Le Conseil constitutionnel, qui sera nécessairement saisi s'agissant d'une loi organique, apprécie en effet la constitutionnalité des mesures de validation à l'aune des trois critères que je me permets de rappeler brièvement.
Il vérifie, tout d'abord, la compétence du législateur ; il se prononce, ensuite, sur l'adéquation entre les mesures instaurées et la satisfaction d'un intérêt général, ce qui est, à mon avis, essentiel ; enfin, il veille au respect de l'autorité des décisions de justice devenues définitives.
La proposition de loi organique semble satisfaire ces trois conditions, en particulier celle de la poursuite d'un but d'intérêt général puisque la validation permettrait de préserver l'équilibre financier du régime de solidarité territoriale polynésien dont plus du quart des ressources provient du produit de la CST 3, et d'assurer par là-même la continuité du service public de la protection sociale.
Le texte soumis à notre examen comporte un second volet, constitué par les articles 3 et 4.
L'article 3 a pour objet de permettre à l'ensemble des 48 communes polynésiennes d'instituer les taxes locales dont la liste figure à l'article 1er du décret du 5 août 1939 modifiant l'article 46 du décret du 8 mars 1879.
L'article 4 valide des taxes perçues par les communes en tant que leur régularité serait contestée sur le fondement de l'absence de base légale des délibérations communales les ayant instituées et sous réserve, bien entendu, des décisions de justice devenues définitives.
Pour nous, cette validation répond à un but d'intérêt général qui n'est pas seulement de nature financière. En effet, ces taxes représentent en moyenne, pour les communes qui les ont instituées, essentiellement celles des îles du Vent et des îles Sous-le-Vent mais aussi quelques-unes situées aux Marquises et dans les Tuamotu, plus de 10 % des recettes de fonctionnement - nous avons visité ces communes, elles en ont un singulier besoin. Elles contribuent donc substantiellement à alimenter leur budget de fonctionnement et permettent ainsi d'assurer la continuité des services publics essentiels à leur développement, qu'il s'agisse de la fourniture d'eau, d'électricité ou, surtout, de l'enlèvement des ordures ménagères. Il devient impératif d'assurer cette continuité, et ce chaque jour davantage.
Le jeu combiné des articles 3 et 4 de la proposition de loi organique devrait donc permettre de régulariser la situation fiscale de ces communes et de leur donner, pour l'avenir, les moyens juridiquement incontestables du financement des services publics locaux.
Certes, je n'ignore pas que ces deux dispositions dénuées de caractère organique auraient dû être insérées dans une loi simple. Toutefois, le Conseil constitutionnel a admis, jusqu'à présent, que des dispositions relevant d'une loi ordinaire soient intégrées dans une loi organique, quitte à en opérer le déclassement. Aussi, face à une situation susceptible de mettre en péril l'équilibre de certains budgets municipaux, il paraît nécessaire et même urgent d'approuver les dispositions en question.
Telles sont, en conclusion, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les caractéristiques et les enjeux de la proposition de loi organique qui nous est aujourd'hui soumise et qui fut adoptée par l'Assemblée nationale.
Puis-je rappeler - je me permets d'insister sur ce point - qu'il serait grave et hasardeux de remettre en cause le premier volet du texte destiné à financer le régime de protection sociale territorial mis en place depuis le 1er janvier 1995 ? La CST 3 est déterminante pour la Polynésie française et a déjà connu de trop nombreuses péripéties.
En outre, le dispositif proposé, à la fois simple sur le plan juridique et essentiel pour le développement du territoire, constitue une innovation méritoire puisque, jusqu'à présent, les revenus n'étaient pas imposés en Polynésie française.
Il s'agit donc là d'un acte de courage. La Polynésie française vivait sous un régime de perfusion financière - pour reprendre le terme si justement employé par notre collègue M. Guy Allouche, qui, lui aussi, connaît bien le problème - que permettait la manne générée par le centre d'essais du Pacifique.
Je veux également souligner une fois encore l'importance du second volet pour des communes trop souvent dépourvues de ressources propres et qui vivent encore en état de précarité.
Il s'agit donc, dans l'intérêt de l'Etat et de la Polynésie française, de clore un dossier dont la solution n'a que trop tardé.
Pour toutes ces raisons essentielles, et en dehors de toute préoccupation autre que celle de l'intérêt général, je tiens bien à le préciser, la commission propose, en conscience, d'adopter conforme la présente proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Millaud.
M. Daniel Millaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes rares et chers collègues, la présentation de M. le ministre et le rapport de notre collègue Lucien Lanier sont suffisamment convaincants pour que le Sénat vote la proposition de loi organique dont nous débattons aujourd'hui.
Représentant le territoire de Polynésie française à la Haute Assemblée, ayant été membre de l'assemblée territoriale et plusieurs fois rapporteur du budget local, adjoint au maire de Papeete chargé des finances municipales, je puis témoigner que la mise en cause juridique des dispositions fiscales que nous votions était exceptionnelle autrefois.
En revanche, étaient traditionnelles les manifestations populaires d'opposition à ces mesures. Ce fut le cas pour Pouvanaa a Oopa, dont je fus le suppléant et qui voulut instaurer l'impôt sur le revenu. Ce fut encore le cas quand nous, les autonomistes, votions l'impôt sur les transactions - pendant ce temps, les conseillers territoriaux de l'opposition d'alors chantaient la Marseillaise - sous les jets de pierre des manifestants.
Quoi qu'il en soit, la contribution sociale territoriale, qui répondait à un engagement du territoire dans le cadre du Pacte de progrès, était nécessaire, compte tenu des besoins médicaux et sociaux déjà mentionnés induits par la constante augmentation d'une population dispersée sur une surface aussi grande que l'Europe - quatre-vingts îles sont habitées, monsieur le rapporteur, et non pas soixante-dix - et tentée de se regrouper dans les zones suburbaines de Tahiti.
Mon territoire, monsieur le ministre, a une superficie de 5 millions de kilomètres carrés et est bordé au nord par Oslo, au sud par Alger, à l'ouest par Brest et à l'est par Bucarest. Cela fait grand, n'est-ce pas ? Si vous voulez la carte, je vous la communiquerai dès que j'aurai fini mon intervention.
M. Guy Allouche. Quelle chance !
M. Daniel Millaud. N'est-ce pas ?...
Il fallait donc tenir compte de ce dernier élément, favoriser le retour dans les îles, le maintien des agriculteurs dans leurs modestes plantations et, par là même, moins imposer les professions agricoles, dont les revenus restent toujours faibles, et les activités aquacoles. En effet, la grande majorité des producteurs de perles sont loin d'être fortunés, car à la concurrence internationale et aux maladies de la nacre s'ajoutent, comme l'a dit tout à l'heure M. le rapporteur, les conséquences de la météorologie.
On peut donc dire que trois principes ont prévalu dans les décisions de l'assemblée de Polynésie française : premièrement, faire face aux besoins médicaux et sociaux de toute la population ; deuxièmement, dans le cadre d'une imposition sur le revenu modulé, favoriser le développement économique des îles éloignées ; troisièmement, encourager la fixation de leurs habitants pour éviter l'engorgement des zones urbaines par des chômeurs.
Cependant, il y a un autre élément dont ne tiennent pas compte les critiques à l'encontre de la CST. En effet, le service public est plus difficilement rendu dans les îles où il n'y a parfois ni structure médicale ni piste d'aviation pouvant assurer des évacuations sanitaires rapides. Cet handicap géographique crée donc une inégalité de prestations dans le service public et ce n'est que justice de ne pas leur en faire supporter la charge. Mais peut-on le faire comprendre à Paris ?
Enfin, il était indispensable de « légaliser » - le terme est-il constitutionnel ? - les recettes municipales. Les auteurs de la loi de 1971, qui a généralisé le système communal en Polynésie française, ont en effet, dans leur précipitation, omis de se référer au décret du 5 août 1939 qui énumère certaines des taxes pouvant être perçues par les communes, comme l'a rappelé M. le rapporteur.
Par conséquent, si la présente proposition de loi organique est adoptée et que le Conseil constitutionnel ne s'y oppose pas, les communes n'auront plus à craindre la perte de recettes qu'elles auront votées.
Pour toutes ces raisons, je voterai cette proposition de loi organique. Je remercie d'ailleurs M. le rapporteur de la réflexion qu'il a conduite sur ce texte.
Pour terminer, je poserai une question au Gouvernement.
En créant la contribution sociale territoriale, le territoire a instauré un véritable impôt sur le revenu, visé à l'article 164 C du code général des impôts : les résidents en Polynésie française qui sont propriétaires de biens immobiliers dans l'Hexagone sont obligés de payer un impôt sur le revenu assis sur trois fois la valeur locative des biens. Cet impôt est-il toujours valable, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans le cadre de cette séance mensuelle réservée à l'ordre du jour fixé par notre assemblée, en application de l'article 48 de la Constitution, le Sénat a choisi d'inscrire une proposition de loi organique adoptée par l'Assemblée nationale le 13 mars 1997 en application de ce même article 48.
Depuis cette date, à la suite de la décision prise par M. le Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale, une nouvelle majorité a pris place.
Si le contexte politique a changé, le jugement que nous portons sur cette proposition de loi organique n'a pas varié.
Nous avons toujours approuvé l'idée selon laquelle la Polynésie française devait se doter d'un système de protection sociale la rendant moins dépendante des transferts financiers de la métropole. Cette contribution de solidarité territoriale vient concrétiser les engagements pris dans le cadre du Pacte de progrès conclu le 23 janvier 1993 entre l'Etat et le territoire, ce dernier acceptant de réformer son système de protection sociale dans le but de l'étendre à toute sa population. Nous saluons ici la responsabilité de nos compatriotes polynésiens, qui ont accepté de recourir à l'impôt pour assurer le renforcement de leur cohésion sociale.
Si le principe est admis, les modalités pratiques de la mise en place de cette contribution et le recours à une loi de validation nous semblent en revanche constestables : si la création de la contribution de solidarité territoriale rencontre notre approbation, il est regrettable que les autorités du territoire n'aient pas fait le choix d'une contribution territoriale à l'image de la contribution sociale généralisée métropolitaine.
En effet, le système d'imposition retenu n'est pas assis sur le revenu global des personnes physiques. En faisant appel à la notion d'impôt cédulaire, on met en oeuvre une contribution peu personnalisée et à faible progressivité. Si l'égalité est respectée au sein de chaque cédule, il n'en reste pas moins que les revenus du travail sont bien plus taxés que les situations patrimoniales.
Force est de constater que, sur le territoire, cette solidarité ne se retrouve pas. En 1995, le produit de la CST était supporté par 85 % des salariés, et encore par plus de 78 % d'entre eux en 1996. Etonnons-nous ensuite qu'il existe des risques de conflits sociaux !
C'est une évidence que de rappeler que nous sommes favorables au développement de l'agriculture et de la perliculture. M. le rapporteur a fait état de la mission que nous avons effectuée ensemble : nous avons pu nous rendre compte sur place qu'il est nécessaire. Mais on ne fera croire à personne que les exploitants perliculteurs appartiennent tous aux catégories sociales les moins aisées !
Dans le même esprit, la Polynésie française n'est pas seulement un « paradis terrestre », comme on le dit souvent ; elle est devenue aussi un paradis fiscal. On comprend mal que les revenus mobiliers participent si peu au produit de la contribution de solidarité territoriale.
Il est évident que les situations particulières méritent un traitement particulier et, à cet égard, je comprends ce que M. le rapporteur exprimait en commission : « Rien n'est semblable à 18 000 kilomètres de l'Hexagone, en Polynésie française, ni le produit national brut, ni les modes de vie, ni l'égalité devant l'impôt, et des normes qui apparaissent parfaitement plausibles en métropole apparaissent inadaptées dans une région dominée par l'éloignement, l'insularité, la diversité et dont les ancêtres ne sont pas les Gaulois. »
Acceptez cependant que je vous dise, monsieur le rapporteur, que les notions d'égalité, d'équité et de solidarité sont universelles.
Nous sommes en 1997 et nous avons du mal à comprendre les raisons qui ont incité le territoire à recourir aux cédules, système fiscal abandonné en France depuis un demi-siècle. Comment préparer l'avenir de la Polynésie française et son entrée dans le XXIe siècle avec un système fiscal archaïque ?
Certes, pour chaque catégorie de contribuables, le principe d'égalité sera respecté car l'égalité existe au sein de chaque cédule.
Mais le mécanisme retenu pourra-t-il faire jouer au mieux la solidarité ? C'est la question que nous vous posons.
La nature même du texte que nous examinons appelle d'autres observations de notre part.
Tout d'abord, il s'agit d'une proposition de loi de validation. Je rappelle - mes chers collègues, soyez attentifs à mes propos - que la majorité de l'Assemblée nationale, l'ancienne et non pas l'actuelle, a validé une délibération qui n'a jamais été portée à sa connaissance. Je vous remercie d'ailleurs, monsieur le rapporteur, sincèrement et profondément, de l'avoir rappelé dans votre rapport écrit afin d'éclairer la Haute Assemblée.
Dans l'absolu, cette formalité de la validation législative peut se révéler utile. De plus, elle est encadrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Mais il ne faudrait pas que, par une sorte de détournement de procédure, l'intervention du législateur aboutisse à mettre en échec le contrôle de la juridiction administrative.
La Polynésie française fait toujours partie de la République. Il n'est donc nullement besoin de s'interroger sur le respect de l'Etat de droit dans ce territoire. Mais on ne peut que constater la récurrence des conflits qui opposent les autorités de la Polynésie française au tribunal administratif et au Conseil d'Etat.
L'administration de la Polynésie française par un statut particulier ne confère aucunement une exemption du respect de l'Etat de droit.
Mes chers collègues, nous en sommes à la CST 3, les deux premières ayant été invalidées. Nous verrons d'ailleurs comment statuera le Conseil constitutionnel sur celle-ci ; nous sommes, en effet, en présence d'une proposition de loi organique.
Nous respectons la volonté du gouvernement territorial de réaliser sa politique de protection sociale ; cela fait partie de ses attributions. Ce que nous contestons, c'est le risque permanent d'instabilité institutionnelle que les autorités territoriales invoquent chaque fois que leurs délibérations sont remises en cause juridiquement.
Ces autorités souhaitent accélérer la mise en place du système de protection sociale et, dans le même temps, elles se plaignent du retard dans l'application du dispositif fiscal. A qui la faute ? Si les règles présidant à l'institution de cette contribution de solidarité territoriale avaient été parfaitement respectées, il n'y aurait pas eu de contentieux !
Les deux premières CST ont été invalidées. Par ailleurs, n'oublions pas que cette CST 3 fait également l'objet d'un contentieux. M. Flosse feint d'oublier que c'est le non-respect du droit qui génère ce qu'il a appelé lui-même à l'Assemblée nationale les « plaideurs impénitents ».
Enfin, comment accepter ce chantage - il faut bien le qualifier ainsi - exercé sur le Gouvernement de la République au motif qu'en n'acceptant pas ce que l'exécutif territorial propose nous risquons de provoquer des conflits sociaux ?
Mes chers collègues, la vérité m'oblige à dire que les violents incidents qui se sont produits en 1995 à Papeete sont le fait de décisions du gouvernement de la Polynésie française et non du gouvernement de M. Juppé. Il faut replacer ces événements dans leur contexte.
Les articles 3 et 4 de la proposition de loi organique traitent de l'organisation des communes dans le territoire de la Polynésie française. Nous contestons ces deux articles introduits par l'Assemblée nationale, non seulement parce qu'ils relèvent de la loi ordinaire et non de la loi organique, mais aussi et surtout parce qu'ils s'appuient sur un décret du 5 août 1939 qui a été abrogé depuis longtemps, comme le tribunal administratif lui-même l'a rappelé.
Comment pourrait-on valider en 1997 des impositions et des taxes perçues sur la base d'un décret de 1939 qui n'existe plus ? Ce serait vraiment beaucoup nous demander.
Ajouterais-je, monsieur le ministre, mes chers collègues, que l'importance de la réforme communale en Polynésie française ne peut être traitée par voie d'amendements.
Dès notre retour de mission en janvier 1996, M. le rapporteur et moi-même avons attiré l'attention de la commission des lois du Sénat, puis celle de M. le ministre chargé de l'outre-mer, sur deux points qui me paraissent essentiels. Je remercie M. Lanier de les avoir évoqués dans son intervention.
Tout d'abord, il est nécessaire de contrôler l'utilisation par le gouvernement du territoire des 990 millions de francs - ce n'est tout de même pas rien - versés actuellement par l'Etat pour compenser la perte des flux financiers résultant de la fermeture du Centre d'expérimentation du Pacifique. Il est d'ailleurs normal que l'Etat français aide nos compatriotes de Polynésie.
J'avais donc émis le souhait de voir s'installer à Papeete une chambre régionale des comptes distincte de celle de la Nouvelle-Calédonie, car je ne conçois pas qu'une telle manne financière soit versée sans aucun contrôle de son utilisation.
Le second point - il nous concerne tous, nous qui sommes sénateurs - a trait à l'inéluctable réforme communale. Les communes de Polynésie sont à un tournant de leur histoire. Si le régime communal n'est pas modernisé, clarifié, consolidé, les communes ne seront pas à même de répondre aux attentes de la population et tomberont inéluctablement « sous la coupe du gouvernement territorial ».
Les communes polynésiennes ont besoin d'autonomie de décision, de ressources propres. En vous disant cela, mes chers collègues, monsieur le ministre, je ne suis que le porte-parole de très nombreux maires que nous avons rencontrés sur le territoire. Tous ont en effet insisté sur l'urgence d'une telle réforme.
Sur ces deux points, monsieur le ministre, j'aimerais connaître les intentions du Gouvernement. Si des réformes sont envisagées - ce que je souhaite ardemment, vous l'aurez compris - quel en serait le calendrier ?
Mes chers collègues, après avoir entendu autant de critiques, de remarques et de réserves, vous ne serez pas étonné si je vous dis que la proposition de loi organique qui nous est soumise n'emporte pas notre conviction, loin s'en faut. C'est la raison pour laquelle nous ne pourrons la voter.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, et surtout de mon collègue Jean-Jack Queyranne qui est retenu bien loin d'ici et qui m'a demandé de le remplacer devant votre assemblée, je répondrai d'abord à M. Millaud.
L'article 164 C du code général des impôts est relatif aux conditions d'imposition des personnes, y compris des nationaux français qui n'ont pas leur domicile sur le territoire fiscal de la France au sens du code général des impôts, ce qui exclut la Polynésie française.
Je ne crois pas que l'on puisse conclure que l'article 164 C du code général des impôts n'aurait automatiquement plus d'objet ou ne serait pas applicable du fait de la validation de la CST 3.
Cette validation conduira cependant à réexaminer les conditions d'application de cet article aux contribuables ayant leur domicile fiscal en Polynésie française et disposant d'une ou plusieurs habitations en métropole.
La convention fiscale pourrait également régler ce type de situation, dès lors qu'un accord pourrait être trouvé. La révision de la convention fiscale avec la Polynésie française est cependant suspendue depuis plusieurs années, faute d'accord.
A M. Allouche, je répondrai que le Gouvernement a en effet pour les communes de Polynésie française, notamment pour leur fiscalité, plus d'ambition que celle qui est affichée par les articles 3 et 4 de la proposition de loi en discussion aujourd'hui.
L'institution communale en Polynésie est régie par la loi du 24 décembre 1971, qui n'accorde pas à ces communes la même autonomie, les mêmes compétences et les mêmes moyens financiers que ceux qui sont reconnus à l'ensemble des communes de la République.
C'est pourquoi le Gouvernement est prêt à engager une véritable réforme de l'institution communale en Polynésie.
M. Guy Allouche. Très bien !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Cette réforme doit dépasser le seul cadre de leur fiscalité et avoir pour objectif de rapprocher le statut de ces communes de celui des communes métropolitaines.
Elle doit porter sur l'alignement de leur régime électoral sur le régime commun, notamment pour les communes de 3 500 habitants et plus. De même, il n'y a plus de raison, vingt-cinq ans après la décentralisation en métropole, de maintenir le régime de la tutelle administrative encore applicable en Polynésie.
Cette réforme doit permettre une clarification des compétences des communes dans des secteurs importants pour la population tels que l'adduction d'eau potable, l'assainissement ou encore les ordures ménagères.
Elle doit enfin donner aux communes les moyens nécessaires pour assurer leur fonctionnement. Ainsi, un statut du personnel communal permettant de disposer d'un personnel de qualité doit être mis en place. Il est d'ailleurs attendu. Surtout, une consolidation du financement des communes doit être recherchée. C'est pourquoi elle devra réexaminer toute la question de la fiscalité communale.
M. Jean-Jack Queyranne précisera le contenu de cette réforme à l'occasion de la réunion de l'Association des maires de France en novembre prochain. Elle pourra ensuite être très rapidement instruite.
Le calendrier pourrait être envisagé de la manière suivante : d'ici à la fin de l'année, se tiendraient des réunions interministérielles d'élaboration du texte qui pourrait être « bleui » en début d'année 1998. Après les différentes consultations nécessaires, le projet pourrait être présenté au conseil des ministres durant le deuxième trimestre de l'année 1998 et déposé sur le bureau du Parlement avant la fin du premier semestre.
De même, et pour répondre aussi à votre question portant sur le contrôle budgétaire, le Gouvernement est bien décidé à accompagner la réforme communale que je viens d'esquisser par la mise en place à Papeete d'une chambre territoriale des comptes spécifique à la Polynésie française.
M. Guy Allouche. Merci, monsieur le ministre.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Je tiens à vous remercier de ces déclarations, monsieur le ministre. Je suis certain d'être ainsi l'interprète de la commission des lois.
Dans notre esprit, les articles 3 et 4 sont une évolution, car il n'est pas question de figer le statut de la Polynésie française par une loi organique et a fortiori par une loi normale.
Cette évolution sera favorable aux communes de la Polynésie française. Elle répond d'ailleurs aux aspirations de la plupart des maires, en particulier des maires des archipels les plus éloignés, les plus déshérités.
Il était temps de se préoccuper de cette situation. C'est la raison pour laquelle je vous remercie de votre déclaration, monsieur le ministre. (M. Daniel Millaud applaudit.)
M. Guy Allouche. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er