M. le président. M. José Balarello attire l'attention de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice sur l'importance que revêt la mise en place d'une cour d'appel à Nice.
En effet, le délai de traitement d'un dossier devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dont relèvent pour l'appel les juridictions de Nice et de Grasse, est de 19,8 mois alors que la durée moyenne de traitement d'un dossier devant une cour d'appel est de 13,1 mois.
Ainsi, à titre d'exemple, en matière sociale où les conflits doivent être réglés au plus vite, un salarié licencié doit attendre pendant quatre ou cinq ans après le premier jugement du conseil des prud'hommes ; dans le domaine des travaux publics, la durée des traitements est tellement longue qu'elle entraîne souvent la disparition des entreprises avant que le jugement soit rendu.
Cette situation anormale résulte en grande partie du fait que la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la deuxième de France, est assise sur un ressort territorial tellement vaste que la population qui en dépend représente le double de la moyenne nationale : 3 700 000 au lieu de 1 850 000, et ce alors que la plupart des débats sur la justice en France sont centrés sur la nécessité d'un rapprochement de celle-ci avec le citoyen. Plus concrètement, il faut faire 360 kilomètres aller-retour pour aller plaider en appel ! Situation d'autant plus impensable lorsqu'on sait que 40 % des dossiers examinés par la cour d'appel d'Aix-en-Porvence proviennent du seul département des Alpes-Maritimes et que Nice est la seule grande ville de France à ne pas avoir de cour d'appel soit en son sein, soit à proximité.
Cette proposition de création est d'ailleurs contenue dans le rapport Carrez de février 1994 consacré à la réorganisation judiciaire, qui suggère de scinder la cour d'appel d'Aix-en-Provence en deux, avec création d'une cour à Nice.
Aussi, il lui demande s'il ne lui semble pas qu'il y a là, à la lumière de sa réflexion, une anomalie à lever pour favoriser une justice plus rapide, humainement plus proche et enfin moins coûteuse. (N° 22.)
La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Madame le garde des sceaux, le rapport Carrez, publié en 1994, que vous connaissez bien, préconise la création d'une cour d'appel à Nice.
Le 8 octobre 1997, c'est-à-dire voilà quelques jours, M. le premier président de la Cour de cassation, M. Truche, entendu par la commission des lois du Sénat, a précisé que la carte judiciaire est obsolète et qu'il faut la faire coïncider avec la carte économique.
Or, comme vous le savez, le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, deuxième cour de France, est tellement vaste que la population qui en dépend est le double de la moyenne nationale des autres cours d'appel et atteint 3 700 000 habitants au lieu de 1 850 000.
Parallèlement, le délai moyen de traitement d'un dossier y est de 19,8 mois au lieu de 13,1 mois devant les autres cours.
En matière sociale, pour laquelle les litiges de droit du travail doivent être réglés rapidement, le délai d'attente d'un salarié est souvent de quatre années avant de voir son affaire jugée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
D'ailleurs, madame le garde des sceaux, sans viser une cour en particulier, vous avez vous-même déclaré fort justement le 21 septembre 1997 sur TF 1, lors d'un débat, qu'il s'agissait d'une situation intolérable.
De surcroît, Nice est la seule grande ville de France qui ne soit pas dotée d'une cour d'appel ou qui n'en ait pas une à proximité.
Dois-je vous rappeler qu'il faut parcourir 360 kilomètres aller-retour pour aller plaider devant la cour d'appel alors que 40 % des dossiers proviennent des Alpes-Maritimes ?
Or si, en 1860, Nice s'est vue privée de sa cour d'appel pour être rattachée à Aix-en-Provence, il est bien évident que les motivations de l'époque n'existent plus depuis fort longtemps.
C'est la raison pour laquelle, madame le ministre, je vous demande avec beaucoup d'insistance de faire aboutir ce que vos prédécesseurs se sont engagés à réaliser.
Voilà dix ans, en effet, que j'interviens régulièrement à la tribune du Sénat pour réclamer la création d'une cour d'appel à Nice, et cela fait dix ans que l'on me répond que le dossier fait l'objet d'une étude approfondie.
Le 26 novembre 1986, M. Albin Chalandon, garde des sceaux de l'époque, me répondait qu'il était préférable d'installer à Nice des chambres détachées de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, mais qu'il attendait pour ce faire de pouvoir disposer d'un effectif de magistrats suffisant.
Le 7 décembre 1994, toujours à l'occasion des discussions budgétaires, M. Méhaignerie me répondait qu'il étudiait l'implantation de chambres détachées de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Le 27 novembre 1995, M. Jacques Toubon me répondait qu'il fallait réaliser une étude approfondie. Je crois qu'il est enfin temps de prendre une décision, madame le garde des sceaux, car les citoyens ne peuvent plus attendre. Je viens de lire dans la presse locale du 9 octobre...
M. le président. Mon cher collègue, je vous prie de conclure.
M. José Balarello. ... qu'un justiciable de Grasse a assigné l'Etat en paiement de 2 millions de francs de dommages et intérêts au motif que le délai d'attente à la cour d'appel d'Aix-en-Provence en matière prud'homale constituait un déni de justice et une faute lourde de l'Etat.
Les avocats de Grasse viennent d'entamer une grève et ont défilé dans les rues en protestant contre les délais de procédure anormalement longs tant devant leur tribunal que devant la cour d'appel.
Compte tenu de tous ces éléments, qui vont d'ailleurs en s'aggravant, je vous demande, madame le garde des sceaux, si vous êtes d'accord pour décider la création à Nice ou dans les Alpes-Maritimes soit d'une cour d'appel de plein exercice, soit de deux chambres détachées de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, l'une ayant compétence en matière sociale, l'autre en matière pénale ou civile, droit de la famille par exemple.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, vous venez de rappeler votre action déjà ancienne en faveur de la création d'une cour d'appel à Nice et les réponses qui vous avaient été apportées par mes prédécesseurs.
A la suite de la question que vous avez posée sur ce thème à M. Jacques Toubon, celui-ci a demandé qu'une inspection générale des services judiciaires soit commanditée sur cet important sujet. L'inspection générale des services judiciaires a étudié de façon très approfondie, et en recueillant tous les avis autorisés, cette question.
Sur la base de ce rapport, M. Jacques Toubon, alors garde des sceaux, avait déjà fait savoir qu'il n'envisageait pas la création d'une cour d'appel à Nice, décision qui aurait pour conséquence de scinder la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Je n'estime pas opportun de remettre en cause la décision de M. Toubon.
Le rapport de l'inspection générale soulignait en effet qu'un tel projet présentait peu d'avantages par rapport au coût très important d'une telle opération, qui consisterait essentiellement en un redéploiement d'effectifs et de moyens. J'ajoute que de très lourds investissements viennent d'être consentis pour doter la cour d'appel d'Aix-en-Provence d'un pôle judiciaire moderne, et je vous sais trop soucieux des deniers publics pour que vous ne preniez pas cet élément en considération.
Enfin, j'insiste sur le fait que la cour d'appel d'Aix-en-Provence couvre la plus grande partie de la région Provence - Alpes - Côte d'Azur, et il me paraît essentiel que l'action publique soit menée de façon cohérente sur ce ressort. Il existe déjà trop de disparités entre le découpage administratif des cours d'appel et celui des régions administratives sans qu'il soit besoin d'en rajouter.
Cela dit, je sais les retards que connaît la cour d'appel d'Aix-en-Provence et qui figurent parmi les plus importants de France, s'agissant notamment de sa chambre sociale. En effet, les cours d'appel d'Aix-en-Provence et de Douai enregistrent des retards de l'ordre de trois à quatre ans dans les contentieux sociaux.
J'ai eu l'occasion de m'entretenir de cette question avec les chefs de cour et il ne me semble pas opportun de perturber encore plus le fonctionnement de la juridiction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence par une coûteuse opération de transfert. Je préfère appuyer les efforts d'organisation du travail effectué par les magistrats et les fonctionnaires en leur attribuant des moyens nouveaux.
Telle est la raison pour laquelle j'ai décidé d'affecter à la cour d'appel d'Aix-en-Provence de nouveaux moyens en magistrats. Il me reste peu de postes de magistrats à affecter puisque la loi de finances pour 1997 ne prévoyait la création que de trente postes. Néanmoins, j'ai décidé, pour aider à la résorption de ces retards, de créer une nouvelle chambre à la cour d'appel d'Aix-en-Provence, soit trois conseillers à la cour d'appel et trois assistants de justice.
Je prends l'engagement de poursuivre ces efforts pour améliorer encore la situation en 1998.
J'ai, d'autre part, demandé aux magistrats de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, d'étudier la possibilité, grâce à ces nouveaux moyens que je mets à leur disposition, de réaliser des audiences à Nice pour éviter aux justiciables d'avoir à se déplacer dans certains cas.
Dans la mesure où je ne gère pas le fonctionnement interne des juridictions, je ne peux pas prendre cette décision à leur place. Toutefois, compte tenu des nouveaux moyens qui seront accordés, une telle disposition mériterait d'être encouragée ; en tout cas, je m'y emploierai.
M. José Balarello. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Madame le garde des sceaux, je regrette, bien évidemment, que l'on ne s'engage pas vers la création d'une cour d'appel à Nice.
Je rappellerai encore que Nice est la seule grande ville de France dépourvue de cour d'appel, que ce soit sur son territoire ou à proximité immédiate. Cette situation dure depuis 1860, alors même qu'avant son rattachement à la France, Nice comprenait un Sénat qui faisait fonction de cour d'appel.
J'ai pris bonne note de votre volonté de créer une chambre supplémentaire - sans doute une chambre sociale, qui pourrait tenir des audiences à Nice. Je veux y voir les prémices de la création de deux chambres détachées de la cour d'appel.
Je compte sur vous, madame le garde des sceaux, pour suivre ce dossier. Peut-être pourriez-vous demander de façon pressante au premier président et au procureur général de la cour d'Aix-en-Provence de prévoir des audiences régulières à Nice ou dans les Alpes-Maritimes, où je suis sûre que les collectivités locales mettront à leur disposition les locaux nécessaires.

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