M. le président. « Art. 1er - Sont insérés à la section 1 du chapitre II du titre II du livre III du code du travail les articles L. 322-4-18, L. 322-4-19 et L. 322-4-20 ainsi rédigés :
« Art. L. 322-4-18 . - Afin de promouvoir le développement d'activités créatrices d'emplois pour les jeunes répondant à des besoins émergents ou non satisfaits, et présentant un caractère d'utilité sociale notamment dans les domaines des activités sportives, culturelles, éducatives, d'environnement et de proximité, l'Etat peut conclure avec les collectivités territoriales et leurs établissements publics, les autres personnes morales de droit public, les organismes de droit privé à but non lucratif et les personnes morales chargées de la gestion d'un service public des conventions pluriannuelles prévoyant l'attribution d'aides pour la mise en oeuvre de projets d'activités répondant aux exigences d'un cahier des charges établi en concertation avec les partenaires locaux qui doit comporter notamment les exigences requises quant à la pérennisation des activités et aux dispositions à prévoir pour assurer la professionnalisation des emplois.
« Ces conventions peuvent être également conclues avec des groupements constitués sous la forme d'associations déclarées de la loi du 1er juillet 1901, ou régies par le code civil local pour les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, de personnes morales visées au premier alinéa.
« Ces conventions ne peuvent s'appliquer aux services rendus aux personnes physiques à leur domicile, mentionnés à l'article L. 129-1. Toutefois elles peuvent s'appliquer aux activités favorisant le développement et l'animation de services aux personnes répondant à des besoins émergents ou non satisfaits.
« Lorsqu'elles sont conclues avec une personne morale de droit public, elles ne peuvent s'appliquer qu'à des activités non assurées jusqu'alors par celle-ci. Les collectivités territoriales et leurs établissements publics peuvent conclure ces conventions pour les emplois autres que ceux relevant de leurs compétences traditionnelles.
« Les projets de développement d'activités présentés par les personnes morales de droit privé à but lucratif chargées de la gestion d'un service public ne peuvent faire l'objet d'une convention, sauf si les activités proposées ne sont pas assurées à la date de la demande et entrent dans le cadre de la mission de service public qui leur a été confiée.
« Sans préjudice de l'application des dispositions de l'article L. 432-4-1, les institutions représentatives du personnel, lorsqu'elles existent, et les comités techniques paritaires sont informés des conventions conclues en application du présent article ainsi que des conventions conclues conformément à l'article L. 322-4-8-1 et saisis annuellement d'un rapport sur leur exécution.
« Le contenu et la durée des conventions, les conditions dans lesquelles leur exécution est suivie et contrôlée ainsi que les modalités de dénonciation de la convention en cas de non-respect de celle-ci sont déterminés par décret.
« Les conventions comportent des dispositions relatives aux objectifs de qualification, aux conditions de la formation professionnelle et, selon les besoins, aux modalités du tutorat. Les régions dans le cadre de leurs compétences ainsi que, le cas échéant, d'autres personnes morales peuvent participer à l'effort de formation.
« Art. L. 322-4-19 . - Les aides attribuées par l'Etat en application des conventions mentionnées à l'article L. 322-4-18 ont pour objet de permettre l'accès à l'emploi de jeunes âgés de dix-huit à moins de vingt-six ans lors de leur embauche, y compris ceux qui sont titulaires d'un des contrats de travail visés aux articles L. 322-4-7 et L. 322-4-8-1, ou de personnes de moins de trente ans qui ne remplissent pas la condition d'activité antérieure ouvrant droit au bénéfice de l'allocation prévue à l'article L. 351-3. Cette condition d'activité est appréciée à compter de la fin de la scolarité et à l'exclusion des périodes de travail accomplies en exécution des contrats de travail visés aux articles L. 115-1, L. 322-4-7, au deuxième alinéa du I de l'article L. 322-4-8-1 et aux articles L. 981-1, L. 981-6, L. 981-7 ou conclus avec un employeur relevant des dispositions de l'articleL. 322-4-16.
« Pour chaque poste de travail créé en vertu d'une telle convention et occupé par une personne répondant aux conditions prévues à l'alinéa précédent, l'Etat verse à l'organisme employeur une aide forfaitaire dont le montant et la durée sont fixés par décret. Cependant, l'organisme employeur peut verser une rémunération supérieure. Ces dispositions sont prévues dans la convention. L'Etat peut prendre en charge tout ou partie des coûts d'étude des projets mentionnés à l'article L. 322-4-18.
« Ces aides ne donnent lieu à aucune charge fiscale ou parafiscale.
« Elles ne peuvent se cumuler, pour un même poste de travail, avec une autre aide de l'Etat à l'emploi, avec une exonération totale ou partielle des cotisations patronales de sécurité sociale ou avec l'application de taux spécifiques, d'assiettes ou de montants forfaitaires de cotisations de sécurité sociale.
« Elles ne peuvent être accordées lorsque l'embauche est en rapport avec la fin du contrat de travail d'un salarié, quel qu'en soit le motif.
« Le décret mentionné au deuxième alinéa du présent article précise les conditions d'attribution et de versement des aides de l'Etat.
« L'employeur peut recevoir, pour la part de financement restant à sa charge, des cofinancements provenant notamment des collectivités territoriales, des établissements publics locaux ou territoriaux ainsi que de toute autre personne morale de droit public ou de droit privé.
« Art. L. 322-4-20 . - I. - Les contrats de travail conclus en vertu des conventions mentionnées à l'article L. 322-4-18 sont des contrats de droit privé établis par écrit. Ils sont conclus pour la durée légale du travail ou pour la durée collective inférieure applicable à l'organisme employeur. Ils peuvent être conclus à temps partiel sur dérogation accordée par le représentant de l'Etat signataire de la convention, lorsque la nature de l'emploi ou le volume de l'activité ne permettent pas l'emploi d'un salarié à temps plein, sous condition de durée minimale égale au mi-temps. Ils doivent figurer dans les grilles de classification des conventions collectives nationales, de la fonction publique ou accords d'entreprises lorsqu'ils existent.
« Ils peuvent être à durée indéterminée ou à durée déterminée en application du 1° de l'article L. 122-2. Toutefois les collectivités territoriales et les autres personnes morales de droit public, à l'exclusion des établissements publics à caractère industriel et commercial, ne peuvent conclure que des contrats à durée déterminée.
« Les contrats mentionnés au présent article ne peuvent être conclus par les services de l'Etat.
« II. - Les contrats de travail à durée déterminée mentionnés au I sont conclus pour une durée de soixante mois.
« Ils comportent une période d'essai d'un mois renouvelable une fois.
« Sans préjudice de l'application du premier alinéa de l'article L. 122-3-8, ils peuvent être rompus à l'expiration de chacune des périodes annuelles de leur exécution, à l'initiative du salarié moyennant le respect d'un préavis de deux semaines, ou de l'employeur s'il justifie d'une cause réelle et sérieuse.
« Dans ce dernier cas, les dispositions des articles L. 122-6 et L. 122-14 sont applicables. En outre, l'employeur qui décide de rompre le contrat du salarié pour une cause réelle et sérieuse doit notifier cette rupture par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Cette lettre ne peut être expédiée au salarié moins d'un jour franc après la date fixée pour l'entretien préalable prévu à l'article L. 122-14. La date de présentation de la lettre recommandée fixe le point de départ du délai-congé prévu par l'article L. 122-6.
« Le salarié dont le contrat est rompu par son employeur dans les conditions prévues au troisième alinéa du présent II bénéficie d'une indemnité calculée sur la base de la rémunération perçue. Le montant retenu pour le calcul de cette indemnité ne saurait cependant excéder celui qui aura été perçu par le salarié au titre des dix-huit derniers mois d'exécution de son contrat de travail. Son taux est identique à celui prévu au deuxième alinéa de l'article L. 122-3-4.
« En cas de rupture avant terme d'un contrat à durée déterminée conclu en vertu des conventions mentionnées à l'article L. 322-4-18, les employeurs peuvent conclure, pour le même poste, un nouveau contrat à durée déterminée dont la durée sera égale à la durée de versement de l'aide de l'Etat restant à courir pour le poste considéré. Les dispositions des alinéas précédents s'appliquent à ce nouveau contrat.
« Par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 122-3-8, la méconnaissance par l'employeur des dispositions relatives à la rupture du contrat de travail prévues aux troisième et quatrième alinéas du présent II ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts correspondant au préjudice subi. Il en est de même lorsque la rupture du contrat intervient suite au non-respect de la convention ayant entraîné sa dénonciation.
« III. - A l'initiative du salarié, les contrats mentionnés au I peuvent être suspendus avec l'accord de l'employeur afin de lui permettre d'effectuer la période d'essai afférente à une offre d'emploi. En cas d'embauche à l'issue de cette période d'essai, les contrats précités sont rompus sans préavis. »
Sur l'article, la parole est à M. Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Madame le ministre, lequel d'entres nous irait s'insurger contre tout ce qui tend - ne fût-ce qu'imparfaitement - vers l'insertion des jeunes si souvent en détresse ?
Vous avez réaffirmé ici même, et tout à l'heure encore, votre ambition de « créer des emplois durables », de faire émerger des « prestations de qualité », « de vrais métiers » avec un « volontarisme sur la durée ».
Voilà désormais le Gouvernement comptable des espoirs qu'il a fait naître.
L'article 1er de ce projet de loi permet de s'interroger sur la pertinence de la démarche et sur sa nature profonde.
Lequel d'entre nous, qui reçoit dans sa permanence des chômeurs de longue durée - et voilà peu sont tombés les derniers chiffres du chômage qui nous révèlent que le nombre des chômeurs de plus de un an a considérablement augmenté -, lequel d'entre nous, disais-je qui voit arriver des chômeurs de plus de cinquante ans, responsables d'une famille, peut ne pas s'interroger sur l'injustice qu'il y a à cibler exclusivement sur une tranche d'âge les efforts considérables que l'on veut faire ?
C'est donc une lutte sur tous les fronts qu'il faut mener sans oublier aucune catégorie ou tranche d'âge et, bien entendu, surtout pas notre jeunesse. Le chômage est, hélas ! une lèpre qui touche l'ensemble du corps social.
Mais dans un pays où le taux de prélèvements obligatoires représente 19,5 % du PIB, tout plan massivement financé sur fonds publics risque de se retourner contre son objectif même en imposant aux forces vives de la nation des charges freinant leur initiative, et donc la croissance, source de véritables emplois.
N'oublions pas, madame le ministre, que quelque 100 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans qualification et sans projet professionnel et que 40 % des étudiants quittent l'université sans aller au-delà du premier cycle.
Toutes les initiatives améliorant le passage et le lien entre l'appareil de formation et le nombre de professionnels doivent être suscitées et encouragées.
Je voudrais, madame le ministre, que vous nous disiez quelle est la position du Gouvernement sur les unités d'expérience professionnelle qui avaient été imaginées et mises en place par le gouvernement précédent avec l'aide, c'est vrai, du CNPF, mais après concertation avec les syndicats et dont on n'entend plus beaucoup parler. C'était une tentative pour faciliter ce passage. Y êtes-vous favorable ?
Au moins, faudrait-il ne pas déstabiliser l'apprentissage. Madame le ministre, vous venez de nous expliquer que vos emplois n'ont rien à voir avec les emplois d'apprentis. Je dois dire que vous ne m'avez pas convaincu. D'autres collègues partagent ce sentiment.
Il faudra, en effet, bien du courage et de lucidité à un jeune de vingt ans pour s'engager dans cette voie de formation exigeante plutôt que de postuler tout de suite pour un de ces emplois rémunérés à 100 % du SMIC, 80 % étant pris en charge par l'Etat. Il y a là un véritable problème. Il ne faut pas se le cacher.
Madame le ministre, oui de nouveaux « métiers » émergeront et le contenu de métiers existants subira de profondes mutations.
Ces profondes mutations postulent une souplesse d'adaptation au sein d'un marché « créatif et vivant ». Il faut y préparer nos jeunes, créer de vrais emplois et, pour cela, mettre en place les conditions de leur pérennisation après cinq ans.
Vous avez affirmé, ce matin, et tout à l'heure encore, votre volonté d'éviter de fabriquer des « bouche-trous » et votre voeu qu'un relais soit pris par le secteur privé. Ce sont les propositions du Sénat qui peuvent donner chair, madame le ministre, à cet espoir en préconisant une moindre rigidité du code du travail et une meilleure adaptation de la formation ainsi qu'un certain nombre de mesures permettant précisément de passer du secteur, disons parapublic, que vous allez créer, au secteur marchand.
En effet, sans véritable formation ni passerelles vers le secteur marchand, nous risquerions d'aller vers une espèce de guerre de tranchées, là où une stratégie de mouvement et des itinéraires personnalisés sont indispensables.
Sans ces améliorations et sans la réaffirmation du rôle, non pas exclusif mais central, du marché, ce projet risquerait de plaquer, pour citer Bergson « du mécanique sur du vivant ».
M. le président. Mon cher collègue, il vous faut conclure !
M. Adrien Gouteyron. L'Etat n'est pas là pour quadriller l'économie, pourvu d'« avions renifleurs » détectant les gisements d'emplois. (Sourires.)
Madame le ministre, l'insertion des jeunes risque d'être non pas favorisée mais bel et bien retardée s'il ne leur est proposé qu'une espèce de période de glaciation de cinq ans.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Adrien Gouteyron. Je conclus, monsieur le président.
Madame le ministre, pour que votre plan ne se contente pas d'occulter provisoirement la dure réalité, pour qu'il ne ressemble pas, permettez-moi ce rappel, à ce ministre de Catherine II qui présentait à son souverain des villages de façade,...
M. Philippe Marini. C'était Potemkine !
M. Adrien Gouteyron. ... si vous ne voulez pas cacher la réalité sous les nuées de l'Etat providence, vous avez une chance d'y parvenir en acceptant les propositions de la commission des affaires sociales et de la majorité du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l'article 1er, pierre angulaire du dispositif, donne le sentiment d'avoir été rédigé à la va-vite. Plusieurs omissions et rédactions inopportunes le caractérisent, que ce soit pour la formation, l'innovation d'un statut de droit privé dans le cadre de l'occupation d'emplois publics, les conséquences financières pour les communes et les associations, les charges annexes que généreront ces emplois liées à la formation et à la rupture du contrat...
Ainsi, à travers cet article, madame le ministre, vous avez fait naître un immense espoir, pour les 600 000 ou 700 000 jeunes à la recherche d'un emploi et qui, vous l'avez dit vous-même, se précipitent tous vers les guichets « emplois » des administrations d'Etat et des administrations territoriales.
N'iront-ils pas de désillusion en désillusion ? N'auront-ils pas, pour les plus diplômés, le sentiment d'être exploités ?
Vous dénoncez le procès d'intention qui vous est fait lorsqu'on évoque une sous-fonction publique et la concurrence des emplois du secteur marchand. Les employeurs ne seront-ils pas des collectivités publiques ou des associations ?
Parmi les vingt métiers cités, un nombre non négligeable appartient déjà au secteur marchand, notamment dans le domaine de l'environnement à l'exemple des déchetteries, ou des gardiens d'immeuble au secours des personnes en difficulté.
Mais que faisaient donc nos concierges d'immeuble d'antan ! M. Chérioux s'en est fait l'écho en fin de matinée.
Vous vous défendez du caractère précaire de ces emplois. Pourtant, face aux emplois précaires actuels dans lesquels se trouvent de nombreux jeunes, à l'exemple des CES, il ne s'agit que d'une question de degré de précarité. Cinq ans, c'est mieux qu'une ou deux années. Mais aucune assurance ne peut être donnée à ces jeunes à la sortie de ces cinq années.
Vous dénoncez la précarité des emplois dans le secteur privé, madame le ministre, vous l'avez confirmé tout à l'heure, mais c'est dans cette voie que vous poussez les jeunes puisqu'ils ne trouveront leur emploi que dans le secteur marchand d'une manière pérenne alors que vous dites vous-même qu'aucune assurance ne leur est donnée dans le secteur marchand aujourd'hui.
Sera-ce la titularisation dans la fonction publique ? Nous pouvons faire confiance, le moment venu, aux organisations syndicales pour exercer la pression qui se doit dans ce sens... N'aboutira-t-on pas à une titularisation en masse comme cela a été le cas en 1981 ? Puis M. Perben a supprimé la précarité dans la fonction publique.
Le problème se posera à nouveau dans cinq ans. Ces jeunes devront-ils, à l'issue de ces cinq années, retourner à l'ANPE ?
Ce pari sur l'avenir, sur la pérennisation des emplois, et plus particulièrement dans les communes rurales - vaste illusion pour elles ! - ainsi que sur leur solvabilité, sera lourd de conséquences à l'échéance des cinq ans, car les jeunes risquent de devenir victimes de votre politique à laquelle ils auront adhéré en masse par crédulité.
Les nouvelles activités de service que vous voulez créer dépendent essentiellement du pouvoir d'achat de leurs futurs adeptes. Si les futurs consommateurs de ces services possédaient dès à présent les revenus suffisants, ces activités auraient été mises en place par le secteur marchand.
Plutôt que de favoriser l'émergence de nouveaux emplois, dont les seuls fonds publics permettent l'existence, vous auriez mieux fait à mon sens d'engager des mesures favorisant véritablement la reprise de la croissance.
Au lieu de cela, vous allez faire peser sur les contribuables, donc sur les consommateurs, des charges publiques nouvelles. Faute de pouvoir augmenter les prélèvements publics sur la grande masse de la population française, qui croule déjà sous le poids des prélèvements obligatoires - M. Fourcade s'en est fait l'écho ce matin en faisant référence aux taux des prélèvements obligatoires d'autres pays de l'Union européenne - votre gouvernement s'attaque aux classes moyennes et aux entreprises.
Vous avez l'illusion qu'en alourdissant l'addition fiscale de ces derniers vous ne porterez pas atteinte à leur pouvoir d'achat ou à leur capacité d'investissement, que la croissance repartira, alors que ces deux catégories sont les éléments moteurs de la croissance.
Bien évidemment, il est facile de décréter la création de 700 000 emplois et de les faire financer par l'impôt. C'est surtout plus payant, électoralement et médiatiquement, que de créer les conditions favorables à la croissance. Les deux précédents gouvernements l'ont fait par des mesures moins populaires et moins spectaculaires, par des mesures qui produisaient un résultat visible non pas immédiatement mais à terme ; et vous en profitez aujourd'hui, comme en a profité M. Rocard de 1988 à 1990.
On a vu ce qu'il en a été après une dégradation vertigineuse de la situation économique et de l'emploi lorsque nous avons repris le pouvoir, en 1993. (Protestations sur les travées socialistes. - Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.
M. Alain Vasselle. Permettez-moi de vous dire que je ne peux vous suivre sur la voie dans laquelle vous tentez de nous engager par la séduction du résultat immédiat. Le Gouvernement agit, mais ne réfléchit pas aux conséquences de ces mesures et donne le sentiment de faire de la gestion à la petite semaine. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. le président. Mon cher collègue, il faut conclure.
M. Alain Vasselle. Il arrête des mesures à caractère conjoncturel et veut orienter sa politique en prenant des paris sur l'avenir dont les chances de réussite sont, à mon sens, plus que douteuses. Même si votre objectif...
M. le président. Mon cher collègue, je vous prie de conclure, vous avez dépassé votre temps de parole !
M. Alain Vasselle. Je conclus monsieur le président.
Ce texte, en définitive, le Sénat se devait de lui donner des conditions d'application plus réalistes, il se devait d'en limiter les effets pervers, au demeurant fort nombreux. Notre rapporteur, la commission des affaires sociales et nombre de mes collègues s'y sont attachés.
Nous souhaitons ainsi vivement que sorte de nos délibérations un texte réaliste auquel vous vous rallierez, dans l'intérêt des jeunes, pour leur avenir et celui de notre société.
M. le président. Mon cher collègue, cette fois-ci vous dépassez les bornes !
M. Josselin de Rohan. Il y a eu des précédents.
M. le président. Je suis désolé de vous le dire, mais je ne peux pas vous laisser continuer.
M. Alain Vasselle. Et j'ose espérer que, dans sa sagesse, le Gouvernement saura être attentif à sa contribution, et saura faire entendre raison à l'Assemblée nationale, car c'est bien l'avenir des jeunes qui est en jeu, et non celui du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous fais remarquer que six orateurs du même groupe sont inscrits sur l'article 1er et que si chacun dépasse son temps de parole, il nous sera relativement difficile d'organiser la suite de la discussion d'un projet de loi.
M. Ivan Renar. C'est l'ardeur du néophyte dans l'opposition ! (Sourires.)
M. Gérard Delfau. Et cela agace M. le président !
M. le président. La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le chômage nous interpelle tous et, face à l'ampleur du fléau, nous devons rester modestes. Le dispositif soumis à notre examen à l'article 1er ainsi que le projet de loi dans son ensemble partent d'une intention doublement louable.
En premier, ils visent à lutter contre le chômage des jeunes, et c'est un premier point positif.
Le second point positif réside dans la confiance que vous accordez aux acteurs locaux, et, plus particulièrement, aux collectivités locales, pour faire émerger les besoins et favoriser la création d'emplois.
Cependant, malgré l'intention louable dont part le présent projet de loi, madame le ministre, je ne puis être en accord avec vous, tant sur la méthode à employer que sur la façon dont vous entendez impliquer les acteurs locaux et la nature des emplois que vous proposez de créer.
En ce qui concerne les acteurs locaux, tout d'abord, l'exposé des motifs du projet de loi prévoit que « le programme mise sur la responsabilité d'acteurs locaux, collectivités locales, associations, établissements publics, pour faire émerger des projets par bassin d'emplois ».
Or, en rencontrant notamment des professionnels du traitement des déchets et de l'environnement, j'ai été très étonné d'apprendre qu'ils n'avaient nullement été consultés lors de la constitution de cette liste, d'où de nombreux travers.
Ainsi, dans le domaine de l'environnement, certains des métiers proposés existent déjà et relèvent du secteur marchand. C'est le cas de ceux de gardiens de déchetterie ou de trieurs, mais je pourrais citer d'autres exemples.
Nous devons donc être prudents dans l'application des mesures.
Je m'interroge également sur la nature des emplois concernés.
Tout d'abord, il est à craindre qu'étant ouverts à tous les jeunes sans distinction, les emplois-jeunes ne soient accaparés par les plus qualifiés au détriment des jeunes sans qualifications. Vous avez vous-même clairement affirmé, madame le ministre, lors du débat à l'Assemblée nationale ; que vous souhaitiez réserver les CES et les CIE aux jeunes en difficulté.
Cela risque, à mon sens, d'accentuer le caractère stigmatisant que peut revêtir ce type de contrat.
A l'inverse, les emplois-jeunes, du fait de la sécurité apparente et momentanée que représente la signature d'un contrat d'une durée de cinq ans, risquent de les priver de l'apprentissage d'un métier durable, indispensable à la réussite de leur carrière. L'exemple de l'éducation nationale est particulièrement édifiant à cet égard, notamment à Strasbourg, où les candidats aux emplois-jeunes ont, pour les deux tiers, un niveau bac + 3 ou plus et, pour un tiers, un niveau bac ou bac + 2.
Pour beaucoup, d'ailleurs, leur candidature est consécutive à un échec au concours d'entrée aux IUFM.
Que pourra-t-on leur proposer dans cinq ans ? Leur titularisation ? Sans doute pas !
Dans ce cas, pourquoi pousser ces jeunes à poursuivre dans une voie qui n'offre pas de débouchés suffisants, pourquoi risquer de les mettre dans une situation difficile dans cinq ans ?
Je crois, madame le ministre, que les enjeux sont trop cruciaux pour omettre le long terme.
En outre, il n'est pas souhaitable de se servir de ce texte pour faire valider par le Parlement la création massive d'emplois répondant à des missions relevant exclusivement de l'Etat.
En ce qui concerne la pérennisation des emplois-jeunes vers le secteur marchand à l'issue des cinq ans dans le secteur public, permettez-moi d'exprimer quelques inquiétudes.
Il est à mon avis indispensable de s'entourer des précautions nécessaires afin que les 350 000 emplois d'utilité sociale ne se transforment pas en autant de postes d'agents de l'Etat et des collectivités locales, la France détenant déjà le record dans ce domaine.
Comme le souligne un éditorialiste d'un grand quotidien national daté de ce jour : « seule parmi les grands pays industrialisés, la France avance toujours dans la même direction, plus de prélèvements, plus de fonctionnaires, plus d'Etat. »
Comme le souligne à juste titre notre collègue M. Louis Souvet dans son excellent rapport, certains des vingt-deux métiers proposés risquent de créer des distorsions de concurrence avec le secteur marchand alors que l'objectif à terme est d'intégrer ces jeunes à ce secteur.
Pourquoi ne pas favoriser immédiatement la création d'emplois dans ce secteur, emplois stables et offrant de véritables perspectives au sein de l'entreprise, plutôt que d'attendre cinq ans.
Cela doit, à mon sens, constituer la priorité.
Toutefois, lorsqu'on les interroge, les chefs d'entreprises se plaignent de deux freins à l'embauche : le poids excessif des charges sociales et l'importance des formalités administratives.
Ce constat se confirme lorsqu'on procède à une comparaison internationale : la pression liée aux cotisations patronales est d'environ 40 % en France contre 10,2 % au Royaume-Uni et 7,65 % aux Etats-Unis.
Je reconnais que, par le passé, les initiatives prises, trop partielles ou trop difficiles à appliquer, n'ont pas toujours produit les effets escomptés.
C'est pourquoi, madame le ministre, j'ai déposé un amendement visant à exonérer de charges sociales pendant cinq ans les PME qui embauchent des jeunes en échange de l'obligation de consacrer du temps à les former, la réduction des charges étant essentiellement réservée aux emplois nouvellement créés.
Une telle mesure engendrerait une charge pour l'Etat et les collectivités locales évaluée à 67 000 francs par emploi créé, charge beaucoup moins élevée que celle des emplois-jeunes.
M. le président. Je vous demande de conclure, mon cher collègue.
M. Joseph Ostermann. Ainsi, à budget équivalent, soit 35 milliards de francs, il serait possible de créer davantage d'emplois.
Je ne considère nullement que les collectivités locales ne doivent pas participer pleinement à l'effort national en faveur de l'emploi des jeunes, vous avez raison d'en faire une priorité. Mais je pense que notre pays ne doit pas se tromper de voie. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Joyandet, que j'invite, comme chacun des orateurs, à respecter son temps de parole.
M. Alain Joyandet. Je vais essayer d'être le plus bref possible, monsieur le président.
J'insisterai plus particulièrement sur deux points qui me paraissent très importants, à la suite de la concertation que nous avons menée sur le terrain avec des jeunes.
Tout d'abord, il conviendrait d'ouvrir le dispositif le plus rapidement possible au secteur privé en adaptant ce projet de loi. Pour ce faire, il faudrait, bien entendu, que vous acceptiez un certain nombre de propositions qui seront faites par la Haute Assemblée.
Madame le ministre, vous pouvez ouvrir ce dispositif au secteur privé soit en prévoyant des exonérations de charges, soit, tout simplement, en ouvrant les aides prévues, sous certaines conditions, aux entreprises.
Dans votre réponse vous avez vilipendé les dogmes. Mais, vous aussi, vous avez tenu des propos dogmatiques. En effet, vous avez parlé du libéralisme dans des termes peu favorables.
Pour illustrer votre absence d'esprit dogmatique, il vous reste donc à ouvrir un peu le dispositif au secteur marchand, quitte à y apporter certaines garanties !
C'est dans cet esprit qu'un certain nombre d'entre nous allons défendre des amendements. J'espère vivement qu'en les acceptant vous pourrez permettre aux jeunes qui sont soucieux de ne pas entrer dans un dispositif qu'ils considèrent comme provisoire, comme une sorte de voie de garage sécuritaire - , certains nous ont dit qu'il vaut mieux rechercher un emploi en touchant le SMIC plutôt qu'en étant chômeur - d'aboutir, après la période de cinq ans, à une solution sérieuse.
Je voudrais également attirer votre attention sur la formation. De nombreux jeunes craignent, notamment au travers des recrutements du ministère de l'éducation nationale, du ministère de la justice et du ministère de l'intérieur, qu'une grande partie de ces emplois ne soit réservé aux jeunes diplômés. Serait-il possible, au nom de l'équité, madame le ministre, d'inscrire expréssement dans le projet de loi, le pourcentage étant fixé par décret, qu'une part de ces aides sera consacrée aux emplois destinés aux jeunes sans qualifications ?
Enfin, permettez-moi, madame le ministre, de vous adresser des félicitations : avec ce projet de loi, vous avez été, vous et votre Gouvernement, particulièrement bons sur le plan de la communication. Sans doute ce projet de loi vous a-t-il permis de gagner les dernières élections législatives ! Sans doute ce projet de loi vous permet-il aussi de « surfer » actuellement avec des sondages tout à fait flatteurs. Mais l'enjeu est désormais double pour vous et pour la nation, tout comme il est très important pour la jeunesse. Nous serons donc, bien entendu, attentifs lors de la discussion des articles, et après. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je formulerai simplement quelques observations.
Nous sommes, les uns et les autres, très interpellés, sur le terrain, au sujet de la responsabilité des acteurs locaux et de leur capacité à offrir une chance à des jeunes.
Mais notre débat d'aujourd'hui ne doit pas en occulter un autre, qui relève également de vos compétences, celui qui porte sur les causes des mécanismes d'éviction qui font qu'en France l'évolution de l'emploi salarié est plus faible que dans les autres pays.
Tel est d'ailleurs tout l'intérêt de la Conférence nationale sur l'emploi, qui doit se dérouler sous l'autorité du Premier ministre.
Il est important de remplacer le traitement des conséquences pour conduire une véritable réflexion sur les causes.
Pour être bref - puisque les temps de parole sont limités - je me bornerai à constater que votre projet de loi peut être « la pire ou la meilleure des choses », une formidable illusion ou, au contraire, une leçon de pragmatisme. Un certain nombre de clés peuvent orienter vers la réussite ou vers l'échec.
La première d'entre elles - vous l'avez évoquée - c'est le climat de confiance entre les acteurs, l'Etat et les collectivités locales, lequel est fondé sur la stabilité des règles, en particulier financières. A ce titre, je vous rends hommage, car nos préoccupations ont été prises en compte dans le projet de loi de finances pour 1998, puisqu'il n'y aura pas d'augmentation de la CNRACL, notamment.
Mais nous devons réfléchir - j'ai cru comprendre, d'après vos propos, que vous le souhaitiez - à cette stabilité pendant les quatre prochaines années.
La deuxième clé tient à l'expérimentation dans un climat de confiance. M. le Président de la République en a formulé le souhait dans le département du Pas-de-Calais, comme peut en témoigner mon collègue, M. Roland Huguet.
Sur ce thème également, nous devons réfléchir. Si vous voulez vraiment faire preuve d'initiative ou faire confiance à l'initiative ou à la créativité des acteurs locaux, il ne faudra pas limiter, dans les décrets, le champ des solutions proposées, ce qui pose le problème de l'attitude des services de l'Etat.
En effet, si les collectivités locales s'engagent dans des voies nouvelles, certains blocages peuvent se produire au niveau des trésoriers-payeurs généraux et des chambres régionales des comptes, et nous risquons de nous heurter à de grandes difficultés. Essayons dans ces conditions de coordonner l'action des services de l'Etat et celle des acteurs des expérimentations. Envisageons un statut pour les entreprises à but social, des dispositifs de création d'entreprises... Ainsi, certains projets pourraient être accompagnés alors qu'à l'évidence ils sortent des sentiers battus.
Une autre clé de la réussite ou de l'échec - nous en avons souvent débattu ensemble - tient à la qualité des acteurs qui encadreront ces projets. Il n'y a pas autour des élus locaux d'ingénierie sociale à la dimension de l'enjeu que vous proposez. Il est pourtant prévu un financement à 100 %.
Les universités vont donc sans doute se mobiliser pour qu'à côté des élus locaux il y ait des acteurs à la dimension de ces enjeux. Et c'est à juste titre que M. le rapporteur a réfléchi à la possibilité, pour les collectivités locales, de recourir à des cadres de quarante, quarante-cinq ou cinquante ans, qui sont parfois évincés alors qu'ils pourraient être de formidables moteurs dans l'encadrement de ces jeunes.
Il ne peut pas y avoir de création d'emplois sans esprit de création et sans une certaine expérience en la matière. Limiter un dispositif à la classe d'âge des vingt-six à trente ans est peut-être un bon moyen pour cibler celles et ceux qui sont animés par la volonté de participer à la création d'activité. Mais cela risque de conduire à se priver de l'esprit d'entreprise et des connaissances de personnes âgées de quarante à quarante-cinq ans, dont l'expérience limiterait les risques d'échec.
Cette capacité d'ingénierie et d'encadrement pourrait trouver une solution originale dans la mixité entre les secteurs marchand et public.
Prenons un seul exemple : si nous voulons nous lancer dans la restauration des édifices cultuels - ce qu'à l'évidence aucune collectivité locale ne peut faire en France - il serait particulièrement intelligent de mobiliser l'ingénierie d'un secteur traditionnel de l'artisanat ou du bâtiment qui définirait les travaux, encadrerait des jeunes et mettrait peut-être en place une formation en alternance, un apprentissage, afin que l'entreprise puisse soit intégrer les jeunes qu'elle a repérés comme étant dynamiques, soit délivrer un diplôme.
A l'évidence, vous nous conviez à ne pas être trop restrictifs a priori pour analyser les expérimentations sur le terrain et à avoir un Etat accompagnateur et non pas régulateur. C'est, me semble-t-il, un élément tout à fait intéressant, avec l'aspect « bilantiel », qui est aujourd'hui obligatoire pour tirer la restauration du droit à l'erreur.
Si nous partions avec l'illusion qu'aucune collectivité locale ne connaîtra l'échec, que toutes les expériences seront positives, nous engagerions les acteurs locaux dans une formidable erreur. En effet, nous mettrions systématiquement le doigt sur celles et ceux qui seraient en situation d'échec. Si nous voulons nous lancer dans le champ d'expérimentation, restaurons le droit à l'erreur !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Paul Delevoye. Je termine, monsieur le président.
En ce qui concerne tant les statistiques que l'affichage, intervient une perturbation, certes involontaire de votre part, madame le ministre. En effet, en lançant les 350 000 emplois-jeunes, vous indiquiez qu'ils devaient être pérennes dans l'activité marchande, alors que vos collègues d'autres ministères annonçaient un certain nombre d'emplois à caractère public.
M. Philippe Marini. C'est la graisse du mammouth !
M. Jean-Paul Delevoye. Il faut clairement dire qu'il convient de mettre à part les 80 000, 100 000 ou 150 000 emplois qui relèveront uniquement de l'Etat et laisser l'affichage sur ceux qui ont vocation à être des emplois pérennes.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. C'est ce que nous proposons !
M. Jean-Paul Delevoye. Je pense que la frontière doit être claire : responsabilité de l'Etat d'un côté, responsabilité des acteurs locaux de l'autre. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. - MM. Delfau et Peyronnet applaudissent également.)
(M. Jean Delaneau remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président

M. le président. La parole est à M. Poncelet.
M. Christian Poncelet. Madame le ministre, votre projet de loi est certes, tout au moins dans l'intention, louable puisqu'il s'agit de lutter contre ce fléau social que constitue le chômage des jeunes, avec son cortège de désarroi, de détresse et de désespoir. Mais, faisant référence à l'une de vos expressions, s'il est déconseillé de tirer sur le père Noël, il n'est pas interdit, tout au moins passé un certain âge, de cesser de faire semblant d'y croire !
A cet égard, madame le ministre, le volet public du plan destiné à créer 700 000 emplois pour les jeunes m'inspire deux craintes, mais le temps qui m'est imparti pour m'exprimer sur l'article 1er ne me permettra de vous exposer que la première des deux. Je me réserve donc le droit de vous faire part de la seconde lorsque je présenterai l'amendement n° 42.
La première crainte que m'inspire votre dispositif, madame le ministre, se nourrit, c'est vrai, de mon expérience d'élu local qui a trop vu et vécu d'entorses au principe de la parole donnée et de ruptures de contrat dans les relations financières que l'Etat entretient avec les collectivités locales.
On nous dit, madame le ministre, que l'aide forfaitaire de l'Etat s'élèvera, par emploi-jeune, à 80 % du salaire sur la base du SMIC et des charges sociales. C'est vrai. Mais ce pourcentage, qui n'est inscrit nulle part dans le projet de loi soumis à notre appréciation, sera fixé par un décret qui échappe bien sûr à l'appréciation du Parlement.
Que se passera-t-il, madame le ministre - et je fais référence à des expériences passées, vécues sous tous les gouvernements précédents - si, en cours d'exécution du contrat, le Gouvernement modifie le décret pour réduire la participation de l'Etat ?
M. Alain Gournac. J'ai déposé un amendement sur ce point.
M. Christian Poncelet. Je vous en remercie. (Sourires.)
Cette réduction de la participation de l'Etat entraînera automatiquement l'augmentation de la charge financière laissée à la collectivité territoriale. De 80 %, on passera à 70 %, la charge de la collectivité territoriale s'élevant alors à 30 %, puis on passera à 60 %, ce qui mettra la charge de la collectivité territoriale à 40 % !
Cette réduction unilatérale du concours de l'Etat équivaut, à mes yeux, à une rupture unilatérale du contrat de travail en cours. En l'absence de dispositions législatives - j'appelle l'attention des responsables locaux sur ce point - c'est la collectivité locale qui ne pourra pas supporter la charge financière supplémentaire et qui aura signé, et elle seule, le contrat avec le jeune qui sera conduite à licencier ce jeune, avec les conséquences qui s'ensuivent. C'est bien sûr nous, les élus locaux, qui auront alors la responsabilité du licenciement et, demain, les présidents de conseil régional, les présidents de conseil général, les maires seront interpellés, voire conspués, par ceux et celles qui auront été victimes de ce licenciement, oubliant que l'Etat aura fait défaut à son contrat.
C'est la raison pour laquelle je vous demande, madame le ministre, une réponse précise à cet égard, et je remercie mon collègue d'avoir déposé un amendement sur ce point, amendement que je voterai bien sûr. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, chaque époque de crise a suscité des initiatives de la puissance publique pour en contrôler les effets. De la création des services publics en France aux grands travaux du New Deal aux Etats-Unis, la liste des interventions est longue et les modalités en sont variées en près de deux siècles.
Le plan que vous nous présentez s'inscrit dans cette perspective. Il s'agit de faire émerger les nouvelles activités de notre société de services, puis de les stabiliser et de les pérenniser. Pour cette raison déjà, ce projet de loi est digne d'intérêt. De même sont dépassées les critiques abruptes de certains de nos collègues de la majorité sénatoriale. L'ambition de votre démarche honore le Gouvernement.
Votre texte s'adresse aux jeunes Français, qui représentent une génération en passe d'être sacrifiée. Il leur offre un emploi à temps plein pour cinq ans et salarié au moins au SMIC. Ce sont là trois caractéristiques qui rompent nettement avec les formes de traitement social du chômage que sont les CES, succédant aux TUC, et les modalités d'insertion en faveur des bénéficiaires du RMI.
Voilà autant de raisons de soutenir votre projet de loi.
Affirmer d'emblée cet accord et annoncer qu'il se traduira dans le vote que nous émettrons, en fonction, bien sûr, du texte tel qu'il ressortira de la discussion, n'empêche pas de pointer ici et là quelques questions, voire d'exprimer un regret.
Ma première remarque concerne la mise en place locale de ce programme. Je vous ai écoutée avec attention, madame la ministre, et j'ai noté votre souci d'associer les acteurs de terrain - élus locaux, partenaires sociaux, militants associatifs, etc. - au recensement des besoins et à l'élaboration des projets. Nous savons pourtant, par expérience, combien l'équilibre est difficile à trouver entre la prise de responsabilité au niveau local et le mode de décision d'un fonctionnaire de la direction départementale du travail émettant un avis qu'entérinera à peu près systématiquement le préfet.
Nous proposerons donc tout à l'heure la création d'un groupe de pilotage local afin d'inscrire les projets dans les bassins d'emploi et d'éviter les dérives, grâce à une sorte d'autorégulation collective.
Ma deuxième remarque sera pour regretter que l'on ne saisisse pas l'occasion de cette intervention massive de l'Etat pour faire un nouveau pas dans la péréquation des ressources entre les collectivités. Je sais que telle était votre intention initiale, madame la ministre, mais vous y avez renoncé, avez-vous dit, parce que les différentes associations de maires s'y seraient montrées hostiles.
Menant depuis longtemps cette bataille pour une meilleure répartition des ressources sur le territoire national, je connais les résistances - et elles n'émanent pas seulement de la droite - que cette idée suscite chez nos collègues.
Dans mon département, madame la ministre, la très grande majorité des maires serait favorable à une telle politique. Ils reflètent là, sans aucun doute, la sensibilité des élus de base un peu partout en France. Je m'étais engagé auprès d'eux à exprimer leurs préoccupations dans cette enceinte.
La règle pourrait être la suivante : l'Etat financerait ces emplois-jeunes de façon inversement proportionnelle au potentiel fiscal des communes et même des départements. Ainsi, tout jeune aurait la même chance d'accéder à un emploi, quelle que soit la richesse de sa commune ou de son département, même s'il habite en milieu rural ou dans une ville frappée par la désindustrialisation.
Ne pas retenir aujourd'hui cette orientation n'exclut pas, j'imagine, que le Gouvernement s'engage dans cette voie à une autre occasion, C'est pourquoi j'ai voulu prendre date. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, madame le ministre, j'examinerai ce texte sans a priori.
Deux réalités s'imposent à nous : le nombre de jeunes en détresse qui ne trouvent pas d'emploi ; la demande de chaque citoyen concernant les services qu'il peut attendre légitimement d'une société moderne dans les domaines social, associatif ou éducatif.
Il est donc intéressant de combler ce vide tout en réinsérant un maximum d'inactifs, et on pourrait envisager que cela concerne d'autres acteurs que les jeunes.
Une autre réalité s'impose à nous : les risques que fait courir ce texte au monde du travail par l'accroissement inévitable des charges des entreprises à travers l'augmentation de la fiscalité locale au bout de cinq ans car, bien entendu, c'est commme cela que tout se terminera. Or les collectivités locales n'auront pas votre facilité de redéploiement ; elles n'ont pas la masse critique.
Par conséquent, nous aurons un risque d'accroître le chômage par manque de compétitivité des entreprises. Quand une collectivité locale prélève l'impôt, sur un franc, en général cinquante centimes proviennent de la taxe professionnelle. Le risque existera donc de terribles désillusions au terme des cinq années pour les jeunes qui se trouveront sans emploi, à trente ans cette fois au lieu de vingt-cinq, et dont l'expérience et le parcours n'auront servi à rien pour trouver un travail dans le secteur concurrentiel.
Madame le ministre, votre texte traduit un effort réel pour résoudre un problème réel. Il sera efficace s'il redonne un espoir aux jeunes et leur permet d'intégrer le secteur privé. Pour cela, il ne doit pas les installer dans une fausse sécurité. C'est le sens de l'amendement que je vous proposerai tout à l'heure, amendement qui conditionnera mon vote sur ce texte.
Par ailleurs, en complément des propos de M. Poncelet, je souhaite que vous nous précisiez le régime exact des contrats de droit privé. En l'état actuel des choses, une collectivité locale qui emploie quelqu'un pendant six mois sous cette forme doit, si elle met fin au contrat, une indemnité de 31 000 francs. Cette indemnité s'élève à 66 000 francs pour une durée de travail de un an et à 133 000 francs pour un contrat de deux ans à cinq ans. Si, au terme de ces cinq ans, la collectivité n'a pas la possibilité de se substituer complètement à l'Etat, elle devra, dans l'état actuel du droit, 133 000 francs. Pouvez-vous me dire ce qu'il en est exactement ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir eu la gentillesse de me remplacer au fauteuil de la présidence afin que je puisse intervenir dans ce débat.
Madame le ministre, je voudrais porter à votre crédit l'intention qui est la vôtre. Mais je suis étonné de constater que, à un moment où la relance de notre économie constitue une nécessité majeure pour notre pays, vous décidiez, s'agissant des deux catégories de jeunes que vous visez, de faire passer en premier ceux que vous appelez à des emplois qui, nous dites-vous, seront solvabilisés plus tard. La liste qui court ne me semble pas toujours correspondre à des emplois que notre population acceptera de financer.
Je crains que l'on n'en reste encore longtemps à des emplois relevant du secteur public, même si les contrats sont de droit privé, encore que, sur ce point-là, les juristes aient de quoi faire travailler leurs méninges, dépenser leur salive et probablement leur encre !
Je dois dire que cette affaire complique un peu mon sentiment. En effet, sur les 600 000 jeunes qui sont actuellement au chômage, certains ont déjà une qualification, d'autres n'en ont pas. Ce qui leur est offert tout de suite, ce sont des emplois publics ou semi-publics pour lesquels tout naturellement les « offreurs » d'heures d'emploi trieront les meilleurs.
Cela revient à dire qu'on va écrémer cette population, et que les meilleurs n'iront donc pas vers les entreprises. Là où ils iront, ils y entreront à vingt-cinq ans pour en sortir à trente ans. Mais, comme un jeune de seize ans est capable d'apprendre un certain nombre de choses qu'il n'apprend plus à vingt et un ans parce que son esprit a changé, ces jeunes seront dans une situation telle que les entreprises ne prendront plus alors ceux qu'elles n'avaient d'ailleurs pas trouvés au moment où elles en avaient besoin ! De ce côté-là, il y a donc une erreur dans les priorités qui me rend très circonspect sur le dispositif que vous nous proposez.
Je partage le souci de M. Delevoye de voir s'instaurer un partage entre ce qui ressortit à l'Etat et ce qui n'en ressortit pas. Cela m'amène à m'interroger à propos du ministère de l'éducation nationale. Il garde tous ses contrats emploi-solidarité plus tous les maîtres auxiliaires, même ceux qui ont travaillé deux heures il y a deux ans et qui se retrouvent avec un emploi à temps complet sans poste ; il y rajoute encore 40 000 emplois publics...
M. René Régnault. Il pousse à fond la caricature !
M. Paul Girod. Ce n'est pas de la caricature, c'est la réalité.
M. Jean-Paul Hugot. C'est le mammouth !
M. Paul Girod. Dans le même temps, un certain nombre de ministères commencent à s'affoler parce que le contingent va disparaître. Ces perturbations m'angoissent.
Ainsi, dans mon département - j'ai l'impression que le phénomène est général - la gestion des CES commence à être fortement influencée par la mise en place du nouveau dispositif. Les sommes destinées à ces emplois ont subi une limitation, et un certain nombre de chantiers-écoles sont remis en cause en raison de l'arrivée théorique, à terme relativement court, des emplois-jeunes.
Par conséquent, je crains que le premier effet de ce plan ne soit de perturber ce qui marchait à peu près pour éventuellement mettre en place des dispositifs dont on ne sait pas comment ils fonctionneront.
Je crois, madame le ministre, qu'il y a lieu de s'arrêter avec beaucoup d'attention sur ces perturbations qui commencent à se dessiner ici ou là.
Enfin, vous avez indirectement fait appel aux collectivités territoriales, en particulier aux plus grandes, départements et régions, pour qu'elles financent, en plus de leur propre action, en complément du financement qu'elles assurent auprès d'associations ou de communes plus petites, une partie des 20 % qui seront demandés à celles-ci.
J'attire votre attention sur l'imprudence qu'il y aurait pour les collectivités locales à s'engager dans une diminution des 20 %, qui constituent en quelque sorte le ticket modérateur du système, en particulier pour le milieu associatif, lequel fait preuve d'une imagination d'autant plus débordante que sa responsabilité est moins grande que celle des élus locaux, qui, eux, ont à voter l'impôt. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)

7