M. le président. Par amendement n° 268, MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt proposent, après l'article 131, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 432-4 du code pénal, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé:
« Art. ... - Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public agissant à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, de donner suite à des dénonciations effectuées par quelque moyen que ce soit et parvenues anonymement, de procéder à des vérifications ou d'y faire référence dans les dossiers administratifs de toute nature et dans les procédures correspondantes ainsi qu'en matière d'enquête préliminaire, d'instruction ou de jugement et dans tout acte de procédure civile ou pénale est passible des peines prévues à l'article 432-4 du présent code. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Cet amendement fait suite à celui qui a été adopté tout à l'heure concernant les dénonciations anonymes.
Il s'agit de prévoir dans le code pénal qu'en cas d'exploitation d'une dénonciation anonyme autre que celles qui figurent parmi les exceptions dont nous parlions voilà un instant avec M. Hyest la personne, qu'elle soit fonctionnaire ou qu'elle appartienne à l'autorité judiciaire, sera passible des peines prévues à l'article 432-4 du code pénal, qui sanctionne l'arrestation arbitraire.
C'est la suite logique de l'amendement n° 266 rectifié ter, qui a été adopté voilà quelques instants.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. L'avis de la commission est défavorable. Le magistrat qui donnera suite à une dénonciation anonyme sera déjà passible de sanctions disciplinaires.
Faut-il aller jusqu'à sept ans d'emprisonnement s'il n'y a eu aucun acte attentatoire à la liberté individuelle ? Telle est la question qui est posée au Sénat et à laquelle la commission des lois a répondu par la négative.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je partage l'avis de la commission, et ce pour une raison essentielle : ce texte se situe, je le rappelle, à l'article 40 du code de procédure pénale, que le Sénat a complété en adoptant tout à l'heure l'amendement n° 266 rectifié ter visant à prohiber les dénonciations anonymes.
Or, quelle est, par définition, la sanction du code de procédure pénale ? C'est l'annulation, autrement dit la nullité des procédures. Le texte de l'amendement n° 266 rectifié ter de MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt prévoit bien que les dénonciations anonymes donneront lieu à annulation, sauf dans quelques cas exceptionnels.
Dans ces conditions, je considère que la vraie sanction dans ce domaine, qui est celui de la procédure pénale, est contenue dans l'article 40, modifié par l'amendement n° 266 rectifié ter, et qu'il est donc inutile de prévoir les sanctions pénales proposées par MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt maintenant.
Je suis donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 268.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je serais prêt à me rallier à cette argumentation et, au fond, à renoncer à l'amendement n° 268.
Mais je voudrais vous poser, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, une question. Vous me dites que, si un acte est commis en infraction avec la disposition que nous venons de voter, il est nul. Très bien ! Et si la clameur publique s'en empare. Si la presse en est pleine ? Si la personne est outragée, humiliée, si elle est blessée dans son honneur ? Qui réparera en l'absence de sanction pénale forte, ou plutôt de menace d'une sanction pénale forte ?
M. Jean-Jacques Hyest. Cela n'empêchera pas la presse d'en parler !
M. Michel Charasse. Peut-être, mais cela peut tout de même empêcher de donner suite à la dénonciation si l'on sait qu'au fond on risque une condamnation très lourde.
Je pose la question. Vous savez, moi, dans cette affaire, ce qui m'intéresse, c'est le respect des personnes et une certaine éthique républicaine !
Quand la justice n'était pas rendue tous les jours sur la place publique et dans la presse, les actes de l'autorité judiciaire ne me posaient aucun problème. Aujourd'hui, un certain nombre d'entre eux me semblent tout à fait regrettables, choquants, navrants et contraires à l'esprit de la justice républicaine.
Je pose donc la question à M. le rapporteur et à M. le ministre : que se passe-t-il si une dénonciation anonyme est exploitée, si quelqu'un est sali ? Va-t-on se contenter d'annuler l'acte ?
Cela me rappelle l'histoire du Corse qui disait à son fils : « Où donc as-tu pris ce beau chronomètre ? »
Réponse de l'enfant : « Je l'ai échangé avec Toto tout à l'heure contre mon revolver ».
Et le père de rétorquer : « Tu as l'air malin ; maintenant, quand on t'insultera, tu donneras l'heure ! » (Sourires.)
En l'occurrence, c'est pareil : on annulera, mais il y en aura eu plein les journaux ! Aussi, je pose la question.
M. Emmanuel Hamel. Belle histoire corse !
M. Michel Charasse. Il faut bien égayer ce débat et rendre un peu le sourire à M. le rapporteur !
M. Emmanuel Hamel. Il le retrouvera !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Je l'ai retrouvé il y a déjà un bon moment !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. La parade au problème que M. Charasse a soulevé se trouve dans les dispositions du code pénal ou du code civil, voire à l'article 9-1 du code de procédure pénale modifié en 1991.
Cet article prévoit des mesures de nature à dissuader les atteintes à la présomption d'innocence. Je ne crois pas que le fait de prévoir ce type de sanctions pénales puisse en quoi que ce soit mettre un frein à la publication de ce genre d'information.
Je crois d'ailleurs préférable - je l'ai déjà dit - de privilégier les réparations civiles par rapport aux sanctions pénales. Elles sont le véritable outil qui peut permettre au juge de rétablir l'honneur et la considération d'une personne à qui on aurait porté atteinte.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, tout d'abord, il serait bon de rectifier également cet amendement, comme l'a été l'amendement qui a été adopté précédemment, en ajoutant les mots : « sauf dans les cas prévus à l'article 40 du code de procédure pénale, ». En effet, nous sommes bien d'accord pour que, là où les dénonciations anonymes sont admises, les suites judiciaires le soient également. (M. Hyest manifeste son impatience.)
Ecoutez, mon cher collègue, il arrive souvent que des amendements soient adoptés par notre assemblée et que le travail de coordination reste à faire. Cela peut vous arriver à vous également pour des propositions que vous formulez.
L'essentiel est que nous soyons d'accord sur le fond. Or, en ce qui concerne le fond, je ne vois pas pourquoi des sanctions ne seraient pas prévues.
Vous nous dites, monsieur le garde des sceaux, que la sanction normale est la nullité. Mais nous savons comment vous traitez les nullités et comment vous les couvrez, ou du moins vous demandez qu'elles le soient dès lors qu'un certain délai est passé.
Si, véritablement, nous ne voulons pas que, dans la plupart des cas, suite soit donnée à des dénonciations anonymes, il faut prévoir des responsabilités. C'est le problème de la responsabilité des magistrats. Nous avons toujours pensé qu'il serait nécessaire d'aborder un jour ce problème.
Tout à l'heure viendra en discussion un amendement qui tend à rétablir le crime de forfaiture, qui a été supprimé au moment de la réforme du code pénal au motif qu'il n'avait jamais servi.
Mais il est claire que l'on élabore certains textes dans l'espoir qu'on n'aura jamais à s'en servir. Il en va exactement comme de la force de frappe.
La sanction prévue est celle qui figure à l'article 432-4 du présent code, celui qui concerne les atteintes aux libertés. Cela ne signifie pas qu'il s'agit d'une atteinte aux libertés ; c'est une assimilation.
Cet amendement, tel que je viens de le modifier, va de pair avec celui qui a été adopté tout à l'heure.
Nous ne voyons pas d'inconvénient au travail continu d'édification de la législation ni à son amélioration ; en tout cas il semble manifeste que la volonté du Sénat - cela s'est vu tout à l'heure par le caractère massif du vote qui est intervenu - est de mettre un coup d'arrêt aux dénonciations anonymes.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 268 rectifié, présenté par MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt, et visant à insérer, après l'article 131, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 432-4 du code pénal, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. 432-4-1. - Sauf dans les cas prévus à l'article 40 du code de procédure pénale, le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public agissant à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, de donner suite à des dénonciations effectuées par quelque moyen que ce soit et parvenues anonymement, de procéder à des vérifications ou d'y faire référence dans les dossiers administratifs de toute nature et dans les procédures correspondantes ainsi qu'en matière d'enquête préliminaire, d'instruction ou de jugement et dans tout acte de procédure civile ou pénale est passible des peines prévues à l'article 432-4 du présent code. »
Je vois mettre aux voix l'amendement n° 268 rectifié.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Il serait dans la logique de l'amendement que nous avons voté tout à l'heure d'adopter celui-ci au titre des sanctions. On ne peut pas se contenter de prévoir de simples sanctions disciplinaires ou une simple nullité.
En revanche, je ne suis pas convaincu que les peines prévues à l'article 432-4 du code pénal devraient s'appliquer en la circonstance.
S'il y a une atteinte gravissime à la démocratie et à la liberté, c'est bien l'arrestation arbitraire. La dénonciation anonyme utilisée pour entamer des poursuites n'est peut-être pas de même nature. Il faudrait sans doute prévoir des peines spécifiques.
Nous sommes dans un processus législatif ; une navette est en cours. Tentons, au gré de cette navette, d'améliorer la rédaction de cet article qui, actuellement, n'est pas satisfaisante, car il n'y a rien de pire que l'arrestation arbitraire. Les Anglos-Saxons l'ont démontré en adoptant l' habeas corpus au XVIIe siècle.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. L'article 432-4, qui est visé par l'amendement de MM. Dreyfus-Schmidt et Charasse, comprend deux sortes de peines. Or, pour le moment, on ne sait pas lesquelles sont visées.
Je crois vraiment qu'il serait sage de s'en tenir au texte de l'amendement n° 266 rectifié ter.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est l'article 432-5, premier alinéa, qui doit être visé.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. On passe son temps en approximations et en rectifications. Ce n'est pas du travail ! C'est à la rigueur du travail de commission.
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas la première fois qu'il en est ainsi !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Vous le sentez bien, au fond de vous-mêmes, mes chers collègues, vous n'êtes pas satisfaits de ce genre de texte.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 268 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 131.
Par amendement n° 269, MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt proposent d'insérer, après l'article 131, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 432-4 du code pénal, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... . - Seront, comme coupable du crime de forfaiture, punis de la dégradation civique, tout officier de police judiciaire, tous procureurs généraux de la République, tous substituts, tous juges, qui auront provoqué, donné ou signé un jugement, une ordonnance ou un mandat tendant à poursuite personnelle ou accusation, soit d'un ministre, soit d'un membre du Parlement sans les autorisations prescrites par les lois de l'Etat, ou qui, hors les cas de flagrant délit ou de clameur publique, auront, sans les mêmes autorisations, donné ou signé l'ordre ou le mandat de saisir ou arrêter un ou plusieurs ministres ou membres du Parlement. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, avec votre autorisation, je présenterai en même temps l'amendement n° 270.
M. le président. Je suis en effet également saisi d'un amendement n° 270, présenté par MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt, et tendant à insérer, après l'article 131, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 432-4 du code pénal, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... . - Seront coupables du crime de forfaiture, et punis de la dégradation civique :
« 1° Les juges, les procureurs généraux ou de la République, ou leurs substituts, les officiers de police, qui se seront immiscés dans l'exercice du pouvoir législatif, soit par les règlements contenant des dispositions législatives, soit en arrêtant ou en suspendant l'exécution d'une ou de plusieurs lois, soit en délibérant sur le point de savoir si les lois seront publiées ou exécutées ;
« 2° Les juges, les procureurs généraux ou de la République, ou leurs substituts, les officiers de police judiciaire, qui auraient excédé leur pouvoir, en s'immisçant dans les matières attribuées aux autorités administratives, soit en faisant des règlements sur ces matières, soit en défendant d'exécuter les ordres émanés de l'administration, ou qui, ayant permis ou ordonné de citer des administrateurs pour raison de l'exercice de leurs fonctions, auraient persisté dans l'exécution de leurs jugements ou ordonnances, nonobstant l'annulation qui aurait été prononcée ou le conflit qui leur aurait été notifié.
« Les dispositions du présent article sont applicables à l'ensemble des magistrats de l'ordre judiciaire, administratif et financier. »
Veuillez poursuivre, monsieur Charasse.
M. Michel Charasse. La loi d'organisation judiciaire des 16 et 24 août 1790, qui, contrairement à ce que certains peuvent penser, est toujours en vigueur pour trois de ses articles au moins, les articles 10, 11 et 13, a organisé la séparation des pouvoirs au niveau judiciaire et a décidé que commettraient une forfaiture les juges qui s'immisceraient dans le fonctionnement du Parlement - donc qui voteraient la loi à la place du Parlement - ou dans le fonctionnement du pouvoir exécutif - donc qui gouverneraient à la place du Gouvernement.
Par un hasard malencontreux, ou peut-être volontaire - il y a des hasards volontaires - lorsque le code pénal a été réformé, en 1993, les dispositions qui figuraient dans l'ancien code pénal et qui prévoyaient la répression de ces manquements ont disparu, tant et si bien que la forfaiture, mes chers collègues - ce mot est resté dans l'histoire - prévue par la loi de 1790, n'est toujours pas abrogée, mais qu'on ne sait pas si c'est un crime, un délit, une infraction ou une contravention, puisque le code pénal ne la qualifie pas et ne prévoit aucune sanction.
J'ai interrogé par question écrite M. le garde des sceaux, qui n'est pour rien, je le dis en passant, dans cette modification législative du code pénal,...
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. C'est le moins qu'on puisse dire !
M. Michel Charasse. ... puisqu'elle a eu lieu avant qu'il n'entre au Gouvernement, en tout cas à la Chancellerie. M. le garde des sceaux m'a répondu : « La forfaiture, on ne sait plus ce que c'est ! »
Ainsi, un juge qui s'immiscerait dans le pouvoir législatif, donc qui ferait la loi à notre place, ou qui s'aviserait de gouverner à la place du Gouvernement relèverait du conseil de discipline, c'est-à-dire d'un organisme dont la sévérité est assez relative.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oh ! tout de même !
M. Michel Charasse. Si ! Je le sais d'expérience, le Conseil supérieur de la magistrature n'est pas d'une sévérité excessive. En tout cas, il n'est jamais très sévère là où on l'attend, mais il est toujours plus sévère là où ne l'attend pas !
Moi, je vous propose, par ces deux amendements, de réintroduire dans le code pénal les articles qui en ont été supprimés en en reprenant exactement les termes.
L'amendement n° 269 prévoit qu'est une forfaiture le fait d'arrêter un parlementaire ou un membre du Gouvernement sans les autorisations prévues par la Constitution.
Les deux amendements disent qu'est un crime - là, on est bien dans la procédure criminelle - le fait de commettre une forfaiture, en inscrivant de nouveau dans le code pénal les dispositions maintenues en vigueur de la loi de 1790.
L'amendement n° 270 comporte un alinéa supplémentaire pour dire que les principes de la séparation des pouvoirs, qui étaient applicables jusqu'à présent à tout le monde, même si la loi de 1790 ne visait que l'ordre judiciaire, s'appliqueront désormais de la même manière à l'ensemble des magistrats des ordres judiciaire, administratif et financier, ce qui règle une partie des problèmes que soulevaient, il y a quelque temps, un certain nombre de nos collègues concernant les appréciations d'opportunité des chambres régionales des comptes.
Telle est, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l'économie des amendements n°s 269 et 270.
On peut toujours me dire qu'ils ne sont pas très bien rédigés : comme je n'ai fait que copier l'ancien code pénal, je ne m'en sens pas responsable !
M. Jean-Jacques Hyest. J'avais bien vu que vous aviez copié l'ancien code pénal, mis à part un alinéa !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. La commission des lois a émis un avis défavorable, et ce pour une raison que personne ici ne peut ignorer : il s'agit, en l'occurrence, non pas de procédure criminelle mais de la modification du code pénal, duquel on a fait disparaître le crime de forfaiture.
J'ajoute qu'il est triste de constater que, depuis une heure, on nous présente - et on vote - des amendements ad hominem. A chaque fois, on voit très bien de quoi il s'agit...
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Et de qui !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Au travers de l'actualité.
Je ne comprends pas que la Haute Assemblée puisse se laisser entraîner à adopter des dispositions de ce genre, dont on nous dit d'ailleurs qu'elles sont mal rédigées et que la navette nous donnera l'occasion de les corriger !
Je vous en prie, mes chers collègues, arrêtons cette dérive et repoussons ces deux amendements !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Le Gouvernement a la même position que la commission.
D'abord, les notions que l'amendement veut rétablir, forfaiture et dégradation civique, n'ont plus aucun rapport avec la réalité.
Que peut être la dégradation civique dans un pays ou l'on ne cesse de chercher les moyens de garantir la citoyenneté ?
Il est tout à fait clair que la dégradation civique n'a plus aucun contenu.
De la même façon, s'agissant de la forfaiture et de la séparation des pouvoirs, je tiens à rappeler devant le Sénat - je pourrais le faire devant l'autre assemblée - qu'en juillet 1995 le Parlement, réuni en Congrès à Versailles, a voté une réforme constitutionnelle prévoyant, à l'article 26 de la Constitution, que des poursuites peuvent être engagées par un magistrat contre un parlementaire, nonobstant sa qualité de parlementaire, en toute période, puisqu'il n'y a plus maintenant qu'une session, et que seules les mesures privatives de liberté doivent faire l'objet d'une autorisation de l'assemblée à laquelle ce parlementaire appartient.
Vous avez donc adopté, avec la révision de 1995, par définition, le principe qui veut que, désormais, la séparation des pouvoirs et l'immunité des parlementaires ne soient plus conçues comme elles l'étaient auparavant, notamment sous l'empire de la Constitution de la IVe République ou de la Constitution de 1958 dans sa version initiale.
Par conséquent, les infractions et la sanction que veut rétablir M. Charasse, non seulement ne correspondent plus à aucune réalité, mais elles ne correspondent plus non plus aux principes constitutionnels tels que vous-mêmes les avez établis sur proposition du Gouvernement et à la demande du Président de la République, il y a tout juste un peu plus de dix-huit mois.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Au demeurant, la procédure pénale permet de faire face à ce type de situation.
Voilà pourquoi je suis hostile aux amendements n°s 269 et 270, tout en étant, en qualité de garde des sceaux, particulièrement soucieux de voir les magistrats du siège et les magistrats du parquet exercer leurs fonctions dans les limites exactes que leur fixent la loi et la Constitution.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 269.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je sais que le terme de forfaiture est un mot magique dans notre langue.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Surtout au Sénat ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest. Bien entendu, a fortiori dans cette maison.
En tout cas, ce n'est pas par hasard si, lors de la réforme du code pénal, nous avons supprimé la forfaiture.
Par ailleurs, comme l'a dit M. le garde des sceaux, il faudrait prévoir, dans l'échelle des peines, la dégradation civique, car, actuellement, elle n'y figure pas.
M. Michel Charasse. Le Parlement est souverain : il fait ce qu'il veut !
M. Jean-Jacques Hyest. Certes ! Il n'en demeure pas moins que la dégradation civique ne figure plus dans notre dispositif pénal.
En ce qui concerne les juges, je vous rends attentifs au fait que l'on n'a pas supprimé totalement les sanctions qui leur sont applicables dans certaines circonstances : je vous renvoie notamment aux articles 432-1 et 434-7-1 du code pénal. Les actes visés par ces articles ressortissent à ce qu'était naguère la forfaiture, et d'autres peines sont maintenant prévues.
Je crains, comme le rapporteur, que nous ne légiférions en ce moment en fonction de l'actualité et que la grande majorité des magistrats de notre pays, qui font leur travail avec une conscience et un sérieux...
M. Emmanuel Hamel. Que nous saluons !
M. Jean-Jacques Hyest. ... que nous devons effectivement saluer, ne soient l'objet d'une suspicion parfaitement injustifiée. S'il en est deux ou trois qui se livrent à quelques fantaisies, il n'y a qu'à les sanctionner ; des dispositions le permettent. Mais ce n'est pas en rétablissant le crime de forfaiture que nous avancerons dans ce domaine.
Je fais confiance à la justice de mon pays telle qu'elle est, avec les divers degrés de juridiction et la possibilité d'appel et de cassation. Ce n'est pas parce que quelques difficultés se présentent, qui sont d'ailleurs largement entretenues par les médias, que je suis prêt à rétablir ce crime de forfaiture. Cela ne pourrait qu'apparaître comme une marque de suspicion vis-à-vis de la justice.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Il convient de rappeler que, aux termes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, toute société où la séparation des pouvoirs n'est pas déterminée n'a point de Constitution.
M. Michel Charasse. Très bien !
M. Patrice Gélard. Par ailleurs, dans la Constitution de l'an VIII, qui n'a théoriquement jamais été abrogée, défense itérative est faite aux tribunaux de connaître des actes du Gouvernement et du Parlement.
Le nouveau code pénal, qui, chacun le sait, a été rédigé après qu'un travail préliminaire très sérieux eut été mené a bien, a néanmoins négligé un des aspects de la séparation des pouvoirs. Or, je l'ai rappelé, s'il n'y a pas de séparation des pouvoirs, il n'y a point de démocratie.
Par conséquent, nous sommes tenus de combler le vide qui existe dans le code pénal actuel.
Reconnaissons que le terme de « forfaiture » a quelque chose de désuet. Reconnaissons aussi que la rédaction de l'ancien code pénal datait quelque peu ; je regrette d'ailleurs que M. Charasse n'ait pas fait preuve d'un peu plus de modernisme dans la forme, mais la navette, là encore, permettra peut-être d'améliorer les choses.
Quoi qu'il en soit, si nous ne rappelons pas la nécessité de respecter la séparation des pouvoirs - alors que c'est notre devoir de législateur - nous commettrons une erreur et nous porterons atteinte à la démocratie.
J'ajouterai, pour répondre à M. le garde des sceaux, que, si la révision constitutionnelle de 1995 a, bien sûr, considérablement modifié le système des immunités, une autorisation du Parlement demeure nécessaire.
M. Jean-Jacques Hyest. Pas pour la mise en examen !
M. Patrice Gélard. Certes, c'est le bureau de l'assemblée intéressée qui la donne, et non l'assemblée dans son ensemble. Il reste que l'autorisation du Parlement existe toujours. Bien sûr, la procédure est devenue plus simple, elle a été assouplie, mais l'immunité subsiste : nous n'avons pas supprimé l'immunité parlementaire avec la révision constitutionnelle de 1995.
Telles sont les quelques remarques que je voulais faire et qui justifient mon ralliement à l'amendement déposé par M. Charasse.
M. Emmanuel Hamel. Des remarques lumineuses !
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. L'amendement n° 269, c'est-à-dire celui qui concerne les poursuites contre un ministre ou un membre du Parlement, n'est pas du tout incompatible avec la révision constitutionnelle de 1995, dont je me souviens d'ailleurs très bien.
En effet, que prévoyait cet article de l'ancien code pénal que je me propose de réintroduire ? « Sont coupables du crime de forfaiture... ceux qui auront donné ou signé un jugement, une ordonnance, un mandat tendant à la poursuite personnelle ou accusation, soit d'un ministre, soit d'un membre du Parlement sans les autorisations prescrites par la loi. »
Aujourd'hui, pour arrêter un membre du Parlement, il faut l'autorisation du bureau, ainsi que M. Gélard vient de le rappeler.
M. Jean-Jacques Hyest. Mais pas pour le mettre en examen !
M. Michel Charasse. Attendez, monsieur Hyest, j'y arrive !
Mes chers collègues, je me permets de vous rappeler qu'au moment de la révision de 1995 M. le garde des sceaux et moi-même avons eu une discussion qui a duré un certain temps sur la notion de suspension des poursuites.
En effet, si, aujourd'hui, l'assemblée intéressée n'a plus à intervenir sur l'engagement des poursuites, il est toujours loisible à cette assemblée de décider de suspendre les poursuites contre l'un de ses membres.
M. le garde des sceaux se souvient certainement qu'à l'époque nous avons écrit dans la Constitution que la suspension des poursuites était valable jusqu'à la fin de la session. Je lui ai posé la question de savoir si, la session étant achevée, les poursuites allaient reprendre et si, par exemple, une personne mise en détention et libérée parce que nous aurions décidé de la faire libérer se retrouverait, au lendemain de la fin de la session, de nouveau incarcérée. M. le garde des sceaux m'a répondu : « Bien sûr que non, il faudra revenir, cela va de soi !» Plusieurs des collègues qui ont assisté à cette discussion, notamment MM. Allouche, Dreyfus-Schmidt et quelques autres, sont d'ailleurs présents ce soir.
Mais, là, si le magistrat s'en tient au texte littéral du nouvel article 26 de la Constitution, il reprend ses poursuites le lendemain, sans tenir compte des travaux préparatoires de la loi constitutionnelle, donc sans les autorisations.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Ça, c'est extraordinaire !
M. Michel Charasse. C'est pourquoi l'amendement n° 269 est tout à fait d'actualité.
M. Jean-Jacques Hyest. Il faut encore réviser la Constitution !
M. Michel Charasse. Pour ce qui est de la dégradation civique, moi, je me suis contenté de reprendre l'ancien texte. Le mot « forfaiture » existe dans la loi de 1790, mais on ne sait pas ce que c'est ! Dans l'ancien code pénal, c'était un crime : il y avait une incrimination et une peine.
Eh bien, je vous propose de maintenir la même peine. Vous allez me dire qu'on ne peut pas parce qu'on l'a supprimée. Mais on peut toujours rétablir ce qu'on a supprimé ! La loi se fait ici. Elle ne se fait pas à La Gazette du Palais. Elle ne se fait pas dans les commentaires extérieurs. Elle ne se fait pas dans les journaux. Si l'on décide de rétablir la dégradation civique, on la rétablit, point, et la messe est dite !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Ce sont les commentaires extérieurs qui commandent les amendements !
M. Michel Charasse. Cela, je ne l'accepte pas. Je ne suis commandé par personne !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Mais je ne vous ai pas visé !
M. Michel Charasse. Ah bon !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, toujours dans cette fonction, bien lourde pour ma faible expérience, de représentant du président de la commission...
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Oh !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Non, monsieur le ministre, je suis tout à fait sérieux en disant cela, et la magnifique indignation du rapporteur a montré que nous étions dans une démarche qui risque de porter atteinte à la crédibilité de notre institution.
Bien entendu, nous sommes libres de voter ce que nous voulons. Sommes-nous, pour autant, libres de voter n'importe quoi ? C'est cela la vraie question ! Qu'en pensera le pays ?
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas n'importe quoi !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Je voudrais précisément essayer de vous montrer que c'est ce que nous risquons de faire.
M. Michel Charasse. Nous, nous pouvons le payer cher ; ce n'est pas le cas des juges, qui, eux, peuvent faire n'importe quoi !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Mais vous avez un compte personnel avec les juges, monsieur Charasse !
M. Michel Charasse. Je n'ai pas de sentiment personnel dans cette affaire !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. On le sent tellement que c'est véritablement un peu gênant !
M. Michel Charasse. Pas du tout ! ce sont uniquement mes sentiments républicains qui me font agir !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Je ne dirai pas que vous êtes sans gêne, mais je constate que vous n'êtes pas gêné.
Je regrette d'ailleurs que, dans ce torrent d'improvisation, vous n'ayez pas pensé aux écoutes téléphoniques, qui, par les temps qui courent, auraient peut-être appelé quelques-uns de ces amendements magnifiquement vengeurs et punisseurs !
M. Jean-Jacques Hyest. Absolument !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Je ne comprends pas qu'ils aient échappé à votre attention.
M. Michel Charasse. Je ne suis le vengeur de personne !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Ecoutez, monsieur Charasse, nous n'allons pas faire une musique avec une contrebasse qui m'accompagne continuellement ! Et puis, je n'en suis pas digne. Je vous en prie, réservez vos effets !
M. Emmanuel Hamel. Vous connaissez mal M. Charasse !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Mais j'apprends à le connaître de jour en jour !
M. Emmanuel Hamel. Plus vous le connaîtrez, plus vous l'apprécierez ! (Sourires).
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. J'en prends bonne note, monsieur Hamel, mais je tiens à vous dire - et il le sait parfaitement - que je l'apprécie déjà. Mais il y a appréciation et appréciation...
M. le président. Je vous en prie, monsieur le vice-président de la commission, développez votre argumentation !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Bien entendu, nous sommes le Parlement et nous faisons la loi.
Si nous étions en présence d'une urgence, d'une situation angoissante, je comprendrais qu'il faille prendre des mesures - dussions-nous ne pas en être totalement satisfaits - qui seraient « mises en circulation » à la faveur de la navette.
Encore convient-il de se méfier : même si l'on compte sur la navette pour polir les choses, à partir du moment où le Sénat, en première lecture, « met en circulation » telle disposition qui n'est pas véritablement heureuse, il se trouve engagé ; les commentateurs ne s'occuperont guère de savoir s'il n'a pris cette décision que dans la perspective de la navette ; ils se contenteront de dire : « Voilà ce que le Sénat a décidé ! »
Il faut donc que nous mesurions bien l'effet de la décision que nous prenons.
Cela dit, y a-t-il, en l'espèce, une extrême urgence ? Je n'en vois pas, car notre législation contient actuellement les dispositions adéquates.
J'observe au passage que M. Charasse s'est contenté de reprendre des textes dont l'archaïsme est tout à fait évident : ils ont été édictés à la fin de l'Ancien Régime, à une époque ou l'on voulait mettre fin à l'empiétement des parlements sur le pouvoir exécutif. Ces textes ne correspondent donc plus du tout aux données de notre époque. Il faudrait revoir cela profondément, mais nous n'allons pas le faire ce soir.
Quoi qu'il en soit, si j'ai bien compris, il y a, en gros, deux hypothèses : d'une part, les atteintes à la liberté individuelle et, d'autre part, la mise en échec de l'exécution de la loi.
M. Jean-Jacques Hyest. C'est réglé !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Or l'article 432-4 du code pénal traite de ces matières.
M. Jean-Chérioux. Quelle est la sanction ?
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Il est important de citer cet article, car personne ne l'a fait :
« Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, agissant dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, d'ordonner ou d'accomplir arbitrairement un acte attentatoire à la liberté individuelle est puni de sept ans d'emprisonnement et de 700 000 F d'amende.
« Lorsque l'acte attentatoire consiste en une détention ou une rétention d'une durée de plus de sept jours, la peine est portée à trente ans de réclusion criminelle et à 3 000 000 F d'amende. »
Qu'on ne nous dise donc pas que les atteintes à la liberté individuelle ne sont pas prévues dans nos textes !
S'agissant du respect de la loi, ce qui est plus ou moins visé dans l'amendement n° 270, l'article 432-1 du code pénal dispose :
« Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique, agissant dans l'exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l'exécution de la loi est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 F d'amende. »
Donc, des textes existent.
J'ajoute qu'il y a également un pouvoir disciplinaire, qui devrait peut-être s'exercer. Je pense au Conseil supérieur de la magistrature et à cet aspect de ses responsabilités qui pourrait être mieux développé.
Cela étant dit, je ne vois pas véritablement où est l'extrême urgence. Je vois encore moins, monsieur Gélard, en quoi nous sommes dans l'hypothèse de la séparation des pouvoirs. Encore une fois, vous vous prenez pour le constituant de 1790. Vous n'allez peut-être pas me contredire si je vous rappelle que la justice n'est pas un pouvoir. C'est vous qui, ici, en faites un pouvoir. (M. Gélard fait un signe de dénégation.)
Vous venez de le faire, et c'est assez grave.
Vous le savez, mieux que moi d'ailleurs, cela touche des questions tout à fait fondamentales de nos institutions actuelles. Pour ma part, je me refuse à faire de la justice un pouvoir et à entrer dans la mécanique qui consiste à dire qu'il faut sanctionner les erreurs de la justice - hélas ! il y en a - sous prétexte qu'elles portent atteinte à la séparation des pouvoirs. Il ne faut pas entrer dans ce type de raisonnement, qui accréditerait juridiquement l'idée selon laquelle la justice est bel et bien un pouvoir.
Je comprends, comme vous tous, l'irritation que nous éprouvons à l'égard d'un certain nombre de décisions. J'ai dénoncé ici même des malfaçons judiciaires émanant de différents juges du fond.
Dans la grande enquête que mon collègue M. Jolibois et moi-même avons menée, nous avons appris quantité de choses, des petites choses, mais qui, ajoutées les unes aux autres, conduisent à une certaine irritation.
J'ai dit ici même que, selon moi, un certain nombre de mises en détention provisoire étaient en réalité des mises à la question, et je ne serais pas gêné pour citer des noms. Nous sommes là en présence d'abus très graves, auxquels il est important de remédier.
Cependant, vous le savez bien, mes chers collègues, ce n'est pas par un texte d'épouvante comme celui-là que l'on va y parvenir.
Hélas ! nous retrouvons le problème des moyens de la justice, la fameuse question, qui devient de plus en plus pressante, de la distinction - la commission Truche y réfléchit actuellement, et il est important qu'elle aboutisse - entre le pouvoir d'enquêter et le pouvoir de placer en détention. Il faut parvenir à distinguer ces deux pouvoirs, comme c'est le cas dans de nombreuses démocraties développées.
Au fond, nos préoccupations sont identiques. Au lieu de nous lancer dans une résurrection de 1790, qui est totalement inadaptée et qui va, bien sûr, tomber sous le coup de nombreuses critiques, nous devrions plutôt poser les problèmes tels qu'ils se présentent dans une optique d'efficacité réelle.
Je comprends les préoccupations qui ont été exprimées, mais le moyen choisi n'est pas le bon. Vous savez comment la commission des lois a statué. Elle partage ce souci, à savoir envoyer un message à certaines personnes.
M. Jean-Jacques Hyest. On ne légifère pas pour envoyer des messages !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Je ne sais pas comment ces personnes comprendront le message.
M. Jean-Jacques Hyest. Comme une marque de défiance !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Mais je m'inquiète de la façon dont les Français, eux, comprendront ce texte dans lequel on sanctionne si durement les personnes qui portent atteinte à la situation personnelle de ministres et de membres du Parlement.
Telles sont, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles la commission des lois vous supplie, si j'ose dire, de ne pas suivre dans cette improvisation les suggestions de notre excellent collègue M. Charasse.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si certains amendements peuvent être qualifiés d'« improvisés » au motif qu'ils ne sont pas tout à fait au point et que l'on s'en remet à la navette pour les améliorer, parler d'« improvisation » à propos de textes qui ont des années derrière eux,...
M. Jean-Jacques Hyest. Qui n'ont jamais été appliqués !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... qui ne datent pas de l'Ancien Régime, qui parlent des procureurs de la République, ce n'est pas sérieux, monsieur le vice-président de la commission !
Vous avez cité des articles du code pénal aux termes desquels sont en effet punies certaines atteintes aux libertés qui proviendraient de magistrats. Soit ! Cependant, vous n'avez pas cité, et pour cause, des cas où seraient punis ceux qui auraient permis ou ordonné de citer des administrateurs « pour raison de l'exercice de leurs fonctions ». C'est un très beau style. Il s'agit d'un texte ancien, mais qui mérite d'être encore inscrit dans la loi.
Vous dites qu'il y a une autorité judiciaire et non un pouvoir judiciaire. C'est encore pire, permettez-moi de vous le faire observer. Il est évident que chacun doit faire son métier, que chacun doit exercer ses fonctions, que ce texte vénérable et nullement improvisé avait le mérite de le dire et qu'il n'y a pas de raison qu'il ne le dise plus.
L'occasion nous est ici donnée de reprendre un texte que l'on a commis l'erreur de supprimer, même s'il n'avait jamais servie - et tant mieux ! Il est nécessaire qu'il existe, pour que l'on puisse s'y référer.
C'est pourquoi je comprends mal que ceux qui trouvent que ces amendements ne sont pas directement inspirés par ce qui est leur souci général prolongent eux-mêmes la discussion, alors qu'ils estiment qu'elle n'avait pas lieu d'être.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Je veux simplement dire, au nom de mon groupe, que je ne prendrai pas part au vote, pour les mêmes raisons que tout à l'heure. En effet, j'estime que l'on s'écarte du débat. Il s'agit effectivement de questions très importantes qui intéressent les élus et la population, mais celles-ci ne peuvent être traitées, me semble-t-il, au détour de la discussion d'amendements portant sur le texte que nous examinons aujourd'hui.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La preuve que si !
M. Michel Charasse. Ce n'est jamais le moment !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 269, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 131.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 270, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 131.

Article 132