M. le président. Par amendement n° 79, MM. Vasselle et Balarello proposent d'insérer, avant l'article 4, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 12 bis de la même ordonnance, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - Une carte spéciale d'identification est délivrée de plein droit à l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui justifie, par tous moyens, résider en France habituellement depuis plus de quinze ans.
« Une carte de séjour temporaire peut lui être délivrée sur décision préfectorale en fonction d'éléments spécifiques tirés de sa situation personnelle et familiale.
« Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités d'application du présent article. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 214, présenté par M. Caldaguès, et tendant, avant le dernier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 79, à insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le Parlement sera informé chaque année du nombre de personnes ayant bénéficié de ces dispositions. »
La parole est à M. Vasselle, pour défendre l'amendement n° 79.
M. Alain Vasselle. Cet amendement a pour objet de placer dans une situation intermédiaire les étrangers qui relèvent des dispositions de l'alinéa 3° de l'article 4 du projet de loi initial, alinéa qui a été supprimé par l'Assemblée nationale.
Cet alinéa 3° disposait : « A l'étranger non polygame qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis plus de quinze ans ; ».
L'Assemblée nationale a voulu éviter une régularisation automatique et systématique de tous les étrangers qui se trouvent sur notre territoire depuis plus de quinze ans.
Est-il nécessaire de rappeler que ces mesures concerneront des personnes étrangères qui se trouvent sur notre territoire depuis 1982 ?
Je crois me souvenir que des dispositions de régularisation importantes ont été prises dès les années quatre-vingt, qui ont permis à nombre d'étrangers d'être en situation régulière. On pouvait imaginer que, depuis ce temps-là, on avait pu contrôler de manière un peu plus stricte tout phénomène d'immigration et toute situation de clandestinité d'un certain nombre d'étrangers sur l'ensemble du territoire national. Or il n'en est rien, puisqu'on éprouve le besoin, au travers de cette disposition, de confirmer la possibilité de permettre à des étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'une régularisation.
Je souhaite répondre à la préoccupation du Gouvernement et de M. le ministre de l'intérieur. Je propose donc de délivrer à tous ces étrangers une carte spéciale d'identification, une carte de séjour temporaire. Voilà qui permettrait d'identifier l'ensemble des clandestins qui se trouvent sur le territoire national sans rétablir un droit systématique à la régularisation, comme le prévoit la commission des lois.
Quant à l'appréciation de leur situation, le représentant de l'Etat le mieux placé pour y procéder, c'est le préfet. Sa décision se fonderait sur des éléments spécifiques de la situation personnelle ou familiale des intéressés.
Pour bien préciser le dispositif, nous proposons qu'un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités d'application du présent article.
Cette proposition que nous faisons avec mon collègue M. Balarello m'apparaît d'autant plus justifiée que, si elle répond à une situation tout à fait marginale sur le territoire national - M. le ministre de l'intérieur a dit à l'Assemblée nationale que quarante ou cinquante personnes seraient concernées en métropole, ce qui est peu au regard du nombre total d'étrangers - et il ne faut pas oublier les départements et les territoires d'outre-mer que notre collègue M. Othily a cité dans la discussion générale, ainsi qu'en commission des lois, je suppose, l'exemple flagrant de la Guyane.
La Guyane compte actuellement plus de 40 000 clandestins pour 114 000 habitants. En raison de sa situation géographique, ce département accueille des étrangers originaires du Surinam, du Brésil ou de Haïti. Cette situation est très mal vécue par la population.
Il ne serait ni acceptable ni compréhensible...
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Vasselle.
M. Alain Vasselle. Je termine, monsieur le président.
Il ne serait ni acceptable ni compréhensible, disais-je, que l'on réponde à ce problème en soumettant un projet de loi spécifique à l'examen du Parlement et que, en attendant, on régularise les 40 000 clandestins de ce département.
C'est la raison pour laquelle je souhaite vivement que mon amendement soit adopté par la Haute Assemblée.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès, pour présenter le sous-amendement n° 214.
M. Michel Caldaguès. Au cours de la discussion générale, j'ai clairement exprimé ma préférence pour le maintien du texte voté par l'Assemblée nationale, laquelle a supprimé le 3° de l'article 4.
Entre-temps, MM. Vasselle et Balarello ont déposé l'amendement n° 79.
J'ai par ailleurs constaté qu'un couperet s'abattait systématiquement sur les amendements que j'avais eu l'honneur de déposer et j'en suis venu à augurer bien mal du sort de la position que je comptais défendre sur l'article 4.
C'est dans ces conditions que l'amendement de MM. Vasselle et Balarello m'est apparu comme une solution de repli, qui pourrait être de nature à apaiser les scrupules de conscience d'un grand nombre d'entre nous.
Je reviendrai ultérieurement sur ces scrupules de conscience mais, dans le temps dont je dispose en cet instant, je souhaite indiquer que le principal d'entre eux vient de ce que le texte auquel le Gouvernement et la commission semblent attachés nous engage à ouvrir un droit à l'attribution d'une carte de séjour de façon globale, sans restriction, ou presque, et surtout pérenne, car c'est en quelque sorte une machine à répétition.
Dire qu'il n'y aurait que quelques dizaines de bénéficiaires - on a cru même devoir articuler le chiffre de vingt-sept, qui est totalement fallacieux - c'était faire bon marché de ce que cette disposition est destinée à fonctionner non pas seulement en 1997 pour ceux qui sont présents ou supposés tels en France depuis 1982, mais aussi en 1998 pour ceux qui y sont depuis 1983, et ainsi de suite.
Cela est d'autant plus choquant que, aux termes du texte, le Parlement n'a pas la moindre notion du contrôle qui devrait être effectué sur chacun des cas et qui incombe au pouvoir exécutif, en vertu des prérogatives régaliennes dont il dispose.
Je considère que le pouvoir exécutif doit assumer pleinement ses responsabilités au lieu de demander au Parlement une ouverture de droit globale, générale et pérenne au Parlement. Une telle ouverture, nous ne pouvons pas la donner, compte tenu des cas que nous avons en tête.
Quant au sous-amendement n° 214, il tend simplement à faire en sorte que le Parlement puisse y voir clair et savoir si c'est à tort ou à raison que j'ai mis en doute les estimations du nombre de bénéficiaires qui nous ont été données. Voilà pourquoi je propose que le Parlement soit informé chaque année du nombre des bénéficiaires de la disposition visée par l'amendement n° 79.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 79 et sur le sous-amendement n° 214 ?
M. Paul Masson, rapporteur. Avec cet amendement et ce sous-amendement, on anticipe le débat sur l'article 4.
Pour l'Assemblée nationale, il ne faut pas régulariser la situation des étrangers en situation irrégulière et qui vivent en France habituellement depuis quinze ans.
Lorsque nous aborderons l'article 4, la commission vous proposera, elle, de régulariser la situation de ces étrangers. Il y a un choix à faire, et le Sénat se déterminera souverainement.
MM. Vasselle et Balarello nous soumettent une solution intermédiaire, qui n'est pas sans intérêt. Elle consiste à régulariser la situation des étrangers visés, mais à la régulariser différemment, par le biais d'une carte spéciale d'identification.
J'indique d'emblée que la commission a émis un avis défavorable sur cette proposition, qui tend à créer une catégorie de titre tout à fait spécifique, établissant donc une distinction entre les étrangers régularisés et singularisant ceux à qui ce titre spécifique serait attribué.
Or nous sommes opposés à la distinction en cette matière, car il est évident que ceux qui seraient ainsi régularisés en quelque sorte « à regret » ne pourraient que nourrir un complexe, qui affecterait leur comportement face à l'administration, au voisinage, voire à la famille.
Je pense qu'il faut, soit régulariser, soit ne pas régulariser. Personnellement, je propose de le faire. Il peut être justifié de ne pas le faire, mais le faire à moitié m'apparaît comme une démarche ambiguë, qui conduirait à créer un droit mineur et donnerait à penser que c'est avec une espèce de frilosité que le législateur a légiféré.
Astucieusement, l'amendement n° 79 permet d'éviter de choisir. Or il me semble que, dans ce débat, en cet instant et s'agissant de ces gens-là, il faut choisir : chacun se déterminera en conscience.
S'agissant du sous-amendement n° 214, la logique suppose que la commission émette également un avis défavorable. Toutefois, l'idée de M. Caldaguès de savoir ce qu'il en est exactement de ces régularisations que nous allons évoquer dans un instant est une bonne idée. Il serait en effet utile que le Gouvernement s'engage, si les régularisations sont effectivement opérées, ce qui dépend du vote du Parlement, à nous livrer périodiquement les résultats de ces régularisations. Ainsi, nous saurons précisément combien de personnes sont effectivement concernées.
Peut-être conviendrait-il d'inscrire une telle disposition dans le texte. La navette permettra éventuellement de le faire. Mais je serai heureux d'entendre le Gouvernement s'exprimer dès maintenant sur ce point.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 79 et le sous-amendement n° 214 ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur Vasselle, pour résoudre le difficile problème des étrangers en situation irrégulière qui résident en France depuis plus de quinze ans, vous proposez de leur octroyer un document d'identification sans pour autant leur donner un titre de séjour.
J'y ai beaucoup réfléchi et je ne peux malheureusement pas vous suivre dans cette voie.
En effet, il ne faut pas, me semble-t-il, créer un droit particulier pour certains. Il faut éviter les ambiguïtés juridiques. De deux choses l'une : ou bien l'on admet au séjour un étranger, et alors il faut lui accorder un titre de séjour de plein exercice, ou bien on ne l'admet pas, et alors il doit quitter le territoire.
Monsieur Vasselle, vous savez avec quelle détermination je lutte, depuis vingt mois, contre l'immigration irrégulière, le travail clandestin et les filières ; je me suis complètement investi dans ce combat. C'est pourquoi je me permets de vous demander avec amitié, mais aussi avec insistance, de retirer cet amendement qui ne convient pas à notre droit. A défaut, je serais contraint d'inviter la Haute Assemblée à le repousser.
J'en viens au sous-amendement n° 214.
Depuis que j'occupe mes fonctions au ministère de l'intérieur, je crois avoir su démontrer l'importance que j'attachais à l'information de la représentation nationale et de l'ensemble des Français sur ces questions. Je suis évidemment prêt à donner également les informations demandées par M. Caldaguès et dont M. le rapporteur a souligné l'intérêt. Pour autant, je ne pense pas qu'il faille le prévoir dans la loi.
Toutefois, je prends l'engagement solennel de venir devant les commissions compétentes des deux assemblées pour fournir toutes les indications chiffrées qui leur paraîtront utiles.
M. le président. Nous allons maintenant passer au vote de l'amendement et du sous-amendement.
M. Robert Badinter. Je demande la parole contre.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. J'ai écouté avec intérêt les propos de M. le rapporteur relatifs à la singulière distinction que l'amendement n° 79 tendrait à introduire dans notre droit, et je partage son analyse. C'est en effet une disposition bien étonnante qui nous est soumise.
Je n'ai point besoin de rappeler que chacun d'entre nous a une identité. Selon le Grand Robert, que j'ai pris le soin de consulter, l'identité est le fait pour une personne d'être un individu donné.
Quant à l'identification, c'est le processus par lequel on détermine une identité. L'exemple qui est d'ailleurs donné dans le Grand Robert est significatif : il évoque l'identification d'un cadavre ou celle d'un criminel.
M. Michel Caldaguès. Ou d'un assuré social !
M. Robert Badinter. Certes, mais tel n'est pas le sens que visait le Grand Robert, pas plus d'ailleurs que M. Vasselle.
Ainsi que M. le rapporteur l'a souligné, la création de ce titre spécial ferait que, à côté de la carte de résident, il y aurait, pour une catégorie d'étrangers « en état d'identification », cette carte, ce signe particulier.
Je veux croire que les auteurs de l'amendement n'ont pas mesuré la portée de ce qu'ils proposaient, qui n'est rien d'autre qu'un processus de stigmatisation, conduisant l'étranger concerné à se sentir différent de tous les autres étrangers. C'est pour cela que je rejoins la position prise par la commission des lois.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Je ne suis pas totalement insensible à l'argumentation qui a été développée par M. le rapporteur et par M. le ministre de l'intérieur, et je comprends les difficultés que pourrait engendrer cette identification.
Cela étant, j'ai souhaité, avec mon collègue José Balarello, transmettre au Gouvernement un message fort émis par l'opinion publique, qui comprend assez mal que l'on n'applique pas une politique plus rigoureuse en matière d'immigration, même si, monsieur le ministre - et je dois vous en donner acte - vous avez fait preuve, au cours de ces vingt derniers mois, d'une très grande détermination. En effet, votre action dans ce domaine n'a pas faibli, il faut le reconnaître et vous en féliciter,...
Un sénateur du RPR. Tout à fait !
M. Alain Vasselle. ... et l'ensemble du dispositif que vous nous proposez d'adopter tend à vous donner des moyens supplémentaires pour lutter contre le phénomène de l'immigration.
Mais était-il alors nécessaire, au moment où vous souhaitez renforcer cette lutte contre l'immigration, notamment clandestine,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Notamment !
M. Alain Vasselle. ... de maintenir une disposition législative qui tend précisément à régulariser la situation d'un certain nombre d'étrangers en situation irrégulière ?
Cela est mal perçu par l'opinion. A travers cette disposition, et même si tout un arsenal de mesures est par ailleurs mis en oeuvre pour restreindre l'immigration, nous allons lui donner le sentiment que, en définitive, le Gouvernement et la majorité vont une fois de plus régulariser la situation d'un certain nombre d'étrangers qui sont présents sur le territoire national depuis plus de quinze ans.
Dans ces conditions, deux solutions s'offraient à moi.
La première consistait tout simplement à me rallier à la position adoptée par l'Assemblée nationale et à combattre l'amendement de la commission visant à rétablir la disposition que j'ai évoquée.
La seconde était de trouver une formule permettant à la fois d'atteindre l'objectif que le Gouvernement s'est fixé et de recenser et d'identifier les étrangers concernés, dont la situation est tout de même inacceptable.
Faut-il rappeler - j'en parlais hier avec M. Philippe de Gaulle - que l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui avait été approuvée par les socialistes, les communistes, les radicaux et le général de Gaulle, disposait que toute personne entrée sur le territoire national de manière irrégulière devait retourner dans son pays et ne pouvait bénéficier d'une régularisation de sa situation ?
M. Jacques Mahéas. Cela a fait la fortune de certains !
Mme Monique ben Guiga. Que faisaient Renault et Peugeot pendant ce temps-là ?
M. Alain Vasselle. On est revenu depuis sur ce principe, et l'on a fait preuve, au fil des années - et le parti socialiste n'a, de ce point de vue, de leçons à donner à personne - d'un laxisme regrettable !
M. Jacques Mahéas. C'est minable !
M. Alain Vasselle. Mais permettez, avant de vous faire connaître ma position quant au retrait éventuel de mon amendement, de laisser mon collègue Michel Caldaguès s'exprimer sur son sous-amendement...
M. le président. Laissez-moi le soin de mener les débats, mon cher collègue !
M. Michel Caldaguès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Mes chers collègues, mon sous-amendement n° 214 est en quelque sorte le passager d'un bateau qui se trouve bien près d'être envoyé par le fond. A l'instar de certains commandants de sous-marin pendant la guerre, notre rapporteur a cependant eu le geste chevaleresque d'offrir le salut à ce passager, et le passage à proximité d'une vedette gouvernementale a permis à M. le ministre de parachever l'acte de sauvetage. Je ne peux que m'en déclarer satisfait !
Cela étant, je regrette que la proposition de M. Vasselle n'ait pas reçu un accueil favorable, parce qu'il ne me reste maintenant qu'une solution : m'accrocher résolument au texte issu des travaux de l'Assemblée nationale. Je le ferai dans un instant.
En ce qui concerne les conséquences éventuelles, et presque certaines, d'un vote qui n'irait pas dans ce sens, je produirai des informations qui seront peut-être de nature à influer sur le cours des choses. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas. La magie noire !
M. le président. Monsieur Vasselle, maintenez-vous votre amendement n° 79 ?
M. Alain Vasselle. Il ne m'a pas été répondu à propos du problème majeur qui se pose en Guyane.
J'espère obtenir des éclaircissements sur ce point mais j'accepte, dans l'attente, de retirer mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 79 est retiré.
En conséquence, le sous-amendement n° 214 n'a plus d'objet.

Article 4