EMPLOI DES JEUNES

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 423, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif au développement d'activités pour l'emploi des jeunes. [Rapport n° 433 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, est-il utile de vous rappeler avec quelle acuité se pose le problème du chômage des jeunes dans notre pays ?
Six cent mille jeunes de moins de vingt-cinq ans et 800 000 jeunes de moins de vingt-sept ans sont à la recherche d'un emploi. Cela correspond à un taux de chômage de 26 %, qui place malheureusement la France en avant-dernière position parmi les grands pays de l'OCDE.
Lutter contre le chômage des jeunes est, vous le savez, l'objectif majeur de ce projet de loi que j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui au Sénat.
Les riches débats que nous avons pu avoir le 23 septembre dernier avec la commission des affaires sociales illustrent, s'il en était besoin, le fait que chacun ici ressente tout à la fois la nécessité et l'urgence d'une réponse adaptée à l'inquiétude des jeunes et de leurs familles.
La discussion à l'Assemblée nationale a déjà permis de préciser et d'améliorer le dispositif qui permettra à 350 000 jeunes d'entrer dans la vie active.
Le texte que vous allez examiner constitue, vous le savez, l'un des volets du programme du Gouvernement en faveur de l'emploi.
Si nous devons tout faire pour que la croissance soit la plus forte possible, nous ne pouvons tout en attendre, comme nous l'avons trop souvent fait, les uns et les autres, ces dernières années. Avec une croissance de 3 %, ce que les économistes prévoient pour les prochaines années, le taux de chômage resterait malgré tout très élevé, c'est-à-dire autour de 11 ou 12 %.
Aussi le premier axe de notre politique vise-t-il à relancer la croissance, qui passe prioritairement, aujourd'hui, par une augmentation de la consommation. Il faut redonner du pouvoir d'achat, particulièrement à ceux qui en ont besoin.
Nous avons commencé à le faire au mois de juin, avec la revalorisation du SMIC de 4 %, avec le quadruplement de l'allocation de rentrée scolaire, avec la revalorisation de l'aide personnalisée au logement, l'APL. Nous poursuivons cette action aujourd'hui avec le basculement des cotisations salariales vers la contribution sociale généralisée, la CSG, qui va redonner plus de 1 % de pouvoir d'achat aux salariés et à une grande majorité des actifs, et maintenir celui des retraités, des fonctionnaires et des chômeurs.
Le deuxième axe de cette lutte contre le chômage sera abordé lors de la conférence nationale sur l'emploi du 10 octobre. Il concerne principalement la réduction de la durée du travail, mais aussi les embauches des jeunes dans le secteur privé ; à cet égard, je pense particulièrement au système de formation en alternance auquel certains d'entre vous sont très attachés.
Le troisième axe concerne la recherche des métiers de demain et leur soutien.
Il s'agit tout d'abord des emplois dans les nouvelles technologies comme celles de l'information, où la France a un retard certain qu'il va falloir combler. Le prochain projet de loi de finances vise d'ailleurs à aider les entreprises qui investissent dans ces nouvelles technologies.
Il s'agit bien sûr, également, du soutien aux petites et moyennes entreprises qui, dans notre pays, plus que les grandes entreprises, créent des emplois.
Il s'agit encore de répondre à des besoins nouveaux et, dans le fond, d'inventer ensemble les activités et les métiers de demain, donc les emplois de demain.
Ce projet de loi vise justement à répondre à des besoins émergents ou non satisfaits par la création d'activités d'utilité sociale, culturelle, sportive, d'environnement et de proximité.
Il permettra à 350 000 jeunes d'entrer durablement dans la vie active en faisant d'eux de véritables agents du développement économique.
Au vu des amendements adoptés par la commission et à la lecture du rapport de M. Souvet, j'aborde ce débat avec la conviction que nous pouvons approfondir notre réflexion et que nos échanges permettront de mieux cerner ce que doit être ce projet de développement d'activités pour l'emploi des jeunes.
Si nous savons éviter entre nous les mauvaises querelles, nous pourrons nous accorder sur la majorité des moyens à mettre en oeuvre pour servir une ambition qui doit nous être commune.
En effet, chacun ici, je crois, s'accorde sur notre échec collectif à l'égard du chômage et sur la nécessité d'innover pour réussir.
J'entends bien, ici ou là, l'évocation du coût du chômage pour tenter d'expliquer nos échecs. Les études économiques réalisées aussi bien en France que dans des pays qui ont effectué des expériences, comme la Grande-Bretagne, n'ont jamais mis en évidence l'impact négatif que pourrait avoir le SMIC sur l'emploi des jeunes. En revanche, il existe bien un problème lié aux charges qui pèsent aujourd'hui sur les salaires.
Comme vous le savez, le Gouvernement ne compte pas revenir sur les réductions de charges sociales qui ont été prévues notamment pour les bas salaires, ces dernières années, mais il poursuivra les réductions de charges qui, en France, pèsent beaucoup plus sur les salaires que sur les autres revenus. C'est ainsi que nous prévoyons d'instaurer, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, une nouvelle assiette pour les cotisations sociales : dorénavant, celles-ci seront assises sur l'ensemble des revenus.
De la même manière, nous travaillons pour modifier, dès l'année prochaine, les cotisations employeurs, afin que celles-ci ne soient pas assises uniquement sur les salaires.
C'est avec le même objectif que nous entendons rééquilibrer - là aussi, le projet de budget pour 1998 le montre - les prélèvements entre les revenus du travail et ceux du capital.
Par conséquent, nous nous appliquons effectivement à réduire les charges sociales qui pèsent aujourd'hui sur les salaires, notamment les plus bas, et qui défavorisent l'emploi.
Faut-il, comme certains le font, se tourner vers le système de formation pour apporter une explication au chômage des jeunes ? Y aurait-il pénurie de main-d'oeuvre qualifiée dans notre pays ?
Très franchement, je ne le crois pas, à quelques exceptions près, pour des qualifications très ciblées. Les moyens déployés depuis les années quatre-vingt ont en effet permis de doubler en quinze ans la proportion d'une classe d'âge parvenant au niveau du bac, alors même que la proportion des sans-diplômes a, dans le même temps, été divisée par trois.
Il demeure néanmoins, il faut bien le dire, que 65 000 jeunes sortent aujourd'hui chaque année de l'éducation nationale sans aucun diplôme. Mais ils ne constituent que 8 % des jeunes qui sont aujourd'hui au chômage ou qui ont un emploi aidé !
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas tout faire pour en réduire encore le nombre et la proportion, mais il n'est donc pas possible de conclure à une carence globale de main-d'oeuvre qualifiée.
Peut-on alors avancer, comme le font certains, que le chômage des jeunes a pour cause une inadéquation entre la formation initiale et les besoins des entreprises ?
Je crois ici que beaucoup de progrès ont été accomplis, notamment grâce à la formation en alternance, même si nous devons encore avancer, peut-être pour en simplifier les modalités et pour les rendre plus souples et plus proches de la réalité des progrès techniques engagés dans les entreprises.
Si personne ne doit négliger la poursuite de notre réflexion pour améliorer notre système éducatif, comme le fait M. Claude Allègre actuellement, nous devons chercher d'autres moyens de lutter contre le chômage en ouvrant de nouveaux horizons de croissance.
Je pense que nous sommes là au coeur du sujet qui nous intéresse aujourd'hui. En effet, la France vit un curieux paradoxe : notre pays est riche, et même très riche si on le compare à d'autres pays de la planète ; pourtant, des besoins essentiels ne sont pas aujourd'hui satisfaits, ou le sont mal. Sans doute est-ce parce que nos richesses sont mal réparties, ou parfois mal utilisées, mais nous connaissons un taux de chômage massif.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, et principalement pendant les Trente Glorieuses, notre croissance a été tirée très largement par la consommation des ménages en biens individuels et durables : le logement, l'équipement de la personne, de la maison, l'électroménager, l'acquisition de l'automobile et, aujourd'hui, de l'audiovisuel dans la majorité des foyers, voilà qui a permis d'asseoir une croissance forte que nous ne connaissons plus ces dernières années.
Aujourd'hui, nous connaissons essentiellement des marchés de renouvellement et, malheureusement, l'apparition de nouveaux produits dans les secteurs de la micro-informatique ou du multimédia ne remplacera pas la forte demande de biens durables que nous avons connue depuis la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd'hui, les besoins prioritaires sont ailleurs. Ils résident principalement dans les services, dans des domaines aussi divers que les services aux personnes, la protection de l'environnement, la qualité de la vie ou l'épanouissement de la personne, secteurs où il faut bien reconnaître nos difficultés à organiser l'offre et à solvabiliser la demande.
Les réponses à ces besoins doivent trouver leur traduction dans des prestations identifiées, dans des prestations de qualité qui correspondent à de vrais métiers.
La première étape, qui vise à l'organisation de cette offre, est coûteuse et présente forcément des risques. Cela ne signifie pas que nous ne devons pas l'entamer. Il ne faut pas renoncer et, pour ce qui me concerne, je ne m'y résous pas.
L'ambition du Gouvernement est bien de mener une politique volontariste, inscrite dans la durée, afin de répondre à ces besoins et d'améliorer notre vie collective et notre façon de vivre ensemble. Il s'agit bien évidemment - c'est notre objectif - de créer des emplois durables, surtout pour les jeunes. Si les entreprises et les marchés ne sont pas prêts à investir aujourd'hui dans ces secteurs parce qu'ils ne sont pas directement solvables, il est donc du devoir de la puissance publique d'engager une politique d'investissement pour préparer la réalisation de ces activités qui rendront possible, un jour, la transition vers le marché.
M. Jacques Mahéas. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est le sens et la portée du texte qui vous est soumis aujourd'hui. A cet égard, je voudrais revenir sur certaines assertions que j'ai pu entendre parfois ou sur certaines discussions que nous avons pu avoir, notamment en commission.
Que les choses soient claires ! Et je m'adresse ici en particulier à certains, peu nombreux il est vrai, qui ont cru pouvoir détecter dans notre programme la création de 350 000 nouveaux emplois dans la fonction publique. Rien dans ce texte ne répond à cette logique. D'ailleurs, nous en reparlerons lorsque nous discuterons d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale, à l'article L. 322-4-8, qui précise que ces emplois ne peuvent en aucun cas se situer dans le champ traditionnel des compétences du secteur public.
Nous n'avons pas l'intention de placer des jeunes comme « bouche-trous » dans des administrations ou dans des petits boulots que des agents publics ne voudraient pas remplir. Nous nous situons dans une démarche extrêmement différente, qui vise à répondre à de nouveaux besoins qui sont aujourd'hui en dehors du champ des collectivités locales et des services publics. Je le redis devant vous, ces emplois, dans leur grande majorité, ont pour vocation d'être pérennisés dans le secteur marchand ou associatif.
Ces emplois, par ailleurs, ne feront pas concurrence au secteur marchand existant. Dans certains endroits, en effet, et pour certains publics, le marché a déjà organisé certaines réponses parce que les financements existaient.
Il faudra donc examiner la concurrence, le climat, l'environnement économique de chaque projet et ne pourront être retenus ceux qui, pour une catégorie particulière, dans un lieu déterminé, feraient concurrence à des réponses qui ont déjà été mises en place par le secteur marchand. Cela fait partie des conditions sine qua non pour qu'un projet soit accepté.
D'autres estiment encore que, si ces emplois ne sont pas des emplois de fonctionnaires, ils viendront s'ajouter à la longue liste des emplois aidés que nous avons connus ces dernières années.
A ceux-là je réponds que ce projet de loi relève non pas du traitement social du chômage, dont nous avons tous usé quand nous n'en avons pas, parfois, abusé, mais bien d'une logique tout à fait nouvelle et originale qui vise, pour l'Etat, à investir vers un nouveau modèle de développement susceptible de faire émerger de nouvelles activités qui, demain, seront portées par le secteur privé.
Nous sortons ainsi d'une logique d'insertion et d'accompagnement du chômage - qui continue à rester essentielle pour ceux de nos concitoyens qui sont en difficulté - pour entrer dans une logique de création d'emplois appelés à se pérenniser.
Nous sortons ainsi d'une logique de guichet, pour promouvoir une action publique qui valorise la notion de projet.
S'agissant des futurs employeurs, il ne leur suffira pas de demander l'aide de l'Etat pour l'obtenir ! Les appels à projet seront encadrés par des cahiers des charges qui, malgré leur simplicité et leur souplesse, exigeront d'eux une vision réaliste de ce que pourra être l'avenir des métiers créés. Nous vérifierons qu'il ne s'agit pas d'emplois publics ; nous vérifierons qu'ils ne font pas concurrence aux emplois privés ; nous retiendrons les projets qui ont une chance de pérennisation et de professionnalisation.
Voilà toute la démarche suivie au travers de ce projet de loi.
Quant aux bénéficiaires du dispositif, ils seront recrutés par l'employeur sous réserve de l'adéquation de leur profil aux métiers envisagés.
Ainsi, à l'aide à la personne se substitue une aide au poste. Cette approche est d'ailleurs sortie renforcée de l'examen du texte par l'Assemblée nationale, qui a adopté un amendement précisant que, dans l'hypothèse où un jeune sortirait du dispositif avant le terme de cinq ans, l'employeur ne bénéficierait de l'aide de l'Etat que pour la durée restant à courir.
Je le répète, ces emplois ne se subsitueront en aucune manière à des emplois de la fonction publique ou à des emplois similaires qui auraient été créés localement dans le secteur marchand. Comme je l'ai dit devant de nombreux élus, notamment devant les grandes associations qui regroupent les maires ou les conseillers généraux, il n'est pas question ici de remplacer des agents qui partiraient en retraite ou de conforter des services dans des mairies ou dans des conseils généraux.
Pour définir ce que seront ces emplois de demain, le Gouvernement a privilégié la voie de l'efficacité en adoptant une attitude de confiance vis-à-vis des acteurs locaux, des collectivités locales ou des associations, qui, pour un certain nombre d'entre eux, comme l'a fort justement relevé votre commission des affaires sociales, ont déjà réalisé des expérimentations dans ces domaines. Je pourrais ainsi - mais, rassurez-vous, je ne le ferai pas - décrire les réalisations que M. Pierre Mauroy a mises en place à Lille, et peut-être M. Souvet évoquera-t-il dans son intervention ses propres expériences à Montbéliard. Quoi qu'il en soit, l'aide de l'Etat doit favoriser la généralisation et la multiplication de telles innovations.
Loin de transférer vers les collectivités locales des contraintes budgétaires et des responsabilités qu'il ne souhaiterait plus assumer, l'Etat réalise un effort sans précédent en contribuant au financement de ces emplois à 80 % du SMIC pendant cinq ans. Cet effort représente aujourd'hui 92 000 francs par an, qui seront revalorisés chaque année au 1er juillet.
J'ajoute que le Premier ministre a été sensible aux demandes des élus visant à ne pas accroître les contributions des collectivités locales cette année : vous l'avez constaté, le projet de budget pour 1998 ne comporte pas de contribution supplémentaire à cet égard. Ce budget était difficile à boucler, mais j'espère que le retour de la croissance nous permettra de poursuivre dans cette voie dans les quatre prochaines années.
L'Etat a entrepris un effort sans précédent en faveur des organismes et des collectivités qui emploieront ces jeunes. Vous connaissez ces derniers : il s'agit des jeunes de moins de vingt-six ans ou de ceux qui, âgés de moins de trente ans, ne remplissent pas les conditions pour bénéficier du régime du chômage.
Notre plan a en tout cas déjà remporté un premier succès, au moins dans les esprits, car, alors qu'on nous disait, voilà quelques semaines, que 350 000 emplois c'était beaucoup trop, on nous dit aujourd'hui que ce n'est pas assez. De même, alors qu'on nous disait, voilà quelques semaines, qu'il s'agissait de petits boulots, on se demande aujourd'hui si ces emplois ne seraient pas trop qualifiés et ne laisseraient pas sur le bord de la route les jeunes les moins qualifiés. Je voudrais répondre très clairement sur ce point : tout d'abord, ce n'est pas parce qu'on est jeune qu'on a besoin d'insertion, qu'on est malade ou en difficulté. La plupart de nos jeunes aujourd'hui sont mieux formés que ne l'étaient leurs parents.
M. Henri Weber. Très juste !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nombre de ceux qui, aujourd'hui, n'ont pas de qualification sont en pleine santé physique et mentale pour occuper un emploi.
M. Josselin de Rohan. Mais ils sont au chômage !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Oui, ils sont au chômage, monsieur le sénateur, et c'est bien pourquoi nous essayons de les en sortir !
Nombre de jeunes non qualifiés, en situation d'échec scolaire, manifestent la volonté de trouver d'abord un emploi et nous espérons que, lorsqu'ils en auront trouvé un, ils seront obligés d'intégrer un circuit de formation qui sera nécessaire pour leur évolution future.
Il en va autrement des nombreux jeunes qui sont aujourd'hui en difficulté soit parce qu'ils ont connu des situations familiales et sociales difficiles, soit parce qu'ils sont au chômage depuis longtemps, soit parce qu'ils ont sombré, souvent par désespérance, dans la délinquance ou même dans la drogue, sortant peu à peu des marges de notre société. Pour ceux-là, les emplois-jeunes ne sont pas la réponse, il faut la rechercher dans des emplois d'insertion, qu'ils prennent la forme de contrats emploi-solidarité - qu'il faudra bien recadrer vers ces publics en difficulté - ou qu'il s'agisse de l'insertion par l'économique.
Je dis très clairement les choses, les emplois que nous vous proposons de créer sont ouverts à tous les jeunes, qualifiés ou non, capables de travailler et prêts à occuper un emploi à temps plein, car ce sera la règle. Et nous continuerons à aider individuellement les autres par le biais de processus d'insertion : il ne faut pas tout mélanger.
Pour favoriser la réinsertion des publics les plus en difficulté, l'Assemblée nationale a admis le cumul d'un contrat emploi-solidarité avec un emploi marchand pour une période qui reste à définir.
Par ailleurs, pour les jeunes qui souhaitent prendre des initiatives et créer leur propre entreprise, l'un des apports essentiels du débat à l'Assemblée nationale a été d'offrir une aide, qui prendra la forme d'une avance remboursable mais aussi d'un accompagnement en matière technique et administrative pendant les premières années.
Tel est donc le dispositif : une aide majeure, un public élargi. Il nous restera l'essentiel à réaliser, c'est-à-dire imaginer, au terme des cinq ans prévus pour la durée de ce plan, les moyens d'une pérennisation de ces emplois.
Il faut dire les choses simplement : dès aujourd'hui, nous savons pertinemment que certains coûts sociaux sont liés au fait que ces emplois ou ces activités n'existent pas.
Si l'insécurité est si grande dans les quartiers, dans les transports, dans les logements, c'est souvent parce que la présence humaine est insuffisante, parce qu'il n'y a pas ce gardien, cet éducateur qui peut tendre la main au jeune et l'empêcher de déraper. Nous qui avons des prisons remplies de jeunes, nous savons le coût pour la collectivité de cette insécurité, qui pourrait être mieux traitée par la prévention. Les emplois-jeunes y contribueront abondamment.
Nous savons aussi combien les mutuelles, par exemple, sont intéressées par le développement des services aux personnes à domicile. Si le service à domicile proprement dit relève d'autres mécanismes, tout ce qui permet d'aider les personnes âgées, les personnes handicapées à sortir de chez elles, à avoir accès à la culture, à des loisirs et - pourquoi pas ? - à des actions collectives pourra être mené par les associations.
Nous savons aujourd'hui combien l'hospitalisation de ces personnes non seulement coûte cher, mais, de plus, ne correspond pas, dans bien des cas, à leur souhait. Nous savons aussi combien le maintien à domicile est fortement créateur d'emploi. Là encore, les mutuelles sont prêtes à aider le financement des services complémentaires qui pourront être apportés aux personnes âgées et aux handicapés.
Je pourrais multiplier les exemples. Je pourrais expliquer comment, aujourd'hui, les bailleurs sociaux sont prêts à financer en partie les emplois de gardiens d'immeuble ou de ceux qui vont aider les locataires à mieux traiter leur budget, à mieux résoudre les problèmes de dégradation de leur immeuble, à faire réaliser des petits travaux avant que ne se posent de graves problèmes de dégradation. Nous savons que ces investissements rapportent et que ces emplois permettent des économies considérables. C'est une première réponse à cette solvabilisation.
Mais il y en a bien d'autres, car nous savons aussi que nombre de services peuvent être financés par les usagers eux-mêmes, qui, aujourd'hui, ne les financent pas, faute d'une offre qualifiée, structurée, organisée. Combien de personnes âgées hésitent à appeler quelqu'un pour sortir ou les accompagner dans leurs courses parce qu'elles ne sont pas sûres de l'association voisine ou de la qualification de la personne qui va leur être envoyée ? Dans ce domaine, comme dans d'autres, il existe des sources de financement.
Je donnerai un dernier exemple pour montrer que le secteur privé peut également être une source de financement.
A Lille, nous avons créé des médiateurs de lecture dans les bibliothèques, chargés d'apporter les livres à ceux qui ne peuvent se déplacer. Aujourd'hui, certains clients particuliers, mais aussi des cliniques privées, des maisons pour handicapés financent aux trois quarts ce service de médiateurs de bibliothèque, qui, au départ, a été financé par la Ville de Lille, et ce parce qu'ils y trouvent leur compte.
C'est donc de notre imagination et de notre capacité à trouver ces sources de financement, forcément multiples, que dépendra le succès de ce programme.
C'est peut-être, là aussi, une innovation. Nous avons trop l'habitude, dans notre pays, de considérer que l'on est dans un secteur public financé totalement par le public ou dans un secteur privé financé totalement par le privé. Nous devons trouver des circuits de financement croisés qui permettront à ces emplois d'être solvables.
J'en arrive maintenant - j'en terminerai par là - à la mise en oeuvre du dispositif.
Comme je l'ai dit devant la commission des affaires sociales, au-delà des dispositions législatives et réglementaires, la réussite d'un tel programme dépendra d'abord de l'esprit et des modalités qui présideront à sa mise en oeuvre.
Nous souhaitons que le dispositif se mette en place au plus près des acteurs locaux et qu'il soit le plus simple et le plus souple possible.
Il nous faut, bien sûr, recenser les besoins, faire émerger les projets, envisager leur pérennisation, réfléchir à leur professionnalisation. Cette démarche doit se faire d'abord avec les élus, puis avec les responsables associatifs, les partenaires économiques, les responsables des services publics impliqués directement dans la vie locale.
M. Gérard Delfau. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Les appels à projet devront être lancés au niveau du bassin d'emploi, c'est-à-dire au plus près des habitants. C'est à ce niveau que nous connaissons véritablement les besoins, que nous savons s'il y a déjà des réponses dans le secteur privé ou dans le secteur de l'insertion, que nous pouvons innover en faisant se réunir autour de la table l'ensemble des acteurs susceptibles d'organiser le service ou de le financer.
Voilà pourquoi nous avons demandé aux préfets de désigner - en général, ils se désigneront eux-mêmes - un pilote pour impulser le projet.
Il est bien clair dans notre esprit que, lorsqu'une commune constitue à elle seule un bassin d'emploi, c'est le maire de la commune, s'il le souhaite, qui est le leader dans le bassin d'emploi. C'est à lui de signer un contrat d'objectif avec l'Etat, où il réservera en quelque sorte le nombre d'emplois qu'il mobilisera autour de sa propre activité ou de celle que pourront soutenir les acteurs économiques et sociaux de sa ville qu'il mettra autour de la table.
Dans le cas où le bassin d'emploi est composé de petites communes, nous avons demandé au préfet de voir qui sera le mieux à même de mobiliser les différents acteurs. Cela pourra être un maire, là encore, reconnu par ses collègues, mais aussi un président d'association, voire le sous-préfet. Dans tous les cas, il faudra trouver la personne idoine, celle qui sera apte à entrer dans cette logique à la fois innovante et souple.
Deuxième impératif, je l'ai dit, la simplicité qui devra présider à la mise en oeuvre du dispositif.
Les appels à projet seront permanents ; les réponses devront faire l'objet d'une demande sous la forme d'un cahier des charges général, qui répondra d'abord aux objectifs que j'ai évoqués tout à l'heure : montrer que nous ne sommes pas dans le secteur public, définir l'environnement économique, préciser les grands axes de la pérennisation et de la professionnalisation.
Je souhaite que le Sénat confirme la volonté des députés de garder des dispositifs souples et simples.
Je l'ai dit, les collectivités locales - communes conseils régionaux, conseils généraux - pourront passer un contrat d'objectif avec l'Etat, contrat qui définira le contingent d'emplois souhaitable.
J'ai salué tout à l'heure le président du conseil général du Pas-de-Calais, avec qui nous avons déjà commencé à travailler en vue d'élaborer un contrat d'objectif.
Les conseils généraux et régionaux pourront, bien sûr, élaborer eux-mêmes des projets dans le cadre de leurs missions : activités nouvelles dans l'action sociale pour les conseils généraux, par exemple ; activités nouvelles dans le domaine de l'environnement pour les conseils régionaux.
Ils pourront, en outre, aider les communes qui ont des difficultés pour financer les 20 % restants ; je pense aux communes rurales, aux communes les plus pauvres, notamment parce qu'elles ont des quartiers en difficulté. Là aussi, il m'apparaît qu'il serait souhaitable de substituer au guichet ouvert à tous une sélection des communes qui ont besoin d'être aidées pour financer les emplois-jeunes.
Enfin, il serait bon - l'Assemblée nationale l'a reconnu - que les conseils régionaux, dans le cadre des missions qui leur ont été confiées par la décentralisation, puissent aider au financement de la formation, voire à l'évaluation, qui sera réalisée dans les différents métiers.
Je tiens, enfin, à préciser que le circuit de paiement sera aussi rapide que possible. Une fois n'est pas coutume, l'Etat essaiera de payer non seulement à temps mais en avance, au début de chaque mois.
C'est le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles, le CNASEA, qui gérera le dispositif, dispositif que nous sommes d'ailleurs en train de mettre en place puisque nous souhaitons pouvoir démarrer dès le 15 octobre prochain.
De la même manière, nous avons déjà préparé un projet de décret, qui évolue au fur et à mesure des débats parlementaires, et une circulaire, qui s'amplifie, elle aussi, au fur et à mesure des questions qui nous sont posées, afin que l'ensemble des textes puissent être publiés en même temps et aussi rapidement que possible après le vote de la loi.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateures, je conclurai mon propos en insistant sur le caractère novateur de ce projet.
Celui-ci innove dans le mode d'intervention de l'Etat. Vous l'avez vu, l'Etat ne se contente pas d'accompagner socialement les chômeurs ; il investit dans les emplois de demain. Cela me paraît important.
Il y a innovation, également, dans les rapports entre l'Etat, le secteur public, le secteur associatif et le secteur privé. Nous devons nouer des collaborations entre ces différents secteurs, et, pour ma part, je ne vois aucun inconvénient à ce que les entreprises privées se joignent d'ores et déjà au tour de table de certains projets en cours d'élaboration.
Il y a innovation, enfin, dans la démarche d'appel à projet. La mise en place des projets n'a rien de bureaucratique, avec des documents à remplir, des tampons à obtenir. La démarche est souple, innovante, on fait confiance aux acteurs sur le terrain, en particulier aux élus.
Cette piste - je le dis comme je le pense - est sans doute parmi les plus novatrices. Elle pourrait d'ailleurs - je vois que l'Europe commence à s'y intéresser - constituer la base d'une réflexion au sein même de l'Europe puisqu'il s'agit, au fond, de reconnaître que, si l'industrie doit évidemment être défendue partout où elle existe, si elle doit être développée dans le secteur des nouvelles technologies, où nous avons du retard, elle ne permettra pas, à elle seule, de créer des emplois, qu'il convient donc d'accélérer le passage vers une société de services nous permettant de mieux vivre tous ensemble, avec une qualité de vie plus sûre dans une société plus ouverte, mais apte aussi à redonner de l'espoir à nombre de nos concitoyens, notamment aux jeunes, grâce aux emplois qui seront créés.
Il me paraît tout à fait essentiel de proposer à ces jeunes, qui depuis des années ont des emplois précaires ou qui sont au chômage, de vrais métiers, qui sont les métiers de demain et qui contribueront à ce que notre société soit finalement moins dure et plus solidaire.
Et comment ne pas faire confiance à la jeunesse, à sa générosité, à ses capacités de solidarité, pour nous aider à construire cette société ?
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons aujourd'hui un signal fort à lancer à notre jeunesse. Elle l'attend ; on le voit dans ses premières réactions. Nous ne pouvons la décevoir ; c'est notre responsabilité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous voici de nouveau face à nos responsabilités, face à un problème social majeur, celui du chômage des jeunes et, finalement, celui de la confiance que nos concitoyens mettent en l'avenir.
Les chiffres montrent que jusqu'à présent nous n'avons pas réussi à combattre ce fléau, que notre pays, contrairement à d'autres, n'a pas su - nous y avons notre part, hélas ! - trouver la voie d'une forte croissance en emplois.
Je me bornerai à rappeler trois chiffres : plus de 600 000 jeunes de moins de vingt-six ans inscrits comme demandeurs d'emploi, ce qui représente 20 % des chômeurs, et un taux de chômage des jeunes actifs de 25,1 %, taux qui ne tient pas compte des jeunes poursuivant leurs études uniquement pour échapper au chômage.
Alors, face à ces chiffres, nous comprenons tous l'immense espoir social que suscite l'annonce d'un plan d'embauche de 700 000 jeunes sur trois ans. Cela explique les demandes dont les maires ou les chefs d'établissement scolaire sont assaillis.
Face à cet espoir qu'il a lui-même suscité, que nous propose le Gouvernement ? Un projet de loi dont l'objectif est de créer 350 000 emplois-jeunes dans le secteur public et associatif, emplois ayant un caractère d'utilité sociale. Je ferai une remarque en passant : sur les 350 000 autres emplois-jeunes à créer dans le secteur privé, nous n'avons guère d'informations !
Qu'il y ait des besoins nouveaux - on dit, plus savamment, « émergents » - susceptibles de créer des emplois est chose possible. Les élus n'ont d'ailleurs pas attendu le projet de loi actuel pour s'y intéresser : la liste de vingt-deux métiers, publiée il y a quelque temps, n'est, me semble-t-il, que le recensement de ce qui a été fait ici et là depuis des années. Pour ma part, j'ai déjà créé, à Montbéliard, des emplois d'agent d'entretien ou de médiation dans le domaine du logement, des agents de prévention et d'ambiance dans le domaine des transports, des médiateurs de justice, des emplois d'aide aux victimes, et je passe sur tous les emplois liés à l'environnement.
J'aimerais vous rappeler, madame le ministre, une tentative de la région Franche-Comté, alors sous la présidence du regretté Edgar Faure, qui s'intitulait: « Les emplois vocationnels ». A l'époque, les URSSAF nous pénalisaient de 26 millions de francs, et c'est une certaine Martine Aubry, déjà ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, qui avait réglé le problème. Comme quoi votre souci de l'emploi des jeunes est partagé depuis longtemps par les élus !
Cette démarche qui consiste à favoriser les initiatives locales, à susciter de nouvelles activités, s'inscrit dans la logique de la politique de l'emploi suivie ces dernières années. On constate en effet que l'Etat confie de plus en plus souvent à d'autres collectivités locales ou partenaires sociaux le soin de mettre en oeuvre et de gérer des actions qui relevaient jusqu'alors de sa compétence. Je citerai le transfert de l'allocation formation reclassement, l'AFR, ou de l'inscription des demandeurs d'emploi sur l'UNEDIC, le financement par le secteur privé, au travers, là encore, de l'UNEDIC, des préretraites avec l'allocation de remplacement pour l'emploi ou l'allégement du coût du travail et l'assouplissement - timide, il est vrai - du cadre juridique de l'exécution du contrat de travail.
Cette déconcentration, voire cette décentralisation, de la politique de l'emploi a deux raisons essentielles : se rapprocher du terrain et des réalités de l'emploi et alléger les contraintes pesant sur le budget de l'Etat en les transférant à d'autres. Nous avons prêté la main à cette politique de transfert, car elle a, bien évidemment, ses vertus.
Le projet de loi relatif au développement d'activités pour l'emploi des jeunes s'inscrit donc dans cette logique et la pousse encore un peu plus loin. En fait, si je résume à grands traits la philosophie du projet, l'Etat cherche à inciter les collectivités locales, directement ou indirectement, par le biais de leurs établissements publics ou du monde associatif, à se transformer en pépinières sinon d'entreprises, du moins d'activités et d'idées nouvelles.
Cependant, comme ces activités ne sont pas rentables, que la demande potentielle n'est pas solvable, l'Etat financera partiellement ces emplois pendant une durée et dans des conditions fixées par décret, soit 80 % d'un SMIC avec ses charges sociales pendant cinq ans, le reste étant payé par qui pourra ou par qui voudra. Cela n'est pas choquant, dans la mesure où l'on parvient à la pérennisation. Quant aux jeunes concernés, ils doivent avoir entre dix-huit et vingt-cinq ans, exceptionnellement moins de trente ans lorsqu'ils connaissent de graves difficultés d'insertion. Les employeurs sont les mêmes que pour les contrats emploi-solidarité. L'Etat et le secteur privé marchand ne peuvent être employeurs, sinon, pour le premier, dans le cadre très spécifique de l'article 2 du projet de loi concernant les missions d'adjoints de sécurité. Autrement dit, mis à part quelques grands établissements publics, comme la SNCF ou La Poste, les principaux employeurs devraient être les collectivités territoriales ; c'est une donnée qu'il faut garder à l'esprit.
Ces emplois, Mme le ministre nous l'a dit, ont vocation à être pérennisés. Aussi, pour professionnaliser ces activités, l'Etat s'engagera à apporter des aides et des conseils. Enfin, pour composer avec les règles des fonctions publiques, le projet de loi innove en instituant un contrat de droit privé à durée déterminée de cinq ans susceptible d'être rompu chaque année. C'est un bel exemple de flexibilité que les entreprises privées envieront sans doute, surtout dans la version retenue par l'académie de Paris qui prévoit un CDD d'un an « éventuellement renouvelable ». Le texte est dans mon rapport, vous l'avez sans doute lu, madame le ministre.
Maintenant que j'ai rappelé le contexte dans lequel s'inscrivait le projet de loi et que j'en ai décrit à grands traits le dispositif, il convient de l'analyser et de nous prononcer.
Une fois passé l'effet d'annonce portant sur les 350 000 créations d'emplois, une analyse objective du dispositif qui nous est proposé révèle, selon nous, sa grande ambiguïté - vos propos se voulaient plus rassurants, madame le ministre - quant à la nature des activités qui seront mises en place et ainsi subventionnées. S'agit-il d'activités relevant de la sphère privée, du secteur marchand des services, ou s'agit-il d'activités relevant de la sphère publique, voire d'un secteur mixte qui, bien que privé, ne peut survivre qu'avec des aides publiques ? A cet égard, la liste non exhaustive des vingt-deux nouveaux métiers révèle clairement le danger : nombre de métiers concernant l'environnement, ou l'entretien et la maintenance des logements et de leurs équipements, appartiennent à l'évidence à la sphère privée. Subventionner ces emplois, c'est sans doute et surtout susciter une concurrence déloyale pour nombre d'entreprises du secteur privé, notamment dans le cadre des gestions déléguées, avec pour conséquence des menaces pour l'emploi. Cela entraînerait, selon les sources, de 45 000 à 100 000 destructions d'emplois, et vous avez insisté, madame le ministre, sur votre souci de ne pas concurrencer le secteur marchand.
S'il peut paraître judicieux de faciliter la germination d'activités nouvelles, pour reprendre l'image de la pépinière, encore faut-il, madame le ministre, veiller à ce que ces activités n'étouffent évidemment pas celles qui existent.
La liste de ces emplois, comme celle plus complète qui figure dans le rapport Nouveaux services, nouveaux emplois, recèle aussi de graves dangers potentiels : d'abord, parce que certains de ces métiers nouveaux ne me semblent pas faits pour des jeunes de moins de vingt-six ans, sans expérience professionnelle et sans expérience humaine ; médiation familiale, réinsertion des détenus, prévention de la violence, par exemple, sont autant d'activités qui nécessitent une connaissance de la nature humaine que n'auront pas ces jeunes. D'ailleurs, de façon plus générale, il semble à la commission des affaires sociales que, quand on crée des activités nouvelles, il est préférable de faire appel à des professionnels expérimentés ; inversement, l'insertion est plus facile dans des activités déjà rodées. Dire que l'on va professionnaliser ces métiers ne paraît pas suffisant, car le résultat de cette formation se fera sentir trop tard : l'échec sera déjà survenu. La commission des affaires sociales, madame le ministre, craint que nombre de ces métiers ne soient, hélas ! sans perspectives, et cela lui paraît grave au regard des espoirs suscités.
Cette ambiguïté est encore accentuée par les annonces intempestives de différents ministères visant à créer qui 3 000, qui 5 000, qui 40 000 emplois-jeunes. D'ailleurs, les organisations syndicales de la fonction publique redoutent déjà la mise en place d'une fonction publique bis , une fonction publique à l'économie, lourde de dangers de tous ordres pour les années à venir.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Serge Vinçon. Très juste remarque !
M. Louis Souvet, rapporteur. Que dire également des emplois envisagés à la SNCF ou à La Poste, qui nous semblent, à l'évidence, être des « résurgences de métiers », autrefois assurés par ces organismes ?
Pour la commission des affaires sociales, madame le ministre, mes chers collègues, ce texte va, dans certains secteurs et non des moindres, générer de forts effets d'aubaine, qui se révéleront très vite désastreux, on le craint, et contagieux : c'est ainsi que j'ai entendu hier, à la radio, que Renault, anticipant sur la demande de printemps de sa clientèle, envisagerait l'embauche de jeunes dans le cadre de ce dispositif. J'espère, bien évidemment, qu'on l'arrêtera suffisamment tôt, pour autant que j'aie bien compris.
Autre faiblesse du projet de loi : il n'aborde pas les vrais problèmes de l'exclusion des jeunes du marché du travail. Si, à l'évidence, la conjoncture économique y est pour beaucoup, il existe d'autres raisons : la rigidité du code du travail et aussi, et peut-être surtout, la médiocre qualité ou l'inadaptation aux besoins des entreprises de la formation initiale. Sans aller jusqu'à proposer une réforme du système éducatif, sans doute aurait-il été opportun de coordonner la création de ces activités nouvelles avec des mesures de formation professionnelle. Or, il n'y avait rien en ce sens dans le projet de loi initial.
Il n'y a rien non plus qui permette de faire le lien avec la question de l'exclusion générale du marché du travail. Or, je l'ai déjà dit, créer des activités nouvelles suppose de l'expérience. Il est regrettable que le projet de loi ne fasse pas appel à ceux qui ont cette expérience et qui, très souvent, pour une part d'entre eux, se trouvent exclus du marché du travail par les restructurations et autres effets de la compétition économique. De plus, s'engager dans cette voie aurait permis de commencer à rationaliser et à réduire le nombre des dispositifs emplois dont l'empilement atteint aujourd'hui des proportions rédhibitoires. Cette simplification avait été annoncée, elle n'a pas été faite. Pourtant, une vision plus globale de la politique de l'emploi aurait très certainement un effet d'entraînement extrêmement favorable.
Enfin, et ce n'est pas le moindre des dangers de ce projet de loi tel que nous l'avons lu, il fait peser une lourde menace sur les finances des collectivités locales et sur les finances de l'Etat. Le coût pour l'Etat est peut-être supportable pendant les cinq ans prévus s'il est financé par des économies. Mais qu'en sera-t-il pour les collectivités locales, qui seront au coeur du dispositif, mes chers collègues, et qui, au bout des cinq ans, subiront une pression sociale considérable pour maintenir ces emplois alors que l'aide de l'Etat aura disparu ?
M. Serge Vinçon. C'est vrai !
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Louis Souvet, rapporteur. La sortie du dispositif est la grande inconnue. Comment être sûr que, dans quelques années, tout cela ne débouchera pas sur une pression fiscale accrue, avec tous les effets négatifs que l'on sait sur l'emploi ? Nous pensons en particulier aux emplois créés par l'éducation nationale.
M. Alain Gournac. C'est la fuite en avant !
M. Louis Souvet, rapporteur. Autre danger pour les collectivités locales, celui d'une perte d'autonomie, car elles se verront imposer des choix qu'elles n'auraient peut-être pas faits spontanément, elles subiront des contraintes sans en avoir la maîtrise. Les maires seront les principaux interlocuteurs de l'Etat. Mais seront-ils entendus ?
De tout cela, me semble-t-il, l'Assemblée nationale a eu conscience : les modifications apportées au texte en témoignent. Ainsi, a-t-elle posé le principe d'une pérennisation, mais sans en préciser ni les modalités ni les moyens, a-t-elle parlé de formation, mais là encore sans en définir les moyens, a-t-elle prévu l'intervention d'autres collectivités territoriales que les communes, mais de façon marginale. Et surtout, elle n'a pas su éviter les risques de dérapage vers une fonction publique bis. En fait, nombre des amendements adoptés à l'Assemblée nationale sont des ajustements techniques, utiles certes, mais insuffisants pour corriger les défauts les plus criants du texte, comme celui par exemple de la concurrence déloyale faite au secteur privé ou celui du financement des emplois au-delà des cinq ans, question que certains élus eux-mêmes pourraient négliger de traiter, puisqu'elle ne se posera véritablement qu'après les prochaines élections municipales.
M. Alain Gournac. Tiens, tiens !
M. Louis Souvet, rapporteur. Notre méconnaissance de ces métiers nouveaux donne naissance à des doutes et à des hésitations. Risques et craintes de concurrence déloyale, métiers apparemment inadaptés, effets d'aubaine, préparation insuffisante, encadrement inexistant, menace pour l'autonomie des collectivités locales et leur équilibre financier, tels sont donc les grands dangers que nous croyons déceler dans ce texte.
A ce stade de l'analyse, que devons-nous faire, mes chers collègues ?
La commission des affaires sociales, pour des raisons évidentes, n'a pas souhaité rejeter le texte, d'autant que nombre d'entre nous, maires ou présidents de conseils généraux, ont déjà exploré la voie retenue par le projet de loi et qu'il nous est difficile de le rejeter a priori. Pour avoir entendu les présidents d'associations d'élus locaux à l'occasion des consultations auxquelles j'ai procédé, je sais que nombre de maires et d'élus locaux partagent ce point de vue.
Les maires ont créé ces activités après les avoir financées sur le long terme, sans artifice, après s'être assurés de leur pérennité sur des fondements solides, en collaboration avec d'autres partenaires ayant pris des engagements fermes. Or, tel n'est pas le cas du projet de loi : certes, l'Etat s'est engagé sur cinq ans, du moins peut-on l'espérer - car que penser de la remise en cause des aides aux emplois familiaux, de la suppression de l'exonération d'impôt sur les constructions neuves ou du changement de fiscalité sur certains produits de l'épargne ? - mais qu'en sera-t-il au-delà de cette durée, alors que les besoins seront toujours là, sans doute encore plus pressants puisqu'ils auront pu être satisfaits pendant cette période ? Nous sommes dans l'inconnu le plus total et cette sortie du dispositif constitue - j'y reviens - la crainte la plus sérieuse pour le système.
Ayant formulé ce constat, la seule solution qui a semblé opportune à la commission des affaires sociales était d'amender significativement le texte. En témoignent les 127 amendements que vous avez déposés, mes chers collègues, auxquels s'ajoutent les 22 amendements de la commission. Je puis affirmer ici que vous avez suivi la même voie. Ces amendements contiennent toute une mine d'idées nouvelles et de précisions certes utiles mais que nous ne pouvions pas toutes incorporer dans le projet de loi.
Les amendements que la commission vous proposera ne répondront pas à toutes les objections que j'ai formulées, simplement parce que c'est la politique globale de l'emploi qu'il faudrait revoir, à commencer par la façon dont notre système scolaire prépare les jeunes à l'emploi, Néanmoins, ces amendements devraient permettre de corriger les défauts les plus criants du projet de loi.
Tout d'abord, il convient de mieux cerner les activités afin d'éviter tout risque de concurrence déloyale. Pour cela, la commission des affaires sociales propose de confier un rôle de conseil et de suggestion au comité départemental de la formation professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi, le CODEF, composé de représentants des pouvoirs publics et de parlementaire, et qui est assisté, je vous le rappelle, d'un conseil départemental de la formation professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi où siègent - et cela est d'importance - les partenaires sociaux.
Ces instances interviendront à trois moments, et, en premier lieu, avant la signature de la convention par le préfet, pour lui donner un avis sur la viabilité dans le temps et dans l'espace du projet et sur son articulation avec les secteurs public ou privé. Le CODEF pourra d'ailleurs déléguer son rôle aux missions locales pour l'emploi, plus proches du terrain.
Ces instances interviendront ensuite pour suivre l'application de la convention dans le temps à la demande du préfet chargé de la contrôler, mais surtout elles devront, chaque année, procéder à une évaluation des activités et des emplois créés afin de déterminer les conditions de leur passage progressif vers le secteur privé, ou de leur pérennisation dans le secteur public, ou encore de leur abandon.
Pour la commission des affaires sociales, ce point est d'importance. Les activités créées n'ont, pour leur plus grande part, pas vocation à rester dans le secteur public : elles doivent migrer et être pérennisées au sein du secteur marchand.
Le CODEF formulera donc ses recommandations à l'attention du préfet et de l'employeur. Le préfet pourra alors décider de supprimer l'aide de l'Etat. Mais il pourra, aussi, subventionner pour une durée limitée le passage au secteur privé avec ce qui restera de l'enveloppe initiale. En outre, diverses dispositions sont insérées dans le projet de loi, telles que la mention d'une contribution des usagers aux services rendus, pour préparer ce transfert.
J'ajoute que, pour faciliter l'encadrement de l'activité et son glissement éventuel vers le privé, il serait opportun que les partenaires sociaux participent au dispositif par l'intermédiaire du fonds paritaire d'intervention en faveur de l'emploi après avoir négocié un système d'aides qui s'inspirerait de l'allocation de remplacement pour l'emploi, l'ARPE, ou des conventions de coopérations. Pour cela, il convient d'autoriser le fonds paritaire d'intervention en faveur de l'emploi à affecter une partie de ses ressources au financement de l'encadrement de ces nouvelles activités.
Ainsi, les collectivités territoriales n'auraient pas systématiquement la charge de ces nouvelles activités, ce qui serait sans doute le cas à défaut d'un tel mécanisme d'évaluation et de transfert. Une solution est donc ainsi apportée au problème de la sortie du dispositif. Certes, elle ne sera pas totale puisqu'une partie des activités nouvelles pourrait rester à la charge des collectivités.
De plus, une passerelle serait ainsi jetée avec d'autres catégories de personnes exclues du marché du travail, par exemple les cadres au chômage ou susceptibles de partir en préretraite. Cette globalisation a semblé importante à la commission pour redonner confiance. Mais c'est semble-t-il encore insuffisant.
Pour faciliter cette migration vers le secteur marchand et éviter qu'elles ne débouchent sur des désillusions, il faut professionnaliser ces activités nouvelles. Pour cela, la commission des affaires sociales vous propose d'adosser leur création au recours à l'apprentissage au sein des collectivités locales et des entreprises partenaires, recours à l'apprentissage qui pourrait être fortement encouragé en étant financé dans les mêmes conditions que les emplois-jeunes.
MM. Alain Gournac et Emmanuel Hamel. Très bonne idée !
M. Louis Souvet, rapporteur. La commission tient d'ailleurs à souligner que le recours à l'apprentissage au sein des emplois-jeunes permettra de lutter contre l'effet d'éviction que risque de susciter ces emplois à l'égard de l'apprentissage : pourquoi, pourraient se dire certains jeunes, se fatiguer à suivre un apprentissage peu rémunéré quand on peut être embauché pour cinq ans avec une rémunération bien supérieure ?
Le dispositif que propose la commission des affaires sociales permet donc d'aborder la question de fond de l'emploi des jeunes, même si cela n'est fait que partiellement, à savoir leur qualification. Il permet aussi de ne pas réserver les emplois-jeunes aux plus qualifiés, ce qui aurait pour conséquence d'exclure encore davantage ceux qui le sont moins, ou ne le sont pas du tout.
Enfin, pour éviter la confusion entre des activités de natures différentes, la commission des affaires sociales a souhaité que les emplois relevant des missions de l'Etat, comme ceux de l'éducation nationale, restent sous un régime de droit public et soient financés à 100 % par l'Etat, ainsi que le projet de loi le prévoit déjà pour les adjoints de sécurité. Cela lèvera l'ambiguïté savamment entretenue sur la question de savoir qui financera ces emplois.
Ce point a donné lieu à de longs débats. Partant du constat largement partagé au sein de la majorité sénatoriale, et même au-delà, m'a-t-il semblé, que les emplois relevant des missions fondamentales de l'Etat - police, justice, éducation, notamment - n'avaient pas à figurer dans un tel projet de loi et que, s'il y avait des besoins, ceux-ci devaient être satisfaits dans le respect des règles de la fonction publique, y compris budgétaires, la solution la plus logique aurait été de supprimer les dispositions les concernant et d'interdire aux ministères de profiter des effets d'aubaine générés par le projet de loi.
Néanmoins, étant donné l'attente suscitée par ces propositions d'emplois auprès des jeunes et de leur famille et tout en déplorant les effets d'annonces, ainsi que la publication de fiches d'inscription par l'éducation nationale - elles figurent en annexe du rapport - qui anticipe le vote de la loi, la commission n'est pas allée jusqu'à supprimer les dispositifs qu'elle réprouve. Elle les a cependant détachés du dispositif de l'article 1er du projet de loi pour en faire une catégorie à part relevant du droit public. Malheureusement, la question du sort de ces emplois au terme des cinq ans reste en suspens et tout se passe comme si le Gouvernement d'aujourd'hui « repassait » le problème à l'un de ses successeurs.
Naturellement, à côté de ces modifications lourdes ou d'importance, la commission en proposera d'autres, qui en sont la conséquence, ou qui sont d'ordre technique ou rédactionnel.
Voilà, monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les orientations que vous suggère la commission des affaires sociales. Ces orientations s'apparentent, je le reconnais volontiers, à un changement de philosophie du texte que je résumerai ainsi : le secteur public, les collectivités locales en premier lieu, jouent, avec l'aide de l'Etat, un rôle de pépinières d'activités nouvelles, mais la plupart de ces activités nouvelles doivent migrer vers le secteur privé marchand, dès qu'elles sont suffisamment consolidées, grâce au recours éventuel à l'apprentissage et à un encadrement performant. Quant aux emplois relevant des missions de l'Etat, ils doivent être cantonnés dans un dispositif spécifique relevant du droit public et ne pas interférer avec ceux qui ont vocation à passer dans le privé.
C'est sous réserve de ces modifications fondamentales que la commission des affaires sociales vous propose d'adopter le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans notre société, le chômage des jeunes est une question angoissante face à laquelle tous les gouvernements qui se sont succédé depuis vingt ans n'ont pas su ou pas pu répondre de manière efficace. De nombreuses initiatives ont été prises dans de nombreux endroits - les collectivités locales ont fait de grands progrès dans ce domaine - mais les statistiques sont formelles : en France, le chômage des jeunes est nettement plus élevé que dans tous les autres pays de l'Union européenne.
C'est donc avec une certaine humilité que nous devons aborder le débat d'aujourd'hui.
Nous ne l'entamons pas non plus sans un certain malaise. Indubitablement, le projet de loi du Gouvernement, maintes et maintes fois annoncé, a fait naître chez les jeunes une vague d'espoir. Pour que cet espoir ne se transforme pas en déception, deux conditions devraient être réunies, à savoir que les jeunes ne retrouvent pas au bout de cinq ans le chômage ou la précarité et que la génération qui aura dix-huit ans dans cinq ans ne trouve pas alors porte close.
En vous écoutant, madame la ministre, j'ai eu le sentiment que vous étiez proche de notre analyse sur la détection de ces métiers émergents qui vont progressivement remplacer des métiers anciens, mais les moyens que vous proposez pour y parvenir sont critiquables. Si ce que je vous ai entendue dire à la tribune allait dans le sens de notre analyse, le texte, quand on l'examine mot après mot, s'en écarte très largement.
M. Claude Estier. Mais non !
M. Jacques Mahéas. Vous l'avez mal lu, monsieur Fourcade !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Mes chers collègues, je le répète, ce texte s'écarte de son objectif. (Mme Joëlle Dusseau s'exclame.)
Pour fournir un emploi à 700 000 jeunes, le Gouvernement fait deux parts égales : 350 000 jeunes seront embauchés dans le secteur public et parapublic et vous essaierez de faire en sorte - plus tard - que 350 000 jeunes soient également embauchés dans le secteur marchand.
Or la part de l'emploi public dans notre pays atteint déjà le quart de l'emploi total.
C'est le taux le plus élevé des pays de l'Union européenne, si l'on excepte le Danemark et la Suède où ce taux dépasse 30 %. La moyenne des emplois publics se situe à moins de 18 % pour l'ensemble de l'Union européenne et à 15,5 % en Allemagne, c'est-à-dire chez notre principal partenaire et concurrent.
Ce taux est donc très élevé, trop élevé même.
Simplement, pour le maintenir, c'est-à-dire pour ne pas accroître notre divergence avec nos partenaires européens, le plan emplois-jeunes aurait dû cantonner les emplois dans le secteur public et parapublic à 175 000 et viser plus de 500 000 emplois dans le secteur marchand.
Par ailleurs, compte tenu des emplois-ville institués par le gouvernement précédent, et qui seront repris dans l'ensemble du dispositif, l'ordre de grandeur devrait être le recrutement de 150 000 jeunes d'ici à la fin de l'année prochaine.
Or nous en sommes loin. Au surplus, le maintien du taux d'emploi public à l'identique n'est pas, en soi, un objectif raisonnable ; il conviendrait de le réduire.
Mes chers collègues, il existe en effet une corrélation évidente entre le poids des emplois publics et celui des prélèvements obligatoires. La Suède et le Danemark, qui détiennent le ruban bleu de l'emploi public en Europe, battent également les records en matière de prélèvement obligatoire, avec des taux nettement supérieurs à 50 %, à savoir 52 % pour le Danemark et 55 % pour la Suède. La France n'en est encore - si l'on peut dire - qu'à 46 %. De plus, la moyenne européenne est de 42 %.
M. Alain Gournac. Triste record !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Les vingt dernières années ont été marquées par une mondialisation spectaculaire de l'économie, l'ouverture de nos frontières, une compétition internationale accrue, le développement considérable de marchés et de produits nouveaux, notamment dans le domaine de l'information et de la communication. Cela a déjà été dit et notre excellent rapporteur, M. Louis Souvet, l'a indiqué. Mais, le constat le plus important est, selon moi, que, depuis vingt ans, dans notre pays, les emplois du secteur marchand n'ont augmenté que de 7 %, alors que les emplois du secteur non marchand ont progressé de 40 %.
Une telle évolution est inquiétante.
Certes, la demande de biens de consommation durables ne tire plus la croissance. Mais il y a d'autres marchés, d'autres besoins : nous sommes non pas devant un monde qui finit, mais face à un monde qui change, et l'idée que le secteur marchand ne créerait plus d'emplois - comme j'ai pu le lire sous quelques plumes célèbres depuis quelques mois - est à l'évidence une idée fausse. (Très bien ! sur les travées du RPR).
Notre pays s'est-il tourné à temps vers les vrais gisements d'emplois marchands ? Notre pays a-t-il fait les efforts suffisants d'adaptation de son appareil productif, de son système de formation, de son mode d'organisation du travail pour répondre efficacement à l'évolution tant de la demande intérieure que des marchés à l'étranger ? Telles sont les vraies questions que tout responsable politique doit se poser aujourd'hui.
Pour ma part, comme vient de le préciser M. le rapporteur - et nous sommes d'accord sur ce constat - je ne crois pas que les marchés émergents et les emplois correspondants soient nécessairement insolvables ni que le secteur des services, dont l'importance ne cesse de croître dans les économies modernes, doive coïncider avec le service public ou le secteur associatif.
Je ne considère pas pour autant que le développement d'emplois d'utilité sociale soit une piste à négliger. Les élus locaux que nous sommes se sont d'ailleurs largement engagés dans cette voie, et le bon démarrage des emplois de ville en témoigne.
Mais face à ce constat, madame la ministre, le volet public du plan emplois-jeunes que nous propose aujourd'hui le Gouvernement souffre de deux contradictions.
Promouvoir le développement d'activités créatrices d'emplois présentant un caractère d'utilité sociale, selon les termes du projet de loi, d'intérêt général proposons-nous, est une démarche nécessairement très qualitative.
Or, et c'est la première contradiction du texte qui nous est présenté, cette démarche a été immédiatement assortie d'un effet d'annonce et d'un objectif quantitatif : créer 350 000 emplois dans les trois ans qui viennent. La réussite politique du plan repose désormais sur la nécessité de « faire du chiffre ».
Il en résulte, tout d'abord, que les premières annonces d'emplois vont, à l'évidence, à rebours de la philosophie du dispositif telle que nous avons cru la comprendre. Ainsi, 20 000 emplois sont annoncés dans la police nationale, 45 000 dans l'éducation nationale et 3 500 à la justice. Voilà donc déjà près de 70 000 emplois qui seront financés à 100 % par le budget général, et 20 % de l'objectif des 350 000 emplois sont atteints.
Mais ces emplois relèvent à l'évidence de la fonction publique la plus classique et des missions les plus traditionnelles de l'Etat. Ils ne donnent pas une « image exacte » du dispositif annoncé et personne ne doute - beaucoup d'amendements seront présentés dans ce sens - qu'ils seront, à terme, intégrés dans la fonction publique.
Aussi, pour lever toute ambiguïté, la commission des affaires sociales, dans sa majorité, a décidé de leur faire un sort à part et de dire nettement que ces contrats seront de droit public. Dans les faits, c'est une nouvelle sorte de fonction publique et il ne faut pas mélanger ces emplois avec les emplois émergents qui répondent à des besoins nouveaux.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Mais un grand nombre d'entre nous sont inquiets de cette démarche qui consiste à recruter massivement de nouveaux futurs fonctionnaires, en marge des règles traditionnelles de la fonction publique. De surcroît, il y a là, pour une classe d'âge, un effet d'aubaine dont la génération suivante ne profitera pas, sauf à poursuivre ces recrutements sur une longue période, ce qui reviendrait à s'orienter délibérément vers un gonflement continu des fonctions publiques de notre pays.
Il résulte ensuite de cet effet d'annonce et de cet objectif quantitatif que, naturellement, on est peu « regardant » sur le caractère véritablement nouveau des activités créées.
Les effets de substitution et d'éviction que comporte tout mécanisme volontariste de création d'emplois s'en trouveront accrus : effet d'aubaine pour les employeurs publics ou parapublics, mais également destruction parallèle d'emplois dans le secteur marchand, notamment pour toutes les petites entreprises qui s'étaient lancées dans ce secteur des métiers nouveaux.
La seconde contradiction du texte qui nous est présenté tient à l'ambition de pérenniser dans le secteur marchand les « vrais » emplois d'utilité sociale et à l'absence de mesures concrètes permettant de préparer cette évolution.
Madame la ministre, je ne mets pas en doute votre intention et celle du Gouvernement de faire évoluer un certain nombre d'emplois financés sur fonds publics vers de futurs métiers du secteur marchand - sur ce point, nous sommes très largement d'accord avec vous - mais le texte va à l'encontre de cette intention. (M. Alain Gournac approuve.)
Tout d'abord, vous allez confronter des jeunes sans expérience professionnelle à des activités nouvelles, parfois dans des domaines sensibles, vous allez les mettre en présence de personnes isolées, âgées, en difficulté, en bas âge.
En l'absence d'un dispositif renforcé d'encadrement et de formation, je ne vois pas comment ces activités pourront être exercées correctement, voire sans danger, pour les titulaires comme pour les usagers ; je ne vois pas comment elles pourront être professionnalisées, c'est-à-dire transformées en métiers susceptibles d'évoluer vers le secteur marchand.
Par ailleurs - et c'est le point le plus préoccupant du projet de loi - tout est organisé pour faire évoluer ces jeunes pendant cinq ans dans le cadre exclusif du secteur public, parapublic et associatif sans y associer, sinon marginalement, les entreprises et les professionnels. Là encore, je doute que les conditions dans lesquelles se déroulera cette expérience soient le prélude à une bonne intégration dans le secteur marchand.
Enfin, comme l'a souligné M. Chérioux, aucune référence n'est faite quant à une éventuelle participation de l'usager au financement des prestations envisagées.
Il est vrai, madame le ministre, que nombre de métiers évoqués ne « rencontrent » pas aujourd'hui un usager déterminé. Le dispositif s'inscrit donc dans une stratégie d'offre publique gratuite.
Je suis sceptique sur la possibilité de demander dans cinq ans aux usagers ou aux familles de financer un service dont, précédemment, ils auront bénéficié gratuitement.
La pression sera à l'évidence forte sur nos collectivités locales, sur les caisses d'allocations familiales, sur les associations subventionnées par des fonds publics, pour qu'elles continuent de satisfaire les besoins qui auront « émergé » sans avoir rencontré pour autant une demande « solvabilisée ».
M. Henri de Raincourt. Evidemment !
M. Jean Chérioux. C'est vrai !
MM. Alain Vasselle et Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Sur ces trois points, la majorité de la commission des affaires sociales, comme l'a indiqué notre excellent rapporteur, M. Louis Souvet, s'est efforcée de mettre le texte en harmonie avec vos intentions et avec les nôtres...
M. Jacques Mahéas. Vous êtes trop bons !
M. Henri Weber. Quelle condescendance !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. ... et d'y insérer les mécanismes permettant, d'une part, de favoriser la professionnalisation de ces métiers nouveaux, l'encadrement et la formation des jeunes qui les occuperont et, d'autre part, sinon de garantir - mais c'est impossible - du moins de donner une chance à ces emplois d'évoluer dans les meilleurs délais vers le secteur marchand.
Il reste que, dans une économie moderne ouverte sur le monde et donc confrontée à la concurrence, la création d'emplois publics pour résorber le chômage - fût-il le chômage des jeunes - est un instrument inadéquat qui se retourne rapidement contre l'objectif poursuivi.
Le projet dont nous allons débattre est évidemment marqué par cette idée. Mais il faut reconnaître qu'il tente d'orienter les jeunes vers des métiers émergents et des besoins non satisfaits ; il faut donc conjurer le risque de le voir se transformer en un simple recrutement d'une fonction publique au rabais.
C'est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales, dans sa majorité, s'est efforcée de valoriser la partie du texte qui pourrait éviter la déception, voire l'échec.
Déjà, nous constatons que la croissance que nous connaissons en ce moment est plus riche en emplois qu'elle ne l'était il y a quelques années. C'est dans cette voie qu'il faut poursuivre : l'adaptation du marché du travail, l'allégement des charges des entreprises, la réforme du système de formation, la décentralisation des aides au premier emploi, voilà les réformes qu'il convient de poursuivre pour rejoindre le petit groupe des pays industrialisés qui ont su réduire le chômage et favoriser l'insertion professionnelle des jeunes.
Mes chers collègues, la France ne peut pas aller à l'encontre de ce que font ses partenaires et ses concurrents. Au début de mon propos, j'ai fait référence à l'esprit d'humilité qui doit nous imprégner dans ce débat difficile : je conclus en disant que l'acceptation des réalités est toujours préférable à l'affirmation de dogmes.
Nous n'avons pas le droit de décevoir les jeunes. Nous devons répondre favorablement à leur demande, mais nous avons le devoir de ne pas les engager dans des impasses. Mes chers collègues, c'est entre ces deux exigences que doit s'inscrire notre débat. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 58 minutes ;
Groupe socialiste, 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 41 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 35 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gournac. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. Madame le ministre, je vous ai écoutée avec attention exposer votre plan de création de 350 000 emplois-jeunes. Sachez que l'emploi est bien évidemment notre préoccupation majeure, notamment celui des jeunes touchés par le chômage. Cependant, nous refusons la politique de faux-semblants que vous nous proposez de suivre. (Rires sur les travées socialistes.)
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Tout en nuances, M. Gournac !
M. Alain Gournac. C'est pourquoi nous ne voterons pas en l'état votre projet de loi.
Quelle que soit la manière d'examiner votre texte et malgré vos nombreux efforts pour tenter de le camoufler, cela reste de l'emploi public, de l'emploi subventionné.
M. Guy Fischer. Vous trouvez normal de subventionner les patrons !
M. Alain Gournac. On peut aider à créer des emplois avec l'argent public, c'est vrai, mais à une seule condition : que ces emplois soient créés dans le secteur marchand ou susceptible d'y entrer, car ce sont les seuls qui génèrent de la richesse et donc de la croissance.
M. André Vezinhet. C'est dépassé !
M. Alain Gournac. C'est la politique que nous avons menée.
Nous avons créé les emplois de ville, qui ont très bien fonctionné. Les contrats initiative-emploi ont été étendus aux jeunes sortis du système éducatif sans qualification...
M. Gérard Delfau. Quelle réussite !
M. Claude Estier. Oui, c'est une réussite !
M. le président. Mes chers collègues, laissez M. Gournac s'exprimer !
M. Alain Gournac. Cela les gêne !
... et nous avons aidé le développement de l'apprentissage, mais toujours dans le secteur marchand.
Dans votre projet, vous avez choisi une autre voie. Vous nous présentez un texte qui ne concerne que la sphère publique, avec une dépense, au minimum, de 35 milliards de francs en année pleine, sans qu'il y ait un véritable projet pour les jeunes sans formation, sans issue, mais j'y reviendrai.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Cela s'adresse à des jeunes déjà formés, allons !
M. Jean Chérioux. Voilà bien l'intolérance de la gauche !
M. Alain Gournac. Ainsi, vous avez fait le choix de nous faire entrer dans ce cercle vicieux que vous vous appliquez à nouveau à tracer : plus de dépenses, plus de déficits, plus d'impôts, plus de charges, et donc moins de richesses créées, moins d'emplois.
C'est une voie diamétralement opposée à celle qui est pratiquée par nos partenaires européens depuis quelques années.
Je prends l'exemple hollandais. Les Pays-Bas sont, parmi les pays européens, celui qui présente les meilleurs indicateurs, avec un taux de chômage extrêmement bas et une excellente compétitivité.
Les cotisations patronales sur les bas salaires ont notamment baissé, avec le résultat que l'on connaît : on réduit massivement le chômage tout en continuant à créer de l'emploi public pour satisfaire les besoins sociaux ou ceux qui sont liés à la protection de l'environnement, mais dans des proportions raisonnables : de l'ordre de 40 000 de 1996 à 1998.
Mme Joëlle Dusseau. Ils sont moins peuplés que la France !
M. Alain Gournac. On connaît donc les recettes qui donnent de bons résultats. Elles ont été expérimentées avec succès. Alors pourquoi nous proposer de faire le contraire ?
Madame le ministre, je voudrais néanmoins saluer chez vous une double performance.
Dans votre texte, il est admis que la difficulté de créer de nouveaux emplois réside, premièrement, dans la rigidité du code du travail et, deuxièmement, dans des coûts salariaux trop élevés.
Or, lorsque les coûts salariaux sont trop élevés, vous, en bonne socialiste, vous réagissez en créant de l'emploi subventionné, hors du secteur marchand, et, qui plus est, sans organiser aucune passerelle vers le secteur privé. Il serait donc bien plus efficace d'alléger les charges pesant sur les salaires.
Quant à la rigidité du code du travail, quel ne fut pas mon étonnement lorsque j'ai découvert ce CDD de cinq ans, contrat hybride empruntant les caractéristiques du CDD comme du CDI ! Quelle ironie que ce soit vous, madame le ministre, qui écorniez si fortement les garanties que le code du travail offre aux salariés !
Je suis persuadé que beaucoup aimeraient voir étendre ce nouveau contrat à l'ensemble des employeurs privés ou publics, sans aide publique, bien entendu. Mais j'empiète peut-être sur votre second plan pour le secteur privé.
Ayant toujours considéré le problème du chômage des jeunes comme un problème crucial, j'ai donc examiné votre texte avec le plus grand intérêt. Je vous avoue être allé de surprises en indignation.
Première surprise : on ne connaît pas la nature des emplois créés. Ces emplois sont très vaguement définis dans le texte. En gros, vous comptez sur des besoins tout aussi peu clairement identifiés pour les préciser.
Ayant lu avec attention la liste de ces emplois, je vous avoue avoir mieux compris pourquoi elle n'avait pas fait l'objet d'une large publicité dans la presse !
Il y a dans Alice au pays des merveilles une forêt où les animaux, en y entrant, perdent leur nom. Dans votre forêt, madame le ministre, parce qu'il y a du conte de fée dans tout cela, les pseudo-emplois, eux, trouvent un nom : « animateur de nature », « agent d'écoute », « promoteur des pays », « agent d'aménagement des haies et des fossés », « assistant de convivialité à domicile »...
D'autres emplois sont plus porteurs. Mais se pose alors le problème de la formation des jeunes.
Puisque vous avez pour objectif l'absorption de ces emplois par le domaine privé, comme je vous ai entendu l'affirmer ce matin, n'aurait-il pas mieux valu aller chercher les nouveaux métiers ou les métiers à rénover, non encore solvables, mais pouvant le devenir, auprès des entreprises ? Pourquoi ne rien leur avoir demandé ?
On ne crée pourtant pas d'emplois sans employeur. Tout au plus crée-t-on un poste. Mais celui-ci ne crée aucune richesse. Un gros travail d'imagination doit donc être effectué avec les professionnels concernés.
La deuxième surprise a trait aux employeurs concernés. Ainsi que l'a affirmé le Président de la République, « c'est l'entreprise qui crée la richesse et l'emploi, c'est l'emploi privé qu'il convient de développer pour faire reculer le chômage, tout le reste est fallacieux ».

C'est dans le secteur marchand qu'il aurait fallu créer ces emplois.
Mme Hélène Luc. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
M. Alain Gournac. Vous restez prisonnière, pardonnez-moi de vous le dire, madame le ministre, d'une conception dépassée de l'entreprise faisant des profits au détriment de ses salariés, et qu'il ne faut donc pas aider.
Mais, si on utilisait l'argent que vous voulez consacrer à ce plan pour créer des emplois nouveaux, le résultat serait sans doute bien meilleur et apporterait une solution au problème de la passerelle de l'emploi public à l'emploi privé que notre pays rencontrera inéluctablement dans cinq ans.
En outre, êtes-vous consciente de la concurrence déloyale que vous risquez de créer, malgré les contrôles que vous dites vouloir imposer, car j'imagine mal que les autorités compétentes chargées de contrôler votre dispositif refusent des créations d'emplois ?
Certains ont évalué cette destruction de l'emploi dans le secteur marchand à près de 100 000.
Enfin, vous nous avez dit que c'est le particulier qui devra payer plus tard quand les emplois seront solvables. Croyez-vous sincèrement que les usagers, après en avoir pris l'habitude, accepteront de payer ce qui aura été gratuit pendant cinq ans ? J'en doute. Sauf si le jeune a appris un vrai métier correspondant à un vrai besoin. Or, cette vraie compétence, il ne peut pas l'acquérir dans la plupart des emplois publics que vous proposez.
La troisième surprise a trait au public concerné par votre dispositif. Vous avez choisi de centrer vos efforts sur les jeunes, sans autre critère que la date couperet de leur 26e ou 30e anniversaire s'ils ne touchent pas d'allocation chômage.
Et les autres, madame le ministre ?
Vous n'avez pas inscrit ce plan en faveur des jeunes dans une politique globale de l'emploi. Et les chômeurs de plus de deux ans d'ancienneté, les RMistes, les personnes handicapées ? J'en oublie !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il fallait vous en occuper !
M. Pierre Mauroy. Qu'avez-vous fait, vous ? Vous exagérez ! Vous avez eu le pouvoir, quand même !
M. Alain Gournac. Vous, vous l'avez eu pendant quatorze ans !
M. le président. Mes chers collègues, laissez parler l'orateur, s'il vous plaît.
M. Jean-Louis Carrère. Parler, mais pas crier !
M. Alain Gournac. Ne croyez-vous pas que vous allez les repousser encore un peu plus loin et leur donner le sentiment que notre société aujourd'hui les rejette ?
Par ailleurs, vous allez assister arbitrairement une classe d'âge. Ceux qui vont venir après, quand il n'y aura plus d'argent, pourquoi seraient-ils pas à leur tour aidés ?
Vous allez créer la « génération Aubry », celle des assistés qui ne connaîtront jamais l'économie de marché.
M. Pierre Mauroy. C'est mieux que la « génération Juppé » !
M. Alain Gournac. Pourquoi ne pas accepter un critère relatif à la qualification ? Je sais bien que les jeunes diplômés ont eux aussi des difficultés à trouver des emplois qualifiés, mais ils sont loin de connaître les mêmes difficultés que ceux qui ont été exclus du système scolaire.
L'emploi des jeunes diplômés, c'est un problème d'emploi différent. Ce que l'on constate, c'est l'inadéquation entre les diplômes et le monde du travail. C'est donc là un problème qui touche notre système d'enseignement.
Ce sont donc surtout les exclus du système scolaire qu'il faut aider en priorité afin de leur apporter la qualification nécessaire à une meilleure insertion dans le monde du travail.
Par ailleurs, comment imaginer que certains emplois dont vous nous avez parlé - médiateurs pénaux, agents d'ambiance dans les transports ou les cités - qui réclament une grande maturité et une longue expérience puissent être occupés par des jeunes de dix-huit à vingt-six ans, même diplômés ?
En revanche, certains emplois ne sont pas qualifiés. N'allez-vous pas décevoir les jeunes qui, qualifiés, vont les occuper ?
M. Jean-Louis Carrère. Moins que vous !
M. Alain Gournac. Enfin, parmi tous ceux qui se proposent d'accueillir des emplois-jeunes, je n'entends parler que de jeunes ayant bac + 2 ou + 4.
Les jeunes non diplômés auront-ils leur chance ? Vous allez nécessairement créer une nouvelle discrimination envers eux.
Enfin, ce texte est particulièrement imprévoyant puisque, à aucun moment, vous n'envisagez la sortie du contrat à l'issue des cinq ans. Or, il paraît, madame le ministre, que gouverner, c'est prévoir.
Vous espérez, vous souhaitez, vous imaginez, mais rien de concret n'est venu compléter votre texte. Les jeunes - il ne faut pas les tromper - sont l'avenir de notre pays, or vous leur préparez un drôle d'avenir !
Ce que nous voulons, c'est que ces emplois débouchent sur une véritable insertion dans le marché du travail par la pérennisation de l'emploi, qui doit être transféré au secteur marchand.
Nous savons tous que la seule chance de ces jeunes, c'est d'être qualifiés pour un métier, c'est d'être formés. Comment avez-vous pu présenter un projet de loi initial sans prévoir cette formation ? C'est un mystère ! L'amendement que vous avez fait adopter à l'Assemblée nationale demeure largement insuffisant. La proposition de M. Louis Souvet d'appliquer le système de l'apprentissage dans l'emploi des jeunes est excellente. J'espère que vous y souscrirez, car cela permet notamment de sauver la filière de la formation par alternance, dont la mort est programmée par ce texte.
Comment imaginez-vous qu'un jeune accepte d'être payé entre 50 % et 75 % du SMIC, même si on le forme à un métier, alors qu'il pourrait être payé 100 % du SMIC, sans faire l'effort de se former ?
Enfin, j'insiste sur la nécessité du tutorat, que nous avons exploité dans le département des Yvelines avec le plan « Mille Emplois », dont on parle beaucoup.
M. Pierre Mauroy. Dans les Yvelines !
M. Alain Gournac. C'est le seul moyen efficace d'assurer une formation qualifiante du jeune, et j'applaudis à l'idée de notre rapporteur de créer un dispositif d'encadrement par les demandeurs d'emplois sans condition d'âge afin que cesse enfin ce que je dénonce depuis de nombreuses années comme la perte du savoir de ceux qui sont exclus du marché du travail, notamment en raison de leur âge, alors même qu'ils sont parfaitement aptes à remplir les missions d'encadrement envisagées.
Enfin, se pose la question de la fonction publique territoriale bis qui sera ainsi peu ou prou créée. Vous m'objecterez qu'il s'agit de contrats de droit privé. Ce que je constate, c'est que ce seront des emplois peu onéreux pour les collectivités. Les effets d'aubaine seront donc énormes.
Comment une collectivité territoriale ne serait-elle pas tentée de remplacer les départs à la retraite par des emplois-jeunes ? Il suffit de créer de nouveaux postes et de leur affecter des missions sociales ou liées à l'environnement
Par ailleurs, je n'ose imaginer la pression qui va s'exercer sur les collectivités territoriales et le clientélisme qui risque d'en découler. Comment les communes vont-elles financer les 20 % restant à leur charge, voire souvent bien plus en raison des coûts liés à l'équipement d'un poste de travail, à l'encadrement, aux fournitures et à l'éventuel dépassement du SMIC dans le cas où le jeune est qualifié ?
Les budgets des collectivités locales vont nécessairement augmenter, à moins que les dépenses en investissement, déjà si rares, ne soient réduites, avec les conséquences sur l'emploi privé que l'on sait. Certaines communes trop pauvres ne pourront pas alourdir la fiscalité locale et n'auront donc pas la possibilité d'embaucher des jeunes.
Dangereux et pervers, le système ouvre la porte à tous les abus. Je redoute les conséquences qui en découleront.
Enfin, vous allez créer plusieurs dizaines de milliers d'emplois dans la police, l'éducation nationale et la justice.
Mise à part la dérogation prévue pour les adjoints de sécurité de la police, ces jeunes n'auront aucun statut, aucune garantie de l'emploi et ne recevront pas la rémunération correspondant à leur qualification. On se demande qui est l'exploiteur ? Est-ce vraiment les entreprises ? (Protestations sur les travées socialistes.)
Mme Joëlle Dusseau. Tout de même !
M. Pierre Mauroy. Comment peut-on tenir de tels propos ?
M. Alain Gournac. Ces emplois seront pérennisés dans la fonction publique. En effet, comment refuser de titulariser ceux qui auront bien travaillé pendand cinq ans et acquis de l'expérience ?
Comment expliquerons-nous aux autres jeunes, qui n'auront pas eu la chance d'être de la « génération Aubry », qu'ils doivent, eux, passer les concours de la fonction publique ?
En outre, quel scandale que M. Allègre, avant le début des travaux du Parlement, ait annoncé le recrutement de 40 000 personnes ! C'est très facile de proposer Noël en septembre, c'est très populaire !
M. Pierre Mauroy. Vous en savez quelque chose !
M. André Vezinhet. Vous êtes expert, vous vous y connaissez !
M. Alain Gournac. Mais prenez garde, l'enthousiasme que vous avez attisé ne va-t-il pas se transformer en amertume chez tous ceux qui ne seront pas acceptés en raison du trop grand nombre de candidats ou qui découvriront la nature fantaisiste de ces emplois que vous leur proposez ? (Brouhaha sur les travées socialistes.)
M. le président. Mes chers collègues, laissez parler l'orateur !
M. Pierre Mauroy. Ces propos sont renversants !
M. Alain Gournac. De plus, je redoute que vous ne détourniez les jeunes de leurs études en leur offrant une voie facile, mais médiocre.
Si je prends l'exemple de l'éducation nationale, je me demande qui va les encadrer, les former. Les professeurs ne travaillant pas trente-neuf heures, va-t-on appliquer à ces jeunes les horaires de l'éducation nationale et leur octroyer les vacances scolaires ? De plus, quelle sera leur autorité de tutelle ?
Pour ce qui est du ministère de la justice, ces mêmes inquiétudes prévalent : qui va encadrer ces jeunes ? Comment va-t-on assurer la confidentialité, indispensable dans ce milieu ?
Voilà autant de questions sans réponse, qui ne doivent pas occulter le fond du problème.
Avons-nous les moyens financiers de recruter des fonctionnaires pour effectuer certaines missions qui pourraient peut-être améliorer les services publics, mais qui demeurent secondaires ? A cette question, je réponds : non !
Les Français entretiennent un des Etats les plus chers du monde, a rappelé tout à l'heure le président de la commission, et on ne peut indéfiniment augmenter les prélèvements, bien qu'apparemment les premières annonces faites sur le projet de loi de finances semblent montrer que vous souhaitiez relever le défi.
Comme vous savez que vous n'en avez pas les moyens, vous créez cette fonction publique au rabais. Mais les conséquences seront graves. Vous allez grever les finances publiques pour de nombreuses années. Peut-être pensez-vous que vous ne serez plus aux commandes quand cela explosera et qu'il importe peu !...
M. Jean-Louis Carrère. Tout dépend quand le Président de la République décidera de dissoudre ! (Rires sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac. Parce que ces emplois sont un mirage que l'on fait scintiller devant les yeux des jeunes, mais qui finira par s'évanouir et ne laissera que le désert, nous sommes contre la création de ces emplois dans le secteur public.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Alain Gournac. Puisque ces emplois - vos emplois, en l'état du projet - n'auront jamais vocation à créer des richesses et à entrer dans le secteur marchand, nous considérons qu'il ne peut s'agir de vrais emplois et qu'ils s'ajoutent aux 350 000 emplois que vous vous êtes engagée à créer. Il serait bien trop facile, madame le ministre, de créer des emplois à coup de milliards. Tant qu'ils ne seront pas solvables, ils ne pourront entrer dans vos comptes comme promesse tenue.
Je voudrais, à présent, saluer le remarquable travail de réécriture du texte auquel s'est livré notre excellent rapporteur, M. Souvet. (Murmures ironiques sur les travées socialistes.)
M. Jean-Louis Carrère. Cireur de pompes !
M. Alain Gournac. Si la philosophie de ce nouveau texte ne correspond toujours pas à la nôtre - un projet de loi visant à alléger les charges sociales aurait été préférable - il n'a plus aucun point commun avec le projet de loi initial.
Pour conclure, je dirai que ce projet de loi tel qu'il nous a été présenté par Mme le ministre va entraîner des discriminations intolérables au moment où il faudrait resserrer le lien social. Toute une classe d'âge risque de se considérer en dehors de l'économie de marché. C'est vouloir refaire le lit d'une idéologie catastrophique.
Par ailleurs, comment pouvez-vous concilier ce nouveau plan d'aide avec la réduction des avantages fiscaux pour les emplois à domicile, qui va alimenter le chômage et le travail au noir ?
Il vaudrait mieux dépenser cet argent pour alléger la charge des artisans et des petites entreprises, qui pourraient alors créer, en bien plus grand nombre, des emplois durables et créateurs de vraies richesses.
Telle est notre philosophie ; c'est la seule possible pour un pays qui se veut moderne et a grand besoin de rattraper ses retards.
Notre groupe ne votera pas le projet de loi du Gouvernement. Il votera le contre-projet de la majorité sénatoriale, proposé par notre rapporteur, M. Louis Souvet, complété par les amendements que le groupe du RPR a déposés. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc. Allez le dire aux jeunes que vous ne voulez pas de ces emplois-jeunes !
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est donc dès son installation que le gouvernement de Lionel Jospin a souhaité lancer son ambitieux projet en faveur de l'emploi des jeunes.
Il en fait une priorité et entend mobiliser l'ensemble des acteurs pour livrer cette bataille contre un chômage frappant désormais près d'un demi-million de nos jeunes, qui représentent plus de 20 % des chômeurs, ce pourcentage étant supérieur à 40 % dans certains départements d'outre-mer ; notre collègue Claude Lise y reviendra.
Au-delà de ce chiffre dramatique, nous voyons tous les visages de femmes et d'hommes jeunes qui démarrent leur vie d'adulte avec pour toute perspective des refus polis en réponse à leurs innombrables lettres de candidature, au mieux, une succession de petits contrats, une pénible course d'obstacles pour obtenir un revenu qui leur permette de vivre décemment de façon autonome.
Voilà des jeunes qui, déjà, renoncent à former des projets d'avenir, qui doutent désormais de l'utilité de poursuivre des études.
M. le rapporteur, vous avez fort justement souligné que nous étions placés face à nos responsabilités. A nous donc de les assumer, en tant que législateurs bien sûr, en tant qu'élus locaux aussi, puisque telle est notre spécificité dans cette assemblée.
Le dispositif que nous propose le Gouvernement repose sur une démarche audacieuse : initier des emplois d'une nouvelle génération, susceptibles de satisfaire des besoins émergents et affectés notamment aux services aux personnes et à l'amélioration de la qualité de vie.
Belle utopie, nous dirons certains !
Mais les attentes sont pressantes : je pense ici à l'allongement de la vie qui, sans aide appropriée, se transforme trop souvent en drames, mais aussi à des besoins qui résultent du temps libéré autour de la culture, du sport, des loisirs ; je pense encore à tout ce qui ressort de la préservation et de la requalification de notre environnement.
Ces emplois font parfois l'objet de railleries dans certains milieux réputés sérieux.
Je ne pense pas qu'il y ait lieu de plaisanter lorsque l'on constate que ces emplois auront justement pour cible les carences, les perversions que sécrète notre société, qui génère l'exclusion sous toutes ses formes, la solitude et met en danger notre environnement.
Ces préoccupations rencontrent justement les aspirations des plus jeunes de nos concitoyens qui délaissent certaines formes traditionnelles d'engagement et entendent s'investir dans des actions concrètes de solidarité et de proximité.
Ces besoins nouveaux, ou non satisfaits, peu de collectivités ont déjà eu les moyens d'y répondre, ou simplement l'audace de le faire.
Le monde associatif, bien que particulièrement imaginatif, ne peut seul assumer cette responsabilité. Quant au secteur marchand, il ne s'est pas tourné vers des activités qui ne sont pas encore solvables, et donc tout simplement non rentables.
Il fallait donc la conviction et l'engagement massif de l'Etat pour créer une dynamique nouvelle originale.
Nous savons que c'est principalement sur ce point que se cristallisent les critiques. M. Gournac vient de nous présenter un joli couplet sur la question. Ces critiques déplorent l'investissement de fonds publics dans une telle opération ; il faudrait, paraît-il, limiter au seul secteur marchand la création de richesses et d'emplois ; est dénoncée la création d'une fonction publique bis.
Nous estimons pour notre part que, sur des enjeux de cette taille, l'Etat doit jouer un rôle indispensable de levier pour combattre une situation aussi anachronique qu'injuste. En effet, la France est riche, vous l'avez rappelé, madame la ministre, et nous relevons chaque jour des besoins non satisfaits alors que, parallèlement, le nombre de chômeurs va croissant.
Sans reprendre de façon détaillée le dispositif qui nous est proposé, je soulignerai quelques-unes des différences saillantes qu'il présente avec les systèmes de lutte contre le chômage imaginés antérieurement.
Ce dispositif vise un large public quel que soit son parcours scolaire. Nos collègues de l'Assemblée nationale ont, à juste titre, insisté sur la nécessité d'assurer un équilibre des profils dans les procédures de recrutement.
En attachant au contrat de travail des garanties importantes, celles du code du travail tout simplement, notamment en cas de conflit entre l'employé et son employeur, on évitera certaines des dérives qui sont intervenues dans d'autres dispositifs.
La création de ces 350 000 emplois devra se faire de façon décentralisée et concertée puisque ce sont les futures structures d'accueil publiques, parapubliques ou associatives qui seront à l'origine des projets soumis à l'agrément du préfet. Je reviendrai sur cet aspect de la question un peu plus tard.
Les travaux de l'Assemblée nationale ont permis d'identifier les écueils qu'il convenait d'éviter à tout prix.
Il s'agit tout d'abord d'éviter que ces emplois ne se substituent à des emplois déjà existants dans la fonction publique ou dans le secteur marchand.
C'est une question complexe, qui porte en elle des germes de dévoiement du dispositif. Le texte nous parvient donc amendé sur ce point.
En ce qui concerne les collectivités, nos collègues députés ont finalement retenu la référence aux « compétences traditionnelles » pour exclure de ce champ les nouveaux emplois et prévenir les dérives du dispositif.
Monsieur le rapporteur, vous nous proposez sur ce point une notion certes plus précise mais également plus restrictive.
J'ai cru comprendre que, lors de l'instruction des dossiers, il serait demandé au préfet d'apprécier les embauches au cas par cas, selon la spécificité de chaque collectivité. Cette ligne directrice exige donc de la souplesse et, dès lors, elle exclut un encadrement trop strict des critères de référence dans l'appréciation de la substitution.
En ce qui concerne les associations, l'Assemblée nationale a précisé utilement que la nouvelle embauche ne pouvait correspondre à la fin du contrat d'un salarié, quel qu'en soit le motif : un licenciement, un départ en retraite, etc.
Je relève que, sur cette question cruciale de l'évaluation du risque de substitution, le rôle du représentant de l'Etat est primordial.
Le groupe socialiste suggérera, dans un amendement, la mise en place d'un comité de proximité compétent pour aider le préfet dans sa mission.
Les débats à l'Assemblée nationale ont, par ailleurs, mis l'accent sur les risques de voir les plus qualifiés des candidats être choisis au détriment de ceux qui le sont moins ; c'est ce que l'on appelle, de façon un peu brutale, l'effet d'éviction.
Deux remarques s'imposent d'emblée.
D'une part, la liste indicative des emplois à créer fait appel à des profils totalement différents selon les secteurs d'intervention ; les formations initiales requises seront de ce fait variées.
D'autre part, ces nouveaux emplois, vous l'avez rappelé, madame la ministre, ne sont pas a priori des emplois d'insertion, pour lesquels il existe normalement des dispositifs mieux adaptés, qu'il convient à l'évidence de recentrer sur leurs objectifs originels, et je salue votre engagement sur ce point.
Pour maintenir un équilibre et une certaine justice, il est précisé que les procédures d'agrément devront tenir compte de l'exigence de recruter des jeunes qu'il conviendra de former. Nous retrouvons ici l'importance primordiale qu'aura cette procédure.
Il faudra également définir un cursus de formation adapté à ces nouveaux métiers ainsi que les conditions du tutorat dans la structure d'accueil. Ce sont des exigences fondamentales, sur lesquelles reposent le succès de ces nouveaux métiers et qui ont trop souvent fait défaut dans le cas des CES. Toutefois, il faut le dire, des imprécisions demeurent sur les contenus, les lieux et le financement de cette formation. Sur toutes ces questions, il conviendra d'apporter des réponses aussi précises que possible, madame la ministre.
L'Assemblée nationale a, par ailleurs, apporté des aménagements afin de jeter des passerelles entre les emplois-jeunes et d'autres dispositifs.
Elle a prévu le passage des CES, des emplois-ville, mais aussi des allocataires du RMI vers les emplois-jeunes.
Une telle opportunité sera également offerte aux jeunes qui ont choisi une formule de formation en alternance. Nous devrons nous assurer qu'un tel passage se fera bien à l'issue du contrat de qualification ou d'apprentissage.
Les députés ont également prévu des passerelles vers le secteur marchand : en rétablissant l'ACCRE, l'aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d'entreprise, au profit des jeunes qui aspirent à créer leur propre entreprise, d'une part ; en autorisant la possibilité de cumuler un CES avec un emploi à mi-temps rémunéré, d'autre part.
Les sénateurs socialistes approuvent ces options nouvelles, qui ouvrent d'ores et déjà ce dispositif vers le secteur marchand et permettent d'en envisager la consolidation.
En revanche, nous ne partageons pas la volonté de notre rapporteur et de la majorité de la commission des affaires sociales de faire un amalgame entre, d'une part, ce qui relève de l'initiative du Gouvernement et des structures d'accueil visées dans ce projet de loi et, d'autre part, le deuxième volet du programme « 700 000 emplois pour les jeunes », qui visera à intégrer des jeunes dans les entreprises privées. Ce deuxième volet ressortira des négociations avec les partenaires sociaux qui se dérouleront lors de la toute prochaine conférence sur l'emploi et les salaires. C'est pourquoi nous estimons que ce qui nous est proposé par la commission constitue un dévoiement du dispositif.
Le groupe socialiste souscrit aux orientations inscrites dans le projet de loi modifié par l'Assemblée nationale. Nous proposerons cependant de l'amender sur les points qui nous semblent particulièrement sensibles.
Je me permettrai d'insister sur certains de ces points.
Nous pensons que la réussite de ce texte ambitieux repose sur la mobilisation de l'ensemble des acteurs locaux, sur la viabilité des projets retenus et sur le respect des objectifs définis dans les conventions, notamment en termes de formation.
Madame la ministre, vous avez déjà indiqué que les services des directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle seraient naturellement amenées à exercer un contrôle sur la réalisation des conventions.
Il serait judicieux d'encourager la création de comités de pilotage de proximité - à l'échelle d'un bassin d'emplois, par exemple - composés des acteurs de terrain, tels que des intervenants dans les ANPE ou les missions locales, des élus, des représentants des partenaires sociaux, des membres des chambres consulaires. Ces différents acteurs, par leur connaissance des réalités locales, sont mieux à même d'appréhender la pertinence d'un projet, ses chances d'intégration dans le tissu économique local, le suivi du parcours des jeunes, la sortie du dispositif à l'issue du contrat de travail. Ils sont en outre susceptibles d'assurer - et ce n'est pas le moins important - une veille permanente sur le non - dévoiement de ce dispositif, notamment en termes de substitution.
Toujours dans le souci de favoriser la réussite de ces projets, et singulièrement l'accueil des jeunes dans les structures publiques ou parapubliques, nous estimons que la consultation des institutions représentatives telles que les comités techniques paritaires devrait avoir lieu préalablement à la signature de la convention. C'est une nuance importante que nous souhaiterions voir figurer dans la loi.
Ce sont en effet ces agents qui assurent au quotidien l'exercice d'un service auprès du public et qui, de ce fait, mesurent les demandes de ce public ainsi que les carences existantes. Ce sont eux qui assureront l'accueil et le plus souvent la formation de base de ces jeunes dont ils seront les collègues ; il existe à cet égard une difficulté que nous ne devons pas sous-estimer : la coexistence au sein d'un même service de plusieurs salariés sous statuts différents.
De l'articulation entre leur travail et celui des nouveaux emplois dépendra vraisemblablement la réussite du dispositif ; d'où la nécessité de solliciter leur adhésion.
Madame la ministre, vous avez rappelé à plusieurs reprises que la liste des vingt-deux métiers, largement médiatisée, n'était pas exhaustive.
Le groupe socialiste vous saisit donc de deux nouvelles propositions que nous avons choisi de vous soumettre sous forme d'amendements. Je laisse à mes deux collègues et amis, Monique Cerisier-ben Guiga et Georges Mazars, le soin d'en présenter la philosophie. J'espère que la discussion que nous aurons à propos de ces propositions portera ses fruits lors de l'entrée en vigueur de ce texte.
L'ensemble des débats met en évidence le rôle primordial que joueront les collectivités et leurs établissements, de même que les associations.
Les députés ont souhaité à juste titre que, dans une proportion des trois quarts, les emplois ainsi créés résultent d'initiatives locales. Il est évident que c'est à ce niveau que les acteurs sont le mieux à même de proposer des projets correspondant à de nouveaux métiers, propres à satisfaire des besoins émergents, et des activités nouvelles liées à l'évolution de notre société.
Plus que quiconque, ils ont la capacité d'inventorier une large panoplie des emplois possibles entrant dans le champ du développement économique et marquant ainsi une rupture avec des dispositifs anciens qui ont trop souvent une connotation de « petits boulots ».
Les collectivités et les associations revendiquent une place en première ligne sur les emplois-jeunes. Vous engagez très significativement l'Etat auprès d'elles par une contribution financière importante et régulière durant cinq ans.
Vous n'ignorez pas, cependant, que certaines parmi les plus pauvres - et qui sont donc aussi parmi celles qui comptent le plus de chômeurs - rencontreront d'énormes difficultés pour trouver les 20 % restant à leur charge.
Au-delà de la possibilité de constituer des groupements d'employeurs, le projet de loi prévoit le recours au partenariat, notamment avec les régions et départements. Mon collègue Roland Huguet évoquera cet aspect du dispositif. D'autres partenariats sont possibles. Vous pourrez nous préciser, madame la ministre, quelles pistes vous allez dégager pour aider les collectivités dans leur recherche de fonds complémentaires.
Madame la ministre, nous avons la conviction que l'engagement des socialistes concernant l'emploi des jeunes durant la dernière campagne électorale a été déterminant dans le choix des Français. Nous savons que ce projet de loi ne représente qu'un volet d'un dispositif d'ensemble, lequel comprend notamment une importante négociation avec les partenaires sociaux, qui devrait aboutir à la création d'autres emplois pour les jeunes dans les entreprises mais aussi à une réduction du temps de travail suffisamment significative pour générer d'autres emplois.
Votre détermination, l'engagement d'une majorité de parlementaires, des collectivités et du monde associatif doivent assurer la réussite des dispositions législatives que nous examinons aujourd'hui. Celles-ci sont certainement perfectibles et demanderont un suivi sérieux, une évaluation que nous ferons avec vigilance.
Nous savons que, au-delà des 350 000 jeunes qui vont pouvoir se projeter dans l'avenir, ce sont de très nombreuses familles françaises qui vont sentir se desserrer l'étau de l'angoisse du lendemain, et nous croyons que les nouvelles portes ainsi ouvertes contribueront à redonner confiance et à provoquer un élément déclencheur face à des comportements de consommation aujourd'hui très frileux.
Madame la ministre, nous sommes collectivement soumis à l'obligation de résultats. Nous considérons que ceux-ci ne sauraient être obtenus si l'on suivait les propositions de notre rapporteur.
En revanche, sur vos propositions, vous pouvez être assurée du soutien des socialistes. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, en introduction, de dire la satisfaction que j'éprouve à constater que le premier texte d'origine gouvernementale dont la commission des affaires sociales se trouve saisie depuis les dernières élections législatives est relatif à l'emploi, en particulier à l'emploi des jeunes.
Avant la tenue de la Conférence sur l'emploi, la réduction du temps de travail et les salaires, avec le futur texte sur l'emploi des jeunes dans les entreprises, deuxième volet de la lutte contre le chômage des jeunes, le présent projet de loi s'inscrit dans la mise en oeuvre des engagements que la nouvelle majorité de gauche a pris devant les électeurs.
En fait, c'est bien sur la capacité de ce dispositif à apporter des solutions durables au drame du chômage, à la montée de la précarité et de l'exclusion que nous serons jugés.
La situation actuelle est catastrophique. Plus de cinq millions de personnes sont, de fait, à la recherche d'un véritable emploi. Chez les jeunes de moins de vingt-six ans, 630 000 chômeurs étaient officiellement comptabilisés par l'ANPE en juillet dernier. Mais ce chiffre n'inclut pas les centaines de milliers de jeunes qui alternent petits boulots, CES ou stages plus ou moins qualifiants et périodes de chômage.
Ces jeunes connaissent un taux de chômage deux fois plus élevé que la moyenne du pays. Si 190 000 d'entre eux sont diplômés, titulaires du baccalauréat ou d'un diplôme bac + 2, 340 000 n'ont pout tout bagage qu'un CAP ou un BEP et 65 000 sortent de l'école sans qualification aucune.
L'urgence est là et le manque d'emplois accessibles à cette génération se fait chaque jour cruellement sentir. A preuve, l'incroyable ruée vers les guichets des rectorats depuis l'annonce de la mise en place du plan emploi- jeunes dans l'éducation nationale. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, les étudiants et les hauts diplômés sont prêts à accepter des postes ne correspondant pas à leur qualification, alors que les non-diplômés ressentent véritablement les effets de l'exclusion.
Le président de la commission des affaires sociales, M. Jean-Pierre Fourcade, a affirmé que l'échec des politiques de l'emploi menées jusqu'à présent était un « échec collectif ».
Sans vouloir polémiquer, je crois pouvoir dire qu'il s'agit avant tout de l'échec d'une logique, celle de la baisse du coût du travail par une subvention directe à l'emploi et l'exonération des charges sociales. Cette logique conduit à l'impasse.
Car, de loi quinquennale pour l'emploi en CES ou en CIP, toutes ces politiques d'aide, qui ne sont assorties d'aucun contrôle quant à la baisse du coût du travail, à défaut de faire baisser le chômage, auront largement contribué à propager la précarité par simple effet de substitution et finalement participé à la destruction d'emplois. Cette politique a abouti à tirer vers le bas toute la structure des salaires, alimentant ainsi l'insuffisance de la demande et des qualifications, favorisant la course vers les placements financiers au détriment, en fin de compte, de la croissance réelle et de l'emploi.
Face à ce constat d'échec, je ne peux que me féliciter, madame la ministre, que vous annonciez vouloir « inverser la logique ».
Votre projet de loi affiche en effet l'ambition de rompre avec le type d'aides à l'emploi qui s'est développé jusqu'à présent avec les CES, les CEC et autres emplois-ville, et d'aller vers une professionnalisation de l'emploi, avec une réelle efficacité sociale.
Votre texte tend ainsi à favoriser l'essor de nouvelles activités correspondant à des demandes dont l'émergence serait entravée par les conditions actuelles du marché.
A cette fin, le Gouvernement s'engage à assurer la prise en charge sur cinq ans, à hauteur de 80 % du SMIC, charges comprises, du financement de chaque emploi répondant aux critères d'utilité sociale.
L'employeur, qui pourra être une collectivité territoriale, un établissement public ou une association, devra verser les 20 % restants ou aller au-delà, cette part pouvant faire l'objet d'un cofinancement.
Deux formes de contrat de droit privé sont prévues : il pourra s'agir soit d'un CDI, soit d'un CDD de cinq ans, pouvant être rompu chaque année par l'employeur en cas de motif « réel et sérieux », c'est-à-dire, je le rappelle, de motif permettant le licenciement d'un salarié employé sous contrat à durée indéterminée.
Pour ma part, je pense qu'il est nécessaire d'éviter certains écueils et de lever certaines des ambiguïtés qui peuvent subsister dans un texte que, par ailleurs, le groupe communiste républicain et citoyen soutient globalement.
Je crois que vous avez vous-même conscience, madame la ministre, de certaines insuffisances, puisque vous avez souscrit à une amélioration déjà sensible du texte lors de son examen par l'Assemblée nationale.
Je me félicite, en particulier, que nombre des propositions faites par mes amis du groupe communiste de l'Assemblée nationale aient été adoptées. Je pense notamment à des amendements permettant une meilleure prise en compte de la dimension démocratique du dispositif. Ainsi, les conventions prévues à l'article L. 322-4-18 du code du travail seront « établies en concertation avec les partenaires sociaux », et les comités techniques paritaires en seront informés.
Je pense encore à l'inscription, dans les conventions, des modalités de qualification et de formation professionnelle. Il s'agit là d'une amélioration importante.
La formation est en effet un élément essentiel de la pérennisation : répondre à des besoins non satisfaits implique l'expérimentation, donc un travail de construction et de définition des nouveaux emplois qui réclame, à l'évidence, un effort important en termes de qualification et de formation. Nous pensons d'ailleurs qu'il faut aller plus loin à cet égard.
Le projet de loi évoque ainsi des métiers nouveaux. Mais tant que l'on ne les aura pas consolidés en assurant la qualité du service rendu, on ne pourra pas faire en sorte que de vrais emplois durables apparaissent et que de nouvelles entreprises se créent. Il faut donc que tous les jeunes concernés soient formés et qualifiés : s'ils ne devaient être employés que durant cinq ans, sans qu'aucune formation leur soit donnée, il ne s'agirait que d'emplois d'insertion. Nous devons, par conséquent, privilégier la professionnalisation.
Nous notons également avec satisfaction l'inscription dans le texte de la possibilité de verser une rémunération supérieure au SMIC.
Il est nécessaire, à mon sens, pour offrir des débouchés d'avenir aux jeunes, de tenir compte, en matière salariale, de leur qualification de départ et de leur progression durant les cinq ans. C'est pourquoi nous nous réjouissons de l'inclusion de ces contrats de travail dans les grilles de classification des conventions collectives nationales.
Il s'agit, là encore, d'un aspect important de la réussite du dispositif. En effet, l'institution de contrats de travail de cinq ans assortis d'une rémunération égale au SMIC pourrait constituer un progrès pour ceux d'entre les jeunes qui sont faiblement qualifiés, mais je crains que les emplois prévus par le projet de loi ne soient inaccessibles à la plupart des 250 000 jeunes en grande difficulté, parmi lesquels les plus pauvres, les très pauvres. (M. Gournac approuve.)
La question est posée : ces jeunes peuvent-ils attendre une prochaine loi contre l'exclusion ? A mon sens non, car il y a urgence.
En revanche, pour les plus qualifiés, il faut prendre garde que le contrat de cinq ans au SMIC ne constitue une régression.
En effet, selon l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, parmi les travailleurs ayant constamment été employés en France au cours de la période 1986-1991, ceux dont le salaire était bas en début de période étaient restés, en moyenne, pendant deux à trois ans dans cette situation. Je me félicite qu'une disposition nouvelle essaie de répondre à ce problème, en ouvrant la possibilité de suspendre le contrat, le temps pour le jeune d'effectuer une période d'essai suite à une offre d'emploi. Peut-être s'agit-il là d'une porte de sortie.
J'ai parlé des améliorations apportées au texte, mais il nous semble cependant que certains ajouts, comme la possibilité de conclure des contrats « à temps partiel sur dérogation accordée par le représentant de l'Etat », présentent des aspects dangereux.
Ne risque-t-on pas, en effet, de retomber justement dans la précarité que vous souhaitez combattre, madame la ministre ?
En outre, faut-il ouvrir la possibilité au préfet, ou à son représentant, de déroger à une règle générale ? Ne risque-t-on pas de constater une application du code du travail modulable selon les départements ?
Nous nous proposons de revenir sur ces innovations introduites par les députés, peu opportunes à notre sens.
Par ailleurs, nous mettrons en débat plusieurs propositions destinées à enrichir le texte et à permettre de lever certaines ambiguïtés qui, à mes yeux, subsistent çà et là.
Nous pensons, en particulier, qu'il est nécessaire de clarifier les rapports entre emplois-jeunes et fonction publique : la mise en place de ces emplois ne doit freiner ni l'évolution et la rénovation nécessaires du service public - je pense notamment au développement des nouvelles filières correspondant aux besoins publics, qui évoluent sans cesse - ni le recrutement sous statut.
Ne pas aller dans ce sens risquerait, par le déploiement de toute activité nouvelle correspondant à l'évolution des besoins vers les secteurs marchand ou associatif, d'interdire toute modernisation du service public.
En effet, contrairement à ce qu'affirme, par exemple, M. le rapporteur, les vrais emplois du futur se trouvent et dans le secteur marchand et dans le secteur public.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Guy Fischer. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous proposons que, lorsque l'employeur est une personne morale de droit public, les jeunes recrutés le soient par la voie de contrats de droit public. Cela permettrait en outre aux jeunes de bénéficier de l'ensemble des droits des contractuels, et de leur ouvrir dans les mêmes conditions, par la voie interne, les concours administratifs.
A ce propos, je voudrais évoquer certaines questions que soulèvent les dispositions de l'article 2 concernant les missions d'adjoint de sécurité.
Certes, ceux-ci bénéficieront d'un contrat de droit public, mais je crains que la période de formation de deux mois ne soit insuffisante, car ils devront assurer des missions de surveillance, d'îlotage et de relations avec les victimes, missions qui exigent une vraie formation et une réelle expérience professionnelle. En outre, une formation de deux mois, est-ce suffisant et raisonnable lorsque l'on nous annonce que certains de ces jeunes seront armés ? Nous proposerons donc de porter cette période à six mois. (Mme Luc opine.)
S'agissant du dispositif général prévu à l'article 1er, nous souhaiterions aller dans le sens d'une plus grande transparence favorisant l'intervention démocratique, qui constitue l'une des conditions du succès du plan emploi-jeunes.
Plus généralement, nous pensons que l'efficacité commande de rompre jusqu'au bout avec les politiques précédemment suivies en matière d'emploi. Ne pensez-vous pas, madame la ministre, qu'il serait nécessaire de réfléchir à des propositions nouvelles visant à une meilleure efficacité des financements et, par conséquent, à un abaissement des charges financières ?
D'ailleurs, le coût de la création de 350 000 emplois pour les jeunes représente non pas seulement le paiement des salaires, mais également le financement des investissements en matière de formation et d'encadrement.
Pour parvenir à une véritable pérennisation, il faudra donc dégager de nouveaux financements. Une réforme de la fiscalité locale apportant des moyens nouveaux aux collectivités territoriales s'impose, comme s'impose également une relance économique.
Ne pourrait-on organiser, avec les institutions financières, une solvabilisation et une pérennisation de nouvelles activités et de nouveaux emplois ?
Il s'agirait de définir d'autres principes de financement, en s'appuyant sur les fonds publics, afin de faire baisser les charges financières qui étranglent bien souvent les collectivités locales et les offices d'HLM. Notre groupe fera bien sûr d'autres propositions, que nous développerons au cours du débat parlementaire.
Je voudrais, pour conclure - et j'espère que vous pourrez nous rassurer, madame la ministre - insister sur les pièges dans lesquels certains voudraient nous faire tomber.
M. Gournac, dans son intervention, nous a d'ailleurs montré le visage réel de la droite la plus libérale. (Rires et exclamations sur les travées du RPR.)
M. Roland Huguet. Très bien !
M. Alain Gournac. Tant mieux !
M. Josselin de Rohan. Vous n'imaginez tout de même pas que nous allons utiliser votre langage ?
M. Guy Fischer. Je pense également, à ce propos, à plusieurs amendements de M. le rapporteur.
Selon nous, la création d'un nouveau CDD de cinq ans ne doit pas servir de prétexte au CNPF pour imposer, dans le privé, les « contrats de mission » ou « contrats d'activité », comme certains les appellent, qu'il préconise, et qui lui permettraient, d'une part, de faire du CDD la norme d'embauche et d'introduire une nouvelle flexibilité, et, d'autre part, de vider ce contrat de garanties que, du fait de son caractère précaire, il offre au salarié.
M. Nicolas About. C'est Mme Aubry qui crée les emplois précaires, ce n'est pas le CNPF !
M. Guy Fischer. Je pense en particulier à la difficulté de rompre avant terme ce type de contrat.
Nous tenons à réaffirmer que, en ce qui nous concerne, nous refusons que le dispositif prévu dans le secteur public puisse servir de base au système destiné aux jeunes, qui devrait se mettre en place dans le secteur privé. Nous comptons sur le Gouvernement pour faire preuve, dans ce domaine, de la plus grande vigilance.
C'est pour ces raisons que nous refuserons de voter les amendements de la commission des affaires sociales, qui prévoient le maintien de l'aide publique aux emplois transférés dans le secteur marchand avant le terme du contrat de cinq ans. Nous en reparlerons !
En conclusion, je crois que, avec ce texte, nous sommes tous placés devant une grande responsabilité. Allons-nous pouvoir répondre aux espoirs exprimés par les jeunes et par leurs familles ? Allons-nous permettre que s'ouvre enfin, pour les jeunes, un avenir moins sombre que celui auquel ils croyaient être promis ? A nos yeux, madame la ministre, le texte relatif aux emplois-jeunes constitue une piste d'envol, et non une ligne d'arrivée.
Pour sa part, et tel est le sens de nos interventions et de nos propositions, le groupe communiste républicain et citoyen est décidé à ne laisser passer aucune chance.
C'est pourquoi nous agirons pour assurer la réussite du formidable pari engagé au travers de ce texte : offrir un véritable emploi à tous les jeunes de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes. - Mme Joëlle Dusseau applaudit également.)
Mme Hélène Luc et M. Ivan Renar. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Madame la ministre, c'est peu dire que votre initiative forte est la bienvenue. Parmi nos 3 200 000 chômeurs, le nombre de jeunes de moins de vingt-cinq ans est d'au moins 600 000, soit pratiquement un chômeur sur cinq.
La France présente la triste caractéristique d'enregistrer un des plus fort taux de chômage de jeunes au sein des pays membres de l'OCDE, malgré un nombre record de jeunes en formation ou poursuivant des études. En outre, on sait à quel point l'emploi des jeunes, quand il existe, est scandé par les contrats à durée déterminée, par la crainte omniprésente de se retrouver au chômage et par le « slalom » entre le CDD, le stage « bidon » et l'ANPE.
Oui, il faut lutter contre la désespérance, redonner aux jeunes le minimum de stabilité, de confiance et d'espoir qui leur est nécessaire pour se lancer dans la vie avec quelque chance d'y réussir. Aussi donné-je fortement mon approbation à la création de ce que l'on appelle déjà les « emplois Aubry ».
Certes, dans ce premier volet visant à la création de 350 000 emplois sur fonds publics que vous nous présentez en urgence, un certain nombre d'interrogations subsistent. La plus importante concerne les emplois prévus par votre texte dans l'éducation nationale et dans la police.
Sur le plan financier, tout d'abord, ces deux ministères se comportent comme des collectivités territoriales, prenant sur leur budget le complément au financement à 80 % que vous apportez, madame la ministre : l'Etat complète l'Etat. Il y a déjà là une distorsion qui pose problème.
Mais, surtout, il est difficile de voir dans les emplois ainsi proposés des métiers émergents. L'animateur scolaire, dans un collège ou un lycée où l'on manquera de surveillants, aura du mal à ne pas faire de surveillance ; il sera un surveillant recruté sans concours, payé au SMIC et travaillant trente-neuf heures par semaine. Il y a là, pour aujourd'hui et pour demain, un vrai problème.
Il en est de même pour les auxiliaires de police. L'importance du manque d'effectifs dans ces deux secteurs ajoutée aux problèmes actuels des jeunes justifie aujourd'hui cette démarche. Elle ouvre cependant, pour demain, en termes de carrière, de pérennisation d'emplois, de menace de ce qu'il faut bien appeler une fonction publique bis, des difficultés qui seront à résoudre et qu'il ne faut pas sous-estimer. En ce qui concerne d'ailleurs la police, je suis opposée à ce que les jeunes ainsi recrutés soient armés, car cela me paraît à la fois dangereux pour les autres et pour eux-mêmes. Aussi ai-je déposé un amendement visant à faire en sorte que le port d'armes leur soit en tout état de cause interdit.
M. Gérard Delfau. Très bien !
Mme Joëlle Dusseau. Je poserai aussi des questions et formulerai des remarques sur les métiers émergents. J'ai bien compris qu'il ne faut pas prendre la liste au pied de la lettre et qu'il s'agit bien plus ici de pistes de recherches que d'exemples forcément à suivre. Il en est d'ailleurs d'autres, toute une série, qui sont encore un champ à explorer et qui sont, j'en suis sûre, porteurs d'avenir, qu'on puisse ou non envisager leur entière solvabilité future.
Mais il est tout aussi évident qu'un certain nombre de ces exemples, je pense notamment à l'accompagnement des chômeurs de longue durée, de malades du sida ou à d'autres activités de ce type, requièrent l'emploi de personnes qui ont à la fois une expérience professionnelle et une expérience de vie que ne peut avoir le public ciblé ici. Faut-il pour autant s'adresser à des personnes plus âgées et ouvrir l'éventail au-delà de trente ans ? Je ne le crois pas. Une trop grande dilution de la mesure la rendrait inefficace.
Il en serait de même si elle était ciblée trop exclusivement sur des publics en difficulté. Pour autant, il ne faut pas oublier ces publics et il convient, dans un avenir proche, de leur consacrer la même dose d'efforts financiers et d'imagination. En effet, nombre de ces « nouveaux métiers » vont être occupés - et c'est une bonne chose - par des jeunes ayant un niveau de diplômes élevé : bac + 2 souvent, mais peut-être parfois bac + 3 ou bac + 4 et même plus. Ne pourrait-on envisager dans ce dernier cas, c'est-à-dire lorsque les jeunes ont un niveau supérieur à bac + 2, d'inciter fortement les collectivités et les associations à majorer leur rémunération, soit financièrement, soit par une réduction du temps de travail ? Un des amendements que j'ai déposés va dans ce sens.
Je me trouve, madame la ministre, dans une situation particulière devant votre projet de loi. En effet, y étant favorable, je serai peut-être dans l'obligation de ne pas le voter si jamais les amendements de la commission des affaires sociales étaient retenus par notre assemblée. J'espère, bien sûr, ne pas être dans une telle situation.
Plusieurs sénateurs socialistes. Nous aussi !
Mme Joëlle Dusseau. Mais, je l'avoue, j'ai été un peu surprise par les arguments qui ont été présentés au cours de nos longues heures de discussion en commission et par certains aspects du rapport et certaines propositions de M. le rapporteur.
M. Alain Gournac. Elles sont bonnes !
Mme Joëlle Dusseau. Une partie des amendements qu'il propose détourne complètement la loi de son sens.
Je ne comprends pas la volonté d'alourdissement tatillon qui semble convenir à mes collègues de la commission. Je les ai connus en d'autres temps moins administratifs. Le contrôle préalable des dossiers par le CODEF, dont on connaît la lourdeur, ne peut que retarder des embauches. Nous sommes dans de l'innovant. Il faut garder de la souplesse. Je ne suis pas sûre que ceux de mes collègues qui voteraient cet amendement n'en sentiraient pas les premiers les effets de ralentissement une fois revenus dans leur collectivité, quand ils passeraient de l'état de législateur à celui d'usager de la loi.
M. Gérard Delfau. C'est juste !
Mme Joëlle Dusseau. Il en est de même du rapport annuel que préconise la commission. Je sais que le bilan est à la mode et croyez bien que je ne sous-estime pas son importance. Mais c'est parce que je trouve la notion de bilan importante que j'estime qu'on ne doit pas en faire une tarte à la crème, le mettre dans toutes les lois, le rendre annuel - et pourquoi pas semestriel tant qu'on y est ? - bref s'en servir comme un habillage ou comme un obstacle.
Le fait d'imposer dans la convention initiale, celle que les associations, les élus, nous-mêmes allons signer demain, une référence à la solvabilité de l'emploi me paraît relever aussi de l'obstacle initial volontairement posé. Certains de ces emplois pourront devenir parfois totalement ou partiellement solvables, d'autres non. Faut-il les écarter pour autant comme vous le proposeriez a priori ? Je ne le crois pas.
Il y a surtout une confusion entre les deux volets des emplois-jeunes, d'une part, le volet public et associations et, d'autre part, le volet privé. Le volet création d'emplois dans le secteur privé doit venir, et nous l'étudierons avec attention. Nous ne le connaissons pas encore mais ce n'est pas une raison pour faire bénéficier des aides publiques, ou plus exactement des salaires apportés par l'Etat, des entreprises privées. Rappelons d'ailleurs au passage que la France a le record de l'OCDE des aides à la création d'emplois privés, avec le plus fort pourcentage d'aide par rapport au PIB. Les piteux résultats sont connus.
M. Gérard Delfau. C'est du gaspillage !
Mme Joëlle Dusseau. D'ailleurs cette proposition est totalement illogique au regard de votre préoccupation de solvabilité des emplois, monsieur le rapporteur. D'un côté vous exigez que l'on envisage la solvabilité de l'emploi dès la convention initiale, de l'autre, vous proposez qu'après un certain temps l'aide de l'Etat aille à l'entreprise privée. Cela me paraît relativement incohérent, surtout si l'emploi est devenu solvable. De quelle garantie disposons-nous que, après avoir payé pendant deux ou trois ans le jeune avec les deniers publics, l'entreprise ne le jette pas purement et simplement à la rue, lorsque le contrat de cinq ans sera achevé ?
Tout cela n'est pas sérieux, même si des pistes doivent être recherchées pour le passage à l'autonomie financière et à l'entreprise, notamment individuelle, des services que l'on aura ainsi créés. J'espère d'ailleurs que sur ce point, à savoir les toutes petites entreprises à domicile, le deuxième volet que vous nous présenterez sur le secteur privé, madame la ministre, apportera des réponses et des innovations.
Il en est de même en ce qui concerne l'amendement relatif à l'apprentissage. Il n'a pas sa place dans ce texte pour deux raisons. D'abord, il n'a avec lui aucune articulation réelle. Vous en convenez d'ailleurs volontiers, monsieur le rapporteur. Ensuite et surtout, les types d'emploi par nature émergents et créatifs n'ont dans l'ensemble rien à voir avec l'apprentissage. Il s'agit ici bien plus souvent de bac + 2, en tout cas d'hommes et de femmes ayant des diplômes d'animateurs, de travailleurs sociaux, de savoirs humains dont la technicité, nécessaire, ne relève en rien de l'apprentissage actuel. Je ne crois pas que l'on serve l'apprentissage en le mettant, si vous me permettez l'expression, monsieur le rapporteur, à toutes les sauces.
J'espère donc vivement que la sagesse des représentants des collectivités locales que nous sommes, mes chers collègues, nous évitera de nous mettre en porte à faux devant nos mandants, les élus et notamment les maires, tous utilisateurs très prochains de ces dispositifs, quelle que soit leur couleur politique.
M. Souvet a parlé, je crois le citer correctement, de changement de philosophie du texte avec les amendements qu'il présente.
Gardons-nous, mes chers collègues, d'apparaître aux yeux de l'opinion publique comme des opposants de principe à une loi qui répond, certes imparfaitement, certes partiellement...
M. Alain Gournac. Alors, il faut l'améliorer !
Mme Joëlle Dusseau. ...mais fortement à la préoccupation essentielle de nos concitoyens : l'avenir de leurs enfants. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de loi sur lequel j'interviens aujourd'hui au nom de mes collègues sénateurs non inscrits nous a, reconnaissons-le, laissés longuement perplexes.
L'équation n'est pas simple : il s'agit de créer, par la dépense, c'est-à-dire l'impôt, 350 000 emplois permettant, selon vos propos, madame le ministre, à des jeunes « d'entrer durablement dans la vie active en véritables agents de développement économique » dans les secteurs public et associatif, et ce en dépit de la logique qui veut que dans le reste du monde l'interventionnisme de l'Etat en matière d'emplois et l'assistance étatique ne font plus recette depuis longtemps !
Toutefois, malgré ces considérations politiques générales, je tiens ici à souligner, à titre personnel, que, en tant que maire d'une petite commune de moins de 5 000 habitants, et comme nombre de mes collègues ici présents, je n'ai pas attendu ce texte de loi pour embaucher des jeunes en difficulté dans ma municipalité.
Votre texte, madame le ministre, de toute apparence nécessaire et qui vise à répondre à la demande pressante de notre jeunesse, est probablement pavé des meilleures intentions mais il aboutit à une voie sans issue, celle de la création de nouveaux emplois publics.
M. Alain Vasselle. C'est vrai !
M. Philippe Darniche. En effet, s'ils correspondent à une attente forte de nos jeunes concitoyens, les emplois publics que vous prévoyez s'adressent en priorité aux personnes en difficulté. Or le public visé dans le dispositif du texte de loi est à la fois trop large et trop restreint.
Il est trop large parce qu'il s'adresse à l'ensemble des jeunes, sans discrimination aucune. Mais les jeunes les plus qualifiés vont, de fait, évincer ceux qui sont les moins diplômés, alors qu'ils n'ont pas besoin d'un tel dispositif législatif. En effet, le taux de chômage des jeunes d'un niveau bac + 2 est de 7 % dans notre pays, tandis que celui des jeunes non qualifiés s'élève lui, à 47 %.
Au lieu d'enrichir de leurs compétences le secteur concurrentiel et privé, ces jeunes diplômés vont alourdir notre secteur public déjà trop important.
Trop restreint, ce projet de loi joue contre son propre camp !
En effet, trop restrictif dans son article 1er, alinéa 7, il oublie les adultes et fixe un seuil d'âge totalement arbitraire, à savoir trente ans. Or les emplois d'utilité sociale que vous souhaitez voir créés pour des jeunes uniquement demandent souvent maturité et expérience et doivent être ciblés en priorité sur les personnes adultes.
Pour ma part, je suis sûr que l'avenir jugera qu'il s'agissait, dans les faits, d'un texte coûteux, inadapté et injuste.
Le dispositif que vous proposez, madame le ministre, s'avère très coûteux dans les faits. Il nécessite 35 milliards de francs - 2 milliards de francs en 1997 pour la création de 50 000 emplois et 10 milliards de francs en 1998 pour le financement de 150 000 emplois supplémentaires - mais il s'affirme avant tout comme une énième « recette administrative » au problème de l'emploi des jeunes dans notre pays.
M. Alain Vasselle. C'est exact !
M. Philippe Darniche. Le mode de financement de ces nouveaux emplois publics pour les jeunes ne procède, en réalité, d'aucun redéploiement de crédits, mais repose bel et bien sur des dépenses supplémentaires.
Financer ces emplois par l'impôt va encore alourdir les charges des entreprises, petites et grandes, et nuire à la création de « vrais emplois » dans le secteur privé. Ce mode de financement menace donc, dans les faits, la création d'emplois dans ce secteur privé et concurrentiel qui, lui, crée des richesses.
D'où le sens de l'amendement que j'ai déposé à l'article 3, et qui a été cosigné par l'ensemble de mes collègues sénateurs non inscrits. En effet, dans les cinq prochaines années, il sera indispensable, selon moi, de dresser un bilan rétrospectif et prospectif de ces mesures pour mieux apprécier leur impact réel sur l'emploi, leur coût sur les finances publiques et leur contribution à la satisfaction des besoins couverts.
Le projet de loi est inadapté, car il est source d'exclusion et profondément catégoriel.
En instaurant des emplois uniquement publics, financés par l'impôt, ces jeunes vont venir grossir les effectifs de notre fonction publique déjà si importante et alourdir le poids de nos prélèvements obligatoires déjà prohibitifs.
M. Alain Vasselle. Eh oui !
M. Philippe Darniche. Pour ces emplois d'une durée de cinq années, sans formation aucune, sans contenu sérieux bien souvent, rien, dans votre projet de loi, n'a été prévu pour mettre en place un dispositif de transition vers un emploi solvable.
Ce projet de loi s'affirme par son injustice, car il exclut de l'aide que vous tentez d'apporter deux types de catégories de personnes sans emploi.
Il exclut, d'une part, les adultes en difficulté, en les renvoyant à un hypothétique texte sur l'exclusion dont on ne voit guère comment il serait financé compte tenu des dépenses déjà engagées pour mettre en place le dispositif du projet de loi que nous discutons aujourd'hui.
Il exclut, d'autre part, les jeunes en difficulté, en ne faisant aucune distinction au sein même de cette population. En réalité, n'ayons pas peur de l'affirmer, ce projet de loi conduit à l'éviction programmée des jeunes en difficulté par les jeunes qualifiés. Ceux-ci, au lieu d'enrichir le secteur concurrentiel et marchand, vont venir gonfler les effectifs de notre fonction publique alors même que les emplois d'utilité sociale sont destinés aux premiers.
Enfin, et malheureusement, ce texte me paraît injuste car il est inévitablement source d'insatisfactions.
Votre projet de loi, madame le ministre, ne s'accompagne d'aucune réelle formation, d'aucune perspective pour ces jeunes. Les conditions très favorables de l'aide de l'Etat porteront fortement préjudice aux formations en alternance, seules à même d'insérer durablement les jeunes dans un emploi stable.
Largement attirés par ce type d'emplois à courte vue, les jeunes diplômés sacrifient, dans les faits et aux dépens de ceux qui se trouvent depuis longtemps sans qualification, l'approfondissement de leur formation d'apprentissage ou la prolongation de leur cursus, qui auraient très certainement pu leur permettre de trouver un emploi à l'horizon des cinq prochaines années, en priorité dans le secteur privé. Les propositions qu'a faites la commission des affaires sociales vont d'ailleurs largement dans ce sens !
Ce texte est injuste pour les fonctionnaires, qui découvrent d'autres moyens d'accès à la fonction publique que le concours et qui se sentent à juste titre menacés par le risque de nivellement par le bas de notre fonction publique actuelle. Il va inévitablement en résulter une sous-fonction publique, source de rancoeur pour les titulaires de ces emplois et germe de déstabilisation de la fonction publique territoriale, puisque l'on aboutira probablement, à terme, à des vagues de titularisations d'office pour que ces jeunes demeurent dans le giron de la fonction publique.
Ce texte est également injuste pour ces jeunes qualifiés, dont la rémunération sera identique à celle qui est perçue dans les emplois moins qualifiés. En effet, en encourageant les jeunes à venir gonfler les effectifs de la fonction publique, il risque fort malheureusement de dévaloriser l'effort de formation tant par l'apprentissage que par la poursuite des études supérieures.
Ce texte est injuste, enfin, pour les communes pauvres où le nombre de chômeurs peu qualifiés reste souvent élevé, car aucune péréquation financière n'est prévue aujourd'hui entre elles et les communes riches. Un probable et prévisible désengagement de l'Etat, au bout de cinq ans, risque par ailleurs de contraindre les collectivités locales à payer l'intégralité des salaires de ces emplois-jeunes, emplois qu'il faudra bien pérenniser d'une manière ou d'une autre puisque beaucoup resteront insolvables.
Madame le ministre, plutôt que d'aider les jeunes les plus qualifiés à entrer activement et durablement dans le secteur marchand, vous les encouragez à prendre des emplois « protégés » non productifs, au terme desquels ils n'auront plus les moyens de se réorienter dans les filières créatrices d'emplois. En effet, rien n'a vraiment été prévu dans les dispositions que vous proposez pour assurer la pérennisation de ces emplois au-delà de cinq ans ; aucune véritable transition vers un emploi rentable dans le secteur privé n'est ici ni pensé ni proposé.
C'est pourquoi, compte tenu des réserves que je viens d'évoquer devant vous, le groupe des sénateurs non inscrits, dans sa grande majorité, s'abstiendra sur ce texte. Si, bien entendu, les amendements proposés par la commission des affaires sociales et défendus par le rapporteur, M. Louis Souvet, étaient retenus, le projet de loi, profondément remanié, emporterait alors notre adhésion. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chaque siècle de notre histoire est jalonné de conquêtes et de progrès, mais aussi de grands fléaux - guerres civiles ou religieuses, épidémies - générateurs de drames individuels ou collectifs.
Notre siècle, malgré les avancées considérables des sciences, des techniques, des acquis politiques et sociaux, s'achève sur le fléau du chômage.
Ce fléau est d'autant plus dramatique qu'il touche les jeunes, nos garçons et nos filles, nos enfants, celles et ceux qui sont, comme l'a déclaré Jean-Paul II, « l'espérance du monde ».
M. Gérard Delfau. Oh !
M. Jean-Claude Carle. Cette espérance est aujourd'hui ternie et assombrie par ce cancer qui constitue la plus grande injustice de cette fin de millénaire.
Nombre de nos enfants n'ont pas cette dignité, cette utilité économique et sociale que procurent un emploi, une feuille de salaire, qui plus est la première feuille de paie.
C'est la raison pour laquelle, madame la ministre, toute initiative et toute proposition visant à rétablir cette dignité méritent intérêt, quelle qu'en soit l'origine.
Il n'est pas question pour moi de rejeter votre projet de loi pour la simple raison que j'appartiens à l'opposition. Je sais votre souci, je connais votre volonté de combattre ce fléau. Ce souci et cette volonté, madame la ministre, l'ensemble de notre assemblée les partage.
Ce souci et cette volonté étaient également ceux de vos prédécesseurs.
Ce souci - je le reconnais volontiers - vous le vivez comme beaucoup d'entre nous au quotidien dans votre mission d'élu local, ce qui - permettez-moi cette digression - montre bien l'utilité pour un ministre ou un parlementaire d'avoir les deux pieds dans la glaise.
Cette mobilisation pour permettre l'accès au premier emploi doit se garder de faire naître chez les jeunes de fausses espérances, comme l'ont fait un certain nombre d'initiatives, de propositions ou de plans précédents, dont j'assume une partie de l'inventaire. En effet, aujourd'hui, la désespérance des jeunes, l'angoisse des parents sont telles que la tentation de refuge vers les extrêmes est réelle.
Je crains, madame la ministre, même si je ne le souhaite évidemment pas, que votre projet de loi, comme les précédents, n'aille pas dans la bonne direction : il est mal adapté tant sur le fond que sur la forme ou la méthode.
Vous poursuivez, en effet, simultanément deux objectifs : favoriser l'emploi des jeunes et développer de nouveaux services. En réalité, c'est la création de ces nouveaux services qui est pour vous prioritaire. Comme vous souhaitez assurer leur développement, dans un cadre idéologique nouveau, celui du tiers secteur, vous déguisez cette intention sous la question angoissante du chômage des jeunes pour faire passer, en quelque sorte, votre projet de loi. Ce faisant, vous empêchez qu'un véritable débat ait lieu sur la pertinence ou non d'un secteur intermédiaire entre le secteur public et le secteur privé.
J'en viens au fond.
Depuis des années, notre pays consacre des sommes considérables à l'emploi : 76 milliards de francs ont été investis en 1990, le chômage atteignant alors 9 %, contre 150 milliards de francs cette année, alors que le chômage dépasse 12,5 %.
Or, madame la ministre, vous allez encore plus loin : vous décrétez - promesses électorales obligent ! - la création de 700 000 emplois. C'est stupéfiant ! Comment peut-on décréter l'emploi ? Qui plus est pour cinq ans ? Permettez-moi de faire cette comparaison avec cette émission célèbre que sont Les cinq dernières minutes et cette phrase tout aussi fameuse : « Bon sang, mais c'est bien sûr ! » Comment ne pas y avoir pensé plus tôt ?
De surcroît, ces emplois concernent le secteur public. Pourtant, vous savez mieux que moi que le secteur public n'a de réalité que celle que lui donne le contribuable, qu'il soit personne physique ou personne morale.
Or, quelle est la réalité ? Nous sommes, parmi les pays modernisés, celui dont le poids du secteur public pèse le plus sur les finances de la nation, comme M. le président de la commission l'a rappelé tout à l'heure : sept points de plus que l'Allemagne et vingt points de plus que les Etats-Unis. Ce n'est pas la responsable d'entreprise que vous avez été qui peut ignorer que cela pèse dans la compétitivité de nos entreprises, dans un marché aujourd'hui totalement mondialisé. Or, qui crée les richesses, et donc l'emploi, si ce n'est le secteur privé ?
C'est la raison pour laquelle votre projet de loi n'est pas cohérent sur la méthode. Un second volet de votre plan sera consacré au secteur privé. Pourquoi alors ne pas avoir commencé par ce dernier, où des avancées et des initiatives sont souhaitables voire indispensables ?
Madame la ministre, j'affirme cela avec d'autant plus de force que j'ai tenu ces propos à vos prédécesseurs à cette même tribune, voila quelques mois, car je suis convaincu qu'il y a des logiques et des réalités incontournables.
Certes, nous traversons une période de faible croissance, et chacun sait qu'au-dessous du seuil de 3 % de croissance, nous ne créons pas, au sens économique du terme, d'emplois durables. En revanche, notre rôle est de créer les conditions favorables au développement de l'entreprise et d'agir sur son environnement. J'y reviendrai.
Permettez-moi d'ajouter que votre projet de loi risque d'aggraver la fracture sociale et de laisser encore plus sur le bord du chemin, d'une part, les chômeurs de longue durée et, d'autre part, les jeunes exclus très tôt du système éducatif.
Si votre volonté de développer l'apprentissage dans le secteur public est une mesure que je partage, je m'interroge toutefois sur certains aspects. L'apprentissage s'étale généralement sur un ou deux ans. Quel sera le sort des jeunes au terme de cette formation ? La fonction publique leur sera-t-elle ouverte ? Et dans ce cas, pourquoi ne pas le faire par la voie du concours interne et pas seulement par le tour extérieur ? Cela constituerait une reconnaissance pour ces jeunes et une garantie de ne pas voir l'apprentissage dévié de sa finalité, et ce d'autant plus que j'ai du mal à envisager leur insertion massive dans le secteur privé.
Votre projet de loi, madame la ministre, est aussi la reconnaissance de la faillite de notre système éducatif.
Ce système incite à l'allongement croissant des études et fait que, aujourd'hui, au terme de son cursus, un jeune sur quatre pousse non pas la porte d'une entreprise, mais celle de l'ANPE.
Ce système constate que 38 % des diplômés bac + 6 déclarent ne pas avoir de projet professionnel. C'est là que réside notre différence avec la plupart des autres pays qui, certes, sont confrontés aux même problèmes mais avec moins d'ampleur. En effet, contrairement à d'autres pays, au fur et à mesure que la durée des études s'allonge, l'entrée dans la vie active est non seulement retardée, mais aussi rendue plus difficile. Ces jeunes s'éloignent petit à petit de toute activité économique viable. Ils ne trouvent donc leur salut que dans la fonction publique.
En France, en effet, pour des raisons d'origine culturelle, on ne reconnaît que l'intelligence abstraite. Cependant, un CAP ou un baccalauréat professionnel sont aussi porteurs d'avenir qu'un bac + 6.
Les chiffres le confirment : j'ai évoqué, voilà un instant, les 25 % de jeunes qui poussent la porte de l'ANPE. La répartition de ces jeunes chômeurs n'est pas homogène. Deux populations sont particulièrement exposées : d'une part, les jeunes garçons et les jeunes filles qui, très tôt, sont exclus du système éducatif et, d'autre part, ceux qui ont une formation longue, et même trop longue, mais qui ne maîtrisent pas de métier.
M. Claude Allègre a parfaitement raison d'affirmer qu'une culture générale sans formation professionnelle est un désastre et inversement. Il est donc urgent d'opérer une mise en relation plus forte de la jeunesse avec le monde du travail sous des modes très divers - celui de l'alternance, mais aussi celui d'un assouplissement du statut de l'étudiant au regard du code du travail - pour permettre des allers et retours et des coexistences entre études et travail beaucoup plus fréquents qu'ils ne le sont aujourd'hui.
Permettez-moi d'évoquer très rapidement vos propositions envers les associations. Peut-être existe-t-il dans ce domaine des opportunités, à condition que les actions se limitent à des emplois touchant l'ingénierie et non pas l'objet même de l'association. En effet, le risque serait grand d'hypothéquer un bénévolat ou un volontariat déjà précaire. Or la faiblesse des corps intermédiaires est un handicap de notre pays.
J'en viens à la forme ou la méthode. Je le répète, madame la ministre, vous inversez l'ordre des priorités dans l'élaboration de votre projet de loi. Pourquoi ne pas avoir commencé par le secteur privé ? Il est vrai que vous devez, d'une part, honorer des promesses électorales et, d'autre part, faire face à l'urgence.
Pour ce qui concerne les promesses électorales, je ne dirai rien : les Français jugeront.
Pour ce qui concerne l'urgence, je ne la conteste pas. J'ai volontairement employé préliminairement le terme de fléau, car, malheureusement, c'en est un. Or, madame la ministre, comment combattre efficacement une telle épidémie ? Elle nécessite - tous les médecins vous le diraient - un double traitement : le sérum pour pallier l'urgence, le vaccin sans lequel il n'est plus possible de faire face à l'urgence.
Or, sur l'urgence, j'ai évoqué les risques, l'inadaptation et les effets pervers de vos remèdes. C'est cette urgence qui vous a sans doute conduit à demander cette même procédure devant le Parlement. C'est cette même urgence qui amène certains de vos collègues à prendre des mesures d'ores et déjà, avant même le vote de ce projet de loi, bien que, aujourd'hui, si j'en crois certaines informations, les contraintes budgétaires auxquelles M. le ministre de l'économie et des finances doit faire face tempèrent quelque peu les ardeurs. Pour le long terme, vous ne proposez aucune piste, même si je reconnais que cela n'est pas facile ou évident.
Telles sont les raisons pour lesquelles, madame la ministre, votre projet de loi ne nous paraît ni réaliste ni efficace.
C'est pourquoi je préfère commettre une erreur politicienne plutôt qu'une faute politique vis-à-vis de nos enfants, et ce d'autant plus que, comme bon nombre de mes collègues du groupe des Républicains et Indépendants, je n'ai jamais varié dans mes convictions. C'est la raison pour laquelle je ne voterai pas, en l'état actuel, votre projet de loi.
Je me permets toutefois, de vous soumettre une proposition en trois points.
Il s'agit, premièrement, face à l'urgence, d'inverser l'ordre des priorités et de commencer par le secteur dans lequel se trouve l'emploi durable, c'est-à-dire le secteur privé.
Il s'agit, deuxièmement, de s'inscrire dans le long terme, d'une part, avec une réforme du secteur éducatif fondée sur la maîtrise simultanée, et le plus tôt possible, d'une culture générale et d'une approche des métiers et, d'autre part, avec une réforme de l'environnement de l'entreprise et de la législation sociale, en adoptant, cette dernière aux entreprises qui, aujourd'hui, créent plus de 70 % des emplois, c'est-à-dire les PME et les PMI. Il est urgent d'alléger les formalités administratives, juridiques et fiscales qui les assaillent. J'ai déjà cité très souvent à cette tribune un chiffre significatif : un dirigeant de PME passe quarante jours de son temps à remplir des formalités de ce type !
Il s'agit enfin de mettre en oeuvre un projet totalement décentralisé fondé sur le partenariat et la proximité en conférant aux collectivités locales son ingénierie.
Permettez-moi, dans ce domaine, de vous faire part des expériences menées dans la région Rhône-Alpes. En partenariat avec vos services de l'Etat, les entreprises et les élus locaux, nous avons mis en place le Plan d'accès à la première expérience professionnelle, le PAPEP, en nous attachant tout particulièrement aux petites choses qui sont autant de freins à l'emploi des jeunes. Cela peut être l'achat d'une paire de chaussures de protection ou d'un bleu de travail pour rendre possible une journée d'essai en entreprise. Sans résoudre ce genre de détails, rien ne fonctionne.
Avec Charles Millon, nous avons ainsi mené des actions à court terme dans le cadre du PAPEP, mais aussi des actions de partenariat et de proximité à long terme dans le cadre du PRDF. Ce n'est donc pas seulement un hasard si, dans la région Rhône-Alpes, les lycées professionnels et les centres d'apprentissage sont en croissance continue. Ce n'est pas non plus un hasard - je le dis avec beaucoup de prudence et de modestie - si le chômage des jeunes dans notre région a baissé de 11,5 % d'une année sur l'autre.
C'est le sens des amendements que nous avons déposés. C'est à notre avis le sens de l'Histoire, c'est-à-dire la voie choisie par la plupart des autres pays. Toute autre voie, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour reprendre les propos du Président de la République, nous semble fallacieuse. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Moinard.
M. Louis Moinard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout d'abord, permettez-moi de vous exprimer un sentiment partagé par bon nombre de sénateurs.
En effet, alors que nous commençons la discussion du projet de loi relatif au développement de l'activité pour l'emploi des jeunes, M. le ministre de l'éducation nationale nous a fait parvenir, et ce avant l'ouverture de cette session extraordinaire, un exemplaire du document d'information sur l'application de la loi dite « emploi-jeunes » et diffusé par l'intermédiaire des rectorats ; de plus, des réunions animées par vos collaborateurs ont été organisées dans les préfectures de région et, enfin, les inspecteurs d'académie ont annoncé par voie de presse, dès le 20 septembre dernier, la liste des emplois créés au titre de l'éducation nationale dans chaque département.
Madame la ministre, votre devise me semble être : « Je décide d'abord, j'annonce ensuite, et je discute enfin. »
Je comprends l'urgence quand il s'agit de l'emploi des jeunes. Néanmoins, rien ne peut justifier que la règle démocratique ne soit pas respectée. Les élus locaux que nous sommes ne se battent-ils pas au quotidien pour l'emploi ? Il ne suffit pas de réduire le nombre de mandats des élus pour qu'ils soient respectés !
Madame la ministre, ma question concerne uniquement la loi dite « Robien ». En effet, j'aimerais avoir de votre part l'assurance que votre plan emploi-jeunes n'aura aucun impact négatif sur les crédits et les conditions d'application de cette loi.
Pouvez-vous nous assurer que les avantages liés à cette loi ne seront pas remis en cause ?
Le 1er mars 1997, on dénombrait 33 000 salariés bénéficiant de la loi Robien et 235 conventions étaient signées entre les entreprises et l'Etat. De nouvelles conventions doivent être signées incessamment, notamment avec le Crédit mutuel Océan.
La loi Robien prévoit une réduction des charges sociales en contrepratie d'embauches pendant une duré de sept ans. Si cette durée doit permettre une amélioration de la productivité pour assurer la sortie du dispositif sans risque excessif, il ne faudrait pas, pour les entrepries qui auraient conclu aujourd'hui une convention, que de nouvelles dispositions viennent contrecarrer cette ambition. Or une réduction de la durée d'allégement des charges ne pourrait avoir pour effet que de provoquer une diminution d'effectifs.
Les articles polémiques publiés dans la presse nationale, ces dernières semaines, font craindre que ce risque ne soit pas illusoire.
En conséquence, pouvons-nous avoir la certitude que, même en cas de nouveau dispositif, il n'y aura pas d'effet sur les conditions d'application de la loi Robien ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis vingt ans, tous les gouvernements se sont attaqués - hélas, sans succès décisif ! - au dramatique fléau du chômage, qui ronge notre société française et condamne notre jeunesse à une désespérante inactivité.
C'est pourquoi, certainement, le gouvernement auquel vous appartenez a décidé de faire de son action en faveur de l'emploi des jeunes la priorité des priorités et nous présente aujourd'hui un texte qui comporte de très importantes dispositions. En effet, il nous est proposé la création d'une première tranche de 350 000 emplois, lesquels représentent un coût annuel pour l'Etat de 35 milliards de francs en année pleine.
Vous nous avez indiqué, madame la ministre, que, pour 1998, le coût de ces mesures serait financé par un redéploiement des dépenses de 10 milliards de francs. Mais que va-t-il se passer dans les années à venir ?
Proclamer que l'on crée 350 000 emplois est, à l'évidence, un geste spectaculaire. Mais il convient de s'interroger sur l'efficacité des mesures proposées, puisqu'il s'agit de favoriser la création d'emplois destinés à satisfaire des « besoins émergents et non satisfaits » en faisant appel à des acteurs locaux appartenant uniquement au secteur public ou associatif.
Tout d'abord, les emplois que vous créez vont se traduire par une intégration dans la fonction publique, vous l'avez d'ailleurs admis, notamment dans l'éducation nationale - il suffit de lire les déclarations de M. Allègre, et notre collègue M. Moinard vient de nous faire part de son émotion à ce sujet - et dans la police. Entre l'éducation nationale, la police et la justice, cela fait 50 000 emplois qui vont alourdir la dépense publique.
Mais ce qui est au moins aussi inquiétant, c'est la nature même des emplois que vous prévoyez. La liste qui en a été publiée est édifiante, mais il est vrai que vous avez précisé vous-même en commission qu'elle n'était pas exhaustive.
Il n'en demeure pas moins que nombre d'emplois ne pourront jamais déboucher sur le secteur marchand. En effet, on voit mal des usagers accepter de payer un service tel que celui d'« agent d'éveil sur les bruits » ou d'« animateur de promotion de pays » !
De plus, certains autres emplois - je pense aux pseudomédiateurs pénaux et sociaux, aux agents d'ambiance destinés à prévenir le vandalisme - exigent une expérience, une formation, une autorité que seront loin de posséder les jeunes visés par votre projet de loi. C'est ainsi que j'ai appris l'existence, au cours d'une audition devant la commission des affaires sociales, d'agents d'ambiance dans les transports en commun, qui possèdent un bac + 2 mais qui ont suivi 900 heures de formation pour exercer leur métier. Ils perçoivent d'ailleurs un salaire qui oscille entre douze mille et quatorze mille francs.
En fait, ce projet de loi, si nous le votions tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale, aurait des conséquences graves. Il accroîtrait ainsi les dépenses publiques par l'intégration dans cinq ans de plus de 60 000 emplois dans la fonction publique et par la nécessité, pour les collectivités locales, de subventionner les emplois qui n'auront pu être pris en compte par le secteur marchand, à moins que ceux-ci aient été purement et simplement supprimés et leurs titulaires renvoyés vers les guichets de l'ANPE. Imaginez un peu, mes chers collègues, la déception, voire la colère de milliers de jeunes qui auraient conscience alors d'avoir été attirés dans une impasse !
Je voudrais, en revanche, vous féliciter, madame la ministre, d'avoir découvert enfin les vertus du contrat à durée déterminée. Mais ce contrat à durée déterminée de cinq ans, renouvelable chaque année, que vous envisagez, ce n'est pas seulement aux collectivités locales ou aux associations qu'il faut le proposer, c'est aux entreprises elles-mêmes ! Il faut en faire une disposition permanente du code du travail, parallèlement au contrat à durée déterminée actuel. Il pourrait être proposé aux petites et moyennes entreprises, ce qui leur permettrait de faire face au développement de leur activité sans risquer de s'enfermer dans un cadre trop rigide, comme c'est le cas actuellement. J'ai d'ailleurs déposé un amendement dans ce sens.
Enfin, il y a quelque chose de vraiment paradoxal à vouloir s'acharner comme vous le faites à « inventer » des activités pour créer des emplois terriblement coûteux pour le budget, alors qu'en même temps les dispositions que vous prenez à l'encontre des familles dites aisées - plafonnement des ressources pour l'obtention des allocations familiales, réduction de l'allocation pour garde d'enfant à domicile et, en fait, réduction massive du financement des emplois familiaux - vont se traduire par la suppression de milliers, pour ne pas dire de dizaines de milliers d'emplois, tout au moins officiels.
Certes, et je porte cela au crédit du projet qui nous est soumis, l'idée d'encourager la création d'emplois destinés à faire face aux « besoins émergents et non satisfaits » est intéressante, à condition qu'il s'agisse de besoins réels pouvant être pris en compte par le secteur marchand.
Il serait également intéressant que les usagers apprennent à payer pour les services qu'ils utilisent. Or, il faut le reconnaître, aujourd'hui, la psychologie de l'usager, c'est plutôt de considérer que tout est gratuit. C'est une lourde tâche que vous allez avoir à entreprendre, madame la ministre !
Mais il serait facile de créer des emplois susceptible d'être facilement pris en compte par l'usager. Je n'en donnerai que quelques exemples.
Croyez-vous, madame la ministre, que les automobilistes ne seraient pas heureux de voir à nouveau le personnel des stations-service faire le plein de leur réservoir et vérifier leur niveau d'huile, d'eau, etc. ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Absolument !
M. Jean Chérioux. Assurément ! Alors, pourquoi ne pas engager des négociations avec la profession pétrolière pour recréer éventuellement ces emplois qui ont été malheureusement abandonnés depuis des années ?
De même, les locataires d'immeubles collectifs, en particulier dans nos grandes villes, rêvent de voir à nouveau des gardiens assurer la surveillance des allées et venues, distribuer le courrier, etc.
Ce serait aussi un excellent moyen de faciliter le maintien à domicile de nombre de personnes âgées enfermées dans leur isolement ! Ici encore, ce sont des dizaines et des dizaines de milliers d'emplois qui pourraient être créés. Vous l'avez d'ailleurs prévu, je vous le concède, pour les offices d'HLM, mais pourquoi cette timidité ? C'est réellement insuffisant ! Pourquoi ne pas étendre cette possibilité aux sociétés privées d'HLM, aux compagnies d'assurance, aux syndicats de copropriétaires, voire aux propriétaires privés d'immeubles collectifs ?
Bien d'autres voies pourraient sans doute être prospectées. Je me contenterai de citer encore un seul exemple : pourquoi ne pas envisager, avec les grandes entreprises du secteur informatique, la création de conseillers en informatique, dont la formation pourrait être facilitée grâce aux financements que vous entendez consacrer aux emplois-jeunes ? Cela permettrait de former réellement des jeunes et trancherait avec bonheur avec ce qui est proposé, c'est-à-dire, le plus souvent, il faut bien le reconnaître, des « petits boulots ».
Voilà, madame la ministre, les quelques observations que je souhaitais vous présenter à l'occasion de la discussion de ce texte. Ces observations, je les ai voulues mesurées et constructives, car je ne veux pas croire que ce projet de loi réponde à l'objectif inavoué de gonfler démesurément le secteur public ou de prendre sciemment le risque de conduire les bénéficiaires de ces emplois dans une impasse.
Mon souci est avant tout de donner aux mesures que vous proposez un caractère plus réaliste, qui permette une réelle insertion des jeunes dans le monde du travail. Vous-même, madame la ministre, avez indiqué que vous souhaitiez mettre en place un système qui soit une véritable pépinière de futurs emplois marchands. Je crains malheureusement que les dispositions prévues ne soient pas à la hauteur de l'ambition manifestée.
M. Alain Vasselle. Sûrement !
M. Jean Chérioux. C'est pourquoi je ne voterai ce texte que profondément remanié par les amendements proposés ou retenus par notre excellent rapporteur de la commission des affaires sociales, M. Louis Souvet. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste).
M. le président. Mes chers collègues, le Sénat va interrompre maintenant ses travaux ; il les reprendra à seize heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Paul Girod.)