M. le président. « Art. 4. _ Les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de la même ordonnance sont remplacés par six alinéas ainsi rédigés :
« Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire est délivrée de plein droit :
« 1° A l'étranger mineur, ou dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, dont l'un des parents au moins est titulaire de la carte de séjour temporaire, s'il a été autorisé à séjourner en France au titre du regroupement familial ;
« 2° A l'étranger mineur, ou dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qui justifie avoir sa résidence habituelle en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de six ans, ou bien depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans s'il justifie être dans l'impossibilité de poursuivre une vie familiale effective dans son pays d'origine ;
« 3° Supprimé.
« 4° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, marié depuis au moins deux ans, dont le conjoint est de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé, que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ;
« 5° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français de moins de seize ans, résidant en France, à la condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant et qu'il subvienne effectivement à ses besoins. Lorsque la qualité de père ou mère d'un enfant français résulte d'une reconnaissance de l'enfant postérieure à la naissance, la carte de séjour temporaire n'est délivrée à l'étranger que s'il subvient à ses besoins depuis au moins un an ou depuis sa naissance ;
« 6° A l'apatride qui réside régulièrement en France depuis plus de six mois ainsi qu'à son conjoint et à ses enfants mineurs. »
Sur l'article, la parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai déjà eu l'occasion de souligner que le plus grave inconvénient, à mes yeux, du texte proposé par la commission, lequel reprend le texte initial du Gouvernement, était de nous conduire à prendre une décision en aveugle, sans savoir à quels cas la mesure s'appliquera.
J'observerai tout d'abord, une fois encore, que la réserve concernant l'état de polygamie, qui figurait d'ailleurs également dans l'amendement n° 79 de M. Vasselle, auquel j'adresse donc amicalement la même remarque, est fallacieuse. Toute contestation portant sur cette restriction risquerait d'être écoutée d'une oreille favorable par les juges. Il faut le savoir et en peser les conséquences !
En effet, la jurisprudence est claire sur ce point. Je citerai à cet égard un extrait des pages 319 et 320 du Traité de droit international privé de Batiffol et Lagarde : « La bigamie est-elle un délit pour celui dont la loi personnelle, que nous déclarons applicable à son état, admet la polygamie ?
« Il a longtemps été répondu affirmativement au vu de la jurisprudence réprimant les infractions au droit de la famille quel que soit le statut personnel de leur auteur. Mais des décisions récentes ont donné à penser que la conciliation des deux attitudes inpliquerait le principe de la consultation de la loi civile étrangère.
« Cette position a l'avantage de mettre à l'abri de la qualification de la loi pénale française un comportement que la règle française de conflit de loi prescrit de tenir pour régulier. »
Cela signifie très clairement que l'on considère qu'il n'est pas possible de contester la situation d'un étranger, ou même d'un Français d'origine étrangère, vivant en état de polygamie sur notre territoire, dès lors que celui-ci résulte de son statut antérieur.
En d'autres termes, cette restriction me paraît tout à fait illusoire.
Aussi constate-t-on, face à l'état de polygamie, ...
Mme Monique ben Guiga. C'est trop facile ! C'est nous les victimes !
M. Michel Caldaguès. ... une molle résignation de la part de nos administrations publiques, de nos services sociaux et de nos juridictions ?
J'ai sous les yeux un procès-verbal d'enquête de l'Office des migrations internationales, qui avait procédé à l'inspection d'un logement à l'occasion de l'examen d'une demande de certificat d'hébergement. Ce procès-verbal, émanant d'une administration de la République française, comme il est précisé dans l'en-tête, indique : « Personnes vivant de manière permanente dans le logement ; 56 ans, l'hébergeant, 38 ans, l'épouse, 25 ans, l'épouse ». Deux épouses, officialisées par un document administratif ! Je cite ce cas, car je le connais très bien.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. J'en termine, monsieur le président.
Je signale que l'une des femmes a été épousée à quatorze ans et que, depuis, mari a pris femme pour la troisième fois. On n'en est plus à une près !
Je reviendrai sur ce point lors des explications de vote, puisque mon temps de parole est épuisé. Mais voilà ce qui peut se cacher derrière la décision que l'on nous invite à prendre, mes chers collègues.
M. Serge Vinçon. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. L'affaire des sans-papiers a mis au jour le cas douloureux de personnes non expulsables parce que parents d'enfants français ou conjoints de Français, mais privés de papiers à cause des lois Pasqua.
Ces personnes avaient donc, pour ainsi dire, le droit de séjourner légalement en situation irrégulière dans notre pays !
Afin de remédier à cet état de fait absurde, on aurait pu croire que le Gouvernement, par l'intermédiaire de son ministre de l'intérieur, allait proposer une carte de résident valable dix ans à ces personnes dites « protégées ».
Il n'en est rien ! Ce qui est proposé, c'est seulement l'attribution d'une carte renouvelable permettant un séjour d'un an. Après avoir jeté des milliers de personnes dans la clandestinité avec les lois de 1993, on les place donc aujourd'hui dans une situation pour le moins précaire.
Cette précarité, doublée d'une suspicion latente, va à l'encontre de la volonté d'intégration des immigrés, et le présent projet de loi ne mettra pas fin à l'absurdité des situations nées de l'application des lois Pasqua.
En effet, il tend à pérenniser l'irrégularité du séjour, notamment des conjoints sans papiers qui, au terme de deux ans de mariage - ou d'un an, selon la commission des lois du Sénat -, pourront enfin obtenir cette carte de séjour d'un an.
Une fois encore, sous couvert de lutter contre l'immigration illégale, on fabrique des clandestins. A coup sûr, comme le disait le médiateur de la République, d'autres Saint-Bernard vont émerger après l'adoption de ce texte !
Ainsi, le projet de loi accroît encore la complexité de la législation en vigueur. La création de trois régimes juridiques différents, pour les enfants entrés en France, selon l'âge illustre bien ce point.
Voilà, mes chers collègues, quelques réflexions que m'inspire l'article 4, qui reste bien en deçà des espérances des « sans-papiers », des démocrates et d'une large fraction de notre population.
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Nous abordons maintenant le volet prétendument humanitaire de ce projet de loi.
Avant même d'évoquer dans le détail les dispositions de l'article 4, nous pouvons d'ores et déjà regretter de nouveau, monsieur le ministre, que vous ne sachiez pas répondre simplement à une question simple.
Qu'est-ce qui vous empêche, alors que vous semblez trouver une solution aux impasses créées par les lois Pasqua et mises en lumière par la grève de la faim des sans-papiers de Saint-Bernard, de poser le principe de la régularisation des personnes non expulsables ? Ces étrangers, à la fois non régularisables et non expulsables, ont, vous le savez, tous vocation à vivre en France. Non seulement vous ne permettez pas de résoudre tous ces cas, mais vous commencez par n'accorder à ces personnes qu'un titre de séjour provisoire d'un an, en ne leur offrant ainsi qu'une existence précaire sur notre sol.
M. Jacques Mahéas. Tout à fait !
Mme Danièle Pourtaud. Les attaches familiales sont pourtant plus durables, monsieur le ministre.
La France est liée par la Convention européenne des droits de l'homme. Je ne peux croire que vous êtes de ceux qui le regrettent et qui vivent ses principes comme une contrainte. Le droit à une vie familiale normale est un droit entier. Or, vous voulez diviser ce droit pour en tirer le moins de conséquences possible. Je ne prendrai que quelques exemples.
Lorsqu'un enfant est entré en France avant l'âge de dix ans, y a vécu plusieurs années, fréquente nos écoles, a appris notre langue et, bien souvent, ne connaît qu'elle - nous ne faisons, par ailleurs, aucun effort pour lui permettre d'apprendre la langue de son pays d'origine... mais c'est un autre sujet - peut-il envisager son avenir ailleurs qu'en France ?
Quelle absurdité de le contraindre à faire la preuve de son impossibilité de mener une vie familiale dans son pays d'origine ! Quel acharnement ridicule ! Faudra-t-il qu'il apporte la preuve que plus un seul membre de sa famille ne vit dans son pays d'origine ?
Autre incohérence : pouvez-vous nous expliquer, monsieur le ministre, comment le parent étranger d'un enfant français peut justifier subvenir effectivement aux besoins de son enfant alors qu'il est en situation irrégulière et qu'il ne peut donc pas travailler légalement ?
Pour ce qui est des conjoints de Français, il s'agit, là encore, d'une disposition soupçonneuse et absurde. Le conjoint étranger d'un Français devra désormais se maintenir sur notre sol en situation irrégulière pendant deux ans avant de prétendre à un titre de séjour.
Quelle est, par ailleurs, l'utilité de cette mesure, puisque l'administration peut à tout moment remettre en cause un titre de séjour obtenu à la suite de ce que l'on appelle un « mariage blanc » ?
Vous préférez la politique du soupçon et vous portez ainsi atteinte, me semble-t-il, à une institution qui vous est pourtant chère.
Outre ce que ces dispositions ont de profondément injuste et de déstabilisant pour les étrangers qui vivent en France, elles ne vous permettront en fait de n'obtenir qu'une seule chose : la multiplication des cas juridiquement inextricables et humainement intenables.
Cette façon tatillonne et mesquine d'ouvrir des possibilités très restrictives de régularisation ne fera pas contrepoids à cette loi policière. Rien ne saurait d'ailleurs y faire contrepoids. Rien ne pourrait justifier cet arsenal complexe de mesures policières qui, nous l'avons montré tous au long de ces débats, seront probablement inefficaces et portent atteinte aux libertés publiques.
M. Jacques Mahéas. Oui !
Mme Danièle Pourtaud. Si vous aviez au moins montré une volonté claire et forte d'offrir la possibilité à ceux qui ont vocation à vivre sur notre sol de le faire légalement, nous pourrions alors penser que vous avez un début de vision de ce que peut être une politique d'intégration.
Ce n'est malheureusement pas le cas, et cet article montre bien que votre volonté affichée de lutte contre l'immigration clandestine masque, en fait, la volonté de précariser l'ensemble de la population étrangère vivant en France.
En effet, vous refusez aussi de régulariser ceux qui vivent depuis quinze ans en France, qui ont eu, à un moment ou à un autre, un titre de séjour et qui, souvent, ont payé des impôts et des cotisations sociales. N'ont-ils pas assez montré leur désir d'intégration ? Croyez-vous qu'il s'agisse de clandestins ? Non ! La plupart du temps, ces personnes sont entrées régulièrement en France, elles ont obtenu un titre de séjour qui s'est ensuite perdu dans un imbroglio administratif qu'elles maîtrisaient mal.
L'Assemblée nationale a autorisé leur expulsion. Je souhaite que le débat qui s'est engagé à l'instant avec l'examen de l'amendement visant à insérer un article additionnel avant l'article 4 permette de revenir sur cette situation.
Nous verrons bien !
Cette précarisation généralisée est source de conflits et de rejets. C'est elle qui crée l'immigration irrégulière.
M. le président. Veuillez conclure, madame Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Je vais conclure, monsieur le président.
C'est ce processus qui fait le lit de l'insécurité et des théories xénophobes.
Vous aviez l'occasion, monsieur le ministre, de construire une législation stable et cohérente en vous inspirant des critères proposés par le collège des médiateurs ou par la commission nationale consultative des droits de l'homme. Vous pouvez encore le faire. Sinon, nous serions conduits à penser que vous préférez donner des gages à l'extrême droite et laisser place à l'arbitraire. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Mesdames, messieurs les sénateurs, ...
M. Guy Allouche. Plus fort !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur Allouche, ne vous inquiétez pas, je vais me rapprocher du micro. J'ai tellement envie que vous m'entendiez, et que vous ne vous contentiez pas de m'écouter.
L'article 4 est important. Il s'agit en fait, vous l'avez bien vu, de trouver des solutions pour des personnes qui, en raison des lois de 1981, 1989 et 1993, ne peuvent être expulsées mais n'ont pas droit à un titre de séjour.
M. Jacques Mahéas. Surtout la loi de 1993 !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Ce que vous dites n'apporte rien, monsieur le sénateur. Je vous en prie, ne compliquez pas une situation qui est déjà très difficile.
M. le président. En l'instant, M. le ministre a seul la parole.
Monsieur Mahéas, vous vous exprimerez quand votre tour viendra.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Cette situation est le plus souvent ingérable, en particulier pour les membres de familles françaises.
Cet article - j'en assume la responsabilité - a été imaginé, rédigé, voulu d'abord pour les familles qui comportent des Français - soit des conjoints, soit des enfants - c'est-à-dire plus de 80 % des dossiers qui nous sont soumis.
Je ne veux pas entrer dans des querelles de mots. Je précise simplement que cet article vise à mettre un terme à des situations qui, qu'on le veuille ou non, quelles que soient nos prises de position, portent atteinte à la possibilité de mener une vie familiale normale et, au-delà, à la crédibilité de notre politique et à l'application de la loi.
J'ai souhaité aussi, par cet article, que la loi comporte une indication claire, afin de guider efficacement les services des préfectures et de leur permettre, en dehors des cas qu'elle prévoit, de récuser tout chantage à la régularisation. Tel est le fondement de cet article.
Oui, je souhaite le règlement d'un maximum de situations d'étrangers qui ne sont ni régularisables ni expulsables. Je le dis comme je le pense.
Cependant, nous ne devons pas aller jusqu'à encourager la fraude. (Marques d'approbation sur plusieurs travées du RPR.) Ce serait le cas si nous régularisions les conjoints des Français entrés irrégulièrement, car nous favoriserions alors les mariages blancs. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Emmanuel Hamel. Cela existe !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. De même il faut convenir, s'agissant des parents d'enfants français, que le seul exercice juridique d'une autorité parentale partielle ne répond pas à l'objectif. Ce qui compte, c'est que le père assume effectivement l'entretien de l'enfant, sinon la régularisation n'a pas de sens.
Mme Monique ben Guiga. Et la mère ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Pourquoi prévoir un titre de séjour d'un an ? Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, ces personnes sont dans une situation non conforme à la loi : elles sont en séjour irrégulier et n'ont pas droit à une carte de dix ans en vertu de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Ensuite et surtout, pendant ce délai d'un an, les services vont pouvoir vérifier s'il y a ou non risque de trouble à l'ordre public. (Mme Dusseau proteste.)
M. Guy Fischer. Voilà !
M. Jean Chérioux. Cela existe !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie.
M. Jean Chérioux. Ils ne se sentent pas concernés par l'ordre public ; cela ne les intéresse pas !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. C'est important, parce que je suis aussi responsable de l'ordre public.
Il s'agit d'un article équilibré.
La Haute Assemblée doit bien prendre conscience de notre objectif. Nous voulons avant tout trouver des solutions pour des familles qui sont dans une situation ingérable parce qu'elles ne sont, compte tenu de la combinaison d'un certain nombre de textes, ni expulsables ni régularisables.
M. Jacques Mahéas. Les lois Pasqua !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Non ! il s'agit des lois de 1981 et de 1989.
Mais l'important, ce n'est pas d'écrire l'histoire,...
M. Jacques Mahéas. C'est de dire la vérité !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. ... c'est de trouver des solutions pour des situations humaines difficiles. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole et à Mme ben Guiga.
Mme Monique ben Guiga. Je crains que l'équilibre que vous évoquez, monsieur le ministre, ne soit celui de la carotte et du bâton, même au sein de l'article 4, qui, en principe, devait résoudre les situations inextricables créées, à ma connaissance - j'ai participé au débat - par la loi de 1993.
M. Jean Chérioux. Non, avant !
Mme Monique ben Guiga. Dans deux cas, ont été créées des catégories d'étrangers non expulsables et non régularisables, et le regroupement familial a été soumis à des conditions telles qu'un grand nombre de Français vivant en France n'auraient pas le droit, si elles leur étaient appliquées, d'avoir leur femme et leurs enfants auprès d'eux.
M. Jacques Mahéas. Voilà la vérité !
Mme Monique ben Guiga. Deux verrous dans les lois Pasqua ont eu pour conséquence que des étrangers sont devenus ni expulsables ni régularisables.
D'abord, aucune régularisation postérieure à une entrée irrégulière n'est possible, et cette mesure frappe avant tout des femmes et des enfants qui sont entrés en France hors regroupement familial - j'y reviendrai.
Ensuite et surtout, il n'existe aucun moyen de passer d'un titre de séjour à un autre titre de séjour. Je vais vous donner un exemple, sur lequel j'aurai l'occasion de revenir et donc je ne m'y attarderai pas en cet instant.
Il s'agit du cas de l'étudiante étrangère qui vient en France et qui se marie. Son titre de séjour d'étudiante n'est pas transformable sans retour dans son pays en un titre de séjour de conjoint. Or, comme, en général, le mariage intervient peu avant la naissance du premier enfant - c'est ainsi aujourd'hui, vous le savez - quand va-t-elle retourner dans son pays ? Juste avant l'accouchement ? Après ? Va-t-elle se séparer de son mari ? Séparer un jeune couple est bien difficile. Après trente ans de mariage, on se sépare plus facilement, mais au début...
En somme, cette impossibilité de transformer un titre de séjour en un autre titre de séjour crée des situations totalement inextricables.
Je voudrais citer un autre cas. Il s'agit d'une jeune femme algérienne rentrée en catastrophe en France en 1994, avec son mari français et sa belle-mère française, laquelle enseignait le français dans un village perdu d'Algérie et était menacée ; dans de telles conditions, tout le monde part. Jusqu'à ce jour, et en dépit de l'intervention de vos services, monsieur le ministre, il ne lui a été donné par la préfecture du Havre que des récépissés valables trois mois, et pas même la carte de séjour temporaire que vous aviez demandé qu'on lui délivre. Vous n'êtes même pas obéi, monsieur le ministre !
Un tel cas est pourtant évident. On ne va pas la renvoyer dans son village de Kabylie alors qu'elle a épousé un garçon dont la mère est française, qui est français lui-même, et qu'elle risquerait de s'y faire assassiner.
Par ailleurs, le regroupement familial est devenu très difficile. Les exigences sont telles en matière de revenus et de logement que nombre d'étrangers ne peuvent y satisfaire. En effet, on leur demande de disposer déjà d'un logement de dimensions suffisantes, alors qu'ils n'auront droit à l'allocation de logement qu'après l'arrivée de leur famille. Dans ces conditions, les entrées en France de femmes et d'enfants hors regroupement familial continuent !
Enfin, monsieur le ministre, vos préfets n'appliquent pas les circulaires de 1994 et de 1995 destinées à résoudre les cas humanitaires ! Voilà pourquoi ce projet de loi déçoit vraiment les principales associations s'occupant, pour l'honneur de la France, de tous ces étrangers placés dans des situations familiales et administratives inextricables.
La CIMADE, qui n'est pas une organisation extrémiste, qui est même...
M. Emmanuel Hamel. Très modérée !
Mme Monique ben Guiga. ... très modérée, effectivement, parle d'une régularisation ambiguë et au compte-gouttes.
Le conseil consultatif des droits de l'homme, s'il apprécie la régularisation de quelques cas, souligne néanmoins le maintien dans l'irrégularité d'un certain nombre d'étrangers présents en France. Mais j'aurai l'occasion d'en reparler.
Le collège des médiateurs, dont M. Laurin ignorait l'existence, est l'organisme le plus déçu.
M. le président. Il va vous falloir conclure, madame ben Guiga !
Mme Monique ben Guiga. Je vous donne les noms de quelques membres de ce collège des médiateurs : Lucie et Raymond Aubrac, Monique Chemillier-Gendreau, André Costes, directeur des oeuvres de migration pour l'Eglise de France, Stéphane Hessel, ambassadeur de France, Paul Ricoeur, philosophe, Henri Madelin, rédacteur en chef de la revue Etudes, Louis Schweitzer, secrétaire général de la Fédération protestante, Germaine Tillon, ancienne résistante et ethnologue.
M. le président. Il vous faut conclure, madame !
Mme Monique ben Guiga. Voilà les irresponsables qui demandent que l'on ait enfin une attitude humaine envers tous ces étrangers qui vivent en France dans des conditions abominables ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Il s'agit là d'un point fort du texte.
Monsieur le ministre, lorsque vous avez annoncé votre intention de proposer au Parlement un texte d'ajustement, nous avons été nombreux à considérer que ce n'était pas mal : nous pensions qu'un projet de loi très court - un article unique - permettrait, compte tenu de l'impasse juridique dans laquelle les lois de 1993 ont mis un certain nombre de personnes, de donner à ces dernières un titre de séjour temporaire. Une telle solution aurait été intelligente et perçue très différemment.
Or, de quoi discutons-nous ? D'un drôle de cocktail, composé d'une dose de pseudo-libéralisme avec l'article 4 et de quatre doses de mesures coercitives et répressives.
Monsieur le ministre il serait prudent de votre part de ne pas évoquer ce qui s'est passé en 1981, car les dispositions prises étaient liées au fait que des milliers d'étrangers étaient entrés en France avant l'arrivée de la gauche au pouvoir...
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. En 1981, il y a eu 133 000 régularisations !
Mme Danièle Pourtaud. Ces étrangers étaient déjà sur le territoire !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Vous avez régularisé 133 000 personnes !
M. Guy Allouche. Je répète que ces étrangers ont été régularisés en 1981 parce qu'ils étaient déjà sur le territoire, avant même l'arrivée de la gauche au pouvoir ! C'est vous qui les avez donc laissés passer, le ministre de l'intérieur étant alors notre collègue Christian Bonnet !
M. Christian Bonnet. Il va vous répondre !
M. Guy Allouche. Mais volontiers !
Monsieur le ministre, en commission, je vous ai posé une question. Avec le sourire, qui vous est coutumier, vous m'avez dit : « Je ne vous répondrai pas ! »
On peut lire, à la page 11 du rapport écrit de M. Masson, que l'article 51 de la loi du 24 août 1993 a prévu l'élaboration par le Gouvernement d'un « rapport portant notamment sur le nombre des étrangers ayant été admis à séjourner sur le territoire national au cours de l'année écoulée et sur les mesures mises en place pour lutter contre l'immigration clandestine ».
Depuis 1993, aucun rapport ne nous a été remis ! Même dans le cadre de ce débat, nous n'avons pas obtenu de données chiffrées très précises.
Ce silence sur les chiffres est en réalité un prétexte pour laisser accroire à l'opinion que ces personnes en situation irrégulière envahissent le pays. Nous savons bien que ce n'est pas le cas !
Je vous ai dit mardi, monsieur le ministre, que vous aviez une obsession, et on le vérifie : vous ne voulez pas nous donner de chiffres précis sur les situations que nous évoquons, car votre premier objectif est l'expulsion du maximum de personnes. Si ces dernières le méritent, il faut les expulser ; mais, dans le cas contraire, vous forcez alors un peu la dose !
Par ailleurs, vous voulez limiter au maximum les entrées, d'où les certificats d'hébergement.
Enfin, vous laissez encore dans l'impasse juridique six catégories de personnes qui ne sont pas expulsables, mais que vous ne voulez pas régulariser. En effet, si le bon sens avait triomphé avec ce projet de loi, si toutes ces personnes qu'on ne peut pas expulser avaient été régularisées, vous auriez dû élaborer une loi de régularisation ; or, vous ne voulez pas vous y résoudre, car vous savez que, pour vous, c'est politiquement contre-productif.
M. le président. Il vous faut conclure, monsieur Allouche !
M. Guy Allouche. Avec l'article 4, vous laissez dans l'impasse juridique des catégories de personnes, d'ailleurs peu nombreuses, alors que nous aurions souhaité que le bon sens triomphe en la circonstance. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Je voudrais faire un rappel opportun.
En 1980, a été votée une première loi destinée à lutter contre l'immigration clandestine. Ce texte a été purement et simplement abrogé dès l'été 1981 par notre excellent collègue M. Autain, alors secrétaire d'Etat, parce que Gaston Defferre, mon successeur au ministère de l'intérieur, avec lequel j'entretenais d'excellentes relations, n'avait aucune envie, maire de Marseille qu'il était, de se hasarder à abroger un texte qui, apparemment, donnait satisfaction à beaucoup d'habitants de sa ville ! Il s'est ensuivi une régularisation portant, selon le chiffre officiel, sur 133 000 clandestins.
Nos collègues ont énormément de difficultés à comprendre que, dans un monde de signes, toute régularisation est un feu vert : c'est le signal envoyé jusqu'aux extrémités du monde qu'il est possible de venir en France en situation irrégulière et de s'y faire régulariser par la suite !
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Christian Bonnet. Par ailleurs, toute loi, qu'il s'agisse de la loi de 1980, de la loi de 1986 ou de la loi de 1993, est considérée comme un feu rouge et un véritable barrage à l'aspiration de tous ces pauvres gens qui voudraient venir en France en situation irrégulière, avec l'espoir de se faire régulariser. C'est pourquoi, à mon avis, ce mot n'a pas été employé dans le débat par M. le ministre de l'intérieur. A priori, je suis férocement hostile à toute régularisation, parce qu'elle appelle de nouvelles immigrations clandestines. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier. « Férocement » est le mot !
M. Jacques Mahéas. Saint-Bernard est un contre-exemple !
M. Christian Bonnet. Mais je suis favorable au texte du Gouvernement, car il permettra une identification. Je sais que M. le ministre préfère avoir sur le territoire des étrangers régularisés et identifiables, plutôt que des immigrés en situation irrégulière, dont même l'Office des migrations internationales est incapable de dire le nombre ! C'est le directeur de l'OMI, je crois, qui évaluait le nombre de ces irréguliers entre 50 000 et un million, sans pouvoir donner de chiffre exact ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR. - Exclamations sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Il s'agit non pas d'envisager une régularisation de masse, mais d'éviter une législation pointilliste qui ne fera, je le crains, que nourrir à nouveau des cas de personnes en situation irrégulière entrant dans la clandestinité et une jurisprudence qui ne cesse - je dois le dire - de rendre le droit plus touffu.
La seule réponse logique et simple à la situation des personnes actuellement non expulsables, situation due - il faut avoir le courage de l'admettre ! - aux défauts des lois de 1993, c'est celle qu'a formulée M. Mazeaud. On peut ainsi lire la phrase suivante, à la page 45 du rapport de M. Mazeaud : « Soulignons à titre liminaire qu'une solution logique aurait purement et simplement consisté à prévoir l'attribution de plein droit d'une carte de séjour à toutes les personnes non expulsables pour peu que leur présence ne constitue pas une menace à l'ordre public. Cette option, sans doute vigoureusement critiquée par certains, quoique frappée au coin du bon sens » - on ne saurait mieux dire ! - « aurait définitivement mis en accord la pratique avec le droit et singulièrement renforcé notre législation dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas. On peut même applaudir M. Mazeaud !
M. Robert Badinter. Mais c'est cela que l'on n'est pas capable de faire, car on veut réserver des pouvoirs à l'administration au cas par cas.
C'est pourquoi, pour une fois que nous avions l'occasion de pouvoir simplifier la législation, il nous fallait absolument choisir cette solution-là, qui était claire et humaine. Je regrette que la suggestion de M. Mazeaud n'ait pas été adoptée ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas. Tout à fait !
M. le président. La parole est à M. Autain.
M. François Autain. Notre honorable collègue M. Bonnet a semblé, dans son intervention, dissocier l'action menée par Gaston Defferre et par moi-même, en 1981, lorsque nous étions tous deux membres du Gouvernement.
Je rappelle qu'il existe une solidarité gouvernementale et que Gaston Defferre, comme tous mes collègues d'alors, était d'accord avec la loi, adoptée en 1981, qui abrogeait la loi de 1980.
Monsieur Bonnet, vous avez déclaré que la régularisation menée à bien en 1981 avait eu un effet d'appel sur les candidats à l'immigration, tels ceux des pays du Maghreb, par exemple. Mais on pourrait développer une thèse inverse, à savoir que les mesures que vous avez déjà prises et celles que contient ce projet de loi fabriquent des clandestins. Ainsi, c'est parce que la politique que vous avez menée pendant des années a fabriqué un tel nombre de clandestins que nous avons été obligés de procéder à cette régularisation ! (Vives protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Christian Demuynck. Affabulateur ! C'est la meilleure, celle-la !
M. Jacques Mahéas. Non, c'est vrai !
M. Alain Gouriac. On se moque de nous !
M. François Autain. La situation dans laquelle nous sommes a une ressemblance avec celle que nous avons connue en 1981. Nous sommes confrontés à la présence d'un nombre important de clandestins, et il va vous falloir, comme vous l'avez déjà fait, essayer d'examiner chaque situation et de procéder à une régularisation au cas par cas.
Vous ne pourrez pas faire l'économie de ces régularisations partielles, car ces dernières sont le seul moyen d'éviter les situations dramatiques que vous connaissez et auxquelles un homme sensible ne peut pas ne pas répondre, sauf à être, comme vous, monsieur Bonnet, « férocement » opposé à toute régularisation », ce qui n'est pas notre cas. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Sur l'article 4, je suis saisi de vingt-neuf amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune. Mais, pour la clarté du débat, je les appellerai un par un.
Par amendement n° 199, Mme Dusseau propose de supprimer cet article.
La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. L'article 4 est lourd de conséquences. Il modifie les conditions de délivrance et de renouvellement de plein droit de la carte de séjour temporaire, en faisant référence à la notion de menace pour l'ordre public.
Une fois de plus, avec cette notion, nous entrons dans un dispositif à la fois flou et dangereux, car elle est laissée à l'appréciation discrétionnaire de l'administration.
Les jeunes qui entrent dans leur dix-huitième année sont régularisés systématiquement s'ils ont leur résidence habituelle en France depuis qu'ils ont atteint au plus l'âge de six ans, ou bien l'âge de dix ans s'ils justifient être dans l'impossibilité de poursuivre une vie familiale effective dans leur pays d'origine.
Je veux seulement vous faire remarquer, mes chers collègues, que, quand vous avez dix-huit ans et que vous êtes arrivé en France depuis l'âge de dix ans, vous y êtes depuis huit ans au moins ; à dix-huit ans, c'est donc la moitié - ou presque - de votre vie que vous avez passée en France ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Robert Calmejane. Ils ne vivent pas vieux !
Mme Joëlle Dusseau. La moitié de votre vie à ce moment-là, bien sûr ! C'est un peu comme si, vous, à soixante-dix ans, vous aviez passé la moitié de votre vie, soit trente-cinq ans, en France et que l'on vous demandait alors de faire la preuve de l'impossibilité de poursuivre une vie familiale effective dans votre pays d'origine ! C'est inhumain, c'est aussi aberrant, c'est en contradiction totale avec la situation réelle des jeunes concernés.
Quant à celui qui est en France depuis plus de quinze ans, vous le savez, l'Assemblée nationale a supprimé la possibilité, pourtant ouverte par le Gouvernement, de sa régularisation.
Je suis sensible au fait que la commission des lois du Sénat en propose le rétablissement, mais je veux insister sur le fait que les personnes qui sont en France depuis plus de quinze ans font au moins la preuve d'une belle persévérance. Ils ont, en quinze ans, noué toute une série de liens amicaux, familiaux. C'est long, quinze ans !
Je regrette donc vivement la décision de l'Assemblée nationale.
Cela étant, M. le ministre a dit que l'on ne pouvait que leur donner une carte de séjour d'un an, parce qu'il pourrait y avoir menace contre l'ordre public.
Si l'on ne s'est pas rendu compte que, depuis quinze ans, ces personnes menaçaient l'ordre public, ce n'est pas en un an de plus que l'on prouvera qu'il peut y avoir une menace ! Vraisemblablement, les intéressés se seront fondus dans la masse - certes, dans l'illégalité - et ne demanderont qu'une chose : rester.
Dans un autre domaine, mes chers collègues, j'ai été extrêmement frappée par l'obsession de l'auteur du texte à propos de la non-polygamie.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Eh oui !
Mme Joëlle Dusseau. A tous les paragraphes, systématiquement, il est fait mention de l'étranger non polygame.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Eh bien oui !
Mme Joëlle Dusseau. Tout à l'heure, notre collègue M. Bonnet nous rappelait qu'il convenait de faire attention aux signes. Une loi, en effet, ce ne sont pas seulement des décisions, mais aussi des signes. Il convient donc de faire attention à ceux que vous donnez avec cette obsession de la non-polygamie.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Oui !
M. le président. Madame Dusseau, il vous faut conclure !
Mme Joëlle Dusseau. Cela laisse à penser qu'il existerait deux catégories d'étrangers, les étrangers polygames et les étrangers non polygames !
M. René-Georges Laurin. Evidemment !
Mme Joëlle Dusseau. Actuellement, trois millions de cartes de séjour ont été délivrées en France, Or, monsieur le ministre, vos services estiment à environ 10 000 les étrangers qui vivent en état de polygamie.
M. René-Georges Laurin. C'est scandaleux !
M. Alain Gournac. C'est trop !
Mme Joëlle Dusseau. C'est quand même l'exception ! Je voudrais donc vous mettre en garde contre l'image que vous risquez de donner des étrangers,...
M. Emmanuel Hamel. Nous sommes pour la libération de la femme !
Mme Joëlle Dusseau. ... image qui ne peut être que négative.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Afin qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, je voudrais vous dire, madame, que, oui, je suis contre la polygamie. Mais ce n'est pas moi qui suis contre : c'est la loi, et je fais respecter la loi. Or la loi dit que la polygamie est un trouble à l'ordre public. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président,...
M. le président. Madame Dusseau, vous n'avez pas la parole !
M. René-Georges Laurin. Vous n'allez tout de même pas défendre la polygamie ! Une femme ? C'est une honte !
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est de l'inconscience !
M. le président. Monsieur Laurin,...
M. René-Georges Laurin. Je m'insurge ! Qu'on puisse être pour la polygamie...
Mme Joëlle Dusseau. Je vous interdis de dire une chose pareille ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Madame Dusseau, monsieur Laurin, si vous avez des problèmes à régler, allez les régler dehors ! (Brouhaha.)
Par amendement n° 123, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit l'article 44 :
« Sauf si leur présence constitue une menace grave pour l'ordre public, les étrangers visés à l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 bénéficient de plein droit d'une carte de séjour temporaire. »
La parole est à M. Allouche. (Le brouhaha persiste.)
Mes chers collègues, je vous en prie ! Pour l'instant, seul M. Allouche a la parole, et je vous demande de l'écouter dans le calme.
M. Guy Allouche. La classe est dissipée, monsieur le président !
M. Emmanuel Hamel. Nous sommes très calmes !
M. René-Georges Laurin. Nous sommes calmes, mais indignés !
M. Guy Allouche. Monsieur le président, mes chers collègues, avant d'aborder cet amendement n° 123, je pense qu'il serait utile que chacun de nous prenne connaissance de la presse de ce matin, qui fait état du rapport de l'Institut national d'études démographiques : cela nous éviterait d'employer des clichés erronés et chacun aurait une idée plus juste de la réalité de la population qui vit sur notre territoire.
Avec l'amendement n° 123, nous proposons une mesure de bon sens, que j'évoquais il y a un instant : nous souhaitons accorder un titre de séjour à tous ceux qui ne sont pas expulsables et qui sont sur le territoire depuis une quinzaine d'années.
Nous souhaitons que, sauf si sa présence constitue une menace grave pour l'ordre public, tout étranger visé à l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 bénéficie de plein droit d'une carte de séjour temporaire.
La nouvelle rédaction de l'article 4 que nous proposons comporte deux modifications par rapport au texte initial. L'une, l'addition du mot « grave », est, techniquement, de pure cohérence législative, mais elle est politiquement importante et fera donc l'objet d'un amendement distinct. (Le brouhaha ne cessant pas, M. Allouche interrompt son discours.)
M. Jacques Mahéas. Oui, arrêtez-vous, mon cher collègue, ils n'écoutent pas !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Allouche, je vous prie !
M. Guy Allouche. Sur le fond, monsieur le ministre, la raison initiale qui vous a poussé à mettre cette loi en chantier est le fait que la loi Pasqua de 1993 a introduit dans notre droit la dangereuse notion de « personnes étrangères non expulsables », car l'ordonnance de 1945 a défini des exigences humaines sur lesquelles nul ne veut revenir, et « non régularisables », car la loi de 1993 soumettait leur régularisation à des exigences qui ne sont pas toujours compatibles avec la réalité empirique des situations concrètes.
Votre objectif était de limiter ou, mieux, de supprimer cette zone de non-droit et d'insécurité juridique.
Telle qu'il est rédigé, votre projet va multiplier les cas de personnes non régularisables non expulsables, à qui l'on interdira de chercher un emploi et de s'installer de manière à pouvoir être régularisées. Ce sont ces « irréguliers contraints » qui peuvent être poussés à des comportements extrêmes pour survivre !
Mes chers collègues, certains membres du groupe de l'Union centriste ont également déposé un amendement en ce sens. Il serait juste, il serait généreux, il serait humainement souhaitable que la Haute Assemblée prenne en compte la situation des intéressés - ils ne sont pas très nombreux - et que nous appliquions ensemble une mesure de bon sens afin que ces personnes qui, de toute façon, ne pourront pas repartir puissent avoir une carte de séjour temporaire qui leur permette de vivre normalement et d'élever dignement leurs enfants.
M. le président. Par amendement n° 3 rectifié, MM. Diligent, Amoudry, Arnaud, Arzel, Badré, Ballayer, Barraux, Baudot, Bécot, Belot, Bernadaux, Bernardet, Blaizot, Blin, Mme Bocandé, MM. Bohl, Cantegrit, Cluzel, Daunay, Deneux, Dessaigne, Dulait, Egu, Fauchon, Faure, Franchis, Genton, Grignon, Henry, Herment, Huchon, Huriet, Hyest, Lagourgue, Lambert, Le Breton, Le Jeune, Lesbros, Lorrain, Machet, Madelain, Malécot, Marquès, Mathieu, Louis Mercier, Millaud, Poirier, Pourchet, Richert, Guy Robert, Rocca Serra, Vecten et de Villepin proposent de rédiger comme suit l'article 4 :
« Les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Sauf si leur présence constitue une menace pour l'ordre public, les étrangers visés à l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 bénéficient de plein droit d'une carte de séjour temporaire. »
La parole est à M. Diligent.
M. André Diligent. Je saisis l'occasion qui m'est donnée pour revenir sur les propos tenus par Mme Dusseau. Certaines formes d'antiracisme font quelquefois, en effet, le jeu des racistes... et je ne mets pas en cause Mme Dusseau elle-même, bien entendu.
J'ai ainsi eu plusieurs fois l'occasion d'aller devant les tribunaux. La dernière fois, j'y ai été cité comme témoin parce que le président de mon office d'HLM avait pris la responsabilité de couvrir un chef d'agence qui avait refusé, pendant un certain temps, l'installation dans son îlot de personnes provenant d'un certain pays d'Afrique. Horreur ! La Ligue des droits de l'homme a porté plainte, et j'ai été appelé comme témoin.
J'ai expliqué qu'il s'agissait d'un îlot peuplé avec des ménages polygames en provenance d'un pays d'Afrique noire - il existe peu de ménages polygames en Afrique du Nord - et que cette question revêtait une importance particulière dans certains HLM, où les ménages se partagent le nettoyage des paliers et des escaliers. Comme c'est généralement à la femme que l'on demande d'accomplir cette tâche, s'il y a polygamie, on ne sait plus à quelle femme s'adresser ! (Sourires.)
J'ai donc expliqué que la décision du chef d'agence s'inscrivait dans une politique antiraciste, pour une raison extrêmement simple : il faut avant tout éviter les ghettos. J'avais d'ailleurs pris soin d'apporter à la barre un article de M. Harlem Désir - qui ne peut être suspecté à cet égard - intitulé : « Evitons les ghettos ».
Certaines formes d'antiracisme - et je pourrais citer nombre d'exemples - font le jeu du Front national, parce qu'elles s'exercent de manière maladroite.
M. Alain Gournac. Très bien ! Il a raison !
M. André Diligent. Mais j'en viens à l'amendement n° 3 rectifié.
Je ne suis pas d'accord avec M. Bonnet... mais je m'aperçois qu'il n'est pas là, et j'ai horreur de parler des absents, surtout s'il s'agit de M. Bonnet...
Mme Monique ben Guiga. Nous lui répéterons vos propos !
M. le président. Attention, votre temps s'écoule, monsieur Diligent !
M. André Diligent. Mais il est vrai que, maintenant qu'il n'est plus ministre de l'intérieur, il m'intéresse moins ! (Sourires.)
Je vous vois sourire, mes chers collègues, et cela me donne l'occasion de regretter une nouvelle fois que la langue française n'ait jamais mis en usage le point d'ironie : il y a le point d'interrogation, le point d'exclamation, les points de suspension... mais pas le point d'ironie, grâce auquel on peut dire littéralement le contraire de ce que l'on pense en étant sûr que le lecteur rétablira de lui-même. J'ai ainsi parfois pu lire sous mon nom, dans le Journal officiel - mais sans point d'ironie, hélas ! - des propos que j'avais bien tenus mais qu'il fallait interpréter de manière opposée.
Cette parenthèse refermée, je dirai que les difficultés - parfois légitimes, parfois exagérées - que l'on rencontre pour faire aboutir un dossier de régularisation transforment cette procédure en grand obstacle à affronter. Il ne s'agit donc pas d'un appel d'air ! Je le dis en toute simplicité, parce que j'ai des dizaines de dossiers sur mon bureau.
M. Badinter a cité à cet égard le rapport de M. Mazeaud. Pour ma part, je me référerai à celui de M. Masson, qui est plus important pour moi que celui de M. Mazeaud, malgré l'estime que je porte à ce dernier, surtout quand il ne dit pas du mal du Sénat. (Sourires.)
M. Alain Gournac. Lui, ce sont les virgules ! (Nouveaux sourires.)
M. André Diligent. Qu'écrit M. Masson ? « Pour autant, les auteurs du projet de loi n'ont pas souhaité mettre en totale cohérence la liste des bénéficiaires de plein droit de la carte de séjour temporaire avec celle des étrangers ne pouvant faire l'objet d'une mesure d'éloignement, solution qui - comme l'a relevé le président Pierre Mazeaud - aurait pu avoir le mérite de la logique et aurait singulièrement simplifié la législation dans ce domaine. »
Quel soulagement, et quelle économie, d'ailleurs ! C'est la raison pour laquelle, pour une simple question de bon sens, je soutiens fermement l'amendement que je vous présente.
Il ne s'agit pas pour moi d'être désagréable envers M. le ministre - nous sommes ici en dehors des clivages majorité-minorité - mais de considérer que, comme on l'a dit dans cette enceinte hier et avant-hier, on peut avoir, au sein d'un même camp, des idées différentes. C'est d'ailleurs la gloire du parlementaire que de pouvoir, de temps en temps et sans franchir le Rubicon, s'exprimer même si l'on est en désaccord avec certains de ses amis. Voilà qui fait la beauté de la République et de la démocratie ! (Mme ben Guiga applaudit.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien ! Vous êtes courageux !
M. André Diligent. Si cet amendement vise à doter tout étranger non expulsable d'une carte de séjour, c'est tout simplement parce que j'ai constaté que la lui refuser, c'est le vouer au travail clandestin, sauf à en faire un miséreux ou à l'inciter à la délinquance et au trafic, parfois, pour nourrir sa famille.
Mme Monique ben Guiga. Exactement !
M. André Diligent. Le titre de séjour est un droit que je considère supérieur à tout le reste : c'est le droit d'Antigone.
C'est la raison pour laquelle cette question n'est pas simplement une question de coeur, mais également une question de bon sens.
En des temps anciens, dans certaines îles asiatiques, on ne tuait pas immédiatement les condamnés à mort ; on les abandonnait sur un îlot rocheux.
Toutes proportions gardées, monsieur le ministre, car je ne vous prends pas pour un bourreau (Sourires), en l'espèce, on fait un peu la même chose : on laisse les gens dans une situation dont ils ne peuvent sortir en restant dans la légalité. On les pousse, sinon au crime, du moins à la misère, à la délinquance.
Refuser cet amendement, dans la situation actuelle, ce serait donc accepter d'être un fauteur de troubles civils.
Je ne sais si je vous ai convaincu, monsieur le ministre, mais il serait intéressant que vous puissiez dire que vous l'avez été après un débat de haut niveau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, j'ai été nommément mise en cause et je souhaite répondre.
M. le président. Non, madame, pas maintenant. Si c'est pour un fait personnel, vous pourrez avoir la parole en fin de séance.
Mme Joëlle Dusseau. Deux minutes, monsieur le président.
M. le président. Non, madame.
M. André Diligent. Je vous ai mise en cause, madame ? J'ai simplement exprimé l'admiration que j'ai pour vous. (Exclamations sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Josselin de Rohan. Oh ! une aventure ! (Sourires.)
M. André Diligent. Une admiration purement intellectuelle, mes chers collègues. Il n'est plus question, là, ni de monogamie ni de polygamie. (Nouveaux sourires.) C'est sur le plan purement platonique que j'avouais mon admiration pour Mme Dusseau, à qui il arrive de faire des observations très intelligentes.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président... (Protestations sur les mêmes travées.)
M. le président. Madame Dusseau, non !
Mme Joëlle Dusseau. On a dit que je faisais le lit du racisme !
M. le président. Madame Dusseau, non !
Par amendement n° 124, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans le premier alinéa du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, après les mots : « constitue une menace », d'insérer le mot : « grave ».
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Qui, parmi nous, pourrait tolérer que des personnes étrangères en situation irrégulière sèment le trouble sur notre territoire ?
Il convient cependant de rappeler que la réserve de l'ordre public - que le barreau de Paris, que les magistrats interprètent comme une mesure très floue, très imprécise - a été introduite dans la loi du 9 septembre 1986.
M. Jean-Jacques Hyest. Elle date de 1984 !
M. Guy Allouche. La réserve de l'ordre public a été prévue par la loi du 9 septembre 1986, monsieur Hyest. Elle a été supprimée par la loi du 2 août 1989 et elle a été rétablie par la loi du 24 août 1993. C'est le signe que, derrière cette notion volontairement floue, se cache quelque chose.
J'en veux pour preuve ce qui s'est passé, hier encore, lorsque quelques femmes sans papiers ont manifesté, comme elles le font depuis quelques jours. Ces femmes ont été arrêtées.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Guy Allouche. Elles ont été conduites au commissariat de police.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Guy Allouche. Au bout de quelques heures, elles ont été relâchées.
Chaque jour, elles continueront de manifester, elles seront arrêtées...
M. Alain Gournac. C'est normal !
M. Guy Allouche. ... et elles seront relâchées parce qu'on ne peut pas les expulser.
Mais ce qui est à craindre, c'est qu'à force de manifestations répétées le Gouvernement ne dise qu'elles menacent l'ordre public...
M. Josselin de Rohan. Eh oui !
M. Guy Allouche. ... et qu'elles ne soient expulsées.
Mes chers collègues, l'expression « menace pour l'ordre public » est trop floue. Voilà pourquoi nous proposons d'ajouter que cette menace doit être « grave », ce terme visant des choses bien précises. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Robert Pagès. Très bien !
M. le président. Par amendement n° 170, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le premier alinéa du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, de remplacer les mots : « la carte de séjour temporaire » par les mots : « la carte de résident ».
La parole est à Mme Fraysse-Cazalis.
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis. L'affaire des sans-papiers a confirmé pour le moins l'incohérence et l'absurdité des lois Pasqua.
Depuis 1993, de nombreux étrangers qui ont vocation à vivre en France en raison soit de leurs attaches familiales, soit de l'ancienneté de leur séjour, n'ont pu obtenir un titre de séjour alors même qu'ils étaient protégés contre les mesures d'éloignement du territoire.
Depuis 1993, des étrangers entrés en France à l'âge de sept, neuf ou dix ans, qui ont suivi la quasi-totalité de leur scolarité dans notre pays, se retrouvent, à leur majorité, privés de tout droit à un titre de séjour et sont priés de rentrer dans leur pays d'origine, où ils n'ont bien souvent plus aucune attache familiale.
Ainsi les lois Pasqua ont-elles créé des situations non seulement absurdes mais inhumaines et, par conséquent, inacceptables.
Avec le présent projet de loi, on prétend remédier à cette situation, en accordant un titre de séjour d'un an aux catégories d'étrangers protégés légalement contre les reconduites à la frontière en raison des liens particuliers qui les unissent à la France.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de mettre sérieusement en doute la volonté du Gouvernement de remédier à ces situations. En effet, la solution contenue dans le présent projet, qui consiste à accorder un titre de séjour d'un an à des parents d'enfants français ou à des conjoints de Français, titre non renouvelable de plein droit et qui n'autorise pas automatiquement l'étranger à travailler, institutionnalise la précarité. Ce n'est ni sérieux ni acceptable.
Comment le Gouvernement ose-t-il, dès lors, parler d'intégration des personnes d'origine étrangère ?
Notre amendement tend à revenir à la situation antérieure aux lois Pasqua, en accordant une carte de résident valable dix ans aux étrangers qui ont vocation à vivre en France.
C'est la seule solution qui soit à la fois sérieuse, responsable et respectueuse des personnes concernées. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.) M. le président. Par amendement n° 125, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas,Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit le troisième alinéa (2°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 :
« 2° A l'étranger mineur, ou dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qui justifie par tout moyen avoir sa résidence habituelle en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans. »
La parole est à Mme ben Guiga.
Mme Monique ben Guiga. Cet amendement tend à supprimer le membre de phrase qui ajoute à la condition de résidence habituelle en France depuis l'âge de dix ans l'obligation de justifier l'impossibilité dans laquelle on est de poursuivre une vie familiale effective dans son pays d'origine pour obtenir une carte de séjour temporaire quand on atteint l'âge de dix-huit ans et qu'on est entré en France hors regroupement familial.
Cette obligation, ajoutée à la condition d'âge, ne peut, en réalité, être satisfaite. Il s'agit, en effet, de prouver quelque chose de négatif : il faut prouver que l'on ne pourra pas mener une vie familiale normale dans son pays d'origine.
Qu'entend-on par vie familiale normale ? Va-t-on user de l'argument que les familles africaines sont beaucoup plus étendues que les nôtres pour dire que, après tout, avoir un oncle ou une grand-mère en Afrique suffit pour mener une vie familiale normale ?
Avoir trois frères en France et un qui est resté au pays, cela permet-il de mener une vie familiale en France plutôt qu'au pays ou le contraire ? C'est une notion subjective et susceptible de toutes sortes d'interprétations, les unes favorables, les autres défavorables.
La condition d'âge est déjà rigoureuse. Il n'est pas bon d'en ajouter une autre.
En fait, ces jeunes qui atteignent l'âge de dix-huit ans en France et qui sont entrés hors regroupement familial seront lourdement pénalisés pour une faute commise non pas par eux mais par leurs parents. En droit moderne, c'est tout de même difficile à admettre : le fils est pénalisé pour la faute de son père !
Voyons maintenant la situation de ces milliers de jeunes telle qu'elle est décrite par les différentes associations qui s'occupent d'eux.
A dix-huit ans, ils deviennent expulsables, après avoir été scolarisés en France, après avoir été imprégnés des moeurs et de la mentalité française, et alors que, dans leur pays d'origine - je peux en témoigner - ils sont considérés comme des étrangers et traités de « Français » de façon plutôt péjorative.
En tant que professeur enseignant dans un pays étranger, j'ai eu à connaître des suicides des jeunes rentrés dans leur pays d'origine dans de telles conditions. Je ne dis pas cela pour émouvoir à bon compte ; je connaissais la jeune fille qui s'est suicidée, je l'avais eue comme élève. Tout simplement, elle ne s'était pas réadaptée, car c'était impossible après avoir passé dix ans en France !
A dix-huit ans, donc, si ces jeunes ne veulent pas se séparer de leur famille et de leurs amis, ils n'ont qu'une solution : plonger dans la clandestinité, ce qui signifie, M. Diligent l'a dit, devenir travailleurs clandestins, voire, dans certains cas, délinquants.
Les plus favorisés sont les lycéens, parce qu'ils sont protégés par leurs enseignants et leurs condisciples.
Vous semblez ignorer complètement la grande solidarité de la jeunesse, messieurs. Les jeunes ne se préoccupent pas de savoir qui a telle ou telle carte. Ils ont des condisciples qu'ils aiment, dont ils sont solidaires et qu'ils sont prêts à aider. Instinctivement, ils soutiennent leurs copains qui entrent en clandestinité, et les enseignants suivent, évidemment, parce qu'ils aiment leurs élèves et qu'ils ne se préoccupent pas de savoir si ces derniers se trouvent en situation régulière ou irrégulière sur le territoire national.
Il faut bien voir que, si la procédure de regroupement familial n'a pas été respectée, c'est parce qu'elle est beaucoup trop restrictive. Voici les chiffres de ces dernières années publiés par l'OMI : en 1993, 32 140 personnes ont fait l'objet de regroupements familiaux ; en 1994, elles étaient 20 646, soit 35,8 p. 100 de moins et, en 1995, 14 360, soit 30 p. 100 de moins. Au total, on constate donc une baisse de plus de la moitié en trois ans.
Croyez-moi, des jeunes de dix-huit ans entrés avant ou après l'âge de dix ans hors regroupement familial, il y en aura encore plus dans les années qui viennent, et nous n'aurons rien résolu avec le présent texte !
M. le président. Par amendement n° 15, M. Masson, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit le troisième alinéa (2°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France :
« 2° A l'étranger mineur, ou dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qui justifie par tous moyens avoir sa résidence habituelle en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de six ans, ou bien depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans lorsque l'impossibilité de poursuivre une vie familiale effective dans son pays d'origine est établie ; ».
Cet amendement est assorti de deux sous-amendements, présentés par M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Le sous-amendement n° 212 tend :
I. - Dans le texte proposé par l'amendement n° 15 pour les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, à remplacer les mots : « six ans » par les mots : « dix ans » ;
II. - A la fin du texte proposé par l'amendement n° 15 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, à supprimer les mots : « ou bien qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans lorsque l'impossibilité de poursuivre une vie familiale effective dans son pays d'origine est établie ».
Le sous-amendement n° 213 a pour objet :
I. - Dans le texte proposé par l'amendement n° 15 pour les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, de remplacer les mots : « six ans » par les mots : « dix ans ».
II. - En conséquence, dans ce même alinéa, de remplacer les mots : « dix ans » par les mots : « treize ans ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 15.
M. Paul Masson, rapporteur. Cet amendement a pour objet de proposer une nouvelle rédaction du troisième alinéa de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Cet article, je le rappelle, concerne l'étranger mineur ayant une résidence habituelle en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de six ans - c'est le texte en vigueur - et celui qui réside habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans.
Il s'agit d'arriver, pour ce dernier, à obtenir la délivrance d'une carte de séjour. Pour cela, il faut qu'il apporte la preuve de son « impossibilité de poursuivre une vie familiale effective dans son pays d'origine » - c'est le texte du projet de loi.
Nous atténuons la charge de la preuve qui pèse sur l'intéressé, car, dans la rédaction initiale du Gouvernement, cette preuve semblait difficile à apporter. Ce faisant, nous facilitons l'accès à la carte de séjour.
Cet amendement me paraît ainsi répondre, en partie, aux objections qui ont été formulées lors de la présentation de l'amendement précédent.
M. le président. La parole est à M. Pagès, pour défendre les sous-amendements n°s 212 et 213.
M. Robert Pagès. Le sous-amendement n° 212 vise à accorder de plein droit un titre de séjour aux étrangers résidant en France depuis qu'ils ont atteint l'âge de dix ans, et non celui de six ans.
La rédaction actuelle de l'article 4 ne prévoit la délivrance d'une carte de séjour temporaire à l'étranger entré en France après l'âge de six ans et avant l'âge de dix ans qu'à la condition qu'il fasse la preuve de son impossibilité de poursuivre une vie familiale effective dans son pays d'origine.
Cette restriction ne nous semble guère souhaitable : d'une part, comme M. le rapporteur, Paul Masson, le note, la preuve de cette impossibilité pourra, dans bien des cas, être difficile à établir, d'autre part, elle sera sujette à des interprétations plus ou moins restrictives.
Qu'est-ce, en effet, qu'une vie familiale effective ? Faudra-t-il que l'ensemble des membres de la famille du jeune homme ou de la jeune fille soit en France, la mère et le père ainsi que les frères et soeurs ? Ou seule la présence du père, par exemple, suffira-t-elle ?
Comment évaluer justement chaque situation sans s'immiscer dans la vie privée de chaque famille ?
Non, cette restriction comporte une trop grande part d'arbitraire.
Mais surtout, un jeune en France depuis l'âge de sept ans, huit ans et même dix ans, qui a effectué la quasi-totalité, voire toute sa scolarité dans notre pays doit pouvoir demeurer, s'il le souhaite, sur le sol français à sa majorité.
On ne peut prôner l'intégration et laisser des jeunes dans l'insécurité et l'indétermination quant à leur avenir.
Quant au sous-amendement n° 213, il vise à accorder un titre de séjour à l'étranger qui a sa résidence habituelle en France depuis qu'il a atteint l'âge de dix ans s'il est dans l'impossibilité de poursuivre une vie familiale effective dans son pays d'origine.
La situation actuelle, discriminatoire et restrictive, qui a eu pour effet d'accroître considérablement le nombre de personnes et de familles migrantes privées de toute existence légale et réduites à vivre dans l'angoisse permanente du lendemain, ne peut plus durer.
Cette politique prive ces personnes, et particulièrement les plus jeunes d'entre elles, d'un droit fondamental qui est celui de pouvoir vivre en famille. Nous débattions voilà quelques semaines de la journée nationale des droits de l'enfant ; nous sommes, là, au coeur même du sujet.
Comment est-il possible de parler d'intégration quand on précarise administrativement les enfants en leur déniant le droit de vivre sans la crainte épouvantable d'être expulsés ?
Il est absolument nécessaire de revenir complètement sur la suppression de la délivrance de plein droit de la carte de résident aux enfants entrés en France avant l'âge de dix ans.
Or le texte se contente d'entrouvir une porte pour les jeunes entre six et dix ans qui pourront prétendre à une carte de séjour temporaire à leur majorité s'ils justifient être dans l'impossibilité de poursuivre toute vie familiale dans leur pays d'origine.
Face aux difficultés prévisibles du renvoi des jeunes majeurs qui auront vécu, pour certains, pendant douze ans en France, le Gouvernement se contente de reprendre l'un des critères posés par la jurisprudence pour apprécier les atteintes au droit de mener une vie familiale normale, au sens de l'article 8 de la convention des droits de l'homme.
En effet, si la présente disposition est présentée comme une amélioration pour l'avenir, elle est, en fait, une régression pour les cinq prochaines années. Tous les jeunes concernés qui vont avoir dix-huit ans d'ici au 24 août 2001 n'auront pas la carte de résident à laquelle ils peuvent prétendre encore aujourd'hui. Ils devront remplir des conditions plus strictes pour obtenir, à la place, un titre de séjour d'un an, dont le renouvellement sera chaque année soumis aux mêmes conditions. Il est donc plus que probable que cela créera de nouveaux sans-papiers.
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons d'adopter notre sous-amendement n° 213.
M. le président. Mes chers collègues, pour la clarté du débat, nous allons nous prononcer tout de suite sur les sous-amendements n°s 212 et 213.
Quel est l'avis de la commission sur ces sous-amendements ?
M. Paul Masson, rapporteur. L'avis de la commission est défavorable : ces deux sous-amendements remettent en cause les principes de la loi de 1993.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 212, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 213, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 172, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
« I. - Dans le troisième alinéa (2e) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, de remplacer les mots : "six ans" par les mots : "dix ans". »
« II. - En conséquence, dans ce même alinéa, de remplacer les mots : "dix ans" par les mots : "treize ans". »
Par amendement n° 173, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste, républicain et citoyen proposent de rétablir le quatrième alinéa (3°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 dans la rédaction suivante :
« 3° A l'étranger non polygame qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis plus de quinze ans ; »
Monsieur Pagès, ces deux amendements me semblent ne plus avoir d'objet...
M. Robert Pagès. En effet, monsieur le président, ces deux amendements n'ont plus d'objet.
Je regrette toutefois que les sous-amendements n°s 212 et 213 n'aient pas suscité plus de réflexion, car nous touchons là à de la matière vivante : ils concernent, en particulier, des jeunes qui ne peuvent pas porter sur eux les fautes éventuelles de leurs parents.
J'ai toute ma vie été enseignant, comme quelques-uns ici ; nous savons que les enfants et les jeunes ont une grande sensibilité, presque exacerbée. Il est très difficile de vivre dans un pays lorsqu'on n'est pas dans une situation de régularité. Les enfants, les jeunes, sentent très bien cette discrimination. Ils éprouvent une véritable angoisse et celle-ci, vous le savez, chez les enfants et les jeunes, s'exprime souvent par de la violence, parce qu'ils ne disposent pas d'autres moyens pour se faire entendre.
Selon moi, votre refus obstiné montre que vous n'avez pas la réelle volonté de favoriser l'intégration de ces jeunes qui constitueront un jour, même si vous ne le voulez pas, un socle de notre population, comme nous, qui sommes sans doute ici nombreux à être issus de ces personnes venues d'ailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. Les amendements n°s 212 et 213 n'ont plus d'objet.
Par amendement n° 4 rectifié, M. Hyest et les membres du groupe de l'Union centriste proposent de rétablir le quatrième alinéa (3°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 dans la rédaction suivante ;
« 3° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui justifie par tous moyens résider en France depuis plus de quinze ans ; ».
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Dans l'esprit de l'amendement n° 3 rectifié de M. Diligent, il ne me paraît pas souhaitable de créer des situations dans lesquelles des étrangers ne sont pas expulsables, mais sont régularisables. Tout d'abord, refuser de régulariser les étrangers qui sont en France depuis plus de quinze ans sous prétexte que la situation va perdurer revient en quelque sorte à dire que les règles que nous voulons fixer pour assurer un meilleur contrôle de l'immigration ne sont pas plus efficaces que celles qui étaient en vigueur.
Mme Monique ben Guiga. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. Si l'on croit à l'efficacité de la politique menée grâce à un certain nombre de mesures, ce type de situations ne devrait plus exister.
Nous connaissons tous des étrangers qui ont suivi des études en France pendant un certain nombre d'années, qui sont repartis six mois dans un autre pays puis qui sont revenus en France, où ils résident depuis quinze ans. Ils ne sont pas clandestins ; tout le monde connaît leur situation. On a d'ailleurs considéré que, dans la mesure où ils sont restés quinze ans, ils sont devenus inexpulsables. Des jeunes peuvent être nés en France, puis partis dans un autre pays, quelquefois avant d'avoir atteint l'âge de la majorité, pour suivre leur conjoint. Plus tard, ils reviennent en France et ils se voient refuser leurs droits. La résolution de tous ces cas, qui sont fort peu nombreux, me paraît légitime.
C'est pourquoi, sous la réserve qu'il n'existe aucune menace pour l'ordre public, nous proposons cet amendement. Mais il ne faut jamais oublier que la réserve de la menace pour l'ordre public s'applique toujours, non pas depuis les lois de 1986, comme l'a dit tout à l'heure un de nos collègues, mais depuis les lois de 1984 sur l'attribution des cartes temporaires comme des cartes de résident. Cette notion est bien connue en droit administratif et n'est pas si floue que cela, contrairement à ce qui a été dit. Ne pas être une menace pour l'ordre public est la condition d'obtention d'une carte de séjour temporaire comme d'une carte de résident. Cela a toujours été inclus dans les principes généraux pour l'attribution de ces cartes.
Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. Par amendement n° 16, M. Masson, au nom de la commission, propose de rétablir dans la rédaction suivante le quatrième alinéa (3°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France :
« 3° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis plus de quinze ans ; »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur. Cet amendement n° 16 a le même objet que celui que vient de défendre M. Hyest voilà quelques instants. Membre de la commission des lois, peut-être acceptera-t-il tout à l'heure de le retirer.
Nous touchons là à l'un des points essentiels de notre discussion. Je ne rappelle pas le contexte, chacun le connaît. Il y a en France une sorte de difficulté juridique qui conduit, d'une part, à constater que des situations irrégulières ne peuvent pas être régularisées de par la loi et d'autre part, que les personnes dans ces situations irrégulières sont protégées par l'article 25 de l'ordonnance de 1945 et ne peuvent pas être expulsées ou reconduites à la frontière.
Plusieurs catégories d'étrangers se trouvent dans cette situation, mais, parmi toutes ces catégories que nous allons retrouver ou que nous avons déjà évoquées au fil des amendements, il en est une qui est particulièrement sensible aux uns et aux autres mais je me garderai de classer à cet égard les bons d'un côté et les mauvais de l'autre.
Je comprends très bien, et ce à plusieurs titres, mes chers collègues, qu'on puisse dire que la régularisation d'étrangers en situation irrégulière vivant depuis quinze ans sur le territoire national est une erreur. On peut le dire parce que c'est une prime à l'irrégularité. On peut le dire parce que cette régularisation va prendre pour l'opinion publique une connotation qu'elle n'a pas. On peut le dire parce que l'exemple que l'on donne va encourager d'autres étrangers à agir de même.
A l'inverse cependant, on peut soutenir avec autant de force et de conviction, et sans pour autant devoir être classés dans les rangs des laxistes ou des résignés, que ces étrangers établis depuis quinze ans en France sont des personnes qui ont vécu parmi nous volontairement, qui n'ont pas toujours été en situation irrégulière, qui ont été étudiants ou qui ont eu des titres de séjour, et qui, pour des raisons ou d'autres, valables ou non valables, ne les ont pas fait renouveler ou ont cru avoir une meilleure situation en n'ayant pas de titres de séjour. N'allons pas, à cet égard, sonder les reins et les coeurs : il y a mille raisons ! Elles ne sont pas toutes honnêtes.
Mais le fait est là : elles ont vécu parmi nous, et les voisins, les amis, français ou étrangers, eux en situation régulière, les fréquentent. On dit même qu'ils ont parfois payé des impôts locaux...
Faut-il appliquer à ces personnes l'intransigeance et la rigueur de la loi ? Personnellement, je pense le contraire, et c'est l'objet de cet amendement qui a été, vous l'imaginez, longuement débattu en commission des lois et qui a suscité des objections aussi valables les unes que les autres.
Du point de vue des principes juridiques, il ne me paraît pas sain de conserver au coeur de la cité des gens dont tout le monde sait qu'ils sont en situation irrégulière, mais que l'on voit tous les jours. On se dit : de deux choses l'une : ou seul le Gouvernement ne sait pas, et ce gouvernement n'a pas l'efficacité qui serait souhaitable, ou le Gouvernement le sait, et il tolère cette irrégularité.
Je crois qu'il faut régulariser, qu'il faut le faire dans la clarté. Je pense, par ailleurs, qu'il vaut mieux, d'un point de vue strict de sécurité, savoir où sont les gens, avoir pour chacun d'eux une position juridique, savoir ce qu'ils font, à quel titre ils sont là, plutôt que de tolérer ce flou artistique, qui est un peu hypocrite et conduit, précisément, à toutes les erreurs.
On m'objectera que c'est vrai pour l'instant, mais que, chaque année, d'autres personnes auront résidé en France depuis plus de quinze ans, et que ce sera à l'infini.
Je réponds, mes chers collègues, que, depuis 1993, nous avons pris un certain nombre de dispositions qui portent leurs fruits et qui doivent - surtout si nous adoptons les propositions que le Gouvernement nous fait en ce moment - porter demain davantage encore de fruits.
Si nous nous estimons battus d'avance, si nous considérons que rien n'est possible, parce qu'il y en aura autant demain qu'aujourd'hui, et après-demain autant que demain, ce n'est pas la peine de dire que nous serons plus efficaces que ceux qui nous ont précédés.
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà !
M. Paul Masson, rapporteur. Je pense qu'il faut faire à cet égard confiance au Gouvernement et aux administrations qui, derrière le Gouvernement, agissent pour que les lois soient respectées.
Mes chers collègues - et j'en aurai terminé sur ce point à ce moment du débat - il me paraît objectivement sain et raisonnable de faire droit à cet amendement n° 16, c'est-à-dire de régulariser ceux qui se trouvent en France depuis plus de quinze ans, étant entendu, je le répète, qu'il ne s'agit pas de clandestins ; il s'agit simplement de personnes qui ne sont pas couvertes par notre droit, puisque les dispositions en vigueur ne permettent ni de les régulariser ni de les expulser.
M. le président. Par amendement n° 126, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rétablir le quatrième alinéa (3°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, dans la rédaction suivante :
« 3° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie en France et qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis plus de quinze ans ; »
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Chacun aura constaté que notre amendement est semblable à ceux qui ont été présentés par M. Hyest et par M. le rapporteur.
Tout à l'heure, nous disions que le Sénat ferait preuve de bon sens s'il mettait un terme à cette situation absurde, injuste et même stupide.
Par conséquent, M. Hyest ne m'en voudra pas si je lui dis que je fais mienne l'argumentation qu'il a développée en défendant l'amendement n° 4 rectifié. M. le rapporteur ne m'en voudra pas non plus si je lui dis que je peux également faire mienne une large part des propos qu'il vient de tenir.
Si, sur ce point précis, nous pouvons nous retrouver - nous souhaitons, en effet, que soient régularisés ceux qui se trouvent effectivement sur notre territoire depuis quinze ans, dans des conditions que vient de rappeler M. le rapporteur - je crois que nous aurons fait oeuvre utile.
M. le président. Par amendement n° 173, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rétablir le quatrième alinéa (3°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 dans la rédaction suivante :
« 3° A l'étranger non polygame qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis plus de quinze ans ; »
La parole est à Mme Fraysse-Cazalis.
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet amendement vise à accorder un titre de séjour aux étrangers résidant en France depuis plus de quinze ans.
Il s'agit en effet de revenir sur une disposition particulièrement choquante introduite par Mme Suzanne Sauvaigo et votée par la majorité de l'Assemblée nationale, disposition qui prive du bénéfice d'une carte de séjour d'un an les étrangers résidant en France depuis plus de quinze ans et aujourd'hui en situation irrégulière.
Selon les auteurs de cette modification, une telle mesure reviendrait à accorder « une prime à l'immigration clandestine ».
Permettez-moi de dire que cet argument relève plus de la mauvaise foi que de la volonté de régler de manière équitable et humaine des situations difficiles. En effet, si ces étrangers sont actuellement sans papiers, c'est bien, dans ce cas précis, le résultat de l'application des lois Pasqua.
En effet, la multiplication des conditions préalables à l'obtention ou au renouvellement des titres de séjour a fait basculer dans l'irrégularité nombre d'étrangers installés en France depuis bien des années et parfaitement intégrés à notre pays.
M. Josselin de Rohan. Quinze ans, madame, c'est 1982. Laissez M. Pasqua tranquille !
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis. Le groupe communiste républicain et citoyen tient à marquer sa solidarité avec ces personnes qui, en France depuis plus de quinze ans, ont travaillé, souvent fondé une famille et ainsi jeté les bases d'une nouvelle existence sur notre sol.
Il serait inhumain de remettre en cause la vie de ces familles qui, après des années passées en France, ont perdu une grande partie de leurs attaches dans leur pays d'origine.
Monsieur le ministre, vous ne pouvez balayer ce passé d'un revers de la main, et ce d'autant moins que le fameux argument de l'immigration clandestine, brandi à tout propos par certains membres de la majorité, n'a rien à voir avec le cas de ces personnes.
Vous savez par ailleurs, monsieur le ministre, que les étrangers dans cette situation, donc concernés par cette régularisation, sont peu nombreux : ils sont moins d'une cinquantaine par an.
Quant au prétendu « appel d'air » que cette régularisation entraînerait, permettez-moi d'émettre de sérieux doutes.
Quel étranger croyez-vous attirer avec pour seule perspective quinze ans de vie clandestine, quinze ans d'humiliation, de précarité, de petits boulots, quinze ans de misère dans la crainte continuelle du contrôle policier et cela dans l'espoir fort hypothétique d'obtenir finalement un titre de séjour d'un an ! Ce n'est pas sérieux !
Aussi, que la commission des lois propose à la Haute Assemblée de revenir sur cette disposition adoptée par l'Assemblée nationale nous paraît la moindre des choses, et nous nous en félicitons.
M. Robert Pagès. Très bien !
M. le président. Par amendement n° 127, présenté par MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt et Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit le cinquième alinéa (4°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance de 1945 :
« 4° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie en France, dont le conjoint est de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire soit régulière et que la communauté de vie soit effective et lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; »
La parole est à Mme ben Guiga.
Mme Monique ben Guiga. Par cet amendement, notre groupe propose de supprimer la condition de durée du mariage pour l'obtention d'une carte de séjour temporaire d'un an au conjoint étranger. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Bien sûr, nous connaissons tous l'existence des mariages blancs !
M. Josselin de Rohan. Il y en a beaucoup trop !
Mme Monique ben Guiga. Je sais, en tant que sénateur des Français de l'étranger, que des filières existent, à partir de la Turquie et du Maroc.
M. Josselin de Rohan. Ah bon ? Vraiment ?
Mme Monique ben Guiga. Je connais mieux ces situations-là que vous. Je sais que cela existe. (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Michel Rufin. On n'a jamais dit le contraire !
Mme Monique ben Guiga. Mais dès lors que l'on fait croire que toutes les Françaises et tous les Français qui épousent des étrangers sont des complices d'étrangers qui veulent s'installer frauduleusement sur le sol français, on aboutit à créer des situations totalement absurdes. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Imaginez la situation que l'on a créée avec cette condition de durée du mariage d'un an avant la délivrance d'une carte temporaire, que l'Assemblée nationale voudrait même porter à deux ans.
Que se passe-t-il ?
Deux cas de figure se présentent : ou le conjoint étranger entré régulièrement en France doit s'y maintenir en situation irrégulière pendant un an pour se conformer à la condition de vie commune, ou le conjoint français doit s'expatrier pendant un an pour répondre à la même condition.
Quant à l'étranger marié, mais entré irrégulièrement, il doit retourner dans son pays pour y solliciter un visa de séjour. Alors, se présentent deux cas, comme me l'ont expliqué les fonctionnaires compétents du ministère des affaires étrangères. Soit le consulat est plutôt bienveillant, estime que le mariage est tout à fait sincère et il s'efforce de réduire les délais, si bien qu'en quelques mois l'étranger marié à un Français pourra revenir vivre en France avec son conjoint.
Soit, en dépit des instructions réitérés du ministre des affaires étrangères, le consulat refuse tout visa, sans en référer au service des étrangers en France, ce qui est pourtant prévu, au simple motif de l'entrée irrégulière en France antérieurement à cette demande.
En effet, si l'étranger est retourné dans son pays pour faire une demande de visa, c'est bien qu'il était entré irrégulièrement auparavant dans notre pays. Si, au motif de l'entrée irrégulière, on lui interdit définitivement toute possibilité de visa, il ne pourra jamais revenir en France pour se marier, même si, déjà, un ou deux enfants sont nés. Je connais des personnes dans cette situation.
Ce qui provoque le plus de situations irrégulières dramatiques pour des couples dits « mixtes » - mais, en principe, tous les couples sont mixtes ! - c'est l'impossibilité d'obtenir la transformation d'un titre de séjour d'étudiant en titre de séjour de conjoint.
Je vous livre à ce propos le cas de Mme A.,...
M. Alain Gournac. Et Mme B.,... ?
Mme Monique ben Guiga. ... étudiante préparant une thèse. Elle se marie, et trois naissances rapprochées l'empêchent de poursuivre ses études. Elle perd son statut d'étudiante. (Exclamations sur les travées du RPR.) Pour obtenir le statut de conjoint, il faut qu'elle rentre dans son pays. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Mais enfin, messieurs, on a le droit d'avoir trois naissances rapprochées ! On peut ne pas être très douée pour le contrôle des naissances ! C'est arrivé à d'autres, et ce n'est pas scandaleux !
M. Michel Ruffin. Rien que des cas particuliers !
Mme Monique ben Guiga. Pour obtenir son titre de séjour, elle doit donc rentrer dans son pays. Mais que faire des enfants pendant ce temps-là ? Comment organiser quatre ou cinq mois de séjour à l'étranger quand l'aîné des enfants est déjà scolarisé en France ? Que peut faire Mme A... ?
M. Alain Gournac. Qu'elle reparte chez elle !
Mme Monique ben Guiga. Cela fait trois ans qu'elle est irrégulièrement en France, depuis que son visa d'étudiante lui a été supprimé et qu'on n'a pas voulu lui délivrer un titre de séjour. (Protestations sur les travées du RPR.)
Ce sont des situations absurdes, qui rendent la vie impossible à des personnes de bonne foi, à d'honnêtes gens.
Les étrangers ne sont pas tous d'abominables personnages, qui ne visent qu'à troubler l'ordre public en France ! (Applaudissement sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR.)
M. le président. Par amendement n° 174, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste, républicain et citoyen proposent, dans le cinquième alinéa (4°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 de remplacer les mots : « au moins deux ans » par les mots : « au moins six mois ».
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. L'assemblée nationale a porté d'un an à deux ans la durée de mariage exigée pour obtenir une carte de résident, afin, prétendument, de prévenir les fraudes qui résultent des mariages de complaisance.
Cette mesure est complètement disproportionnée par rapport à l'importance de ces pratiques. De plus, on ne vise pas seulement les étrangers, on porte aussi atteinte aux libertés de tout Français qui aurait eu le malheur de choisir un conjoint étranger.
L'introduction du délai d'un an participait déjà du même fantasme : les immigrés seraient prêts à tous les subterfuges et tromperies pour acquérir un titre de séjour. Prolonger ce délai d'un an, c'est participer à la suspicion systématique à l'encontre de l'étranger et de ceux qui les fréquentent.
Déjà victimes de l'introduction du délai d'un an par les lois dites « Pasqua », les couples dont un des conjoints est de nationalité étrangère seraient dorénavant obligés de supporter un an supplémentaire de tracasseries administratives ou de clandestinité.
Il est évident que cette logique est contraire à une véritable application du droit de vivre en famille.
Notre amendement, lui, va à l'encontre de la logique de soupçon qui pèse sur ce qu'il est convenu d'appeler les « couples mixtes ».
Il met en cause les dispositions proposées par l'Assemblée nationale et il ne se contente pas de revenir à la législation précédente. En rester à celle-ci reviendrait à accepter ce qui est inacceptable tout en donnant l'impression de vouloir « adoucir » le texte et apparaître « modéré ».
Cette hypocrisie ne trompe personne. Ce n'est pas ainsi que l'on respecte le droit de vivre en couple, en famille !
Ainsi, les Français mariés à des étrangers qui vivent dans leurs pays d'origine doivent supporter, après avoir eu toutes les peines du monde à se faire rejoindre, parce que le visa indispensable sera, le plus souvent, refusé pour « risque migratoire majeur », un long délai supplémentaire. Les couples ont le « choix», soit de vivre dans le pays du conjoint étranger - à condition que ce pays veuille bien qu'un Français s'installe sur son territoire - mais pourquoi le voudrait-il si la France ne veut pas accueillir l'autre membre du couple ? - soit de vivre séparé et de ne pas pouvoir faire la preuve de leur vie commune, soit de vivre dans la clandestinité.
Vous le constatez, la mécanique discriminatoire est en place, que le délai soit d'un an, comme le prévoit la législation actuelle, ou qu'il soit prolongé, comme le propose l'Assemblée nationale. Elle pourrait être encore et encore aggravée, jusqu'à rendre quasiment impossible la vie en couple de milliers de personnes.
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons d'adopter cet amendement.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 17 est présenté par M. Masson, au nom de la commission.
L'amendement n° 5 rectifié est déposé par M. Hyest et les membres du groupe de l'Union centriste.
Tous deux tendent, dans le cinquième alinéa (4°) du texte proposé par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, à remplacer les mots : « deux ans » par les mots : « un an ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 17.
M. Paul Masson, rapporteur. La question est de savoir, lorsque l'un des conjoints est français et l'autre étranger, quelle durée de mariage est requise pour que le conjoint étranger puisse bénéficier de la carte de séjour temporaire.
Je constate que, pour des cas comparables, s'agissant du bénéfice de la carte de résident de dix ans, par exemple, les textes actuels prévoient une durée de mariage de un an.
Par ailleurs, la mesure de protection contre une décision d'éloignement concerne le conjoint marié à un Français depuis au moins un an.
Ainsi, dans la législation existante, la durée habituelle de référence en cette matière est de un an.
Très logiquement, le Gouvernement avait donc proposé, dans son projet de loi, pour le cas qui nous occupe, une durée de un an. L'Assemblée nationale a cru devoir porter ce délai à deux ans, ce qui est en dissonance avec d'autres dispositions de l'ordonnance de 1945, que je viens d'évoquer.
L'amendement n° 17 a simplement pour objet de ramener à un an la durée du mariage nécessaire à l'obtention par le conjoint étranger de la carte de séjour temporaire.
M. le président. La parole est à M. Hyest, pour défendre l'amendement n° 5 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, le même souci de cohérence m'avait amené aux mêmes conclusions.
M. le président. Voilà un chef-d'oeuvre de brièveté ! (Sourires.)
Par amendement n° 175, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le cinquième alinéa (4°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, de supprimer les mots : « que son entrée sur le territoire français ait été régulière ».
La parole est à Mme Fraysse-Cazalis.
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis. Cet amendement vise à permettre à l'ensemble des étrangers conjoints de Français d'obtenir un titre de séjour.
Dans l'état actuel du texte que nous présente le Gouvernement, ceux qui sont entrés en France sans visa ne pourront pas être régularisés. Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous demander à quelle logique répond cette restriction. Vous allez maintenir dans la clandestinité des étrangers mariés à des Français qui, vous le savez bien, ne peuvent être reconduits à la frontière. Une telle mesure porte atteinte au droit fondammental de vivre en famille. Vous prétendez apporter des réponses aux situations inextricables engendrées par les lois Pasqua ; alors, pourquoi cette exception ?
En effet, quelle autre perspective auront ces conjoints de Français que celle d'une vie clandestine ? A moins, bien sûr - mais je n'ose le croire - que votre préférence n'aille à l'expatriation des Français mariés à des étrangers et de leurs enfants ?
Voyez à quoi vous conduit votre obsession anti-immigrés !
Ces étrangers conjoints de Français ne pourront pas travailler légalement en France. Vous êtes-vous demandé comment ils subviendront aux besoins de leur famille ? Songez donc aux conditions de vie que vous leur réservez !
Vous parlez de violence, mais c'est votre texte qui constitue, en lui-même, une véritable agression, source de réactions vives bien légitimes de la part des personnes concernées par ces mesures inhumaines.
Est-ce là votre interprétation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés, qui garantit à chacun le droit à une vie familiale et privée ?
Cette restriction révèle à quel point le texte proposé par le Gouvernement fait peu de cas des situations vécues par les couples mixtes et ne vise en réalité qu'à pérenniser les situations de précarité et d'exclusion que subissent des étrangers en nombre croissant.
M. Alain Vasselle. Que faites-vous des mariages de complaisance ?
M. le président. Par amendement n° 128. MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit le sixième alinéa (5°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 :
« 5° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, résidant en France, père ou mère d'un enfant français, à la condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale ; »
La parole est à Mme ben Guiga.
Mme Monique ben Guiga. Cet amendement de repli tend à redéfinir les conditions d'attribution de plein droit de la carte de séjour temporaire au père ou à la mère d'un enfant français afin de supprimer la conditon d'âge de l'enfant, l'obligation de subvenir à ses besoins, car il ne peut pas en avoir les moyens, et, enfin, la reconnaissance postérieure à la naissance.
Le problème de l'irrégularité du séjour des parents d'enfants français et, donc, à ce titre, non expulsables, a été le détonateur du mouvement des sans-papiers.
En 1995 et en 1996, trois circulaires ont offert aux préfets des possibilités de régulariser ces parents inexpulsables. Les faits prouvent que la plupart d'entre eux n'ont pas voulu user de la faculté qui leur était donnée par ces circulaires. Il a fallu des grèves de la faim et des mouvements de solidarité pour que, dans tel ou tel département, il soit procédé à des régularisations dans des situations de ce type.
Le texte qui nous est proposé fait passer cette pratique de régularisation dans la loi, mais d'une façon restrictive.
D'abord, on ne donne qu'une carte de séjour temporaire.
A ce sujet, je tiens à signaler que, selon toutes les informations que nous recueillons, quand un étranger a droit à une carte de séjour temporaire, la tendance observée dans les préfectures est de ne lui remettre qu'un récépissé et, quand il a droit au renouvellement de sa carte de dix ans, la tendance est de ne lui délivrer qu'une carte de séjour d'un an. Or, chacun le sait, bien souvent, les étrangers ne peuvent véritablement défendre leurs droits.
Je m'inquiète donc de voir ce parent d'enfant français, qui est inexpulsable, qui vit en France depuis quelques années, n'avoir qu'une carte de séjour temporaire.
Admettons que les préfectures soient rigoureuses, appliquent ce qui leur est demandé et donnent trois cartes temporaires d'un an, avec le droit à l'emploi : on peut espérer que, au bout de trois ans, ce parent d'enfant aura une carte de séjour de dix ans. Mais je n'en suis pas sûre parce que tous les échos qui nous parviennent, directement ou par le biais des associations, font état d'une réduction de la délivrance de cartes de séjour de dix ans à des personnes qui y ont droit.
Cette parenthèse étant refermée, je reviens à l'objet de notre amendement.
Dans le texte précédent, les conditions d'exercice de l'autorité parentale et de prise en charge des besoins effectifs de l'enfant constituaient une alternative : il fallait satisfaire soit à la première soit à la seconde. Dans le texte qui nous est soumis, elles sont cumulatives.
Si cette restriction était maintenue en l'état, elle aboutirait en fait à vider le texte de tout contenu.
En effet, le parent en situation irrégulière doit prouver, pour être régularisé, qu'il a des ressources grâce auxquelles il subvient aux besoins de l'enfant. Or il ne peut avoir officiellement des ressources puisque, étant irrégulier, il n'a pas droit à l'emploi. Dès lors, même s'il a des ressources et qu'il subvient aux besoins de l'enfant, ce sera parce qu'il travaille irrégulièrement et il ne pourra pas apporter la preuve exigée.
Si l'on maintient le cumul des conditions, on empêchera donc de fait le parent étranger en situation irrégulière d'obtenir sa régularisation parce qu'il ne pourra jamais satisfaire à la condition de prise en charge des besoins de l'enfant.
Enfin, je veux soulever le problème de la femme au foyer. Il y a, en effet, des mères d'enfants français qui sont en situation irrégulière et qui sont femmes au foyer. Par définition, ces femmes n'ont pas de ressources personnelles. Comment va-t-on apprécier leur participation à l'entretien de l'enfant ? Tiendra-t-on compte des soins, de l'alimentation, ou encore des câlins et des jeux, qui sont également très importants dans le développement d'un enfant ? Je pose la question. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Par amendement n° 176, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans la première phrase du sixième alinéa (5°) du texte présenté par l'article 4 pour remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, de remplacer les mots : « seize ans », par les mots : « dix-huit ans ».
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. L'article 4 du projet de loi modifie l'article 12 bis de l'ordonnance de 1945, qui est relatif à l'attribution de plein droit de la carte de séjour temporaire. Il a pour objet d'éviter ces situations dans lesquelles un étranger n'est ni éloignable ni susceptible de bénéficier de plein droit d'un titre de séjour.
Malheureusement, cet article 4, qui devait constituer le volet « libéral » de votre projet de loi, monsieur le ministre, est loin de combler les espérances qu'on pouvait nourrir tant il est restrictif.
Il est restrictif, tout d'abord, en ce sens que, au lieu d'attribuer une carte de résident de dix ans directement aux personnes dites « protégées », il ne leur accorde qu'une carte de séjour temporaire d'un an.
Il est restrictif, ensuite, parce qu'il a même été question d'écarter de cette régularisation les étrangers résidant en France depuis plus de quinze ans.
Enfin, il est restrictif quant aux conditions requises pour bénéficier de ce titre provisoire.
Ainsi, le 5° de cet article dispose qu'une carte de séjour temporaire est attribuée de plein droit « à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français de moins de seize ans ».
Le droit à la carte de séjour temporaire pour les parents n'est donc ouvert que jusqu'au seizième anniversaire de l'enfant.
Cette disposition est, en fait, conçue pour empêcher la régularisation des parents des jeunes qui, en vertu de la loi, peuvent choisir de devenir français entre seize et dix-huit ans par manifestation de volonté.
Pourquoi cette limite d'âge de seize ans ? Au nom de quoi et par rapport à quoi fixez-vous un tel couperet ?
Je vous rappelle que, derrrière les mots, se trouvent des personnes vivant de véritables drames humains. Il est grand temps de considérer les étrangers comme de véritables sujets de droit !
En réalité, le Gouvernement ne souhaite pas que ces étrangers bénéficient du choix de leur enfant de devenir français.
Il y a fort à craindre que, loin de disparaître, la catégorie des parents d'enfants français en situation irrégulière ne se perpétue.
Pour élargir le champ d'application de l'article 4, nous proposons de remplacer la référence à l'âge de seize ans par la référence à l'âge de dix-huit ans.
Monsieur le ministre, votre texte prend explicitement le parti de placer des étrangers pourtant régularisables dans la précarité.
La solution que vous avez trouvée pour en finir avec l'impasse juridique créée par les lois Pasqua ne repose que sur la délivrance de titres de séjour provisoires dont le renouvellement est moins que jamais assuré.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter notre amendement, qui vise à une meilleure prise en compte de la situation des étrangers et à leur meilleure intégration dans notre pays.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures pour les questions d'actualité au Gouvernement, à l'issue desquelles se poursuivra la discussion du présent projet de loi.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. René Monory.)