RÉGIMES MATRIMONIAUX

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 281, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le code civil pour l'adapter aux stipulations de la convention de La Haye sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux et organiser la publicité du changement de régime matrimonial obtenu par application d'une loi étrangère. [Rapport n° 324 (1996-1997)].
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est aujourd'hui soumis est le résultat de l'internationalisation de la vie d'une fraction importante de nos ressortissants et de ceux de l'Union européenne.
Ainsi, en France, le nombre de mariages entre nationaux et étrangers augmente-t-il. De même, l'implantation de nos concitoyens dans des pays tiers progresse-t-elle également, les couples étant de plus en plus nombreux à fixer leur domicile matrimonial à l'étranger.
Or, jusqu'à une époque récente, aucune règle internationale ne régissait la détermination de la loi applicable aux effets patrimoniaux de tels mariages. En France, la question n'était réglée que de manière prétorienne.
Les divergences entre Etats et les incertitudes qui résultent de principes non écrits génèrent, au fil des ans, de plus en plus de difficultés pour les couples. La vie matrimoniale, en effet, est jalonnée de relations contractuelles soumises aux règles régissant les effets du mariage.
La sécurité juridique, gage de la liberté d'action, implique que, dans leur vie quotidienne, les époux puissent déterminer et justifier aisément du régime applicable aux actes qu'ils sont amenés à conclure.
Aussi n'est-il pas surprenant que la conférence de droit international privé de La Haye, qui regroupe quarante-six pays, dont la plupart des Etats européens, ait décidé d'élaborer, dans les années soixante-dix, une convention internationale sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux.
Cette convention, signée le 14 mars 1978, a été ratifiée par la France le 5 juillet 1979 et est entrée en vigueur le 1er septembre 1992.
Applicable aussi bien dans les rapports entre Etats signataires qu'à l'égard des pays tiers, la convention unifie les règles de conflits de loi en matière de régime matrimoniaux en permettant aux couples dont les membres n'ont pas la même nationalité ou qui fixent leur résidence à l'étranger de désigner la loi applicable à leur régime matrimonial soit avant le mariage, soit au cours de celui-ci par un changement du régime initial.
Cette loi pourra être, selon le cas, la loi nationale d'un des conjoints, celle de leur résidence habituelle ou celle du lieu des immeubles leur appartenant.
Dans son article 9, la convention autorise les Etats contractants à subordonner l'opposabilité aux tiers de la désignation de la loi applicable à des conditions de publicité.
Par la connaissance qu'elle permet d'acquérir, la publicité est un gage de sécurité juridique pour tous : pour les tiers d'abord, qui pourront s'informer aisément des règles régissant le régime des biens des époux avec lesquels ils contractent, mais aussi pour les époux eux-mêmes, dont les projets seront facilités par la transparence des principes patrimoniaux qui gouvernent leur union.
Aussi le projet de loi qui vous est soumis a-t-il levé l'option offerte par l'article 9 de la convention, se conformant, au demeurant, à l'exigence traditionnelle, en droit français, de la publicité en matière de choix ou de changement de régime matrimonial.
Ce projet va permettre l'application effective en France de la convention de La Haye, dont les principes, théoriquement applicables depuis 1992, ne pouvaient trouver jusqu'ici leur plein effet.
Participant au même souci, mais dépassant le cadre de cette convention, le projet de loi prévoit également d'assurer la publicité des changements de régimes matrimoniaux effectués par application d'une loi étrangère, dans tous les cas où la convention de La Haye ne trouverait pas à s'appliquer.
Ainsi le droit français comportera-t-il désormais un dispositif complet en la matière.
Les règles de publicité et d'opposabilité prévues, qui trouveront leur place dans le code civil, sont calquées sur celles qui régissent les couples soumis au droit interne, telles qu'elles résultent des articles 1394 à 1397 de ce code.
Une mention de désignation de la loi applicable sera portée en marge de l'acte de mariage ainsi que, pour les commerçants, au registre du commerce et des sociétés.
La mise en oeuvre de ce dispositif sera précisée par voie réglementaire dans le nouveau code de procédure civile.
Comme l'a justement relevé votre rapporteur, dont je tiens à saluer ici le travail, toute rétroactivité quant au moment de la prise d'effet de la désigantion de la loi applicable a été écartée. Un tel dispositif, au demeurant inconnu en France, aurait été source d'insécurité.
Il est donc prévu que la date de prise d'effet obéira aux règles habituelles du droit français, soit celle de la signature de l'acte de désignation, en ce qui concerne les parties, et trois mois après la formalité de publicité, s'agissant des tiers.
Par ailleurs, la convention de La Haye étant en vigueur en France depuis cinq ans, un régime transitoire s'avère nécessaire.
En effet, un certain nombre de couples ont déjà procédé à des désignations de loi applicable, en conformité avec les dispositions de la convention, avant même que ne soit organisé un système de publicité en application de l'article 9 de ce texte.
Pour assurer une sécurité juridique à leurs transactions, une bonne partie de ces personnes ont fait application, par analogie, des règles de publicité prévues, en droit interne, par le code civil.
Le projet de loi entend valider ces démarches.
Enfin, dans son dernier article, le projet organise les conditions de publicité et d'opposabilité aux tiers des changements de régimes matrimoniaux qui peuvent être obtenus par application d'une loi étrangère, sans être soumis au régime de la convention de la Haye.
Ici encore, le choix a été fait d'aligner les règles nouvelles sur celles qui existent dans le droit civil français.
Tel est, mesdames, messieurs les sénateurs, l'objet du projet de loi que vous allez examiner et que votre commission des lois vous propose de voter conforme.
En vous prononçant dans ce sens, vous répondrez à l'attente de nos concitoyens et participerez au souci, essentiel à l'aube du nouveau siècle, de rechercher au-delà des frontières des règles uniformes régissant les sociétés démocratiques. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Luc Dejoie, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, Mme le garde des sceaux vient de nous exposer l'objet du texte qui nous est soumis. Je dirai qu'il régularise enfin une situation qui n'était pas en ordre. En effet, la convention de La Haye, qui est déjà bien ancienne, a été ratifiée assez rapidement par notre pays mais, malheureusement, les modifications nécessaires n'avaient jamais été apportées dans le code civil. Les choses seront désormais en ordre.
C'est grâce à la journée d'initiative parlementaire qui a lieu aujourd'hui que ce projet de loi, adopté le 20 mars dernier par l'Assemblée nationale, a pu être inscrit à l'ordre du jour du Sénat. Je pense qu'il sera également adopté par la Haute Assemblée.
Je ne paraphraserai pas les propos de Mme la ministre ; ce serait d'autant plus inutile que je partage les différents points qu'elle a exposés et qui résultent d'ailleurs du texte lui-même.
Comme Mme le garde des sceaux l'a souligné, et je l'en remercie, contrairement à l'interprétation que voulaient en faire certains auteurs, certains professionnels et certains juristes, la rétroactivité au jour du mariage en cas de changement de loi applicable, sous prétexte que la convention vise l'ensemble des biens des époux, a été écartée.
Comme d'autres, votre rapporteur pense qu'il est préférable de s'en tenir aux règles de notre droit interne, à savoir que la date d'effet d'un tel changement sera celle dudit changement.
Il restera donc à mettre au point le répertoire annexe au service central d'état civil de Nantes, qui permettra de rassembler les changements de régime.
Il serait souhaitable que le décret nécessaire soit pris assez rapidemment.
Le projet qui nous occupe permet de préserver, comme en droit interne, les droits des tiers. Les formalités de publicité seront, à mon sens, tout à fait suffisantes. Le cas de ceux qui, avant même la publication de ce texte, auront déjà pris un parti sur la loi applicable est même réglé. De cette façon, il n'y aura plus aucune difficulté d'interprétation ni d'application, et donc aucun conflit. En effet, pour une cinquantaine de dossiers actuellement plus ou moins pendants, l'incertitude juridique sera levée grâce à l'adoption de la disposition prévue dans le texte à cet égard.
Je souhaite par conséquent, mes chers collègues, que ce projet soit adopté tel que le Gouvernement l'a préparé, comme cela a été le cas à l'Assemblée nationale.
Le praticien que je suis formulera maintenant deux ou trois remarques.
D'abord, il n'est plus question d'homologation judiciaire.
Ensuite, il n'est plus question non plus de respecter un délai de deux années, comme en droit interne, pour la modification du régime matrimonial, et c'est ce qui me fait dire que le vieux principe de l'immutabilité des conventions matrimoniales, qui avait déjà été bien ébranlé par les textes antérieurs, n'est plus en vigueur : c'est maintenant la mutabilité qui deviendra la règle, l'immutabilité n'étant même plus une exception puisqu'elle ne pourra plus, me semble-t-il, se constater dans aucun cas.
Enfin, j'indique que je suis tout à fait heureux d'avoir pu rapporter ce projet de loi, d'autant que c'est la première fois, madame le garde des sceaux, que vous présentez devant le Sénat un texte juridique de cette nature.
Mes chers collègues, je vous invite donc à voter en l'état ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, j'observerai tout d'abord que le projet de loi que nous examinons, et qui a pour objet d'adapter notre code civil aux stipulations de la convention de La Haye sur les régimes matrimoniaux, concerne au premier chef les Français de l'étranger.
C'est la raison pour laquelle je prends la parole. En effet, il conviendra que nos compatriotes établis à l'étranger soient informés de la teneur de ce texte. Il serait bon, me semble-t-il, que les services juridiques de la direction des Français de l'étranger du ministère des affaires étrangères publient un document qui leur fasse connaître, sans trop recourir à des termes juridiques,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y a le Journal officiel !
M. Jacques Habert. Nos compatriotes dispersés de par le monde, qui sont au nombre d'un million, ne lisent guère le Journal officiel, monsieur Dreyfus-Schmidt ! Je le regrette, mais c'est un document difficile à consulter pour eux.
Je souhaite donc que la direction des Français de l'étranger du ministère des affaires étrangères publie un document ne comportant pas trop de termes juridiques afin que nos compatriotes soient informés, d'une part, des différentes possibilités qui leur sont offertes lors de la mise au point de leur contrat de mariage et, d'autre part, de la situation dans laquelle ils se trouveront s'ils négligent de rédiger le moindre contrat.
Je ferai une deuxième observation.
Il faut souligner l'importance de l'article 2 de la convention de La Haye, dont le texte complet figure dans le rapport de M. Luc Dejoie, ce dont je le remercie.
Cet article dispose que : « La convention s'applique même si la nationalité ou la résidence habituelle des époux ne sont pas celles d'un Etat contractant. » Cela signifie que les signataires de la convention de La Haye s'engagent, en ce qui les concerne, à appliquer ce texte non seulement chez eux, à leurs propres ressortissants, mais aussi à ceux des autres pays, de tous les pays, ce qui, à certains égards, est assez inhabituel.
Cette convention revêt donc un caractère universaliste, pour reprendre le mot qu'a d'ailleurs employé M. Dejoie dans son rapport écrit. Elle est d'une très vaste portée, puisqu'elle concerne tous nos compatriotes où qu'ils se trouvent dans le monde et dans quelque pays qu'ils résident, dès lors que la France est décidée à l'appliquer.
Il s'agit là d'un effort notable de cohérence juridique, dont il faut se féliciter, je pense.
Toutefois - et ce sera ma troisième et dernière observation - cette cohérence est quelque peu tempérée, battue en brèche même, par un fait que nous devons constater. Alors que nombre de pays, européens notamment, ont signé cette convention de La Haye, qui, je le rappelle, date du 14 mars 1978 - voici donc près de vingt ans - trois pays seulement l'ont ratifiée à ce jour : les Pays-Bas, qui en sont l'Etat dépositaire, le Luxembourg et la France.
La France a d'ailleurs donné l'exemple en la ratifiant la première, dès le 5 janvier 1979. Néanmoins, cette convention n'est entrée en vigueur que le 1er septembre 1992. On peut s'interroger sur ce long délai. Mais, plus encore, il faut se poser des questions sur les hésitations, les réticences des autres nations, notamment de certains de nos voisins européens comme la Suisse ou l'Autriche.
Les Français établis hors de France sont bien placés pour connaître les difficultés, les entraves qui découlent des conflits des lois. Il faut donc, sur le plan international, harmoniser les textes, gommer les différences et les contradictions, introduire dans les législations nationales des dispositions générales issues des conventions ou des traités.
Mes chers collègues, c'est ce à quoi tend le projet de loi qui nous est soumis, dans un domaine certes très restreint, mais néanmoins très sensible sur le plan humain. C'est la raison pour laquelle nous le voterons, bien entendu.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

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