M. le président. Aujourd'hui, les impératifs de l'ouverture internationale et la nécessité pour nos entreprises d'évoluer dans un cadre juridique compétitif appellent une remise en cause du modèle français, afin de laisser plus de place à la liberté contractuelle, à l'exemple de plusieurs de nos partenaires européens.
La loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales a plus de trente ans. Elle privilégie une approche institutionnelle dans laquelle la société est porteuse d'un intérêt social distinct de celui des associés. Elle comporte de ce fait une forte proportion de règles d'ordre public sanctionnée par un arsenal répressif très développé. Le dispositif qui en résulte est certes garant de la sécurité juridique, mais souvent inadapté et rigide, par défaut d'actualisation.
Dans quelques mois, notre pays entrera dans une nouvelle phase de l'Union européenne, marquée par la création prochaine de l'euro. Dans le passé, chaque étape importante de la législation sur les sociétés a correspondu à des changements internationaux majeurs. Si la loi de 1867 était de faire le libre-échange franco-anglais, celle de 1966 doit être mise en relation avec la création du Marché commun. Il faut à présent envisager d'assurer la compétitivité juridique de la France par rapport aux systèmes d'inspiration anglo-saxonne d'un côté et germanique de l'autre, dans le contexte de marchés financiers totalement interconnectés et d'une liberté de plus en plus large de localisation des activités économiques.
De nombreuses propositions de réforme ont vu le jour ces dernières années et témoignent d'une insatisfaction croissante. Ces propositions émanent aussi bien des professionnels, des pouvoirs publics, groupes de travail de la chancellerie, rapports de la Commission des opérations de bourse, du Conseil économique et social, des magistrats, notaires, avocats, experts-comptables, commissaires aux comptes et parlementaires.
En conséquence, M. Philippe Marini demande à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, quel est le devenir de la réflexion initiée par son prédécesseur sur la modernisation du droit des sociétés. Il lui rappelle qu'un avant-projet de loi inspiré du rapport qu'il avait remis au Premier ministre, le 13 juillet 1996, résultant de sa mission parlementaire, a été établi. Il lui demande aussi de lui faire connaître le devenir de ce texte. (N° 24.)
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Madame le garde des sceaux, comme vous le savez, la loi en vigueur sur les sociétés commerciales date du 24 juillet 1966.
Or, en un peu plus de trente ans, l'évolution économique a été considérable, l'ouverture de nos frontières est devenue une réalité quotidienne pour beaucoup d'entreprises. Tout cela s'est traduit par des modifications successives mais ponctuelle de la législation, dans laquelle on a introduit bien des instruments nouveaux pour faire face aux besoins qui se présentaient.
Il est clair, toutefois, que les professionnels du droit comme les professionnels des milieux économiques, en France et à l'étranger, ont besoin de disposer d'un texte guide qui reflète une conception d'ensemble de l'évolution de la vie économique et de l'organisation des sociétés commerciales.
En vertu de cette analyse, beaucoup d'éléments ont été versés au dossier depuis dix ans, de nombreux groupes de travail se sont réunis et des propositions multiples ont été formulées. Ce processus avait été initié par la mise en place, dans les premiers mois de l'année 1986, d'un groupe de travail par votre prédécesseur M. Robert Badinter. Dans la décennie qui a suivi, je le répète, bien d'autres réflexions ont été engagées. J'ai eu moi-même le plaisir de m'associer à ce travail à la demande du Premier ministre M. Alain Juppé, en participant à l'élaboration d'un rapport sur la modernisation du droit des sociétés, rapport qui, après de longues consultations très pluralistes, a été remis au cours de l'été 1996.
Nous savons, madame le garde des sceaux, que les services de la Chancellerie ont préparé, à partir de ce rapport, un avant-projet de loi tendant à réformer le droit des sociétés commerciales. Cet avant-projet de loi a entamé son chemin législatif et il devait être soumis à l'examen du Conseil d'Etat quand se sont produits les événements politiques de ces derniers mois.
Bien entendu, il est souhaitable de ne pas décevoir l'attente des milieux concernés - entreprises individuelles, entreprises moyennes et grandes entreprises - l'attente des investisseurs, l'attente de ceux qui opèrent sur les marchés et ont besoin d'un contexte légal français leur apportant toute la transparence et la sécurité nécessaires.
Nous avons consulté, au cours de cette récente période, les professionnels du droit, les hommes de doctrine, les spécialistes du droit prétorien tel qu'il s'élabore dans nos tribunaux et dans nos cours, nous avons écouté les professions judiciaires, et, quelles que soient les options politiques des uns ou des autres, ils n'ont pu que confirmer le besoin de renouvellement qu'éprouvent nos entreprises pour pouvoir évoluer dans un cadre juridique plus compétitif.
Tel est l'objet de ma question, et je vous suis par avance reconnaissant, madame le garde des sceaux, des quelques informations et précisions que vous voudrez bien nous apporter.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, comme vous venez de le souligner, il est nécessaire de moderniser le droit des sociétés commerciales.
Celui-ci, contenu pour l'essentiel dans la loi du 24 juillet 1966, a été modifié à de nombreuses reprises ces dernières années afin, notamment, d'adapter le régime juridique des entreprises à leur environnement économique et au développement des techniques financières nouvelles. Ces modifications, cependant, ont été le plus souvent ponctuelles et n'ont pas été placées dans la perspective d'une réforme d'ensemble du droit des sociétés.
Un certain nombre de dispositions légales manquent d'homogénéité, de clarté, voire de cohérence. Le droit des sociétés, c'est vrai, a perdu de son unité et, bien souvent, n'offre plus aux entreprises la simplicité de solutions et la sécurité juridique qu'elles sont en droit d'attendre. Il doit donc être simplifié, rationalisé et débarrassé de certaines dispositions devenues obsolètes ou inutilement compliquées - je partage votre diagnostic en ce domaine.
Cette branche du droit a besoin d'être modernisée. Pour ce faire, il convient d'explorer des instruments juridiques nouveaux et de mettre ces instruments juridiques au service de l'efficacité et du dynamisme économique de nos entreprises.
Je pense aussi que les réponses doivent être adaptées et respectueuses de la nécessaire cohérence de notre droit pour assurer une plus grande sécurité juridique aux agents économiques.
De nombreux travaux ont été réalisés, et parmi ceux-ci je citerai le rapport de grande qualité que vous avez rédigé, monsieur le sénateur.
Le Gouvernement entend examiner ces différentes propositions de réforme avec la plus grande attention, et il déterminera les orientations qui devraient inspirer le projet de loi de modernisation du droit des sociétés dont le Parlement devrait être saisi, je l'espère, dans le courant de l'année prochaine.
M. Philippe Marini. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Marini. M. Philippe Marini. Madame le ministre, j'observe que, s'agissant d'un sujet de fond, les préoccupations exprimées transcendent certains clivages.
Je voudrais, pour ma part, insister sur le caractère d'urgence de cette transformation. Voilà déjà de longues années que les milieux professionnels s'expriment très régulièrement sur ce sujet. Il faut à présent que l'Etat arbitre, jouant ainsi son rôle, parmi des intérêts qui ne sont pas toujours convergents par nature. Il doit préciser le cap qu'il entend donner à cette nouvelle législation destinée à améliorer techniquement le droit et à le simplifier. Il s'agit d'atteindre l'ensemble des objectifs que vous avez décrits et qui recoupent largement les travaux antérieurs. Mais, madame le garde des sceaux, il faut le faire sans retard, car c'est d'une urgente nécessité pour nos entreprises.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. En principe, madame le garde des sceaux, aux termes du règlement, dans une séance de questions orales, il n'est pas prévu qu'un ministre s'exprime une seconde fois sur une question. Toutefois, le Gouvernement pouvant prendre la parole quand il la demande, j'accède à votre demande, ce qui n'ouvrira pas de droit de réponse pour M. Marini.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je souhaitais préciser que, dans la mesure où il s'agit d'une réforme importante, le Gouvernement entend laisser le temps, nécessaire au débat avant de rendre des arbitrages entre les intérêts contradictoires. Il doit prendre le temps qui, je l'espère, sera le plus court possible, de déterminer quel peut être, de son point de vue, l'intérêt général.

INTÉGRATION DES CANDIDATS ADMIS
AU CAPES DE MATHÉMATIQUES